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Les réformes : de l’économie et de la morale !

Article publié dans le journal Les Echos en 2004

Sur le plan macro-économique, pour les retraites, le système de santé comme l’assurance-chômage, ne rien faire ne peut conduire qu’à l’impasse. De deux choses l’une. Soit les systèmes de protection sociale volent prochainement en éclats et seules les personnes aisées pourront se garantir une retraite suffisante, des soins de qualité ou un temps de chômage supportable en l’attente d’un emploi. Mais, en France, ce big bang ultralibéral est peu probable. Soit, plus certainement, nous continuons à solder le coût de notre irresponsabilité collective sur nos enfants et nos petits-enfants par l’accumulation de la dette publique, en même temps que par le nombre toujours grandissant de chômeurs et d’exclus dû à l’augmentation continue parallèle des cotisations sociales et des impôts. La montée de ces prélèvements obligatoires pèse en effet, au-delà d’une limite déjà atteinte, sur le pouvoir d’achat lui-même comme sur le coût du travail. Elle contribue donc puissamment au manque de croissance de l’économie et a, de ce fait, un coût social élevé.

Seules des réformes équitables et bien comprises peuvent sauver ce qui fait le socle de notre culture et de notre façon de vivre ensemble : l’économie sociale de marché, qui, dès après la Seconde Guerre mondiale notamment, a su conjuguer dynamisme économique avec système de santé de même qualité pour tous, retraite pour tous les travailleurs et protection des plus démunis face au chômage et à la précarité. Or, les montées simultanées de la dette, des cotisations et des impôts seraient les réponses, asphyxiantes et injustes _ pour les plus démunis comme pour ceux qui nous succéderont _, que nous apporterions par défaut, si nous devions préférer l’immobilisme craintif aux chantiers, difficiles certes, mais indispensables, de la remise en ordre de notre système de protection sociale.

Dans une société vieillissante dont la natalité a chuté fortement depuis cinquante ans et dont l’espérance de vie a heureusement augmenté considérablement au cours de la même période, sauver les principes de notre système social et de notre bien-être collectif ne peut se faire sans quelques sacrifices pour chacun. La retraite ne peut être la même, sauf à travailler plus longtemps ; et les remboursements des frais médicaux ne peuvent s’élever au même niveau, alors qu’ils sont structurellement en augmentation puisqu’ils augmentent très fortement avec l’âge de la population.

De même, si un pays historiquement riche comme le nôtre peut et doit protéger les plus fragiles des siens par le RMI ou l’assurance-chômage, il est illusoire et néfaste de croire qu’il est possible de laisser dévoyer cette protection en acceptant qu’un nombre que chacun s’accorde à reconnaître non négligeable de ses bénéficiaires en profite indûment ou abusivement, parce que pour ceux-l à il est moins rémunérateur ou plus exigeant de retrouver un emploi déclaré. En outre, ces systèmes se révèlent être trop souvent de véritables trappes à pauvreté. Il est donc indispensable de les réformer afin de les rendre les plus incitatifs possible à retrouver une activité rémunérée, lorsque cela s’avère faisable. Enfin, des comportements de certaines entreprises ont pu être repérés statistiquement, consistant à tirer profit des systèmes sociaux pour reporter sur la collectivité le coût de la mise à l’écart de salariés âgés, par exemple.

La seconde nécessité expliquant l’urgence des réformes est d’ordre moral. La société moderne, notamment en Europe, a développé progressivement l’Etat providence pour le plus grand bien de tous. Cet état de choses ne peut subsister dans son principe même que, d’une part, si les sociétés concernées ont les moyens de s’offrir cette protection sociale, mais aussi, d’autre part, si cette protection ne vient pas à l’encontre même de la justice sociale.

Le pacte de l’économie sociale de marché, ou de la démocratie sociale modernisée de type européen, repose sur les droits des citoyens mais aussi sur leurs devoirs. Chacun doit se comporter de façon responsable devant le système social qui est le fruit de l’effort collectif. Dès lors que chacun pense qu’il peut en profiter parce que les autres paient, parce c’est un dû, et sans se sentir soi-même redevable, l’ensemble du système s’affaiblit. Il devient moins juste socialement. Ce comportement, égoïste individuellement et suicidaire collectivement, ne peut que conduire tôt ou tard à la ruine morale et financière du système.

Or, tout se passe comme si, aujourd’hui en France, personne ne voulait réaliser les efforts indispensables pour sauver l’ensemble. Comme si, soit on préférait faire l’autruche, soit on pensait que les sacrifices indispensables n’étaient bons que pour autrui. Dans le même temps, le sentiment d’un trop grand nombre d’abus non corrigés se développe fortement. Et le fondement même du pacte social s’en trouve attaqué, voire déstabilisé.

La force destructrice de l’égoïsme laissé à lui-même, sans mécanismes suffisants incitatifs à la coopération et au respect de l’intérêt général, nécessite d’urgence de remettre au coeur de la République et de son système social la notion de responsabilité au même niveau que celle des droits, surtout « acquis », alors que l’équilibre même du système est incompatible avec le statu quo. C’est en Scandinavie, au coeur de la social-démocratie, et notamment en Suède, que des réformes en ce sens ont été conduites afin de sauver l’Etat providence, en incitant par exemple les chômeurs à prendre le travail proposé sous peine de perdre rapidement leurs droits, à pourchasser les abus, etc. ; bref à ce que chacun se sente pleinement responsable face à la collectivité et que tous aient le sentiment que le système social est équitable.

Terminons par le souhait que les partis politiques de gouvernement, de droite comme de gauche, pour les uns, proposent et assument ouvertement et clairement les réformes justes et nécessaires, en en expliquant directement au pays _ et pas seulement à ses représentants _ l’urgence, la cohérence et l’équité. Et, pour les autres, souhaitons qu’ils ne crédibilisent pas l’illusion trompeuse autant que dangereuse que les réformes peuvent être indolores, et se faire sans aucun effort partagé, ou, pis, qu’ils ne contribuent pas à laisser croire une contrevérité : que le conservatisme et l’immobilisme sont en la matière des solutions viables et socialement justes.

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Une thérapie pour la croissance

Article publié dans le journal Les Echos en 2004

Une première action pourrait être conduite à l’échelle de la zone euro. Coordonner les politiques budgétaires de façon plus dynamique et plus pertinente que ne l’autorise le Pacte de stabilité conduirait à supprimer le biais restrictif en termes de croissance qu’impliquerait ce même pacte, s’il était appliqué. Et une coordination bien pensée serait également très supérieure à la juxtaposition de politiques indépendantes. Soulignons que le bien collectif qu’est l’euro implique, pour survivre, une discipline collective. Si cette dernière ne doit pas empêcher les politiques budgétaires de jouer leur rôle contra-cyclique, il est urgent de reconstruire un Pacte de stabilité et de croissance intelligent et pragmatique. Seul le déficit structurel, c’est-à-dire corrigé des effets dus aux variations de la conjoncture, et peut-être excluant certains types d’investissements publics porteurs de croissance durable, devrait être encadré.

En outre, la monnaie unique a impliqué une politique monétaire unique. Donc une politique indifférenciée vis-à-vis de la situation de chaque pays et une impossibilité d’ajustement de l’économie d’un pays par l’évolution du change de sa propre monnaie. C’est pourquoi il est également nécessaire que les pays de la zone euro s’entendent pour soutenir ceux qui connaissent un choc conjoncturel. Aux Etats-Unis, lorsqu’un Etat supporte une conjoncture déprimée, un transfert de ressources budgétaires d’origine fédérale s’opère afin de l’aider à revenir à meilleure fortune. De plus, grâce à une langue commune et à une pratique plus forte de la mobilité, les habitants touchés par la montée du chômage sont enclins à déménager vers des Etats mieux dotés. En Europe, le budget fédéral est quasi nul (moins de 2 % du PIB total) et la multiplicité des langues ne facilite pas la mobilité transnationale. L’ajustement ne peut alors se faire que par la baisse des prix et/ou la perte d’emplois.

Par ailleurs, il serait trompeur, voire démagogique, de laisser accroire qu’il n’existe pas de freins structurels à la croissance en France et en Europe. Les politiques permettant de les desserrer sont plus immédiatement à portée de main, puisqu’elles dépendent pour l’essentiel de la volonté des pouvoirs publics nationaux. Il s’agit de jouer sur l’ensemble des facteurs structurels permettant d’accroître le potentiel de croissance de chaque pays. L’augmentation de la population active et les gains de productivité sont les deux grands facteurs qui permettent à un pays de repousser les limites de la croissance. Comment jouer positivement sur eux ?

Le premier repose sur l’évolution démographique. La France, comme de nombreux pays d’Europe, est un pays vieillissant. La population disponible au travail croît de moins en moins rapidement et connaît déjà, ou connaîtra, une quasi-stagnation, puis un abaissement. Outre les problèmes importants induits sur l’équilibre des systèmes de retraite et de santé, cette diminution de la population disponible au travail conduit à un moindre potentiel de croissance.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées : mettre en place une politique d’immigration pertinente, comme le Canada. Mais aussi, et surtout, augmenter le taux d’activité de la population. A titre d’exemple, celui des 55-64 ans est de 38 % en France, alors qu’il est supérieur à 50 % dans les pays nordiques et à 60 % aux Etats-Unis ! Sur l’ensemble de la population en âge de travailler, le taux d’activité s’élève en France à 61,1 % en 2000, l’un des plus faibles des pays de l’OCDE. Il est de 66,3 % en Allemagne, 72,9 % aux Pays Bas, 74,1 % aux Etats-Unis, 74,2 % en Suède comme au Royaume-Uni… Cette orientation conduit à tenter de remettre le travail au coeur des valeurs et à le promouvoir comme puissant facteur d’intégration et de promotion sociale. Encourager à vouloir travailler et à être à même de trouver un emploi, tel est l’en jeu. Par la formation, une incitation suffisante à délaisser les allocations chômage ou le revenu minimum lorsqu’un emploi est possible, un soutien au travail des femmes, etc. Les pays nordiques, notamment la Suède, ont connu sur ces terrains des succès certains.

Deuxième facteur augmentant le potentiel de croissance d’un pays : les gains de productivité. Certes la productivité ne se décrète pas. Mais des politiques permettraient de réduire l’écart très important de gains de productivité qui s’est affirmé depuis plus de dix ans entre la zone euro et les Etats-Unis, en faveur de ces derniers. Citons quelques pistes : dépenser plus, mais surtout dépenser mieux en faveur de la recherche-développement et de l’enseignement supérieur.

En orientant les budgets en question vers plus d’efficacité et vers des domaines plus porteurs tels que les hautes technologies. Permettre une articulation nettement plus forte de la recherche entre privé et public. Ici aussi, au début des années 1990, les pays nordiques ont connu de beaux succès, à étudier. Mais encore ? La recherche d’une meilleure efficacité du marché des biens et des services : avancer de façon raisonnée vers moins de réglementations restreignant la concurrence dans l e domaine des télécoms ou de la grande distribution par exemple permettrait d’inciter fortement les entreprises de ces secteurs à développer des gains de productivité accrus.

Le secteur bancaire a connu une telle évolution en France dès 1985. Attention cependant, la déréglementation totale est souvent un leurre. A pratiquer donc avec prudence, sans idéologie anti ou pro-déréglementation, et en tirant les leçons des réussites et des échecs des expériences étrangères. Plus sûrement, la recherche d’économies dans les dépenses publiques et surtout d’une meilleure efficacité de celles-ci reste prioritaire, si l’on veut augmenter le niveau de productivité et de compétitivité en France.

La question n’est ni de droite ni de gauche. Elle est de bonne gestion. De même, augmentent le potentiel de croissance toutes les actions facilitant la création d’entreprises et permettant aux plus jeunes d’entre elles de passer le cap difficile des premières années. C’est bien évidemment ici les règles administratives qu’il convient de simplifier au mieux, l’accompagnement dans la gestion et dans la recherche de financement qu’il faut faciliter.

Augmenter notre richesse par personne et contribuer ainsi notamment à résoudre nos très sérieux problèmes d’équilibre de systèmes de retraite et de santé. Il s’agit bien, par la recherche d’une capacité de croissance plus forte, de préserver notre bien-être collectif et individuel menacé par une société vieillissante. Sous peine, sinon, de n’être plus à même dès demain d’offrir le niveau de vie et la protection sociale qui caractérisent l’Europe depuis de nombreuses décennies. La France a commencé à traiter ses problèmes structurels. Il reste encore beaucoup à faire.

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Les déficits publics : dogmes et réalités

Article publié dans Le journal Les Echos en 2002

Pour certaines théories, tout déficit public serait à bannir car il détournerait les ressources financières disponibles vers l’Etat, au détriment notamment des entreprises. C’est l’effet d’éviction. L’Etat induirait ce faisant une pression défavorable à la hausse des taux d’intérêt long terme, en ajoutant sa demande de financement à celle des autres acteurs. Cela, en retour, étoufferait l’activité du « privé »

Ajoutons encore que la dette publique ainsi accrue ne se rembourserait à la fin du jour que par le biais d’impôts supplémentaires ponctionnés sur les ménages ou leurs enfants. Cette ponction future, largement anticipée, ne permettrait alors, ô inconséquence des politiques discrétionnaires de relance, aucun effet réel immédiat sur la croissance. Donc, davantage de déficits, davantage de dettes, encore plus d’impôts futurs et pas de croissance induite ! La messe est dite. Il conviendrait en conséquence de converger rapidement vers un déficit zéro.

Pourtant les choses sont moins simples qu’elles n’en ont l’air. Les déficits publics ne provoquent pas systématiquement d’effets d’éviction. Mieux, il n’y a pas de corrélation établie sur le long terme, et dans la plupart des pays de l’OCDE, entre le niveau des déficits publics et les taux d’intérêt longs. Et cela s’explique aisément, car cet effet d’éviction n’est certain que lorsque l’économie est au plein emploi de ses ressources en hommes et en machines. Mais, bien souvent, lorsque les déficits s’aggravent, c’est qu’ils sont la conséquence d’un ralentissement conjoncturel qui conduit les impôts à baisser et les dépenses sociales (chômage, RMI…) à monter.

L’incertitude quant à l’avenir étant alors élevée, et le pessimisme aidant, les ménages et les entreprises, dans le même temps, consomment ou investissent moins et épargnent plus. Aussi le besoin de financement additionnel de l’Etat peut-il être compensé, et parfois plus que compensé, par l’augmentation spontanée de la capacité de financement du « privé », comme cela a été le cas en France en 1992-1993-1994, pendant la récession (le déficit public avait alors pourtant atteint environ 6 % du PIB !).

L’élévation du taux d’imposition n’est pas la seule issue pour rembourser la dette publique additionnelle. Cela n’est le cas que si le déficit public en cause se produit dans une économie de plein-emploi et qu’ainsi il ne contribue pas à une meilleure croissance. Si, en revanche, il participe à une relance, c’est l’augmentation induite des revenus, donc de la matière imposable, et non du taux d’imposition, qui permettra aux recettes publiques ainsi accrues de rembourser la dette. Les effets défavorables d’un déficit public nécessitent donc des conditions spécifiques, notamment de plein-emploi, pour se produire. Or, notre situation économique est malheureusement loin de justifier ces craintes. Il est, en revanche, inutile et surtout dangereux d’exiger une réduction du déficit lorsque l’on doit, comme aujourd’hui, faire face à un ralentissement économique prononcé.

Quand les entreprises ont moins confiance dans l’avenir et que les marchés et les banques sont brutalement beaucoup plus sélectifs, il est bon, en effet, que l’Etat ne réduise pas à ce moment-là ses dépenses et investissements. Il ne faut pas ajouter aux conséquences dépressives de l’affaiblissement profond des investissements des firmes et de l’élévation des taux d’épargne des ménages. Il est donc sain de laisser jouer ce que la théorie économique appelle les stabilisateurs automatiques, c’est-à-dire l’abaissement des recettes et l’augmentation des dépenses publiques induits par le retournement de la conjoncture, et de permettre ainsi de limiter l’ampleur du ralentissement.
Il convient cependant de noter que, pour que l’arme budgétaire puisse servir dans de telles circonstances, il est nécessaire de la recharger lorsque tout va bien. Ce que n’a pas fait le gouvernement précédent. Les stabilisateurs automatiques marchent en effet aussi dans l’autre sens. En période de fortes eaux conjoncturelles, le déficit doit s’annuler, voire devenir un excédent, par le jeu des meilleures entrées d’impôt et des dépenses sociales contenues. C’est ce qu’ont réussi à faire les Etats-Unis, qui ont ainsi fait monter leur excédent à 2 % du PIB avant de connaître aujourd’hui un déficit de 2 %. Ce qui permet actuellement à l’économie américaine de ne pas s’effondrer.

Est-il souhaitable, en revanche, comme le demande la Commission de réduire le déficit structurel (le déficit recalculé hors effet conjoncturel) ? Une telle réduction serait compatible avec le jeu des stabilisateurs automatiques. Il est parfaitement raisonnable d’attendre que le « public » ne dépense pas davantage qu’il ne reçoit, en rythme de croissance « normal ». Cela s’appelle de la bonne gestion. Et la rigueur gestionnaire, à la recherche de l’efficacité maximale, doit s’appliquer aussi aux dépenses publiques. Reconnaissons toutefois que les réformes en profondeur qui sont nécessaires à une réduction du déficit structurel sont plus aisées à conduire en période de croissance que de vaches maigres. Ici encore, on n’a pas mis à profit les années 1997 à 2000. Notons, en outre, qu’en cas de dépression prononcée, un déficit public structurel peut être tout à fait justifiable et même souhaitable pour soutenir l’économie et tenter d’éviter une crise profonde et durable.

Enfin, la BCE ne doit pas rester obsédée par la seule défense d’un taux d’inflation à 2 %, alors que le mode actuel de régulation des économies (globalisation, concurrence accrue, financiarisation) n’est intrinsèquement pas inflationniste. En tant qu’institution, elle doit attester de sa légitimité en poursuivant, aux côtés d’une nécessaire stratégie d’ancrage nominal, un objectif de croissance. Elle doit davantage se mettre au service de la lutte contre le fort ralentissement que nous connaissons, au-delà de ses timides actions antérieures. Une BCE réorientée et des politiques budgétaires européennes coordonnées et menées sans dogme _ ni fétichisme de la dépense, ni sacralisation du déficit zéro _, voilà la véritable urgence.