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Europe : comment financer son avenir pour s’imposer comme puissance dans ce nouveau monde ?

Comment financer son avenir pour continuer d’exister ? Cette question hante désormais les décideurs et économistes européens. Les besoins d’investissement sont colossaux si l’Europe veut rivaliser avec les États-Unis et la Chine. Lors de l’émission Les décideurs engagés dans la banque et l’assurance (IFPASS / L’Hémicycle), Olivier Klein, professeur à HEC et DG de Lazard Frères Banque, a livré sa vision.

L’Union européenne, longtemps focalisée sur la régulation et la norme, se réveille avec un tissu industriel affaibli et une dépendance stratégique croissante. Selon le rapport Draghi, il manquerait environ 800 milliards d’euros d’investissements. « Ce chiffre est largement sous-estimé », alerte Olivier Klein, rappelant que l’Allemagne à elle seule a déjà débloqué une somme équivalente.

Trois grands défis s’imposent. D’abord, le climat. La transition énergétique exige des investissements massifs pour bâtir des filières locales, décarbonées, compétitives, incluant un retour en grâce du nucléaire. Ensuite, la technologie : en intelligence artificielle, semi-conducteurs ou cloud, l’Europe est à la traîne. « Mieux vaut se positionner en amont, sur l’informatique quantique par exemple », propose Klein. Enfin, la défense : la montée des tensions géopolitiques relance le besoin de réarmement et de souveraineté industrielle.

L’erreur stratégique ? Avoir cru qu’un leadership normatif suffisait à peser dans le monde. L’exemple de l’automobile est frappant : en interdisant trop vite les moteurs thermiques, l’Europe a favorisé les véhicules électriques… dont la Chine domine la production de batteries.

« L’Europe est un continent vieillissant, où la culture de la précaution a supplanté celle du risque », constate Olivier Klein. Résultat : des gains de productivité deux fois moindres que ceux des États-Unis depuis vingt ans. À cela s’ajoute une fragmentation réglementaire : malgré le marché unique, des barrières non tarifaires subsistent, équivalant à 45 % de droits de douane internes, selon le rapport Drahi.

Peut-on tout résoudre avec un marché financier unifié ? Pas uniquement. Avant même la crise de la zone euro, les capitaux circulaient efficacement entre pays. Aujourd’hui, l’épargne excédentaire de l’UE (plus de 400 milliards d’euros en 2024) fuit vers les États-Unis, plus dynamiques et rentables.

Comment la retenir ? En réformant la réglementation, en simplifiant l’administration, en valorisant la réussite économique. Il faut aussi transformer une épargne longue et prudente en capital productif. Cela passe par une réforme des retraites – en liant l’âge au progrès de l’espérance de vie – et la création de fonds de pension. Des ajustements techniques comme la réforme de la fiscalité de l’assurance-vie, l’élargissement du PEA ou des incitations à l’épargne longue sont également nécessaires.

Dans un monde où la régulation s’effondre au profit des rapports de force, l’Europe ne peut plus rester passive. Si elle ne renforce pas rapidement sa puissance économique, technologique et militaire, elle restera coincée entre les États-Unis et la Chine. Et continuera à s’effacer sur la scène mondiale. « Lorsque j’étais à la tête de la BRED et que je visitais nos filiales dans les pays émergents, on me demandait souvent : où est l’Europe ? », conclut Olivier Klein. Il est temps de répondre.

Sybil Rizk 

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Conjoncture Crise économique et financière

Quelques vérités pour sortir de l’impasse française

L’opinion , le 16 juin

L’économique et le social ne peuvent être dissociés. Leurs interactions peuvent engendrer des effets positifs comme désastreux, parfois à rebours des intentions initiales. La France en offre une illustration frappante. Malgré un niveau de prélèvements obligatoires et de redistribution parmi les plus élevés de l’OCDE, la tentation persiste de les faire croître encore.
Pourtant, une telle trajectoire compromettrait l’emploi, la compétitivité, l’entrepreneuriat et l’incitation au travail. Or, c’est précisément l’emploi, allié à la croissance, qui constitue le levier le plus efficace contre la pauvreté, pour la mobilité sociale, pour la soutenabilité de notre niveau de vie comme de notre protection sociale. Le social ne peut ainsi être protégé ou s’améliorer durablement sans le développement d’une économie solide.

L’accroissement perpétuel du taux d’endettement ne peut que provoquer tôt ou tard une crise économique, sociale et financière majeure. Attention à la dynamique incontrôlée, donc très dangereuse, dans laquelle nous sommes aujourd’hui. De 1997 à 2024, le taux d’endettement de la France a cru de 50 points de PIB alors que celui de la zone euro ne progressait que de 15 points.

Il en va de même pour la relation entre l’offre et la demande. Si la croissance de la demande est nécessaire à une économie robuste, elle ne peut être durablement soutenue si l’offre nationale ne progresse pas en parallèle. La France affiche déjà un déficit commercial persistant, symptôme d’une compétitivité insuffisante. Augmenter la demande sans redresser l’offre aggraverait cette fragilité, creusant la dépendance financière vis-à-vis de l’étranger.

Ce n’est pas en augmentant encore les prélèvements que l’on sortira du piège français. Au contraire, il s’agit de relancer la dynamique productive
L’erreur serait de croire qu’un activisme budgétaire, financé par toujours plus d’impôts ou de dettes, permettrait de créer une prospérité durable. Tout au contraire. Le taux de croissance sur long terme au sein de l’OCDE est corrélé légèrement négativement avec le taux moyen de dépenses publiques sur PIB. Cela ne remet en aucun cas en cause l’intérêt réel d’une politique budgétaire contracyclique, mais interdit de penser, comme trop souvent en France, que tout problème doit et peut être résolu en permanence par davantage de dépenses publiques. Au-delà d’un certain seuil déjà dépassé chez nous, tout au contraire.

Il faut donc inverser la logique. Ce n’est pas en augmentant encore les prélèvements que l’on sortira du piège français. Au contraire, il s’agit de relancer la dynamique productive : investir dans l’innovation technologique et écologique, rendre le travail plus attractif, lever les obstacles à la mobilité sociale, encourager les entreprises à croître par moins de taxation et de sur-réglementations, améliorer l’efficacité de notre enseignement, augmenter le taux d’emploi tant pour les jeunes que pour les 60-65 ans, etc.

C’est cette stratégie, couplée à une baisse du taux des dépenses publiques et à une amélioration de leur efficacité, qui permettra d’augmenter notre potentiel de croissance et d’élargir la base imposable, donc les recettes publiques, sans avoir à relever les taux de prélèvements obligatoires. Tout autre choix ne ferait qu’accentuer le cercle vicieux : plus de charges sur une base économique fragilisée, donc moins de création de richesse, donc une nouvelle augmentation du taux de prélèvements pour tenter de compenser une base fiscale affaiblie, et ce dans une spirale sans fin. Abîmant ainsi tout à la fois l’économie et le social. Affaiblir l’économie, c’est fragiliser à brève échéance encore davantage le modèle social lui-même.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.

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Crise économique et financière Economie Générale

L’évolution géo-politique et géo-économique du monde, décrochage européen et finances publiques françaises en danger.

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Conjoncture Crise économique et financière

Trump : fausses solutions pour un vrai problème ?

Premiere version de ce texte publiée par Les Échos le 7 avril. Version modifiée et complétée le 10 avril

Bien que Trump apparaisse à beaucoup comme désordonné, incohérent et contradictoire, ses préoccupations ne sont pas dépourvues d’un certain réalisme et d’une certaine cohérence.

Cependant, il semble n’avoir qu’une seule arme pour atteindre ses objectifs, utilisée de manière brutale et grossière : les tarifs douaniers. Sans doute accompagnés d’un affaiblissement du dollar. Mais l’utilisation de ces armes est contradictoire et dangereuse.

Les difficultés de l’économie américaine ne proviennent pas de son taux de croissance ou de ses gains de productivité, qui ont été significativement plus élevés que ceux de la zone euro, notamment au cours des quinze dernières années. En revanche, entre 2000 et 2024, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 23 % à 17 %, avec des effets négatifs pour les travailleurs américains et la classe moyenne.
De plus, les déficits jumeaux, public et courant, ont conduit, au cours des vingt-cinq dernières années, les États-Unis à voir leur dette publique passer de 54 % à 122 % du PIB et leur dette extérieure nette multipliée par quatre (approximativement de 20 % à 80 % du PIB).

Dilemme monétaire

Cette explosion des dettes posera tôt ou tard un problème quant au statut du dollar en tant que monnaie internationale. Les États-Unis ont en effet un besoin structurel de financer leurs dettes, donc d’attirer des capitaux du reste du monde.
Le fait de posséder la monnaie internationale (environ 90 % des transactions de change, 45 % des paiements internationaux et 60 % des réserves officielles des banques centrales) facilite grandement ce financement. Les pays en excédent courant réinvestissent en temps normal presque systématiquement cette liquidité en dollars sur le marché financier américain. D’autant plus que les rendements boursiers américains sur-performent et que leur marché des capitaux est le plus profond.
Ce statut impose aussi aux États-Unis d’accumuler un déficit courant pour fournir au reste du monde la quantité de monnaie internationale nécessaire.

Mais comme en toute chose, l’équilibre est essentiel et difficile à maintenir. Les États-Unis régulent leurs déficits selon leurs propres besoins plutôt que ceux du reste du monde. Cela confère au système monétaire international un caractère intrinsèquement instable.
Dès les années 1960, Robert Triffin affirmait que si les États-Unis ne maintenaient pas un déficit courant suffisant, le système périrait par asphyxie. Et si ce déficit devenait trop important, il mourrait par manque de confiance.

Face à la dynamique dangereuse des dernières décennies, Trump doit protéger la confiance dans le dollar pour perpétuer son financement par le reste du monde sans douleur excessive (c’est-à-dire à des taux non prohibitifs). En même temps, il doit réduire l’excès d’importations par rapport aux exportations pour rendre cette trajectoire soutenable. Cela implique une réindustrialisation cohérente pour réduire cet écart tout en satisfaisant ses électeurs.

Une confiance fragile dans le dollar

Trump semble toutefois n’avoir qu’une seule arme : les tarifs douaniers accompagnés d’un affaiblissement apparent du dollar. À première vue, ces deux mesures pourraient réduire les importations américaines, stimuler la production nationale et augmenter les exportations. Mais cette stratégie entre en conflit avec la nécessité d’un dollar stable pour maintenir la confiance mondiale.
De plus, l’utilisation du dollar comme arme par les administrations précédentes pour imposer des sanctions financières a déjà sérieusement endommagé la confiance mondiale dans cette devise. Les pays du Sud global contestent simultanément ce double standard américain.

Et les annonces soudaines de hausses massives de tarifs ne renforcent pas la confiance dans le système économique américain. Sans parler de leur potentiel régressif et dangereux pour l’économie mondiale.

Des solutions structurelles nécessaires

L’idée selon laquelle le déséquilibre entre importations et exportations américaines est dû à des conditions défavorables imposées par des pays excédentaires est fausse. Le déficit courant américain résulte principalement d’un manque de compétitivité domestique et d’une forte insuffisance d’épargne par rapport aux investissements, soit d’une demande trop longuement et trop significativement supérieure à l’offre domestique. Autrement dit , les Américains vivent exagérément au-dessus de leurs moyens.
Des mesures structurelles visant à renforcer la compétitivité industrielle américaine et à réduire le déficit public sont essentielles. L’utilisation agressive des tarifs ou la manipulation du dollar reflète une approche économique simpliste et risquée.

Protéger la stabilité financière

Trump a raison sur ses « obsessions », mais se trompe sur sa réponse. Et menacer les pays envisageant des systèmes alternatifs au dollar pourrait précipiter la perte de confiance mondiale dans cette devise.
Il pourrait aussi avoir envie d’encourager les stablecoins adossés au dollar pour « dollariser » la planète. Mais cela nuirait à la souveraineté monétaire d’autres régions qui pourraient réglementer leurs paiements pour protéger leur stabilité financière.

Les défis économiques américains exigent des solutions diversifiées et structurelles bien au-delà des tarifs douaniers élevés qui risquent une récession mondiale combinée à un crash financier majeur.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.

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Trump : cohérence des préoccupations, incohérence de l’action ?

Trump a quelques idées économiques centrales qui semblent guider son verbe et son action. Et s’il apparaît à beaucoup comme désordonné, incohérent, contradictoire, ses idées sont dénuées ni de réalité ni d’une certaine cohérence.

Les difficultés de l’économie américaine ne reposent pas sur son taux de croissance ou ses gains de productivité, lesquels ont été significativement supérieurs à ceux de la zone euro notamment depuis quinze ans. En revanche, entre 2000 et 2024, le poids de l’industrie dans le PIB est passé de 23 à 17 % avec les effets défavorables induits pour les ouvriers et cadres moyens américains.

En outre, les déficits jumeaux , publics et courants, ont conduit, sur les vingt-cinq dernières années, les Etats-Unis à voir leur dette publique s’envoler de 54 % à 122 % du PIB et leur dette extérieure nette être multipliée par un facteur 4 (environ de 20 % à 80 % du PIB).

Dilemme monétaire

Cette explosion des deux dettes posera tôt ou tard un problème quant au caractère de monnaie internationale attribué au dollar. Or les Etats-Unis ont un besoin structurel de financement de leurs dettes, donc un besoin d’attirer les capitaux du reste du monde.

Et le fait de détenir la monnaie internationale (environ 90 % des opérations de change, 45 % des paiements des transactions internationales, 60 % des réserves officielles des banques centrales) facilite grandement ce financement, puisque les pays connaissant un excédent de balance courante, le plus souvent en dollars , replacent quasi-systématiquement ces liquidités sur le marché financier américain. D’autant que les Etats-Unis ont un rendement des actions et en général une rentabilité du capital surperformants, et le marché des capitaux de loin le plus profond.

Ce statut de monnaie internationale impose d’ailleurs au pays ayant cet avantage considérable d’accumuler un déficit courant à travers les années, afin que le reste du monde puisse détenir la quantité de monnaie internationale qui leur est nécessaire.

Mais, comme en toute chose, l’équilibre est essentiel, et en la matière, il est difficile à préserver. Les Etats-Unis ne règlent pas en effet les volumes de leurs déficits et dettes en fonction des besoins du reste du monde, mais en fonction de leurs besoins propres. Ce qui confère d’ailleurs un caractère intrinsèquement instable au système monétaire international, la monnaie mondiale n’étant que la dette de l’un des acteurs du système qui s’impose aux autres, et non celle d’une institution ad hoc, hors du jeu des acteurs eux-mêmes.

Robert Triffin, dès les années 1960, énonçait que si les Etats-Unis ne connaissaient pas suffisamment de déficit courant, le système périrait par asphyxie. Et si ce déficit (donc la dette extérieure) devenait trop important, le système mourrait par manque de confiance.

Face à la dynamique dangereuse de la dette extérieure notamment, Trump doit donc aujourd’hui protéger la confiance dans le dollar pour perpétuer son financement par le reste du monde sans (trop de) douleur, c’est-à-dire à des taux non prohibitifs, et, dans le même temps, tenter de réduire l’excès d’importations par rapport aux exportations pour que la trajectoire de cette dette puisse être soutenable. Avec un objectif cohérent de réindustrialisation, permettant ainsi de diminuer cet écart, par la limitation des importations de produits industriels, tout en satisfaisant ses électeurs.

Une confiance fragile dans le dollar

Or, Trump semble n’avoir qu’une arme dans sa panoplie pour y parvenir : les droits de douane. Avec le souhait, semble-t-il, de faire baisser le dollar. En première analyse, effectivement, une hausse des droits de douane comme une baisse du dollar peuvent conduire simultanément à une baisse des importations américaines, à une hausse de la production intérieure, ainsi qu’à une nécessité pour les non-Américains de développer leur industrie sur le sol américain lui-même pour continuer à y être présent commercialement.

Cependant, cette stratégie, si elle a l’apparence de la cohérence, se cogne à la nécessité contradictoire d’un dollar stable, si l’on souhaite conserver la confiance du reste du monde qui achète la dette américaine.

De plus, la « weaponization » (utilisation comme arme) du dollar par les administrations précédentes, pour asseoir les sanctions financières imposées par les Etats-Unis, a déjà sérieusement écorné la confiance et l’envie du reste du monde de détenir sans limite des dollars. Celles des pays du « Sud Global » notamment, qui contestent parallèlement le « deux poids deux mesures » américain.

En outre, les annonces brutales et apparemment erratiques sur les droits de douane ne facilitent pas non plus la confiance dans le système économico-financier américain. Sans même compter leur potentiel très dangereusement régressif pour l’économie mondiale.

Protéger la stabilité financière

Trump a donc raison quant à ses « obsessions », mais sans nul doute tort dans le caractère fruste et violent de sa réponse. Aussi brandit-il également des menaces vis-à-vis des pays qui envisageraient de construire des systèmes de paiement alternatifs au dollar, et peut-être bientôt vis-à-vis de ceux qui adresseraient moins leurs excédents d’épargne vers les marchés financiers américains.

Et peut-être rêve-t-il également de transformer leurs créances sur les Etats-Unis en créances à très long terme et à taux bas (cf. Stephen Miran, président du Conseil des conseillers économiques de Trump). Ce qui précipiterait bien entendu la perte de confiance dans le dollar par le reste du monde.

Il n’est pas impossible également, avec le même objectif, qu’il pense à faciliter le développement des stablecoins, ces cryptomonnaies adossées en l’occurrence au dollar, en espérant qu’elles se diffusent dans le monde entier, dollarisant ainsi de facto la planète. Au détriment de la souveraineté monétaire des autres zones du monde. Gageons alors que, dans les pays du monde entier, les autorités l’empêcheraient par une réglementation sur les paiements au sein de leurs frontières, protégeant ainsi leur souveraineté et la stabilité monétaire et financière globale.

Les enjeux économiques et financiers américains sont de poids. Mais les solutions pour y faire face sont très certainement plus multiples et plus structurelles (notamment afin de retrouver une meilleure compétitivité) que la seule agitation des droits de douane.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.

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Conjoncture Crise économique et financière

L’urgence du sursaut européen

Les Échos , le 18 février 2025 

Nous sommes à un véritable tournant de l’histoire de l’Europe. Dans ce changement de monde, qui part du multilatéralisme pour arriver aujourd’hui au retour pur et simple des rapports de force entre puissances, de deux choses l’une : soit le Vieux Continent se ressaisit économiquement, politiquement, diplomatiquement et militairement, soit il poursuit son déclin à moitié endormi et sort progressivement de l’Histoire. Mais se ressaisir ne sera pas facile. Si l’Europe a aujourd’hui les mains pures, elle tend à n’avoir pas de mains du tout.

Faisons cesser dans notre continent vieillissant notre incapacité à l’audace et à l’innovation, due à la volonté de toujours réglementer et normer avant que d’inventer, créer et développer. Obliger, en outre, le reste du monde par nos normes est naïf ; nous n’avons ni la puissance économique, ni la puissance diplomatique, pour les imposer.

Cessons de nous penser comme le camp du bien, en développant à tout propos pour nous-même des réglementations pointilleuses où la lettre finit par l’emporter sur l’esprit. Elles finissent par handicaper nos entreprises, avec une bureaucratie sans fin. Non pas que les buts n’en soient pas louables, mais les codifications paperassières innombrables abîment inutilement notre compétitivité.

Double naïveté écologique et énergétique

Sortons de notre naïveté à vouloir être toujours davantage les premiers de la classe mondiale quant au climat, lorsque cela se fait au détriment de nos industries et en faveur de facto du populisme qui affiche un fort climatoscepticisme. Cherchons plutôt à combiner au mieux santé de la planète et croissance, en investissant massivement dans les industries du futur – où nous sommes peu présents -, y compris dans les industries de la transition climatique – où nous sommes si faibles.

Sortons aussi de notre naïveté quant à l’énergie, où nous connaissions l’asservissement hier à la Russie, et demain aux Etats-Unis. C’est une condition première à notre compétitivité mondiale. Alors qu’aujourd’hui nous payons en moyenne le prix du gaz naturel environ quatre fois plus cher que les Américains.

« Il faut aussi une capacité européenne à faciliter le développement de nos entreprises récemment nées pour en faire des géants mondiaux. »

Pensons que le marché financier unique serait hautement souhaitable, mais qu’il ne produirait pas à lui seul l’effet attendu. L’excédent d’épargne européenne ira spontanément financer davantage d’investissements en Europe seulement si nous établissons un cadre explicite de solidarité financière au sein de la zone euro. Pour cela, il faut que les finances publiques de la France, entre autres pays, soient enfin crédibles. « Risk sharing » contre « market discipline », n’est-ce pas ? Il faut aussi une capacité européenne à faciliter le développement de nos entreprises récemment nées pour en faire des géants mondiaux. Et ainsi procurer des rendements attractifs. Les multiples barrières non-financières pour ce faire sont handicapantes.

Un juste équilibre à retrouver

L’Europe ne sait plus combiner avec justesse le principe de l’éthique et celui d’efficacité. L’éthique seule, érigée en finalité absolue, au détriment de l’efficacité, n’est qu’une illusion que l’on se donne, de courte durée. L’inverse est aussi vrai. Mais aujourd’hui l’éthique formelle multiforme, quasi-dogmatique, a idéologiquement trop pris le pas sur son indispensable double et l’entrave abusivement. C’est le juste équilibre entre réglementation et libre jeu du marché que nous devons viser. Celui qui permet la dynamique de l’économie tout en recherchant la protection nécessaire contre ses dérives potentielles.

L’Europe a été, et peut redevenir, ce lieu sur Terre qui combine le mieux ces deux principes. Ce qui a fait la force de notre modèle d’économie sociale de marché. C’est aux forces démocratiques pro-européennes de retrouver avec vigueur la vitalité et l’équilibre nécessaires. Avant que d’autres nous imposent un changement brutal de paradigme. C’est uniquement grâce à cette vitalité renouvelée que l’Europe pourra continuer à tracer sa voie et maîtriser son destin. Il y a urgence.

Olivier Klein est président de la Ligue européenne de coopération économique (section française) et professeur d’économie à HEC.