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La question des inégalités : inégalités des revenus – inégalités des chances

Le thème des inégalités recouvre par nature plusieurs aspects. Si l’on se situe au plan mondial, les inégalités entre les pays pauvres et les pays riches se sont considérablement réduites depuis les années 80. D’après la Banque mondiale, en 1981, 40 % de la population mondiale vivaient en dessous du seuil de l’extrême pauvreté, contre seulement 11 % aujourd’hui. Le taux de croissance des pays émergents a donc considérablement réduit les inégalités entre les niveaux de vie moyens des différents pays. Et si l’on se concentre simplement sur la Chine et l’Inde, qui ont connu et continuent à connaître les plus forts développements économiques depuis les années 80, on dénombre 2 milliards de personnes qui sont passées au-dessus du seuil de pauvreté. Cela constitue un formidable progrès et c’est l’un des bienfaits évients de la mondialisation.

Cela est vrai pour les revenus mais aussi pour la santé. Mes données sont moins récentes et cela s’est encore amélioré depuis lors. En 1940, l’espérance de vie dans les pays en développement était de 44,5 ans. Dans les années quatre-vingt, elle atteint 64,3 ans. Elle a donc augmenté de 20 ans pendant ces 40 années. Dans le même temps, dans les pays développés, on vit 9 ans de plus. On voit donc, là aussi, se réduire les inégalités dans le domaine de la santé et de l’espérance de vie.

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En revanche, au sein de chaque pays, développé ou émergent, les inégalités ont en moyenne augmenté avec la mondialisation et la croissance. Car, si le processus de croissance permet au plus grand nombre d’accroître son niveau de vie, certains au sein de chaque pays progressent plus vite que d’autres, et dans certains pays, on accède à une plus grande part du revenu national qu’avant lorsqu’on est au sommet de la pyramide. Donc, le niveau de vie a bien augmenté pour tout le monde ou presque. Mais, les inégalités ont pu croître quand même, tout simplement parce que certains ont vu leur situation s’améliorer plus rapidement que d’autres. Ainsi va le bonheur, mesuré par les économistes de façon instructive. Toutes les études montrent que le bonheur est relatif. On est heureux quand, d’une part, on va mieux et, d’autre part, que sa situation s’améliore plus vite que celle des autres. Autrement dit par comparaison. En relatif. Ainsi l’accroissement des inégalités, même si tout le monde voit son niveau de vie augmenter, devient-il vite un sujet social et politique.
On assiste donc à un phénomène à bien clarifier : une inégalité très largement réduite entre les pays et des inégalités croissantes au sein des pays, même si le niveau de richesse et de bien-être a globalement monté.


On peut donc aborder et analyser la question des inégalités de différentes manières.

Les inégalités de revenu peuvent être mesurées en considérant la part prise par le top 1 % de la population dans les revenus du pays. On peut aussi mesurer beaucoup plus finement, et sans doute de façon plus pertinente, les inégalités avec l’indice de Gini. Gini est un économiste –statisticien qui a inventé la méthode qui consiste à étudier la répartition des inégalités sur l’ensemble de la population. On relève en fait les écarts entre tout le monde pris deux à deux et l’on fait une moyenne des écarts de chacun à chacun. Si la moyenne des écarts est égale à zéro, cela signifie que tout le monde a exactement le même revenu, si cette même moyenne est de 1, cela traduit l’inégalité la plus totale. Ces indices sont mesurés sur tous les pays de l’OCDE.

Enfin, une troisième manière de faire ne s’intéresse pas à l’inégalité des revenus mais à l’inégalité des chances. On parle là, bien sûr, de la mobilité sociale, des « trappes à la pauvreté » dans lesquelles des générations peuvent s’enfoncer. L’égalité des chances est évidemment cruciale, parce qu’elle participe du pacte républicain, du pacte social, de la capacité à vivre ensemble, et évidemment, qu’elle est fondamentale pour la santé d’une société, pour sa cohésion. Quand il y a une faible inégalité des chances, cela permet de mobiliser plus de personnes. Cela signifie que quel que soit le milieu dans lequel on est né, si l’on a du talent, si l’égalité des chances existe, on arrivera à progresser. Ainsi, non seulement la conviction que chacun a les mêmes chances est-il un facteur de cohésion sociale important, mais, en plus, cela permet de favoriser la croissance, parce que cela mobilise tous les talents où qu’ils soient. Donc la question de l’inégalité des chances est cruciale. Il s’agit, on le comprend bien, de savoir si ce sont toujours les mêmes et leurs enfants qui ont toutes leurs chances de réussite ou bien si les parcours peuvent être fluides sans détermination trop forte pour le milieu social d’origine. Et l’on va voir qu’en France, il y a une adhérence forte en haut, comme en bas.

Les constats :

Je vais d’abord présenter quelques chiffres, puis quelques éléments d’analyse.

En France, si l’on se compare aux pays voisins, l’inégalité de revenu après répartition est plutôt faible, tandis que l’inégalité de revenu avant répartition est plutôt forte. L’inégalité des chances, quant à elle, est plutôt forte.

Et c’est autour de ces constats que l’on va essayer de raisonner pour trouver éventuellement des conclusions en termes de politique économique et de réformes indispensables.

Prenons d’abord la mesure de l’inégalité des revenus avant répartition et après répartition.
Avant répartition, il est évident, par exemple, que l’inégalité est plus grande si les salaires vont de 1 à 1 000, plutôt que de 1 à 100. Mais il faut aussi considérer les personnes qui ne travaillent pas et qui ont de ce fait de très maigres revenus. Plus il y a de gens exclus de l’emploi, plus l’inégalité des revenus avant redistribution est forte.
Et plus le système de redistribution, que ce soit par les impôts, les revenus de soutien, etc.-, est puissant, plus on réduit l’inégalité des revenus après distribution.

Avant répartition, l’indice GINI, qui était à 0,477 aux États-Unis en 1996, est passé à 0,507 en 2016. Au Royaume-Uni, il a peu augmenté, contrairement à ce que l’on pourrait penser. En zone euro, il est passé de 0,473 à 0,504 ; au Japon de 0,409 à 0,488. Donc, que constate-t-on ? Les inégalités ont effectivement monté un peu partout. Et aux États-Unis, cela n’a pas monté beaucoup plus qu’ailleurs, avant répartition. Le niveau d’inégalité n’y est pas tellement plus élevé, en outre, que dans la zone euro alors qu’au Japon, il est plus bas.

Après répartition, les Etats-Unis passent en 2016 de 0,507 à 0,391. On voit donc l’effet de la répartition, qui, évidemment, réduit l’inégalité de revenu. Au Royaume-Uni, on note une forte baisse aussi. La zone euro, après répartition, s’avère un système beaucoup plus égalitaire que les États-Unis puisqu’il y est bien plus bas après répartition. L’Europe a donc un système qui réduit davantage les inégalités. Et le Japon se situe entre les deux.

Analysons la France. Avant redistribution, l’indice Gini est passé de 0,490 en 1998 à 0,516 en 2015. Donc une assez faible évolution à la hausse des inégalités. Ces inégalités sont-elles fortes ou faibles par rapport aux autres pays? En 2015, la France est un peu plus inégalitaire avant redistribution que les États-Unis. Est-ce parce que l’éventail des salaires est plus fort ? Non, bien entendu. C’est parce qu’il y a beaucoup plus de personnes sans emploi. Ce qui est un problème essentiellement français. Les autres pays ayant très souvent un taux d’emploi de 10 points supérieurs (75 %, contre 65 % en France). L’Allemagne est presque au niveau des États-Unis. Et l’on sait bien que le niveau de chômeurs y est très élevé. L’Espagne connaît un niveau d’inégalité avant redistribution plus fort encore que la France. La Suède, même avant répartition est, sans surprise, un pays plus égalitaire. On constate donc que la France se place avant répartition, à des niveaux élevés d’inégalité.

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Mais après redistribution, quel est le constat ?

La France en 2015 est à 0,295, parmi les indices les plus bas de tous les pays pris en compte. On passe donc d’un indice parmi les plus élevés en termes d’inégalité avant redistribution à un indice parmi les plus bas après redistribution. Ainsi donc en France, la redistribution est-elle très forte. Aux États-Unis, le niveau des inégalités après redistribution est beaucoup plus élevé qu’en France. Mais en Espagne, en Italie, en Allemagne, le niveau d’inégalité des revenus après redistribution est à peu près identique à celui la France. Et l’on se retrouve à des niveaux, toujours après redistribution, assez comparables à ceux de la Suède.

La France connaît ainsi une politique de redistribution, ramenée au PIB, parmi les plus élevées de tous les pays de l’OCDE. L’avantage en est de réduire les inégalités, mais cela a aussi des inconvénients. Cela implique, en effet, des impôts beaucoup plus lourds, des prélèvements obligatoires beaucoup plus importants, ce qui n’est pas sans conséquences. On peut ainsi corréler aisément l’indice Gini après redistribution et le poids des prestations sociales sur le PIB. Et c’est ainsi, grâce à l’une des plus fortes redistributions des pays de l’OCDE, que la France connaît l’une des plus faibles inégalités des revenus, seuls le Danemark, la Finlande et la Suède connaissant un niveau encore inférieur.

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Considérons maintenant la proportion du revenu national reçu par 1 % des individus touchant le plus de revenu national. En France, ils touchaient 9 % des revenus nationaux en 1995. En 2015, ils en touchent 10,5 %. Si l’on compare avec la Suède, ce pays connaissait en 1995 le pourcentage le plus bas de 6 % du revenu national, contre 9 % en France, et, en 2015, 8 % contre 10,5 % en France. Ce n’est pas extrêmement éloigné. Regardons les États-Unis, en 1995, les 1 % les plus riches obtenaient 15 % du revenu national. Et en 2015, ce pourcentage atteint un peu plus de 20 %. C’est évidemment frappant. 2 fois plus qu’en France. Et l’augmentation de la part reçue par le 1 % les plus riches a été beaucoup plus brutale. En Allemagne, la progression a été un peu plus vive que chez nous, 9 % aussi en 1995 mais 13 % en 2015. On est cependant très loin des États-Unis. Au total donc, les 1 % les plus riches ont donc obtenu une portion croissante du revenu national. Mais le phénomène est bien plus visible aux Etats-Unis qu’en Europe.

Une autre façon d’analyser les inégalités est de regarder le pourcentage d’individus qui se situent au seuil de pauvreté.

La façon habituelle et internationale de le calculer peut être remise en question, mais, au moins, c’est un indicateur utilisé partout. On se place en pourcentage du revenu médian des Français ou des Américains, par exemple. A moins de 50 %, ou bien 60 % comme dans nos chiffres de ce revenu medium, on est considéré comme pauvre. C’est une notion relative de la pauvreté.

En France, peu de gens se situent en-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire en-dessous de 60 % du revenu médian français. Alors qu’en Espagne, le pourcentage est plus élevé, de même qu’en Italie. Aux Etats-Unis, il est également plus fort. Et le pourcentage de la population française en-dessous du seuil de pauvreté a même baissé entre 1998 et 2016. Il a, sur la même période, augmenté en Allemagne.
Donc, là encore, on ne peut pas dire que la pauvreté soit forte ni qu’elle se soit accrue en France. Ce que l’on entend parfois dans les médias est tout simplement statistiquement faux.

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En revanche, en France, l’inégalité des chances, elle, est plutôt forte, comparée aux pays similaires.

Selon les sondages d’opinion réalisés par l’OCDE, 44 % des Français interrogés considèrent que l’éducation transmise par les parents est importante pour progresser dans la vie. Au sein de l’OCDE, qui comprend aussi bien le Chili que le Mexique que tous les pays européens, les États-Unis, etc., l’opinion moyenne est à 37 %. Ce qui reflète en France un sentiment d’inégalité des chances assez élevé. Et malheureusement, l’opinion a raison. En France, le statut socio-économique se transmet plus fortement qu’ailleurs d’une génération à l’autre. Le niveau de revenu relatif se transmet plus fortement d’une génération à l’autre que dans les autres pays. Enfin, le niveau d’éducation, de diplôme, se transmet plus fortement de parents à enfants que dans les autres pays. En fonction de ces 3 critères, l’inégalité des chances s’avère plus forte en France qu’ailleurs.

Evidemment, l’inégalité des chances existe partout puisque le milieu socio-culturel compte beaucoup dans la vie et le développement des enfants. Mais la façon dont on parvient à corriger partiellement le phénomène peut être plus ou moins forte. Cela a été calculé par l’OCDE qui a publié une note sur ce sujet. L’OCDE a pris en compte la mobilité intergénérationnelle. Et l’on regarde combien de générations il faut à une famille qui part du bas de l’échelle pour arriver à la moyenne. Evidemment, plus faible est le nombre de générations pour arriver à la moyenne, en appliquant la mobilité moyenne de la société, moins il y a d’inégalité des chances. Plus il faut de générations pour y parvenir, plus on est cantonné au bas de l’échelle, ou protégé symétriquement en haut de l’échelle.

Au Danemark cela prend 2 générations.
En Norvège, 3 ; en Finlande, 3 ; en Suède, 3 ; en Espagne, 4.
En Nouvelle Zélande, Canada, Grèce, Belgique, Australie, Japon, Pays-Bas, 4.
Aux États-Unis, 5.
Et en France, 6.

Six générations pour que quelqu’un qui se situe tout en bas de l’échelle des revenus ait une chance que ses arrières petits enfants arrivent au revenu moyen, eu égard à la mobilité française. L’Allemagne ne fait pas mieux et le Chili non plus ! Et l’OCDE, en moyenne, se situe entre 4 et 5.

Des études parviennent aux mêmes conclusions quant à l’inégalité des chances en France, par rapport à celle de pays comparables, en calculant les corrélations entre le revenu des parents et celui des enfants devenus adultes. De même pour les corrélations des niveaux de diplômes.

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Quelles réformes de structures faudrait-il faire pour lutter contre l’inégalité des chances ?

Il faut évidemment évoquer la réforme de l’éducation nationale. On a beaucoup moins de mobilité et d’égalité des chances en France qu’il y a de nombreuses années, quand on parlait des « hussards de la République » pour désigner les instituteurs qui accompagnaient et poussaient loin leurs élèves méritants. Cet état d’esprit n’est pas abandonné, mais il est bien moins répandu et l’éducation nationale, en réalité, a baissé en efficacité globale pour de nombreuses raisons que l’on peut expliquer plus ou moins aisément. L’efficacité de l’éducation est mesurée et comparée par des tests de niveau réalisés internationalement par l’OCDE.

Les études comparatives montrent qu’il faut que l’éducation nationale puisse consacrer un peu plus de moyens aux enfants des quartiers ou des milieux défavorisés. On sait également que beaucoup se joue au début de la vie, à la maternelle et à l’école élémentaire. C’est là où il faut davantage de moyens. Mais ne nous trompons pas, c’est bien une question d’efficacité et non de moyens globaux au sein de l’éducation nationale en France qui a un budget sur PIB bien supérieur aux autres pays européens pour un résultat décevant aux tests.
Il faut également accompagner les gens au cours de leur parcours professionnel pour qu’ils puissent progresser. La formation professionnelle en France est très inefficace et en voie d’être réformée.

Certains pays font tout cela remarquablement bien : la Corée du Sud par exemple, ou encore les pays nordiques. Ils se donnent ainsi les moyens d’assurer un bon degré de mobilité sociale dans leur pays. Ce qui est utile, je le répète, non seulement pour la cohésion sociale, mais aussi pour l’économie parce qu’on va chercher des talents qui, autrement, ne pourraient s’exprimer, et qui contribuent, évidemment, à la croissance générale.

Il faut par ailleurs réduire le chômage de longue durée, ce qui implique un accompagnement plus efficace du retour à l’emploi et de meilleures incitations à prendre un emploi. On sait en outre très bien qu’en France, après 4 mois de travail, on a droit au chômage. C’est l’un des rares pays où il faut aussi peu de temps pour ouvrir un droit au chômage. C’est à regarder. Et, bien sûr, aussi, il faut faciliter ce qui contribue à la création d’emplois…

Il est aussi important de travailler sur les inégalités territoriales, parce qu’elles existent.

Donc, en général, en France, la mobilité sociale est plutôt plus faible que dans d’autres pays comparables, et cela se traduit, à travers les revenus, les diplômes et les catégories socio-professionnelles, dans l’évolution entre les générations.

Et l’on sait aussi que la faible mobilité est non seulement intergénérationnelle, mais aussi qu’il y a en France moins de chances qu’ailleurs de pouvoir évoluer au cours de sa vie.


Deux analyses :

J’en tire deux analyses qui, à mon sens, amènent à réfléchir.

La première est le lien existant entre croissance, innovation et égalité des chances. La deuxième, la forte redistribution qui réduit grandement les inégalités initiales conduit à un cercle vicieux.

Premier angle d’analyse, le lien entre croissance, égalité et innovation. Nous vivons, depuis maintenant 20 ans, dans un contexte de mondialisation et dans une révolution technologique liée au digital. Ces deux phénomènes suppriment de plus en plus le travail répétitif et les postes correspondants.

Aujourd’hui, pour croître dans une économie qui n’est plus une économie de rattrapage comme après-guerre, il faut être innovant. L’innovation est cruciale, c’est actuellement le moteur de la croissance des pays à la « frontière technologique » (1). Les pays développés sont rattrapés par les pays émergents, la seule façon pour les premiers de continuer à croître alors que les pays émergents croissent très vite, c’est d’innover en permanence.

Nous sommes donc dans une économie du savoir, de l’innovation, seule façon de créer de la croissance et de la richesse.

De ce fait, il faut que l’on s’assure que l’on favorise l’innovation, dans notre économie, dans ses institutions (modes d’organisation, marché du travail, cadre législatif…). Et il y a un lien avec l’égalité des chances car, quand il y a de la croissance, il est plus facile évidemment de lutter contre la pauvreté. Et il est aussi plus facile d’assurer la promotion sociale, de procurer de la mobilité sociale. Si l’on ne se place plus au niveau d’un pays mais de l’entreprise, on sait bien que dans une entreprise qui ne se développe pas, il est très difficile de promouvoir et de faire évoluer les collaborateurs. Alors que dans une entreprise en croissance, on peut faire progresser tous ceux qui sont motivés et talentueux.

Donc, on a besoin de croissance pour diminuer l’inégalité des chances et permettre la promotion et la mobilité sociales. Si l’on n’a pas suffisamment de croissance, d’innovation, on aboutit à une société bloquée, une société grippée, une mobilité sociale insuffisante, et, par construction, cela crée beaucoup de problèmes de cohésion sociale. En outre, comme déjà évoqué, plus on parvient à promouvoir l’égalité des chances, plus nombreux sont les talents mobilisés, autant d’énergies qui vont contribuer à la croissance. On voit donc bien le lien vertueux existant entre ces différents éléments.

Qui plus est, les innovations créent des ruptures, en créant de nouvelles sources de croissance et de richesse. L’innovation entraîne donc des remises en cause des rentes acquises. Et c’est aussi cela qui permet la mobilité sociale. Aux États-Unis, si l’on voit tout à coup des gens apparaître dans les classements de fortune et développer très vite de nouvelles affaires, c’est parce qu’ils saisissent des innovations et elles peuvent connaître des évolutions personnelles fulgurantes.

Je ne dis pas que cela constitue un modèle en soi, mais simplement que, même à des échelles moindres, c’est indispensable. Plus il y a d’innovation, de capacité à inventer et plus il y a de croissance. Plus il est possible de dépasser les rentes et de favoriser la mobilité sociale.

Donc, il faut savoir assurer des politiques qui facilitent l’innovation et qui favorisent ce phénomène. A nouveau, l’économie de l’innovation, c’est l’économie du savoir, c’est l’éducation, c’est la formation professionnelle et c’est la promotion de tous les talents. C’est également la suppression des « trappes à la pauvreté » par, je l’ai déjà dit, une meilleure incitation à travailler, un meilleur soutien pour retrouver un emploi et faciliter les changements d’emplois dans des économies mouvantes.

Et cela aussi fait partie des réformes structurelles nécessaires. Pour encourager le progrès technique et les innovations, il faut aussi encourager la compétitivité par l’investissement.

La deuxième réflexion est de bien analyser les inégalités de revenu avant répartition et après répartition et le coût de cette répartition (2).

L’inégalité de revenu plutôt élevée avant répartition est compensée en France par la redistribution, une redistribution forte parce qu’on n’aime pas les inégalités en France. Ce qui est honorable, c’est un choix collectif, en quelque sorte. Mais une redistribution forte a un coût élevé en termes de prestations sociales, donc naturellement, en termes de cotisations sociales et d’impôts. Et, comme cela entraîne beaucoup de prélèvements sur les entreprises, cela rejaillit sur la compétitivité. Et une moindre compétitivité se traduit par moins d’emplois. Et on boucle ainsi. Car si l’on a moins d’emplois, on a des poches beaucoup plus fortes de pauvreté, donc de fortes inégalités de revenus avant distribution. Et on a du chômage de longue durée que l’on doit compenser par plus de redistribution, donc plus de coûts des entreprises. On rentre ainsi dans un cercle vicieux.

Ainsi, l’objectif devrait-il être très probablement d’éviter de trop réparer. Réparer est bien normal, mais mieux encore est de mieux faire en amont, pour réduire l’inégalité des revenus avant redistribution et éviter de tomber dans ce cercle vicieux. Plutôt prévenir que de beaucoup réparer.

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Le taux d’emploi de la France est de 65 %. On se situe à environ 10 % de moins que celui des pays comparables. C’est une situation inacceptable en soi. En France, il n’y a pas assez de gens en âge de travailler qui exercent un emploi. Si l’on considère les deux extrêmes, entre 60 ans et 65 ans, il y a beaucoup moins de gens qui travaillent en France qu’ailleurs. Bien moins qu’en Allemagne, sans parler de la Suède, en se comparant toujours à des pays à modèles comparables. De même, il est très difficile pour des jeunes de trouver un emploi. Et on voit bien la corrélation : plus le taux d’emploi est faible, plus les prestations sociales sont fortes, pour compenser les inégalités ainsi créées.

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Considérons maintenant la corrélation entre les taux d’emploi et la taille des politiques distributives. C’est-à-dire, en fait, les taux d’emploi et les différences entre les indices GINI avant et après répartition. La France affiche les plus fortes politiques de redistribution et les plus bas taux d’emploi.

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La corrélation est évidente là encore pour les pays de l’OCDE. En raison de notre importante politique de redistribution, les cotisations sociales sont en France à peu près 60 % plus chères que la moyenne de la zone euro, donc que les cotisations des pays voisins et comparables.

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Les entreprises sont ainsi structurellement moins compétitives. Ainsi, après cotisations sociales, part-on avec un désavantage considérable, en termes de coût global du travail. Cela se paye donc en manque d’emplois. Ce qui entraîne de fortes inégalités de revenu avant redistribution. D’où le fait que l’on redistribue fortement… Je ne pense pas qu’il faudrait arrêter la redistribution, ce n’est pas du tout mon propos. Mais que, pour faire une redistribution saine, normale, qui ne coûte pas en termes de croissance et d’emplois, il faut s’efforcer de permettre à beaucoup plus de gens de travailler, et ainsi à nos entreprises d’être plus compétitives. Sinon, on entre dans un cercle vicieux.
L’enjeu est donc de faire en sorte qu’en amont même de la redistribution, on ait moins d’inégalités parce beaucoup plus de gens travaillent. Agir en amont pour moins réparer, c’est entrer dans un cercle vertueux, et c’est évidemment permettre à beaucoup plus de monde de travailler, donc de subir moins d’inégalités de revenu avant redistribution et, dans le même temps, accroître par là-même l’égalité des chances. Plus de gens qui travaillent entraîne plus de gens autonomes, bien moins de poches de pauvreté et beaucoup plus de gens socialisés, parce que le travail est une des principales formes de socialisation.


Espérons que ces chiffres et ces constats, parfois inattendus, parce que peu connus, comme ces analyses pourront contribuer à un débat utile quant aux réformes efficaces à mener, sans idées préconçues ou confusions entre l’objectif final, réduire les inégalités, au premier rang desquelles l’inégalité des chances forte en France, et les moyens à utiliser pour y parvenir.
Bossuet écrivait déjà : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

(1) Voir à ce sujet la théorie de la croissance, de type Schumpétérienne, de Philippe Aghion.

(2) – L’analyse du coût de la redistribution et du cercle vicieux créé entre les inégalités de revenu avant et après redistribution et le manque de compétitivité des entreprises françaises a été développée par Patrick Artus dans plusieurs « flash économie ».

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Communiqué de Presse – Consultations Citoyennes sur l’Europe : « Quelles améliorations souhaitables et réalistes pour la Zone Euro ? »

Retrouvez ici le communiqué de presse : Consultations Citoyennes sur l’Europe : « Quelles améliorations souhaitables et réalistes pour la Zone Euro? » – Avec Patrick Artus, Agnès Bénassy Quéré et Xavier Timbeau le 18 septembre 2018.

CP – LECE FRANCE – Consultations Citoyennes sur l’Europe

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La Convergence économique et sociale de l’Union Européenne : illusion ou nécessité ?

La Commission a adopté un certain nombre de recommandations sur ce sujet majeur, pour plus de convergence au service d’une meilleure adhésion des populations à la construction européenne, ainsi que d’une croissance plus soutenue et plus inclusive en Europe.

J’ai participé au débat ainsi qu’aux recommandations en tant que Président de la Section française de la Ligue Européenne de Coopération Economique.

Les faits qu’on oublie :

  • Après un net rapprochement entre 2000 et 2007 (« spreads » quasi nuls, rattrapage économique des pays périphériques), les divergences, déjà patentes en terme de déficits publics et de comptes extérieurs, sont devenues graves depuis les crises de 2008 et de 2011 ; elles paraissent s’atténuer désormais, mais trop lentement.· Les écarts de niveau de vie au sein de l’UE se sont réduits (de 1 à 2 actuellement au lieu de 1 à 3 il y a vingt ans) mais restent marqués, entre le Nord et le Sud comme entre l’Ouest et l’Est européen. Surtout ils se sont en général accrus à l’intérieur même de chaque pays.
  • La monnaie unique a joué indéniablement un grand rôle pour rapprocher les économies de la zone euro ; mais l’unification incomplète du marché des capitaux reste un obstacle. De plus, les fonds structurels semblent avoir un rôle encore plus important pour favoriser la convergence.

Nos propositions :

  • Placer la convergence plus au centre des recommandations et actions de l’Union, en suivant sur une base annuelle les indicateurs d’investissement, de chômage, et de niveau de vie.
  • Réduire l’asymétrie entre les indicateurs et les politiques concernant les balances  des paiements.
  • Progresser rapidement dans l’intégration des marchés de capitaux et parachever l’Union bancaire européenne (mécanisme de résolution et garantie des dépôts).
  • Dégager des ressources propres communautaires permettant de porter le cadre financier pluriannuel à 1,5% du revenu brut européen pour permettre d’investir dans l’innovation, le numérique les liaisons transfrontières et les activités productives et concurrentielles.Renforcer la solidarité entre les Etats membres par des garanties d’investissement et une meilleure harmonisation fiscale et réagir en commun contre les tentatives d’imposer des sanctions extraterritoriales aux banques et aux entreprises européennes.

I. Elle en retire les constatations suivantes:

  1. La convergence économique des pays de l’Union Européenne – et, en son sein, celle des pays de la zone euro -, ont fait des progrès notables jusqu’à la crise de 2008-2009 : forte réduction des écarts de taux d’intérêt et d’inflation ; taux de croissance plus élevés dans les pays en rattrapage ; réduction générale des déficits publics et des endettements. Il n’en a en revanche pas été de même pour les balances des paiements et pour les comptes publics de quelques pays, conduisant à des fragilités dangereuses.
    Ces fragilités sont devenues patentes avec la crise économique et financière de 2008-2009, puis la crise des dettes souveraines de 2011-2012, qui ont conduit au retour de très fortes divergences et à une explosion de la dette et du chômage dans nombre de pays. Une nette atténuation de ces divergences s’est toutefois amorcée depuis 2014, grâce aux efforts de tous les gouvernements et avec le soutien de l’UE.
  2. Malgré cette évolution en dents de scie, la réduction des écarts de niveau de vie entre les pays qui composent actuellement l’Union Européenne a été considérable grâce au rattrapage rapide d’abord des pays du Sud, puis et plus encore des pays de l’Est européen, dont le degré d’ouverture aux échanges extérieurs s’est beaucoup accru : l’écart entre le revenu par tête du pays le plus pauvre de l’UE et le revenu par tête moyen de l’UE est ainsi passé de 1 à 3 en 1990 à 1 à 2 actuellement.
    Cependant, au sein de la zone euro les écarts de niveau de vie se sont de nouveau accrus à partir de 2010 entre les pays du Nord et ceux du Sud et se stabilisent à peine.
  3. Depuis sa création (1999), la monnaie unique a indéniablement été un facteur de rapprochement des pays membres de la zone euro, facilitant et fluidifiant les échanges entre eux et rapprochant leurs politiques économiques. Le pacte de stabilité et de croissance et les accords qui l’ont complété (« six pack », « two pack », etc.) ont conduit à une meilleure coordination des politiques budgétaires. En revanche, les situations de balance des paiements courants sont restées très divergentes et les politiques sociales n’ont fait l’objet que de rapprochements très limités, ce qui risque de conduire l’Union à péricliter.
    L’unification des marchés de capitaux est également restée très incomplète ; elle est insuffisante pour compenser la tendance naturelle à la concentration des forces productives dans les pays situés en position centrale et bénéficiant d’une longue tradition industrielle et de systèmes performants de formation professionnelle.
    Par ailleurs, l’effet des fonds structurels (FEDER, FSE, Fonds de Cohésion), dont l’apport a représenté pour certains pays jusqu’à 3 % du PIB, semble avoir été encore plus important pour faciliter le rattrapage économique des pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que leur modernisation et la hausse de leurs revenus.
  4. Si les disparités entre pays européens ont été réduites, les inégalités de revenus par tête à l’intérieur de nos pays restent importantes ; elles se sont même plutôt creusées[1], quoique beaucoup moins qu’aux Etats-Unis. Notamment, les progrès enregistrés dans les pays périphériques de l’Union Européenne se sont accompagnés d’un fort accroissement des inégalités à l’intérieur de chaque pays. Tout se passe comme si seule une partie de la population de ces régions bénéficiait du processus de croissance et de convergence, le reste demeurant en grande difficulté.
  5. Au total, les inégalités sociales sont restées fortes. L’introduction d’indicateurs sociaux (taux de chômage, taux d’activité, taux de chômage longue durée, chômage des jeunes, évolutions de la productivité et des salaires nominaux) dans la « procédure concernant les déséquilibres macro-économiques » (Scoreboard européen) devrait cependant permettre des progrès à l’avenir.
    Les initiatives de la Commission visant à conférer à l’Union Européenne un « triple A social », l’élaboration d’un « socle européen des droits sociaux » et son adoption lors du Sommet social européen de Göteborg (17 novembre 2017) vont sensiblement renforcer l’attention apportée à la sauvegarde du « modèle social européen » et contribuer à dissuader de la course au moins-disant social. L’Europe sociale reste néanmoins encore en devenir et les projets tels qu’une assurance chômage commune européenne sont dans les limbes.

II. Souhaitant apporter sa contribution à l’élaboration de politiques permettant à l’Europe de faire face à ce défi multiforme, notre Commission formule les recommandations  suivantes :

  1. La convergence – expressément prévue par l’article 3 du Traité de l’U.E. – doit être placé davantage au centre des recommandations et des actions de l’Union Européenne. Les indicateurs du tableau de bord (Scoreboard) devraient être plus développés, annuels et pas seulement en moyenne triannuelle ; leur accès devrait être facilité et leur diffusion systématisée et élargie.
    En particulier, un suivi étroit doit être fait, au-delà des critères en matière de budget, de dette et de réformes structurelles, des questions de croissance, d’innovation et d’investissements, de chômage, dans l’appréciation des politiques des Etats membres et au niveau de chaque région. Une analyse précise de l’évolution des écarts de revenu par tête et de niveau de vie entre les pays comme à l’intérieur de ceux-ci devrait être faite chaque année et accompagnée de mesures incitatrices. De même, le budget de l’Union et le cas échéant celui de la zone euro doivent contribuer à l’ensemble de ces priorités.
  2. La surveillance de la balance des paiements doit recevoir une attention plus soutenue et les critères ne doivent plus être déséquilibrés. Il n’est notamment pas normal que les déséquilibres des balances de paiements considérés comme acceptables soient plus élevés lorsqu’il s’agit d’excédents que ceux qui sont retenus lorsqu’il s’agit de déficit (6% du PIB contre – 3%, chiffre porté à – 4%). C’est oublier en effet cette vérité de bon sens que les excédents des uns sont les déficits des autres, à l’échelle mondiale en tout cas. Réduire l’asymétrie des politiques d’ajustement entre les pays de la zone euro nécessite de mieux combiner qu’aujourd’hui le nécessité de la lutte contre l’aléa moral et l’indispensable partage des risques.
    Certains observent toutefois que ces chiffres sont peu significatifs et qu’il faut prendre en compte aussi la balance des capitaux ; les progrès principaux seraient donc à réaliser en direction de marchés de capitaux plus intégrés, pour favoriser l’investissement dans les pays européens de l’épargne surabondante dégagée dans certains pays. Le « Brexit » est une raison supplémentaire de pousser cette intégration des marchés de capitaux.
    Au total, afin de rendre soutenable la coexistence de déficits des paiements courants de certains pays de la zone euro et les excédents d’autres, il convient, d’une part, que ces soldes soient maintenus dans des proportions et des dynamiques raisonnables et, d’autre part, que le marché des capitaux intra-zone soit à nouveau fluide, comme il l’était avant la crise de la zone euro, afin que la capacité de financement de certaines nations puisse couvrir le besoin de financement des autres, notamment sous la forme d’investissements directs. Cette intégration des marchés financiers ne sera retrouvée que si chaque pays conduit une politique soutenable et si une solidarité intra-zone est affirmée, à la mesure des efforts de soutenabilité des politiques économiques de chacun.
    Nous recommandons par ailleurs que l’indicateur des paiements courants de chaque Etat membre de l’UE soit détaillé en fournissant le solde de ses paiements courants avec la zone euro dans son ensemble et, plus précisément, avec chacun des autres Etats membres de la zone euro en particulier. Il importe aussi de suivre de très près les évolutions de la productivité, des salaires annuels, et du partage de la valeur ajoutée au sein de chaque Etat membre de l’UE.
  3. Parallèlement, l’Union bancaire européenne doit être parachevée, en même temps que l’intégration de marché de capitaux, par la mise en place de l’étage de mutualisation de la garantie des dépôts, ainsi que par la réassurance en dernier ressort « final backstop » sur fonds publics prévue par la Commission européenne, afin de prévenir par des moyens communautaires un effet de contagion généralisée, en cas d’insuffisance des niveaux inférieurs (garantie des dépôts et mécanisme de résolution).
  4. Le cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2021-2027 qui vient d’être présenté par la Commission Européenne prévoit – à côté de dépenses nouvelles tout à fait justifiées pour la Sécurité et la Défense européennes, le contrôle des migrations et l’appui aux réformes et aux investissements – une réduction significative (5% environ) de l’ensemble des allocations à la politique agricole commune et à la politique de cohésion. Cette réduction pourrait nuire aux efforts de convergence nécessaires entre nos économies, même s’il est possible d’améliorer les aides en les rendant plus distributives. Cette situation est aggravée par les lourdes conséquences budgétaires du retrait britannique.
    Il n’est possible de sortir de cette situation que par le « haut », c’est-à-dire en majorant le montant de ce budget prévisionnel. Les montants actuellement proposés pour le CFP 2021-2027 représentent 1 135 Md€ de crédits d’engagement, soit 1,11 % du revenu national brut des pays membres. Ce pourcentage, même s’il est encore plus faible pour le CFP 2014-2020 actuel (1,00%), doit être relevé, en développant davantage les ressources propres communes, comme cela est déjà amorcé dans le CFP 2021-2027 (redevance écologique par exemple). Un taux de 1,5 % du revenu national serait un minimum pour que l’action communautaire ait un vrai sens.
  5. Une partie de cet effort budgétaire indispensable devrait prendre la forme de garanties d’investissement visant à encourager le secteur privé à s’engager dans la construction et la rénovation d’infrastructures ainsi que d’autres projets porteurs dans l’énergie, le numérique (Internet à haut débit), les liaisons transfrontières et les activités productives et concurrentielles, notamment dans les pays actuellement les moins avancés, afin de faciliter leur rattrapage.
    Cette action serait un prolongement logique et une amplification du « Plan Juncker » d’investissement, dont les effets ont été positifs mais trop limités, surtout compte-tenu du fait que les pays les plus avancés de l’UE en ont absorbé la majorité. Le financement pourrait en être partiellement assuré sous forme de « project bonds » émis par les entreprises chargées des projets et bénéficiant en tout ou partie des garanties précitées.
  6. La convergence, c’est à dire le rapprochement progressif de nos sociétés, nécessite une vision à long terme. Une entité spécialisée devrait être constituée auprès de la Commission et du Conseil Européen pour en tracer les perspectives à moyen-long terme et en suivre concrètement d’année en année les progrès ; une alternative serait de confier cette fonction à une entité existante ou à un réseau d’instituts reconnus.
  7. Renouer avec une convergence économique, sociale et territoriale conforme aux objectifs fondamentaux de l’UE requiert aussi la mise en œuvre de nos recommandations précédentes ; notamment en matière d’harmonisation fiscale[2] (5 juin 2015), pour assurer la transparence et éviter le dumping fiscal ou le moins disant-social ; ou  concernant « l’avenir des échanges, des investissements et des négociations commerciales et internationales »(17 juin 2016), afin d’éviter des distorsions de concurrence engendrées par les inégalités sociales et de lutter contre les paradis fiscaux et plus largement, contre l’évasion fiscale. Il faut y ajouter les mesures indispensables pour lutter contre les tentatives d’imposer une souveraineté monétaire extérieure et/ou des sanctions extraterritoriales.

[1] Cf les mesures données par le « coefficient de GINI ».

[2] C’est-à-dire le rapprochement – et non l’unification – des taux et des assiettes des prélèvements publics.

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Les banques face à leur avenir proche

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Politique Economique Zone Euro

EUROPE – « S’appuyer sur la dynamique actuelle pour renforcer l’Union économique et monétaire »

Retrouvez ci-dessous le programme complet de ce rendez-vous, ainsi que la transcription de mon intervention.

Bruxelles, lundi 9 avril (soirée) et mardi 10 avril (journée entière) 2018

Le nouveau contexte politique en Europe continentale né à la suite du vote en faveur du Brexit, de l’élection présidentielle française et de l’amélioration de la situation économique a créé une dynamique dont l’Union européenne devrait profiter pour mettre en œuvre des réformes. La zone euro reste toutefois la principale source de préoccupation. Il lui faut en effet devenir plus résiliente et se montrer capable de résister à n’importe quel choc externe asymétrique afin d’éloigner la menace existentielle qui continue de peser sur la monnaie unique.

Parmi les nombreuses propositions, la Commission européenne a récemment présenté une feuille de route traitant de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire européenne. La balle est désormais dans le camp du Conseil européen, dont la rencontre prévue les 28 et 29 juin prochains permettra de déterminer les décisions à adopter.

Cette réunion de l’Euro 50 Group, à quelques semaines du Sommet de la zone euro, se déroulera dans les locaux du Parlement européen et des responsables politiques y participeront. Elle constitue ainsi une excellente opportunité pour l’Euro 50 Group de contribuer au débat en analysant les principaux éléments manquants de l’architecture actuelle de l’UEM et, par conséquent, les réformes (y compris celles ayant une portée politique) absolument indispensables au cadre de l’UE pour que la zone euro soit pleinement développée et efficace.

Lundi 9 avril 2018 Lieu : BNP Paribas Fortis, 20 rue Royale, B-1000 Bruxelles

19 h 30

  • Dîner de bienvenue
  • Introduction : Alain Papiasse, Directeur général adjoint chez BNP Paribas
  • Intervenant invité : Poul Thomsen, Directeur du département Europe du FMI
  • Remarques par : Marco Buti, Directeur général des Affaires économiques et financières de la Commission européenne

Mardi 10 avril 2018 Lieu : Parlement européen – salle PHS3C050 60 rue Wiertz B-1047 Bruxelles

8 h 00 – 8 h 15 : Enregistrement

8 h 15 – 8 h 35 :

  • Discours de bienvenue
  • Edmond Alphandéry, Président de l’Euro 50 Group, ex-ministre de l’Économie de France
  • Lucio Vinhas de Souza, Responsable de l’Équipe Économie du Centre européen de stratégie politique de la Commission européenne

8 h 35 – 8 h 55 : Échanges de vues avec Domenico Siniscalco, Directeur général et Vice-président de Morgan Stanley et ex-ministre des Finances d’Italie sur « La situation politique italienne et ses répercussions potentielles sur la zone euro »

8 h 55 – 10 h 25 : Séance I – Un Fonds monétaire européen : dans quel but ?

Cette séance traitera des missions qui devront être attribuées au Fonds monétaire européen proposé et, par conséquent, de sa gouvernance et de sa responsabilité politique. Seront également abordés les problèmes d’intérêt commun qui ne relèvent pas encore du MES et qui devraient être traités par le FME proposé.

Président : Daniel Gros, Directeur du CEPS

8 h 55 – 9 h 10 : Intervenant invité : Klaus Regling, Directeur général du Mécanisme européen de stabilité

9 h 10 – 9 h 25 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Laurence Boone, Économiste en chef, Responsable mondiale du département Multi Asset Client Solutions et Responsable de la recherche chez AXA IM
  • Maria Demertzis, Directrice adjointe de Bruegel

9 h 25 – 10 h 25 : Table ronde

10 h 25 – 10 h 35 : Pause café

10 h 35 – 12 h 15 : Séance II – Les éléments manquants de l’Union bancaire

Cette séance portera sur les formalités et sur les aspects politiques et économiques de l’achèvement de l’Union bancaire, mais également sur la création d’une architecture bancaire plus résiliente.

Président : Stefano Micossi, Directeur général d’Assonime, Professeur honoraire du Collège d’Europe

10 h 35 – 10 h 50 : Intervenant invité : Andrea Enria, Président de l’Autorité bancaire européenne

10 h 50 – 11 h 15 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Dirk Cupei, Directeur général en charge de la stabilité financière de l’Association des banques allemandes
  • Lars Feld, Membre du Conseil allemand des experts économiques et Président du Walter Eucken Institute
  • Olivier Klein, Directeur général de la BRED, Professeur d’économie financière à HEC
  • Gilles Noblet, Directeur général adjoint des relations internationales et européennes de la BCE

11 h 15 – 12 h 15 : Table ronde

12 h 15 – 13 h 25 : Buffet / Déjeuner

12 h 55 – 13 h 15 : Intervenant invité : Jyrki Katainen, Vice-président de la Commission européenne à l’emploi, la croissance, l’investissement et la compétitivité

13 h 15 – 13 h 25 : Questions-réponses

13 h 25 – 14 h 55 : Séance III – Une intégration budgétaire est-elle nécessaire ?

Cette séance traitera du degré d’intégration budgétaire nécessaire afin de renforcer la zone euro et de la rendre plus résiliente aux chocs externes, mais également de faciliter la convergence et ainsi de préparer les États non membres de la zone euro à la rejoindre.
Président : Niels Thygesen, Président du Comité budgétaire européen, Professeur émérite d’économie internationale à l’Université de Copenhague

13 h 25 – 13 h 40 : Intervenant invité : Marcel Fratzscher, Président de l’institut de recherche économique DIW Berlin pour une présentation de la proposition des économistes franco-allemands : « Reconciling risk sharing with market discipline: A constructive approach to euro area reform » (Réconcilier partage des risques et discipline de marché : approche constructive de la réforme de la zone euro)

13 h 40 – 13 h 55 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Pervenche Berès, députée européenne
  • Otmar Issing, Président du Centre d’études financières à l’Université Goethe de Francfort
  • Charles Wyplosz, Professeur d’économie internationale à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève

13 h 55 – 14 h 55 : Table ronde

14 h 55 – 15 h 05 : Pause café

15 h 05 – 16 h 50 : Séance IV – Amélioration et renforcement de l’intégration financière

Cette séance abordera le problème de la mobilisation de l’épargne privée dans l’ensemble des États membres de l’UE, le sujet de la dette souveraine, y compris le traitement d’un défaut par le biais d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine, ainsi que la création d’un actif sans risque.

Président : Jakob von Weizsäcker, député européen

15 h 05 – 15 h 20 : Intervenant invité : Erik Nielsen, Économiste en chef mondial d’UniCredit, (sur la mobilisation de l’épargne privée dans l’ensemble de la zone euro)

15 h 20 – 15 h 35 : Intervenant invité : Lee Buchheit, Associé chez Cleary Gottlieb, (sur la restructuration de la dette souveraine)

15 h 35 – 15 h 55 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Elena Daly, Spécialiste du conseil sur la dette souveraine et les marchés émergents chez EM Conseil (sur la gestion efficace de la dette publique en Europe)
  • Isabelle Mateos y Lago, Directrice générale du BlackRock Investment Institute
  • Miranda Xafa, Associée principale du CIGI (sur l’Union des marchés de capitaux)

15 h 55 – 16 h 45 : Table ronde

16 h 45 – 17 h 00 : Conclusion
Jacques de Larosière, Gouverneur honoraire de la Banque de France et ex-Directeur général du FMI


UNION BANCAIRE EUROPÉENNE – LES ÉLÉMENTS MANQUANTS

Transcription de la présentation d’Olivier Klein
Nous avons distingué deux boucles de rétroaction négative qui se trouvent au cœur de la crise majeure de la zone euro :

  • la première s’est nouée entre le déficit public et le taux d’intérêt de la dette publique ; et
  • la seconde est née de l’interaction entre le risque bancaire et le risque souverain. En réalité, la seule option à ce jour pour le sauvetage d’une banque reste l’intervention de son État.

Afin de rompre ces deux cercles vicieux nous devions nous fier :

  • principalement aux mesures de la BCE ;
  • à la finalisation du Mécanisme européen de stabilité (MES) ;
  • et, notamment pour ce deuxième cercle vicieux, à l’idée naissante de l’Union bancaire européenne (UBE), qui constituait également un moyen d’améliorer la durabilité de la zone euro.

Cette UBE a été créée en tenant compte de trois piliers :

  • 1er pilier : un Mécanisme de supervision unique, car aucune solidarité transfrontalière n’est possible sans une discipline partagée et une supervision commune de cette discipline.
  • Ce qui était, entre autres, nécessaire pour permettre le partage des risques transfrontaliers.
  • 2e pilier : l’instauration d’un Mécanisme de résolution unique afin de définir un cadre réglementaire en vue de permettre les résolutions ordonnées.
  • Notamment pour éviter que seuls les États soient en mesure de sauver leurs banques.

Ce pilier comprend :

  1. Une priorité : le renflouement privé.
    Pour empêcher que les contribuables ne payent en lieu et place des créanciers et des investisseurs qui ont pris de mauvaises décisions.
    Mais également pour lutter contre le risque moral.
    Un élément qui devait s’accompagner de fonds propres supplémentaires pour les banques (TLAC et MREL).
  2. La création du Fonds de résolution unique. Pour intervenir lorsque les solutions de renflouement privé ne sont pas suffisantes, et uniquement si elles ont déjà été mises en œuvre.
    Ce Fonds permet d’introduire un degré de solidarité au sein du secteur bancaire de la zone euro.
  3. Et pour finir, la Commission européenne a également proposé un soutien possible du Mécanisme européen de stabilité, c’est-à-dire la mise à disposition de fonds communs, en dernier recours pour finaliser la création du Fonds.
  • 3e pilier : le Système européen de garanties des dépôts.

L’objectif était d’harmoniser les systèmes transfrontaliers de garantie des dépôts.
Dans ces conditions, l’UBE aurait été complète et efficace.


Toutefois, même si tous les économistes et la plupart des acteurs politiques s’accordent pour dire que le processus doit continuer, il est actuellement bloqué, car certains États et certaines banques, dont la santé n’est pas préoccupante, craignent de sauver des systèmes bancaires nationaux en détresse, afin de ne pas entacher leur héritage, un point de vue compréhensible.
Mais est-ce vraiment une bonne solution ?
En fait, l’Union bancaire est dans l’ensemble peu satisfaisante, du moins pour ce qui est de la rupture du second cercle vicieux par le partage des risques.

  • Tout d’abord, le Système européen de garanties des dépôts reste bloqué au niveau national et le partage des risques est quasiment inexistant, contrairement à ce qui avait été initialement prévu.
  • Ensuite, il n’y a toujours pas eu d’intervention efficace du Fonds de résolution unique, même dans le cadre de la résolution récente de Banco Popular en Espagne et de celles de Veneto Banca et Banca Popolare di Vicenza en Italie. Pour cette dernière, les autorités italiennes ont annoncé que le renflouement privé n’était pas envisageable, car les répercussions sur l’économie de la région auraient été terribles, ce qui a conduit à la décision d’un sauvetage par l’État.
    D’une manière ou d’une autre, il semble que seules des solutions nationales aient été jusqu’à maintenant privilégiées.
  • Enfin, si un risque systémique important venait à se concrétiser, la mise en place d’un soutien final, si tant est qu’il y en ait un, reste incertaine.

Je crains qu’au lieu d’une Union bancaire claire et achevée, nous nous reposions sur la règle de « non-sauvetage », qui était souvent considérée, de façon dogmatique, comme l’unique solution :

  • avec la ferme intention de lutter contre le risque moral ;
  • mais également pour prendre en compte le véritable manque de solidarité.

Malheureusement, même si l’intention est louable, le fait de voir la règle de « non-sauvetage » comme la seule option possible présente un risque plus important. Pouvons-nous nous appuyer sur la règle de renflouement si la solidarité et le soutien final ne sont pas au rendez-vous ?
Je crains que non, mais pour quelles raisons ?

  • Premièrement, la règle de « non-sauvetage » pourrait fonctionner pour les risques bancaires isolés, mais pas pour le risque systémique.
  • Puis, même dans le cas d’un risque isolé, si l’UBE reste inachevée, la règle de renflouement privé peut entraîner un risque de contagion accru aux obligations bancaires voire aux dépôts.
  • Mais également en raison de la complexité et la variété des définitions de la requalification de dette.
  • Ensuite, est-il toujours préférable de faire payer les épargnants plutôt que les contribuables ? Les répercussions économiques et politiques sont-elles, dans tous les cas, moins importantes et moins douloureuses ? Les épargnants sont des particuliers ou des investisseurs institutionnels. Ces derniers cachent aussi des particuliers dans le rôle des investisseurs finaux.
  • De plus, une perte importante causée par le processus de renflouement pourrait créer un sentiment de panique à l’encontre des investisseurs institutionnels et ainsi accroître le risque systémique
  • En outre, le principe de renflouement augmente le coût de financement des banques, c’est-à-dire le coût des prêts.
  • Enfin, cela accentue clairement la procyclicité du financement des banques, car lorsque le contexte devient défavorable, les coûts de financement des banques augmentent, et inversement.

Ainsi, sous pression, la règle de renflouement privé comme unique solution peut davantage fragiliser le système et non renforcer sa résilience.

Par conséquent, une UBE inachevée pourrait de nouveau déclencher l’intervention d’un État. Cela signifierait que l’interaction tristement célèbre entre le risque bancaire et le risque souverain serait de retour, alors que l’une des principales motivations de la création de l’UBE était d’éviter cette boucle de rétroaction négative.

Pire encore, si nous nous retrouvons bloqués par la règle du « non-sauvetage » et que par chance, aucun sauvetage national n’est mis en place, cela pourrait s’avérer catastrophique.

Les interventions non conventionnelles de la BCE, qui ont sauvé la zone euro et stabilisé le système bancaire, ne dureront pas éternellement.


Pour conclure, les points que je tiens à souligner sont les suivants :
1- Il est évident que la lutte contre le risque moral est une nécessité fondamentale. Toutefois, si nous ne parvenons pas à achever l’Union bancaire et que nous ne détaillons pas assez les différentes solutions, nous pourrions nous retrouver dans une situation délicate, notamment en raison du risque de contagion.

2- Des règles et des avantages doivent certainement être mis en place ex ante si nous souhaitons éviter le risque moral. Cependant, si, malgré ces mesures, une crise majeure se produit, se borner à appliquer uniquement la règle de « non-sauvetage » pourrait faire empirer la situation et avoir des conséquences désastreuses. Il est approprié de lutter contre le risque moral ex ante et non lorsque cette crise majeure sévit déjà.

3- Évidemment, la solidarité est liée à la supervision commune et à la compensation des actifs bancaires passés des banques en faillite, mais seulement dans la mesure du possible. Et si la volonté de parvenir à une certaine solidarité tarde à se concrétiser, les craintes d’une zone euro inachevée pourraient revenir nous hanter.

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Economie Générale Finance Management

Pour un capitalisme partenarial

Le chantier de la redéfinition de l’entreprise s’ouvre et avec lui, celui de la gouvernance. Les actionnaires restent au cœur de la gouvernance. La juste rémunération des risques impose de reconnaître leur rôle essentiel. Toute la question est de savoir comment mieux intégrer à leur côté l’intérêt des autres partenaires au sein de l’entreprise.

Longtemps, la question ne s’est pas posée. Wendel, Renault, Michelin… Actionnaires et dirigeants étaient les mêmes personnes, souvent des familles. Le capitalisme familial des origines ne connaissait pas de problème de gouvernance par construction. Mais, pour accompagner leur croissance, les entreprises ont ouvert leur capital, et, grâce à la bourse, ont offert à leurs actionnaires la possibilité de vendre leurs titres pour disposer de liquidités. L’actionnariat s’est dispersé. Son pouvoir sur les dirigeants s’est dilué.

Après-guerre, le capitalisme managérial s’est imposé majoritairement. Les dirigeants se sont émancipés des actionnaires et ont imposé leur contrôle sur l’entreprise fondé sur leur savoir-faire « technique ». C’est ainsi que s’est constituée la technocratie. Les intérêts des deux parties n’étaient plus alignés. Les dirigeants recherchaient la croissance et la pérennité de l’entreprise, insérant les salariés dans des organisations pyramidales. Mais cette configuration n’aboutissait pas toujours à la meilleure efficacité, ni à la meilleure rentabilité, créant des conglomérats souvent lourds et peu manœuvrant, qui délaissaient trop souvent l’intérêt des actionnaires.

Dans les années 80, en congruence avec la globalisation financière, les actionnaires ont rappelé aux dirigeants leur existence et la priorité de maximisation de la richesse. Cette évolution s’est traduite par la création de comités (audit, rémunération et nomination, stratégie…) et le développement de mécanismes d’incitation (primes, stock-options…), afin d’aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires. Toute une série d’indicateurs s’est imposée (return on equity, taux de distribution…), au même titre qu’est née la doctrine de la création de la valeur. Et si les résultats n’étaient pas au rendez-vous, les actionnaires permettaient des « raids » qui organisaient des prises de pouvoir offensives afin d’optimiser la valeur, parfois en découpant les groupes antérieurement constitués. Parallèlement, ces différents outils de rémunération fondés sur l’évolution de la valeur de l’entreprise ont favorisé l’innovation, en permettant aux « start-up » de recruter des talents qui participaient au risque de l’entreprise, alors que les salaires seuls n’auraient pas permis de les attirer.

Mais le capitalisme actionnarial a trouvé rapidement ses limites. Parce que les rendements financiers attendus semblaient garantis, la spéculation l’a souvent emporté sur les paris raisonnables. Pour respecter des normes minimales de rentabilité à court terme (15 %, quels que soient les secteurs d’activité et les taux d’intérêt sans risque, dans les années 90 et 2000), beaucoup d’entreprises se sont mises à racheter leurs actions pour soutenir leurs titres et/ou à augmenter leur ratio de levier. Le revenu des dirigeants a connu une évolution difficilement justifiable. En 1965, le revenu moyen d’un PDG de grand groupe américain représentait 44 fois celui d’un ouvrier. En 2000, 300 fois les plus bas salaires. Plus grave encore, face à ces attentes de rendements déconnectés de la réalité, on a vu apparaître des comportements non éthiques de créativité comptable : Enron, Worldcom, Parmalat et d’autres encore très récemment. A certains égards, les subprimes et leurs conséquences relèvent du même phénomène.

Les crises de 2000-2003 et de 2007-2009 en ont résulté, directement ou indirectement, avec leurs lots de très lourds coûts économiques et sociaux.

S’ouvre ainsi la nécessité d’aborder un nouvel âge de la gouvernance, celui d’un véritable capitalisme partenarial, à même de remettre, aux côtés des actionnaires, notamment les clients, les salariés et l’environnement de l’entreprise, selon un modèle mieux adapté aux révolutions commerciales, comportementales, éthiques, managériales et technologiques en cours.

L’actionnaire doit toujours occuper une place centrale en tant que mandant des dirigeants. Parce qu’il assume en théorie le risque sans disposer d’aucune certitude sur son rendement futur. La pratique a fait en sorte que les actionnaires soient, pour partie, protégés contre les évolutions négatives de la conjoncture, en reportant partiellement le risque sur les autres parties prenantes de l’entreprise. Sur les salariés, dont la variabilité de la rémunération ou de l’emploi a augmenté. Sur les sous-traitants, dont les marges de négociation vis-à-vis de leurs donneurs d’ordre se sont fortement affaiblies. Les clients sont parfois également des variables d’ajustement, à travers la moindre sécurité des produits ou l’obsolescence accélérée qui leur est imposée. L’environnement climatique est aussi l’un des impacts des choix des entreprises.

Ces partenaires doivent donc pouvoir être mieux pris en compte dans le cadre d’une gouvernance équilibrée, puisqu’ils prennent également une part du risque de l’entreprise. Mais aussi, parce que, sur le long terme, une entreprise est la rencontre de l’ensemble de ces parties prenantes. Et que les modes de régulation qui permettent d’atteindre les meilleurs compromis entre eux sont garants du développement durable et rentable de l’entreprise.
A ce titre, les banques, coopératives ou mutualistes, sans rien sacrifier de leur efficacité, de par le fait que leurs clients en sont les propriétaires et élus aux conseils d’administration, de par leur modèle décentralisé qui renforce la proximité relationnelle non seulement avec les clients qu’elles servent, mais aussi avec les territoires sur lesquels elles opèrent en symbiose, enfin de par l’attention et la place qu’elles donnent aux salariés, représentent une des formes intéressantes possibles de la redéfinition de l’entreprise à gouvernance élargie. A elles de tirer avantage des nouvelles technologies qui permettent de renforcer encore la validité de leur modèle et leur pleine modernité.
A chaque type d’entreprise, cotée, privée ou coopérative, grande ou petite, de réinventer la définition de l’entreprise et de sa gouvernance, de façon à la rendre partenariale. L’avenir de nos économies ouvertes et de nos sociétés démocratiques passe aussi par là.