Catégories
Banque Enseignement Finance

Olivier Klein, l’art du passage

Directeur général de Lazard Frères Banque et associé gérant, après avoir incarné la Bred durant plus de dix ans, Olivier Klein poursuit son enseignement et son travail d’auteur. Il a publié, il y a quelques mois, « Crises et mutations : petites leçons bancaires ». Sa lecture fluide est à savourer.

Olivier Klein, récemment nommé directeur général de Lazard Frères Banque, enseigne la macroéconomie financière et la politique monétaire à HEC, écrit de nombreux articles de stratégie bancaire, de politique monétaire, d’économie monétaire et de réformes structurelles, et participe à de nombreux colloques où il adore « frotter sa pensée » avec les plus grands économistes et les dirigeants des institutions financières. Enfin, il a publié il y a quelques mois un essai majeur chez Eyrolles et RB Édition, Crises et mutations : petites leçons bancaires. Il faut lire ce livre ! Olivier Klein a le sens de la formule et le goût des citations bien choisies. Surtout, ce professeur-banquier, à partir de son expérience de terrain, fort bien documentée, propose des analyses qui renouvellent la pensée stratégique. À titre d’exemple, comment changer sans casser ? Les adeptes de l’approche « parties prenantes » comme les partisans du respect de l’identité des entreprises y trouveront des arguments forts.

Au-delà des idées foisonnantes qui structurent ce livre, c’est cette capacité de l’auteur à agir, à formuler une pensée, et à enseigner qui retient l’attention. Olivier Klein est, à n’en pas douter, un « passeur » et notre société manque aujourd’hui de ce type de profils. Nous avons d’excellents chercheurs, qui publient dans les meilleures revues scientifiques, nous avons des dirigeants d’entreprise de très haut niveau, mais le problème du « passage » entre théorie et pratique comme celui entre recherche et pédagogie restent subtils et complexes.

Le parcours d’Olivier Klein, comme ses travaux sont, à maints égards, des exemples de « passage » réussi et peuvent nous éclairer sur l’importance de cette notion.

D’abord, parce que son parcours comme sa démarche dans ses articles de macroéconomie nous montrent comment la pratique s’enrichit des démarches scientifiques et des modèles produits par la recherche. À la lecture de son livre, on voit bien qu’il n’y a pas d’acte qui ne soit posé sans référence à ce qui apparaît comme un savoir. Chris Argyris, professeur à Harvard et l’un des théoriciens de l’apprentissage organisationnel, parlait d’« une théorie d’usage ». Ainsi, la pratique, si elle ne peut se résoudre à « rentrer » dans un seul paradigme, s’appuie obligatoirement sur des modèles, sur des théories.

Des sciences à la pratique

Encore faut-il être capable de transférer au moindre coût ces modèles dans la pratique. « Au moindre coût » signifie ici « en minimisant le risque d’une mauvaise interprétation des résultats scientifiques disponibles ». C’est ce que réussit, brillamment de surcroît, Olivier Klein. Cela n’est pas aisé, ne serait-ce que parce qu’un seul discours scientifique ne peut résoudre simultanément tous les problèmes posés au praticien. Cette difficulté se traduit souvent par une frustration qui porte certains à jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est-à-dire à rejeter en bloc tout apport de la théorie et de la science, sous prétexte que celles-ci ne peuvent résoudre tous les problèmes du moment. C’est ici que réside l’apport du « passeur ». Il doit aider au passage entre les sciences et la pratique. Il doit choisir les aspects les plus performants de la théorie, proposer une interprétation rigoureuse des faits et enfin, participer au nuancement des catégories de la pensée. Il doit, en quelque sorte, proposer ce que nous appellerons une « leçon ». C’est-à-dire que sa démarche doit être analogue à celle des « bons essais ». On sait que les « bons essais » sont ceux qui, avec rigueur, choisissent certaines parties de théories pour les confronter sans complaisance à une situation particulière, située dans le temps et dans l’espace. Le « bon essai » doit aussi proposer de gommer avec rigueur certaines frontières entre les différentes sciences. Si celles-ci sont en effet structurées en termes de paradigmes, le « passeur » devra être à même de proposer une synthèse « négociée », c’est-à-dire nourrie d’influences diversifiées, combinant des échelles d’analyses multiples et orientée vers la prescription. Il ne s’agit donc pas d’une vulgarisation de la science car le « passeur » doit faire preuve d’une grande vigilance intellectuelle pour articuler dans une vision globale plusieurs référents théoriques, plusieurs éclairages et plusieurs habitudes d’interprétation propres à chaque pratique. Là aussi, c’est ce que réussit Olivier Klein, en particulier dans son livre, et cela manifeste une grande rigueur de pensée. Le Capitole est en effet proche de la Roche tarpéienne : le travail difficile de « traduction » risque de se transformer en récupération hâtive des dernières modes et en interprétations cursives de théories mal assimilées. Le « passeur » peut, s’il n’y prend garde, devenir un « vendeur de soupe ». C’est ce qu’évite, page après page, démonstration après démonstration, Olivier Klein.

Pour conclure sur la fonction de « passeur » d’Olivier Klein, je crois qu’il est important de souligner que ses textes nous éclairent certes, mais surtout, et c’est là un point majeur, qu’ils nous incitent à nous tourner vers le futur. Notre temps a peur de la modernité qui exclut, qui remplace l’homme, qui explore les confins, qui bâtit un ordre menaçant contre, apparemment, « le bon vieux temps ». La tentation est grande de la réaction et de la condamnation. Dans la pensée d’Olivier Klein, qui nous invite à habiter l’avenir, l’optimisme (ou le pessimisme) n’est jamais la question de fond. Il faut « simplement » comprendre notre monde, et nous engager alors pour exercer notre liberté à inventer des moyens nécessairement nouveaux ! Olivier Klein est sans conteste un « passeur » qui mobilise.

Revue Banque – Bernard Ramanantsoa
Article publié le 15 septembre 2023.


Références

  • Argyris Ch., avec des contributions de Moingeon B & Ramanantsoa B. (1995), Savoir pour agir. Surmonter les obstacles de l’apprentissage organisationnel, trad. de Loudière G.), lnterEditions.
  • Boutinet J.-P. (ed.) (1985), Du discours à l’action.
    Les sciences sociales s’interrogent sur elles-mêmes, Logiques Sociales, L’Harmattan.
  • Geertz C. (1986), Savoir local, Savoir global. Les lieux du savoir, Puf.
  • Cain T., Wieser C. & Livingston K. (2016), « Mobilising Research Knowledge for Teaching and Teacher Education », European Journal of Teacher Education, vol. 39, no 5, p. 529-533.
  • Gaussel M. & Rey O. (2016), « The Conditions for the Successful Use of Research Results by Teachers: Reflections on some Innovations in France », European Journal of Teacher Education, vol. 39, n° 5, p. 577-587.
  • Gaussel M., Gibert A-F., Joubaire Cl., & Rey O. (2017), « Quelles définitions du passeur en éducation ? »,
    Revue française de pédagogie, 201-2017, 35-39.
  • Munérol L., Cambon L. & Alla F. (2013), « Le courtage en connaissances, définition et mise en œuvre : une revue de la littérature », Santé publique, vol. 25, no 5, pp. 587-597.
  • Ward V. L., House A. O. & Hamer S. (2009), « Knowledge Brokering: Exploring the Process of Transferring Knowledge into Action », BMC Health Services Research, vol. 9.