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«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action»

Les réformes structurelles, qui améliorent le potentiel de croissance et l’efficacité d’une économie, sont aujourd’hui bien connues. La question n’est ni de droite ni de gauche. Il y a une urgence économique et sociale à enrayer le déclin français et défendre notre modèle en le rendant soutenable. Pourquoi alors éprouvons-nous autant de difficultés à résoudre les problèmes jumeaux de l’économie française, le manque de croissance et de réformes ?

Notre culture conflictuelle-droite/gauche, patrons/salariés, pays riches/pays pauvres, multinationales/peuples, etc.-, ne peut plus nous empêcher de voir la réalité et de mettre en place les solutions concrètes et pragmatiques qui s’imposent. 

Autre frein aux réformes : un Etat historiquement hyperpuissant et centralisateur. Cette organisation, jadis utile à la France, n’est plus adaptée à une société et à une économie globalisées et organisées en réseaux. Le digital bouscule les rapports d’autorité. Par son omniprésence, l’Etat intermédie la relation entre chacun et la société, entre chacun et les autres. Au lieu de se sentir responsable face à la collectivité, l’individu exprime une demande forte d’Etat. Chacun refuse alors les réformes, méfiant quant à la réalité de l’effort réclamé aux autres et questionnant l’incapacité de l’Etat à prendre en charge tous les problèmes. 

Simultanément se sont érigés, au fil du temps, des groupes d’intérêt corporatistes puissants. Et des syndicats trop faiblement représentatifs dans les entreprises privées. Résultat : un vide de construction du social, une sorte de «social corporatisme» doublé de «social technocratie»*. Difficile donc de penser symétriquement à ses devoirs autant qu’à ses droits et d’accepter les réformes. 

Ajoutons un mélange culturel historique qui fait trop souvent de la compassion l’alpha et l’oméga de l’action politique et du débat médiatique et nous empêche de voir les choses telles qu’elles sont ou de nous donner les moyens de les corriger. Compétitivité en déclin, chômage élevé, exclusion trop forte du marché du travail des jeunes, inégalité croissante des chances, niveau moyen relatif de compétence trop faible… Face à la réalité des faits, la compassion ne peut nous servir de politique et nous exonérer de bousculer quelques a priori et habitudes de pensée très spécifiquement françaises. 

Heureusement les Français prennent conscience des limites d’une compétitivité insuffisante. De règles trop lourdes. D’abus trop nombreux et non corrigés. Et de déficits publics permanents, dûs à une sphère publique qui n’a pas suffisamment recherché depuis longtemps l’efficacité du système, conduisant ainsi à des dépenses sur PIB (et de fait à des impôts) parmi les plus élevées d’Europe, alors que la qualité des prestations publiques ne se situe que dans la moyenne. 

Nos compatriotes appréhendent mieux, fort des exemples de nos voisins étrangers, les réformes nécessaires pour mettre fin à cette spirale suicidaire et protéger notre mode de vie et notre protection sociale. Pour permettre le mariage heureux et nécessaire du vivre ensemble et de l’envie d’entreprendre. Dans une société fondée sur l’équité. 

Cette prise de conscience nouvelle doit permettre aujourd’hui aux gouvernements de lutter contre ces atavismes spécifiquement français et de traiter de façon crédible ces questions afin que les Français cessent d’être parmi les peuples les plus pessimistes au monde quant à l’avenir collectif de leur pays. 

S’appuyant sur l’opinion, osant éventuellement les referendums pour contrer les oppositions corporatistes, nos gouvernements doivent avoir le courage de trouver le chemin du changement, d’en expliquer le sens et de convaincre. Baisser les dépenses publiques certes, mais avec un plan d’ensemble pour réorganiser efficacement la sphère publique. Mais encore réformer sans idéologie, notamment le marché du travail et le système de retraite, pour prendre en compte l’allongement de la durée de vie en équilibrant les comptes. Enfin, conduire des politiques de compétitivité, notamment en baissant la fiscalité et les cotisations sociales des entreprises. C’est l’ensemble de ces changements qui donnent la possibilité, dans les contraintes qui sont les nôtres, de protéger durablement notre niveau de vie et notre protection sociale, en combinant à moyen terme augmentation de la croissance et réduction des déficits publics. 

Reste un élément clé : en formuler la bonne programmation et le bon accompagnement. Gageons que si le chemin en est vertueux et résolu, le rythme en sera ajustable.

* Expression de Denis Olivennes

«En complément de l’article, 13 graphes»

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action

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« Oui à l’union bancaire européenne », publié dans Le Monde du 07-01-13

Les problèmes de la Zone Euro, apparus dès 2009-2010, ont pour cause première sa non complétude, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire optimale. Notamment, elle ne sait pas bien régler les divergences naturelles qui découlent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : certains pays se désindustrialisent, d’autres s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains territoires. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres, et avec pour corollaire l’évolution de la capacité ou du besoin de financement de différentes nations, c’est-à-dire de leur endettement extérieur.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on a assisté à deux phénomènes d’accélération, à deux cercles vicieux. Le premier, que l’on connait bien, vient de ce que lorsqu’on lutte soudainement et intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. Ce phénomène est renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu regard au ralentissement de la croissance, voire de la récession. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance par des politiques conjoncturelles appropriées lorsque cela est possible, et dans tous les cas par des réformes structurelles.

Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne ne boucle le risque bancaire et le risque souverain. On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan. De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les Etats, pris chacun séparément, pour prendre en charge le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’Etat espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur cet Etat et renforçait la boucle d’accélération des risques pré-citée.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif et essentiel d’une zone monétaire. Pourquoi ? Parce que, d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. En effet, il existe parfois une suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils s’aveuglent eux-mêmes. Une supervision au niveau européen est d’autant plus valable que nos banques sont aussi multi-nationales en Europe, afin d’assurer ainsi une homogénéité du contrôle prudentiel tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité. Mais l’argument central en faveur d’une supervision européenne tient au fait qu’il ne peut y avoir de solidarité acceptée sans supervision partagée. C’est pourquoi l’accord récent conditionnait la mise en place des autres éléments essentiels de l’Union bancaire.

Cette solidarité inquiète toutefois les banques en bonne santé parce qu’elles ont crainte d’avoir à pâtir de la situation des banques moins bien portantes. Or c’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. Au-delà des garanties de dépôts nationales existantes, des garanties de dépôts s’enclencheraient ainsi, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Cette solidarité interbancaire serait complétée par une solidarité entre les Etats de la Zone. Un système européen de résolution des crises, avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les Etats, devrait voir le jour pour éviter la seule recapitalisation des banques isolement par leur seul Etat donc pour mettre fin au deuxième cercle vicieux évoqué ci-dessus.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tousles problèmes de la zone euro ?

A elle seule, l’Union bancaire ne résoudra pas tous les problèmes, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Sera-t-il suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse à ce jour : le montant du fonds d’intervention – qui évidemment sera déterminant – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir.

L’annonce de cette Union bancaire, de même que les déclarations essentielles de la BCE précisant qu’elle pourrait intervenir, sous certaines conditions, de façon illimitée, en achetant la dette de certains Etats de la zone, ont permis de restaurer le calme sur les marchés financiers et d’aborder les problèmes de fond.
Pour résoudre durablement les dysfonctionnements de la Zone Euro, la mise en place nécessaire d’une Union bancaire doit encore être accompagnée de la création d’une Union de transferts budgétaires, qui implique à l’évidence une Union de supervision des budgets nationaux et une véritable coordination des politiques économiques des pays de la Zone.

Espérons que l’avènement d’une Union bancaire européenne complète soit proche et marque le début du sursaut européen.

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Crise de la zone euro et nécessaire union bancaire européenne

Je commencerai par une mise en perspectives. Les problèmes de la zone euro en ce moment viennent fondamentalement du fait qu’elle n’est pas complète, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire classique. Notamment, on ne sait pas très bien régler les divergences naturelles qui viennent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : il y a des pays qui se désindustrialisent, il y en a d’autres qui s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains pays. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on assiste à deux phénomènes d’accélération, deux boucles d’accélération, deux cercles vicieux. Le premier qu’on connaît bien évidemment, vient de ce que, lorsqu’on lutte intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance.

Cette boucle se met en place via le recul de la croissance – dû à l’augmentation des impôts et à la baisse des dépenses publiques – qui tend à contrecarrer les efforts de la réduction du déficit public . Ce phénomène renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu égard au ralentissement de la croissance, voire de la récession.
Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne en boucle le risque bancaire et le risque souverain.

On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan . De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les États, eux-mêmes isolés, pour prendre en compte le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’État espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur l’État et renforçait la boucle d’accélération des risques dont je viens de parler.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif d’une zone monétaire et elle en est essentielle. Pourquoi ? Parce que d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles étant parfois la suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils ne veulent pas voir les problèmes et qu’ils s’aveuglent eux-mêmes.

On parle souvent de « capture » (c’est un mot à la mode en ce moment) nationale du régulateur. Le fait d’organiser une supervision au niveau européen a l’avantage de supprimer cette question de capture et d’imposer à tous une qualité de supervision identique. C’est d’autant plus valable – c’est le deuxième argument – que nos banques sont aussi multinationales en Europe, et qu’il est beaucoup plus simple de ne pas se contenter de juxtaposer des régulations et des supervisions nationales et de se fier à une supervision directement européenne, quitte à ce qu’elle comporte évidemment des démembrements nationaux. Cela assure une homogénéité tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité de la supervision.

Le deuxième élément de l’Union bancaire européenne, c’est certainement une solidarité interbancaire au niveau européen. Mais cette solidarité inquiète les banques qui vont bien parce qu’elles ont peur d’être « embarquées » par les banques qui vont moins bien. C’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. C’est-à-dire qu’il pourrait y avoir, au-delà des garanties de dépôt nationales existantes, des garanties de dépôt qui s’enclencheraient, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Enfin, c’est le fait de mettre en place un système européen de résolution des crises avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les États, pour éviter la seule recapitalisation des banques par leur seul État isolé qui ne fait rien d’autre sinon d’aggraver la boucle que j’ai évoquée. Ce Fonds d’intervention direct pourrait intervenir directement comme on l’imagine auprès de banques de certains pays sans passer par l’État, ce qui briserait précisément ce cercle vicieux.

La fonction de l’Union bancaire européenne est donc de rassurer. Elle devrait permettre de rassurer les clients des banques fragiles de certains pays en difficulté et éviter les bank run. On est bien là dans la prévention des risques systémiques et tout à fait bien dans la régulation.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tous les problèmes de la zone euro ?

Non à elle seule, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Est-ce que ce sera suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse pour le moment : le montant des fonds d’intervention – évidemment, ce sera crucial – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir. Restons optimistes et espérons qu’il sera possible d’aller jusqu’au bout de la logique de l’union bancaire et de ses objectifs.

L’Union bancaire ne résoudra pas à elle seule les problèmes de fond structurels de la zone euro. Mais c’est un premier pas et un pas essentiel pour restaurer le calme et aborder les problèmes de fond. Il ne faudrait pas que l’Union bancaire soit un substitut à un fédéralisme plus poussé, d’autant plus que l’Union bancaire apporte de toutes façons une mutualisation du risque de la dette : s’il y a des fonds qui sont nourris par les États au niveau européen pour intervenir sur les banques, cela signifie que les États mutualisent une partie de la dette qui va permettre de résoudre le problème. Pourquoi pas ? Mais il faut que cela soit assumé ou assumable, et que cela ne serve pas à éluder la question de la mise en place nécessaire d’une union de supervision et de transferts budgétaires qui comprenne également une véritable coordination des politiques économiques. On peut espérer que l’Union bancaire européenne, qui a été décidée, marquera le début du sursaut européen.

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Les effets probables du nouvel environnement réglementaire et financier des banques sur l’épargne et le financement de l’économie

En remarque préliminaire, je souhaiterais revenir sur un propos de mon prédécesseur à la table ronde. Je ne crois pas que l’on puisse affirmer que la seule épargne utile à l’économie soit celle qui s’investit directement sur le marché des actions. Pour financer l’économie, il y a les actions, mais également le crédit. L’épargne placée pour partie en assurance-vie est ensuite réinvestie par les assureurs dans les actions mais également et surtout dans les obligations (d’Etat comme d’entreprise). C’est un financement utile à l’économie. L’épargne placée directement dans le bilan des banques sert, quant à elle, évidemment à financer l’ensemble de l’économie : les ménages, les professionnels, comme les entreprises. Elle est essentielle et incontournable pour un bon financement de l’économie, la plupart des agents économiques ne pouvant en effet se financer que grâce aux crédits bancaires, puisqu’ils n’ont ni assez de visibilité, ni assez de surface pour émettre des titres sur les marchés financiers.

Je reviens d’abord brièvement sur l’évolution de l’épargne des ménages hors immobilier. En 2010, l’épargne placée dans le bilan des banques représente 30 % de l’épargne totale des ménages. Le chiffre des encours est assez stable sur cinq ans, puisqu’en 2005 ce chiffre s’élevait à 34 %. Ce chiffre recouvre les livrets (hors livret A, replacé à la Caisse des Dépôt à hauteur des deux tiers pour financer le logement social), les plans d’épargne, les comptes à terme, etc. Le livret A lui-même représentait 5 % de l’épargne des ménages en 2005 et 6 % en 2010 ; l’assurance-vie, représentait 41 % en 2005 et 47 % en 2010 ; enfin les titres, aussi bien obligations, qu’actions ou OPCVM, représentaient 17 % en 2010 contre 20 % en 2005. On observe donc une assez grande stabilité des comportements d’épargne, due en partie à l’assez grande stabilité de la fiscalité sur les revenus de l’épargne.

Le taux d’épargne, quant à lui, me paraît moins déterminé par le niveau des taux d’intérêt que par l’évolution de la conjoncture et de la confiance des ménages. En revanche, la composition de l’épargne dépend assez fortement de l’évolution dela courbe des taux d’intérêt (taux courts, taux longs) et évidemment de la fiscalité. L’évolution écenter le montre bien. La montée des dépôts à vue enregistrée l’année dernière est ainsi liée à la faiblesse des taux d’intérêts courts, gommant la différence avec la rémunération des livrets.

Les livrets A ont monté à leur tour dans la foulée de la remontée du taux en juillet. Les PEL ont remonté à la suite au réajustement de leur taux. Dans l’assurance-vie, on a assisté à une baisse de la collecte au premier trimestre 2010, de l’ordre de 40 %. La baisse des taux offerts par l’assurance-vie l’a rendue moins attractive par rapport aux autres placements. De plus, a pesé dans le choix des ménages l’incertitude sur la fiscalité de l’assurance-vie. Enfin, on assiste depuis 2009 à une reprise des montants placés sur les actions et obligations. Cette reprise reste modeste par rapport aux niveaux antérieurs, les Français ayant été détournés, par les crises financières successives,des placements en actions et obligations.

J’aimerais à présent dire quelques mots sur la réglementation prudentielle du secteur financier. De façon structurelle, la réglementation prudentielle de l’assurance-vie provoquera des changements certains dans le financement de l’économie, par les moindres montants qui seront placés par les assureurs-vie dans les actions, ce qui ne sera pas sans effet sur la croissance potentielle. La régulation des banques doit également être bien pesée. Chacun comprend qu’il est nécessaire d’assurer la sécurité du système financier national et mondial.

Il s’agit d’une nécessité absolue puisque de cette sécurité découle la capacité des économies à survivre. Il est donc légitime et utile de vouloir mieux réguler. Il convient néanmoins de prendre garde, dans les choix de régulation des assureurs comme des banques, à ne pas empêcher tout e prise de risque. En effet, si l’on empêche tout risque, on s’expose à la possibilité de figer toute l’économie.

A cet égard, il est intéressant de noter que ces nouvelles régulations ne concernent que la vingtaine de grandes banques américaines, alors qu’il en existe des multitudes de taille plus modeste. Les nouvelles régulations concernent en revanche toutes les banques européennes. En Asie, Bâle III ne semble pas être un fort sujet de préoccupation pour les banques. Attention donc que l’application très stricte de la régulation en Europe, si cette régulation s’avéraittrop « risk adverse », n’y freine exagérément la croissance.
Bâle III comporte deux volets.

Le premier repose sur l’augmentation des capitaux exigés en fonction du niveau des engagements des banques. Cette exigence peut probablement être satisfaite par les banques, sans fortes conséquences macro-économiques, même si elle suppose des efforts certains et en particulier de mettre en réserve davantage de résultats. Cette exigence renforcée semble saine et nécessaire pour mieux prévenir d’autres crises financières.

Le deuxième volet a trait à deux nouveaux ratios dits de liquidité. Ces derniers seront applicables à partir de 2015 ou 2018, mais seront mesurés dès 2012. Ils visent d’une part à accroître dans de fortes proportions la nécessité de détenir l’épargne des clients dans les bilans bancaires pour pouvoir faire crédit, en diminuant ainsi le recours des banques aux marchés financiers et au refinancement auprès des Banques Centrales. D’autre part, à limiter la transformation de ressources à court terme financiers ou d’épargne en crédit à moyen ou long terme.

Or les conséquences de l’application de ces deux ratios paraissent en l’état un peu étranges au regard de l’analyse de la crise précédente. La crise que nous venons de vivre est celle notamment de la titrisation mal faite : les banques, notamment anglo-saxonnes, ont voulu se débarrasser des crédits parfois insuffisamment prudents et ont eu recours à des supports de titrisation vendus à des personnes physiques ou morales qui n’en comprenaient bien souvent ni le fonctionnement ni surtout le contenu. Par une ironie de l’histoire que je n’ai pas le temps d’expliciter ici, de très nombreuses banques et assureurs dans le monde entier ont fini par détenir ces actifs toxiques.

Une incertitude totale quant à la solvabilité de chacun est alors apparue et a provoqué une crise de liquidité majeure, personne ne voulant plus prêter à personne. Aujourd ’hui, les ratios de liquidité imposés par la nouvelle réglementation mettent en avant le risque de fuite des déposants. Or ce risque n’a absolument pas été constaté en France. Je ne prétends pas qu’il faille négliger ce risque. Mais, on peut penser que ces ratios, de par leurs effets induits, rendront plus rares et / ou plus chers les crédits, et inciteront en France les banques à titriser bien davantage.

En outre, ces nouveaux ratios réduiront une partie de l’utilité économique réelle des banques en limitant leur transformation de ressources à court terme en crédits à moyen et long terme. En effet, aussi bien les ménages que les entreprises pour des raisons évidentes préfèrent placer leur argent à court terme et emprunter à moyen-long terme, ce qui rend économiquement nécessaire la transformation bancaire, car les marchés financiers ne peuvent que très imparfaitement remplir ce rôle.

Ainsi, les nouveaux ratios de liquidité pourront avoir deux conséquences. Premièrement, les banques devront titriser davantage, alors qu’elles ne le faisaient pas ou très peu auparavant en France, ce qui peut sembler paradoxal. Deuxièmement, le coût de l’épargne longue, plus recherchée, tendra à augmenter, avec le risque d’un renchérissement du crédit, voire d’une baisse de l’activité de crédit des banques, si l’épargne ne se déplaçait pas suffisamment vers les bilans bancaires. Ces évolutions auraient évidemment pour conséquence un ralentissement de l’économie, toute chose égale par ailleurs.

Les banques françaises seraient en outre parmi les plus défavorisées dans le monde par la nouvelle réglementation. En effet, elles sont celles dont l’activité de titrisation était la plus réduite et dont l’épargne était la plus désintermédiée (du fait du poids de l’assurance-vie, de l’épargne réglementée et des OPCVM monétaires). Les banques françaises seraient ainsi parmi les plus mal placées au regard des nouveaux ratios de liquidité, alors même qu’elles sont de celles qui ont le mieux résisté à la crise et qu’elles n’ont rencontré aucun problème de retrait de dépôt. Les conséquences sur le financement de l’économie, donc sur la croissance, pourraient donc être non négligeables.

REPONSE AUX QUESTIONS

Olivier Klein

Je ne répondrai pas à toutes les questions, mais je donnerai quelques idées qui peuvent éventuellement venir en réponse à certaines de ces questions.

Je ferai d’abord, et j’espère que vous m’en excuserez, un plaidoyer pro domo. L’épargne, depuis la globalisation des marchés financiers, est naturellement tant potentiellement que réellement internationale ; mais il existe aussi une épargne nationale. Quand vous placez vos économies dans une banque régionale, cette dernière prête dans sa région. Or je représente ici 37 banques régionales. Toutes les Banques Populaires et toutes les Caisses d’Epargne financent l’économie de leur région à hauteur de 100 % de l’épargne reçue. Il ne faut pas oublier ces circuits courts de financement.

Je suis d’accord avec une partie des propos de Monsieur Sterdyniak concernant l’instabilité financière, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec ses conclusions. Il existe une instabilité financière intrinsèque. Elle est évidemment perturbante pour la croissance économique. Dès lors, il me semble qu’il est nécessaire que les régulateurs essaient de lutter contre cette instabilité.

Cependant, la régulation prudentielle ne peut pas à elle seule répondre à cette instabilité. Il faut aussi prendre en compte la dimension du court ou long termisme dans lequel se placent les acteurs financiers. Les marchés financiers sont essentiellement court-termistes, pour des raisons qui sont liées intrinsèquement à l’incertitude radicale quant au futur dans laquelle se placent les acteurs, tout aussi bien qu’à leurs règles et contraintes de jeu. En revanche, on peut lutter contre ce phénomène par la fiscalité de l’épargne, si l’on parvient à airef en sorte que cette dernière favorise le long terme par rapport au court terme. Pour favoriser des placements à long terme et faire en sorte qu’ils soient stables et ne « tournent » pas sans cesse, il n’est pas anormal de privilégier les personnes qui placeront sur des fonds de long terme, à rotation lente, ou qui choisiront des types de placements qui permettent des financements longs.

Enfin, pour favoriser la croissance, il faut assurer une stabilité de l’environnement financier, mais aussi maintenir la capacité d’une économie à prendre des risques. Je suis d’accord avec Monsieur Sterdyniak sur le fait que le crédit compte et comptera très majoritairement dans le financement de l’économie, par rapport aux marchés financiers. Les nouvelles règlementations prudentielles doivent ainsi prendre garde de ne pas favoriser, par effets induits, une marchelisation accrue de la finance.

Cependant, une économie a aussi besoin d’une capacité à prendre un niveau de risque suffisant pour permettre cette croissance. Le crédit ne peut pas toujours financer des entreprises innovantes ou des start-ups, tout simplement parce qu’une sur deux périclite dans les cinq ans de leur création et que les marges de crédit ne peuvent pas être suffisantes pour couvrir ce type de risque.

Ces entreprises ont donc besoin de capitaux propres. L’investissement dans ces entreprises innovantes peut ainsi être incité par la fiscalité puisque la part de risque prise est beaucoup plus élevée, notamment dans le cadre d’entreprises naissantes et pointues. Dans le même temps, il ne faut pas déresponsabiliser les acteurs qui financent ces entreprises. Même s’il convient de les aider, ils doivent demeurer co-responsables du risque qu’ils prennent.

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Banque Politique Economique

Les rôles traditionnels et les nouveaux rôles des établissements de crédit. Le point sur Bâle III.

J’aimerais revenir sur le rôle fondamental des banques et définir ainsi ce qu’elles devraient être, en faisant attention à ce que les nouvelles réglementations en cours d’élaboration préservent bien cette possibilité. Les banques commerciales ont deux rôles fondamentaux dans l’économie : l’intermédiation et la transformation. L’intermédiation consiste à faire en sorte que, par l’emprunt auprès de ceux qui épargnent et par le crédit auprès de ceux qui empruntent, la banque, par son bilan, permette à l’épargne de trouver les besoins de financement de l’économie.

C’est-à-dire qu’elles orientent l’épargne vers l’économie et pas vers les bas de laine ; je vous rappelle que la France dispose d’un système totalement bancarisé depuis quelques décennies seulement. Ayant vécu dans des pays peu développés, j’ai observé des systèmes non bancarisés, avec des habitants qui placent leur épargne dans des animaux qui engendrent des petits, comme l’argent produit des intérêts. Cette épargne n’était naturellement pas mobilisée au service de l’industrie ou du commerce.

Ce rôle fondamental semble simple. Il contribue au fonctionnement de l’économie en mobilisant l’épargne là où il le faut, beaucoup plus que les marchés financiers – qui sont néanmoins nécessaires –, car ils ne peuvent être utilisés que par les personnes les plus compétentes. Sur ces marchés, seules peuvent emprunter les entités ayant une surface suffisante pour donner suffisamment d’informations de façon à pouvoir être choisies par les épargnants.

Si le commerçant de la rue, l’emprunteur qui achète un bien immobilier ou la PME n’ont pas la capacité de faire connaître suffisamment ce qu’ils sont et leur profil de risque (c’est le cas la plupart du temps), ceux-ci n’auront aucune chance de pouvoir émettre des titres sur le marché financier. La banque joue ce rôle à la fois simple, fondamental et historique dans le fonctionnement de l’économie en la nourrissant et en l’irriguant.

Pour aller plus loin et en utilisant la théorie économico-financière qui explique les crises – et non pas celle qui nie l’existence de crises et considère que le marché s’autorégule en permanence –, nous pouvons expliquer que, entre l’emprunteur et le prêteur, le degré d’information n’est pas le même. De ce fait, les rationalités théoriques s’en trouvent faussées. Or, la banque est un organisme qui gère l’asymétrie de l’information et qui permet de la réduire. Un client fait a priori confiance à sa banque, car il ne peut pas étudier chaque emprunteur lui-même ; par conséquent, il confie à sa banque le soin d’étudier la somme des emprunteurs et de procéder à des sélections pour placer son argent en prêtant à des personnes qui sont censées pouvoir rembourser.

Par définition, les banques commerciales se spécialisent dans l’analyse de leurs clients et réduisent l’asymétrie de l’information par leur professionnalisme, par la relation longue avec leurs clients et par la gestion des flux qui renseigne sur la situation exacte des personnes. Cette réduction de l’asymétrie de l’information est cruciale pour l’économie et elle forme un rôle original que seules les banques peuvent jouer. Les agences de notation sont censées assurer cette fonction, ce qu’elles font avec les difficultés que nous connaissons et au profit des personnes pouvant les payer, c’est-à-dire les grandes entreprises et les grands emprunteurs. De plus, ces acteurs n’abaissent leur note qu’à l’apparition du risque.

Par ailleurs, la banque gère sa relation avec le client en le monitorant, ce qui implique une relation de type pédagogique. La banque a le devoir de conseiller son client afin qu’il ne s’endette pas trop, ce qui serait contre-productif. De nombreux clients ne savent pas forcément bien gérer leur budget – quel que soit leur niveau de revenus – et il est essentiel que le banquier fixe à son interlocuteur des limites lui permettant de se maintenir dans les zones de solvabilité.

À ce titre-là, je voudrais aborder la titrisation. Si nous vivons une titrisation débridée telle que celle que nous avons connue aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons, l’intérêt pour les banques réside dans la possibilité, à capitaux propres constants, de prêter plus. En effet, si Bâle II impose une quantité de crédits maximale en fonction des capitaux propres des banques, la titrisation leur permet d’ôter les dettes de leur bilan et, donc, de contracter plus de crédits. Si ce système peut être utile à l’économie, il induit une perversité, car il augmente l’asymétrie de l’information dans la mesure où les acheteurs ne sont pas bien informés du contenu des véhicules de titrisation.

En outre, le comportement des banques qui titrisent n’est pas tout à fait acceptable – les Anglo-Saxons parlent de moral hazard –, car elles ne conservent pas le risque qu’elles sont censées prendre, en s’en déchargeant, et elles abaissent ensuite leur niveau de sélectivité de crédits éventuellement mal remboursés, comme les fameux subprime.

En résumé, les banques américaines ont accordé des crédits qu’elles ne gardaient pas dans leur bilan, car elles les revendaient à des investisseurs, ce qui leur permettait d’accorder des crédits à des personnes incapables de rembourser ; ce que certains ont plaisamment appelé les crédits « ninja » : no income, no job, no asset (ni revenu, ni emploi, ni patrimoine). De plus, le client n’avait parfois aucun document à fournir. Grâce à la titrisation, les banques qui accordaient de tels crédits n’en assumaient pas les risques. Bien sûr, ce système ôte de plus aux banques le rôle de monitoring puisque l’effort consistant à conseiller les clients devient inutile, étant donné que les banques ne subiront pas les conséquences d’une éventuelle défaillance.

Attention à ce que la réglementation ne permette pas un renouveau de la titrisation sans changement, ce que les banques américaines attendent avec impatience ; Bâle III pourrait y contribuer si nous n’y prenons garde. Dans cette hypothèse, il faudrait au moins standardiser, clarifier et rendre transparente la titrisation, tout en obligeant les banques à conserver dans leur bilan une partie du risque, ce qui les contraindrait à un comportement « moral ».

Les banques ont un autre rôle économique : la transformation. Attention, là aussi, à ce que la réglementation n’amoindrisse pas ce rôle, ce qui serait grave pour l’économie. Les épargnants préfèrent placer à court plutôt qu’à long terme ; c’est la raison pour laquelle ils exigent des taux d’intérêt à long terme plus élevés pour rémunérer le sacrifice auquel ils consentent en optant pour le long terme qui les prive de liquidité.

Les emprunteurs, quant à eux, préfèrent emprunter sur le long terme. Les banques contribuent à réunir ces publics aux aspirations différentes en transformant les échéances : elles empruntent court et prêtent long. Bien sûr, cela leur fait courir un risque de liquidité et un risque de taux d’intérêt. Si, par malheur, la réglementation impose aux banques de bien moins s’exposer à ces risques, il est inéluctable que ces derniers seront transférés aux emprunteurs et aux épargnants (ménages et entreprises) qui, pour la plupart, ne sauront pas les gérer.

Les banques prennent des risques de liquidité : si les épargnants voulaient retirer leur épargne rapidement alors que cet argent est prêté à long terme, les établissements seraient en grande difficulté. C’est la raison pour laquelle il peut exister des ratios réglementaires de liquidité qui sont nécessaires ; attention néanmoins à ce qu’ils permettent demain aux banques de continuer à poursuivre cette activité de transformation.

Le marché peut-il remplacer les banques à ce titre ? Bien sûr. Lorsque nous achetons un titre long, par exemple obligataire, il est possible de le revendre le lendemain au prix d’un risque de liquidité. Les théories financières traditionnelles ont toujours affirmé que le marché et la liquidité étaient parfaits, mais c’est absolument faux : comme nous l’avons vu au cours de ces deux dernières années, la liquidité est un phénomène purement autoréférentiel et, en réalité, le marché reste liquide aussi longtemps que les gens pensent qu’il est liquide. Si les investisseurs commencent à craindre la liquidité, tout le monde veut vendre au même moment, plus personne ne veut acheter et la liquidité disparaît, entraînant un effondrement du marché. Le marché n’est pas garant d’une quelconque liquidité. Les banques gèrent ce risque pour le compte de la collectivité.

Par ailleurs, les établissements gèrent un risque de taux d’intérêt. Si elles prêtent à taux fixe – ce qui est assez courant dans l’économie française – aux ménages et aux entreprises pour leur éviter ce risque, les effets sur le compte de résultat de la hausse des taux courts sont importants. Les banques gèrent ce risque et il est normal qu’elles puissent exercer ce métier qu’elles pratiquent au nom de la collectivité. Là aussi, les marchés peuvent assumer cette fonction : mais en cas de hausse des taux, la revente d’une obligation à long terme impose une moins-value. La banque assume ce risque à la place de l’épargnant.

La titrisation conduit à transférer les risques de taux et de liquidité sur les ménages et les entreprises. Cela n’améliorerait pas le bien-être des épargnants ni celui des emprunteurs, si la titrisation devait se répandre bien davantage.

Traditionnellement, les banques françaises et d’Europe continentale exercent ce métier de transformation et d’intermédiation convenablement. Les banques régionales que je représente ici ont toujours transformé l’épargne en crédit au sein des territoires français.

La crise n’est pas venue des banques françaises, mais de la survenance d’une situation de quasi-surendettement des ménages dans plusieurs pays. Face à une mondialisation accroissant l’offre mondiale et qui ne permettait pas d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés des pays développés, pour assurer un niveau de consommation suffisant et ne pas laisser une crise de surproduction éclater, les ménages se sont surendettés, notamment aux Etats-Unis, en Angleterre, en Espagne. Dans le même temps, les banques ont accompagné ce surendettement ; mais dans la mesure où elles titrisaient, elles n’étaient plus responsables des risques qu’elles prenaient.

Comme l’a dit Jean-Philippe Thierry, la réglementation doit tenir compte de la trop grande fragilité des banques. J’observe néanmoins que Bâle II n’était pas appliqué aux Etats-Unis ; je suis donc favorable à l’adoption d’un Bâle III, à condition que les banques américaines, qui ont été les plus fragiles et ont fait faillite par centaines, appliquent les ratios de Bâle II. Par ailleurs, s’il est exigé des banques un niveau de fonds propres plus élevé par rapport à l’encours des crédits ou des risques qu’elles portent, j’observe que les banques françaises n’ont pas été prises en défaut de ce point de vue. De plus, la mise en place d’une telle décision ne peut être réalisée en cette période de crise, car elle conduirait les banques à prêter moins ; c’est la raison pour laquelle l’application de Bâle III n’est pas prévue avant 2013.

J’estime pour ma part qu’il ne faut pas pénaliser les banques qui produisent du crédit. Comme cela a été proposé, il conviendrait d’augmenter le ratio de capitaux propres pour les banques qui prennent des risques de marché. C’est bien sûr les activités de marché pour compte propre pour lesquelles il faudra augmenter le ratio de l’exigibilité de capitaux propres, mais attention à ne pas pénaliser le crédit, sous peine d’entrer en contradiction profonde avec l’effet recherché.

Pour conclure, j’estime que Bâle II a des qualités et des défauts. Parmi ces derniers, citons la procyclicité des normes : les banques ont l’obligation de disposer, selon les quantités engagées, de capitaux propres en fonction des risques de marché et des risques de crédit auxquels elles s’exposent. Mais ces quantités sont pondérées par le niveau de risque pris ; or, la mesure du risque est en général effectuée par la mesure du risque des deux dernières années. En réalité, il s’agit de gestion dans le rétroviseur : plus l’économie s’améliore, plus les risques de marché et de crédit s’amenuisent, ce qui augmente mécaniquement la quantité de crédit ou de risque de marché possible pour des capitaux propres identiques. Cette économie développe l’endettement en incitant les ménages et les entreprises à emprunter davantage, encouragés par l’amélioration de la situation. Cette procyclicité avérée conduit à une situation explosive, car le crédit et les risques de marché se développent trop vite.

Inversement, en situation de crise, le niveau de risque mesuré augmente. Par conséquent, les capitaux propres exigés des banques sont plus élevés pour une quantité de crédit ou de risque de marché identique : étant donné qu’elles ne peuvent pas augmenter leurs capitaux dans une telle conjoncture, les banques distribuent moins de crédit ou soldent leurs positions de marché et aggravent la crise.
Il faut donc remédier à cette procyclicité, les propositions de Bâle III s’y attachent avec les coussins anti-cycliques.

En outre, il est demandé à juste titre de développer le provisionnement dynamique ; les normes IFRS interdisaient aux banques de le faire, alors que le provisionnement du risque leur aurait permis de pouvoir faire face à l’émergence du risque tout en évitant une pénurie de capitaux propres. Les décideurs devront mener cette démarche de modification des normes prudentielles et comptables à son terme.

Enfin, si par malheur il était demandé aux banques de disposer de la totalité des crédits engagés sur plus de cinq ans sous forme de dépôts bancaires de plus de cinq ans, ce que la Banque de France et l’ACP ne souhaitent pas, le métier bancaire perdrait une partie de son sens et la titrisation deviendrait reine : nous obtiendrions ainsi l’effet exactement inverse de notre objectif de départ.

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Sortir du cercle vicieux bancaire

La crise financière et économique conduit nombre de banques dans le monde à connaître des pertes. Or elles ne peuvent lever de nouveaux fonds propres sur le marché financier car les investisseurs craignent que la santé des banques ne se détériore encore. Afin de respecter leur ratio de solvabilité (Bâle 2), elles sont donc contraintes de réduire leurs engagements, pour les faire revenir au multiple maximum réglementaire (12.5 fois) de leurs capitaux propres. Les Etats interviennent alors en entrant directement au capital des banques, suppléant ainsi le marché, et contrecarrent ainsi au mieux un crédit crunch qui serait sinon inéluctable.

Si cet enchaînement est bien connu, Bâle 2 en provoque un autre moins bien perçu, pourtant dangereux. Même lorsque les banques ne sont pas en pertes, par gros temps elles sont conduites à réduire leurs crédits et leurs positions sur les marchés. La crise financière et économique induit en effet une augmentation de la valeur calculée des engagements au bilan des banques. Il s’agit pas en l’occurrence des engagements nominaux, mais des engagements pondérés par le risque qu’ils représentent (Risk Weighted Assets : RWA).

Ce risque est mesuré par la volatilité, pour les positions sur les marchés financiers, et par la probabilité de défaut, pour les crédits. Dans les 2 cas, le calcul du risque est fondé sur les événements du passé récent. La constatation de la baisse du prix des actifs financiers et de l’augmentation de leur volatilité accroît, en effet, la valeur des engagements pondérés par leur risque et entraîne du même coup une augmentation du niveau exigible de fonds propres. De même, la dégradation de la notation des emprunteurs due à la crise économique accroît-elle mécaniquement la valeur des crédits des banques pondérés par leur risque, donc à nouveau leur besoin de fonds propres.

Or, si parce que le marché des actions ne le permet pas comme aujourd’hui, les banques ne peuvent procéder à des augmentations de capital pour rétablir leur ratio, elles ne peuvent que réduire leurs positions sur les marchés, en vendant une partie des actifs financiers qu’elles détiennent. Ce faisant, elles aggravent la baisse des marchés et leur volatilité, provoquant ainsi une nouvelle augmentation de leur valeur en risque. De même du côté des crédits, elles ne peuvent que réduire leurs prêts, renforçant alors la gravité de la crise économique et, de fait, aggravent ainsi la fragilité des acteurs économiques, donc la valeur en risque des encours de crédits existants. C’est là que le cercle vicieux se boucle parfaitement !

Bien entendu, face à ce risque de dégradation sans fin du prix des actifs et de l’économie, les Etats ont heureusement réagi très rapidement en investissant directement au capital des banques ou en garantissant certains de leurs actifs risqués, voire en rachetant directement ces actifs.

Cela est absolument nécessaire et salutaire, mais l’action qui contribuerait à rompre ce cercle vicieux au moment même où il se forme serait de réviser d’urgence les modes de calcul des engagements en risque des banques, en faisant cesser leur inquiétante pro-cyclicité, puisqu’ils sont largement fondés sur les risques récemment constatés. Ou bien, en conservant les mêmes méthodes, de moduler de façon anticyclique le niveau de capitaux propres exigés en face des engagements ainsi calculés. Alors qu’aujourd’hui, lorsque l’économie et les marchés vont bien, avec des capitaux propres inchangés, les banques peuvent prendre de plus en plus de risque, renforçant ainsi la possibilité d’un emballement. Et inversement en cas de retournement de la conjoncture et des marchés. Il serait évidemment préférable, eu égard aux mécanismes vus ci-dessus, d’exiger progressivement plus de capitaux propres lorsque tout s’améliore et a minima un maintien au même niveau lorsque tout se dégrade comme aujourd’hui.

Cette réforme nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, nécessite un accord international (Bâle 2 en est un), alors que les Etats interviennent nationalement. C’est pourquoi aujourd’hui, la profondeur de la crise commande aux Etats d’agir sans attendre. Cependant, avec un parallélisme certain, les normes IFRS, elles-mêmes fortement pro-cycliques, ont bien été assouplies dès la fin de 2008. Or l’urgence d’une révision des normes d’exigence de capitaux propres bancaires s’impose également.

La nationalisation progressive des banques ou l’investissement à leur capital de fonds empruntés par les Etats eux-mêmes sont évidemment indispensables, mais ne peuvent être une solution de long terme. Il faut y associer a minima une réforme structurelle du calcul des Fonds Propres bancaires exigés par Bâle 2.