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Politique Economique

La nécessité des réformes structurelles

Conférences introductives à la 4e édition des Nocturnes de l’économie, tenue le 20 mars 2018, à l’Université de Créteil, par Agnès Bénassy Quéré et Olivier Klein.

Ci-dessous la retranscription de celle d’Olivier Klein.

Les réformes structurelles sont souvent mal comprises parce que peut-être mal définies ou parce que c’est un concept trop flou. En réalité, elles ont pour objet d’augmenter le potentiel de croissance d’une économie. Elles n’imposent pas d’abaisser les niveaux de salaire et de protection sociale par des politiques d’austérité. Et souvent, il y a des confusions entre ces démarches.

Pourquoi est-il indispensable d’augmenter le potentiel de croissance de la France par exemple ? D’abord, bien entendu, pour abaisser le taux de chômage structurel. À environ 8,5 %, le niveau de chômage structurel français est terriblement élevé. Et lorsque l’économie va nettement mieux, comme en ce moment, on a du mal à baisser en dessous de 9 %. Alors que l’Allemagne, par exemple, est à moins de 4 % de taux de chômage.

Prenons de plus le taux de chômage des jeunes, il est structurellement en France d’environ 25% pour les 15-24 ans, alors qu’il est de 7 % en Allemagne. Il y a donc quelque chose qui ne va pas et qu’il faut considérer.

Je ne ferai des comparaisons pendant mon court exposé qu’avec des pays de la zone euro pour prendre des structures sociales comparables et non des pays qui ont des structures sociales très différentes des nôtres.

La deuxième raison d’augmenter le potentiel de croissance d’une économie est évidemment d’assurer un meilleur profil de solvabilité de l’État et des services publics. Et par là même, bien sûr, d’accroître la soutenabilité de la protection sociale et des retraites.

En outre, les économies développées ont à faire face à deux révolutions : la révolution de la mondialisation – qui date maintenant de plus de vingt ans, mais qui s’est accrue largement à partir de 2000 – et la révolution technologique de la digitalisation et de la robotisation. Au total, dans les économies développées, dans le futur, il y aura évidemment de moins en moins de travail répétitif, de moins en moins de travail à faible valeur ajoutée, de moins en moins de travail qui correspond à des faibles formations. Et si ce travail-là disparaît, deux possibilités de réaction s’offrent dans les pays développés. La première est d’essayer de baisser le coût du travail, les salaires, les protections sociales, donc faire des politiques d’austérité pour retrouver de la compétitivité. La seconde est d’essayer d’améliorer le rapport qualité/prix en allant chercher évidemment ce qui fait tout l’intérêt de l’économie de la connaissance, ce qui fait la valeur ajoutée de la production de biens et services, les innovations. C’est ce que j’appelle sortir par le haut.

Et pour sortir par le haut, pour améliorer le rapport qualité/prix, c’est-à-dire pour aller chercher la valeur ajoutée et se distinguer par l’innovation des pays qui font cette mondialisation, comme les pays asiatiques par exemple, il n’y a qu’une seule possibilité : faire des réformes structurelles pour améliorer le rapport qualité-prix par l’innovation et la recherche de la meilleure valeur ajoutée de la production, soit pour obtenir le bon positionnement en gamme des produits et services fabriqués.

C’est donc la troisième raison d’en mener, totalement liée aux deux premières raisons, bien entendu.

Un exemple très simple,  lié à la crise de la zone euro. Au moment de cette crise, les pays du Sud ont connu ce qu’on appelle en économie un « Sudden Stop », c’est-à-dire une crise de non-financement brutale du déficit de leur balance courante. Les pays, pris par l’urgence du rééquilibrage de leurs exportations et de leurs importations, ont été dans l’obligation de freiner brutalement leurs dépenses, leur consommation comme leurs investissements, pour desserrer l’étau de la contrainte extérieure, au prix d’un abaissement de leur niveau de vie par des politiques d’austérité.

On a mieux compris alors qu’il y avait trois types de situations possibles dans la zone euro : celle des Allemands qui avaient construit progressivement, par des réformes structurelles réussies, une économie qui s’industrialisait et qui était fondée sur de la haute valeur ajoutée.

On avait l’Espagne qui, face à la catastrophe dans laquelle elle était au moment de la crise de la zone euro, de par une valeur ajoutée de son industrie plutôt faible et un endettement privé trop élevé, a eu comme seule solution de baisser fortement les salaires et la protection sociale, de façon à pouvoir retrouver davantage de compétitivité et de faire baisser rapidement ses importations et remonter progressivement ses exportations. Au prix d’un abaissement très significatif du niveau de vie. Ce qui d’ailleurs ne lui a pas mal réussi puisqu’aujourd’hui, d’un point de vue économique, elle s’en sort plutôt bien. Mais avec des conséquences dramatiques en termes de populisme et des conséquences innombrables en termes de chômage, de douleurs sociales, etc.

Et puis la France, qui est un peu au milieu des deux, qui a en réalité le coût du travail à peu près de l’Allemagne et qui a, en gros, une spécialisation industrielle qui n’est en moyenne guère plus qualitative que celle de l’Espagne. Et du coup, qui, jusqu’au changement de gouvernement et au lancement des réformes, était en train d’être enfermée dans les difficultés sans fin, avec une balance courante qui ne cesse d’être déficitaire, alors que quasiment tous les autres pays de la zone euro se sont rééquilibrés ou sont très excédentaires, et un déficit budgétaire permanent. Avec, en corollaire, un taux de chômage extrêmement élevé,  un taux d’emploi parmi les plus faibles, etc.

Les réformes structurelles dans un pays d’économie développée permettent d’éviter ces politiques d’austérité si on les réalise assez tôt. Si l’on n’attend pas d’être pris à la gorge au dernier moment, et contraint du coup d’adopter les politiques d’austérité pour retrouver de la compétitivité, mais par le bas et non par le haut.


Comme on le sait, le taux de croissance potentielle est, en résumé, l’addition du taux de croissance de la population disponible à l’emploi et des gains de productivité. Ce sont les deux forces essentielles qui conduisent à faire évoluer le taux de croissance potentielle vers le haut ou vers le bas. Augmenter les forces vives d’un côté et, de l’autre, les gains de productivité, accroît l’efficacité de l’économie et son potentiel de croissance.

Plusieurs réformes structurelles sont donc à mettre en place pour augmenter l’efficacité de l’économie

1) Améliorer le niveau de formation

Parce que dans une économie de la connaissance, il n’y a pas d’autres solutions pour les pays développés que d’essayer d’augmenter le niveau de formation. Et on sait à ce sujet que la France, à part pour ses élites, est en réalité en déclin. Elle se place mal dans tous les critères de comparaison de l’OCDE. Elle se place même de plus en plus mal. Ce qui est dangereux évidemment, parce qu’il y a une corrélation assez bonne entre le taux d’emploi dans les pays développés et le niveau de connaissances des jeunes qui ont 15 ans, qui est mesuré par des tests dans tous les pays de l’OCDE de la même manière. C’est le test PISA. Ou bien encore, le test PIAAC de l’OCDE également, qui mesure les compétences en termes de calcul utiles au travail et de capacité d’expression des personnes au travail. Et là aussi, la France se place assez mal et perd des places progressivement. Donc, son niveau de formation en réalité est en baisse et est trop bas par rapport aux pays les plus performants.

Il est donc essentiel de remonter ce niveau. De plus, la formation professionnelle en France, comme on le sait, n’est pas efficace. Elle ne s’adresse pas en priorité aux personnes qui en ont besoin et coûte très cher pour un rendu extrêmement faible. Ces deux points sont des priorités de l’actuel gouvernement.

J’ajoute, pour l’enseignement, qu’en France, ce n’est pas une question de moyens. Il y a peut-être une mauvaise répartition des moyens, mais ce n’est pas une question de moyens dans son ensemble. L’enseignement public en France représente 5,5 % du PIB alors que dans la zone euro, hors France, il représente 4,5 %. Or, il y a beaucoup de pays européens qui sont bien meilleurs que nous dans les classements de l’OCDE.

2) Le marché du travail

Le cloisonnement entre ceux qui ont du travail et ceux qui n’en ont pas est totalement inéquitable. Évidemment, le taux de chômage des jeunes est insupportable. Il faut faciliter la possibilité d’avoir du travail pour les nouveaux entrants. Il faut faciliter les passages de secteurs qui sont en déclin aux secteurs qui sont en croissance. Et tout le monde doit pouvoir dans sa vie être formé pour pouvoir changer de secteur économique quand il le faut. Il faut pour cela sortir du paradoxe incroyable de ce qui est le propre d’un chômage structurel : 9 % de chômage incompressible et un peu moins de la moitié des entreprises qui cherchent à embaucher aujourd’hui qui connaissent des difficultés pour embaucher, avec le retour de la croissance.

Voilà typiquement l’objet d’une réforme structurelle : Comment faire en sorte d’abaisser le taux de chômage structurel et de rendre le marché du travail plus efficace ? Une des réflexions possibles est la flexisécurité, comme ça a été fait dans les pays nordiques, pour redonner de la flexibilité en donnant une bonne sécurité à ceux qui recherchent activement un travail, tout en incitant au mieux à travailler. Et, à nouveau, en réformant la formation professionnelle pour la rendre efficace.

3) L’efficacité des administrations publiques

Il faut savoir que la France est sur le podium européen des dépenses publiques sur PIB comme des prélèvements publics sur PIB. Et que ses dépenses publiques comme ses prélèvements obligatoires sur PIB sont supérieurs d’environ 20 % à ceux de la zone euro hors France.

On pourrait relativiser ce fort décalage en constatant que l’administration publique produit efficacement et avec une grande qualité ses services ; mais les comparaisons de l’OCDE sur l’ensemble des services publics montrent que nous ne sommes, en termes de qualité des services publics, que dans la moyenne des pays comparés, alors que nous sommes je le rappelle, sur le podium des dépenses publiques en pourcentage du PIB. C’est donc un très fort manque d’efficacité.

Certaines études montrent par exemple que l’on pourrait économiser 6 à 10 milliards d’euros annuels sur la sécurité sociale en France, tout simplement en travaillant mieux et plus efficacement, sans l’empilement des structures qui peuvent exister ici et là.

Il faut savoir encore que la France a quasi 40 % de plus de prélèvements obligatoires sur les entreprises que les pays de la zone euro hors France. Évidemment, cela se ressent sur l’emploi. Même chose pour les cotisations sociales qui font partie des prélèvements obligatoires : les cotisations sociales payées par les entreprises sont d’environ 65 % plus élevées en France que celles des pays de  la zone euro hors France. Et le taux de cotisations sociales payé par les entreprises est en corrélation très forte avec le taux d’emploi. Donc, plus on a de cotisations sociales payées par les entreprises, moins le taux d’emploi est élevé. C’est une corrélation très robuste sur l’ensemble des pays de l’OCDE.

4) Les retraites

Les dépenses publiques de retraite en pourcentage de PIB sont d’environ 40 % plus élevées que celles de la zone euro hors France. Est-ce que les retraités ont une meilleure retraite ? À peine. Mais la différence se fait tout à fait sur autre chose. Le taux d’emploi des 60-64 ans en France est de 28 %, il est en Allemagne de 56,5 %, il est en Suède de 68 %. La démographie ne permet pas de supporter un taux si bas en France. Et, à l’évidence, on aura des difficultés d’équilibre de retraite tant que l’on ne résoudra pas ce problème. Et même si l’on a fait des progrès, il reste beaucoup de progrès à faire pour suivre l’évolution démographique et faire comme certains pays nordiques, par exemple : fixer l’âge de la retraite sur l’évolution de l’espérance de vie. L’espérance de vie après la retraite a considérablement monté entre les années soixante et aujourd’hui. Il y a évidemment un problème majeur spécifiquement français puisque l’on a réduit l’âge de la retraite et non pas reculé comme on aurait dû le faire et ainsi que l’on fait les autres pays. La réforme s’impose ici à nouveau.

5) L’innovation, la R&D et le rapport qualité / prix

Nous avons du retard en France dans la R&D privée, nous avons du retard dans la part des technologies de l’information et de la communication dans le PIB, et dans l’évolution de cette part, comme dans le nombre de brevets triadiques.

Que manque-t-il ? Le fait que nos entreprises en France, entre 2000 et 2014 environ, ont eu un taux de profit (sur PIB) qui a été légèrement déclinant, alors que tous les autres pays de la zone euro ont été à peu près en hausse, sauf l’Italie probablement. Et le profit sur PIB des entreprises en France est plus bas structurellement que celui des autres pays de la zone euro. Ce qui fait que si on ne laisse pas suffisamment d’argent aux entreprises pour pouvoir investir dans la recherche et développement et l’innovation, elles se contentent de ce qu’elles sont. Et si elles n’évoluent pas en termes de qualité de leur production et d’innovation dans le monde tel qu’il est, avec ses deux révolutions, la mondialisation et la digitalisation, elles sont évidemment moins capables d’être compétitives en rapport qualité/prix et moins capables d’employer.

Dernier point sur le rapport qualité/prix. La France a un prix de travail qui est sensiblement le même que celui de l’Allemagne, mais avec une qualité, une spécialisation des industries, une valeur ajoutée trop faibles. En moyenne naturellement. Il y a des entreprises qui sont à très forte valeur ajoutée. Ceci conduit la France à avoir un déficit de balance courante, alors que tous les autres pays de la zone euro sont en train de s’équilibrer ou sont excédentaires.

Il y a des raisons dues au mode de fonctionnement intrinsèque de la zone euro, certes, mais il n’y a pas que cela. Nous devons chercher chez nous les raisons majeures de notre taux de chômage à 9 %. Le déficit public qui n’a pas cessé d’exister depuis 1974 sans discontinuer. Et une dette publique qui n’a pas cessé de monter, pour atteindre 100 % du PIB aujourd’hui. La production industrielle en base 100 en 2002 en France est à 90 en 2017, alors que l’Allemagne est passée de 100 à 122. C’est-à-dire que la France a perdu 10 % de sa production industrielle, alors que l’Allemagne en gagnait 22%.

Voilà les effets de réformes structurelles très insuffisantes depuis bien longtemps. À court terme, c’est insoutenable. Soit il faut choisir de faire comme l’Allemagne, soit il faut choisir de faire comme l’Espagne. Je vous laisse comprendre ce qui me semble préférable !

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Politique Economique Zone Euro

EUROPE – « S’appuyer sur la dynamique actuelle pour renforcer l’Union économique et monétaire »

Retrouvez ci-dessous le programme complet de ce rendez-vous, ainsi que la transcription de mon intervention.

Bruxelles, lundi 9 avril (soirée) et mardi 10 avril (journée entière) 2018

Le nouveau contexte politique en Europe continentale né à la suite du vote en faveur du Brexit, de l’élection présidentielle française et de l’amélioration de la situation économique a créé une dynamique dont l’Union européenne devrait profiter pour mettre en œuvre des réformes. La zone euro reste toutefois la principale source de préoccupation. Il lui faut en effet devenir plus résiliente et se montrer capable de résister à n’importe quel choc externe asymétrique afin d’éloigner la menace existentielle qui continue de peser sur la monnaie unique.

Parmi les nombreuses propositions, la Commission européenne a récemment présenté une feuille de route traitant de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire européenne. La balle est désormais dans le camp du Conseil européen, dont la rencontre prévue les 28 et 29 juin prochains permettra de déterminer les décisions à adopter.

Cette réunion de l’Euro 50 Group, à quelques semaines du Sommet de la zone euro, se déroulera dans les locaux du Parlement européen et des responsables politiques y participeront. Elle constitue ainsi une excellente opportunité pour l’Euro 50 Group de contribuer au débat en analysant les principaux éléments manquants de l’architecture actuelle de l’UEM et, par conséquent, les réformes (y compris celles ayant une portée politique) absolument indispensables au cadre de l’UE pour que la zone euro soit pleinement développée et efficace.

Lundi 9 avril 2018 Lieu : BNP Paribas Fortis, 20 rue Royale, B-1000 Bruxelles

19 h 30

  • Dîner de bienvenue
  • Introduction : Alain Papiasse, Directeur général adjoint chez BNP Paribas
  • Intervenant invité : Poul Thomsen, Directeur du département Europe du FMI
  • Remarques par : Marco Buti, Directeur général des Affaires économiques et financières de la Commission européenne

Mardi 10 avril 2018 Lieu : Parlement européen – salle PHS3C050 60 rue Wiertz B-1047 Bruxelles

8 h 00 – 8 h 15 : Enregistrement

8 h 15 – 8 h 35 :

  • Discours de bienvenue
  • Edmond Alphandéry, Président de l’Euro 50 Group, ex-ministre de l’Économie de France
  • Lucio Vinhas de Souza, Responsable de l’Équipe Économie du Centre européen de stratégie politique de la Commission européenne

8 h 35 – 8 h 55 : Échanges de vues avec Domenico Siniscalco, Directeur général et Vice-président de Morgan Stanley et ex-ministre des Finances d’Italie sur « La situation politique italienne et ses répercussions potentielles sur la zone euro »

8 h 55 – 10 h 25 : Séance I – Un Fonds monétaire européen : dans quel but ?

Cette séance traitera des missions qui devront être attribuées au Fonds monétaire européen proposé et, par conséquent, de sa gouvernance et de sa responsabilité politique. Seront également abordés les problèmes d’intérêt commun qui ne relèvent pas encore du MES et qui devraient être traités par le FME proposé.

Président : Daniel Gros, Directeur du CEPS

8 h 55 – 9 h 10 : Intervenant invité : Klaus Regling, Directeur général du Mécanisme européen de stabilité

9 h 10 – 9 h 25 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Laurence Boone, Économiste en chef, Responsable mondiale du département Multi Asset Client Solutions et Responsable de la recherche chez AXA IM
  • Maria Demertzis, Directrice adjointe de Bruegel

9 h 25 – 10 h 25 : Table ronde

10 h 25 – 10 h 35 : Pause café

10 h 35 – 12 h 15 : Séance II – Les éléments manquants de l’Union bancaire

Cette séance portera sur les formalités et sur les aspects politiques et économiques de l’achèvement de l’Union bancaire, mais également sur la création d’une architecture bancaire plus résiliente.

Président : Stefano Micossi, Directeur général d’Assonime, Professeur honoraire du Collège d’Europe

10 h 35 – 10 h 50 : Intervenant invité : Andrea Enria, Président de l’Autorité bancaire européenne

10 h 50 – 11 h 15 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Dirk Cupei, Directeur général en charge de la stabilité financière de l’Association des banques allemandes
  • Lars Feld, Membre du Conseil allemand des experts économiques et Président du Walter Eucken Institute
  • Olivier Klein, Directeur général de la BRED, Professeur d’économie financière à HEC
  • Gilles Noblet, Directeur général adjoint des relations internationales et européennes de la BCE

11 h 15 – 12 h 15 : Table ronde

12 h 15 – 13 h 25 : Buffet / Déjeuner

12 h 55 – 13 h 15 : Intervenant invité : Jyrki Katainen, Vice-président de la Commission européenne à l’emploi, la croissance, l’investissement et la compétitivité

13 h 15 – 13 h 25 : Questions-réponses

13 h 25 – 14 h 55 : Séance III – Une intégration budgétaire est-elle nécessaire ?

Cette séance traitera du degré d’intégration budgétaire nécessaire afin de renforcer la zone euro et de la rendre plus résiliente aux chocs externes, mais également de faciliter la convergence et ainsi de préparer les États non membres de la zone euro à la rejoindre.
Président : Niels Thygesen, Président du Comité budgétaire européen, Professeur émérite d’économie internationale à l’Université de Copenhague

13 h 25 – 13 h 40 : Intervenant invité : Marcel Fratzscher, Président de l’institut de recherche économique DIW Berlin pour une présentation de la proposition des économistes franco-allemands : « Reconciling risk sharing with market discipline: A constructive approach to euro area reform » (Réconcilier partage des risques et discipline de marché : approche constructive de la réforme de la zone euro)

13 h 40 – 13 h 55 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Pervenche Berès, députée européenne
  • Otmar Issing, Président du Centre d’études financières à l’Université Goethe de Francfort
  • Charles Wyplosz, Professeur d’économie internationale à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève

13 h 55 – 14 h 55 : Table ronde

14 h 55 – 15 h 05 : Pause café

15 h 05 – 16 h 50 : Séance IV – Amélioration et renforcement de l’intégration financière

Cette séance abordera le problème de la mobilisation de l’épargne privée dans l’ensemble des États membres de l’UE, le sujet de la dette souveraine, y compris le traitement d’un défaut par le biais d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine, ainsi que la création d’un actif sans risque.

Président : Jakob von Weizsäcker, député européen

15 h 05 – 15 h 20 : Intervenant invité : Erik Nielsen, Économiste en chef mondial d’UniCredit, (sur la mobilisation de l’épargne privée dans l’ensemble de la zone euro)

15 h 20 – 15 h 35 : Intervenant invité : Lee Buchheit, Associé chez Cleary Gottlieb, (sur la restructuration de la dette souveraine)

15 h 35 – 15 h 55 : Panélistes (6 minutes par personne) :

  • Elena Daly, Spécialiste du conseil sur la dette souveraine et les marchés émergents chez EM Conseil (sur la gestion efficace de la dette publique en Europe)
  • Isabelle Mateos y Lago, Directrice générale du BlackRock Investment Institute
  • Miranda Xafa, Associée principale du CIGI (sur l’Union des marchés de capitaux)

15 h 55 – 16 h 45 : Table ronde

16 h 45 – 17 h 00 : Conclusion
Jacques de Larosière, Gouverneur honoraire de la Banque de France et ex-Directeur général du FMI


UNION BANCAIRE EUROPÉENNE – LES ÉLÉMENTS MANQUANTS

Transcription de la présentation d’Olivier Klein
Nous avons distingué deux boucles de rétroaction négative qui se trouvent au cœur de la crise majeure de la zone euro :

  • la première s’est nouée entre le déficit public et le taux d’intérêt de la dette publique ; et
  • la seconde est née de l’interaction entre le risque bancaire et le risque souverain. En réalité, la seule option à ce jour pour le sauvetage d’une banque reste l’intervention de son État.

Afin de rompre ces deux cercles vicieux nous devions nous fier :

  • principalement aux mesures de la BCE ;
  • à la finalisation du Mécanisme européen de stabilité (MES) ;
  • et, notamment pour ce deuxième cercle vicieux, à l’idée naissante de l’Union bancaire européenne (UBE), qui constituait également un moyen d’améliorer la durabilité de la zone euro.

Cette UBE a été créée en tenant compte de trois piliers :

  • 1er pilier : un Mécanisme de supervision unique, car aucune solidarité transfrontalière n’est possible sans une discipline partagée et une supervision commune de cette discipline.
  • Ce qui était, entre autres, nécessaire pour permettre le partage des risques transfrontaliers.
  • 2e pilier : l’instauration d’un Mécanisme de résolution unique afin de définir un cadre réglementaire en vue de permettre les résolutions ordonnées.
  • Notamment pour éviter que seuls les États soient en mesure de sauver leurs banques.

Ce pilier comprend :

  1. Une priorité : le renflouement privé.
    Pour empêcher que les contribuables ne payent en lieu et place des créanciers et des investisseurs qui ont pris de mauvaises décisions.
    Mais également pour lutter contre le risque moral.
    Un élément qui devait s’accompagner de fonds propres supplémentaires pour les banques (TLAC et MREL).
  2. La création du Fonds de résolution unique. Pour intervenir lorsque les solutions de renflouement privé ne sont pas suffisantes, et uniquement si elles ont déjà été mises en œuvre.
    Ce Fonds permet d’introduire un degré de solidarité au sein du secteur bancaire de la zone euro.
  3. Et pour finir, la Commission européenne a également proposé un soutien possible du Mécanisme européen de stabilité, c’est-à-dire la mise à disposition de fonds communs, en dernier recours pour finaliser la création du Fonds.
  • 3e pilier : le Système européen de garanties des dépôts.

L’objectif était d’harmoniser les systèmes transfrontaliers de garantie des dépôts.
Dans ces conditions, l’UBE aurait été complète et efficace.


Toutefois, même si tous les économistes et la plupart des acteurs politiques s’accordent pour dire que le processus doit continuer, il est actuellement bloqué, car certains États et certaines banques, dont la santé n’est pas préoccupante, craignent de sauver des systèmes bancaires nationaux en détresse, afin de ne pas entacher leur héritage, un point de vue compréhensible.
Mais est-ce vraiment une bonne solution ?
En fait, l’Union bancaire est dans l’ensemble peu satisfaisante, du moins pour ce qui est de la rupture du second cercle vicieux par le partage des risques.

  • Tout d’abord, le Système européen de garanties des dépôts reste bloqué au niveau national et le partage des risques est quasiment inexistant, contrairement à ce qui avait été initialement prévu.
  • Ensuite, il n’y a toujours pas eu d’intervention efficace du Fonds de résolution unique, même dans le cadre de la résolution récente de Banco Popular en Espagne et de celles de Veneto Banca et Banca Popolare di Vicenza en Italie. Pour cette dernière, les autorités italiennes ont annoncé que le renflouement privé n’était pas envisageable, car les répercussions sur l’économie de la région auraient été terribles, ce qui a conduit à la décision d’un sauvetage par l’État.
    D’une manière ou d’une autre, il semble que seules des solutions nationales aient été jusqu’à maintenant privilégiées.
  • Enfin, si un risque systémique important venait à se concrétiser, la mise en place d’un soutien final, si tant est qu’il y en ait un, reste incertaine.

Je crains qu’au lieu d’une Union bancaire claire et achevée, nous nous reposions sur la règle de « non-sauvetage », qui était souvent considérée, de façon dogmatique, comme l’unique solution :

  • avec la ferme intention de lutter contre le risque moral ;
  • mais également pour prendre en compte le véritable manque de solidarité.

Malheureusement, même si l’intention est louable, le fait de voir la règle de « non-sauvetage » comme la seule option possible présente un risque plus important. Pouvons-nous nous appuyer sur la règle de renflouement si la solidarité et le soutien final ne sont pas au rendez-vous ?
Je crains que non, mais pour quelles raisons ?

  • Premièrement, la règle de « non-sauvetage » pourrait fonctionner pour les risques bancaires isolés, mais pas pour le risque systémique.
  • Puis, même dans le cas d’un risque isolé, si l’UBE reste inachevée, la règle de renflouement privé peut entraîner un risque de contagion accru aux obligations bancaires voire aux dépôts.
  • Mais également en raison de la complexité et la variété des définitions de la requalification de dette.
  • Ensuite, est-il toujours préférable de faire payer les épargnants plutôt que les contribuables ? Les répercussions économiques et politiques sont-elles, dans tous les cas, moins importantes et moins douloureuses ? Les épargnants sont des particuliers ou des investisseurs institutionnels. Ces derniers cachent aussi des particuliers dans le rôle des investisseurs finaux.
  • De plus, une perte importante causée par le processus de renflouement pourrait créer un sentiment de panique à l’encontre des investisseurs institutionnels et ainsi accroître le risque systémique
  • En outre, le principe de renflouement augmente le coût de financement des banques, c’est-à-dire le coût des prêts.
  • Enfin, cela accentue clairement la procyclicité du financement des banques, car lorsque le contexte devient défavorable, les coûts de financement des banques augmentent, et inversement.

Ainsi, sous pression, la règle de renflouement privé comme unique solution peut davantage fragiliser le système et non renforcer sa résilience.

Par conséquent, une UBE inachevée pourrait de nouveau déclencher l’intervention d’un État. Cela signifierait que l’interaction tristement célèbre entre le risque bancaire et le risque souverain serait de retour, alors que l’une des principales motivations de la création de l’UBE était d’éviter cette boucle de rétroaction négative.

Pire encore, si nous nous retrouvons bloqués par la règle du « non-sauvetage » et que par chance, aucun sauvetage national n’est mis en place, cela pourrait s’avérer catastrophique.

Les interventions non conventionnelles de la BCE, qui ont sauvé la zone euro et stabilisé le système bancaire, ne dureront pas éternellement.


Pour conclure, les points que je tiens à souligner sont les suivants :
1- Il est évident que la lutte contre le risque moral est une nécessité fondamentale. Toutefois, si nous ne parvenons pas à achever l’Union bancaire et que nous ne détaillons pas assez les différentes solutions, nous pourrions nous retrouver dans une situation délicate, notamment en raison du risque de contagion.

2- Des règles et des avantages doivent certainement être mis en place ex ante si nous souhaitons éviter le risque moral. Cependant, si, malgré ces mesures, une crise majeure se produit, se borner à appliquer uniquement la règle de « non-sauvetage » pourrait faire empirer la situation et avoir des conséquences désastreuses. Il est approprié de lutter contre le risque moral ex ante et non lorsque cette crise majeure sévit déjà.

3- Évidemment, la solidarité est liée à la supervision commune et à la compensation des actifs bancaires passés des banques en faillite, mais seulement dans la mesure du possible. Et si la volonté de parvenir à une certaine solidarité tarde à se concrétiser, les craintes d’une zone euro inachevée pourraient revenir nous hanter.

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Conditions de sortie de la politique monétaire de la BCE

Lors d’une table ronde organisée par le cabinet CARLARA, Mme Mathilde LEMOINE, chef économiste d’Edmond de Rothschild Groupe, et M. Olivier KLEIN, directeur général de BRED Banque populaire, ont débattu des conditions de sortie de la politique monétaire de la BCE

Bulletin Quotidien – 16/04/2018

Le cabinet Carbonnier, Lamaze, Rasle & Associé (Carlara) a récemment organisé une conférence sur la sortie de la politique monétaire accommodante de la BCE, ses enjeux et ses défis autour de deux intervenants : M. Olivier KLEIN, directeur général de BRED Banque populaire, professeur d’économie et finance à HEC, et Mme Mathilde LEMOINE, chef économiste d’Edmond de Rothschild Groupe, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques.

Introduisant les débats, Me Edouard de LAMAZE, avocat associé co-gérant du cabinet Carlara, a rappelé les circonstances dans lesquelles celle-ci a vu le jour après qu’en 2008 ait éclaté la plus violente crise financière de l’après-guerre. S’ensuit, a-t-il rappelé, une crise de liquidité majeure, des faillites en chaîne et un effondrement boursier, un arrêt de l’investissement, et une récession économique qui se propage à l’ensemble du monde. Le spectre de la crise de 1929 se profile mais la suite des évènements emprunte un chemin différent alors que, dès 2009, l’activité économique rebondit en particulier grâce à la politique économique et monétaire. Ainsi, aux Etats-Unis la Réserve fédérale abaisse massivement son taux d’intervention et inaugure des achats de titres publics, ce qui induit une création de monnaie au-delà de la demande spontanée. L’Europe rebondira également en 2009 et en 2010. Mais elle se heurtera rapidement à une deuxième crise financière, interne à la zone euro, avec notamment la crise grecque et les menaces sur l’Italie et l’Espagne. L’euro, au bord de l’éclatement, sera sauvé par M. Mario DRAGHI, président de la Banque centrale européenne depuis novembre 2011, lorsque dans un discours désormais célèbre prononcé le 26 juillet 2012 à Londres, il a affirmé que la BCE ferait tout ce qu’il faudrait (« Whatever it takes ») pour éviter l’effondrement de la zone euro (abaissement des taux à 0, voire négatif, achat de titres sans annoncer de limites), marquant de fait un coup d’arrêt de la phase la plus aiguë de la crise.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Tout le monde s’accorde à dire que l’on ne peut demeurer dans cette situation où les taux d’intérêts et les quantités monétaires sont largement administrés. En outre, certains signaux laissent penser que l’on s’approche de la fin d’une phase d’expansion, notamment aux Etats-Unis. La question n’est d’ailleurs pas uniquement financière alors que l’on constate également une certaine tension économique. Dans ce contexte, comment gérer la sortie d’une politique monétaire aussi atypique ? A quel rythme ? La BCE parviendra-t-elle à contrôler cette sortie ou risque-t-elle de se laisser surprendre ? Comment agir si la croissance retombait ? Enfin, est-ce la fin des divergences entre les pays de la zone euro ou bien sont-elles masquées par l’afflux de liquidité ? Autant de problématiques qu’aborderont Mme Mathilde LEMOINE et M. Olivier KELIN qui, s’ils partagent la conviction de la nécessité pour la BCE de sortir d’une telle politique accommodante, n’en ont pas moins chacun leur vision propre sur plusieurs des enjeux, a relevé Me Edouard de LAMAZE.

M. Olivier KLEIN : les tenants et les aboutissants de la politique monétaire non conventionnelle de la Banque centrale européenne

Articulé en cinq points, l’exposé de M. Olivier KLEIN, après une présentation de la situation actuelle avec le retour de la croissance et les mécanismes qui ont permis ce succès, a mis en lumière les raisons qui ont rendu indispensables ces politiques monétaires, puis les facteurs qui rendent nécessaire désormais d’en sortir, sortie, pour autant qui ne s’opèrera que lentement.

Le retour de la croissance

Un constat, tout d’abord : c’est une politique monétaire qui réussit, a relevé d’emblée M. Olivier KLEIN.

En effet, en 2017, la zone euro a connu 2,40 % de croissance économique. Celle-ci augmente sans discontinuer depuis 19 trimestres et ne cesse de surcroît de se renforcer puisqu’au quatrième trimestre, en glissement annuel, la croissance a été de 2,70 %. Le purchasing managers index (PMI) ou Index des directeurs d’achat, très corrélé à la croissance, est au plus haut depuis 12 ans et supérieur à sa moyenne de long terme. On citera encore cet indicateur, élaboré par Eurostat, le « economic sentiment indicator » qui, pour sa part, est à son plus haut niveau depuis 17 ans. Autant d’éléments qui témoignent du retour de la croissance dans la zone euro.

Le taux de chômage, quant à lui, demeure certes encore très significatif mais néanmoins en nette baisse, à 8,70 %. Les pertes d’emplois subies pendant la crise ont été compensées par des créations nettes apparues en 2013. Cette année, on a rattrapé tous les emplois perdus en zone euro du fait de la crise. Et le taux de chômage atteint son plus bas niveau depuis 9 ans.

Par ailleurs, depuis l’annonce des mesures de la BCE en juin 2014, les taux de crédit des banques pour les entreprises ont baissé de 120 points de base alors que les taux pour les ménages ont baissé de 110 points de base, illustrant les effets puissants des politiques monétaires. Ceci a fortement contribué à générer des volumes de crédits vers les sociétés non financières dont la courbe s’est inversée fin 2014 pour repartir alors à la hausse.

Ainsi, la politique monétaire non conventionnelle, menée pleinement à partir de 2014 et entamée en 2012, a indéniablement influé positivement sur la conjoncture, a souligné M. KLEIN.
Petit bémol, le taux d’inflation, pendant plus de trois ans, est resté inférieur à 1 %, voire a tangenté des taux négatifs en zone euro. Il a cependant commencé à remonter légèrement fin 2016 pour s’établir à 1,3 % en janvier, un taux jugé encore trop bas par la BCE. Ainsi, comme aux Etats-Unis, et malgré la reprise, l’inflation demeure basse. Sujet d’inquiétude pour l’institution, le risque déflationniste semble pour autant écarté. Pour autant, l’objectif de la BCE, de remonter à un taux proche de 2 %, n’est pas encore atteint.

Les mécanismes qui ont permis ces succès

Ainsi, peut-on résumer les mesures non conventionnelles de politique monétaire prises par la BCE pour renverser la situation :

  • des mesures de politique de taux d’intérêt, pour partie non conventionnelles, sur deux taux directeur en particulier : le taux de refinancement et le taux de facilité des dépôts. En juin 2014, le taux de refinancement a été abaissé à 0,15 %, taux historiquement extrêmement faible. De son côté, le taux de facilité de dépôts a été fixé à un taux négatif. Un tel taux, au passage, ayant longtemps été jugé par les économistes comme impossible, a relevé M. KLEIN.
    En septembre 2014 puis en décembre 2015, ces taux ont baissé pour atteindre en mars 2016 un taux central de la politique monétaire à 0 % et un taux négatif s’agissant de la rémunération des dépôts des banques auprès de la banque centrale, à -0,40 %.
  • des mesures de politique du bilan : en juin 2014, la BCE décide de consentir aux banques des prêts longs – à 4 ans – à des conditions très avantageuses, alors que cette dernière est habituellement sur une politique de refinancement de court terme ; en septembre 2014, elle décide d’acheter des obligations sécurisées et des « asset backed securities » (titres adossés à des actifs), se mettant ainsi à acheter du papier privé, politique peu courante de sa part ; en janvier 2015, elle annonce l’achat de dettes souveraines et quasi souveraines de la zone euro ; en décembre 2015, elle recalibre sa politique de rachat avec une extension de la durée de ces achats et l’annonce qu’à l’échéance, la BCE rachètera à nouveau afin de ne pas laisser tomber ses encours ; en mars 2016, de nouvelles séries de prêts aux banques, à taux fixe, sont accordées moyennant une facilitation des conditions de crédit vers les entreprises ; parallèlement, elle procède à l’achat d’obligations d’entreprises privées bien notées – élargissant de fait l’éventail de papiers achetés dans le cadre de la politique de bilan pour assurer des conditions de liquidités favorables et faire baisser les taux ; un nouveau calibrage à l’égard de l’achat de papier souverain ou quasi souverain est décidé, la BCE passant de 60 milliards de rachats mensuels à 80 milliards en avril 2016 ; en avril 2017 elle revient à 60 milliards ; en octobre 2017, la BCE annonce une évolution de sa politique accommodante, avec une baisse du rythme mensuel de 60 milliards à 30 milliards d’achats nets d’actifs à compter de janvier 2018, ces achats d’actifs devant se poursuivre « jusqu’à fin septembre 2018 ou au-delà, si nécessaire, et, en tout cas jusqu’à ce que le Conseil des gouverneurs observe un ajustement durable de l’évolution de l’inflation conforme à son objectif », a-t-elle précisé alors. La banque centrale a annoncé en outre qu’elle procèdera au réinvestissement des remboursements des titres arrivant à échéance acquis dans le cadre du programme d’achats d’actifs pendant une période allant au-delà de la fin de ses achats nets d’actifs « et, en tout cas, aussi longtemps que nécessaire ». Le 8 mars dernier, la BCE, qui poursuit son processus de sortie du quantitative easing, a retiré, dans sa communication stratégique, la référence à la possibilité d’accroître le volume du programme de rachat de dette en cas de choc économique. Le rythme de rachat de dette est donc désormais plafonné à 30 milliards d’euros par mois, pour un arrêt toujours provisoirement prévu en septembre 2018 (cf. BQ du 9/03/2018).

Alors que la BCE semblait dans un premier temps confrontée à un problème de transmission de la politique monétaire vers le financement de l’économie réelle, le divorce, en fin de compte, n’a pas eu lieu, a relevé M. Pascal POUPELLE, chairman et CEO d’Isos Finance. Ainsi, en France, n’y a-t-il eu qu’une seule année de contraction de l’octroi de crédits par les banques françaises aux entreprises. Comment cela s’explique-t-il ? s’est interrogé ce dernier. Un élément de réponse a résidé dans la bonne santé globale des banques françaises, a souligné M. Olivier KLEIN, contrairement aux banques espagnoles, italiennes ou encore portugaises et dans une moindre mesure allemandes. Pour que les banques puissent accorder des crédits, encore fallait-il qu’elles n’aient pas trop de créances non provisionnées douteuses. Sans quoi, il fallait au préalable qu’elles nettoient leur bilan avant de pouvoir repartir de l’avant. C’est là une courroie de transmission de la politique monétaire. Mais cela suppose également que les acteurs économiques ne soient pas trop endettés, a rappelé ce dernier.

Quand la BCE a vu qu’elle ne parvenait pas à réduire les écarts de taux, a souligné pour sa part Mme Mathilde LEMOINE, elle a lancé son programme d’achat de titres souverains. Celui-ci est déterminé par une clé de répartition fonction de la part de chaque pays à son capital. Or, dans la réalité, elle peut aller beaucoup plus loin. C’est ce qu’elle fit au moment de la campagne présidentielle française. Elle agit de même au Portugal, prenant ainsi des libertés avec des règles jusque-là jugées intangibles. Ce qui lui a permis de réduire les écarts de taux et de lisser la prime de risque. Par ailleurs, élément fondamental pour l’avenir de la zone euro, M. Mario DRAGHI a laissé entendre que si une vraie crise survenait dans un pays, il irait au-delà de la clé de répartition habituellement admise, et ce, de façon pérenne. C’est à ce moment-là qu’on a vu l’écart de taux entre les emprunts portugais et les emprunts allemands se réduire de façon significative. Ainsi y a-t-il d’une part les transmissions classiques de la politique monétaire, et d’autre part les libertés qu’ont pris l’Eurosystème et M. DRAGHI, donnant ainsi le signal aux investisseurs que cela ne servait à rien de spéculer.

Pourquoi ces politiques monétaires ont-elles été indispensables

Le recours à de telles mesures non conventionnelles s’est révélé indispensable dans la mesure où les instruments de politique traditionnelle ont montré leur limite à la fois pour relancer la croissance et pour faire baisser les taux longs tant pour les Etats que pour les entreprises.

C’était alors à un double défi qu’il fallait s’atteler. En effet, outre la crise profonde dans laquelle la zone euro était plongée et le risque déflationniste qui pointait, un autre risque planait, à savoir celui de la désintégration de la zone euro, à partir de 2010, due pour partie à son organisation et à une crise de balance des paiements très prononcée dans les pays du sud de la zone euro. Pour prévenir son éclatement, il était indispensable que la BCE rompe, d’une part, le cercle vicieux qui s’était mis en place entre les banques et les Etats et, d’autre part, entre les taux d’intérêt et la dette publique. Le marché craignant l’insolvabilité de certains Etats, faisait monter les taux pour faire monter la prime de risque, déclenchant ainsi un emballement, les Etats s’endettant dès lors à un coût beaucoup plus élevé, détériorant de fait plus encore leur solvabilité. Seul un acteur en dehors du marché pouvait dans ce contexte agir et calmer le marché.

C’est bien la BCE et la fameuse déclaration de son président, M. Mario DRAGHI (« Whatever it takes ») qui, avec les différentes mesures décrites et le quantitative easing (assouplissement monétaire), ont empêché l’éclatement de la zone euro et ont permis de calmer le marché puis de retourner la situation alors que, a rappelé M. KLEIN, les banques américaines ne prêtaient plus aux banques européennes ni les banques européennes entre elles.

Mais il restait à s’atteler à la relance du crédit et à prévenir une crise de solvabilité des acteurs privés comme des Etats. Il fallait pour cela parvenir à faire baisser les taux longs. C’est ce à quoi la BCE aboutit avec le déploiement des mesures non conventionnelles évoquées plus haut : taux courts négatifs – ce qui, indéniablement a incité les banques à accorder plus de crédits, celles-ci préférant prêter à 1,50 % plutôt que de placer leurs propres excès de liquidités à la BCE à un taux négatif de -0,40 % -, impact favorable sur les taux longs grâce au quantitative easing et au « forward guidance » (« pilotage des anticipations ») sur les taux d’intérêt afin de maintenir dans la durée des taux bas, la banque centrale s’engageant à poursuivre, tout le temps nécessaire, une politique accommodante.

Ainsi, fin 2014, début 2015, l’inflation remonte un peu et surtout les crédits repartent à la hausse alors que les taux des obligations privées baissent. La confiance revient peu à peu et la baisse du coût de l’endettement entraîne, nourri par un effet de richesse, un retour de l’envie d’emprunter pour les investissements comme pour la consommation. L’économie redémarre alors progressivement.

Autre facteur important, la dépréciation de l’euro, a rappelé M. Olivier KLEIN. Dès lors que la BCE est rentrée dans cette politique de volume de bilan, cela a fait baisser les taux longs et l’euro s’est déprécié : de 16 % par rapport à 2015 avant de se stabiliser mi-2017. Pour les économies française et des pays du Sud, ce fut un mouvement plutôt favorable qui, en outre, à contribuer à ce que l’inflation baisse moins.

Les raisons qui rendent nécessaire de sortir de la politique accommodante

Cette politique accommodante a été indéniablement couronnée de succès. Il faut, pour autant, en sortir. Dans les faits, le mouvement a été enclenché fin 2017 et se poursuivra en 2018, voire début 2019.

Et ce, pour différentes raisons : si les taux d’intérêts sont plus bas que les taux de croissance nominaux, cela facilite certes le désendettement. Mais d’un autre côté, c’est tout aussi facile de s’endetter à nouveau. Avec le risque de voir se développer comme par le passé des bulles spéculatives propres aux périodes d’euphorie. Or, nous sommes clairement dans cette zone d’incertitude depuis 2017, a mis en garde M. KLEIN. En témoignent des primes de risque à leur niveau le plus bas depuis quinze ans avec donc une sous-évaluation du risque, une offre de crédits moins sélective, des crédits moins protégés et des demandes de crédit parfois inconsidérées, en forte augmentation. De la même façon, on constate de la part des investisseurs institutionnels une augmentation des prises de risque dans leur quête d’un meilleur rendement que celui apporté par du papier à taux négatif. Cette sous-estimation du risque n’est pas encore trop grave à ce stade mais ne peut durer sans quoi elle pourrait poser un problème en termes de solvabilité.

Outre des effets potentiels sur l’immobilier, la poursuite d’une telle politique peut avoir des effets sur une envolée du prix des actions. Moins dans la zone euro qu’aux Etats-Unis. Et c’est en effet ce qui s’est passé. Au demeurant, a estimé M. KLEIN, ce n’était pas plus mal que l’alerte intervienne plus tôt que plus tard car dans un ou deux ans, la bulle aurait été encore plus importante avec des effets, en éclatant, beaucoup plus graves. La correction intervenue en février a été très salutaire, a-t-il ajouté. Il est à souhaiter d’ailleurs que le marché ne reparte pas trop vite.

Pour ces différentes raisons, il devenait pressant d’annoncer et d’amorcer une sortie de cette politique, a insisté M. KLEIN. D’autant que la politique de taux négatif, hormis un effet bénéfique indéniable sur le niveau des crédits accordés, donc sur l’économie, entraîne pour autant un amenuisement significatif des marges des banques. Ainsi, en agrégat, les marges nettes d’intérêt (intérêts des crédits moins intérêts des dépôts) des banques françaises ont baissé, y compris le produit net bancaire global, depuis deux ans et demi, a indiqué ce dernier. Ce n’est pas problématique si cela demeure ponctuel. Cela le deviendrait si les banques devaient avoir des résultats tendanciellement en baisse, impactant alors leur ratio de solvabilité.

Consciente de ce risque, la BCE a annoncé en octobre dernier amorcer une sortie de sa politique accommodante (cf. supra).

A cet égard, M. Charles de BOISRIOU, associé chez Mazars, a interrogé les deux intervenants sur les conséquences que le retour à une politique normalisée peut avoir sur l’activité de leur entreprise respective, compte tenu de leur spécificité propre.

Pour la BRED, en tant que banque commerciale, a expliqué M. Olivier KLEIN, celle-ci a intérêt à ce que la situation se normalise et revienne, progressivement, à une politique avec des taux qui ne seraient plus négatifs, et sans quantitative easing (QE) qui écrase les taux d’intérêt longs vers le bas. Un allègement du QE pour revenir à des taux longs un peu plus normaux progressivement est bon pour une banque commerciale. Cela redonne notamment à l’établissement une rentabilité qui permet de poursuivre la croissance des crédits. Les banques doivent faire face à une contradiction entre la politique réglementaire des banques d’un côté, qui fixe les ratios de solvabilité à respecter, et de l’autre les injonctions pour demander à ces acteurs de prêter plus. Ce qui, en retour, exige de renforcer leurs capitaux propres. Il ne faut pas, pour autant, que les taux remontent trop vite et notamment les taux courts. A cet égard, l’intention de la BCE de mettre un terme dans un premier temps au quantitative easing puis, dans un deuxième temps de monter ses taux directeurs, c’est-à-dire les taux courts, est plutôt une bonne chose, a estimé le directeur général de la BRED.

Dans l’hypothèse, la plus probable à ce stade, où la remontée des taux sera le résultat d’une remontée des anticipations de croissance nominale, cela aura, logiquement, un impact positif car cela veut dire qu’enfin les perspectives macro-économiques de rentabilité rejoignent l’espoir financier, a de son côté souligné Mme Mathilde LEMOINE. Or, nous constatons un vrai décalage entre l’espoir financier qui est soutenu par les banques centrales et la réalité macro économique qui est souvent plus décevante que ce que laissent penser les marchés, a-t-elle relevé. La question est de savoir à quel moment les deux vont se rejoindre : sont-ce les marchés qui vont rejoindre la faiblesse de la croissance potentielle ou est-ce l’inverse qui va advenir ? Dans l’hypothèse où la croissance accélère plus rapidement que prévu, ce qu’il faudra gérer du point de vue des métiers de la banque, c’est la prise de risque. Si on a une tradition d’investissement dans les actifs réels, qui est celle du groupe Edmond de Rothschild, on regarde les fondamentaux, a-t-elle poursuivi. Or, ceux-ci sont moins attrayants que la forte hausse des marchés financiers ne le laisse penser. La vraie difficulté résulte donc dans ce décalage entre la politique monétaire qui donne du temps et la faiblesse de la croissance potentielle. In fine, les gouvernements tendent à attendre le plus longtemps possible le moment de mener des réformes en espérant que la croissance conjoncturelle va redémarrer et soutenir le prix des actifs. Mais l’expérience montre que cela ne se passe jamais ainsi. La variable d’ajustement est la productivité.

Pourquoi cela ne se fera que lentement

On assiste à un effet paradoxal, énonce M. Olivier KLEIN : l’anticipation à la hausse des taux étant plus forte, l’euro remonte, entraînant une pression désinflationniste, ce qui du coup peut freiner la BCE dans sa volonté de sortie alors que, rappelons-le, l’objectif de la BCE est de voir l’inflation remonter à un taux proche de 2 %. Ce phénomène est une des raisons pour lesquelles la banque centrale n’entend pas aller trop vite.

La deuxième raison est due, en zone euro, aux taux d’endettement élevés tant des Etats que des emprunteurs privés (des entreprises comme des ménages). S’agissant des entreprises, le rapport des emprunts sur le PIB aux Etats-Unis est de 73 %. Il est de 103 % en zone euro, rappelle le directeur général de la Bred. Le taux d’endettement privé entreprises ± ménages en France est, lui, de 192 % du PIB, en hausse. Dans ce contexte, remonter le taux trop rapidement pourrait insolvabiliser nombre de ces acteurs économiques.

Troisième raison : jugeant indispensable que les Etats de la zone euro mettent en place des réformes structurelles plus fortes afin de retrouver de la croissance potentielle et de limiter les déficits et la dette publics, la BCE entend cependant leur donner un peu de temps grâce notamment à la souplesse que confère ces taux bas.

Enfin, une remontée trop rapide des taux pourrait avoir des répercussions négatives sur les marchés. Si la BCE veut éviter la création de bulles, elle ne souhaite pas pour autant entraîner les marchés à la baisse. Cela induirait un effet de richesse négative, un mauvais signal pour l’environnement économique.

Fort de ces analyses, M. Olivier KLEIN anticipe une probable remontée des taux courts en 2019 qui aura été précédée de la fin du quantitative easing, à savoir une mise à zéro des rachats par la BCE. Elle laissera cependant se rembourser progressivement les actifs obligataires qu’elle a acquis.

Pourquoi 2019 ? Parce ce que « l’output gap » cumulé négatif, l’écart qui s’est créé pendant la crise entre le taux de croissance potentielle et le taux de croissance effective, sera comblé, ce qui semble faire consensus. Pour l’heure, la croissance 2017 en zone euro s’est établie à 2,40 % (voir supra), alors que la croissance potentielle est, elle, évaluée à environ 1,50 %. Or, on ne pourra rester durablement sensiblement au-dessus, a estimé M. KLEIN. Cela coïncidera également avec la fin, en novembre 2019, du mandat de M. Mario DRAGHI. Si, comme cela se dit, un successeur allemand ou proche des idées allemandes dans ce domaine, était désigné, la BCE pourrait être poussée à revenir plus vite à une politique monétaire plus traditionnelle. Ces différents éléments plaident pour une remontée des taux en 2019. Sans oublier les Etats-Unis dont les taux devraient remonter également, et plus rapidement. Avec un possible effet de contagion sur l’Europe, a conclu le directeur général de la BRED.

Intervenant dans le débat, M. Michel DIDIER, président de COE-Rexecode, estime qu’il y a certes un risque à aller trop vite, mais il y en aurait aussi un à aller trop lentement. Quatre questions se posent selon lui :

  • Aller trop lentement, ce serait faciliter les excès et risquer l’apparition de bulles ;
  • La Banque centrale ne desserrerait pas suffisamment la pression sur les Etats pour revenir à des situations budgétaires soutenables. Elle retarderait, en outre, la convergence de la zone euro alors qu’on assiste plutôt à une tendance à la divergence des compétitivités ;
  • La BCE ne se mettrait pas en position assez rapidement de réagir face à une rechute éventuelle de l’économie ;
  • Enfin, elle faciliterait la prolongation d’une croissance en Europe, au-dessus de son potentiel. Elle accentuerait ainsi des tensions qui apparaissent dans l’économie réelle : difficultés de recrutement, chômage très bas en Allemagne induisant une tension sur les salaires ; des délais de livraison qui s’allongent. Ces tensions ne se traduisent pas pour l’heure dans l’inflation parce que l’inflation est une variable assez inerte. Mais on n’a pas besoin de beaucoup d’inflation pour provoquer des déséquilibres sur les marchés obligataires, a relevé M. DIDIER.

Mme Mathilde LEMOINE : une analyse macro-économique critique de la politique monétaire de la Banque centrale européenne

Abordant cette problématique selon une approche plus macro-économique, Mme Mathilde LEMOINE a rappelé de façon liminaire que la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne, tout à fait inédite, n’a pas de précédent historique. On ne dispose de surcroit d’aucune analyse monétaire théorique pour en appréhender les conséquences, a-t-elle ajouté. Le G20, en 2009, a donné pour mandat aux banquiers centraux de s’occuper aussi de la stabilité financière, cet aspect devenant ainsi un de leurs objectifs premier. Or, cela crée un conflit d’objectifs manifeste, selon Mme LEMOINE, entre cette recherche de stabilité financière et la conduite de la politique monétaire, ce qui implique que la banque centrale devrait désormais toujours être en retard par rapport à l’économie, d’où l’apparition de bulles.

Les Objectifs

Avant toutes choses, a souligné Mme LEMOINE, il importe de bien comprendre les objectifs que la BCE entend poursuivre afin de soutenir l’investissement, la croissance et in fine l’inflation qui demeure, bien entendu, le but premier de sa politique. Il s’agit de modifier le comportement des acteurs économiques, au premier chef en tant qu’épargnant afin de les pousser à épargner moins et à consommer plus. Mais la BCE entend également intervenir en matière de redistribution, a relevé Mme LEMOINE. En fixant des taux très bas voire négatifs, la banque centrale veut inciter ces acteurs à changer de comportement mais aussi à prendre plus de risques pour soutenir l’investissement. Mais qui dit prendre plus de risque dit prendre le risque d’une perte en capital. Une forme de redistribution s’opère de ceux qui ont du patrimoine vers les plus jeunes. Or, il peut y avoir là un danger politique de voir ainsi la banque centrale mener une politique de redistribution, au motif que les jeunes ont plus souffert de la crise, a-t-elle estimé. Ainsi, logiquement, la BCE va-t-elle continuer à mener une politique de taux très bas, son objectif, qu’il ne faut pas perdre de vue, demeurant que les épargnants n’aient pas de rémunération de leur épargne.

M. Olivier KLEIN s’est démarqué ici de Mme LEMOINE, estimant que les effets de redistribution induits par la politique monétaire ne sont pas dus au seul quantitative easing, mais à toute politique monétaire. Dès lors que l’on a des taux d’intérêt réel supérieurs au taux de croissance, on favorise les épargnants et on défavorise les emprunteurs. Dès lors que l’on fait une politique monétaire pour soutenir l’économie, on fait passer les taux en dessous du taux de croissance, on favorise à l’inverse les emprunteurs et on défavorise les épargnants. Ce n’est pas si grave si c’est temporaire. Il en irait autrement si c’était durablement ainsi, a-t-il jugé.

Le président de la BCE a demandé, en outre, aux banques de nettoyer leur bilan et d’en sortir les créances douteuses pour leur permettre de proposer un taux d’emprunt aux entreprises et aux ménages qui soit plus faible et plus cohérent avec le taux directeur fixé par la banque centrale, sans pour autant réduire excessivement leur marge, a poursuivi Mme LEMOINE. Alors que les banques, lors de la mise en place de taux négatifs, ont fait valoir combien une telle politique était pénalisante pour leurs marges, M. DRAGHI a estimé qu’elles pouvaient tout à fait la supporter, les prix des actifs ayant, pour leur part, augmenté. La BCE a ainsi permis un redémarrage des crédits, de la croissance et une légère hausse de l’inflation.

Deuxième objectif de la Banque centrale européenne : diminuer le taux réel alors que la BCE a craint de se retrouver face à une trappe à liquidité. En effet, si l’on a un taux égal à 0 et une inflation qui décélère, proche d’une situation de déflation, le taux réel, à savoir le taux diminué de l’inflation, augmente. Plus l’inflation est faible, plus le taux réel augmente. La BCE a donc voulu faire en sorte que par l’inflation, le taux réel diminue.

A cet égard, on notera que le taux de refinancement, qui détermine l’ensemble des taux d’emprunt des ménages et des entreprises, était, compte tenu de l’inflation, de -0,35 % en juin 2014. Contrairement à ce qui est véhiculé sur la hausse de ce taux, le taux de refinancement réel est aujourd’hui de -1,3 %, soit nettement plus négatif qu’alors et ce, parce que la BCE est parvenue à faire redémarrer l’inflation. De facto, le taux réel est sensiblement plus négatif. Cela lui permet par ailleurs de remplir son mandat en sortant de cette trappe à liquidité.

Elle a rempli un autre objectif, spécifique à la zone euro, qui est de réduire les écarts de taux entre les différents pays en son sein. En effet, la BCE doit ici résoudre une double problématique : permettre une baisse du taux pour l’ensemble de la zone euro d’une part, faire en sorte que les taux d’emprunt à 10 ans – taux de référence pour l’Allemagne – ne soient pas trop éloignés de ceux de l’Espagne ou de l’Italie, d’autre part. Or, elle y est parvenue puisque l’écart entre les taux d’emprunt de l’Italie et de l’Allemagne a été divisé entre 2014 et 2018 de 420 points de base à 130 points de base. De même, l’écart a-t-il été divisé par 6 pour l’Espagne. Le Portugal a connu une évolution comparable, son taux étant désormais inférieur même au taux italien.

Un redémarrage des crédits… mais concentrés à plus de 80 % sur la France et l’Allemagne

La BCE a certes rempli ses objectifs et cela s’est effectivement traduit par un redémarrage des crédits. Pour autant, a relevé Mme Mathilde LEMOINE, cette trajectoire, observée depuis fin 2016, s’est concentrée, pour les crédits aux entreprises, sur deux pays à plus de 80 % : la France (51,2 %) et l’Allemagne (32,4 %). La tendance est identique s’agissant des ménages : l’accélération des crédits immobiliers résulte également à 87 % de ces deux seuls pays. La Banque centrale ne peut, dans ces conditions, changer de politique, en dépit même des risques soulevés par M. Olivier KLEIN (voir supra).

La BCE est donc toujours confrontée au même problème, à savoir que certes, elle remplit son mandat en poussant le taux d’épargne à la baisse, en réduisant les taux d’emprunt, en sortant de la trappe à liquidité, et en réduisant les écarts de taux entre les pays du nord et les pays du sud de la zone euro. Mais le taux d’intérêt étant unique, elle ne peut le remonter, ces derniers étant encore en situation de rattrapage. Elle peut cependant faire jouer les nouvelles dispositions de la directive « CRD4 » et qui consistent à mettre en place des mesures macro prudentielles (NDLR : directive 2013/36/UE du 26 juin 2013 déclinant au niveau européen les accords internationaux dits « Bâle 3 » qui, instaure notamment un renforcement et une harmonisation des exigences en fonds propres et l’introduction de normes de liquidité pour le secteur bancaire, transposée en droit français par l’ordonnance du 20 février 2014).

Du point de vue macro-économique, la Banque centrale ne peut changer sa politique de taux, en tout cas à horizon de deux ans. En revanche, en cas de surchauffe, elle utilisera d’autres instruments telle la limitation des prêts aux entreprises pour certaines banques, a indiqué Mme LEMOINE. Ainsi, en France, le Haut conseil de stabilité financière (HSCF), dans son avis rendu en décembre 2017, a indiqué que les banques systémiques françaises devraient limiter leurs prêts aux grandes entreprises les plus endettées, envisageant « dans un premier temps » d’interdire aux grandes banques d’être exposées à un niveau supérieur à 5 % de leurs fonds propres aux entreprises concernées (cf. BQ du 18/12/2017). Mais on atteint là la limite de l’exercice, a-t-elle estimé. La BCE sort, là encore, de son rôle en faisant en sorte que ce n’est plus le taux d’intérêt qui va déterminer les anticipations d’évolution des crédits mais des dispositifs macro-prudentiels établis sur des bases opaques, qu’il va falloir désormais intégrer.

En effet, il n’y a pas de définition commune à l’ensemble des Etats membres de la zone euro de ratios qui permettraient de déclencher ces dispositifs. Il s’agit en fait d’interprétations laissées à la discrétion de chaque Etat membre. On assiste là à une dérive de la politique monétaire, a-t-elle regretté. Mais ainsi, la BCE peut remplir tous ses objectifs et donc maintenir des taux d’intérêt bas tout en croyant résoudre des problèmes de bulles financières évoquées plus tôt, a conclu Mme Mathilde LEMOINE sur ce point.

Les défis politiques

La Banque centrale européenne est confrontée à des défis tant politiques que techniques.

La BCE mène en effet une politique de redistribution. On voit bien ainsi les tensions entre les retraités et les jeunes, en particulier en Allemagne. Car un taux d’intérêt négatif, c’est en fait un impôt supplémentaire prélevé sur l’épargne. Or, a jugé Mme LEMOINE, c’est dangereux pour les banques centrales car cela diminue leur autonomie vis-à-vis du pouvoir politique en s’immisçant dans une politique de redistribution qui dépasse manifestement leur mandat même si, pour sa part, la BCE estime être dans son rôle car elle poursuit là un objectif de politique monétaire.

Le deuxième défi est posé par l’achat d’actifs, et en particulier d’obligations souveraines et d’obligations d’entreprises. On donne l’impression, totalement artificielle, que le prix des obligations d’Etat français ou portugais est élevée. Cela modifie par là-même le prix relatif de ces actifs. Les banquiers centraux incitent, en effet, à investir alors que cela ne correspond pas à la réalité de la rentabilité de l’investissement réalisé. On donne notamment l’illusion d’une forte demande sur les obligations portugaises indépendamment du potentiel de croissance du pays. De même pour les obligations italiennes, alors que l’on sait que le potentiel de croissance de ce pays est zéro d’un point de vue macro-économique.

De la même façon, en achetant des obligations d’entreprises, la BCE fausse la concurrence. Selon des études réalisées par Edmond de Rothschild Groupe, on constate que la banque centrale achète principalement des obligations d’entreprises françaises, et en particulier des obligations d’entreprises de services aux collectivités (« utilities »). La BCE diminue la prime de risque de ces entreprises qui peuvent ainsi se financer à bon compte.

La BCE estime, pour sa part, avoir un objectif de quantité afin d’augmenter son bilan et pousser à une hausse de l’inflation, afin que les taux réels continuent de diminuer pour ce type d’investissements. Pourtant, l’analyse macro-économique met en lumière l’apparition de distorsions de concurrence et le risque d’une mauvaise allocation des ressources. On permet ainsi aux entreprises de ces secteurs de se restructurer, mais lentement. En revanche, cela empêche l’affectation de financements aux entreprises qui pourraient soutenir la croissance potentielle, telles les entreprises technologiques. Les entreprises de services aux collectivités concentrent plus de 26 % des achats d’obligations d’entreprises par la BCE – pour des montants atteignant pas moins de 131 milliards d’euros à fin décembre 2017. A l’inverse, les achats d’obligations du secteur technologique ne représentent, elles, que 1,6 %.

On constate ainsi un décalage flagrant entre le discours sur l’importance de l’innovation et la réalité d’une politique macro économique monétaire qui conduit à financer à bon compte des entreprises qui peuvent être obsolètes, avec de faibles productivités. En un mot, on peut dire que la Banque centrale européenne fait de la politique industrielle, a pointé Mme Mathilde LEMOINE.

Sur ce point, M. Olivier KLEIN ressent peu ces effets sectoriels car ils sont sensibles principalement pour les grandes entreprises, a-t-il estimé. Quant aux entreprises innovantes, elles se financent avant tout par capitaux propres ou grâce à la bourse et très peu par dette car elles sont en perte pour longtemps.

Pour sa part, Mme Mathilde LEMOINE a conclu sur ce point en estimant que si la Banque centrale fait et de la politique de redistribution, et de la politique industrielle, on est face à un vrai risque de politisation de son action et, par là même, de perte de son indépendance. Dans le pire des cas, cela peut avoir des conséquences sur les anticipations d’inflation, à savoir que l’on considère que l’inflation va accélérer mais sans aucune maîtrise. Cela peut avoir des effets pervers sur la croissance de moyen terme, a-t-elle mis en garde.

Les défis techniques

On parle de « normalisation » dans le débat public, les investisseurs laissant penser que l’on peut retrouver une situation d’avant crise. Or, c’est techniquement impossible, a souligné Mme LEMOINE. Et, ce, pour plusieurs raisons. D’une part, du fait de la nouvelle réglementation qui accroît les besoins du système bancaire en actifs de qualité (accords de Bâle III). En conséquence, les banques centrales européennes vont devoir disposer d’actifs à leur bilan afin d’assurer la liquidité sur le marché interbancaire. Dans ces conditions, un retour du bilan des banques centrales à la situation d’avant crise n’est pas envisageable.

Une autre contrainte technique est, quant à elle, très spécifique à la BCE qui détient un portefeuille d’actifs, en particulier d’obligations de collectivités locales et souveraines d’un rendement très faible, à 0,7 %, à comparer à celui de la Fed, de 3 %. En conséquence, la Banque centrale n’a que peu, voire pas, de marge de manœuvre pour remonter les taux d’intérêt. Sans quoi, elle fera des pertes car elle va devoir rémunérer les réserves des banques, ce qui ira de pair avec un rendement de son bilan plus faible. Dans l’Eurosystème, de surcroît, les banques centrales nationales portent dans leur bilan une partie des titres. La situation diffère, donc, d’une banque centrale à une autre. In fine, c’est un véritable défi technique qui rend très difficile pour la BCE de remonter ses taux. Les effets sur les bilans des banques centrales nationales seront très différents d’un pays à l’autre, avec un risque de pertes pour lequel, d’ailleurs, la Bundesbank comme la Banque d’Irlande ont décidé de faire des provisions. Ce n’est donc pas un risque purement théorique.

Enfin, troisième contrainte technique, la progression de l’endettement. Depuis 2000, la dette des entreprises a crû, en zone euro, de 27 points de PIB en moyenne, à 133 % du PIB au premier semestre 2017 selon la BCE. Pour sa part, la dette des ménages a augmenté de 20 points de PIB, certes en légère diminution depuis quelques années du fait, notamment, de l’Espagne, pour atteindre tout de même 94,2 % du PIB. Là encore, comme pour les Etats, si la BCE remontait les taux, cela engendrerait une récession. Si l’on prend le déficit français, depuis 2012, 40 % de sa réduction provient de la politique monétaire et non d’une volonté politique.

En conclusion, a tenu à faire valoir Mme Mathilde LEMOINE, il ne faut pas se méprendre sur le terme « normalisation » ni sur une légère remontée des taux d’emprunt. La politique même de la BCE engendre des défis techniques qui la conduisent à une course en avant et donc à avoir toujours plus d’impact sur les grandes variables macro-économiques et, en particulier, sur le prix relatif des actifs. Or, cela peut avoir des conséquences négatives sur le potentiel de croissance car cela engendre une mauvaise allocation des ressources et des distorsions de concurrence.

Une convergence de vue sur la nécessité de la politique monétaire accommodante de la BCE mais une divergence d’appréciation quant aux effets de redistribution et sectoriels

Aux termes de ces débats, si M. Olivier KLEIN et Mme Mathilde LEMOINE divergent quelque peu sur leur analyse respective des effets potentiellement pervers de la politique monétaire de la BCE au regard des effets de redistribution et d’effets sectoriels (cf. supra), tous deux s’accordent en revanche pour reconnaître que cette politique accommodante était, malgré tout, nécessaire alors que pointait le risque de déflation et le risque de désintégration de la zone euro, a relevé M. KLEIN dans sa synthèse de la table ronde.

Elle était urgente, a-t-il ajouté, saluant au passage l’arrivée de M. Mario DRAGHI, au bon moment. Pour autant, si on n’en sort pas, on créerait les zones de risques évoquées plus haut dont une, tout particulièrement, liée à la nécessité de devoir recharger la politique économique. Or, pour l’heure, on n’a plus rien pratiquement à donner en termes de politique monétaire, ni en termes de politique budgétaire au vu du niveau des déficits et des dettes publics. Si, lors de la prochaine crise, on n’a pas rechargé les instruments de politique économique, on se retrouvera dans une situation critique, a-t-il mis en garde.

Mais désormais, la question n’est pas tant de convenir de la nécessité de sortir de la politique accommodante de la BCE. La problématique se pose en des termes différents, a souligné pour conclure Mme Mathilde LEMOINE car la politique monétaire, telle qu’elle a été menée, fait qu’en tout état de cause, on ne peut retrouver la situation d’avant crise. On doit, en effet, intégrer dans notre façon d’appréhender notre environnement économique cette nouvelle donne avec les défis qu’elle pose. Ainsi, attention à ce que l’on entend par « normalisation » et « en sortir ». Remonter les taux est une chose. Cela ne veut pas dire pour autant que la BCE n’interviendra plus sur la fixation du prix des actifs, a-t-elle relevé.

Enfin, a martelé Mme LEMOINE, il convient de rappeler une vérité macro-économique, à savoir que si les taux sont bas, c’est que les perspectives de croissance sont faibles. A un moment donné, la banque centrale a, effectivement, moins de munitions en cas de crise. Pour autant, les banques centrales considèrent que pour un même taux de croissance qu’avant la crise, le niveau d’équilibre des taux d’intérêt est désormais plus faible. Par exemple, la Réserve fédérale, pas plus tard qu’en septembre 2017, a révisé à la baisse son taux directeur d’équilibre de long terme de 3 % à 2,75 % pour un même taux de croissance potentielle. Et ce, parce ce qu’avec le vieillissement de la population, on considère qu’il y a trop d’épargne. Là encore, pour que la politique monétaire ait la même efficacité qu’avant la crise, il faut une hausse de taux moindre. L’ensemble des banques centrales dans le monde considèrent que le niveau d’équilibre des taux, le taux neutre, est plus faible qu’avant la crise. Mme LEMOINE voit là l’argument le plus théorique à l’appui de la conclusion commune de la nécessité d’une remontée progressive des taux.

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[VIDEO] Introduction de la « Nocturne de l’économie 2018 » par Olivier Klein et Agnès Benassy-Quéré – La nécessité des réformes structurelles.

Retrouvez ici l’introduction de cette conférence par Agnès Benassy-Quéré et Olivier Klein :

« La nécessité des réformes structurelles « 

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La sortie de la politique monétaire très accommodante de la BCE : Enjeux et Défis par Olivier klein

Revue D’Économie Financière – Extrait du numéro 127 – Article Olivier Klein
 

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La sortie de la politique monétaire non conventionnelle de la BCE est nécessaire mais difficile

La BCE (Banque Centrale Européenne) annoncera probablement le 26 octobre la façon dont elle compte recalibrer sa politique monétaire aujourd’hui très accommodante. Cette politique, qui consiste principalement en un achat massif d’obligations souveraines et privées par la BCE et en la mise en place de taux négatifs, s’est avérée utile pour lutter contre le risque déflationniste et de désintégration de la zone euro. Un bilan positif, donc.

Désormais, son retrait progressif apparaît  nécessaire. En effet, la crainte déflationniste est maintenant dernière nous. La croissance de la zone euro s’affirme, avec une baisse notable du taux chômage. Bien que nous connaissions une faiblesse persistante de l’inflation, le maintien de cette politique comporte des risques importants.

Par une politique de taux très bas, voire négatifs, en-dessous du taux de croissance nominal, la BCE, en soutenant les emprunteurs, affecte  la rémunération des épargnants et des prêteurs. L’Allemagne, pays à démographie déclinante, donc plus sensible à cette situation, le rappelle régulièrement à la banque centrale. En outre, les investisseurs institutionnels (assureurs, gestionnaires de retraite…), tenus ou non de délivrer un rendement minimum contractuel, peuvent ainsi avoir tendance à rallonger les durées de leurs placements et à accepter des risques de contrepartie plus élevés en échange d’une rémunération meilleure. Cette politique, si elle devait durer au-delà du nécessaire, pourrait engendrer une instabilité financière dans le futur.

En complément, une telle politique peut favoriser les comportements spéculatifs, facteurs de bulles, consistant à emprunter à taux bas pour acheter des actifs risqués (actions, immobilier) afin de gagner le différentiel de rendement. Or, si de telles bulles n’étaient pas encore apparues clairement jusqu’à récemment, certains actifs semblent voir leur prix s’envoler un peu rapidement depuis plusieurs mois, tant sur les marchés d’actions américains par exemple que sur le marché immobilier dans quelques grandes villes américaines et européennes (y compris en Allemagne).

Enfin, en cherchant à positionner les taux d’intérêt de long terme à un niveau très bas, elle écrase le différentiel entre les taux des crédits et les taux de collecte des ressources bancaires, alors même que le taux de rémunération des dépôts  bancaire des épargnants ne peut  concrètement être inférieur à zéro. Or cette marge d’intérêt constitue une base essentielle des revenus des banques de détail   .  Et cet effet défavorable, dans le cas français par exemple ,  n’est plus compensé depuis 2016 par l’accroissement des volumes de crédit et  l’abaissement du coût du risque de crédit, engendrés par ces mêmes taux très bas. Même si les résultats tirés de leurs autres activités (banque d’investissement, international, assurances…) leur ont permis de dégager au total de très bons résultats. En conséquence, la baisse des revenus bancaires tirés de leur activité de banque de détail sur leur marché domestique risque de freiner tôt ou tard leur capacité à suivre la croissance du crédit qui accompagne le regain de croissance, alors même que le ratio de solvabilité exigé par les règles prudentielles est en hausse.

Pour l’ensemble de ces raisons notamment, l’amorce d’une normalisation de la politique monétaire de la BCE devient donc nécessaire. Elle permettrait d’ailleurs à l’institution de se reconstituer d’indispensables marges de manœuvre pour prévenir un futur renversement de cycle, d’autant plus que la politique budgétaire de nombreux Etats européens apparaît aujourd’hui peu mobilisable, compte-tenu de leur niveau d’endettement public.

Pour effectuer ce virage, la Réserve Fédérale américaine a procédé à partir de 2014 à une réduction progressive (appelée tapering), puis à un arrêt de son programme d’achats de titres, enfin à une hausse progressive de ses taux directeurs (taux de court terme). L’annonce de la BCE présentant son tapering aura probablement lieu le 26 octobre. Par un choix de sortie certainement très progressif de son programme d’achat d’obligations, en stabilisant tout d’abord ses stocks, elle pourrait ainsi provoquer une remontée très prudente des taux longs au cours des prochaines années. Elle pourrait par ailleurs faire remonter parallèlement les taux négatifs vers zéro, situation qui ne peut être que très exceptionnelle. Le relèvement de ses taux directeurs d’interviendrait qu’après cette première étape.

La remontée des taux sera pilotée de façon très  prudente, car elle comporte elle-même des risques significatifs. Elle pourrait provoquer des chocs importants sur les marchés, si elle était brutale et mal anticipée. De même, compte-tenu du niveau d’endettement élevé des Etats comme des entreprises et des ménages, elle ne peut qu’être très progressive. Enfin, l’euro a déjà fortement remonté par rapport au dollar. Or la hausse de notre devise ayant clairement un effet qui peut contrecarrer le surcroît d’inflation envisageable à la  suite de la meilleure croissance de la zone, la BCE ne peut prendre le risque d’une accélération de la réévaluation de l’euro, alors qu’elle cherche à faire remonter le taux d’inflation vers 2%.

La politique menée par la BCE a de fait cherché à acheter du temps à la zone euro, pour permettre aux Etats de réaliser les réformes structurelles et les adaptations nécessaires du cadre institutionnel et organisationnel de la zone monétaire elle-même   . Cette politique ne pouvant être éternelle, il devient encore plus impératif pour les Etats concernés de conduire ces réformes pour accroître leur compétitivité (qualité/prix) et soutenir leur potentiel de croissance. Et ainsi, sans politique d’austérité, faire baisser les déficits publics, y compris sociaux, et les déficits structurels de balance courante. L’objectif doit être de créer les fondements d’une zone euro renforcée, car mieux coordonnée, plus solidaire et dont tous les membres auront accru leur potentiel de croissance.

Co-écrit avec Thibault Dubreuil, Majeure Finance d’HEC