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« L’avenir de la zone euro »

Europe : des institutions inadaptées ?

Le Système monétaire européen (SME) a été mis en place pour créer un lien fixe, mais ajustable, entre les différentes devises de la zone. Il permettait ainsi, depuis 1979, d’éviter les variations brutales et perturbantes entre les devises des différents pays constituant le SME. Cependant, malgré sa forte utilité, il subsistait une source d’instabilité : des événements externes pouvaient entraîner des chocs asymétriques non désirés entre les pays européens concernés.

En outre, chaque pays de la zone conservant sa monnaie, le solde de la balance courante devait être surveillé pays par pays. Une nation qui avait besoin de plus de croissance économique venait régulièrement buter sur la contrainte extérieure. L’effet induit de ce phénomène était une contrainte d’alignement sur les taux de croissance les moins élevés des grands pays du SME.

La création d’une monnaie unique, en substitution du SME, participait donc de cette réflexion. D’une part, une monnaie unique permettait qu’une dépréciation du dollar provoque un effet homogène sur les pays de la zone euro. D’autre part, la création de la monnaie unique laissait penser que des marges de manœuvre de politique conjoncturelle pouvaient être dégagées : le solde de la balance courante devait pouvoir alors se considérer au seul niveau de la zone. Cela devait permettre à un pays de relancer son économie, si cela s’avérait nécessaire, sans buter immédiatement sur la contrainte extérieure, dès lors que l’ensemble de la zone ne dégradait pas son solde courant. Enfin, une monnaie unique entre les pays considérés, sans possibilité de dévaluation-réévaluation, devait permettre aux acteurs économiques d’avoir une base plus stable de prévisions pour leurs investissements à l’étranger et leurs échanges et de ne plus supporter les charges liées au change des devises les unes contre les autres.

Fédéralisme vs. convergence

À la création de la zone euro, deux écoles de pensée coexistaient tacitement. L’une et l’autre concevaient clairement qu’une telle zone monétaire ne pouvait fonctionner correctement sans complément.

La première école comprenait que, pour devenir efficiente la zone euro devait progressivement être complétée d’un niveau de fédéralisme supérieur. Cette école de pensée fondait ses espoirs sur la continuation d’une construction européenne, jusqu’alors faite par l’économique avant de procéder par la suite aux avancées politiques nécessaires.

L’autre école, qui s’imposait dès lors que l’on n’osait ou ne voulait afficher d’objectifs fédéralistes, était de ne laisser entrer dans la zone monétaire européenne que des pays très similaires et devant le rester ; d’où la création des critères de convergence et du pacte de stabilité. Si les pays membres d’une zone monétaire sont en phase conjoncturellement et convergent en termes de taux d’inflation, de déficit budgétaire sur PIB, comme de dette publique sur PIB, et qu’ils le restent une fois entrés dans la zone, les ajustements entre pays membres ne sont plus nécessaires.

Erreurs partagées

À la lecture des événements des dernières années, les deux écoles de pensée ont été dans l’erreur.

La première, puisque le surcroît de fédéralisme ne s’est pas produit, qui plus est en temps de crise forte.

La seconde, puisque les pays entrés dans la zone n’ont pas tous été choisis sur une base de forte proximité économique structurelle et conjoncturelle, pour des raisons politiques ou car certains de ces pays ont volontairement occulté certains traits de leur économie. Erreur, en outre, parce qu’une union monétaire ne conduit pas naturellement à préserver une convergence, eût-elle existé à sa création, mais tout au contraire induit progressivement des divergences structurelles dues à des polarisations industrielles sur certaines régions de la zone, correspondant à des désindustrialisations d’autres régions.

Les marchés financiers eux aussi s’y sont trompés. Ils ont conduit les taux d’intérêt des dettes publiques des différents pays de la zone à des niveaux très similaires, alors que l’on connaissait progressivement des divergences considérables, tant dans les ratios d’endettement public que dans ceux des déficits courants.

Ces erreurs de politique et de marché ont amené à l’éclatement d’une crise majeure spécifique à la zone euro dues à des divergences de plus en plus fortes entre pays de la même zone, sans que les mécanismes de régulation de tels phénomènes aient été à l’œuvre ou, même, aient été prévus.

Les alternatives à l’austérité

Les efforts intenses réalisés par les pays du sud de l’Europe induisent des coûts sociaux immenses, en termes de niveau de vie et de chômage. En moyenne depuis la crise de la zone euro, ces pays n’ont pas amélioré – voire ont détérioré – leur ratio dette publique sur PIB, eu égard à l’effet multiplicateur supérieur à 1 des mesures budgétaires. Cependant, certains pays comme l’Espagne commencent à voir leurs efforts porter des fruits lisibles dans le redressement de la balance courante et l’augmentation des exportations.

Une question se pose donc : la zone euro doit-elle se réguler par le seul ajustement « par le bas » des niveaux de vie, afin d’amener certains pays-membres à converger vers des niveaux de déficit et de dette publics plus acceptables et vers un meilleur équilibre de leur balance des paiements ? Dès lors que la base industrielle est faible, l’équilibre ne peut venir en effet que d’une croissance atone n’induisant pas d’accroissement des importations. Ce qui produit alors un phénomène inéluctable de ralentissement durable de la croissance de la zone euro, dès lors que plusieurs pays conduisent les mêmes politiques simultanément et avec une intensité forte.

Ou la régulation de cette zone monétaire doit-elle s’opérer par un mix de réformes structurelles indispensables à des finances publiques plus saines et à une meilleure compétitivité, et une politique européenne de soutien de la croissance potentielle, d’une véritable coordination des politiques économiques et de transferts entre les différents pays permettant aux moins industrialisés d’entre eux de ne pas être contraints en permanence à l’ajustement par l’austérité. Ce mix pourrait aider à ce que ces changements structurels puissent se faire. Sans brutalité excessive et sans récession violente, donc en permettant à ces réformes d’être plus acceptables.

Pour réaliser les indispensables réformes structurelles dans nombre de pays de façon organisée et mieux planifiée, la zone euro doit donc développer un degré de fédéralisme supplémentaire – supervision, coordination des politiques économiques et transferts budgétaires – qui permettrait d’assurer un degré supérieur de solidarité entre ses membres. Et de reconnaître et d’assumer la diversité naturelle des pays composant la zone, y compris la diversité induite sur le plan industriel notamment par l’existence même de la monnaie unique.

Cela favoriserait un niveau de croissance moyen plus élevé, en autorisant certains pays à connaître des déficits courants alors que d’autres afficheraient des excédents. Ou alors, incapable de dessiner cette évolution politique, la zone euro est-elle condamnée à exiger trop vite et trop durablement une politique d’austérité dans les pays les moins industrialisés, conduisant alors à un niveau moyen de croissance pour l’ensemble de la zone durablement très affaibli, avec les risques politiques induits. Et peut-être finalement des risques sur l’euro lui-même.

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Banque Economie Générale

« A quoi servent les banques ? Retour aux fondamentaux »

Coupables ! Les banques n’ont elles pas été accusées d’être responsables de la crise financière déclenchée en 2007 ? Utiles exutoires aux difficultés économiques, elles affrontent en permanence un procès en légitimité. Et pourtant, sans banques… pas d’économie.

Il me paraît  urgent de remettre à l’endroit deux ou trois idées.

Les banques commerciales jouent un rôle fondamental : elles collectent l’épargne et font des crédits, en servant d’intermédiaire entre les agents disposant de capacité de financement et ceux connaissant des besoins de financement. Dans les pays en développement, une partie importante de l’épargne nationale échappe à tout circuit d’allocation rationnel et efficace. La majorité de la population, non bancarisée, investit dans des biens patrimoniaux ou thésaurise en liquide ses avoirs. Ce système est inefficace puisque l’épargne n’est pas investie au bénéfice de la croissance, c’est-à-dire au service des projets des individus et des entreprises. Les marchés financiers sont de facto réservés à peu d’entreprises, de taille importante,  eu égard aux informations régulières  coûteuses à produire pour attirer les investisseurs sur les émissions obligataires.

Grâce à leur connaissance approfondie de leurs clients, ménages, professionnels, PME voire grandes entreprises, les banques peuvent mieux appréhender le profil de l’emprunteur, donc prendre raisonnablement en compte le risque de crédit. Elles sont, par construction, un réducteur de l’asymétrie d’information qui régit la relation entre l’emprunteur et le prêteur. Elles permettent ainsi à d’innombrables acteurs économiques de financer leurs projets.

En outre, en investissant dans des produits bancaires, les épargnants prennent un risque sur la banque et non sur la multitude d’emprunteurs auxquels la banque fait crédit. De par son activité d’intermédiation, la banque joue donc un rôle économique et social crucial.

La deuxième fonction de la banque commerciale est d’assumer le risque – dit de transformation – de taux d’intérêt et de liquidité. Ces risques découlent du fait que les ménages comme les entreprises privilégient le plus souvent les placements à court terme et disponibles alors que les emprunteurs souhaitent le plus souvent des financements de long terme, d’une durée suffisante pour rentabiliser un investissement ou dégager une capacité d’épargne pour rembourser un emprunt immobilier.

La banque commerciale agit donc au service de l’économie comme une centrale de risques, en prenant ces risques en lieu et place des acteurs économiques, facilitant ainsi la croissance. Les marchés financiers mettent quant à eux face à face directement emprunteurs et prêteurs suffisamment importants ou avertis, en laissant à leur compte l’ensemble de ces risques.

On comprend d’autant mieux l’enjeu de définir les réglementations  les plus adaptées pour que les banques remplissent au mieux le rôle qui est le leur, tout en assurant le maximum de sécurité à leurs clients déposants et au système financier dans son ensemble.

La dernière crise a confirmé l’instabilité intrinsèque de la finance. Et partant l’ardente nécessité d’une réglementation bancaire efficace.  Mais le dosage doit être habile. Surréagir, corseter trop fortement les risques pris par les banques ferait courir un autre danger tout aussi inquiétant : asphyxier l’activité économique en bridant les financements. Les marchés ne peuvent que dans certains cas se substituer aux banques.  Un carcan excessif peut aussi  pousser les banques à transférer les risques aux entreprises et aux particuliers en leur vendant directement ou indirectement leurs crédits titrisés ou, par exemple, en octroyant essentiellement des crédits immobiliers à taux variable. Cela peut aussi favoriser le développement d’une forme parallèle de financement, la « finance de l’ombre » (shadow-banking), quasi non régulée.

Trop réduire le risque bancaire, dans l’idée par ailleurs parfaitement légitime d’obtenir des « banques Phénix », renaissant toutes seules de leurs cendres (« bail in »)  et ne nécessitant pas le sauvetage des Etats (« bail out »), pourrait aboutir à déplacer le risque professionnellement pris par les banques commerciales sur les autres acteurs économiques, c’est-à-dire in fine sur les contribuables.

Il convient donc de bien analyser les situations pour trouver la juste réglementation. De bien comprendre le rôle indispensable et irréductible des banques dans l’économie pour ne pas parvenir éventuellement à un résultat qui n’irait pas dans le sens de celui recherché.

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Banque Economie Générale

A quoi servent les banques ? (version complète)

La responsabilité des banques a largement été mise en cause lors du déclenchement de la crise en 2007. La réalité est plus complexe, même si des banques, notamment anglo-saxonnes, y ont à tout le moins participé et ont pu l’amplifier. Cependant, notre propos n’est pas ici de revenir sur la genèse de la crise, mais plutôt de répondre aux questions qui se sont posées quant à la finalité des banques et leur utilité au service de l’économie.

De fait, le rôle fondamental d’une banque commerciale est de collecter l’épargne et de faire des crédits. C’est une évidence, mais elle est essentielle. Et cela se vérifie par contraste dans les économies en développement, y compris les économies émergentes, où la population est faiblement bancarisée. Dans ces pays, une partie de l’épargne nationale, la plus importante, échappe à tout circuit d’allocation rationnel et efficace. La majorité de la population investit dans des biens patrimoniaux, conduisant ainsi, le cas échéant, à des bulles, ou thésaurise en liquide (billets) ses avoirs. Un système inefficace au total, puisque l’épargne n’est pas investie au bénéfice de la croissance, c’est-à-dire au service des projets des individus et des entreprises.

En France, naturellement, la réalité est tout autre car le déploiement des agences depuis les années 60 s’est traduit par un taux de bancarisation de la population aujourd’hui proche de 100%. Dans les pays développés, les banques jouent donc un rôle essentiel dans la collecte et la bonne allocation de l’épargne. D’autant qu’à l’exception des grandes entreprises et épisodiquement de certaines moyennes entreprises, les possibilités d’emprunter des agents économiques sur les marchés financiers sont extrêmement réduites. Car émettre sur ces marchés nécessite de se faire connaître, d’émettre régulièrement, de recourir souvent à des agences de notation, donc de dépenser beaucoup d’argent pour assurer une information abondante sur soi-même. Il faut être suffisamment important pour pouvoir absorber ces coûts et pour intéresser les investisseurs à l’analyse de ses comptes et, ainsi, réduire ce qu’on appelle en économie l’asymétrie d’information entre le prêteur et l’emprunteur.

Or, tous les acteurs économiques ont des besoins de financement. Et c’est précisément le rôle des banques que d’y répondre grâce à leur connaissance approfondie et durable des emprunteurs, quels qu’ils soient, ménages, professionnels, PME, moyennes entreprises, voire grandes entreprises. Cette connaissance approfondie, sur la durée, permet aux banques de mieux appréhender le profil de l’emprunteur, le contexte de l’emprunt, donc de prendre raisonnablement en compte le risque de crédit. Elles sont aussi aidées en cela par la gestion des flux de paiement de ces clients.

Pour les épargnants (les placeurs), l’utilité de la banque est également manifeste. La plupart en effet n’ont pas une surface financière suffisante pour assumer un risque de crédit concentré sur quelques émetteurs de dette. Il revient donc à la banque d’emprunter auprès des épargnants et de prendre elle-même ce risque de crédit sur des clients à besoin de financement, ce qui impacte, en cas de risque avéré, son propre compte de résultat. Autrement dit, en investissant dans des produits bancaires, les épargnants prennent un risque sur la banque et non sur la multitude d’emprunteurs auxquels la banque fait crédit. De par son activité d’intermédiation, la banque joue donc un rôle économique et social crucial, tant en faisant se correspondre les besoins et les capacités de financement des uns et des autres qu’en prenant elle-même le risque de crédit en lieu et place des épargnants.

Le second rôle d’une banque est d’assumer le risque de taux d’intérêt et de liquidité engendré par son activité de collecte d’épargne et d’octroi de crédit. C’est son activité de « transformation » (des échéances des dépôts et des crédits).

En effet, les ménages, comme les entreprises, privilégient le plus souvent les placements à court terme, rapidement disponibles. Mais la plupart des emprunteurs souhaitent emprunter sur le long terme, c’est-à-dire sur une durée suffisante pour rentabiliser un investissement dans une entreprise ou dégager peu à peu une capacité d’épargne pour rembourser un emprunt immobilier, par exemple. Les marchés peuvent certes jouer un rôle à cet égard. Mais l’achat d’une obligation à 7 ans par exemple émise par une entreprise comporte pour le placeur non seulement un risque de crédit sur de nombreuses années, mais aussi un risque de taux d’intérêt entraînant un risque de perte sur le capital, en cas de revente avant le terme.

L’achat d’obligations, ou de tout titre de créance, comporte en effet un risque de plus-value/moins-value en fonction notamment des fluctuations des taux d’intérêt. Or ils peuvent varier fortement comme cela s’est produit à maintes reprises durant les trente dernières années. En revanche, si un épargnant choisit un placement bancaire, il ne supporte aucun risque de plus ou moins-value, il reporte de fait le risque de taux d’intérêt sur la banque qui dispose du professionnalisme nécessaire pour le gérer et qui respecte des réglementations prudentielles établies à cet effet. La banque inscrit les pertes liées à la matérialisation de ce risque sur ses propres comptes de résultat, sans mettre en jeu la valeur des placements de ses épargnants-clients, sauf à disparaître elle-même.

Prêter à moyen-long terme et emprunter à court terme comporte, outre le risque de taux d’intérêt, un risque de liquidité. En effet, les épargnants qui ont effectué des placements ou des dépôts à court terme peuvent souhaiter retirer leur argent alors qu’il est bloqué par la banque dans des prêts à moyen-long terme. Sur les marchés, le risque de liquidité est en principe résolu par le marché secondaire. Il est possible, en principe, d’y revendre une action ou une obligation, avec une plus-value ou une moins-value à la clé (cf. ci-dessus). Mais en réalité la liquidité est « autoréférentielle ».

Un marché n’est pas liquide par essence, intrinsèquement, mais parce que les investisseurs en sont convaincus. Si cette conviction vient à disparaître, si les investisseurs craignent pour la liquidité, ils cessent d’acheter et plus aucune vente ne peut avoir lieu ou à des prix très en deçà de la valeur « normale » des titres considérés. Ce risque de liquidité est porté par tous ceux qui interviennent directement sur le marché financier. Dans le cas des banques, ce risque de liquidité est géré par la banque, avec professionnalisme, et à nouveau en respectant des ratios prudentiels ad hoc. En dernier recours, les banques centrales peuvent intervenir et redonner des liquidités aux banques. Cela s’est produit internationalement en 2008, puis en 2011 avec la crise de liquidité spécifique à la zone euro.

En résumé, la banque est non seulement indispensable à une allocation rationnelle de l’épargne, mais, en outre, et contrairement aux marchés, elle prend à la fois les risques de crédit, de taux d’intérêt et de liquidité à la place de ses clients. Et ces prises de risques sont réalisées de façon réglementées et supervisée. C’est l’ensemble de ces fonctions qui fonde l’utilité économique et sociale spécifique et irréductible des banques.

Le propos n’est pas ici d’évoquer les banques d’investissement qui jouent un rôle de conseil et ont vocation notamment à intervenir sur les marchés, en tant qu’intermédiaire mettant en face à face direct les acheteurs et les vendeurs et en y originant des titres pour le compte des emprunteurs.


Une question se pose aujourd’hui : les réglementations bancaires nouvelles permettent-elles de gérer encore mieux le risque bancaire ?  Les réglementations macro-prudentielles sont indispensables, car les marchés peuvent être régulièrement déconnectés des fondamentaux économiques. Et plus les marchés sont globalisés, plus ils sont volatils, et plus le risque de bulles est important.

Il se produit donc régulièrement des erreurs de marchés manifestes. Les banques, comme les marchés, peuvent par exemple être entraînées, dans des phases euphoriques, à trop prêter en laissant se développer un surendettement chez les emprunteurs. A contribuer ainsi au développement de bulles de crédit et de bulles sur les actifs patrimoniaux (actions, immobilier…). Puis lors des retournements, à des rationnements trop brutaux de crédit et des plongées dépressives des prix des actifs. En outre, et c’est le fondement historique de la réglementation, une réglementation micro-financière est nécessaire pour protéger l’épargne des déposants dans chaque banque et assurer par là-même la stabilité du système bancaire et financier, indispensable à la bonne marche de l’économie. Mais, s’il existe manifestement des erreurs de marché à répétition, il peut exister aussi des erreurs de réglementation.

La réglementation, de par une exigence de ratios de solvabilité minimum à respecter, oblige ainsi les banques à disposer de capitaux propres suffisants en face des risques qu’elles prennent (risques de marchés et de crédit). La réglementation permet également de réduire le risque de liquidité depuis Bâle 3. Mais certaines réglementations ont parfois des effets indésirés.

Par exemple, dans Bâle 2, certaines modalités étaient procycliques. Elles accentuaient en effet les effets euphoriques comme les effets dépressifs. En permettant aux banques de diminuer leurs capitaux propres ou d’augmenter leurs engagements en cas d’évolution favorable de la conjoncture et des marchés financiers, elles favorisaient une prise de risques accrue, ce qui contribuait au développement de bulles spéculatives (de crédits, de marchés, etc.). A l’inverse, en cas d’évolution défavorable, les banques devaient renforcer leurs capitaux propres ou diminuer leurs engagements dans l’urgence, alors même qu’elles devaient passer des provisions sur les crédits et assumer des positions défavorables sur les marchés financiers, renforçant alors le caractère dépressif de l’économie. Bâle 3 est venu au moins partiellement corriger ces effets pro-cycliques en prévoyant des coussins de capitaux propres contracycliques. Le régulateur corrige parfois davantage les crises passées qu’il n’anticipe les crises futures.

Un problème se pose dans chaque nouvelle réglementation prudentielle : arbitrer entre le trop peu de régulation, ce qui serait dangereux pour la stabilité financière, et le trop de régulation, qui induit un danger non moins tangible sur la croissance et potentiellement sur la stabilité financière elle-même. Réduire trop fortement les risques de taux d’intérêt, de crédit ou de liquidités pris par les banques dans leur propre activité commerciale, reviendrait à réduire l’activité économique ou à transférer ces risques aux autres acteurs économiques, les entreprises, les particuliers ou les professionnels.

Par exemple, pour ne pas prendre de risque sur les taux d’intérêt, les banques espagnoles et les banques anglaises ont développé le crédit immobilier à taux variable. Quand les taux montent, ce sont ainsi les emprunteurs qui se retrouvent contraints, voire piégés. Contrairement aux banques, les acteurs économiques non bancaires n’ont que rarement les moyens de gérer ces risques qui sont inhérents à l’activité économique et au décalage entre les désirs des agents économiques à capacité de financement et de ceux qui connaissent des besoins de financement.

Ainsi, chaque fois que l’on demande aux banques de prendre trop peu de risques induits par leur pure activité commerciale de prêteur et de collecteur d’épargne[1], on fait porter ce risque par des acteurs qui ne sont ni régulés, ni supervisés, ni professionnalisés. Une trop forte réglementation qui réduirait exagérément la capacité des banques commerciales de prendre du risque inhérent à leur rôle économique conduirait en effet à réduire leur activité et à déplacer ces risques vers des acteurs non régulés, soit directement vers les agents économiques qui sont mal équipés pour les gérer, soit vers la finance de l’ombre (« le shadow banking ») qui accumulerait ainsi des risques sans contrôle. C’est à nouveau ce qui se produit depuis trois ans à une très forte échelle, comme s’en alerte très récemment le FMI, en en dénonçant le danger potentiel en termes de risque systémique.

En outre, si pour réduire la quantité de risques pris par les banques, on les incite à titriser davantage leur crédits, elles transfèrent ici encore ces risques de taux d’intérêt, de crédit, comme de liquidité, vers des investisseurs peu ou pas régulés. Ajoutons que par la titrisation, on augmente la volatilité des résultats bancaires. Normalement, la variation des résultats des banques commerciale est lente, car elles vivent des marges entre le taux d’intérêt de leurs stocks de crédits et celui de leurs emprunts et dépôts, et des commissions sur les services et produits qu’elles ont commercialisés. Mais si demain il était demandé aux banques de titriser bien davantage leurs crédits, leur résultat, au lieu d’être calculé sur des stocks, serait dépendant du volume de crédits produits dans l’année, donc des flux, induisant ainsi une instabilité de leurs résultats qui ne contribuerait guère à la stabilité financière globale.

Porteuse ainsi d’instabilité à plusieurs titres (moindre régularité des résultats des banques comme externalisation des risques de banques régulées vers d’autres acteurs qui ne le sont pas), la titrisation peut néanmoins être vertueuse, à condition d’être faite à la marge et si elle est produite dans de bonnes conditions. L’exemple des « subprimes » nous prouve que les banques sont capables du pire en la matière. Pour éviter ces dérives, les banques doivent rester responsables des crédits qu’elles accordent (de par un pourcentage minimal de risque conservé en cas de titrisation, disposition prévue dans Bâle 3, pour éviter l’effet d’« aléa moral »), et doivent conserver l’essentiel de leurs crédits dans leur bilan. La titrisation ne peut être qu’une solution – réglementée – d’appoint, si l’on veut protéger la stabilité financière.

A la suite de la grande crise financière, un nouvel objectif est apparu, bien compréhensible, mais dangereux s’il frise l’obsessionnel. Celui d’éviter tout nouveau sauvetage des banques par l’argent public, c’est-à-dire par les contribuables. D’où toutes les nouvelles réglementations et celles en préparation pour éviter les « bail-out », c’est-à-dire les renflouements par les Etats, et forcer aux « bail-in », c’est-à-dire au renflouement par les actionnaires et les créanciers des banques, suivant l’idée d’une banque « Phenix », renaissant de ses cendres.

Le but est louable. Mais il ne doit pas rater sa cible. Rappelons tout d’abord qu’en France, les banques ont remboursé l’intégralité des sommes prêtées par l’Etat pendant la grande crise. Mais surtout, le souhait de ne pas avoir à renflouer les banques avec l’argent des contribuables, s’il doit très légitimement conduire à des règles prudentielles plus efficaces, ne doit pas vouloir réduire trop fortement le risque pris naturellement par les banques de par leur activité commerciale.

Les banques ne sont que des centrales de risque, notamment de taux d’intérêt, de crédit et de liquidité, comme nous l’avons explicité. Elles prennent ces risques sur elles, répétons-le. Et cela permet aux autres acteurs économiques de ne pas les prendre ou d’en prendre significativement moins. Elles le font de façon professionnelle et réglementée, avec une supervision qui doit être sans faille. Aller trop loin dans la réduction des risques pris par les banques ne conduirait pas à éviter aux contribuables de dépenser moins.

Si les banques ne les concentraient plus suffisamment sur elles, on étoufferait l’économie ou, sans réduire le risque et même en l’accroissant pour les raisons analysées ci-dessus, on le transférerait en amont aux acteurs économiques , c’est-à-dire aux contribuables, en les fragilisant dans les moments de tension ou de crise, et on le disséminerait, en en perdant la traçabilité. Donc, à terme, on augmenterait l’instabilité financière globale.

Bien entendu, nous nous sommes intéressés ici aux risques inhérents à l’activité commerciale des banques et non à l’activité de marché pour compte propre. Il convient donc de bien dissocier les situations pour trouver la juste réglementation. De bien comprendre le rôle indispensable et irréductible des banques dans l’économie pour ne pas l’abîmer et parvenir éventuellement à un résultat inverse à celui recherché. Enfin, et comme souvent, à penser que les solutions efficaces et durables sont une question de discernement et de mesure.

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[1] Une réflexion est en cours actuellement à Bâle sur la mise en place d’une réglementation plus stricte du risque de taux d’intérêt pris par les banques commerciales, en modifiant les conventions d’écoulement des dépôts à vue, considérant – contrairement à l’expérience à tout le moins française – que les dépôts sont moins stables et à contraindre ainsi davantage les banques dans leur capacité à transformer de l’épargne courte en crédits longs. Cela conduirait alors les banques soit à davantage titriser, soit à transférer le risque de taux et de liquidité sur les acteurs économiques non bancaires.

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«Réformes structurelles : les graphes»

13 graphes, en complément aux articles :

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action», publié dans les Echos du 17 juillet 2014,

«Les réformes structurelles sont difficiles, mais indispensables», publié dans le Monde le 20 mars 2014 »

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« L’entreprise du XXIe siècle »

L’entreprise aux XXIème siècle, retranscription de l’intervention d’Olivier Klein aux Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence de juillet 2014  (disponible également en vidéo).

Le capitalisme a connu dans ses mutations à travers les âges différentes formes de gouvernance et d’organisation des entreprises. Celles-ci se sont chevauchées et se chevauchent encore, mais, à chaque étape, des formes se sont révélées dominantes. Au XIXème siècle et au début du XXème,les pays occidentaux ont connu une forte domination du capitalisme dit « familial », dans lequel les familles qui possédaient le capital exerçaient le pouvoir. A cette forme de capitalisme a succédé, du milieu du XXème siècle jusqu’aux années 1980, un capitalisme « managérial », caractérisé par la prise de pouvoir de la technostructure dans les entreprises. Les familles actionnaires s’étaient fractionnées, leurs actions ayant été revendues pour tout ou partie par les générations suivantes ou le capital ayant été accru pour faire face au développement des affaires par appel à des actionnaires « anonymes.

Ces actionnaires acceptaient alors, en échange de la liquidité de leur capital et de la possibilité de valoriser à long terme leurs actions, de céder peu ou prou leur pouvoir de décision à des managers professionnels sans intérêt capitalistique. Les années 80 ont marqué le retour au sein des entreprises d’un pouvoir actionnarial, pas spécifiquement familial, qui a fait converger à nouveau l’intérêt des dirigeants vers les intérêts des actionnaires. Ainsi, pour contrecarrer la tendance de la période précédente qui avait par trop négligé l’intérêt des actionnaires, différentes méthodes ont été mises en place pour que l’objectif réel des dirigeants soit bien, non l’accroissement de leur propre pouvoir et/ou sécurité, mais le rendement pour l’actionnaire. Depuis les années 2000 et ses crises à répétition, la question peut se poser de savoir si le XXIème siècle verra naître un capitalisme « partenarial », qui permettrait de prendre en compte à la fois l’intérêt des actionnaires, des clients, des salariés et de la société toute entière.

Ces formes successives de capitalisme, qui se sont succédé à chaque fois pour des raisons objectives, sont liées à des modes d’organisation spécifiques des entreprises. Elles sont une bonne clé pour appréhender l’entreprise du XXIème siècle.

La question est double :

  • Quelles sont les forces favorisant le passage du capitalisme actionnarial au capitalisme partenarial ?
  • Dans la mesure où chaque forme de capitalisme induit une organisation spécifique, quels nouveaux modes d’organisation des entreprises vont correspondre au capitalisme partenarial ?

Le capitalisme actionnarial, à travers ses excès, notamment dans les années 90 et 2000, a contribué à provoquer une rupture accompagnée de crises économiques et financières majeures, puisque l’exigence de ROE (Return On Equity, soit le rendement des capitaux propres) démesuré était devenue insoutenable. On a vu apparaître une coupable créativité comptable, un surendettement des ménages comme des entreprises, des constructions puis des déconstructions accélérées de groupes d’entreprises ou d’entreprises elles-mêmes, des LBO, des LBO de LBO, etc. Mais aussi une progression de la part des dividendes dans les profits, pour sécuriser les rendements des actionnaires. En transférant souvent le risque sur les salariés.

L’échec partiel du capitalisme actionnarial est évidemment la première force susceptible de conduire vers le capitalisme partenarial. Mais la réaction de l’opinion pour une plus grande moralisation de l’économie reste un argument insuffisant pour fonder le passage à un capitalisme partenarial qui prendrait mieux en compte les intérêts des clients, des salariés et de la société, aux côtés de ceux de l’actionnaire. A chaque fois qu’une crise majeure se produit, elle s’accompagne d’un retour de la morale. Mais la phase de crise est suivie d’une sorte d’aveuglement au désastre, d’un oubli progressif des raisons qui l’ont provoquée. La situation peut alors reprendre son cours. Le seul fait qu’il y ait eu crise du capitalisme actionnarial ne paraît donc pas suffisant, même s’il s’agit d’un facteur évident, pour expliquer et comprendre l’apparition d’un capitalisme partenarial.

Plusieurs forces profondes et durables me semblent soutenir cette transition. La première, qui engendre les autres, est la révolution technologique.

Elle induit tout d’abord une révolution commerciale qui bouleverse les rapports entre les producteurs, les distributeurs et les clients. Ces derniers voient leur pouvoir très renforcé puisqu’ils sont aujourd’hui plus libres d’agir, plus avertis, disposent de plus d’informations, peuvent comparer les prix et bénéficient ainsi d’une plus grande liberté de choix. Le client devient alors évidemment le centre d’intérêt des entreprises. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entreprises développent depuis quelques temps déjà des discours orientés clients, comme si c’était une préoccupation nouvelle.

Les rapports de pouvoir s’en trouvent donc inversés au bénéfice du client. Mais, dans nombre de secteurs économiques, ce phénomène est également perceptible dans les rapports entre les producteurs et les distributeurs dont la position se trouve renforcée. La prise de pouvoir du client met fin à la hiérarchie traditionnelle, née au XXème siècle, reposant sur la capacité du producteur à imposer ses produits aux distributeurs qu’il a choisis et sur celle du distributeur à imposer ces mêmes produits aux consommateurs.

Dorénavant le client a le pouvoir. Ainsi, si le distributeur dispose d’une bonne connaissance de ses clients, s’il sait utiliser son « big data », s’il développe un CRM (Customer Relationship Management) pertinent, s’il parvient donc à anticiper les besoins de chacun d’entre eux et à les satisfaire, s’il considère enfin le client comme un « consom’acteur » capable de rechercher avec lui la bonne combinaison de produits et de services, alors il trouve les solutions adéquates pour chaque client et le fidélise.

Le service prend d’ailleurs le pas sur le produit lui-même. Nous ne sommes plus dans une économie conduite par la mise en avant du produit, mais dans un monde où l’usage, le service, devient plus important que la détention du produit lui-même. Les applications sont plus importantes que le téléphone lui-même. La bicyclette peut se louer pour le trajet à effectuer, et de plus en plus, l’automobile elle-même suit ce même chemin. Le « cloud » rend progressivement désuet la possession de gros ordinateurs…

La qualité de la relation avec son commercial, son conseiller, et la possibilité de trouver les bonnes solutions adaptées à chacun, c’est-à-dire le bon service, prennent donc le pas sur le produit en tant que tel. Ce faisant, le distributeur peut ainsi prendre le pouvoir sur le producteur, en le mettant naturellement en concurrence avec d’autres producteurs pour chercher la meilleure combinaison, en prix comme en qualité, de produits et de services qui correspondent le mieux aux besoins du client individualisé.

Un bouleversement des rapports de forces historiques est donc en train de voir le jour dans nombre de secteurs entre producteurs, distributeurs et consommateurs. A l’évidence, cela contraint le distributeur à une excellente gestion des clients. Si le distributeur, en revanche, n’est pas en capacité de les comprendre et de les fidéliser, il s’en trouve très fragilisé, d’autant qu’il est aujourd’hui également possible pour le producteur  de vendre en direct. La non qualité du conseil et l’incapacité de proposer les meilleures combinaisons de produits et de services adaptées à chacun conduisent tout droit à la numérisation totale de la relation client-fournisseur et à la disparition du rôle économique du distributeur. Avec l’apparition d’une relation directe producteur-client, lorsque cela s’avère possible, ou avec l’apparition de « pure players » internet de la distribution, forme de low cost de la relation client.

La révolution technologique induit également des changements de comportement des salariés, changements qui les positionnent au centre de l’entreprise avec des impacts sur l’organisation. Les hiérarchies verticales sont effectivement beaucoup moins acceptées, et acceptables, et bien moins pertinentes. Aujourd’hui, les cadres ne peuvent plus être crédibles et entraîner leurs salariés s’ils ne fondent pas leur autorité sur la valeur qu’ils apportent à leurs équipes, et non sur la détention d’informations qui sont maintenant libres et gratuites et circulent dans toute l’entreprise. Ainsi, il n’est plus envisageable d’être cadre et manager, en se prévalant exclusivement de son positionnement hiérarchique.

Parallèlement, les salariés expriment un besoin accru d’autonomie, soutenu et renforcé par la même révolution technologique, posant ainsi la question de l’entreprenariat au sein même de l’entreprise. Développer l’esprit d’initiative est devenu un véritable enjeu pour les grandes entreprises, alors même que, par essence, elles le réduisent à sa portion congrue, de par leur mode d’organisation même. Aujourd’hui, les individus salariés aspirent à comprendre le sens de leur contribution à l’entreprise, ils souhaitent en partager la stratégie et le mode d’organisation choisi pour adhérer à son projet. Cette aspiration doit absolument être prise en compte dans la dimension managériale.

Aussi, les organisations très hiérarchisées, verticales, nées de la phase du capitalisme managérial et de la technostructure dominante, sont-elles devenues beaucoup moins efficaces et nettement plus difficiles à gérer :

  • d’une part, elles mobilisent moins bien leurs salariés, puisque la proximité managériale est plus cruciale que jamais ;
  • d’autre part, elles s’avèrent plus rigides, moins flexibles, et ne sont plus en phase avec un monde et un environnement de plus en plus complexes. La complexité croissante et les chocs extérieurs plus nombreux et plus intenses exigent en effet plus de souplesse dans les organisations, comme plus d’autonomie de chacun et des équipes, afin de réagir promptement et de gérer habilement les dysfonctionnements et de s’adapter efficacement à la nouvelle donne.

Aujourd’hui, la taille et la centralisation engendrent de l’entropie. Au contraire, les entreprises organisées en réseau, réseau entre les différentes parties de l’entreprise ou entre différentes entreprises, sont plus adaptables, plus efficaces. Le couple centralisation/décentralisation penche plutôt dorénavant du côté de la décentralisation.

En outre, la relation commerciale devenant centrale, l’organisation doit être tournée totalement vers le client, de la production à la vente, des front offices aux back offices. Valoriser davantage encore ses commerciaux, pour leur donner plus de capacité encore à maîtriser leur relation client, plus d’autonomie pour être réactifs et pro-actifs face à chaque client, devient donc un impératif. Pour que chaque commercial se trouve en fait en situation d’entreprendre, de gérer et de valoriser le fonds de commerce qui lui est confié, avec les outils et la responsabilité pour le faire. Donc, avec plus de plaisir à travailler et de capacité à maîtriser son travail.

Une plus grande proximité managériale, une meilleure compréhension des attentes clients, une ouverture au mode entrepreneurial, une importante capacité d’absorption des chocs, des mutations et de la complexité, tels sont les ingrédients de l’entreprise de demain.

Faut-il insister de plus sur la révolution technologique qui implique pour les dirigeants de prendre plus que jamais en compte la réputation de leur entreprise, et les aspirations de la société dans son ensemble, puisqu’il est devenu impossible de fonctionner sans avoir en permanence sur internet des commentaires sur ce que fait l’entreprise ou ce qu’elle est ? Sur son rapport à l’environnement, sur la qualité de ses produits ou de ses services… ? Le facteur sociétal doit donc être traité sérieusement et la société devient ainsi une véritable partie prenante de l’entreprise.

En fait, toute entreprise est un organisme biologique, et comme tout organisme biologique, elle vit un compromis permanent, un équilibre instable, entre l’ordre, la verticalité, les routines homogènes de gestion et, à l’opposé, l’autonomie des parties, la capacité d’initiative, le besoin d’entreprendre,  etc .  La combinaison se fait aujourd’hui clairement au bénéfice de la seconde caractéristique, au détriment de la première, même si les deux sont utiles.

Pour conclure, le passage au capitalisme partenarial, qui modifie les modes d’organisation des entreprises, remet à une place de choix, aux côtés des actionnaires, les clients, les salariés et la société. Fort heureusement, cela n’est pas seulement dû à un échec du mode de gouvernance et d’organisation précédent et à une remontée temporaire de la morale, mais à des révolutions commerciales, comportementales et managériales, fondées elles-mêmes sur les évolutions technologiques. Ce sont des forces très puissantes, durables et objectives, qui amèneront, espérons-le, à cette forme nouvelle du capitalisme.

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Economie Générale Politique Economique

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action»

Les réformes structurelles, qui améliorent le potentiel de croissance et l’efficacité d’une économie, sont aujourd’hui bien connues. La question n’est ni de droite ni de gauche. Il y a une urgence économique et sociale à enrayer le déclin français et défendre notre modèle en le rendant soutenable. Pourquoi alors éprouvons-nous autant de difficultés à résoudre les problèmes jumeaux de l’économie française, le manque de croissance et de réformes ?

Notre culture conflictuelle-droite/gauche, patrons/salariés, pays riches/pays pauvres, multinationales/peuples, etc.-, ne peut plus nous empêcher de voir la réalité et de mettre en place les solutions concrètes et pragmatiques qui s’imposent. 

Autre frein aux réformes : un Etat historiquement hyperpuissant et centralisateur. Cette organisation, jadis utile à la France, n’est plus adaptée à une société et à une économie globalisées et organisées en réseaux. Le digital bouscule les rapports d’autorité. Par son omniprésence, l’Etat intermédie la relation entre chacun et la société, entre chacun et les autres. Au lieu de se sentir responsable face à la collectivité, l’individu exprime une demande forte d’Etat. Chacun refuse alors les réformes, méfiant quant à la réalité de l’effort réclamé aux autres et questionnant l’incapacité de l’Etat à prendre en charge tous les problèmes. 

Simultanément se sont érigés, au fil du temps, des groupes d’intérêt corporatistes puissants. Et des syndicats trop faiblement représentatifs dans les entreprises privées. Résultat : un vide de construction du social, une sorte de «social corporatisme» doublé de «social technocratie»*. Difficile donc de penser symétriquement à ses devoirs autant qu’à ses droits et d’accepter les réformes. 

Ajoutons un mélange culturel historique qui fait trop souvent de la compassion l’alpha et l’oméga de l’action politique et du débat médiatique et nous empêche de voir les choses telles qu’elles sont ou de nous donner les moyens de les corriger. Compétitivité en déclin, chômage élevé, exclusion trop forte du marché du travail des jeunes, inégalité croissante des chances, niveau moyen relatif de compétence trop faible… Face à la réalité des faits, la compassion ne peut nous servir de politique et nous exonérer de bousculer quelques a priori et habitudes de pensée très spécifiquement françaises. 

Heureusement les Français prennent conscience des limites d’une compétitivité insuffisante. De règles trop lourdes. D’abus trop nombreux et non corrigés. Et de déficits publics permanents, dûs à une sphère publique qui n’a pas suffisamment recherché depuis longtemps l’efficacité du système, conduisant ainsi à des dépenses sur PIB (et de fait à des impôts) parmi les plus élevées d’Europe, alors que la qualité des prestations publiques ne se situe que dans la moyenne. 

Nos compatriotes appréhendent mieux, fort des exemples de nos voisins étrangers, les réformes nécessaires pour mettre fin à cette spirale suicidaire et protéger notre mode de vie et notre protection sociale. Pour permettre le mariage heureux et nécessaire du vivre ensemble et de l’envie d’entreprendre. Dans une société fondée sur l’équité. 

Cette prise de conscience nouvelle doit permettre aujourd’hui aux gouvernements de lutter contre ces atavismes spécifiquement français et de traiter de façon crédible ces questions afin que les Français cessent d’être parmi les peuples les plus pessimistes au monde quant à l’avenir collectif de leur pays. 

S’appuyant sur l’opinion, osant éventuellement les referendums pour contrer les oppositions corporatistes, nos gouvernements doivent avoir le courage de trouver le chemin du changement, d’en expliquer le sens et de convaincre. Baisser les dépenses publiques certes, mais avec un plan d’ensemble pour réorganiser efficacement la sphère publique. Mais encore réformer sans idéologie, notamment le marché du travail et le système de retraite, pour prendre en compte l’allongement de la durée de vie en équilibrant les comptes. Enfin, conduire des politiques de compétitivité, notamment en baissant la fiscalité et les cotisations sociales des entreprises. C’est l’ensemble de ces changements qui donnent la possibilité, dans les contraintes qui sont les nôtres, de protéger durablement notre niveau de vie et notre protection sociale, en combinant à moyen terme augmentation de la croissance et réduction des déficits publics. 

Reste un élément clé : en formuler la bonne programmation et le bon accompagnement. Gageons que si le chemin en est vertueux et résolu, le rythme en sera ajustable.

* Expression de Denis Olivennes

«En complément de l’article, 13 graphes»

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action

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