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« La crise financière : enseignements et perspectives »

La dernière crise financière, dont les conséquences sont encore présentes aujourd’hui de par la croissance nulle ou ralentie que connaissent les différentes zones du monde, a été d’une violence inégalée depuis la Seconde Guerre mondiale. Les enseignements que l’on peut en tirer, comme les perspectives que l’on trace de façon encore incertaine, nécessitent de revenir sur les causes de la grande crise financière et économique de 2007-2009, puis sur les causes idiosyncratiques de la crise de la zone euro. Enfin, on pourra tenter d’en tirer quelques enseignements et se demander si cette crise a été résolue ou si elle peut rebondir.

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Zone euro : crise et incomplétude, les solutions structurelles envisageables

Vous entendrez ici les interventions d’Olivier Klein et de Michel Aglietta dans le cadre de la table ronde « Europe : des institutions inadaptées ? » composée de Michel Aglietta, Pervenche Berès, Olivier Klein et David Thesmar et animée par Antoine Reverchon, journaliste au Monde.

L’autre table-ronde portait sur le thème « Europe, quels moteurs pour la croissance ? » et était composée de Patrick Artus, Gilbert Cette, Sandrine Duchêne et Jean Pisani-Ferry.

En savoir plus : http://www.journeeseconomie.org/blogjeco/index.php?

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Crise économique et financière Economie Générale Finance Zone Euro

« L’avenir de la zone euro »

Europe : des institutions inadaptées ?

Le Système monétaire européen (SME) a été mis en place pour créer un lien fixe, mais ajustable, entre les différentes devises de la zone. Il permettait ainsi, depuis 1979, d’éviter les variations brutales et perturbantes entre les devises des différents pays constituant le SME. Cependant, malgré sa forte utilité, il subsistait une source d’instabilité : des événements externes pouvaient entraîner des chocs asymétriques non désirés entre les pays européens concernés.

En outre, chaque pays de la zone conservant sa monnaie, le solde de la balance courante devait être surveillé pays par pays. Une nation qui avait besoin de plus de croissance économique venait régulièrement buter sur la contrainte extérieure. L’effet induit de ce phénomène était une contrainte d’alignement sur les taux de croissance les moins élevés des grands pays du SME.

La création d’une monnaie unique, en substitution du SME, participait donc de cette réflexion. D’une part, une monnaie unique permettait qu’une dépréciation du dollar provoque un effet homogène sur les pays de la zone euro. D’autre part, la création de la monnaie unique laissait penser que des marges de manœuvre de politique conjoncturelle pouvaient être dégagées : le solde de la balance courante devait pouvoir alors se considérer au seul niveau de la zone. Cela devait permettre à un pays de relancer son économie, si cela s’avérait nécessaire, sans buter immédiatement sur la contrainte extérieure, dès lors que l’ensemble de la zone ne dégradait pas son solde courant. Enfin, une monnaie unique entre les pays considérés, sans possibilité de dévaluation-réévaluation, devait permettre aux acteurs économiques d’avoir une base plus stable de prévisions pour leurs investissements à l’étranger et leurs échanges et de ne plus supporter les charges liées au change des devises les unes contre les autres.

Fédéralisme vs. convergence

À la création de la zone euro, deux écoles de pensée coexistaient tacitement. L’une et l’autre concevaient clairement qu’une telle zone monétaire ne pouvait fonctionner correctement sans complément.

La première école comprenait que, pour devenir efficiente la zone euro devait progressivement être complétée d’un niveau de fédéralisme supérieur. Cette école de pensée fondait ses espoirs sur la continuation d’une construction européenne, jusqu’alors faite par l’économique avant de procéder par la suite aux avancées politiques nécessaires.

L’autre école, qui s’imposait dès lors que l’on n’osait ou ne voulait afficher d’objectifs fédéralistes, était de ne laisser entrer dans la zone monétaire européenne que des pays très similaires et devant le rester ; d’où la création des critères de convergence et du pacte de stabilité. Si les pays membres d’une zone monétaire sont en phase conjoncturellement et convergent en termes de taux d’inflation, de déficit budgétaire sur PIB, comme de dette publique sur PIB, et qu’ils le restent une fois entrés dans la zone, les ajustements entre pays membres ne sont plus nécessaires.

Erreurs partagées

À la lecture des événements des dernières années, les deux écoles de pensée ont été dans l’erreur.

La première, puisque le surcroît de fédéralisme ne s’est pas produit, qui plus est en temps de crise forte.

La seconde, puisque les pays entrés dans la zone n’ont pas tous été choisis sur une base de forte proximité économique structurelle et conjoncturelle, pour des raisons politiques ou car certains de ces pays ont volontairement occulté certains traits de leur économie. Erreur, en outre, parce qu’une union monétaire ne conduit pas naturellement à préserver une convergence, eût-elle existé à sa création, mais tout au contraire induit progressivement des divergences structurelles dues à des polarisations industrielles sur certaines régions de la zone, correspondant à des désindustrialisations d’autres régions.

Les marchés financiers eux aussi s’y sont trompés. Ils ont conduit les taux d’intérêt des dettes publiques des différents pays de la zone à des niveaux très similaires, alors que l’on connaissait progressivement des divergences considérables, tant dans les ratios d’endettement public que dans ceux des déficits courants.

Ces erreurs de politique et de marché ont amené à l’éclatement d’une crise majeure spécifique à la zone euro dues à des divergences de plus en plus fortes entre pays de la même zone, sans que les mécanismes de régulation de tels phénomènes aient été à l’œuvre ou, même, aient été prévus.

Les alternatives à l’austérité

Les efforts intenses réalisés par les pays du sud de l’Europe induisent des coûts sociaux immenses, en termes de niveau de vie et de chômage. En moyenne depuis la crise de la zone euro, ces pays n’ont pas amélioré – voire ont détérioré – leur ratio dette publique sur PIB, eu égard à l’effet multiplicateur supérieur à 1 des mesures budgétaires. Cependant, certains pays comme l’Espagne commencent à voir leurs efforts porter des fruits lisibles dans le redressement de la balance courante et l’augmentation des exportations.

Une question se pose donc : la zone euro doit-elle se réguler par le seul ajustement « par le bas » des niveaux de vie, afin d’amener certains pays-membres à converger vers des niveaux de déficit et de dette publics plus acceptables et vers un meilleur équilibre de leur balance des paiements ? Dès lors que la base industrielle est faible, l’équilibre ne peut venir en effet que d’une croissance atone n’induisant pas d’accroissement des importations. Ce qui produit alors un phénomène inéluctable de ralentissement durable de la croissance de la zone euro, dès lors que plusieurs pays conduisent les mêmes politiques simultanément et avec une intensité forte.

Ou la régulation de cette zone monétaire doit-elle s’opérer par un mix de réformes structurelles indispensables à des finances publiques plus saines et à une meilleure compétitivité, et une politique européenne de soutien de la croissance potentielle, d’une véritable coordination des politiques économiques et de transferts entre les différents pays permettant aux moins industrialisés d’entre eux de ne pas être contraints en permanence à l’ajustement par l’austérité. Ce mix pourrait aider à ce que ces changements structurels puissent se faire. Sans brutalité excessive et sans récession violente, donc en permettant à ces réformes d’être plus acceptables.

Pour réaliser les indispensables réformes structurelles dans nombre de pays de façon organisée et mieux planifiée, la zone euro doit donc développer un degré de fédéralisme supplémentaire – supervision, coordination des politiques économiques et transferts budgétaires – qui permettrait d’assurer un degré supérieur de solidarité entre ses membres. Et de reconnaître et d’assumer la diversité naturelle des pays composant la zone, y compris la diversité induite sur le plan industriel notamment par l’existence même de la monnaie unique.

Cela favoriserait un niveau de croissance moyen plus élevé, en autorisant certains pays à connaître des déficits courants alors que d’autres afficheraient des excédents. Ou alors, incapable de dessiner cette évolution politique, la zone euro est-elle condamnée à exiger trop vite et trop durablement une politique d’austérité dans les pays les moins industrialisés, conduisant alors à un niveau moyen de croissance pour l’ensemble de la zone durablement très affaibli, avec les risques politiques induits. Et peut-être finalement des risques sur l’euro lui-même.

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« A quoi servent les banques ? Retour aux fondamentaux »

Coupables ! Les banques n’ont elles pas été accusées d’être responsables de la crise financière déclenchée en 2007 ? Utiles exutoires aux difficultés économiques, elles affrontent en permanence un procès en légitimité. Et pourtant, sans banques… pas d’économie.

Il me paraît  urgent de remettre à l’endroit deux ou trois idées.

Les banques commerciales jouent un rôle fondamental : elles collectent l’épargne et font des crédits, en servant d’intermédiaire entre les agents disposant de capacité de financement et ceux connaissant des besoins de financement. Dans les pays en développement, une partie importante de l’épargne nationale échappe à tout circuit d’allocation rationnel et efficace. La majorité de la population, non bancarisée, investit dans des biens patrimoniaux ou thésaurise en liquide ses avoirs. Ce système est inefficace puisque l’épargne n’est pas investie au bénéfice de la croissance, c’est-à-dire au service des projets des individus et des entreprises. Les marchés financiers sont de facto réservés à peu d’entreprises, de taille importante,  eu égard aux informations régulières  coûteuses à produire pour attirer les investisseurs sur les émissions obligataires.

Grâce à leur connaissance approfondie de leurs clients, ménages, professionnels, PME voire grandes entreprises, les banques peuvent mieux appréhender le profil de l’emprunteur, donc prendre raisonnablement en compte le risque de crédit. Elles sont, par construction, un réducteur de l’asymétrie d’information qui régit la relation entre l’emprunteur et le prêteur. Elles permettent ainsi à d’innombrables acteurs économiques de financer leurs projets.

En outre, en investissant dans des produits bancaires, les épargnants prennent un risque sur la banque et non sur la multitude d’emprunteurs auxquels la banque fait crédit. De par son activité d’intermédiation, la banque joue donc un rôle économique et social crucial.

La deuxième fonction de la banque commerciale est d’assumer le risque – dit de transformation – de taux d’intérêt et de liquidité. Ces risques découlent du fait que les ménages comme les entreprises privilégient le plus souvent les placements à court terme et disponibles alors que les emprunteurs souhaitent le plus souvent des financements de long terme, d’une durée suffisante pour rentabiliser un investissement ou dégager une capacité d’épargne pour rembourser un emprunt immobilier.

La banque commerciale agit donc au service de l’économie comme une centrale de risques, en prenant ces risques en lieu et place des acteurs économiques, facilitant ainsi la croissance. Les marchés financiers mettent quant à eux face à face directement emprunteurs et prêteurs suffisamment importants ou avertis, en laissant à leur compte l’ensemble de ces risques.

On comprend d’autant mieux l’enjeu de définir les réglementations  les plus adaptées pour que les banques remplissent au mieux le rôle qui est le leur, tout en assurant le maximum de sécurité à leurs clients déposants et au système financier dans son ensemble.

La dernière crise a confirmé l’instabilité intrinsèque de la finance. Et partant l’ardente nécessité d’une réglementation bancaire efficace.  Mais le dosage doit être habile. Surréagir, corseter trop fortement les risques pris par les banques ferait courir un autre danger tout aussi inquiétant : asphyxier l’activité économique en bridant les financements. Les marchés ne peuvent que dans certains cas se substituer aux banques.  Un carcan excessif peut aussi  pousser les banques à transférer les risques aux entreprises et aux particuliers en leur vendant directement ou indirectement leurs crédits titrisés ou, par exemple, en octroyant essentiellement des crédits immobiliers à taux variable. Cela peut aussi favoriser le développement d’une forme parallèle de financement, la « finance de l’ombre » (shadow-banking), quasi non régulée.

Trop réduire le risque bancaire, dans l’idée par ailleurs parfaitement légitime d’obtenir des « banques Phénix », renaissant toutes seules de leurs cendres (« bail in »)  et ne nécessitant pas le sauvetage des Etats (« bail out »), pourrait aboutir à déplacer le risque professionnellement pris par les banques commerciales sur les autres acteurs économiques, c’est-à-dire in fine sur les contribuables.

Il convient donc de bien analyser les situations pour trouver la juste réglementation. De bien comprendre le rôle indispensable et irréductible des banques dans l’économie pour ne pas parvenir éventuellement à un résultat qui n’irait pas dans le sens de celui recherché.

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Banque Economie Générale

A quoi servent les banques ? (version complète)

La responsabilité des banques a largement été mise en cause lors du déclenchement de la crise en 2007. La réalité est plus complexe, même si des banques, notamment anglo-saxonnes, y ont à tout le moins participé et ont pu l’amplifier. Cependant, notre propos n’est pas ici de revenir sur la genèse de la crise, mais plutôt de répondre aux questions qui se sont posées quant à la finalité des banques et leur utilité au service de l’économie.

De fait, le rôle fondamental d’une banque commerciale est de collecter l’épargne et de faire des crédits. C’est une évidence, mais elle est essentielle. Et cela se vérifie par contraste dans les économies en développement, y compris les économies émergentes, où la population est faiblement bancarisée. Dans ces pays, une partie de l’épargne nationale, la plus importante, échappe à tout circuit d’allocation rationnel et efficace. La majorité de la population investit dans des biens patrimoniaux, conduisant ainsi, le cas échéant, à des bulles, ou thésaurise en liquide (billets) ses avoirs. Un système inefficace au total, puisque l’épargne n’est pas investie au bénéfice de la croissance, c’est-à-dire au service des projets des individus et des entreprises.

En France, naturellement, la réalité est tout autre car le déploiement des agences depuis les années 60 s’est traduit par un taux de bancarisation de la population aujourd’hui proche de 100%. Dans les pays développés, les banques jouent donc un rôle essentiel dans la collecte et la bonne allocation de l’épargne. D’autant qu’à l’exception des grandes entreprises et épisodiquement de certaines moyennes entreprises, les possibilités d’emprunter des agents économiques sur les marchés financiers sont extrêmement réduites. Car émettre sur ces marchés nécessite de se faire connaître, d’émettre régulièrement, de recourir souvent à des agences de notation, donc de dépenser beaucoup d’argent pour assurer une information abondante sur soi-même. Il faut être suffisamment important pour pouvoir absorber ces coûts et pour intéresser les investisseurs à l’analyse de ses comptes et, ainsi, réduire ce qu’on appelle en économie l’asymétrie d’information entre le prêteur et l’emprunteur.

Or, tous les acteurs économiques ont des besoins de financement. Et c’est précisément le rôle des banques que d’y répondre grâce à leur connaissance approfondie et durable des emprunteurs, quels qu’ils soient, ménages, professionnels, PME, moyennes entreprises, voire grandes entreprises. Cette connaissance approfondie, sur la durée, permet aux banques de mieux appréhender le profil de l’emprunteur, le contexte de l’emprunt, donc de prendre raisonnablement en compte le risque de crédit. Elles sont aussi aidées en cela par la gestion des flux de paiement de ces clients.

Pour les épargnants (les placeurs), l’utilité de la banque est également manifeste. La plupart en effet n’ont pas une surface financière suffisante pour assumer un risque de crédit concentré sur quelques émetteurs de dette. Il revient donc à la banque d’emprunter auprès des épargnants et de prendre elle-même ce risque de crédit sur des clients à besoin de financement, ce qui impacte, en cas de risque avéré, son propre compte de résultat. Autrement dit, en investissant dans des produits bancaires, les épargnants prennent un risque sur la banque et non sur la multitude d’emprunteurs auxquels la banque fait crédit. De par son activité d’intermédiation, la banque joue donc un rôle économique et social crucial, tant en faisant se correspondre les besoins et les capacités de financement des uns et des autres qu’en prenant elle-même le risque de crédit en lieu et place des épargnants.

Le second rôle d’une banque est d’assumer le risque de taux d’intérêt et de liquidité engendré par son activité de collecte d’épargne et d’octroi de crédit. C’est son activité de « transformation » (des échéances des dépôts et des crédits).

En effet, les ménages, comme les entreprises, privilégient le plus souvent les placements à court terme, rapidement disponibles. Mais la plupart des emprunteurs souhaitent emprunter sur le long terme, c’est-à-dire sur une durée suffisante pour rentabiliser un investissement dans une entreprise ou dégager peu à peu une capacité d’épargne pour rembourser un emprunt immobilier, par exemple. Les marchés peuvent certes jouer un rôle à cet égard. Mais l’achat d’une obligation à 7 ans par exemple émise par une entreprise comporte pour le placeur non seulement un risque de crédit sur de nombreuses années, mais aussi un risque de taux d’intérêt entraînant un risque de perte sur le capital, en cas de revente avant le terme.

L’achat d’obligations, ou de tout titre de créance, comporte en effet un risque de plus-value/moins-value en fonction notamment des fluctuations des taux d’intérêt. Or ils peuvent varier fortement comme cela s’est produit à maintes reprises durant les trente dernières années. En revanche, si un épargnant choisit un placement bancaire, il ne supporte aucun risque de plus ou moins-value, il reporte de fait le risque de taux d’intérêt sur la banque qui dispose du professionnalisme nécessaire pour le gérer et qui respecte des réglementations prudentielles établies à cet effet. La banque inscrit les pertes liées à la matérialisation de ce risque sur ses propres comptes de résultat, sans mettre en jeu la valeur des placements de ses épargnants-clients, sauf à disparaître elle-même.

Prêter à moyen-long terme et emprunter à court terme comporte, outre le risque de taux d’intérêt, un risque de liquidité. En effet, les épargnants qui ont effectué des placements ou des dépôts à court terme peuvent souhaiter retirer leur argent alors qu’il est bloqué par la banque dans des prêts à moyen-long terme. Sur les marchés, le risque de liquidité est en principe résolu par le marché secondaire. Il est possible, en principe, d’y revendre une action ou une obligation, avec une plus-value ou une moins-value à la clé (cf. ci-dessus). Mais en réalité la liquidité est « autoréférentielle ».

Un marché n’est pas liquide par essence, intrinsèquement, mais parce que les investisseurs en sont convaincus. Si cette conviction vient à disparaître, si les investisseurs craignent pour la liquidité, ils cessent d’acheter et plus aucune vente ne peut avoir lieu ou à des prix très en deçà de la valeur « normale » des titres considérés. Ce risque de liquidité est porté par tous ceux qui interviennent directement sur le marché financier. Dans le cas des banques, ce risque de liquidité est géré par la banque, avec professionnalisme, et à nouveau en respectant des ratios prudentiels ad hoc. En dernier recours, les banques centrales peuvent intervenir et redonner des liquidités aux banques. Cela s’est produit internationalement en 2008, puis en 2011 avec la crise de liquidité spécifique à la zone euro.

En résumé, la banque est non seulement indispensable à une allocation rationnelle de l’épargne, mais, en outre, et contrairement aux marchés, elle prend à la fois les risques de crédit, de taux d’intérêt et de liquidité à la place de ses clients. Et ces prises de risques sont réalisées de façon réglementées et supervisée. C’est l’ensemble de ces fonctions qui fonde l’utilité économique et sociale spécifique et irréductible des banques.

Le propos n’est pas ici d’évoquer les banques d’investissement qui jouent un rôle de conseil et ont vocation notamment à intervenir sur les marchés, en tant qu’intermédiaire mettant en face à face direct les acheteurs et les vendeurs et en y originant des titres pour le compte des emprunteurs.


Une question se pose aujourd’hui : les réglementations bancaires nouvelles permettent-elles de gérer encore mieux le risque bancaire ?  Les réglementations macro-prudentielles sont indispensables, car les marchés peuvent être régulièrement déconnectés des fondamentaux économiques. Et plus les marchés sont globalisés, plus ils sont volatils, et plus le risque de bulles est important.

Il se produit donc régulièrement des erreurs de marchés manifestes. Les banques, comme les marchés, peuvent par exemple être entraînées, dans des phases euphoriques, à trop prêter en laissant se développer un surendettement chez les emprunteurs. A contribuer ainsi au développement de bulles de crédit et de bulles sur les actifs patrimoniaux (actions, immobilier…). Puis lors des retournements, à des rationnements trop brutaux de crédit et des plongées dépressives des prix des actifs. En outre, et c’est le fondement historique de la réglementation, une réglementation micro-financière est nécessaire pour protéger l’épargne des déposants dans chaque banque et assurer par là-même la stabilité du système bancaire et financier, indispensable à la bonne marche de l’économie. Mais, s’il existe manifestement des erreurs de marché à répétition, il peut exister aussi des erreurs de réglementation.

La réglementation, de par une exigence de ratios de solvabilité minimum à respecter, oblige ainsi les banques à disposer de capitaux propres suffisants en face des risques qu’elles prennent (risques de marchés et de crédit). La réglementation permet également de réduire le risque de liquidité depuis Bâle 3. Mais certaines réglementations ont parfois des effets indésirés.

Par exemple, dans Bâle 2, certaines modalités étaient procycliques. Elles accentuaient en effet les effets euphoriques comme les effets dépressifs. En permettant aux banques de diminuer leurs capitaux propres ou d’augmenter leurs engagements en cas d’évolution favorable de la conjoncture et des marchés financiers, elles favorisaient une prise de risques accrue, ce qui contribuait au développement de bulles spéculatives (de crédits, de marchés, etc.). A l’inverse, en cas d’évolution défavorable, les banques devaient renforcer leurs capitaux propres ou diminuer leurs engagements dans l’urgence, alors même qu’elles devaient passer des provisions sur les crédits et assumer des positions défavorables sur les marchés financiers, renforçant alors le caractère dépressif de l’économie. Bâle 3 est venu au moins partiellement corriger ces effets pro-cycliques en prévoyant des coussins de capitaux propres contracycliques. Le régulateur corrige parfois davantage les crises passées qu’il n’anticipe les crises futures.

Un problème se pose dans chaque nouvelle réglementation prudentielle : arbitrer entre le trop peu de régulation, ce qui serait dangereux pour la stabilité financière, et le trop de régulation, qui induit un danger non moins tangible sur la croissance et potentiellement sur la stabilité financière elle-même. Réduire trop fortement les risques de taux d’intérêt, de crédit ou de liquidités pris par les banques dans leur propre activité commerciale, reviendrait à réduire l’activité économique ou à transférer ces risques aux autres acteurs économiques, les entreprises, les particuliers ou les professionnels.

Par exemple, pour ne pas prendre de risque sur les taux d’intérêt, les banques espagnoles et les banques anglaises ont développé le crédit immobilier à taux variable. Quand les taux montent, ce sont ainsi les emprunteurs qui se retrouvent contraints, voire piégés. Contrairement aux banques, les acteurs économiques non bancaires n’ont que rarement les moyens de gérer ces risques qui sont inhérents à l’activité économique et au décalage entre les désirs des agents économiques à capacité de financement et de ceux qui connaissent des besoins de financement.

Ainsi, chaque fois que l’on demande aux banques de prendre trop peu de risques induits par leur pure activité commerciale de prêteur et de collecteur d’épargne[1], on fait porter ce risque par des acteurs qui ne sont ni régulés, ni supervisés, ni professionnalisés. Une trop forte réglementation qui réduirait exagérément la capacité des banques commerciales de prendre du risque inhérent à leur rôle économique conduirait en effet à réduire leur activité et à déplacer ces risques vers des acteurs non régulés, soit directement vers les agents économiques qui sont mal équipés pour les gérer, soit vers la finance de l’ombre (« le shadow banking ») qui accumulerait ainsi des risques sans contrôle. C’est à nouveau ce qui se produit depuis trois ans à une très forte échelle, comme s’en alerte très récemment le FMI, en en dénonçant le danger potentiel en termes de risque systémique.

En outre, si pour réduire la quantité de risques pris par les banques, on les incite à titriser davantage leur crédits, elles transfèrent ici encore ces risques de taux d’intérêt, de crédit, comme de liquidité, vers des investisseurs peu ou pas régulés. Ajoutons que par la titrisation, on augmente la volatilité des résultats bancaires. Normalement, la variation des résultats des banques commerciale est lente, car elles vivent des marges entre le taux d’intérêt de leurs stocks de crédits et celui de leurs emprunts et dépôts, et des commissions sur les services et produits qu’elles ont commercialisés. Mais si demain il était demandé aux banques de titriser bien davantage leurs crédits, leur résultat, au lieu d’être calculé sur des stocks, serait dépendant du volume de crédits produits dans l’année, donc des flux, induisant ainsi une instabilité de leurs résultats qui ne contribuerait guère à la stabilité financière globale.

Porteuse ainsi d’instabilité à plusieurs titres (moindre régularité des résultats des banques comme externalisation des risques de banques régulées vers d’autres acteurs qui ne le sont pas), la titrisation peut néanmoins être vertueuse, à condition d’être faite à la marge et si elle est produite dans de bonnes conditions. L’exemple des « subprimes » nous prouve que les banques sont capables du pire en la matière. Pour éviter ces dérives, les banques doivent rester responsables des crédits qu’elles accordent (de par un pourcentage minimal de risque conservé en cas de titrisation, disposition prévue dans Bâle 3, pour éviter l’effet d’« aléa moral »), et doivent conserver l’essentiel de leurs crédits dans leur bilan. La titrisation ne peut être qu’une solution – réglementée – d’appoint, si l’on veut protéger la stabilité financière.

A la suite de la grande crise financière, un nouvel objectif est apparu, bien compréhensible, mais dangereux s’il frise l’obsessionnel. Celui d’éviter tout nouveau sauvetage des banques par l’argent public, c’est-à-dire par les contribuables. D’où toutes les nouvelles réglementations et celles en préparation pour éviter les « bail-out », c’est-à-dire les renflouements par les Etats, et forcer aux « bail-in », c’est-à-dire au renflouement par les actionnaires et les créanciers des banques, suivant l’idée d’une banque « Phenix », renaissant de ses cendres.

Le but est louable. Mais il ne doit pas rater sa cible. Rappelons tout d’abord qu’en France, les banques ont remboursé l’intégralité des sommes prêtées par l’Etat pendant la grande crise. Mais surtout, le souhait de ne pas avoir à renflouer les banques avec l’argent des contribuables, s’il doit très légitimement conduire à des règles prudentielles plus efficaces, ne doit pas vouloir réduire trop fortement le risque pris naturellement par les banques de par leur activité commerciale.

Les banques ne sont que des centrales de risque, notamment de taux d’intérêt, de crédit et de liquidité, comme nous l’avons explicité. Elles prennent ces risques sur elles, répétons-le. Et cela permet aux autres acteurs économiques de ne pas les prendre ou d’en prendre significativement moins. Elles le font de façon professionnelle et réglementée, avec une supervision qui doit être sans faille. Aller trop loin dans la réduction des risques pris par les banques ne conduirait pas à éviter aux contribuables de dépenser moins.

Si les banques ne les concentraient plus suffisamment sur elles, on étoufferait l’économie ou, sans réduire le risque et même en l’accroissant pour les raisons analysées ci-dessus, on le transférerait en amont aux acteurs économiques , c’est-à-dire aux contribuables, en les fragilisant dans les moments de tension ou de crise, et on le disséminerait, en en perdant la traçabilité. Donc, à terme, on augmenterait l’instabilité financière globale.

Bien entendu, nous nous sommes intéressés ici aux risques inhérents à l’activité commerciale des banques et non à l’activité de marché pour compte propre. Il convient donc de bien dissocier les situations pour trouver la juste réglementation. De bien comprendre le rôle indispensable et irréductible des banques dans l’économie pour ne pas l’abîmer et parvenir éventuellement à un résultat inverse à celui recherché. Enfin, et comme souvent, à penser que les solutions efficaces et durables sont une question de discernement et de mesure.

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[1] Une réflexion est en cours actuellement à Bâle sur la mise en place d’une réglementation plus stricte du risque de taux d’intérêt pris par les banques commerciales, en modifiant les conventions d’écoulement des dépôts à vue, considérant – contrairement à l’expérience à tout le moins française – que les dépôts sont moins stables et à contraindre ainsi davantage les banques dans leur capacité à transformer de l’épargne courte en crédits longs. Cela conduirait alors les banques soit à davantage titriser, soit à transférer le risque de taux et de liquidité sur les acteurs économiques non bancaires.

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«Réformes structurelles : les graphes»

13 graphes, en complément aux articles :

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action», publié dans les Echos du 17 juillet 2014,

«Les réformes structurelles sont difficiles, mais indispensables», publié dans le Monde le 20 mars 2014 »