Comment réconcilier formations et offres d’emplois, dont on a aujourd’hui le sentiment qu’elles ne sont pas nécessairement en phase ? Mais aussi comment mieux utiliser l’éducation pour développer la croissance et l’emploi ?
Dans un contexte de forte mondialisation et de révolution technologique, dans les pays développés, les emplois qui se développent sont des emplois à forte valeur ajoutée. Valeur ajoutée qu’il faut sans cesse rechercher dans l’innovation. Nous sommes dans une économie de l’innovation, car cela seul peut tirer la croissance aujourd’hui. Les emplois moyennement qualifiés ont tendance à diminuer. Les emplois peu qualifiés peuvent exister et même se développer, mais rencontrent des problèmes de coût du travail. On voit là l’équation générale, dans laquelle on comprend bien que le rôle de l’éducation est essentiel pour résoudre la question de l’emploi.
Je vais donc développer quelques idées forces « macros » -il existe deux corrélations fortes bien établies-, ainsi que quelques idées issues de nombreuses études publiées sur l’efficacité de l’éducation, afin de proposer quelques pistes de réflexion et d’ouvrir le débat.
Une première corrélation, très forte, a été établie entre la qualité de l’éducation et la croissance. Donc, entre la qualité de l’éducation et l’offre de travail, dès lors que l’on accepte une relation entre croissance et emploi, même si elle est plus lâche qu’avant.
On a notamment établi une corrélation entre la croissance moyenne du PIB par habitant dans les pays de l’OCDE et les scores aux tests PISA (Programme for International Student Assessment ou comparaisons internationales des performances éducatives), c’est-à-dire la qualité de l’éducation primaire et secondaire, mesurée auprès des élèves de 15 ans.
La France est confrontée à un problème concret : son score PISA s’avère moyen et baisse depuis 10 ans. Sur ces scores, qui mesurent les compétences de base (calcul, capacités « littéraires »…), la France était classée 13ème en 2000, avec 511 points, elle est passée au 25ème rang en 2012, avec 495 points. Elle a donc régressé.
Et l’on constate aussi que plus de 20% des élèves de 6ème ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux. On sait aussi, et c’est très intéressant pour la France, qu’il existe une très faible corrélation entre les montants investis dans l’éducation et la croissance. Autrement dit, bien sûr, il faut consacrer des montants suffisants à l’éducation, mais ce n’est pas en engageant toujours plus de moyens que l’on atteint la plus grande efficacité. Au sein même de l’Europe, certains pays, qui affichent le même taux de dépenses budgétaires sur PIB que celui de la France en matière d’éducation, obtiennent pour autant de biens meilleurs scores PISA. Ce qui évidemment pose question…
Une deuxième forte corrélation existe entre mobilité sociale (c’est-à-dire égalité des chances) et croissance, autrement dit entre mobilité sociale et, à nouveau, offres d’emploi. Evidemment la corrélation fonctionne dans les deux sens. C’est la croissance qui crée de la mobilité sociale. Mais la mobilité sociale induit aussi une fluidité dans les évolutions. Elle permet de lutter contre les rentes de situation des individus ou des professions établies. Ce qui favorise précisément l’innovation et le développement.
Or en France l’inégalité des chances est forte et elle s’aggrave.
Par exemple, si l’on considère le taux de corrélation entre le revenu des parents et le revenu des enfants, ou bien entre le diplôme des parents et celui des enfants, l’on voit bien que plus les corrélations sont fortes, moins il existe de mobilité sociale. En France, le taux de corrélation, qui était de 19,6% en 2003, atteint 22 ,5% en 2012. Alors que la moyenne de l’OCDE, qui se situait à 14,8% en 2003, descend à 14,6% en 2012. La France est donc mal placée, mais en outre régresse sur le plan de la mobilité sociale (i.e. de l’égalité des chances), ce qui signifie que la croissance, l’innovation, le développement sont freinés. Ajoutons qu’en France, le pourcentage d’élèves issus de milieux socioéconomiques défavorisés et faisant partie des 25% de jeunes atteignant les meilleurs scores se situe parmi les plus faibles de l’OCDE.
Il faut donc s’interroger, sans idéologie et avec beaucoup de pragmatisme, sur ce qui marche dans l’éducation, puisque l’on voit bien qu’une éducation efficace permet plus de mobilité sociale et induit plus de croissance, donc directement et indirectement plus d’emplois.
Les études les plus courantes et variées (sur plusieurs pays ou un seul, sur plusieurs expériences comparables, etc.) aboutissent en moyenne à des conclusions similaires. Ce qui permet d’ouvrir le débat.
- Premier point : les pays qui réussissent le mieux ont toujours instauré un système de lutte contre l’échec scolaire dès le primaire.
- Deuxième point, la qualité des enseignants : hautement qualifiés, responsabilisés, avec de l’autonomie, avec beaucoup de formation continue et évalués. Et certaines études le montrent très bien, il existe une corrélation entre leurs qualités et la façon dont sont établis leurs revenus, parfois en fonction de leurs performances.
- Troisième point : une bonne articulation des niveaux de pouvoir : Ecole / Mairie/ Région/ Etat.
- A l’inverse de ce que nous faisons, les universités les plus efficaces évitent une spécialisation trop précoce des étudiants.
- Des informations sont données sur les contenus et la qualité des cours. Autrement dit, des évaluations sont effectuées pour chaque cours. Et elles sont diffusées. Cela, tant sur la qualité de la recherche que sur la qualité de l’enseignement. Cela permet aux étudiants de bien choisir, d’être plus sélectifs.
- Une concurrence et une complémentarité sont instaurées entre les différentes universités. Une sorte de « coopétition ». Cette conception est toujours supérieure, d’après toutes les études réalisées au sein de l’OCDE, au refus de toute concurrence entre les universités.
- On voit aussi que les systèmes à filières sélectives sont plus efficaces. Et de façon paradoxale, en France, l’université est la seule à ne pas avoir établi de filières sélectives, alors que les classes Prépa en sont une comme les IUT. A cela s’ajoutent les questions que l’on peut évidemment se poser sur l’efficacité de l’université, quand on sait qu’un étudiant sur deux ne passe pas en deuxième année. Ce qui constitue évidemment un échec douloureux.
- Les passerelles facilitées entre les différents types de formation pour les étudiants améliorent l’efficacité générale.
- La recherche doit être développée et valorisée, avec des pôles d’excellence, de compétitivité (on a commencé à bien le faire en France) et des passerelles sont établies entre recherche, enseignement et secteur privé.
- Les filières professionnelles (je ne développe pas car cela sera abondamment développé ensuite) sont valorisées, avec un apprentissage développé et des formations professionnelles efficaces et ciblées.
Il y a beaucoup à faire en France, on le sait.
Pour conclure, en France, alors que nos atouts en matière d’éducation sont remarquables, on rencontre un échec patent sur ces sujets avec un recul de l’égalité des chances et un niveau inférieur à la moyenne, de nombreux échecs de parcours à l’école puis à l’université… Les qualifications obtenues ne sont pas toujours en phase avec les emplois disponibles.
Et cette statistique est importante : les taux d’emploi des 15/24 ans sont en France de 28%, mais de 45% en Belgique, aux Pays Bas, en Allemagne, et ils atteignent quasiment 50% dans les pays nordiques, Etats-Unis, Canada et Grande-Bretagne.
En France, on manque probablement beaucoup en la matière de pragmatisme et de capacité d’analyse de la réalité comme de capacité à appliquer ce qui marche d’ailleurs, en l’adaptant correctement à nos spécificités.
Je finirai simplement en citant cette phrase que j’aime beaucoup de Bossuet :
« Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes »
Vidéo. L’intervention d’Olivier Klein aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2015
* Retrouver le texte complet de l’Intervention d’Olivier Klein
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