Les banques face à leur avenir proche

La première réflexion que je peux faire est qu’il est rare d’avoir un jour au cours duquel, en ouvrant les journaux, on ne voit pas de choses sur les banques prédisant que nous sommes la nouvelle sidérurgie. Voire même récemment que nous sommes destinés à devenir Kodak, dont chacun sait qu’il a à ce point mal vu la révolution technologique, qu’il en est mort. C’est donc très encourageant d’être dans les banques en ce moment. Beaucoup des collaborateurs de nos banques sont ainsi dans l’expectative, quand certains ne sont pas tout simplement dans une inquiétude forte quant à l’avenir de leur métier.
Je vais essayer de traiter le sujet tout en revenant sur ce que le Président disait pour introduire le sujet. Bill Gates disait effectivement « banking is necessary, but banks are not », ce qui évidement va tout à fait dans le sens de Kodak.
J’aime toutefois à rappeler à chacun qu’il a dit cela en 1994. Je ne peux pas m’empêcher de constater que les banques sont toujours là ! On va essayer de démontrer, et pas seulement d’y croire, que les banques de détail seront toujours là dans de nombreuses années.
Evidemment, la question se pose et elle est légitime, parce que la digitalisation et la mondialisation sont, à mon avis, les deux révolutions fondamentales que nous vivons. Ce sont vraiment les deux faits majeurs qui changent notamment la vie des entreprises et des banques. Le digital est une révolution technologique, mais aussi, par voie de conséquence, une révolution du comportement des clients, y compris dans leurs relations avec les banques. Ainsi, voit-on en permanence, par exemple, que le nombre de clients dans nos agences baisse considérablement, ce qui fait penser que puisque les personnes ne viennent plus dans les agences, on n’a plus besoin d’agences et on n’a plus besoin de conseillers. Donc, la seule possibilité de faire au mieux serait un repli défensif. Abaisser la toile autant que possible.
Je pense qu’il est des questions de fond qu’il faut traiter, auxquelles on ne peut répondre simplement d’un revers de main en faisant un déni de situation, mais en même temps, je pense que les banques, et là on parle davantage de banques de détail, ont des atouts considérables qu’elles peuvent jouer. Il s’agit pour autant de ne pas rester dans la façon usuelle de faire et de ne rien changer. Ce serait mortel. Mais, en revanche, je pense que les banques de détail ont un potentiel de « sortie par le haut » que je vais tenter de mettre en avant.
Pour cela, il faut faire un raisonnement un peu approfondi et revenir à ce qu’est l’essence même d’une relation bancaire, du métier bancaire, dans la banque de détail.
Il y a en réalité, deux domaines d’intervention de la banque, qui ne se juxtaposent pas, qui s’articulent l’un à l’autre, mais se différencient l’un de l’autre aussi. Il y a historiquement dans la banque, une banque que j’appellerais transactionnelle, c’est-à-dire celle qui fait la banque au quotidien, la banque des paiements, des retraits et des dépôts. Cette banque par construction peut très bien se digitaliser complètement. Avec les automates bancaires et les smartphones, qui permettent de réaliser de plus en plus de types d’opérations, il est possible de se passer d’humains tout simplement.
Un certain nombre de banques peuvent de ce fait apparaître, des néo banques, des banques en lignes, des banques low-cost pour leur quasi-totalité et se dédier à cette fonction, de façon moins chère et parfois plus pratique que les banques traditionnelles. Même si ces dernières ont suffisamment investi ces derniers temps, pour être à la hauteur. Pourquoi ? Parce que ces nouvelles banques partent de zéro et s’installent comme banques en ligne, low cost, avec très peu d’employés. Elles créent souvent un nouveau système informatique et c’est infiniment plus facile que de réformer son informatique quand elle a été stratifiée pendant des années, comme dans toutes les entreprises et notamment comme dans toutes les banques. Et, de ce fait, la praticité pour les clients est plus facile à obtenir et le coût que peut proposer ce genre de banques est par construction moins élevé. Il faut bien y regarder cependant parce que la plupart du temps, quand les banques low-cost affichent qu’elles sont gratuites, c’est beaucoup d’affichage.
La première réponse de nos banques est que nous avons des capacités d’investissement qui sont considérables et que nous avons des équipes de grande valeur, etc. On doit évidemment lutter contre les effets de stratification des systèmes d’information, et, malgré tout, on peut très bien, en investissant beaucoup sur le digital, parvenir à digitaliser les process, à faire en sorte que l’on rende infiniment plus pratique la relation du client avec sa banque, à faire en sorte que l’on soit parmi les meilleurs. On peut être au moins aussi pratiques que les nouveaux entrants.
Cela suffit-il ? Je crois que quelques groupes bancaires considèrent que c’est leur ligne de défense principale, avec une réduction des coûts par un abaissement du nombre d’agences et de conseillers bancaires. Donc, il faut investir de façon très lourde sur l’informatique, ce qui est nécessaire absolument pour développer le digital, pour développer du « self-care », et faire en sorte au fond d’amenuiser les coûts au mieux pour essayer de tendre vers un modèle intermédiaire entre la banque de réseau traditionnelle et la banque en ligne.
Je pense, bien modestement, que cette stratégie doit être évidemment envisagée, mais qu’elle comporte une part de risque élevée. C’est une stratégie qui pourrait conduire à l’attrition régulière de tout le système. Pourquoi ? Parce que souvent, lorsque l’on supprime des agences et des conseillers, on perd des clients. Et si à chaque fois que nous perdons des clients, nous perdons du chiffre d’affaires, à chaque fois nous allons être obligés de procéder à de nouvelles restrictions, donc à de nouvelles attritions. Et cela peut être sans fin.
Bien entendu, nous devons avoir une gestion optimisée des coûts mais, au fond, toutes les entreprises doivent le faire en permanence. Nous devons, en revanche, faire attention à ne pas entrer dans une logique d’attrition.
Quelle peut-être alors la réponse ? J’ai dit d’une part investir beaucoup sur le digital et se rendre au moins aussi pratiques que les banques en lignes. Je peux vous dire que la plupart des banques en France aujourd’hui sont devenues ou deviennent aussi pratiques que des banques en lignes. Mais c’est aussi prendre en compte le fait que les banques en lignes elles-mêmes ne répondent qu’à une partie de l’univers des besoins de leurs clients.
Les banques en lignes sont concentrées sur le transactionnel. Elles ne peuvent pas faire du conseil, puisqu’elles n’ont pas de conseillers. Et si elles se dotaient progressivement de conseillers, il faudrait alors les loger quelque part, il faudrait les payer, il faudrait les former. Cela veut dire que leurs coûts monteraient singulièrement, donc qu’elles ne seraient plus « low-cost ». On pourrait alors avoir à terme une sorte de rapprochement des modèles. Mais, en attendant, elles n’ont pas de conseillers.
Quelle est l’autre partie du monde bancaire à laquelle répond la banque classique en France ? C’est ce que j’appelle la banque relationnelle. La banque relationnelle, c’est la banque du conseil, c’est la banque des projets de vie. La banque incorpore les deux modèles et les articule l’un à l’autre, ainsi que je le disais. Dans la banque relationnelle, les conseillers accompagnent les projets de vie de leurs clients ou les projets d’entreprises. Ce peut être des grands projets de vie, acheter un logement, agrandir son logement, entrer dans la vie professionnelle, préparer sa retraite, préparer une succession, préparer les études des enfants… Cela peut être des petits projets de vie, prévoir un beau voyage, prévoir l’achat d’une automobile… Tout ceci en réalité se traite sur le temps long. Autant le temps de la banque transactionnelle est un temps de l’immédiateté, autant la banque relationnelle est la banque du temps long. Parce qu’il faut préparer ses projets de vie et qu’il faut ensuite les mener à bien. Puis ils se déroulent progressivement. Et quels sont les produits bancaires qui précisément correspondent à cela ? Le crédit, l’épargne et les assurances. Tous ces produits sont des produits qui se déroulent dans le temps. Parce qu’on a besoin de faire de l’épargne préalablement pour préparer son projet ou parce qu’on va épargner après avoir obtenu le crédit qui a permis de réaliser le projet. En général, les Français font les deux à la fois. Et l’assurance naturellement protège leurs biens et leur famille. Tout cela constitue l’offre bancaire qui représente une offre globale, s’adressant à tous les projets de vie possibles et accompagnant et trouvant des solutions à chacun des clients et de leur famille.
Ainsi, la grande distribution, c’est le temps de l’immédiateté, et pas le temps long. Vous rentrez chez un grand distributeur ou dans un magasin quel qu’il soit, l’acte d’achat est un acte d’immédiateté. Vous n’êtes pas content du produit ? Vous changez de marque de produit le lendemain. Vous n’êtes pas content du magasin parce qu’il n’a pas les marques que vous voulez ? Vous changez de magasin le lendemain. Il n’y a aucune relation de long terme. C’est pour cela d’ailleurs qu’il y a eu dans les magasins de moins en moins de commerciaux. Cela a été remplacé par des linéaires et du « self-service ». En revanche, dans la banque des projets, on est dans le temps long. Ce qui fait que les grands distributeurs se sont arrêtés, dans leur volonté d’intégrer peu ou prou le métier de la banque, au crédit consommation, qui est l’articulation exacte entre le temps court et le temps long. Ils se sont arrêtés aux moyens de paiement, le cas échéant, pour développer leurs cartes de fidélité, mais ne sont pas passés au reste. De grands distributeurs ont essayé mais ils n’ont jamais pu vendre de produits d’épargne sous blister. Pour les mêmes raisons, je pense que la banque relationnelle a l’avenir devant elle, parce qu’elle correspond à un besoin relationnel d’accompagnement de long terme.
Je creuse un tout petit peu. Est-ce que c’est vrai dans tous les pays ? Pas vraiment. Il y a des pays européens, et il y a encore plus de pays anglo-saxons, où la banque est éclatée depuis longtemps. Peut-être même n’a-t-elle jamais été un modèle global. Aux Etats Unis, il n’est pas rare que quelqu’un puisse avoir une banque pour ses paiements, son crédit consommation dans des établissements spécialisés, un crédit immobilier dans une agence spécialisée, puis qu’il fasse ses placements chez des courtiers spécialisés. C’est même un cas assez classique. Dans les pays où les banques ont une forte dominante transactionnelle, la stratégie de diminution forte des coûts est inéluctable. Mais la France est un pays dans lequel la part relationnelle est forte.
Deuxième analyse. Les banques en lignes qui existent depuis pas mal d’années, même si elles sont encore jeunes, ne sont pas rentables. Aucune en France ne gagne de l’argent. Pourquoi ? Parce qu’il est très difficile, même quand on a des coûts extrêmement bas, d’équiper le client de plus en plus et de le fidéliser. Précisément parce qu’il n’y a pas de conseiller. Ajoutons que pour attirer les nouveaux clients, elles n’ont pas les kilomètres de vitrines que nous avons. Evidemment, c’est incompatible. On ne peut pas être une banque en ligne low-cost et avoir des kilomètres de vitrines, par construction. Donc, pour attirer les clients, elles sont obligées de faire des cadeaux que vous connaissez, 80 euros pour un nouveau client et la carte bancaire, en général à vie, sous certaines conditions cependant. Cela coûte extrêmement cher aux banques en ligne. En outre, au moins 50 millions de publicité chaque année sont nécessaires pour faire vivre la marque et être capables d’acquérir de nouveaux clients. L’un dans l’autre, l’acquisition d’un client est extrêmement coûteuse.
Pour autant, une fois que l’on a fait les investissements nécessaires pour augmenter la praticité des banques et les rendre comparables en ce domaine aux banques en ligne, peut-on penser que l’essentiel du chemin est fait ? Notre différenciation par l’existence de nos conseillers est-elle suffisante ? La promesse relationnelle est-elle bien perçue par les clients et cette promesse est-elle bien tenue ? Car si cette promesse semblait vaine, pourquoi alors les clients n’iraient-ils pas dans les banques en ligne apparemment moins chères ? Peut-on penser que, dans le domaine de la banque relationnelle, les banques classiques sont au point ? Non, bien entendu. Il nous faut encore beaucoup bouger et beaucoup améliorer notre propre modèle. C’est-à-dire valoriser notre différenciation. Et c’est en améliorant notre différenciation, en la mettant plus en exergue, en la rendant encore meilleure, plus visible, plus concrète, que probablement cette différenciation nous permettra de survivre et même de continuer à nous développer. C’est donc en rendant notre promesse relationnelle crédible et démontrable.
Il se peut, par exemple, quelle que soit la banque, que l’on ait des conseillers de temps en temps qui en sachent moins que leurs clients. Il se peut aussi que l’on ait des conseillers qui changent beaucoup, tous les ans, tous les ans et demi. Et de ce fait la relation de long terme ne s’installe pas, donc la bonne connaissance client ne peut s’affirmer. Et je pourrais ajouter évidemment de nombreux items. Il se peut, par exemple, qu’il y ait de temps en temps dans les banques un manque de réactivité, des niveaux de service qui ne soient pas toujours poussés à leur maximum…
Il est donc indispensable pour nos banques, et c’est ce que nous faisons modestement à la Bred depuis cinq ans, d’améliorer ce modèle, de le pousser au meilleur de lui-même. Par exemple, en faisant en sorte que nos conseillers restent au moins trois à cinq ans en poste avec les mêmes clients. Par exemple, en faisant en sorte que l’on segmente bien les clients, en fonction de la plus ou moins complexité de leurs besoins, pour mettre en face les conseillers avec la compétence qui leur conviennent. Par exemple, en augmentant singulièrement le niveau annuel de formation.
Au passage, avec la numérisation ou la digitalisation du monde, et la robotisation, je suis persuadé que la seule façon de défendre le travail dans des sociétés développées comme les nôtres est d’augmenter la valeur ajoutée délivrée. C’est la société de la connaissance. C’est la société de l’innovation. Si l’on cherche à baisser les coûts, pour lutter contre la main d’œuvre moins chère des pays émergents ou contre les robots de demain, on risque d’être perdants par avance. Bien entendu, il faut être le plus efficace possible et avoir les coûts les plus optimisés possible. C’est la règle de base d’une entreprise, comme nous l’avons rappelé. Mais il faut parier en plus sur la société de la connaissance. A la Bred, pour prendre cet exemple, nous avons augmenté en cinq ans de 40 % le budget formation et aujourd’hui nous avons environ un budget formation égal environ à 6 % de la masse salariale, sachant qu’en France, comme vous le savez, le minimum légal est de 1 %. On essaie donc de parier sur une « sortie par le haut ».
C’est aussi changer les méthodes commerciales. C’est-à-dire que l’on ne vend pas le produit pour le produit, on analyse les besoins d’un client, ce qui change tout. Et l’on regarde ensuite comment proposer des solutions adaptées à chacun, en utilisant la palette de produits et services que l’on a. Nous ne sommes pas là pour faire une campagne sur un produit et le pousser à tous les clients.
Evidemment, nous nous servons du digital là aussi. Ainsi, ne se sert-on pas du digital que pour les process, ne se sert-on pas du digital que pour faire en sorte de faciliter la vie de nos clients par la qualité et l’utilité de nos applications sur smartphone, etc. On se sert du digital aussi pour ce que l’on appelle le « big data » et le traitement des données du client et donner ainsi autant que l’on peut à nos conseillers de quoi les nourrir pour réaliser la meilleure préparation de rendez-vous possible, le meilleur conseil, la plus forte valeur ajoutée possible.
Il nous faut donc, pour « sortir par le haut » et éviter « l’ubérisation », investir beaucoup, harmonieusement et avec une stratégie pertinente, sur le digital et sur le capital humain tout à la fois.
Ajoutons que le nombre de rendez-vous avec nos clients ne baisse pas en réalité, même si les clients ne viennent plus beaucoup aux agences. Il augmente, mais ces rendez-vous peuvent très bien se passer au téléphone ou par tchat, par email, etc. Et ce sont de vrais rendez-vous qui durent longtemps, des rendez-vous d’analyse des besoins et de montages de solutions. Le digital nous permet de mieux les préparer, nous permet aussi de vendre à distance, quand le client ne veut pas se déplacer. Mais toujours avec leur conseiller attitré.
Il est donc vital de bien mettre en pratique notre promesse relationnelle et de faire en sorte qu’elle soit perçue par le client, pour qu’il n’ait aucune envie de nous quitter.
La clé du succès me semble donc être là. Etre au moins aussi bons que les banques en ligne dans la partie transactionnelle de notre métier. Et affirmer et valoriser notre différenciation gagnante par l’excellence de notre modèle de banque relationnelle, de banque du conseil et de la valeur ajoutée pour le client ; ce que les banques en ligne, par construction, ne peuvent pas faire.
Faire en sorte que l’humain puisse être toujours là, présent, est indispensable parce que la décision des gens est une décision rationnelle doublée d’émotionnel. C’est ainsi que le processus de décision se fait. La seule rationalité ne suffit pas. Il faut encore « sentir » la meilleure décision à prendre, nous enseignent les sciences cognitives. Cela ne peut passer que par la relation humaine, qui est donc cruciale. C’est et ce sera notre modèle de différenciation gagnant : un modèle global de relation de proximité, augmenté du digital.
Merci beaucoup Monsieur Klein. Voici venu le moment des questions. Je pose la première.
Quid de l’attitude des banques vis-à-vis du Crowdfunding. On voit de plateformes du Crowdfunding qui se développent actuellement. Qu’est-ce que vous en pensez, comment vous réagissez ?
J’ai un point de vue à ce sujet un peu iconoclaste.
Il faut distinguer le Crowdfunding fait pour le crédit, du Crowdfunding fait pour le « Private Equity ». Pour le « Private Equity », j’y crois, parce que les gens vont placer un peu d’argent dans des plateformes qui vont investir dans des petites entreprises à potentiel important de croissance. Si les sommes sont perdues, tant pis. Si le capital s’accroît, tant mieux. C’est du « private equity » intermédié par une plateforme.
Pour le crédit, je n’y crois pas beaucoup. Cela ne veut pas dire que cela ne se développera pas un peu, mais cela restera probablement très minoritaire. Je n’y crois absolument pas comme manière de désintermédier fortement les banques. Car l’utilité économique et sociale d’une banque réside dans le fait qu’elle prend les risques à la place de ses clients emprunteurs et prêteurs. Quels sont ces risques ? Un risque de crédit tout d’abord, naturellement. Si vous placez de l’argent à la banque, vous ne prenez pas le risque de crédit que prend la banque. Sauf s’il y avait une faillite bancaire. En France, cela ne se voit tout de même pas beaucoup. Le coût du risque de crédit n’a aucune espèce de conséquence sur l’épargne que vous avez placée. Quand vous prêtez de l’argent à une plateforme de Crowdfunding, naturellement vous êtes sujets à tous les risques de crédit qui sont pris par la plateforme. Vous assumez à l’euro –l’euro ce risque. C’est la banque, quant à elle, qui assume seule ce risque sur son propre compte de résultats. Aux Etats Unis, il vient d’y avoir une faillite de plateforme de Crowdfunding. La deuxième et troisième natures de risque pris par la banque sont liés au fait que la banque, en faisant crédit et en empruntant, en fait emprunte globalement court à ses clients (les dépôts) et prête plutôt à long terme (les crédits). Donc, il y a deux risques qu’elle prend pour le compte soit des emprunteurs soit des épargnants. Le risque de taux d’intérêt et le risque de liquidité. Les banques absorbent également ces risques dans leurs comptes de résultats et ne les répercutent pas sur leurs clients. En outre, les banques sont formées à gérer ces risques et sont en plus régulées pour les gérer de façon très prudente. Sur les plateformes de Crowdfunding, ce n’est absolument pas le cas. Ni d’ailleurs dans le cas des fonds de placements qui font de plus en plus de la banque non régulée, du Shadow Banking.
Ces risques sont en totalité absorbés par les placeurs, voire les emprunteurs.
Qui émet le Bitcoin, qui gère le bitcoin et la Blockchain ? Comment a-t-on accès aux renseignements ?
Dans ma banque, nous avons des questions de clients qui demandent ce que nous pensons du bitcoin ou autres cryptomonnaies. Les cryptomonnaies ne sont pas de vraies monnaies dans le sens où elles ne conservent en rien la valeur de la liquidité investie dans ces « monnaies », puisque leur prix peut monter et baisser très fortement. Il n’y a aucune stabilité, il n’y a aucun ancrage nominal de ces « monnaies ». Il n’y a pas non plus de prêteur en dernier ressort, il n’y pas de banque centrale et, par construction, eu égard à ce que je viens de dire, il n’y a pas de relation stable entre les différentes monnaies entre elles. Ce sont des monnaies privées qui sont émises, et je réponds en cela à votre question. Elles sont émises par des privés, qui décident de lancer une cryptomonnaie. Les privés qui lancent cela créent une nouvelle « monnaie » et ont le droit à un faible pourcentage du montant qu’ils créent eux-mêmes. Je trouve cela extraordinaire.
Il faut se souvenir qu’au XIXème siècle, les banques centrales ont commencé à être créées parce que les monnaies privées entraînaient des crises financières majeures, avec des valorisations intempestives à la hausse ou à la baisse ; tout cela s’écroulait régulièrement avec des crises majeures économiques à la clé. Aujourd’hui, les cryptomonnaies sont-elles fondées sur du crédit ? Non, il n’y a aucun crédit. Sont-elles fondées sur une valeur de métaux précieux ? Non plus. C’est donc un pur objet spéculatif et cela ressemble furieusement à la tulipe de Hollande du XVIIème siècle qui avait donné lieu à une crise spéculative majeure.
Ne pensez-vous pas que dans l’univers de la banque, vous compariez la banque traditionnelle avec la banque en ligne, est-ce que plutôt que de considérer la banque en ligne comme un concurrent ne vaudrait-il pas considérer ce produit comme un produit additionnel que vous pourriez proposer à votre clientèle en recherche d’une autre forme d’expérience client et une autre forme de relation avec sa banque ?
C’est une très bonne question, d’ailleurs il y a des groupes bancaires qui ont développé des banques en lignes en interne, et à la Bred nous en avons une qui s’appelle « Bred Espace ». Donc je ne suis pas du tout contre les banques en lignes.
Celle de la Bred, ni celles des autres banques du Groupe BPCE, n’est pas une banque en ligne low-cost. C’est une banque qui fait tout en ligne pour les personnes qui ne veulent ou ne peuvent vraiment avoir aucun rapport avec une agence, parce qu’ils n’ont pas le temps ou parce qu’ils sont à l’étranger ou parce que mille autres raisons le justifient. Elle s’adresse également aux étudiants qui le souhaitent. Mais tous ces clients ont un conseiller attitré. Nous favorisons ici aussi un relationnel de proximité, même s’il ne passe pas par l’agence.
Il est effectivement intelligent d’intégrer des banques en lignes pour certains segments de marché. Si cela conduit à perdre de l’argent durablement, cela n’a aucun intérêt. Mais si l’on trouve des modèles qui, en coût marginal, peuvent être rentabilisés, naturellement cela peut être intéressant.
Revenons sur le sujet du Blochain. Les cryptomonnaies fonctionnent sur Blockchain, mais le Blockchain est une technologie que l’on utilise pour bien d’autres choses. C’est une technologie, comme vous le savez, très décentralisée. Le numérique ou le digital vont très bien avec la décentralisation et même la facilitent. Ce sont donc ce que l’on appelle des mineurs, qui sont des entreprises qui développent des capacités informatiques de traitement de données, qui stockent des données en multipliant les contrôles les uns par les autres et finissent par certifier la véracité de quelque chose. D’un diplôme, d’un titre de propriété, etc. Donc, on peut s’en servir dans tel pays d’Afrique pour remplacer un cadastre inexistant ; entre les banques pour remplacer le système de détention des titres pour le compte des clients, etc. Nous avons même développé à la Bred une capacité qui utilise le Blockchain pour contrôler l’identité des clients, notamment à l’entrée en relation, parce que les banques sont maintenant obligées règlementairement de connaître parfaitement les gens que l’on accepte comme clients et de vérifier leur identité. Nous avons donc développé un service qui permet en quelques secondes de vérifier de nombreux points, à partir souvent de Blockchain, afin de certifier l’identité des futurs clients.
Donc, les Blockchain, ne sont en aucun cas réductibles aux cryptomonnaies. Le seul problème des Blockchain est que cette façon de procéder consomme une énergie énorme et que, d’un point de vue écologique, c’est probablement un désastre. Mais d’un point de vue technologique, c’est très intéressant.
Alors que la plupart des banques de la place publient des comptes encore fortement marqués par l’impact des taux d’intérêt bas , la première des banques populaire, la Bred, parvient à stabiliser ses performances. « Si l’on neutralise l’effet fiscal lié notamment à la surtaxe d’impôts sur les sociétés qui est venue compenser la taxe sur les dividendes, nos profits sont en croissance de 2 % sur l’année », s’est félicité ce mercredi son directeur général, Olivier Klein. A fin 2017, la Bred revendique un résultat net de 257,2 millions d’euros, contre 266,4 millions l’année passée pour un produit net bancaire de 1,152 milliard d’euros (en progression de 5,2%).
Pour préserver ses marges, la Bred reconnaît volontiers qu’elle n’a pas eu une politique extrêmement agressive sur le front du crédit. Comme ses concurrents, elle a misé sur ses revenus de commissions (par définition insensibles au contexte de taux) : « ils sont en progression de 7 % sur un an, grâce à des montées en gamme de nos clients sur les cartes de crédit, à la hausse des contrats de gestion sous mandat ou encore à la progression des contrats d’assurance-dommages (IARD) », précise Olivier Klein.
Selon lui, un client à la Bred a en moyenne « six ou sept produits bancaires », soit nettement plus que la moyenne. Récemment une étude du cabinet de conseil Bain & Company estimait que les clients des banques mutualistes détiennent en moyenne 3,9 produits dans leur banque principale. Au global, les revenus de banque commerciale de la Bred en France progressent de 3,9%, à 880,5 millions d’euros.
En 2017, la Bred a aussi profité de son maillage international. Implantée depuis 2007 en Nouvelle Calédonie, la banque a accéléré son expansion à l’étranger ces dernières années. En 2010, elle a créé une filiale au Laos avant de se développer au Cambodge en mars dernier . L’année passée, elle a aussi ouvert une filiale aux Iles Salomons. « On va dans des pays de taille modestes dans lesquels nous pouvons prendre une part de marché significative et dans lesquels les perspectives de croissance sont plus fortes qu’en France », explique Olivier Klein.
De fait, en 2017, ce sont les implantations internationales de la Bred et ses activités de marchés de capitaux pour les grandes PME et ETI qui affichent les taux de croissance les plus important. En 2017, ces deux activités affichent respectivement des revenus en hausse de 6,6 % et de 14 %.
Seule ombre au tableau : le coût du risque (provision pour risque d’impayés) de la Bred a bondi de près de 29 % en 2017. « Certains dossiers de fraude comptables dans des entreprises ont été mis à jour, nous en avons pâti », indique Olivier Klein. Selon des sources proches, la banque parisienne était en effet l’un des partenaires de William Saurin.
Sharon Wajsbrot
Cette version est augmentée de l’actualisation des graphiques présentés dans l’article.
Revue De l’économie Financière-Extrait du numéro 125-Article Olivier Klein
le 28 mars 2017
Alors que la zone Euro est à la croisée des chemins et que les gouvernements des pays membres se penchent sur son fonctionnement, Olivier Klein traite ici de l’évolution possible de la politique monétaire et des taux d’intérêt dans ce contexte.
Les taux vont-ils monter et quels sont les fondamentaux qui le justifieraient ? Quels sont les effets des taux bas sur l’économie et sur la capacité de financement des banques ?
Une première réflexion, un peu générale, mais fondamentale : les taux très faibles ne sont pas un phénomène dû exclusivement aux banques centrales. On observe que la croissance repart en ce moment, tant aux États-Unis que dans les pays émergents et en Europe. C’est une bonne nouvelle. Cela va probablement tirer les taux vers le haut. Mais depuis la crise financière, on a connu une période de croissance très faible, avec une crise de surproduction mondiale, qui s’est traduite par un dynamisme très faible de l’offre et de la demande. Évidemment, une demande faible et une épargne forte couplées à un investissement faible sont la manifestation d’une surproduction mondiale. De la même façon, des gains de productivité faibles et une démographie déclinante mondiale – à part en Inde et en Afrique – entretiennent un manque de dynamisme de l’offre. La simultanéité d’un manque de dynamisme de la demande et de l’offre a pour conséquence des taux de croissance très faibles et fait baisser naturellement les taux d’intérêt.
Si les marchés fonctionnaient bien, et si l’économie s’autorégulait spontanément, les taux d’intérêt rejoindraient les taux d’intérêt dits naturels. Dans la théorie économique, ces taux naturels sont ceux qui égalisent l’épargne et l’investissement à un niveau de plein-emploi. Il se trouve que c’est un taux que l’on ne peut pas observer, c’est un taux calculé par les économistes. Et ces calculs conduisent à des taux d’intérêt extrêmement bas. Parfois même, il est calculé que ces taux auraient dû être négatifs pour pouvoir égaliser la demande et l’offre, soit l’épargne et l’investissement, au niveau du plein-emploi. Notamment dans la zone euro.
On voit donc bien que ce n’est pas seulement la banque centrale qui pousse les taux d’intérêt vers le bas.
Cela conduit à penser que l’on était il y a encore peu de temps soit dans une période de stagnation séculaire, dont on connaît tous les effets et les raisons, soit, au moins depuis la crise, dans une longue période classique de désendettement avec croissance très faible, qui se produit après toutes les crises de surendettement majeures, telles que celle que l’on a connue dès 2007. Les deux à la fois sont possibles, au moins temporairement. Dans les deux cas, cela justifie des taux d’intérêt extrêmement bas.
À ces réflexions, il faut ajouter le fait que la violente crise financière que nous avons connue nous a fait entrer dans une période de déflagration majeure, avec un risque très élevé de déflation. Pour lutter contre cette déflation, les banques centrales ont conduit des politiques extrêmement agressives, mais nécessaires. Toutes les grandes banques centrales ont agi en baissant les taux encore plus bas que les marchés ne les poussaient, c’est-à-dire en dessous des taux neutres. Comme on le sait, le taux neutre est égal au taux de croissance réel augmenté du taux d’inflation, donc au taux de croissance nominale. Quand on pousse les taux en dessous des taux neutres, on le fait parce que l’on veut ranimer la croissance en faisant repartir l’inflation – et éviter ainsi la déflation – et, bien sûr afin de limiter les risques d’une crise de surendettement pour éviter les effets « boule de neige » sur la dette, dus à des taux d’intérêt nominaux supérieurs au taux de croissance nominale.
Quand on a une croissance extrêmement faible et une inflation quasi nulle, on fait face à ce que l’on connaît bien, le zero lower bound, qui est la limite du taux zéro. La politique monétaire et l’autorégulation de l’économie se retrouvent donc contraintes en principe par l’impossibilité d’amener les taux en dessous de zéro, alors qu’ils devraient l’être pour rééquilibrer la demande et l’offre au niveau du plein emploi.. En France, par exemple, les banques ne peuvent pas proposer des dépôts à taux négatifs, sauf aux grands institutionnels. On est limité à ce taux zéro. On voit bien que cela peut être une trappe pour une situation de sous équilibre durable. Si les taux ne peuvent pas descendre suffisamment bas, la conséquence peut ainsi être de rester dans une situation de sous équilibre, de sous production, avec sous-emploi durable et avec un risque de déflation persistant. Avec des taux d’intérêt qui, bien que très bas, n’ont plus le ressort pour remonter, parce qu’ils devraient être encore plus bas.
Si l’on en revient maintenant aux effets sur l’économie des taux très bas, ils sont bien connus. En principe, ils font repartir la croissance par un premier effet, la stimulation de la consommation et de l’investissement et l’abaissement de l’attrait de l’acte d’épargne.
Le deuxième effet est l’effet richesse. La baisse des taux fait remonter le prix des actifs patrimoniaux, que ce soit l’immobilier ou les actions, ce qui soutient à son tour la consommation et l’investissement pour les ménages comme pour les entreprises.
En 2007, les taux d’endettement des agents privés des pays avancés avaient atteint des niveaux extrêmement élevés. Cette crise de surendettement, qui est la raison fondamentale de la crise financière que nous avons connue en 2007-2009, a entraîné une crise de surendettement des États. À partir de 2008-2009, les États s’endettèrent beaucoup pour faire face à cette crise financière et économique. Cela conduisit un certain nombre d’États à des situations de surendettement, rejoignant ainsi la situation des acteurs privés.
Cela conduisit naturellement, comme toujours dans l’histoire financière, à de très grandes périodes de désendettement, douloureuses, qui asphyxient potentiellement la croissance.
L’effet de taux très bas, inférieurs aux taux d’intérêt neutres permet de faciliter ces périodes de désendettement. Comme dit précédemment, cela permet d’éviter les crises dites « boules de neige » que l’on connaît bien. Si les taux d’intérêt sont supérieurs aux taux neutres, dès lors que l’on a un taux d’endettement élevé, la dette s’emballe, parce qu’il faut financer les intérêts de la dette à payer par un accroissement de la dette elle-même. Inversement si l’on a des taux plus bas que les taux neutres, on peut se désendetter de façon moins douloureuse. Évidemment, c’est ce qu’ont fait les banques centrales en baissant beaucoup leurs taux courts, jusqu’à zéro. C’est usuel dans la politique monétaire. La novation de la part de quelques banques centrales a été de porter certains taux courts en dessous de zéro, pour déjouer le Zéro lower bound. La BCE a lancé une politique de taux négatifs sur les dépôts des banques à la banque centrale. Nous sommes à -0,40 %, aujourd’hui. Si la BCE l’a fait, c’est probablement parce que le taux d’intérêt naturel en zone euro est négatif. C’est aussi évidemment une façon d’inciter les banques à ne pas conserver de réserves de liquidités à la banque centrale, mais au contraire à les utiliser pour faire davantage de crédits. C’est bien ce qui s’est passé, d’ailleurs. Les banques se sont dit qu’il valait mieux faire des crédits, même à 1,50 %, plutôt que de perdre -0,40 % en laissant les liquidités à la banque centrale. Cela faisait 1,90 % de différentiel. Toutes les banques ont donc été incitées à faire davantage de crédits. Et cela a poussé à nouveau les taux à la baisse, puisque l’offre de crédits a augmenté et que la compétition entre les banques a ainsi été encore plus vive. Donc, les banques ont prêté plus, dans le cadre d’une politique intelligente de la banque centrale, même si elle n’est pas très usuelle, et même si elle comporte évidemment des risques.
En outre, comme aux États-Unis, mais plus tardivement, la BCE a pris des mesures beaucoup plus radicales en faisant notamment du quantitative easing, c’est-à-dire du développement de son propre bilan bancaire en achetant directement des dettes publiques et privées. En réalité, il s’agissait là de se donner les moyens de contrôler aussi les taux longs, alors que la pratique traditionnelle des banques centrales est de contrôler les taux courts. Il lui fallait contrôler les taux longs pour les amener à des taux qui étaient compatibles notamment avec la trajectoire de solvabilité budgétaire des États. Entre 2010 et 2012, on était entré dans une crise majeure de la zone euro, période hautement risquée puisque s’était installée une défiance contagieuse, où l’on avait la dynamique catastrophique suivante : la crainte quant à la solvabilité de la dette publique, qui poussait à la hausse les taux d’intérêt des dettes publiques, qui renforçait à son tour le risque d’insolvabilité. La politique extraordinairement bienvenue alors de Mario Draghi a été de lancer le quantitative easing pour abaisser les taux longs des États et faire cesser ces cercles vicieux. Sans cela, la zone euro aurait très probablement éclaté. Son célèbre « whatever it takes » a été salvateur.
En outre, on le sait bien, le quantitative easing a des conséquences sur les changes. Or, le niveau de change peut aider, dans certaines conditions, à rehausser le niveau de croissance. Il y a eu des tentatives de faire baisser le dollar, ou de faire baisser l’euro, etc., par les banques centrales concernées, à travers les politiques de quantitative easing.
La question que l’on se pose tous aujourd’hui, et ici-même, est de savoir combien de temps les taux très bas, voire négatifs, peuvent encore durer et si l’on est définitivement passé dans une phase de hausse des taux. Et si la réponse est positive, à quelle vitesse cette hausse va se produire.
Dans le fond, en 2008-2009, j’étais persuadé que les taux longs très bas seraient durables. Je n’avais pas complètement tort, puisque nous sommes en 2017, et qu’ils sont encore extrêmement bas. Pour moi, ils étaient durables, à cause du contexte et des raisons que je viens d’expliquer. Pourquoi aujourd’hui pourrait-on changer notre paradigme et penser que les taux pourraient remonter ?
Je l’ai dit tout à l’heure. D’abord, parce qu’il y a une reprise de la croissance, et que les taux d’intérêt nominaux sont assez fortement déterminés par le taux de croissance nominale. Le taux de croissance nominale remontant partout dans le monde, c’est donc une bonne raison de penser que les taux doivent remonter.
En outre, il y a des freins et des problèmes à faire perdurer très longtemps des taux longs extrêmement bas, voire même négatifs. Le premier frein est que les politiques de taux longs très bas peuvent ne pas marcher. Il ne suffit pas d’abaisser les taux pour donner envie aux entreprises et aux ménages d’emprunter. C’était bien le cas en France, en 2014, quand les taux se sont très fortement abaissés. Le crédit n’est pas reparti tout de suite, et ce n’était pas imputable aux banques, qui auraient aimé faire plus de crédits. Il y avait simplement un problème de demande de crédit, parce que tout le monde était dans une sorte de marasme où personne n’avait envie d’emprunter bien davantage. Finalement, fin 2014 et courant 2015, on a connu une croissance de la masse des crédits en France, due à la politique de taux d’intérêt très bas. Ce frein-là n’existe donc plus, puisque l’on a une demande de crédit, à notre avis insuffisante, mais en tout cas de bon niveau.
Parallèlement, a priori, des taux d’intérêt très bas découragent l’épargne. Mais il faut comparer les taux à l’inflation. On a des taux d’intérêt très bas, mais on a également une inflation très basse. Au total, les épargnants n’ont pas été maltraités, en tout cas moins que dans les années où les taux d’intérêt étaient bien plus élevés qu’aujourd’hui mais moins chers que les taux d’inflation. Mais il y a un effet psychologique à avoir des taux d’intérêt très bas. Beaucoup de ménages se disent que s’ils n’arrivent pas à constituer progressivement l’épargne qu’ils souhaitent avoir au moment où ils prendront leur retraite, parce que les intérêts ne sont pas assez élevés pour capitaliser à un niveau suffisant pour atteindre ces montants, ils vont peut-être épargner plus et moins consommer pour se garantir les niveaux qu’ils veulent pour plus tard. Dans ce cas-là, l’effet des taux d’intérêt très bas peut être exactement le contraire de ce que l’on attend en théorie économique traditionnelle. Aujourd’hui, l’effet n’est pas manifeste. On voit bien que les taux d’intérêt très bas n’ont pas non plus accru l’épargne. Mais cet effet pourrait agir tôt ou tard.
Le troisième frein à la politique monétaire des taux très bas est que les effets de richesse, qui sont forts aux États-Unis, sont moins forts en Europe, notamment parce que la composition des portefeuilles financiers des ménages en épargne n’est pas du tout la même. Elle est bien moins assise sur des actions. Elle est davantage composée de monétaire, d’immobilier, etc. Donc, les effets de richesse sont beaucoup moins évidents économétriquement sur l’Europe.
Deux risques sont en outre à prendre en compte. Le premier est de voir des bulles spéculatives renaître. Les taux d’intérêt étant très bas, il est facile d’emprunter pour se porter acheteur sur le marché des actifs patrimoniaux. Ce qui pourrait entraîner le développement de bulles.
Aujourd’hui, et à tout le moins il y a quelques mois, on ne pouvait pas vraiment déceler de bulle. Il n’y a pas de bulle de l’immobilier évidente en Europe. Il n’y a pas non plus de bulle manifeste sur le marché des actions, en tout cas en Europe, même si, aux États-Unis, je ne suis pas tout à fait sûr que certains secteurs ne soient pas déjà surévalués. Ce risque, s’il n’est pas avéré pour l’instant, existe cependant, notamment si une telle situation sur les taux devait se prolonger encore.
On constate en outre que des institutionnels ont du mal à faire face aux obligations de rendement qu’ils peuvent avoir, que ce soient des fonds de retraite, des mutuelles de santé ou des fonds de placement. On voit ainsi clairement s’enclencher des achats d’actifs beaucoup plus risqués que ceux qu’ils prenaient auparavant. Comme tout ce qui présente peu de risque a un rendement quasi négatif, on constate une tendance à aller vers des actifs beaucoup plus risqués. Le prochain retournement de conjoncture et de marché pourrait laisser voir des défauts de crédit et d’obligations. Bref, des bilans plus fragiles.
Il existe enfin un risque sur les banques. On comprend bien qu’il leur faut une pente de taux pour faire de la marge. Pourquoi ? Parce qu’en gros, elles empruntent de l’argent aux déposants à des taux référencés sur des taux courts, et qu’elles prêtent très majoritairement à taux fixes longs. Une baisse des taux, pendant la période de transition, n’est en général pas bonne pour les banques. Mais, après la transition, les banques devraient pouvoir restaurer leurs marges. Si l’on était, avant la phase de transition, à 5 % de taux de crédit en moyenne sur le stock et à 2,50 % de taux sur les dépôts par exemple, et si l’on se retrouve, après transition, réciproquement à 2,50 % et à zéro, le taux de marge de la banque est bien reconstitué. En fait comme aujourd’hui tous les taux longs et les taux courts se rejoignent vers zéro, les taux de crédit sur le stock baissent sans cesse dans les actifs des banques et les taux des dépôts ne peuvent pratiquement plus baisser, puisqu’ils sont pratiquement à zéro, et qu’ils ne peuvent devenir négatifs. Nous sommes devant le phénomène de zero lower bound. Et cela conduit les banques commerciales en France à voir se réduire inexorablement leur taux de marge, donc leurs revenus.
Mais il existe d’autres effets que met en avant la banque centrale, à juste titre. D’après elle, parce que les taux sont bas, le volume de crédit peut rebondir. C’est vrai. Comme je l’ai dit, à partir de fin 2014-2015, c’est bien ce qui s’est passé en France. On a connu un effet volume positif sur les crédits qui a permis de compenser l’effet taux d’intérêt négatif sur les marges nettes d’intérêt des banques commerciales. C’est rigoureusement exact en 2015. En 2015, la moitié des banques commerciales en France ont eu une marge nette d’intérêt qui a légèrement baissé, l’autre qui a légèrement monté, et, au total, les banques ont connu en tant qu’agrégat une marge nette d’intérêt inchangée. Ce n’est plus du tout le cas en 2016. Dans la banque commerciale en France, en 2015, le PNB est effectivement monté de 1,8 %, parce que l’effet volume a compensé l’effet taux, comme nous venons de le voir, et que les commissions ont légèrement monté. Mais en 2016, le PNB a en revanche baissé de 4 %, en moyenne, parce que l’effet volume a été inférieur à l’effet taux d’intérêt qui se cumule, malgré l’évolution des commissions. Même si les taux d’intérêt stagnaient maintenant, ou même s’ils remontaient très légèrement, l’abaissement du taux du stock dû au remboursement naturel des crédits anciens ou aux renégociations, ou encore aux remboursements anticipés, conduirait à un taux sur le stock en baisse.
Les banques commerciales rentrent donc dans des zones très inconfortables. La banque centrale européenne répond, à juste titre, que grâce au fait que les taux d’intérêt sont très bas, ce qui a aussi ravivé un peu l’économie et la croissance française et européenne, le coût du risque de crédit s’est également abaissé. Elle a raison. En 2015, les banques commerciales en France ont connu un coût du risque de crédit qui s’est réduit au total de 12,2 %. En 2016, il s’est réduit de 14,2 %. Aussi, si je prends maintenant la variation du PNB diminuée de la variation du coût de crédit pour analyser l’effet total, qu’observons-nous ? Pour l’ensemble des banques commerciales en France, en 2015, un effet net positif de +3 % ; mais en 2016, un effet net négatif de -3,3 %. Autrement dit, la baisse du coût des crédits, en 2016, n’a pas suffi à compenser la baisse du PNB induite par l’effet taux d’intérêt.
En outre, la baisse du coût du risque ne peut être durable. L’effet du taux d’intérêt du stock de crédit en baisse est quant à lui durable. La baisse du coût du risque n’est pas durable en effet puisqu’il suffirait d’un ralentissement économique pour que ce coût remonte. On ne peut pas parier sur cela pour compenser durablement des PNB plus bas.
La question qui peut se poser est de savoir si, au fond, cette politique de taux d’intérêt très bas, voire négatifs en Europe, était souhaitable ou pas. Certains économistes disent qu’elle était et est très dangereuse. Je ne partage pas ce jugement. Je pense qu’elle était parfaitement souhaitable, que les effets favorables, comme le dit la BCE à juste titre, ont été largement supérieurs aux risques pris. Il fallait prendre les risques qu’elle a pris, parce que les risques qui auraient existé si elle n’avait pas mené cette politique monétaire auraient été bien supérieurs : déflation, stagnation prolongée, etc.
Où en sommes-nous, aujourd’hui ? D’abord, il faut constater que le renouveau de la croissance un peu partout dans le monde légitime une remontée des taux, comme on l’a dit tout à l’heure. La FED les remonte tranquillement, avec cependant des nouvelles incertitudes sur la politique de Donald Trump et ses conséquences possibles sur la conjoncture américaine. Le dollar est monté, mais il est en train de rebaisser. On voit bien que les marchés sont incertains quant à la réussite de la politique Trump ou, au contraire, quant aux problèmes qu’elle pourrait engendrer. Et puis, la FED est de plus en plus sensible, à juste titre me semble-t-il, à l’effet d’une remontée des taux aux États-Unis sur les pays émergents. D’une certaine manière, c’est la Fed qui fait la politique monétaire des pays émergents qui ont très souvent des monnaies liées au dollar. On voit bien que si la FED remonte trop vite ses taux d’intérêt, elle va en partie couper le financement des pays émergents. C’est un effet classique qui fait que quand les taux d’intérêt sont très faibles aux États-Unis, les acteurs y empruntent des dollars pour les placer dans les pays émergents, qui ont des taux de croissance bien supérieurs, donc des taux d’intérêt bien supérieurs, afin de jouer ainsi un portage très favorable. Si les taux remontent aux États-Unis, l’argent va être retiré des pays émergents pour revenir aux États-Unis. On peut ainsi créer des crises profondes dans les pays émergents, comme on l’a vu, il y a un peu plus d’un an, quand la FED avait remonté, ou menacé de remonter ses taux. Donc, la FED va être prudente dans la remontée de ses taux, j’en suis persuadé, étant bien consciente de ces deux phénomènes-là.
Quant à la BCE, je pense qu’elle comprend fort bien les enjeux, et qu’elle a manifestement bien agi jusqu’alors. Elle doit néanmoins faire face à plusieurs phénomènes nouveaux. Le premier est que l’effet des taux bas commence à s’estomper, voire à devenir dangereux, comme dit précédemment. J’ai pris l’exemple de la France, mais c’est également vrai ailleurs, et les banques françaises sont parmi les plus solvables. Elles sont en excellente santé par rapport à l’Allemagne ou à l’Italie. Mais vous voyez que même les banques françaises, dans leur activité de banque commerciale en France, sont touchées.
Dans le même temps, n’oublions pas que l’on demande aux banques d’augmenter leurs ratios de solvabilité de façon très importante. Grosso modo, depuis Bâle III, il leur a été demandé de multiplier par deux leurs capitaux propres dits « durs ». Or il est difficile de demander aux banques d’augmenter beaucoup leurs ratios de solvabilité, donc leurs capitaux propres, et en même temps de faire baisser leurs résultats. Il ne faudrait pas par exemple que la croissance reparte un peu plus fort et que les banques soient prises au piège, incapables de suivre suffisamment le surcroît de demande de crédit qui en résulterait.
Au fond, on comprend bien que la BCE a aussi initié cette politique -même si elle ne le dit pas- pour faciliter les trajectoires de solvabilité budgétaire des différents pays de la zone euro, ainsi que nous l’avons noté. En réalité, elle a acheté du temps. Le « deal » de la BCE est clair. Elle mène une politique de taux extrêmement bas, en attendant deux choses des Etats. La première est qu’ils conduisent les réformes structurelles nécessaires pour augmenter leur potentiel de croissance et diminuer leur déficit structurel, faisant ainsi en sorte de faciliter leur trajectoire budgétaire future en protégeant leur solvabilité. La deuxième est qu’ils constituent les conditions institutionnelles d’une zone euro viable. On sait aujourd’hui que l’incomplétude de la zone euro est patente en termes d’arrangements institutionnels,
c’est-à-dire de capacité à faire fonctionner la zone sans que ce soit obligatoirement toujours aux pays qui vont le moins bien de subir seuls le coût de l’ajustement nécessaire, avec les conséquences sur les votes que l’on connaît. La BCE dit aux pays membres: « Organisez rapidement un peu mieux la zone euro ».
Le problème auquel on fait face aujourd’hui, et qui me conduit à me poser des questions quant à la remontée des taux en zone euro, est que les pays qui devaient le faire n’ont pas fait ce travail. Les politiques structurelles n’ont quasiment pas été menées là où elles étaient nécessaires. En Italie, cela a commencé, mais il y a eu un arrêt avec l’échec du referendum. En France, on n’a pas fait grand-chose. Il n’y aura pas de capacité à sortir des zones dangereuses de solvabilité budgétaire des États concernés, s’il n’y a pas, d’un côté, ces efforts de politiques structurelles et, de l’autre, l’achèvement d’une zone euro plus complète, mieux régulée, qui fonctionne mieux, c’est-à-dire moins asymétriquement.
Or, les Allemands critiquent très sévèrement la politique monétaire de la BCE qui ne leur est pas forcément favorable. Ils ont un taux de croissance plus élevé ; ils n’ont donc pas besoin de taux d’intérêt si bas. De plus ces taux abaissent le rendement de l’épargne des Allemands qui, comme on le sait, ont une population beaucoup plus âgée. Ils ont donc besoin d’un rendement de leur épargne plus élevé, qui plus est avec des investisseurs institutionnels qui avaient vendu des rentes à taux fixes par le passé.
La tête de la BCE ne se détourne pas de sa politique. Les Allemands, quant à eux, sont obsédés par la question de l’aléa moral, dans la mesure où ils ne veulent pas des éléments de solidarité nécessaires à la zone Euro. Ils refusent en effet, on peut les comprendre, d’être les seuls à payer pour tout le monde, si les autres ne font pas leurs réformes structurelles, se retrouvant ainsi tôt ou tard en situation d’être durablement dépendants de l’Allemagne.
La sortie des politiques de taux bas est donc conditionnée par le fait que la France notamment mène des réformes structurelles qui rassurent les Allemands, lesquels, de ce fait, accepteraient un arrangement institutionnel bien meilleur pour la conduite de la zone euro, avec des éléments de solidarité intra-zone, pour que le coût des ajustements ne pèse pas uniquement sur les pays les plus faibles.
Voilà où nous en sommes. La banque centrale européenne, me semble-t-il, va sortir des taux courts négatifs tôt ou tard, parce que cette position devient très difficilement tenable aujourd’hui. Mais une sortie d’une situation de taux très bas dépendra fondamentalement de la capacité des États à faire leurs propres réformes et à assumer simultanément les réformes de la zone euro nécessaires à son avenir. En 2019, quand s’arrêtera le mandat de Mario Draghi, tout dépendra de la force relative des pays et de leurs capacités respectives à être entendus,
c’est-à-dire à avoir enclenché les politiques structurelles suffisantes pour être crédibles. Cette crédibilité des grands Etats conditionne la possibilité d’accroître la viabilité de la zone Euro, en développant quelques éléments de fédéralisme, tels qu’une mutualisation d’une partie des dettes souveraines ou des éléments de transferts fiscaux, comme il en existe entre les Etats aux Etats-Unis. Pour soutenir transitoirement ceux qui connaissent un choc asymétrique, sans leur demander systématiquement de n’agir que par des mesures d’austérité.
C’est ce qui permettrait de monter les taux avec beaucoup plus d’aisance. Si on les monte significativement sans avoir fait cela, on accroît le risque intrinsèque de la zone euro. Si on ne les monte pas, les risques d’une politique de taux très bas décrits précédemment deviendront de plus en plus forts, alors même que la croissance repart, et sans doute aussi un peu l’inflation.
Sans penser à une remontée significative, le plus probable me semble-t-il est que l’on connaîtra a minima, dès fin 2017 ou début 2018, un accroissement modéré des taux. Les taux courts pourraient revenir par la suite de leur territoire négatif vers zéro. Et les taux longs pourraient être conduits par la banque centrale vers la neutralité, soit, mais très progressivement, entre 2 et 2,5%. Cela serait compatible avec le niveau de croissance et d’inflation que l’on peut anticiper aujourd’hui. Cette remontée modérée cessera de faciliter le désendettement des Etats, sans les faire entrer pour autant dans un effet boule de neige.