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Politique Economique Zone Euro

Édito – Lettre semestrielle de la section française de Ligue Européenne de Coopération Economique – décembre 2018

Alors qu’un pays décide pour la première fois de sortir de l’Union Européenne, nous semblons vivre la montée d’un sentiment de défiance, une moindre volonté d’intégration, un besoin accru d’identité et un retour en force des nations.

Les tensions Nord / Sud au sein de la zone euro se renforcent aujourd’hui avec des pays du Sud qui dénoncent le manque de solidarité des pays du Nord et des pays du Nord qui ont le sentiment que les pays du Sud ne sont pas assez rigoureux pour qu’ils puissent accepter d’être solidaires et de partager leurs risques économiques. Peut-on encore faire naître une Europe stratège pour se faire une place entre les Etats-Unis et la Chine et pour apporter notre vision dans la recomposition des rapports de force mondiaux qui se fait sous nos yeux ?

Y a-t-il une possibilité, une voie réaliste, pour combiner Europe Souveraine et Europe des Nations-indépassable aujourd’hui-, pour sortir par le haut d’une situation qui ne peut actuellement qu’inquiéter les européens convaincus? Quels nouveaux compromis sont possibles pour poursuivre la construction européenne? Et quels nouveaux éléments d’arrangements institutionnels sont-ils nécessaires pour protéger la zone euro dans le cas d’une nouvelle crise ?

Au travers des événements que nous organisons, la section française de la Ligue européenne de Coopération Economique, que je préside depuis janvier, à la suite de Philippe Jurgensen qui en est aujourd’hui le Président d’honneur, tente d’apporter des éléments de réponses à ces questions et de les porter de manière indépendante aux décideurs politiques et économiques. Il est plus que jamais nécessaire de réexpliquer les bienfaits de l’Europe, mais aussi d’en penser les évolutions indispensables et de reconstruire les dialogues sur le fond entre les différents acteurs et pays de l’Europe pour éviter l’enlisement, ou pire, le délitement.

Evénement marquant de cette année 2018, les deux sessions de « consultations citoyennes » organisées par la Ligue en septembre et octobre derniers, qui ont rassemblé une centaine de participants, experts et non-experts issus d’horizons variés, autour de trois économistes de renom, Agnès Bénassy-Quéré, Patrick Artus et Xavier Timbeau. L’objectif était de débattre des améliorations souhaitables et réalistes de la zone euro, alors que des élections européennes se tiennent bientôt. Cet exercice nous a permis de produire et d’envoyer des propositions dans le cadre prévu par le chef de l’État.


De nombreux déjeuners et petits déjeuners, mais aussi des commissions spécialisées thématiques, se sont tenus en 2018 autour de personnalités et de sujets permettant d’approfondir notre compréhension des forces, des difficultés et des évolutions souhaitables ou possibles européennes.

La section française de la ligue Européenne de Coopération Economique est un lieu ouvert de réflexion et d’échanges qui, afin d’être le plus utile possible à la défense et à la promotion de l’Europe, a besoin de chacun de ses membres et de leur contribution active. Elle a également besoin d‘étendre le nombre de ses membres, particuliers comme entreprises, pour favoriser son rayonnement, c’est-à-dire sa capacité de peser dans le débat et de promouvoir une Europe tout à la fois responsable et solidaire, une Union attachée aux valeurs démocratiques et à celles d’une société ouverte, fondée sur des Etats de droit, où le social se marie efficacement à l’économique. Une Europe, enfin, forte d’une stratégie qui lui permette de ne pas laisser le monde se renfermer sur une confrontation économique et diplomatique Etats-Unis-Chine, qui relèguerait notre vieux continent au rang de spectateur impuissant.

Sachons, par nos idées et notre énergie commune, contribuer au mieux à apporter les bonnes réponses au besoin d’Europe, ici et ailleurs !

Merci à chacun d’entre vous d’être membre de la Ligue Européenne de Coopération Économique.

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Zone Euro

La Ligue Européenne de Coopération Économique a organisé au Sénat un colloque sur les questions d’immigration en Europe. Retrouvez le résumé des débats ici.

La section française de la Ligue Européenne de Coopération Économique, que je préside, a organisé le 25 février 2019 au Sénat un colloque sur les questions d’immigration, avec les interventions de :

  • Monique BARBUT, directrice générale du Fonds pour l’environnement mondial et Secrétaire exécutive de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification ;
  • Olivier BERGEAU, membre du Cabinet du Commissaire Dimitris Avramopoulos, Commission Européenne ;
  • Georg FELSHEIM, ministre-conseiller et chef du service politique auprès de l’Ambassade d’Allemagne à Paris ;
  • Gerald KNAUS, chercheur spécialisé sur les sujets d’asile et des frontières et président fondateur de l’Initiative européenne pour la stabilité (ESI) ;
  • Hippolyte d’ALBIS, économiste, directeur de recherche au CNRS ;
  • Jean-Christophe DUMONT, directeur de la division des migrations internationales à l’OCDE.

Résumé

Jean-Christophe DUMONT

Quelques éléments chiffrés :

  • La population (ou « stock ») de migrants dans l’Union Européenne (UE) est de 60 millions, ce qui représente environ 10 % de la population totale ; la France est dans la moyenne européenne. Cependant en comptant les enfants nés de parents immigrés, on arrive 18% dans l’UE, mais à 27 % en France.
  • Le « flux » annuel moyen de personnes qui s’installent en France est 0,4 % de la population française (250 à 260 000) ; pour l’UE, ce taux est autour de 0,7 %. Dans ce flux, la part des demandeurs d’asile a été maximale en 2015-2016, atteignant 1,2 million environ dans les pays de l’UE, avec de grandes différences entre Etats membres : la France, 0,4 % (pas de pic) ; mais la Suède a accueilli des réfugiés totalisant presque l’équivalent de 3 % de sa population, l’Allemagne et l’Autriche, autour de 2 %. On est revenu à une sorte de normale, avec un peu moins de 600 000 demandes d’asile pour l’UE en 2018.
  • En plus du flux d’immigrés permanents, il faut ajouter les personnes qui viennent de manière temporaire : travailleurs saisonniers ; travailleurs se déplaçant à l’intérieur des firmes ; mais également travailleurs détachés : c’est environ 1,5 million de personnes qui sont détachées chaque année au sein de l’UE.

Monique BARBUT

Il faut sonner l’alarme face aux deux évolutions redoutables qui prennent l’Afrique en étau :

  • une augmentation de la température moyenne de 2 degrés centigrades à l’échelle de la planète signifiera une augmentation de 4 degrés en moyenne sur le continent africain, et davantage encore au sud du Sahara, provoquant une diminution considérable de la surface et de la productivité des terres cultivables ;
  • la population totale africaine est en forte augmentation ; selon les projections médianes de l’ONU, elle pourrait passer de 1,2 milliards d’habitants actuellement à 2 milliards en 2050 et 4 milliards en 2100.

Ces deux phénomènes vont exercer une forte pression migratoire sur les Africains. Selon une étude que nous avons menée avec le ministère britannique de la Défense sur la période qui va d’aujourd’hui à 2045, 60 millions d’entre eux seront dans l’obligation de migrer et ils migreront pour l’essentiel vers l’Europe.
Au-delà des solutions court-termistes du type sécurité à la frontière, il va nous falloir prendre d’autres décisions :

  • aujourd’hui, on peut restaurer des terres en Afrique pour moins de 200 dollars l’hectare, à comparer aux 35 euros par jour que coûte un migrant illégal qui est arrivé dans un port en Italie. Il faut donc augmenter substantiellement les financements « climat » publics et privés consacrés à l’atténuation des dommages créés par le réchauffement climatique ;
  • d’un point de vue politique, il faut reconnaître un statut de réfugiés climatiques, à côté de celui de réfugiés politiques et à côté des migrations économiques.

La France, qui va présider le G7, devrait pousser vigoureusement dans ce sens. 

Olivier BERGEAUD

Dès le début de son mandat (26 octobre 2014), la Commission européenne a pris une approche très globale sur les questions migratoires, s’appuyant sur quatre piliers.

  • Premier pilier : renforcer nos partenariats avec un certain nombre de pays le long des routes migratoires, comme déjà fait avec la Turquie, en cours avec la Libye et le Niger, en discussion avec le Maroc.
  • Deuxième pilier : protéger les frontières extérieures européennes. C’est essentiel pour préserver l’espace Schengen. Porter l’effectif des garde-frontières de 1 500 à 10 000 ; renforcer le système informatisé ESTA, pour mieux contrôler les entrées et les sorties.
  • Troisième pilier : mettre en place une politique européenne de l’asile. La Commission a présenté 7 propositions législatives, notamment, pour : essayer de renforcer l’harmonisation entre les législations des différents États membres ; renforcer le rôle de l’Agence Européenne en matière d’asile ; réformer le règlement de Dublin. C’est sûrement le plus difficile actuellement. On s’oriente désormais vers des arrangements très flexibles entre les États membres de bonne volonté, qui seraient prêts à participer à un système de redistribution sur une base entièrement volontaire. Ce sera sûrement un défi important pour la prochaine Commission de faire avancer les réformes de l’asile.
  • Quatrième pilier : réguler l’immigration légale. Au sein de l’UE, chaque État membre garde la prérogative de déterminer combien de personnes il admet sur son territoire. La seule chose que la législation européenne peut faire, c’est d’essayer de rapprocher les droits et les obligations selon lesquels les immigrés légaux sont admis dans les Etats membres.

Georg FELSHEIM

Dans une situation tout à fait particulière, à la fin de 2015, le gouvernement allemand a décidé d’accueillir un grand nombre de réfugiés en provenance essentiellement de Syrie. En 2015 et en 2016, plus d’un million de personnes sont arrivées en Allemagne et cela s’est traduit dans plus d’un million de demandes d’asile qui ont été déposées par la suite. À titre de comparaison en 2018, 190 000 personnes ont demandé l’asile en Allemagne.

  • L’État fédéral a mis à disposition d’importants moyens financiers pour l’intégration des réfugiés. En 2017 et en 2018, 15 milliards d’euros par an ont été dégagés dans le budget fédéral, dont 8 milliards pour l’intégration des réfugiés en Allemagne. À cela s’ajoutent 5 milliards d’aide aux Länder et aux communes.
  • La nouvelle loi sur l’intégration répond à un double principe : soutenir les immigrés et exiger d’eux quelque chose en contrepartie. Ainsi, des cours de langue sont assurés à raison de 600 unités d’enseignement de 45 heures, de même que des cours d’orientation qui visent à favoriser la transmission des valeurs de la société allemande. Ne pas participer à ces cours peut mener à une réduction des prestations accordées aux réfugiés.
  • Selon un sondage publié la semaine dernière, presque la moitié des entreprises en Allemagne ont donné en 2018 des formations professionnelles actuellement à des migrants. Ce chiffre était de seulement un tiers en 2016.

Un Conseil franco-allemand de l’Intégration a été créé à la suite d’une décision du Conseil de ministres franco-allemand en avril 2016. Son objectif consiste à insuffler un élan commun pour faire face à ce défi qui touche la société dans son ensemble, grâce à l’échange d’expériences entre l’Allemagne et la France.

Pour conclure, l’intégration des réfugiés et des migrants reste un grand défi pour l’Allemagne et aussi pour d’autres pays. Nous sommes encore très loin d’une politique d’asile commune au sein de l’Union européenne. Théoriquement, les demandeurs d’asile dont la demande a été déboutée devraient retourner dans leur pays d’origine, ce qui ne se fait pas aujourd’hui de manière convaincante.

Gerald KNAUS

During the last five years, 1,8 million people crossed the Mediterranean sea, most of them in a very short period: in 15 months, more than 1,1 million came to Greece, another 650 000 to Italy. They arrived in a way that caused more than 17 000 people died.

And the majority of those who arrived from Africa did not get refugee protection, but stay. So hundreds of thousands of people are staying, in Italy, France, or Germany, for many years, without any settled status: this creates a deadly magnet. The countries of origin do not co-operate; they do not take any interest in really helping us return citizens who, they think, are going to send them some money. And today, the interior ministers in a lot of European countries say the only way to stop migration is to give up the right to asylum.

So, not having a credible response that stops people who do not need protection from coming without violating our core values is, politically, is a critical problem.

Our asylum procedures take too long and we have inhuman conditions in our camps (like Lesbos), to try to deter people. We need to do better; to have fast asylum procedures; to be able to return those who do not need protection. To be realistic, we need an alliance -as we had in the creation of Schengen- of a few member states that have a common interest, a clear strategy, and share common values. France and Germany have to be at the centre: to show to the rest of Europe is that we are able to rescue people; but to take them to a reception centre of decent conditions; and decide within a few weeks who needs protection and who does not. In the Netherlands and in Switzerland, asylum systems have been designed to decide within a few weeks. If we have agreements with the major countries of origin (Senegal, Gambia, Ivory Coast, Nigeria), so that they have an interest to take back their citizens from those centres because we offer them something attractive, which is the secret to the EU-Turkey Agreement, then the flow will stop…

This could be a big European project that is doable and shows that values and security can be combined. If Germany and France take the lead on this, with the Netherland, Spain and Greece on board (even without Italy at this moment), Swiss might be part of it.
Here I end with an idea. Why isn’t such a centre being set up in Corsica?

Hippolyte d’ALBIS

Je vais essayer de parler d’économie et migrations….La plupart des gens pensent que l’immigration est un coût, un fardeau économique…Deux craintes s’expriment très fortement : les immigrés prennent les emplois des Français, et ils prennent nos allocations… Vrai ou faux ?

Prenons la première : ils prennent nos emplois. Or, on le sait, les personnes immigrées sont très souvent discriminées sur le marché du travail. Elles ont moins de chance d’obtenir un emploi. Dès lors, comment la personne discriminée pourrait-elle prendre l’emploi du natif ? C’est impossible, c’est même le contraire : la personne discriminée prend l’emploi que le natif ne veut justement pas, et c’est parce qu’elle va prendre finalement un emploi vacant qu’elle peut être un bénéfice pour l’économie.

Autre exemple, la protection sociale. L’image répandue est celle d’un chômeur avec beaucoup d’enfants, qui touche annuellement beaucoup d’allocations familiales. Or, les migrants lorsqu’ils arrivent sont plutôt jeunes que la moyenne de la population ; donc oui, ils ont plus de chance d’avoir des enfants, et ils pèsent plus que la moyenne sur les dépenses liées à la famille ; mais ils pèsent moins que la moyenne sur les dépenses de santé et les retraites. Et le solde est plutôt positif.

Passons à la macroéconomie. Les personnes immigrées ont des salaires plus faibles que le reste de la population ; donc si l’on admet plus de personnes immigrées, le salaire moyen va baisser. Mais une personne immigrée qui va travailler dans une crèche, par exemple, va rendre un service à la communauté en gardant des enfants, ce qui va permettre à une femme ou un homme de travailler plus. Le résultat global n’est donc pas systématiquement négatif.

La moitié de la migration extra-européenne est une migration familiale et au sein de cette moitié, il y en a encore la moitié qui relève du regroupement familial. C’est souvent perçu comme étant une catastrophe économique. Pourtant, une personne qui fait venir sa famille va consommer son salaire en France ; tant que sa famille était à l’étranger, il envoyait une part de son salaire à l’étranger. Il y a donc un effet sur la consommation à l’intérieur du pays, qui est positif.

L’’École d’économie de Paris a utilisé des méthodes d’évaluation des politiques publiques pour évaluer les conséquences fiscales ou macroéconomiques des flux migratoires. Les résultats sont relativement favorables à la migration, y compris pour le droit d’asile.

Pour conclure, je ne veux pas faire jouer à la migration et surtout à la demande d’asile, le rôle qui n’est pas le sien. La politique migratoire n’est pas là pour relancer notre économie. Mais ces flux migratoires n’ont pas d’effet économique négatif. On peut donc se débarrasser d’un préjugé.

En revanche, il faut aussi s’intéresser à l’intégration des populations immigrées et notamment de leurs enfants. Il y a aussi des dimensions spatiales à considérer : parmi les étrangers extra-communautaires qui vivent en France métropolitaine, 45 % sont en Ile de France, et 17 % sont en Seine-Saint-Denis ; il y a donc très forte concentration de cette population extra-européenne. 

Jean Christophe DUMONT

Selon une enquête Ipsos-Mori qui, de 2011 à 2017, couvre à peu près tous les pays de l’OCDE, une proportion très importante de personnes, souvent une majorité, pensent que l’immigration a un impact plutôt négatif, en particulier sur les finances publiques ; et cette perception est stable sur la période.

L’enquête Eurobaromètre, produite par la Commission Européenne, se concentre cette année sur les questions d’intégration…Quand on interroge les gens sur la proportion de ressortissants de pays tiers en Europe, ils la situent en moyenne 17 %, alors que d’après Eurostat c’est 7 % ; ceux qui ont un niveau d’éducation faible (niveau collège) répondent 21 % ; ceux qui ont la plupart du temps des difficultés à payer leurs factures estiment même la proportion immigrée à 24 %. Il y a aussi un manque de discernement sur les différentes catégories de migrants ; le droit d’asile, ce n’est qu’une très petite proportion des migrants ; l’immigration légale représente 90 % de l’immigration en Europe.
Il faut aussi resituer les ordres de grandeur des flux…Typiquement, seulement 0,4 % de la population vient chaque année immigrer de manière permanente en France (même pourcentage qu’aux Etats-Unis) ; certes, cela représente 260 000 personnes, l’équivalent de la ville et la banlieue de Rennes ; mais si on divise par le nombre de communes françaises, on a un chiffre beaucoup plus petit. En outre, il ne faut pas confondre migrations brutes et migrations nettes : il y a des gens qui repartent.

Pourtant, tout n’est pas faux dans les perceptions.,.Les effets macroéconomiques ne sont pas ceux que les gens perçoivent et cela ne veut pas dire qu’ils se trompent. Il faut aussi être attentif aux effets de concentration….On n’a pas les données qui permettraient, au niveau des secteurs, des impacts locaux, d’identifier les gagnants et les perdants.

Mais fondamentalement, le plus important, ce n’est peut-être pas l’économie, ce sont les aspects culturels, les valeurs…Interrogés pour savoir si l’intégration fonctionne, la moitié des gens répondent oui, l’autre moitié répond non ; et ce, dans quasiment tous les pays de l’OCDE. La question de l’intégration est donc absolument centrale.

Considérons le taux d’emploi. En France, il est de 56 % pour les immigrés et de 66 % pour les « natifs » (nés en Europe) : il y a 10 points d’écart, c’est considérable…Et dans tous les pays de l’OCDE, l’écart de taux d’emploi entre les natifs et les immigrés est plus élevé parmi les diplômés du supérieur que parmi les qualifications moindres : cet écart est en moyenne de 8 points de pourcentage ; pour la France, c’est 12 points.

L’’intégration prend du temps. Il faut en moyenne en Europe 10 ans pour que la moitié des réfugiés ou des migrants familiaux aient un emploi ; et il faut 15 à 20 ans pour que leur taux d’emploi soit le même que celui du reste de la population. Réduire ce retard est l’enjeu des politiques d’intégration, s’appuyant prioritairement sur la maîtrise de la langue, sur un bilan de compétences et sur un accompagnement vers une compétence renforcée, répondant aux besoins du marché du travail.

Dans l’enquête Pisa, qui mesure la performance des élèves à 15 ans dans le système scolaire, entre 2006 et 2015, les enfants de parents immigrés nés en Allemagne ont gagné un an en termes de résultats, donc le progrès est très net ; en France, c’est seulement un trimestre.

Mais ce qui est préoccupant, c’est que les taux d’emploi par niveau d’instruction chez les personnes immigrées se retrouvent chez les enfants d’immigrés, qui sont nés dans le pays de destination. En France, les enfants qui sont nés en France de parents immigrés, et qui sont diplômés du supérieur en France, ont un taux d’emploi inférieur de 10 points de pourcentage au taux d’emploi diplômés de l’enseignement supérieur enfants de « natifs ».

En conclusion, il me paraît nécessaire de remettre l’accent sur cette question de l’intégration, particulièrement en France, qui fait partie des pays qui ont le plus de difficultés dans ce domaine. Pour moi, cette question de l’intégration est centrale et j’espère qu’il y aura une place pour elle dans le débat européen.

Vous pouvez télécharger le résumé ainsi que la transcription des interventions ici.

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Événement Zone Euro

La question de l’immigration en Europe

La section française de la Ligue Européenne de Coopération Economique, que je préside, organise un colloque sur les questions d’immigration en Europe :

le 25 février prochain entre 17h45 et 20 heures au Sénat.

Il fera intervenir un panel de spécialistes de la question de l’immigration en Europe, de ses causes et de ses effets, mais aussi des solutions à apporter pour gérer au mieux cette question.

Dans le panel d’intervenants , seront présents :

Monique Barbut, secrétaire exécutive de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, participera à ces échanges. Elle a joué un rôle clef, au sein de la délégation du Gouvernement français au Sommet de la Terre de Rio en 1992, dans la conduite des négociations sur le financement, et comme négociatrice active de la création du Fonds pour l’environnement mondial, dont elle a été nommée Directrice générale en 2006.

Le Professeur autrichien Gerald Knaus, président fondateur de ESI (European Stability Initiative) et chercheur spécialisé sur les sujets d’intervention et sur la construction de l’Etat en Europe du Sud-Est

Hippolyte d’Albis, économiste, professeur à PSE-École d’économie de Paris et auteur du rapport « Macroeconomic evidence suggests that asylum seekers are not a “burden” for Western European countries »

Jean-Christophe Dumont, économiste et chef du département migrations à l’OCDE, en charge de la rédaction d’un rapport annuel « Perspectives des migrations internationales 2018 » sur les conséquences économiques des migrations nous fera aussi l’honneur de sa présence.

L’objectif de ce colloque est ainsi de  dépassionner la question de l’immigration qui aujourd’hui fait peur, sans bien sûr atténuer l’importance des enjeux et conséquences, notamment si les efforts d’intégration des populations immigrées sont insuffisants. Les questions cruciales sur l’immigration en Europe seront abordées sans angélisme ni diabolisation, avec une approche factuelle et raisonnée.

Le contexte à venir des élections européennes rend l’organisation d’un tel colloque particulièrement intéressante.

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Conjoncture Zone Euro

Réveiller l’Europe, c’est maintenant ! – Texte complet de l’article publié dans les Echos du 11 décembre 2018

C’est la première fois qu’un pays de l’Union veut la quitter. Le développement de l’illibéralisme de quelques pays pose la question de la signification de l’appartenance à l’Union Européenne. Les tensions Nord-Sud au sein de l’Union sur fond de méfiance réciproque ne permettent plus d’avancer dans la construction d’une zone euro, pourtant aujourd’hui encore bancale. Les pays du Nord craignent le non-respect des règles, notamment budgétaires, de vie en commun par ceux du Sud. Ceux du Sud, le manque de solidarité et une sorte de mépris de la part de ceux du Nord. Avec bien entendu, en point d’orgue, l’arrivée au pouvoir en Italie d’une coalition hétéroclite des extrêmes.

En outre, même si l’Europe n’en a en rien l’exclusivité, on assiste partout en Europe à la montée de mouvements populistes, recherchant des solutions simplistes à des problèmes réels et des boucs émissaires faciles. Ces mouvements sont la manifestation politique et électorale d’une demande d’identité, de sécurité et de protection. Conséquence elle-même, en Europe comme ailleurs, de la peur d’un affaiblissement des classes moyennes et d’une réponse perçue comme inadéquate ou insuffisante de la part des gouvernements. Mondialisation, révolution technologique, immigration mal maîtrisée et terrorisme islamiste sont les ferments de cette inquiétude. Le tout sur fond d’une déconstruction progressive des organisations multilatérales et des règles et principes de la communauté des nations établis après-guerre. Donc d’une montée de jeux non coopératifs potentiellement très dangereux. Qu’ils soient par exemple ceux des Etats- unis, proclamant qu’ « America first » est leur unique objectif, ou ceux à plus petite échelle de l’Italie qui présente une politique budgétaire dangereuse pour la zone euro ou, d’une certaine manière et dans un style opposé, de l’Allemagne, qui affiche depuis des années un excédent courant d’un niveau anormalement élevé.

Il est donc urgent de bien s’interroger en Europe sur la bonne façon de réagir à cette défiance. Deux types de réactions doivent être évités. Le premier serait de nier les défauts intrinsèques de l’Europe. Ce n’est pas en ignorant les problèmes ressentis par les gens qu’on les fait disparaître. Tout au contraire, on les aggrave. Il faut regarder en face les véritables problèmes et nommer les questions d’immigration mal gérées au niveau communautaire, les effets de l’élargissement européen qui a fait perdre de la lisibilité et a dégradé l’efficacité de la gouvernance de l’Union. De même, doit-on pointer la mise en place d’une zone euro qui, parce qu’incomplète, a engendré un certain nombre d’effets indésirables. Ainsi, mettre à plat les contre-vérités sur l’Europe est-il salutaire. Mais sembler en ignorer les difficultés serait dangereux.

A l’inverse, après avoir constaté le risque de délitement de l’Europe et ses défauts intrinsèques, la deuxième erreur consisterait à se contenter d’un pessimisme cultivé, qui pourrait donner la place à une contemplation tout à la fois complaisante et navrée des reculs successifs d’une Europe impuissante à poursuivre sa construction.

Même si elle est bien difficile, la seule voie possible est de rechercher inlassablement à mettre en place et à renforcer les jeux coopératifs en Europe. Face à l’entropie actuelle, il est urgent en premier lieu de rappeler avec force ce qui réunit les peuples européens et ce en quoi l’Europe leur apporte un mieux-vivre : la protection et l’efficacité d’une économie sociale de marché ; l’importance cruciale de l’Etat de droit, avec le caractère inaliénable de la liberté de la personne et de la liberté de la pensée critique, qui va de pair avec celle de la presse ; la laïcité qui permet le vivre-ensemble; les bienfaits du marché unique et de la libre circulation des personnes ; sans oublier la paix bien entendu. Faisons le pari qu’in fine les peuples européens instruits des menaces ne voudront pas de ces régressions.

Mais, plus les bienfaits de l’Europe sont considérés comme acquis, plus ils sont paradoxalement fragiles, tant la nature humaine est sujette à l’oubli. Il nous faut donc parler en outre du caractère indispensable d’une Europe forte demain. Nous assistons aujourd’hui à un gigantesque combat entre les Etats-Unis et la Chine pour un nouveau partage du monde. La rupture avec le multilatéralisme et l’affirmation assumée d’une attitude non coopérative, d’un côté. La nouvelle route de la soie, comme moyen d’expansion de la nouvelle puissance, de l’autre. Ouvrons vite les yeux, nous autres Européens, si nous voulons que nos peuples conservent la maîtrise de leur destin et pèsent encore sur le cours de l’histoire. Si nous voulons nous donner une chance de préserver les spécificités et les valeurs auxquelles nous tenons, qui nous rassemblent et nous distinguent, ce n’est pas moins d’Europe qu’il nous faut, mais davantage ! Pour exister entre les deux géants du nouveau monde, il nous faut une Europe forte économiquement, politiquement, diplomatiquement et militairement.

Industrie à forte valeur ajoutée, nouvelles technologies, transition écologique, défense commune comme vient de le proposer le couple franco-allemand, flux migratoires, etc., tels sont les thèmes qu’il nous faut travailler ensemble au plus vite, en instaurant de nouvelles règles communes et de nouveaux jeux coopératifs. Pour peser davantage sur le nouvel ordre du monde. Il nous faut, en outre, une vision propre de l’organisation du commerce international et une défense de nos intérêts en ce domaine. Construisons donc, au plus vite, une vision géostratégique partagée. Enfin, sur la base d’une zone monétaire complète et solide, recherchons une plus forte internationalisation de l’Euro. Appuyée sur une Europe stratège, un Euro plus utilisé mondialement est en effet utile pour éviter les inacceptables règles unilatérales d’extraterritorialité imposées par les Etats-Unis, facilitées par un dollar omniprésent.

Comment dès lors ne pas voir le besoin urgent d’Europe ? Pour les peuples européens eux-mêmes d’abord, mais aussi pour de nombreux autres qui ne veulent pas avoir à choisir entre les deux futurs maîtres du monde, si l’Europe ne jouait pas son propre jeu. Cette renaissance ne pourra se réaliser que si nous savons marier intelligemment une Europe des nations et une Europe stratège, qui seule peut faire face à la somme gigantesque des défis géopolitiques, industriels et écologiques qui sont les nôtres.

Face au délitement progressif, seule la combinaison d’une volonté déterminée de reconnaître et de corriger les défauts de l’Europe d’une part, d’une explication limpide des enjeux géostratégiques et des possibilités réelles de régression d’autre part et, enfin, d’hommes d’Etat courageux ayant une claire vision de l’avenir pourra renverser l’ordre des choses. Mais rien ne se fera sans que nous partions pragmatiquement de projets concrets sur les différentes thématiques pré-citées, en nous alliant avec nos voisins allemands. Ni sans que tous, où que nous soyons et qui que nous soyons, y concourions à notre mesure !

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Conjoncture Zone Euro

Réveiller l’Europe, c’est maintenant ! – Retrouvez ma tribune parue le dans Les Echos du 11 décembre 2018

Les élections européennes approchent, alors que nous connaissons un moment de défiance à l’égard de l’Europe et une phase de retour en force des nations.

Pour la première fois  un pays de l’Union veut la quitter. Le développement de l’illibéralisme de quelques pays pose la question de la signification de l’appartenance à l’Union européenne. Les tensions Nord-Sud au sein de l’Union sur fond de méfiance réciproque ne permettent plus d’avancer dans la construction d’une zone euro, pourtant aujourd’hui encore bancale.

En outre, on assiste partout en Europe à la montée de mouvements populistes, recherchant des solutions simplistes à des problèmes réels et des boucs émissaires faciles. Ces mouvements sont la manifestation politique et électorale d’une demande d’identité, de sécurité et de protection. Conséquence elle-même, en Europe comme ailleurs, de la peur d’un affaiblissement des classes moyennes et d’une réponse perçue comme inadéquate ou insuffisante de la part des gouvernements.

Mondialisation, révolution technologique, immigration mal maîtrisée et terrorisme islamiste sont les ferments de cette inquiétude. Le tout sur fond d’une déconstruction progressive des organisations multilatérales et des règles et principes de la communauté des nations établis après-guerre. Donc d’une montée de jeux non coopératifs potentiellement très dangereux.

Ce qui réunit les peuples

Il est donc urgent de bien s’interroger en Europe sur la bonne façon de réagir à cette défiance. Il serait vain de nier les défauts intrinsèques de l’Europe. Il faut regarder en face les véritables problèmes et nommer les questions d’immigration mal gérées au niveau communautaire, les effets de l’élargissement européen qui a fait perdre de la lisibilité et a dégradé l’efficacité de la gouvernance de l’Union. De même, doit-on pointer la mise en place d’une zone euro qui, parce qu’incomplète, a engendré un certain nombre d’effets indésirables.

Même si elle est bien difficile, la seule voie possible est de rechercher inlassablement à mettre en place et à renforcer les jeux coopératifs en Europe. Face à l’entropie actuelle, il est urgent en premier lieu de rappeler avec force ce qui réunit les peuples européens et ce en quoi l’Europe leur apporte un mieux-vivre : la protection et l’efficacité d’une économie sociale de marché ; l’importance cruciale de l’Etat de droit, avec le caractère inaliénable de la liberté de la personne et de la liberté de la pensée critique, qui va de pair avec celle de la presse ; la laïcité qui permet le vivre-ensemble ; les bienfaits du marché unique et de la libre circulation des personnes ; sans oublier la paix bien entendu.

Ouvrir les yeux

Nous assistons aujourd’hui à un gigantesque combat entre les Etats-Unis et la Chine pour un nouveau partage du monde. Ouvrons vite les yeux, nous autres Européens, si nous voulons que nos peuples conservent la maîtrise de leur destin et pèsent encore sur le cours de l’histoire. Pour exister entre les deux géants du nouveau monde, il nous faut une Europe forte.

Industrie à forte valeur ajoutée, nouvelles technologies, transition écologique, défense commune comme vient de le proposer le couple franco-allemand, flux migratoires, etc., tels sont les thèmes qu’il nous faut travailler ensemble au plus vite. Pour peser davantage sur le nouvel ordre du monde. Il nous faut, en outre, une vision propre de l’organisation du commerce international. Enfin, sur la base d’une zone monétaire complète et solide, recherchons une plus forte internationalisation de l’euro. Appuyée sur une Europe stratège, un euro plus utilisé mondialement est en effet utile pour éviter les inacceptables règles unilatérales d’extraterritorialité imposées par les Etats-Unis.

Rien ne se fera sans que nous partions pragmatiquement de projets concrets sur les différentes thématiques précitées, en nous alliant avec nos voisins allemands. Ni sans que tous, où que nous soyons et qui que nous soyons, y concourions à notre mesure !

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Politique Economique Zone Euro

« Quelles améliorations souhaitables et réalistes pour la zone euro sur le plan économique et social ? »

Dans le cadre de l’initiative des Pouvoirs publics, « Quelle est votre Europe ? », la section française de la Ligue Européenne de Coopération Économique, dont je suis le Président, a organisé une Consultation Citoyenne pour l’Europe les 18 septembre et 16 octobre derniers, avec la contribution de Patrick Artus, Agnès Bénassy-Quéré et Xavier Timbeau.

Retrouvez ici la synthèse finale exposant les recommandations concrètes ressorties de ces deux débats, synthèse intégrée dans le document final de l’organisation des Consultations qui sera restitué au Conseil européen de décembre 2018.


Introduction

La Ligue européenne de Coopération économique-Section française (LECE-F) a organisé une Consultation Citoyenne pour l’Europe, labellisée par le ministère chargé des Affaires européennes, et ayant pour thème :  » Quelles améliorations souhaitables et réalistes pour la zone euro, sur le plan économique et social ? « .

Cette Consultation s’est déroulée en deux étapes.

  • Le 18 septembre s’est tenue une première réunion ayant pour but de recueillir les attentes, les questions et les propositions des participants et d’en débattre, notamment avec trois économistes de renom : Agnès BENASSY-QUERE, Patrick ARTUS et Xavier TIMBEAU, ainsi qu’avec le Président exécutif de LECE-F, Olivier KLEIN. Ce débat était animé par Emmanuel CUGNY, éditorialiste à France Info. Environ 90 personnes y ont participé.
  • Le 16 octobre s’est tenue une deuxième réunion, en vue de formuler une synthèse des conclusions et recommandations de cette Consultation.

Ces deux réunions ont été accueillies dans l’auditorium de la BRED, 18 quai de la Rapée, 75012 Paris.

Synthèse : constats, propositions

1. CONSTATS

La monnaie unique

Dans le sillage de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, l’euro est l’une (et non la moindre) de ces « réalisations concrètes, créant d’abord des solidarités de fait » qui jalonnent la construction européenne. Les 12 Etats signataires du traité de Maastricht (1992), qui ont pris les décisions majeures, s’affirmaient « résolus à renforcer leurs économies ainsi qu’à en assurer la convergence, et à établir une union économique et monétaire, comportant, conformément aux dispositions du présent traité, une monnaie unique et stable ». Sous le nom d’euro, adopté en 1995, cette monnaie unique est entrée en vigueur en deux étapes, le 1er janvier 1999 et le 1er janvier 2002 et la zone euro compte actuellement 19 membres. Quel regard portons-nous aujourd’hui sur l’utilité de l’euro et sur les améliorations souhaitables ?

La monnaie unique apporte un premier avantage économique élémentaire à ses membres en supprimant entre eux les frais de change. Mais elle supprime surtout le risque de change, ce qui facilite la mobilité des capitaux et le commerce au sein de la zone. Un second avantage est la forte baisse des taux d’intérêts que la création de l’euro a induite dans de nombreux pays de la zone, que ce soit par l’effet des marchés jusqu’en 2010 ou ultérieurement grâce à l’action de la BCE. Ces taux plus bas facilitent les investissements des entreprises et réduisent la charge de la dette souveraine (les emprunts d’Etat sur le marché financier) ; sans l’euro, le service de la dette publique de la France, par exemple, coûterait 50 Md€ de plus par an, soit 2,5% du PIB. Notons cependant que les taux d’intérêt trop bas connus par certains pays du Sud jusqu’en 2010 ont facilité un surendettement du secteur privé.

Ajoutons en outre que si l’on connaissait une zone monétaire complète, comme par exemple celle des Etats-Unis, elle autoriserait des taux de croissance différenciés au sein de la même zone en permettant la coexistence de soldes de balance courante déficitaires pour les uns, et excédentaires pour les autres. Ainsi, dans une telle situation, les pays à balance courante déficitaire ne seraient pas conduits à rechercher un taux de croissance plus faible que celui correspondant à leurs besoins (démographiques par exemple). Avec une organisation optimale de la zone euro, la contrainte extérieure ne s’appliquerait en effet qu’aux bornes de la zone et non aux bornes de chaque pays la composant. La zone euro en vision consolidée est aujourd’hui d’ailleurs une des zones les plus saines au monde en termes de balance courante et de dette publique et connaît une monnaie stable.

L’utilité de l’euro s’est manifestée également lors des chocs redoutables récents : la glaciation des crédits interbancaires après la faillite de Lehman Brothers et la récession due à la très forte crise financière ; l’explosion des « spreads » sur les dettes publiques des Etats membres ; la menace de la déflation… La monnaie unique a protégé chaque pays de la zone en 2008 et 2009, car chacun des pays, s’il avait préservé sa propre monnaie, aurait été certainement plus fragile au cœur de la grande crise financière. La BCE a depuis lors su mener une politique monétaire très active et utile. En outre, lors de la crise spécifique de la zone euro, le dispositif institutionnel a été approfondi, afin de renforcer la résilience de la monnaie unique,  avec la mise en place de l’Union Bancaire et du Mécanisme Européen de Stabilité.

Comme le montrent les enquêtes d’opinion dans tous les Etats membres, l’intérêt de l’euro est aujourd’hui perçu positivement par les citoyens, comme un élément de facilitation des déplacements mais aussi, plus important, comme un élément de protection. Pour autant, les avantages de l’euro  doivent être mis bien plus en avant et mieux expliqués.

Les citoyens pourraient d’ailleurs mieux percevoir qu’une zone euro complète pourrait  apporter une capacité de l’Europe à peser dans le monde, au même titre que les Etats-Unis avec le dollar aujourd’hui et la Chine avec le yuan demain. Ce regain de puissance au niveau européen devrait en outre pouvoir nous donner les moyens de lutter contre les effets d’extra territorialité de la puissance américaine. Au total, les citoyens de chaque nation pourraient ainsi avoir une meilleure maîtrise de leur destin.

Les déséquilibres macro-économiques

« La convergence entre les pays  européens », objectif majeur des traités successifs, a été effective jusqu’à la crise de 2008, à l’exception notable du sujet des balances courantes. Mais elle a depuis fait place entre les Etats membres de la zone euro à des divergences dans les niveaux de vie et à un creusement des déséquilibres macroéconomiques. Ainsi, après une première période de convergence, la situation depuis la crise financière spécifique de la zone euro est celle d’une divergence entre ses Etats membres, qui est structurelle, lourde, multidimensionnelle, et qui va inévitablement prendre du temps pour se réduire.

L’une des difficultés majeures est l’absence de circulation des capitaux entre Etats membres de la zone euro depuis 2010.  Les pays du Nord accumulent des excédents massifs (aujourd’hui réalisés plus hors zone euro qu’au sein de la zone) de leurs balances courantes, mais ils placent cette épargne entièrement hors zone euro.

Aux Etats-Unis, la stabilisation financière est assurée aux deux tiers par le secteur privé (les mouvements croisés  de capitaux entre les différents États)  et pour un tiers par le budget fédéral. Dans la zone euro, nous n’avons aujourd’hui ni l‘un, ni l’autre.

Cette situation traduit également une polarisation géographique de la production, qui se concentre dans les pays du Nord et fait boule de neige. Les coûts salariaux par unité produite ont divergé pendant une douzaine d’années de façon non-coopérative. Les ajustements n’ont ainsi porté que sur  les pays du Sud sous la forme de « dévaluations salariales internes » et de baisse des dépenses d’investissement. Ces dévaluations internes ont de plus comme conséquence collatérale d’alourdir la dette réelle (qui elle n’est pas dévaluée parallèlement) et des répercussions sociales et politiques très problématiques. La réévaluation salariale des pays du Nord est quant à elle à ce jour embryonnaire. La mobilité de la main d’œuvre profite aux pays du Nord, mais affaiblit les pays du Sud. Le processus divergent est ainsi cumulatif.

Les règles de stabilité budgétaire ne peuvent être les seuls instruments de régulation de la zone monétaire. Elles doivent en outre être certainement simplifiées et révisées. Les outils de convergence structurelle (fonds structurels) sont foisonnants, mal coordonnés, inopérants et très concentrés sur les pays hors zone euro. Le Mécanisme Européen de Stabilité, mis en place en 2012, est un instrument non monétaire important pour garantir une aide financière si un Etat membre est frappé par un choc asymétrique. Mais ses modalités d’intervention sont ressenties comme trop intrusives par les Etats secourus et par le Parlement européen et compliquées à mettre en œuvre de par la règle d’unanimité qui s’est imposée.

Au total, ces divergences socio-économiques contribuent à la méfiance des opinions publiques et à la montée du populisme souverainiste.

L’Europe doit retrouver la voie de la convergence vers le haut. Elle doit redécouvrir les véritables raisons de cette communauté d’intérêts. La subsidiarité ne doit pas occulter l’existence des interdépendances entre Etats membres, qui justifient pleinement la recherche de jeux coopératifs. Les pays du Nord ont en fait un intérêt à long terme à la solidarité avec les pays du Sud, car si les productions devaient continuer à se rapprocher significativement des acheteurs, un grand marché intérieur européen dynamique et soutenable serait un atout majeur, préférable au mercantilisme. En outre, et avant tout, un éventuel éclatement de la zone euro aurait certes des conséquences dramatiques pour les pays en difficulté, mais induirait une forte réévaluation de la devise des pays du Nord, qui affaiblirait considérablement leur propre économie.

2. CE QUE NOUS PROPOSONS

Il est pour nous absolument essentiel de maintenir, de consolider l’euro, en complétant l’organisation de la zone euro :

  1. Il faut maintenir le rôle fondamental de la BCE comme prêteur en dernier ressort en cas de chocs systémiques et pour préserver l’euro « whatever it takes », tout en assurant sa stabilité.
  2. Les citoyens de l’Union Européenne doivent percevoir que la monnaie européenne est un facteur de puissance et d’autonomie au niveau mondial face au dollar américain et demain face au yuan chinois. Il est tout à fait souhaitable de développer bien davantage le rôle de l’euro comme monnaie internationale face au dollar et de s’affranchir le plus possible de l’extraterritorialité des lois des Etats-Unis.
  3. L’Union bancaire doit être complétée : il s’agit de finaliser le mécanisme de résolution par la mise en place d’un filet de sécurité sur fonds publics, et de mettre en place une garantie commune des dépôts bancaires, parallèlement à l’accélération du provisionnement des prêts défaillants (classés NPL) du bilan des banques.
  4. Nous devons développer une institution du type FMI (sur la base du Mécanisme Européen de Stabilité), qui puisse aider, sans création monétaire, les pays en crise asymétrique conjoncturelle de balance des paiements.
  5. Outre cet instrument de gestion du risque de balance des paiements, il faut un fonds de stabilisation conjoncturelle digne de ce nom ou un budget propre à la zone euro, avec un rôle contracyclique et / ou de partage du risque. Ce budget, financé sur ressources propres, devrait être soumis au vote d’une institution démocratique, par exemple issue du Parlement européen. D’autres mécanismes de partage du risque sont possibles au sein de la zone euro, et peuvent revêtir différentes formes (système d’assurance-chômage pour partie mis en commun, mise en commun d’une partie de la dette publique…).
  6. Ces systèmes de partage du risque doivent être conditionnés à la responsabilité exercée par chaque pays (réformes structurelles, situation budgétaire…). Sans responsabilité, il est vain de demander la solidarité. Mais il faut affirmer que si l’aléa moral ne doit être en rien négligé, il ne doit pas non plus inhiber toute solidarité. C’est à une construction équilibrée entre ces deux principes qu’il faut parvenir.
  7. Le retour de la mobilité des capitaux entre les pays de la zone euro est absolument central, afin que les excédents courants des uns puissent financer les déficits courants des autres et favoriser une bonne allocation du capital au sein de la zone euro. Les propositions ci-dessus doivent y contribuer fortement puisqu’elles rétabliraient la confiance des marchés financiers dans l’unité et la cohésion de la zone. A ce titre, nous devons poursuivre sur la voie ouverte par le Plan Juncker. L’union des marchés de capitaux (CMU) doit en outre constituer une éminente priorité.
  8. Il faut aussi mobiliser les excédents d’épargne pour financer des projets d’avenir (transition écologique, bio technologie, digital…) et financer ce type de projets d’investissement également dans les pays du Sud. Ces projets pourraient être de type publics-privés. Cela donnerait en outre une plus grande visibilité et une meilleure compréhension de l’utilité de l’Europe.
  9. Pour réduire la polarisation géographique cumulative de l’appareil de production et susciter un mouvement de plein développement coopératif de chaque Etat membre de la zone euro, il est nécessaire de mettre en place, en complément des points précédents, un dispositif élaborant collectivement une vision du rééquilibrage productif des différents territoires de la zone euro et de repenser les instruments : fonds structurels, incitations et garanties apportées aux investissements privés.
  10. Il faut aujourd’hui repenser le dispositif de surveillance des divergences macroéconomiques, et notamment renforcer la surveillance des déséquilibres des balances courantes et des divergences des coûts salariaux par unité produite. Il est nécessaire de redonner une place plus importante au dialogue entre partenaires sociaux à l’échelle de la zone euro, notamment pour éviter la course au moins-disant social.

3. CONCLUSION

Il faut mettre en lumière les avantages de l’euro et en quoi il protège les citoyens.  Il s’agit aussi de souligner que la monnaie unique renforce le lien au sein de la zone et crée une solidarité de fait. C’est un facteur de paix. La destruction de l’euro aurait de graves conséquences pour l’Europe.

Nous pensons nécessaire à cet effet de promouvoir une campagne pédagogique notamment sous la forme d’un dictionnaire des idées reçues pour combattre les rumeurs erronées, voire malveillantes qui circulent sur l’histoire et les résultats de la construction européenne.

Vous pouvez retrouver le document original ici.