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La réforme des retraites est souhaitable et crédible

Prenons la réforme des retraites là où elle en est. Bien ou mal préparée.

Elle est aujourd’hui, telle que présentée par le Premier Ministre, une réforme tout à la fois juste – elle améliore significativement la retraite de nombre de Français peu ou pas défendus par des statuts et/ou par les syndicats –, et elle est globalement financée par des mesures d’âge.

La question de savoir si la réforme devait être uniquement « systémique » (universalisation, soit une même régime pour tous) et non « paramétrique » (changement des paramètres pour assurer l’équilibre) est très surprenante. Les Français s’inquiètent bien davantage du montant de leur future retraite que de l’universalisation du système, même si le caractère universel conduit à plus de justice.

Or là réside sans doute une large partie de la défiance : un système de retraite par points peut laisser penser que l’équilibre du régime pourrait se faire par la manipulation de la valeur du point, donc du montant des retraites versées, en l’occurrence à la baisse.  Il fallait donc sécuriser les Français quant à leur retraite future par la démonstration que le système allait être protecteur, donc financé.

Le seul moyen d’assurer efficacement l’équilibre des régimes de retraites par répartition, sans baisser les retraites, est de moduler la durée de la vie active, en fonction de l’évolution démographique. Sinon, l’équilibre ne peut être assuré que par l’augmentation des cotisations sociales payées par les salariés et/ou par les entreprises. Immédiatement ou de façon différée, cette mesure ne peut que ponctionner le pouvoir d’achat et/ou jouer contre la compétitivité de l’économie, donc in fine, dans les deux cas, contre le taux de croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat. Sachant que le taux de cotisations sociales des entreprises en France est déjà de 60 % plus élevé que dans le reste de la zone euro, toute élévation supplémentaire serait inacceptable, tant socialement qu’économiquement, car elle irait à l’encontre de l’intérêt de l’économie française et de tous ceux qui y travaillent.

Restent donc les mesures d’âge, seules à même de rendre compatibles l’intérêt des retraités actuels ou futurs et la recherche du meilleur potentiel de croissance de l’économie. En France, nous avions 4 cotisants pour 1 retraité en 1960. En 2010, 1,8 cotisant seulement pour 1 retraité. Dans le même temps, en 1958, l’espérance de vie à l’âge de la retraite était de 15,6 ans pour les femmes et de 12,5 ans pour les hommes. En 2020, respectivement de 26,9 ans et de 22,4 ans. Et l’âge de la retraite est moins élevé aujourd’hui qu’en 1958. L’espérance de vie en bonne santé après la retraite a considérablement progressé également.

Tout le monde le comprend et anticipe un changement de la durée de la vie active. D’ailleurs, tous nos voisins ont remonté dans le même esprit l’âge de la retraite. De ce fait, le principe de réalité doit aussi nous saisir, pour que notre précieux système de retraite par répartition ne soit pas mis en danger par l’incapacité à le financer. En France, seuls environ 30 % des personnes de 60 à 64 ans travaillent, alors que dans les autres pays de la zone euro en moyenne, ils sont presque 50 % à le faire et 57 % en Allemagne, 68 % en Suède. Or, le travail n’est pas seulement nécessaire économiquement, il est aussi le plus souvent un moyen d’intégration, de socialisation et de réalisation de soi. Enfin, le travail crée le travail dans la dynamique de l’économie, ce que tous les travaux empiriques confirment.

Reste à réfléchir à l’intérêt d’un âge pivot par rapport à un ajustement du nombre d’années travaillées ; car ce dernier ajustement prendrait mieux en compte les carrières longues et la pénibilité du travail, ce qui serait plus juste.

Une bonne réforme est une réforme souhaitable et crédible. Cette réforme est souhaitable, parce qu’elle est plus juste et parce qu’elle sécurise les Français quant au montant de leur retraite future. Elle est crédible, parce qu’elle doit être financée par un ajustement de la durée de vie au travail. Elle est souhaitable et crédible, si elle n’accroît pas encore davantage les cotisations sociales en France, qui sont déjà à un niveau très supérieur aux autres pays de la zone euro.

Pour toutes ces raisons, cette réforme sera favorable et utile aux Français et à l’économie du pays.

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Quelques chiffres sur la retraite

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Retour sur les débats entre Olivier Klein et Xavier Bertrand sur le thème : « Inégalités des revenus, inégalités des chances », dans La Correspondance Economique

Le ca­bi­net Car­bon­nier, La­maze, Rasle & As­so­ciés (Carlara) a or­ga­nisé une confé­rence sur le thème « In­éga­li­tés des re­ve­nus, in­éga­li­tés des chances ». Le mou­ve­ment contes­ta­taire des « Gi­lets jaunes » a re­cen­tré le débat po­li­tique au­tour de cette ques­tion chère à nos va­leurs ré­pu­bli­caines, a sou­li­gné Me Edouard de LA­MAZE, avo­cat as­so­cié co-gé­rant du ca­bi­net Carlara, en in­tro­duc­tion du débat. L’éga­lité est, en effet, un des trois pi­liers de notre de­vise, a-t-il rap­pelé.

Pour dé­battre des en­jeux aussi bien éco­no­miques que so­cié­taux au cœur de cette pro­blé­ma­tique, le ca­bi­net Carlara a convié deux in­ter­ve­nants : M. Xa­vier BER­TRAND, qui fut mi­nistre du Tra­vail des trois gou­ver­ne­ments Fillon de 2007 à 2012, l’oc­ca­sion de mener plu­sieurs ré­formes à l’image no­tam­ment de l’ins­tau­ra­tion du ser­vice mi­ni­mum dans les trans­ports pu­blics et de la ré­forme des ré­gimes spé­ciaux de re­traite. Au­pa­ra­vant mi­nistre de la Santé et des So­li­da­ri­tés dans le gou­ver­ne­ment Vil­le­pin (2005-2007), il fut éga­le­ment dé­puté (LR) de l’Aisne entre 2002 et 2015 et maire de Saint-Quen­tin de 2010 à 2016. Au­jour­d’hui, pré­sident du Conseil ré­gio­nal des Hauts-de-France, M. Xa­vier BER­TRAND a pa­ral­lè­le­ment créé un think tank, La Ma­nu­fac­ture, conçue comme une boîte à idées. Et M. Oli­vier KLEIN qui cu­mule une double qua­lité, a sou­li­gné Me de LA­MAZE, d’uni­ver­si­taire et de pra­ti­cien de la fi­nance. Au­teur du Blog Note (www.​oklein.​fr), M. KLEIN est, en effet, pro­fes­seur af­fi­lié d’éco­no­mie et fi­nance à HEC où il est co-res­pon­sable de la ma­jeure Eco­no­mie et du mas­ter « Ma­na­ge­rial and Fi­nan­cial Eco­no­mics ». Après avoir oc­cupé, de 1985 à 1996, di­vers postes de res­pon­sa­bi­lité au sein de la Banque fran­çaise du com­merce ex­té­rieur (BFCE), il a re­joint le groupe Caisse d’Epargne en 1998 où il fut no­tam­ment pré­sident du di­rec­toire de la Caisse d’Epargne Ile-de-France Ouest (2000-2007) puis de la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes (2007-2010). Di­rec­teur gé­né­ral Banque com­mer­ciale et As­su­rances de BPCE de 2010 à 2012, il prit en sep­tembre 2012 la di­rec­tion gé­né­rale de BRED Banque po­pu­laire, fonc­tion que M. KLEIN oc­cupe de­puis lors.

Ar­ti­culé au­tour de deux sé­quences, le débat a tout d’abord été nourri par une ana­lyse de M. Oli­vier KLEIN qui a dressé un état des lieux de ces deux no­tions – in­éga­li­tés des re­ve­nus, in­éga­li­tés des chances – à par­tir d’une série d’in­di­ca­teurs clés. Avant que M. Xa­vier BER­TRAND ne confronte ce ta­bleau à la réa­lité du pays et n’avance les pistes pour re­tis­ser les liens d’une na­tion frac­tu­rée.

In­éga­li­tés des re­ve­nus : quelques in­di­ca­teurs clés

L’in­éga­lité est un mot vague, un concept fourre-tout qu’il convient de cir­cons­crire, a sou­li­gné M. Oli­vier KLEIN. Abor­dant, dans un pre­mier temps, la ques­tion des in­éga­li­tés de re­ve­nus, ce­lui-ci a rap­pelé de façon li­mi­naire que celles-ci ont consi­dé­ra­ble­ment baissé dans dif­fé­rentes zones du monde.

Quelques chiffres illus­trent cette évo­lu­tion. Selon la Banque Mon­diale, dans la dé­cen­nie 2010, 10 % de la po­pu­la­tion vi­vaient dans l’ex­trême pau­vreté avec moins de 1,90 dol­lar par jour contre 40 % avec moins de 1 dol­lar en 1980. En Chine et en Inde, 2 mil­liards de per­sonnes ont dé­passé le seuil de pau­vreté de­puis les an­nées 1980. Il y a, en effet, une crois­sance re­mar­quable du PIB par ha­bi­tant dans cer­taines zones du monde : Chine, Inde, Asie de l’Est.

* PPA : Pa­rité de pou­voir d’achat. Ce taux de conver­sion mo­né­taire ex­prime le rap­port entre la quan­tité d’uni­tés mo­né­taires né­ces­saire dans des pays dif­fé­rents pour se pro­cu­rer le même « pa­nier » de biens et de ser­vices.

Pa­ral­lè­le­ment, l’es­pé­rance de vie a connu, elle aussi, une évo­lu­tion fa­vo­rable : dans les an­nées 1980, il y avait 20 ans d’écart entre pays dé­ve­lop­pés et pays non dé­ve­lop­pés. Au­jour­d’hui, cet écart est de 9 ans.

Mais si les in­éga­li­tés entre pays ont si­gni­fi­ca­ti­ve­ment baissé, en re­vanche, à l’in­té­rieur même des pays, on a glo­ba­le­ment as­sisté à une hausse des in­éga­li­tés de re­ve­nus.

Plu­sieurs in­di­ca­teurs per­mettent de me­su­rer cet état de fait. Tel l’in­dice de Gini qui va de 0 à 1 (0 = éga­lité par­faite / 1 = in­éga­lité par­faite), cal­culé à par­tir de l’écart de re­ve­nus en pre­nant les ha­bi­tants 2 à 2. En uti­li­sant cet in­dice rap­porté aux pays de l’OCDE, on ob­serve que les in­éga­li­tés de re­ve­nus dans cha­cun d’entre eux sont un peu en hausse (l’in­dice de Gini est passé de 0,47 en 1990 à 0,51 au­jour­d’hui). Ce n’est pas une hausse ex­trê­me­ment forte, mais elle est néan­moins tan­gible.

Si l’on exa­mine la va­ria­tion des in­éga­li­tés de re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion (ré­par­ti­tion pri­maire des re­ve­nus), on constate une aug­men­ta­tion dans qua­si­ment tous ces pays. S’agis­sant plus pré­ci­sé­ment de la France, sur la base des chiffres 2015 (dis­po­nibles pour l’en­semble des pays étu­diés), le ni­veau d’in­éga­li­tés avant re­dis­tri­bu­tion y est parmi les plus éle­vés des pays de l’OCDE. Sur ce même cri­tère, la France se sin­gu­la­rise éga­le­ment de la moyenne au sein de la zone euro.

Après re­dis­tri­bu­tion, la France est le pays qui a le plus faible ni­veau d’in­éga­li­tés de re­ve­nus

En re­vanche, après re­dis­tri­bu­tion, le constat est tout autre. Au vu des chiffres de 2015, la France est le pays qui a le plus faible ni­veau d’in­éga­li­tés de re­ve­nus du fait de sa po­li­tique de re­dis­tri­bu­tion qui a un effet puis­sant.

Au re­gard de l’in­dice de Gini avant et après re­dis­tri­bu­tion, l’im­pact en France est très élevé par rap­port aux autres pays de l’OCDE. Mais il l’est d’au­tant plus que les in­éga­li­tés de re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion y sont éle­vées, a re­levé M. KLEIN.

Même constat au sein de la zone euro : la France ne cesse d’ad­di­tion­ner les ef­forts de re­dis­tri­bu­tion. Les autres pays de la zone euro éga­le­ment, mais la France est si­gni­fi­ca­ti­ve­ment au-des­sus de la moyenne. La France va beau­coup plus vite et beau­coup plus fort. L’in­éga­lité de re­ve­nus après re­dis­tri­bu­tion est, donc, faible en France.

Et ce constat est le même en uti­li­sant un autre in­di­ca­teur qui ana­lyse la pro­por­tion du re­venu na­tio­nal dé­te­nue par le 1 % des in­di­vi­dus qui ont les re­ve­nus les plus éle­vés. Aux Etats-Unis, 1 % des in­di­vi­dus dé­tient 22 % du re­venu na­tio­nal, ce qui té­moigne d’un fort ni­veau d’in­éga­li­tés. A l’in­verse, en France, ce 1 % dé­tient un peu plus de 10 % du re­venu na­tio­nal, en ligne avec la moyenne de la zone euro.

Troi­sième in­di­ca­teur dans ce re­gistre, celui qui me­sure la pro­por­tion de la po­pu­la­tion qui per­çoit un re­venu en des­sous du seuil de pau­vreté re­la­tif (soit en des­sous de 60 % du re­venu mé­dian) : là en­core (chiffres 2016), la France est parmi les pays où la pro­por­tion de sa po­pu­la­tion qui se situe en deçà de 60 % du re­venu mé­dian est la plus faible avec 14 %. La courbe est même en lé­gère di­mi­nu­tion de­puis 1998. Il n’y a donc pas d’ac­crois­se­ment de cette forme d’in­éga­lité en France. La France est si­gni­fi­ca­ti­ve­ment en des­sous de la moyenne de la zone euro, de 18 %.

Em­ploi : agir pré­ven­ti­ve­ment et pas seule­ment a pos­te­riori par le biais de la re­dis­tri­bu­tion

Une autre di­men­sion doit être prise en compte, celle du par­tage de la va­leur ajou­tée (VA). S’est-il fait au dé­tri­ment des sa­la­riés et en fa­veur des en­tre­prises, comme dans à peu près tous les pays de l’OCDE ? Si les sa­laires aug­mentent plus vite que la pro­duc­ti­vité, cela dé­forme la va­leur ajou­tée au pro­fit des sa­la­riés alors que la ten­dance in­verse la dé­forme au pro­fit des en­tre­prises. Trop de par­tage de la va­leur ajou­tée au pro­fit des en­tre­prises aug­mente les in­éga­li­tés et, in fine, va peser sur la crois­sance. Mais une dé­for­ma­tion au pro­fit des sa­la­riés, alors même que le taux de pro­fit sur PIB dans l’Hexa­gone est parmi les plus faibles de toute la zone Euro, ne va pas né­ces­sai­re­ment dans le sens de l’em­ploi, a mis en garde M. KLEIN.

Aux Etats-Unis, le sa­laire réel par tête a aug­menté beau­coup plus fai­ble­ment que la pro­duc­ti­vité. Avec la mon­dia­li­sa­tion et les nou­velles tech­no­lo­gies, on y a as­sisté à une dé­for­ma­tion très forte au pro­fit des en­tre­prises et au dé­tri­ment des sa­la­riés. On fait le même constat au Japon, tout comme en Al­le­magne même si la ten­dance est moins ac­cen­tuée. En re­vanche, la France est l’un des rares pays de l’OCDE où l’évo­lu­tion est in­verse : les sa­laires y ont aug­menté au dé­tri­ment de la pro­duc­ti­vité. Ce qui, de fait, a pour consé­quence une perte de com­pé­ti­ti­vité de ses en­tre­prises.

Enfin, si l’on exa­mine les écarts de l’in­dice de Gini avant et après re­dis­tri­bu­tion, on constate lo­gi­que­ment que tous les pays qui ont plus de re­dis­tri­bu­tion ont plus de pres­ta­tions so­ciales en pro­por­tion du PIB.

Pour com­prendre l’exis­tence de fortes in­éga­li­tés avant re­dis­tri­bu­tion en France, il convient de faire un constat : le taux d’em­ploi dans l’Hexa­gone, à sa­voir la part de la po­pu­la­tion au tra­vail rap­por­tée à la po­pu­la­tion to­tale en âge de tra­vailler, est parmi les plus faibles des pays de l’OCDE. Ainsi, voit-on que le taux d’em­ploi aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, au Ca­nada, en Suède se situe entre 70 et 80 %. Tout comme l’Al­le­magne et l’Aus­tra­lie qui se si­tuent au­tour de 75 %. Alors que la France se situe, elle, à 65 %. En des­sous, à 60 %, fi­gurent l’Ita­lie et l’Es­pagne. Plus qu’un écart entre les plus hauts et les plus bas re­ve­nus, c’est ce chiffre qui ex­plique no­tam­ment la forte in­éga­lité des re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion qui pré­vaut en France, avec une pro­por­tion plus im­por­tante de per­sonnes que dans d’autres pays vi­vant de sub­sides et non d’un sa­laire, por­teur d’un ni­veau de re­venu plus im­por­tant. On re­lève, en outre, que le taux d’em­ploi des 60-64 ans est de près de 32 % en France contre 47 % en moyenne dans la zone euro.

Il y a donc une cor­ré­la­tion entre l’in­dice des in­éga­li­tés de re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion et le taux d’em­ploi avec un ni­veau d’in­éga­li­tés ici d’au­tant plus élevé que le taux d’em­ploi est faible. Même si ce n’est pas le seul dé­ter­mi­nant, a ce­pen­dant tem­péré M. Oli­vier KLEIN.

Lo­gi­que­ment, plus la re­dis­tri­bu­tion so­ciale est forte, via des pres­ta­tions so­ciales éle­vées, plus la pres­sion fis­cale est im­por­tante, ce tant sur les en­tre­prises que sur les mé­nages. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas sans rap­port avec le taux d’em­ploi trop faible. Ainsi, la France a-t-elle un taux de co­ti­sa­tions so­ciales sur PIB bien plus élevé que dans les autres pays de la zone euro. C’est une bonne chose en soi car cela fi­nance la re­dis­tri­bu­tion mais cela pèse sur la com­pé­ti­ti­vité des en­tre­prises, qui vont alors moins em­bau­cher, pe­sant alors sur le taux d’em­ploi qui sera plus faible. D’où une cor­ré­la­tion entre le taux d’em­ploi et le ni­veau de co­ti­sa­tions so­ciales : plus les co­ti­sa­tions so­ciales sont éle­vées, plus le taux d’em­ploi est faible. C’est un cercle vi­cieux. Nous avons un trai­te­ment cu­ra­tif et non pré­ven­tif. La mé­ca­nique de re­dis­tri­bu­tion est ver­tueuse car elle mi­nore les in­éga­li­tés. Mais jus­qu’à un cer­tain ni­veau, au-delà du­quel elle en­traîne des ef­fets né­ga­tifs. Il est donc in­dis­pen­sable d’agir pré­ven­ti­ve­ment, afin d’amé­lio­rer le taux d’em­ploi, et pas seule­ment a pos­te­riori, en fai­sant de la re­dis­tri­bu­tion.

Ainsi, la part des co­ti­sa­tions so­ciales des en­tre­prises en France rap­por­tée au PIB est 60 % plus élevé, à plus de 11 %, que la moyenne de leurs ho­mo­logues dans les autres pays, com­pa­rables, de la zone euro, avec un taux de l’ordre de 7 %.

NB : Les cor­ré­la­tions ci-des­sus ont été réa­li­sées par le ser­vice éco­no­mique de Na­tixis.

Si l’on pour­suit la com­pa­rai­son de la si­tua­tion de la France par rap­port aux autres pays de la zone euro, on constate que le taux d’im­pôt sur les en­tre­prises rap­porté au PIB en France est de 17 % contre 11 % en moyenne dans la zone euro. Ce n’est donc pas en aug­men­tant les im­pôts qu’on va créer de l’em­ploi. Même constat s’agis­sant des mé­nages : la pro­por­tion des im­pôts pe­sant sur les mé­nages rap­por­tée au PIB est de près de 35 % en France contre 29 % dans la zone euro. Quant au sa­laire mi­ni­mum en pour­cen­tage du sa­laire mé­dian en France, il est déjà très élevé par rap­port à la moyenne de la zone euro. Si on l’aug­mente, on fait sor­tir de l’em­ploi tous ceux qui ont une pro­duc­ti­vité faible. En re­vanche, les com­plé­ments de re­venu pour per­mettre de tra­vailler avec le SMIC est un outil beau­coup plus adapté.

Une forte in­éga­lité des chances en France

Mais il y a une autre forme d’in­éga­li­tés à prendre en compte : l’in­éga­lité des chances. Elle peut être me­su­rée de plu­sieurs ma­nières : par le sta­tut so­cio-éco­no­mique qui se trans­met plus ou moins for­te­ment d’une gé­né­ra­tion à une autre ; par la cor­ré­la­tion entre le re­venu des pa­rents et celui des en­fants une fois sur le mar­ché du tra­vail (en France, cor­ré­la­tion forte) ; par la cor­ré­la­tion entre le ni­veau de di­plôme des pa­rents et le ni­veau de di­plôme des en­fants une fois les études ter­mi­nées (en France, elle est plus forte qu’ailleurs).

On constate qu’en France, le pour­cen­tage d’hommes dont le père a de faibles re­ve­nus et qui ont eux-mêmes de faibles re­ve­nus est de 35 %, contre 31 % en moyenne dans l’OCDE. A l’op­posé, le pour­cen­tage d’hommes en France ayant de hauts re­ve­nus et dont le père a aussi de hauts re­ve­nus est de 40 %. D’un côté, c’est une poche de ri­chesse et de l’autre côté, une trappe de pau­vreté à l’en­vers. Il y a une forte cor­ré­la­tion entre le ni­veau de re­ve­nus des pa­rents et des en­fants. Dès lors, le constat est sans appel : il y a de fortes in­éga­li­tés des chances en France avec une faible mo­bi­lité so­ciale entre les gé­né­ra­tions.

L’OCDE me­sure com­bien il faut de gé­né­ra­tions pour que des in­di­vi­dus nés dans une fa­mille à faibles re­ve­nus puissent ac­cé­der au re­venu mé­dian. Au Da­ne­mark, il faut 2 gé­né­ra­tions ; en Suède 3 ; en Es­pagne et au Ca­nada 4 ; aux Etats-Unis, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, en Ita­lie : 5 ; en France 6. La moyenne de l’OCDE est à 5. Der­rière la France, il y a l’Al­le­magne, la Hon­grie, le Chili, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud.

Or, cet enjeu est fon­da­men­tal car l’éga­lité des chances fonde la ca­pa­cité à vivre en­semble et est au cœur de la co­hé­sion so­ciale. Mais elle est éga­le­ment por­teuse d’un point de vue éco­no­mique. Si une re­la­tive in­éga­lité des re­ve­nus est né­ces­saire pour l’in­no­va­tion, l’en­tre­pre­neu­riat, elle n’est ac­cep­table que si elle est fon­dée sur l’éga­lité des chances, ou, à tout le moins, une faible in­éga­lité des chances. En re­vanche, cu­mu­ler in­éga­lité des re­ve­nus ET in­éga­li­tés des chances, au-delà des as­pects de jus­tice so­ciale, nuit à la crois­sance. Enfin, l’éga­lité des chances per­met de mo­bi­li­ser tous les ta­lents. A l’in­verse, s’en pri­ver, c’est pé­na­li­sant au re­gard de la crois­sance et de l’in­no­va­tion.

Un autre in­di­ca­teur montre la fra­gi­lité de la France sur ce ter­rain : la pro­por­tion de jeunes dé­sco­la­ri­sés et sans em­ploi. Elle est en France de 17 %, contre 10 % en Al­le­magne et de l’ordre de 8 % aux Pays-Bas.

Der­nier in­di­ca­teur que l’on peut ana­ly­ser, l’en­quête PIAAC de l’OCDE (« éva­lua­tion des com­pé­tences des adultes », réa­li­sée tous les trois ans par l’OCDE, NDLR) qui me­sure le taux de com­pé­tences ac­quises par les sa­la­riés en en­tre­prise en termes de maî­trise du lan­gage et de ma­thé­ma­tiques ap­pli­quées : le po­si­tion­ne­ment de la France se dé­grade. Elle se situe dé­sor­mais en-des­sous de la moyenne de la zone euro. Or, il y a une cor­ré­la­tion entre l’ac­qui­si­tion de com­pé­tences, le ni­veau de for­ma­tion et le taux d’em­ploi. A l’heure de la mon­dia­li­sa­tion et de la ré­vo­lu­tion tech­no­lo­gique, le taux d’em­ploi est porté par le sa­voir. Dans le même re­gistre, l’en­quête PISA (Pro­gramme in­ter­na­tio­nal pour le suivi des ac­quis des élèves, ndlr) menée par l’OCDE tous les trois ans au­près des jeunes de 15 ans, montre une dé­gra­da­tion des ré­sul­tats de la France même si son score est dans la moyenne de celui de la zone euro. La ré­forme de l’Edu­ca­tion na­tio­nale est donc un enjeu dé­ci­sif afin de re­nouer avec les sa­voirs fon­da­men­taux.

En conclu­sion, on ob­serve le lien entre crois­sance, in­no­va­tion et éga­lité des chances. C’est cette com­bi­nai­son qui per­met de tirer un pays vers le haut et aux po­pu­la­tions les plus fra­giles de s’en sor­tir, a sou­li­gné M. Oli­vier KLEIN.

Au­jour­d’hui, on as­siste à une crois­sance tirée par l’in­no­va­tion. Ce n’est plus une crois­sance de rat­tra­page comme ce fut le cas dans les an­nées d’après-guerre et jus­qu’aux an­nées 70. C’est par l’in­no­va­tion qu’on sti­mule les ta­lents et que l’on par­vient à une éga­lité des chances car l’in­no­va­tion crée des rup­tures et casse les rentes et les po­si­tions ac­quises. La crois­sance par l’in­no­va­tion est fa­vo­ri­sée par une so­ciété plus mo­bile. Elle est la seule qui vaille dans un en­vi­ron­ne­ment mon­dia­lisé et fondé sur les nou­velles tech­no­lo­gies. C’est un cercle ver­tueux.

Dans ce contexte, il est d’au­tant plus im­por­tant de ne pas se trom­per de diag­nos­tic. Ainsi, en France, il y a une in­éga­lité de re­ve­nus plus faible qu’ailleurs grâce à une re­dis­tri­bu­tion forte. Mais cette re­dis­tri­bu­tion forte n’est pas le ré­sul­tat d’une po­li­tique pré­ven­tive mais d’une po­li­tique cu­ra­tive. Il faut donc cher­cher à aug­men­ter le taux d’em­ploi. Ce n’est donc pas la même chose, en termes de po­li­tique éco­no­mique que si l’on était dans une si­tua­tion de forte in­éga­lité de re­ve­nus qui condui­rait à aug­men­ter les im­pôts.

Au vu de ce constat, M. Oli­vier KLEIN a dé­fendu les grandes ré­formes struc­tu­relles qu’il juge in­dis­pen­sables. Elles sont au nombre de trois : le mar­ché du tra­vail, la for­ma­tion et la re­traite.

S’agis­sant de l’em­ploi, on constate certes des orien­ta­tions qui vont dans le bon sens, mais les ef­forts de­meurent en­core in­suf­fi­sants. Il faut, d’une façon ou d’une autre, par­ve­nir à rendre le re­tour à l’em­ploi plus in­ci­ta­tif.

Cela veut dire, aussi, aller cher­cher les gens pour les for­mer. Bais­ser d’an­née en année dans les clas­se­ments PISA et PIAAC est dé­sas­treux dans le monde de l’éco­no­mie du sa­voir et de la connais­sance qui est le nôtre au­jour­d’hui. Il faut, d’une part, mettre en avant la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, ré­forme qui jus­qu’à au­jour­d’hui n’a ja­mais été vé­ri­ta­ble­ment faite en France. Les dé­penses de for­ma­tion/PIB y sont les plus éle­vées de la zone euro. Le pro­blème ne vient donc pas des moyens, mais d’une meilleure uti­li­sa­tion des dé­penses. Il faut, d’autre part, pla­cer le socle des sa­voirs fon­da­men­taux au cœur de l’en­sei­gne­ment dans les écoles. L’ac­tion menée sur les pre­mières an­nées est, donc, es­sen­tiel. Toutes les études sur l’ef­fi­ca­cité de la for­ma­tion montrent que tout se joue à la ma­ter­nelle et au pri­maire. Cela passe éga­le­ment par une re­mise à plat des pro­grammes. Dans ce do­maine, plu­sieurs ré­formes sont d’ailleurs me­nées dans ce sens à l’heure ac­tuelle, a-t-il salué au pas­sage.

Enfin, la troi­sième ré­forme in­dis­pen­sable est celle des re­traites. Au vu de l’im­por­tance des dé­fi­cits, une so­lu­tion s’im­pose aux yeux de M. KLEIN, celle de l’aug­men­ta­tion de l’âge de dé­part à la re­traite compte tenu de l’évo­lu­tion de l’es­pé­rance de vie. Ré­for­mer la re­traite, c’est aussi don­ner une in­dis­pen­sable vi­si­bi­lité. Or, cha­cun est conscient d’une chose, c’est que le sys­tème n’est pas équi­li­bré.

voir l’as­su­rance d’at­teindre l’équi­libre en fonc­tion de l’évo­lu­tion de l’es­pé­rance de vie per­met­trait à cha­cun de sa­voir sur quoi il pourra ta­bler le mo­ment venu, in­ci­te­rait à épar­gner un peu moins et in fine per­met­trait de vivre un peu mieux. C’est es­sen­tiel en termes de pré­vi­si­bi­lité et c’est ras­su­rant pour tout le monde, a-t-il conclu.

Pour M. Xa­vier BER­TRAND, re­mettre le pays en mou­ve­ment est une im­pé­rieuse né­ces­sité sans quoi on peut re­dou­ter le pire

Xa­vier BER­TRAND l’a de nou­veau mar­telé le 19 sep­tembre lors de la nou­velle émis­sion po­li­tique sur France 2 « Vous avez la pa­role » que le pré­sident de la Ré­gion Hauts-de-France a inau­gu­rée : plus que de bouts de ré­formes, c’est d’une vé­ri­table re­fon­da­tion dont le pays a be­soin. Une re­fon­da­tion qui doit per­mettre de ré­con­ci­lier les Fran­çais et de re­tis­ser des liens mis à mal, mais éga­le­ment de re­nouer avec la confiance, no­tam­ment avec les res­pon­sables po­li­tiques.

Comme l’ont re­levé plu­sieurs des in­ter­ve­nants lors du débat or­ga­nisé par le ca­bi­net Carlara, le mou­ve­ment des « Gi­lets jaunes » a mis bru­ta­le­ment en lu­mière ces frac­tures, ma­ni­fes­te­ment sous-es­ti­mées, qui minent la so­ciété fran­çaise. Cha­cun est dé­sor­mais conscient que l’on est à un mo­ment char­nière où le pays peut bas­cu­ler. Soit il bas­cule vers une so­ciété où l’on s’ef­force de ré­con­ci­lier les ci­toyens entre eux. Soit on risque de vivre de plus en plus les uns à côté des autres. D’où l’im­pé­rieuse né­ces­sité de re­mettre le pays en mou­ve­ment, a in­sisté l’an­cien mi­nistre. Et ce, en ré­pon­dant à trois ques­tions, a-t-il dé­taillé ré­cem­ment sur France 2 : com­ment ré­pa­rer les frac­tures fran­çaises ? Com­ment re­bâ­tir une nou­velle so­ciété en France ? Com­ment re­lan­cer le pays en lui don­nant de vé­ri­tables pers­pec­tives ?

Il faut déjà ces­ser de se trom­per sur les choix po­li­tiques et éco­no­miques et rompre avec ces échecs qui ne datent pas de 24 mois mais plu­tôt de 20 ou 30 ans. On est face à un défi, a sou­li­gné M. BER­TRAND, alors que la réa­lité, ainsi que M. Oli­vier KLEIN en a fait la dé­mons­tra­tion, est très dif­fé­rente de la per­cep­tion.
Pré­ci­sé­ment, a in­ter­rogé M. Fa­brice DE­MA­RI­GNY, pré­sident de Ma­zars So­ciété d’avo­cat et res­pon­sable glo­bal de l’ac­ti­vité Fi­nan­cial ad­vi­sory et Ca­pi­tal mar­kets du groupe Ma­zars, com­ment fait un res­pon­sable po­li­tique pour que, dans un tel contexte, les ci­toyens qui peuvent être très à l’écoute de dis­cours sim­plistes, puissent re­trou­ver une connexion entre les faits et les ob­jec­tifs de po­li­tiques conçues pour ré­pondre à de vé­ri­tables en­jeux mais qui né­ces­sitent du temps ? En un mot, pour que le lien se re­tisse. Re­trou­ver une écoute chez les ci­toyens, une lé­gi­ti­mité, passe par l’ac­tion, a fait va­loir M. Xa­vier BER­TRAND. En étant concret et en ap­por­tant des so­lu­tions.

Alors que les in­jus­tices sont de­ve­nues des frac­tures, quels sont les re­mèdes ?

Deux vi­sions semblent se té­les­co­per, a de son côté re­levé M. Mi­chel DI­DIER, pré­sident de Rexe­code : d’un côté l’ob­ser­va­tion sta­tis­tique na­tio­nale d’où il res­sort que la France re­dis­tri­bue beau­coup et contient les in­éga­li­tés de re­ve­nus ; de l’autre, la réa­lité d’une frac­ture ter­ri­to­riale qui fra­gi­lise le pays. Il convien­drait de res­tau­rer une po­li­tique d’amé­na­ge­ment du ter­ri­toire.

Il faut, ici, dis­tin­guer l’in­éga­lité de re­venu, net­te­ment cor­ri­gée en France, et l’in­éga­lité des chances qui y est une réa­lité, a sou­li­gné M. Oli­vier KLEIN. Ef­fec­ti­ve­ment res­sen­tie par les Fran­çais, ils ne la concep­tua­lisent pas comme telle pour au­tant. En par­lant d’in­éga­lité, c’est bien le blo­cage de la so­ciété fran­çaise qui est en cause. Pro­blé­ma­tique qu’il faut as­su­ré­ment af­fron­ter, elle sup­pose d’agir tant sur ceux qui sont au bas de l’échelle afin de faire re­par­tir l’as­cen­seur so­cial, que sur cette no­menk­la­tura au som­met convain­cue que le pou­voir lui est dû quoi qu’il ar­rive. Il re­joint M. Xa­vier BER­TRAND qui a in­sisté plus glo­ba­le­ment sur la ques­tion, à ses yeux es­sen­tielle, de la dé­con­nexion de l’élite po­li­tique et du fossé exis­tant entre ceux qui di­rigent la France, et les Fran­çais. Ques­tion qui ne date ce­pen­dant pas d’au­jourd’­hui.

Quant au défi de la frac­ture ter­ri­to­riale et aux moyens d’ac­tions dont une Ré­gion dis­pose pour y re­mé­dier au plus près du ter­rain, M. Xa­vier BER­TRAND a tout d’abord in­sisté sur ces in­éga­li­tés per­çues comme au­tant d’in­jus­tices. Ce qui ex­plique le tour très émo­tion­nel pris ces der­niers mois. In­jus­tices qui sont de­ve­nues des frac­tures, de sur­croît par­ti­cu­liè­re­ment nom­breuses, qu’elles soient ter­ri­to­riales ou autres.

Ainsi en est-il en ma­tière d’édu­ca­tion. A cet égard, l’idée du mi­nistre de l’Edu­ca­tion na­tio­nale Jean-Mi­chel BLAN­QUER de tout miser sur l’école pri­maire, avec no­tam­ment le dé­dou­ble­ment des classes, est une voie in­té­res­sante même s’il faut aller beau­coup plus loin, a es­timé M. Xa­vier BER­TRAND. Au glo­bal, ce n’est pas une ques­tion de moyens sup­plé­men­taires – qui de toute façon n’exis­te­ront plus, a-t-il re­levé -, mais une ques­tion d’ef­fi­ca­cité de la dé­pense pu­blique et des prio­ri­tés que l’on se fixe.

In­éga­li­tés, éga­le­ment, au re­gard de l’ac­cès aux ser­vices pu­blics avec la ques­tion du maillage ter­ri­to­rial et des zones ru­rales qui se sentent aban­don­nées.

In­éga­li­tés en ma­tière de re­traite avec, no­tam­ment, la ques­tion des « pe­tites re­traites ». Com­ment ad­mettre, en effet, qu’une per­sonne qui a fait toute sa car­rière au SMIC, entre 1100 et 1200 euros, tou­chera une re­traite in­fé­rieure à 1000 euros. Avec, de sur­croît, un mi­ni­mum vieillesse à 868 euros… Et c’est tout le dis­cours sur la va­leur tra­vail qui, au mo­ment du dé­part en re­traite, est mis à mal. Sans par­ler des conjoints de com­mer­çants, ou en­core des agri­cul­teurs qui touchent, en moyenne, une pen­sion de 750 euros. Or, qui mieux que ceux-ci sym­bo­lisent la va­leur tra­vail, a re­levé M. Xa­vier BER­TRAND.

En­core peut-on citer l’in­éga­lité face aux soins. Sujet d’im­por­tance sur le­quel il y a sou­vent une confu­sion. Quand on parle d’un be­soin de dis­po­ser de ser­vices pu­blics de santé de proxi­mité, ce qui est en cause, ce sont avant tout les ur­gences. En re­vanche, s’agis­sant d’actes spé­cia­li­sés, il im­porte en prio­rité d’avoir suf­fi­sam­ment de mé­de­cins qui pra­tiquent suf­fi­sam­ment d’actes pour qu’il n’y ait pas d’in­éga­li­tés en termes de sé­cu­rité des pa­tients, quitte à faire quelques di­zaines de ki­lo­mètres de plus, a tenu à sou­li­gner l’an­cien mi­nistre de la Santé.

Ou bien la ques­tion du lo­ge­ment, source d’in­éga­lité criante entre les Fran­çais avec 4 mil­lions d’entre eux qui sont, au­jour­d’hui, mal logés. Pro­blé­ma­tique pour­tant bien connue mais sur la­quelle rien ne bouge.

Ou en­core, sujet cen­tral s’il en est, la ques­tion du chô­mage et des in­éga­li­tés face au tra­vail.

Enfin, l’in­éga­lité face au nu­mé­rique ne doit pas être en reste. Si l’illet­trisme est un vrai sujet, l’illec­tro­nisme ne sera pas en reste. Il y a une ten­ta­tion d’al­ler vers le tout nu­mé­rique. Or, un cer­tain nombre de Fran­çais ne sont pas à l’aise dans ce re­gistre. Ne pas en tenir compte, c’est prendre le risque de les iso­ler.

Au cœur de toutes ces thé­ma­tiques, on re­trouve, en effet, la ques­tion cru­ciale de la frac­ture ter­ri­to­riale. Et le pré­sident de la Ré­gion Hauts-de-France de prendre en exemple sa ré­gion avec Lille qui se porte bien, et à 50 mi­nutes de là, des ter­ri­toires où le taux de chô­mage est cinq fois su­pé­rieur, avec des dif­fé­ren­tiels d’es­pé­rance de vie très im­por­tants. Pour­tant, il s’agit de la même ré­gion et du même pays, a-t-il in­sisté.

Une exi­gence : pou­voir agir plei­ne­ment sur le bloc des com­pé­tences dé­vo­lues à la ré­gion

Pour contri­buer à y re­mé­dier, les ré­gions dis­posent de trois com­pé­tences : les trans­ports, les ly­cées, l’éco­no­mie. En ma­tière de trans­port, M. BER­TRAND a fait le choix de ne fer­mer au­cune gare ni au­cune ligne de che­min de fer. Choix qui s’avè­rera moins coû­teux qu’on ne le pense en par­ti­cu­lier si, comme il le sou­haite, il re­prend la main dans ses re­la­tions avec la SNCF. Une gare qui ferme alors que des gens prennent en­core le train, c’est le sym­bole qu’ils n’existent plus, a-t-il sou­li­gné. Ce der­nier a éga­le­ment mis en place une « aide au trans­port aux par­ti­cu­liers » (ATP) des­ti­née, sous cer­taines condi­tions, aux sa­la­riés qui n’ont d’autre choix que d’uti­li­ser leur voi­ture pour se rendre à leur tra­vail. Lancé en 2016, le dis­po­si­tif a été élargi en jan­vier der­nier et a d’ores et déjà bé­né­fi­cié à plus de 60 000 per­sonnes alors que quelque 100 000 aides ont été ver­sées, a-t-il dé­taillé ré­cem­ment sur France 2. Il en va de même avec les ly­cées. D’où l’idée, quand cela s’avère né­ces­saire, de les trans­for­mer, par exemple en centres de for­ma­tion avec une dy­na­mique en­tre­pre­neu­riale. Ce qui per­met de main­te­nir l’ac­ti­vité.

Sur le plan éco­no­mique, a re­levé le pré­sident de la Ré­gion, les Hauts-de-France ont été clas­sés 1ère ré­gion fran­çaise pour les in­ves­tis­se­ments in­dus­triels selon le bilan 2018 des In­ves­tis­se­ments Di­rects Etran­gers pu­blié par Bu­si­ness France, et ce pour la deuxième année consé­cu­tive. Mais il n’en­tend pas en res­ter là. Et de plai­der en fa­veur de l’ins­tau­ra­tion de zones franches pour des im­plan­ta­tions in­dus­trielles. Certes, cela veut dire « moins d’im­pôts » ré­col­tés à court terme, mais cela veut dire « plus d’em­plois » tout de suite. De même, mi­lite-t-il pour dis­po­ser de la frac­tion na­tio­nale de la contri­bu­tion sur la va­leur ajou­tée des en­tre­prises (CVAE) dont il pour­rait, par exemple, exo­né­rer une nou­velle en­tre­prise qui s’im­plante. Au­tant d’ou­tils qui des­si­ne­raient un amé­na­ge­ment ter­ri­to­rial digne de ce nom, a-t-il dé­fendu.

Al­lant plus loin, M. Xa­vier BER­TRAND a an­noncé le lan­ce­ment de son ini­tia­tive « Hauts-de-France 2020-2040 » avec la mise en place d’une consul­ta­tion des ha­bi­tants de sa ré­gion pour voir com­ment ils se pro­jettent dans l’ave­nir et dé­ci­der des grandes orien­ta­tions d’amé­na­ge­ments des Hauts-de-France pour les 20 pro­chaines an­nées. Leur mise en œuvre se­rait ac­com­pa­gnée de la créa­tion d’une « DATAR ré­gio­nale » [NDLR, Dé­lé­ga­tion in­ter­mi­nis­té­rielle à l’amé­na­ge­ment du ter­ri­toire et à l’at­trac­ti­vité ré­gio­nale : créée en 1963, elle fut re­grou­pée, en 2014, avec d’autres ins­ti­tu­tions au sein du Com­mis­sa­riat gé­né­ral à l’éga­lité des ter­ri­toires-CGET ; ce der­nier de­vrait être en­globé à l’ave­nir dans la fu­ture Agence na­tio­nale de la co­hé­sion des ter­ri­toires (cf. CE des 17/05 et 21/06/2019) ]. Cette agence ré­gio­nale, de petit for­mat pour res­ter agile, aura une mis­sion d’amé­na­ge­ment du ter­ri­toire, de pros­pec­tive, d’in­no­va­tion et d’éva­lua­tion, a-t-il dé­taillé, afin d’ai­der à pen­ser l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique de la ré­gion pour l’ave­nir.

Au final, M. Xa­vier BER­TRAND ne de­mande pas un nou­veau grand soir de la dé­cen­tra­li­sa­tion, mais seule­ment de pou­voir agir plei­ne­ment sur le bloc des com­pé­tences dé­vo­lues à la Ré­gion. Ré­af­fir­mant son at­ta­che­ment au rôle de l’Etat, mais d’un Etat avec une vi­sion, une am­bi­tion, ce­lui-ci a plaidé pour qu’il se re­centre sur ses fonc­tions ré­ga­liennes afin de lais­ser les autres ac­teurs, telles les Ré­gions, re­prendre la main sur leurs do­maines de com­pé­tences. Ainsi, sur le plan éco­no­mique, de­vraient-elles pou­voir sai­sir le co­mité in­ter­mi­nis­té­riel pour la re­struc­tu­ra­tion in­dus­trielle-CIRI, ou en­core gérer les im­plan­ta­tions d’en­tre­prises en n’ayant plus qu’un seul in­ter­lo­cu­teur de bout en bout et en dé­cloi­son­nant le pro­ces­sus à l’image de ce qui se passe à quelques ki­lo­mètres de là, en Bel­gique.
« Je ne de­mande pas un euro sup­plé­men­taire », a fait va­loir le pré­sident des Hauts-de-France qui n’a qu’une exi­gence : « pou­voir prendre la main » afin que les dos­siers puissent être vé­ri­ta­ble­ment dé­cen­tra­li­sés. Fai­sant le constat, sans appel, d’« un sys­tème de gou­ver­nance po­li­tico-ad­mi­nis­tra­tive à bout de souffle », « ce n’est pas notre mo­dèle », a-t-il re­levé. Et de plai­der pour « re­nouer avec l’es­prit du mo­dèle fran­çais. Cela sup­pose d’avoir des mi­nistres qui sont les vé­ri­tables pa­trons de leur ad­mi­nis­tra­tion et de » tran­cher ce nœud gor­dien de la com­plexité ad­mi­nis­tra­tive ». Mais le temps presse, a-t-il in­sisté.

Il ne faut pas se trom­per, ni sur les maux ni sur les frac­tures, a mis en garde M. BER­TRAND en conclu­sion. Si l’on es­time que c’est leur ré­sorp­tion qui doit être la prio­rité, l’al­pha et l’oméga ne sont pas for­cé­ment un nou­veau grand soir fis­cal. La prio­rité est avant tout l’em­ploi.

L’un des grands échecs du mo­dèle fran­çais : le chô­mage

Or, l’un des grands échecs de notre mo­dèle de pro­tec­tion so­ciale, c’est pré­ci­sé­ment la ques­tion du re­tour à l’em­ploi. Nous nous sommes ha­bi­tués de­puis des dé­cen­nies à vivre avec un taux de chô­mage élevé qui se­rait in­sup­por­table dans tout autre pays. 3,5 mil­lions de per­sonnes ne tra­vaillent plus et pour beau­coup d’entre elles, de­puis long­temps. Presque 5 mil­lions de per­sonnes sont pri­vées d’em­plois, pour une rai­son ou pour une autre, a-t-il re­levé. Pour­quoi ? Parce que nous avons créé une forme d’ad­dic­tion à l’im­pôt et nous n’avons ja­mais vrai­ment eu une ob­ses­sion pour l’em­ploi, les res­pon­sables po­li­tiques ten­dant à se ré­fu­gier der­rière l’idée que l’« on a tout es­sayé contre le chô­mage ». A l’in­verse, dans une so­ciété qui tend vers le plein em­ploi, la ten­sion na­tu­relle sur les sa­laires s’opère. Le rap­port entre la pro­duc­ti­vité et le ni­veau des sa­laires s’équi­libre de façon éco­no­mi­que­ment saine. Ainsi, M. Xa­vier BER­TRAND en est convaincu, beau­coup de nos pro­blèmes viennent de ce refus de consi­dé­rer l’em­ploi en France. Mais si l’on dé­cide de faire de l’em­ploi une stra­té­gie pleine et en­tière – qui doit dé­pas­ser une simple ré­forme de l’as­su­rance chô­mage -, on peut chan­ger la donne et ré­pondre de ma­nière pré­ven­tive et pas seule­ment cu­ra­tive à cette ques­tion.

Deux di­men­sions sont alors à prendre en consi­dé­ra­tion. Tout d’abord, une di­men­sion eu­ro­péenne, qui dé­passe le cadre na­tio­nal. Nous avons eu la chance, ces der­nières an­nées, d’avoir avec Mario DRA­GHI, un pa­tron de la Banque cen­trale eu­ro­péenne vi­sion­naire et prag­ma­tique qui, dans la li­mite des sta­tuts de son ins­ti­tu­tion, a fait le maxi­mum. Il en se­rait au­tre­ment avec un di­ri­geant qui les ap­pli­que­rait à la lettre : s’ils ciblent bien la lutte contre l’in­fla­tion, certes un sujet très im­por­tant, ils ne disent rien en re­vanche en ma­tière de plein em­ploi et de crois­sance, a re­gretté M. Xa­vier BER­TRAND. En­suite, une di­men­sion na­tio­nale : on est, en France, dans une lo­gique de baisse des pré­lè­ve­ments. Or pour cela, il faut bais­ser la dé­pense pu­blique. « J’étais per­suadé que nous au­rions des ré­sul­tats plus si­gni­fi­ca­tifs », a dé­ploré ce der­nier.

Ré­forme des re­traites : ga­ran­tir le sys­tème en main­te­nant le ni­veau de vie et ré­pa­rer les in­éga­li­tés

Pour­tant, il y a un do­maine où il est aisé de bais­ser les dé­penses en gé­né­rant des mil­liards d’eu­ros d’éco­no­mies, c’est celui des re­traites, en re­le­vant pro­gres­si­ve­ment l’âge de dé­part à la re­traite. Une seule année sup­plé­men­taire cor­res­pond à 6 mil­liards d’eu­ros. Trois an­nées sup­plé­men­taires, ce sont 15 à 18 mil­liards d’eu­ros. On peut ainsi ga­ran­tir le sys­tème et ré­pa­rer les in­éga­li­tés. Une adap­ta­tion ré­gu­lière du sys­tème de re­traite est, au de­meu­rant, in­évi­table pour faire face à l’al­lon­ge­ment de l’es­pé­rance de vie tout en main­te­nant le ni­veau de vie des re­trai­tés.

En effet, il n’y a que deux al­ter­na­tives : soit les Fran­çais ac­ceptent de tou­cher une pen­sion moins éle­vée, soit ils ac­ceptent de tra­vailler un peu plus long­temps. Ce peut être en re­cu­lant l’âge de dé­part à la re­traite ou en al­lon­geant la durée de co­ti­sa­tion, comme le pré­co­nise plu­tôt la CFDT. Ou en com­bi­nant les deux. Les Fran­çais sont conscients qu’il n’y a pas d’autre op­tion. Il n’est pas im­pos­sible de re­nouer avec les ef­forts, si tant est que l’on n’ou­blie pas la jus­tice en route. Ainsi faut-il tenir compte de la dif­fé­rence d’es­pé­rance de vie – près de 7 ans – entre un ou­vrier et un cadre su­pé­rieur et étu­dier com­ment prendre en compte la pé­ni­bi­lité, en met­tant en place un sys­tème de re­traite an­ti­ci­pée, sans pour au­tant re­créer une usine à gaz.

Mais force est de consta­ter que l’on se heurte à un tabou en France. Mais à un tabou pu­re­ment po­li­tique, est convaincu M. Xa­vier BER­TRAND. A force de pré­sen­ter cette ré­forme comme une ré­forme pa­ra­mé­trique, tech­nique, vi­sant à ré­duire les dé­fi­cits, « on a perdu les Fran­çais en route », a-t-il re­gretté. C’est bien cette dé­con­nexion, ce dé­ca­lage qui est le plus pro­blé­ma­tique, as­sure-t-il.
Ce qui est es­sen­tiel, c’est donc bien le mon­tant des re­traites, et der­rière le ni­veau de vie des re­trai­tés et leur pou­voir d’achat, au­jour­d’hui et de­main. En dé­ci­dant de ne pas in­dexer les pen­sions sur l’in­fla­tion, en aug­men­tant de sur­croît le taux de CSG, on a rompu un en­ga­ge­ment jusque-là in­tan­gible de main­te­nir le ni­veau des re­traites, a dé­ploré l’an­cien mi­nistre du Tra­vail. Mais au-delà de ce coup de canif, c’est plus glo­ba­le­ment la ré­forme qui se pré­pare que ce­lui-ci a dé­non­cée, ré­forme qu’il a qua­li­fiée lors de l’émis­sion « Vous avez la pa­role » sur France 2 d’« hy­po­crite, in­juste et dan­ge­reuse ». En effet, si le sys­tème de re­traite par points a le mé­rite de la sim­pli­cité et s’ac­com­pagne d’un ali­gne­ment de tous sur les mêmes règles, il doit ce­pen­dant être com­plété de garde-fous afin de ga­ran­tir qu’il n’y ait pas, le mo­ment venu, de baisse de pen­sions. A titre d’exemple, dans le privé, ce sont au­jour­d’hui les 25 meilleures an­nées qui sont prises en compte. Dans un sys­tème par points, toutes les an­nées entrent en ligne de compte, y com­pris les an­nées de moindres re­ve­nus. Et de sug­gé­rer, pour ras­su­rer les Fran­çais, la mise en place avant le vote de la loi d’un si­mu­la­teur in­di­vi­duel.

La si­tua­tion de la France re­quiert une triple exi­gence : lu­ci­dité, créa­ti­vité, cou­rage

En conclu­sion, M. Xa­vier BER­TRAND a in­sisté sur la né­ces­sité de prendre la me­sure de la gra­vité de la si­tua­tion et de res­sou­der le pays en s’at­ta­chant à ré­duire les frac­tures, nom­breuses, que la crise des Gi­lets jaunes a mises en lu­mière mais qui ne sont pas nou­velles. La ques­tion des in­éga­li­tés est, en effet, une de celles qui peut nous ame­ner dans le mur. Fort de son ex­pé­rience dans sa ré­gion des Hauts-de-France, il ne sau­rait ex­clure l’ar­ri­vée des ex­trêmes au pou­voir, nombre de ci­toyens étant per­sua­dés qu’ils n’ont rien à perdre à es­sayer ce qui ne l’a ja­mais été, a-t-il re­levé. Le phé­no­mène n’est d’ailleurs pas que fran­çais alors que l’on as­siste, en Eu­rope no­tam­ment, à leur mon­tée qui semble inexo­rable.

La si­tua­tion re­quiert une triple exi­gence : lu­ci­dité, créa­ti­vité, cou­rage. Pre­mier pi­lier, donc, ne plus se trom­per de constat, ne pas craindre de dire la vé­rité, en un mot faire preuve de lu­ci­dité. Mais celle-ci est-elle par­ta­gée par tous les di­ri­geants ? Il en doute, conscient du che­min qu’il a lui-même par­couru. Ce n’est pas un pro­blème de qua­lité des élites, ab­so­lu­ment né­ces­saires, mais de dé­con­nexion.

Deuxième pi­lier, in­suf­fler des idées nou­velles et faire preuve de créa­ti­vité en n’hé­si­tant pas, comme lui-même l’a fait dans sa ré­gion, a testé des so­lu­tions dis­rup­tives. Ce fut le cas du dis­po­si­tif « Pro­ch’Em­ploi », re­gardé avec dé­dain par cer­tains. A l’ar­ri­vée, ce sont deux tiers de re­tour à l’em­ploi. Il s’agit de connec­ter ou re­con­nec­ter les gens au monde du tra­vail avec des aides aux trans­ports, des aides à la garde d’en­fants. Cela touche quelque 100 000 per­sonnes. Ou en­core via un nou­veau ser­vice pour fa­ci­li­ter l’orien­ta­tion de jeunes, « Pro­ch’Orien­ta­tion », dont les pa­rents ont plus dif­fi­ci­le­ment accès aux in­for­ma­tions sur l’em­ploi. Une ap­proche ana­logue de­vrait pré­va­loir au ni­veau na­tio­nal afin de com­bi­ner les ou­tils de part et d’autre. Mais pour être ef­fi­cace, il faut im­pé­ra­ti­ve­ment pou­voir dé­cloi­son­ner les dis­po­si­tifs.

Troi­sième pi­lier, ne pas avoir peur d’en­tre­prendre les ré­formes avec cou­rage. A cet égard, la mise en place du quin­quen­nat fut une « ter­rible er­reur », a dé­ploré M. Xa­vier BER­TRAND se dé­cla­rant, tout comme M. Oli­vier KLEIN, fa­vo­rable à un man­dat un peu plus long, 6 ans par exemple, et non re­nou­ve­lable, ga­rant d’une plus grande ef­fi­ca­cité. Voilà, dans ce contexte, l’en­jeu pour les res­pon­sables po­li­tiques. Sans quoi, on peut re­dou­ter le pire, a-t-il mis en garde.

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J’étais l’invité de Jean-François Bodin sur Radio Rythme Bleu pour parler économie calédonienne, stratégie bancaire, guerre commerciale Etats-Unis/Chine

À l’occasion de ma visite en Nouvelle-Calédonie, j’ai eu le plaisir d’être accueilli par Jean-François Bodin sur Radio Rythme Bleu pour y parler économie mondiale, guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, stratégie bancaire ou encore situation actuelle de l’économie calédonienne.

Interview à retrouver ici : https://bit.ly/30B7AoT

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La question des inégalités : inégalités des revenus – inégalités des chances

Le thème des inégalités recouvre par nature plusieurs aspects. Si l’on se situe au plan mondial, les inégalités entre les pays pauvres et les pays riches se sont considérablement réduites depuis les années 80. D’après la Banque mondiale, en 1981, 40 % de la population mondiale vivaient en dessous du seuil de l’extrême pauvreté, contre seulement 11 % aujourd’hui. Le taux de croissance des pays émergents a donc considérablement réduit les inégalités entre les niveaux de vie moyens des différents pays. Et si l’on se concentre simplement sur la Chine et l’Inde, qui ont connu et continuent à connaître les plus forts développements économiques depuis les années 80, on dénombre 2 milliards de personnes qui sont passées au-dessus du seuil de pauvreté. Cela constitue un formidable progrès et c’est l’un des bienfaits évients de la mondialisation.

Cela est vrai pour les revenus mais aussi pour la santé. Mes données sont moins récentes et cela s’est encore amélioré depuis lors. En 1940, l’espérance de vie dans les pays en développement était de 44,5 ans. Dans les années quatre-vingt, elle atteint 64,3 ans. Elle a donc augmenté de 20 ans pendant ces 40 années. Dans le même temps, dans les pays développés, on vit 9 ans de plus. On voit donc, là aussi, se réduire les inégalités dans le domaine de la santé et de l’espérance de vie.

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En revanche, au sein de chaque pays, développé ou émergent, les inégalités ont en moyenne augmenté avec la mondialisation et la croissance. Car, si le processus de croissance permet au plus grand nombre d’accroître son niveau de vie, certains au sein de chaque pays progressent plus vite que d’autres, et dans certains pays, on accède à une plus grande part du revenu national qu’avant lorsqu’on est au sommet de la pyramide. Donc, le niveau de vie a bien augmenté pour tout le monde ou presque. Mais, les inégalités ont pu croître quand même, tout simplement parce que certains ont vu leur situation s’améliorer plus rapidement que d’autres. Ainsi va le bonheur, mesuré par les économistes de façon instructive. Toutes les études montrent que le bonheur est relatif. On est heureux quand, d’une part, on va mieux et, d’autre part, que sa situation s’améliore plus vite que celle des autres. Autrement dit par comparaison. En relatif. Ainsi l’accroissement des inégalités, même si tout le monde voit son niveau de vie augmenter, devient-il vite un sujet social et politique.
On assiste donc à un phénomène à bien clarifier : une inégalité très largement réduite entre les pays et des inégalités croissantes au sein des pays, même si le niveau de richesse et de bien-être a globalement monté.


On peut donc aborder et analyser la question des inégalités de différentes manières.

Les inégalités de revenu peuvent être mesurées en considérant la part prise par le top 1 % de la population dans les revenus du pays. On peut aussi mesurer beaucoup plus finement, et sans doute de façon plus pertinente, les inégalités avec l’indice de Gini. Gini est un économiste –statisticien qui a inventé la méthode qui consiste à étudier la répartition des inégalités sur l’ensemble de la population. On relève en fait les écarts entre tout le monde pris deux à deux et l’on fait une moyenne des écarts de chacun à chacun. Si la moyenne des écarts est égale à zéro, cela signifie que tout le monde a exactement le même revenu, si cette même moyenne est de 1, cela traduit l’inégalité la plus totale. Ces indices sont mesurés sur tous les pays de l’OCDE.

Enfin, une troisième manière de faire ne s’intéresse pas à l’inégalité des revenus mais à l’inégalité des chances. On parle là, bien sûr, de la mobilité sociale, des « trappes à la pauvreté » dans lesquelles des générations peuvent s’enfoncer. L’égalité des chances est évidemment cruciale, parce qu’elle participe du pacte républicain, du pacte social, de la capacité à vivre ensemble, et évidemment, qu’elle est fondamentale pour la santé d’une société, pour sa cohésion. Quand il y a une faible inégalité des chances, cela permet de mobiliser plus de personnes. Cela signifie que quel que soit le milieu dans lequel on est né, si l’on a du talent, si l’égalité des chances existe, on arrivera à progresser. Ainsi, non seulement la conviction que chacun a les mêmes chances est-il un facteur de cohésion sociale important, mais, en plus, cela permet de favoriser la croissance, parce que cela mobilise tous les talents où qu’ils soient. Donc la question de l’inégalité des chances est cruciale. Il s’agit, on le comprend bien, de savoir si ce sont toujours les mêmes et leurs enfants qui ont toutes leurs chances de réussite ou bien si les parcours peuvent être fluides sans détermination trop forte pour le milieu social d’origine. Et l’on va voir qu’en France, il y a une adhérence forte en haut, comme en bas.

Les constats :

Je vais d’abord présenter quelques chiffres, puis quelques éléments d’analyse.

En France, si l’on se compare aux pays voisins, l’inégalité de revenu après répartition est plutôt faible, tandis que l’inégalité de revenu avant répartition est plutôt forte. L’inégalité des chances, quant à elle, est plutôt forte.

Et c’est autour de ces constats que l’on va essayer de raisonner pour trouver éventuellement des conclusions en termes de politique économique et de réformes indispensables.

Prenons d’abord la mesure de l’inégalité des revenus avant répartition et après répartition.
Avant répartition, il est évident, par exemple, que l’inégalité est plus grande si les salaires vont de 1 à 1 000, plutôt que de 1 à 100. Mais il faut aussi considérer les personnes qui ne travaillent pas et qui ont de ce fait de très maigres revenus. Plus il y a de gens exclus de l’emploi, plus l’inégalité des revenus avant redistribution est forte.
Et plus le système de redistribution, que ce soit par les impôts, les revenus de soutien, etc.-, est puissant, plus on réduit l’inégalité des revenus après distribution.

Avant répartition, l’indice GINI, qui était à 0,477 aux États-Unis en 1996, est passé à 0,507 en 2016. Au Royaume-Uni, il a peu augmenté, contrairement à ce que l’on pourrait penser. En zone euro, il est passé de 0,473 à 0,504 ; au Japon de 0,409 à 0,488. Donc, que constate-t-on ? Les inégalités ont effectivement monté un peu partout. Et aux États-Unis, cela n’a pas monté beaucoup plus qu’ailleurs, avant répartition. Le niveau d’inégalité n’y est pas tellement plus élevé, en outre, que dans la zone euro alors qu’au Japon, il est plus bas.

Après répartition, les Etats-Unis passent en 2016 de 0,507 à 0,391. On voit donc l’effet de la répartition, qui, évidemment, réduit l’inégalité de revenu. Au Royaume-Uni, on note une forte baisse aussi. La zone euro, après répartition, s’avère un système beaucoup plus égalitaire que les États-Unis puisqu’il y est bien plus bas après répartition. L’Europe a donc un système qui réduit davantage les inégalités. Et le Japon se situe entre les deux.

Analysons la France. Avant redistribution, l’indice Gini est passé de 0,490 en 1998 à 0,516 en 2015. Donc une assez faible évolution à la hausse des inégalités. Ces inégalités sont-elles fortes ou faibles par rapport aux autres pays? En 2015, la France est un peu plus inégalitaire avant redistribution que les États-Unis. Est-ce parce que l’éventail des salaires est plus fort ? Non, bien entendu. C’est parce qu’il y a beaucoup plus de personnes sans emploi. Ce qui est un problème essentiellement français. Les autres pays ayant très souvent un taux d’emploi de 10 points supérieurs (75 %, contre 65 % en France). L’Allemagne est presque au niveau des États-Unis. Et l’on sait bien que le niveau de chômeurs y est très élevé. L’Espagne connaît un niveau d’inégalité avant redistribution plus fort encore que la France. La Suède, même avant répartition est, sans surprise, un pays plus égalitaire. On constate donc que la France se place avant répartition, à des niveaux élevés d’inégalité.

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Mais après redistribution, quel est le constat ?

La France en 2015 est à 0,295, parmi les indices les plus bas de tous les pays pris en compte. On passe donc d’un indice parmi les plus élevés en termes d’inégalité avant redistribution à un indice parmi les plus bas après redistribution. Ainsi donc en France, la redistribution est-elle très forte. Aux États-Unis, le niveau des inégalités après redistribution est beaucoup plus élevé qu’en France. Mais en Espagne, en Italie, en Allemagne, le niveau d’inégalité des revenus après redistribution est à peu près identique à celui la France. Et l’on se retrouve à des niveaux, toujours après redistribution, assez comparables à ceux de la Suède.

La France connaît ainsi une politique de redistribution, ramenée au PIB, parmi les plus élevées de tous les pays de l’OCDE. L’avantage en est de réduire les inégalités, mais cela a aussi des inconvénients. Cela implique, en effet, des impôts beaucoup plus lourds, des prélèvements obligatoires beaucoup plus importants, ce qui n’est pas sans conséquences. On peut ainsi corréler aisément l’indice Gini après redistribution et le poids des prestations sociales sur le PIB. Et c’est ainsi, grâce à l’une des plus fortes redistributions des pays de l’OCDE, que la France connaît l’une des plus faibles inégalités des revenus, seuls le Danemark, la Finlande et la Suède connaissant un niveau encore inférieur.

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Considérons maintenant la proportion du revenu national reçu par 1 % des individus touchant le plus de revenu national. En France, ils touchaient 9 % des revenus nationaux en 1995. En 2015, ils en touchent 10,5 %. Si l’on compare avec la Suède, ce pays connaissait en 1995 le pourcentage le plus bas de 6 % du revenu national, contre 9 % en France, et, en 2015, 8 % contre 10,5 % en France. Ce n’est pas extrêmement éloigné. Regardons les États-Unis, en 1995, les 1 % les plus riches obtenaient 15 % du revenu national. Et en 2015, ce pourcentage atteint un peu plus de 20 %. C’est évidemment frappant. 2 fois plus qu’en France. Et l’augmentation de la part reçue par le 1 % les plus riches a été beaucoup plus brutale. En Allemagne, la progression a été un peu plus vive que chez nous, 9 % aussi en 1995 mais 13 % en 2015. On est cependant très loin des États-Unis. Au total donc, les 1 % les plus riches ont donc obtenu une portion croissante du revenu national. Mais le phénomène est bien plus visible aux Etats-Unis qu’en Europe.

Une autre façon d’analyser les inégalités est de regarder le pourcentage d’individus qui se situent au seuil de pauvreté.

La façon habituelle et internationale de le calculer peut être remise en question, mais, au moins, c’est un indicateur utilisé partout. On se place en pourcentage du revenu médian des Français ou des Américains, par exemple. A moins de 50 %, ou bien 60 % comme dans nos chiffres de ce revenu medium, on est considéré comme pauvre. C’est une notion relative de la pauvreté.

En France, peu de gens se situent en-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire en-dessous de 60 % du revenu médian français. Alors qu’en Espagne, le pourcentage est plus élevé, de même qu’en Italie. Aux Etats-Unis, il est également plus fort. Et le pourcentage de la population française en-dessous du seuil de pauvreté a même baissé entre 1998 et 2016. Il a, sur la même période, augmenté en Allemagne.
Donc, là encore, on ne peut pas dire que la pauvreté soit forte ni qu’elle se soit accrue en France. Ce que l’on entend parfois dans les médias est tout simplement statistiquement faux.

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En revanche, en France, l’inégalité des chances, elle, est plutôt forte, comparée aux pays similaires.

Selon les sondages d’opinion réalisés par l’OCDE, 44 % des Français interrogés considèrent que l’éducation transmise par les parents est importante pour progresser dans la vie. Au sein de l’OCDE, qui comprend aussi bien le Chili que le Mexique que tous les pays européens, les États-Unis, etc., l’opinion moyenne est à 37 %. Ce qui reflète en France un sentiment d’inégalité des chances assez élevé. Et malheureusement, l’opinion a raison. En France, le statut socio-économique se transmet plus fortement qu’ailleurs d’une génération à l’autre. Le niveau de revenu relatif se transmet plus fortement d’une génération à l’autre que dans les autres pays. Enfin, le niveau d’éducation, de diplôme, se transmet plus fortement de parents à enfants que dans les autres pays. En fonction de ces 3 critères, l’inégalité des chances s’avère plus forte en France qu’ailleurs.

Evidemment, l’inégalité des chances existe partout puisque le milieu socio-culturel compte beaucoup dans la vie et le développement des enfants. Mais la façon dont on parvient à corriger partiellement le phénomène peut être plus ou moins forte. Cela a été calculé par l’OCDE qui a publié une note sur ce sujet. L’OCDE a pris en compte la mobilité intergénérationnelle. Et l’on regarde combien de générations il faut à une famille qui part du bas de l’échelle pour arriver à la moyenne. Evidemment, plus faible est le nombre de générations pour arriver à la moyenne, en appliquant la mobilité moyenne de la société, moins il y a d’inégalité des chances. Plus il faut de générations pour y parvenir, plus on est cantonné au bas de l’échelle, ou protégé symétriquement en haut de l’échelle.

Au Danemark cela prend 2 générations.
En Norvège, 3 ; en Finlande, 3 ; en Suède, 3 ; en Espagne, 4.
En Nouvelle Zélande, Canada, Grèce, Belgique, Australie, Japon, Pays-Bas, 4.
Aux États-Unis, 5.
Et en France, 6.

Six générations pour que quelqu’un qui se situe tout en bas de l’échelle des revenus ait une chance que ses arrières petits enfants arrivent au revenu moyen, eu égard à la mobilité française. L’Allemagne ne fait pas mieux et le Chili non plus ! Et l’OCDE, en moyenne, se situe entre 4 et 5.

Des études parviennent aux mêmes conclusions quant à l’inégalité des chances en France, par rapport à celle de pays comparables, en calculant les corrélations entre le revenu des parents et celui des enfants devenus adultes. De même pour les corrélations des niveaux de diplômes.

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Quelles réformes de structures faudrait-il faire pour lutter contre l’inégalité des chances ?

Il faut évidemment évoquer la réforme de l’éducation nationale. On a beaucoup moins de mobilité et d’égalité des chances en France qu’il y a de nombreuses années, quand on parlait des « hussards de la République » pour désigner les instituteurs qui accompagnaient et poussaient loin leurs élèves méritants. Cet état d’esprit n’est pas abandonné, mais il est bien moins répandu et l’éducation nationale, en réalité, a baissé en efficacité globale pour de nombreuses raisons que l’on peut expliquer plus ou moins aisément. L’efficacité de l’éducation est mesurée et comparée par des tests de niveau réalisés internationalement par l’OCDE.

Les études comparatives montrent qu’il faut que l’éducation nationale puisse consacrer un peu plus de moyens aux enfants des quartiers ou des milieux défavorisés. On sait également que beaucoup se joue au début de la vie, à la maternelle et à l’école élémentaire. C’est là où il faut davantage de moyens. Mais ne nous trompons pas, c’est bien une question d’efficacité et non de moyens globaux au sein de l’éducation nationale en France qui a un budget sur PIB bien supérieur aux autres pays européens pour un résultat décevant aux tests.
Il faut également accompagner les gens au cours de leur parcours professionnel pour qu’ils puissent progresser. La formation professionnelle en France est très inefficace et en voie d’être réformée.

Certains pays font tout cela remarquablement bien : la Corée du Sud par exemple, ou encore les pays nordiques. Ils se donnent ainsi les moyens d’assurer un bon degré de mobilité sociale dans leur pays. Ce qui est utile, je le répète, non seulement pour la cohésion sociale, mais aussi pour l’économie parce qu’on va chercher des talents qui, autrement, ne pourraient s’exprimer, et qui contribuent, évidemment, à la croissance générale.

Il faut par ailleurs réduire le chômage de longue durée, ce qui implique un accompagnement plus efficace du retour à l’emploi et de meilleures incitations à prendre un emploi. On sait en outre très bien qu’en France, après 4 mois de travail, on a droit au chômage. C’est l’un des rares pays où il faut aussi peu de temps pour ouvrir un droit au chômage. C’est à regarder. Et, bien sûr, aussi, il faut faciliter ce qui contribue à la création d’emplois…

Il est aussi important de travailler sur les inégalités territoriales, parce qu’elles existent.

Donc, en général, en France, la mobilité sociale est plutôt plus faible que dans d’autres pays comparables, et cela se traduit, à travers les revenus, les diplômes et les catégories socio-professionnelles, dans l’évolution entre les générations.

Et l’on sait aussi que la faible mobilité est non seulement intergénérationnelle, mais aussi qu’il y a en France moins de chances qu’ailleurs de pouvoir évoluer au cours de sa vie.


Deux analyses :

J’en tire deux analyses qui, à mon sens, amènent à réfléchir.

La première est le lien existant entre croissance, innovation et égalité des chances. La deuxième, la forte redistribution qui réduit grandement les inégalités initiales conduit à un cercle vicieux.

Premier angle d’analyse, le lien entre croissance, égalité et innovation. Nous vivons, depuis maintenant 20 ans, dans un contexte de mondialisation et dans une révolution technologique liée au digital. Ces deux phénomènes suppriment de plus en plus le travail répétitif et les postes correspondants.

Aujourd’hui, pour croître dans une économie qui n’est plus une économie de rattrapage comme après-guerre, il faut être innovant. L’innovation est cruciale, c’est actuellement le moteur de la croissance des pays à la « frontière technologique » (1). Les pays développés sont rattrapés par les pays émergents, la seule façon pour les premiers de continuer à croître alors que les pays émergents croissent très vite, c’est d’innover en permanence.

Nous sommes donc dans une économie du savoir, de l’innovation, seule façon de créer de la croissance et de la richesse.

De ce fait, il faut que l’on s’assure que l’on favorise l’innovation, dans notre économie, dans ses institutions (modes d’organisation, marché du travail, cadre législatif…). Et il y a un lien avec l’égalité des chances car, quand il y a de la croissance, il est plus facile évidemment de lutter contre la pauvreté. Et il est aussi plus facile d’assurer la promotion sociale, de procurer de la mobilité sociale. Si l’on ne se place plus au niveau d’un pays mais de l’entreprise, on sait bien que dans une entreprise qui ne se développe pas, il est très difficile de promouvoir et de faire évoluer les collaborateurs. Alors que dans une entreprise en croissance, on peut faire progresser tous ceux qui sont motivés et talentueux.

Donc, on a besoin de croissance pour diminuer l’inégalité des chances et permettre la promotion et la mobilité sociales. Si l’on n’a pas suffisamment de croissance, d’innovation, on aboutit à une société bloquée, une société grippée, une mobilité sociale insuffisante, et, par construction, cela crée beaucoup de problèmes de cohésion sociale. En outre, comme déjà évoqué, plus on parvient à promouvoir l’égalité des chances, plus nombreux sont les talents mobilisés, autant d’énergies qui vont contribuer à la croissance. On voit donc bien le lien vertueux existant entre ces différents éléments.

Qui plus est, les innovations créent des ruptures, en créant de nouvelles sources de croissance et de richesse. L’innovation entraîne donc des remises en cause des rentes acquises. Et c’est aussi cela qui permet la mobilité sociale. Aux États-Unis, si l’on voit tout à coup des gens apparaître dans les classements de fortune et développer très vite de nouvelles affaires, c’est parce qu’ils saisissent des innovations et elles peuvent connaître des évolutions personnelles fulgurantes.

Je ne dis pas que cela constitue un modèle en soi, mais simplement que, même à des échelles moindres, c’est indispensable. Plus il y a d’innovation, de capacité à inventer et plus il y a de croissance. Plus il est possible de dépasser les rentes et de favoriser la mobilité sociale.

Donc, il faut savoir assurer des politiques qui facilitent l’innovation et qui favorisent ce phénomène. A nouveau, l’économie de l’innovation, c’est l’économie du savoir, c’est l’éducation, c’est la formation professionnelle et c’est la promotion de tous les talents. C’est également la suppression des « trappes à la pauvreté » par, je l’ai déjà dit, une meilleure incitation à travailler, un meilleur soutien pour retrouver un emploi et faciliter les changements d’emplois dans des économies mouvantes.

Et cela aussi fait partie des réformes structurelles nécessaires. Pour encourager le progrès technique et les innovations, il faut aussi encourager la compétitivité par l’investissement.

La deuxième réflexion est de bien analyser les inégalités de revenu avant répartition et après répartition et le coût de cette répartition (2).

L’inégalité de revenu plutôt élevée avant répartition est compensée en France par la redistribution, une redistribution forte parce qu’on n’aime pas les inégalités en France. Ce qui est honorable, c’est un choix collectif, en quelque sorte. Mais une redistribution forte a un coût élevé en termes de prestations sociales, donc naturellement, en termes de cotisations sociales et d’impôts. Et, comme cela entraîne beaucoup de prélèvements sur les entreprises, cela rejaillit sur la compétitivité. Et une moindre compétitivité se traduit par moins d’emplois. Et on boucle ainsi. Car si l’on a moins d’emplois, on a des poches beaucoup plus fortes de pauvreté, donc de fortes inégalités de revenus avant distribution. Et on a du chômage de longue durée que l’on doit compenser par plus de redistribution, donc plus de coûts des entreprises. On rentre ainsi dans un cercle vicieux.

Ainsi, l’objectif devrait-il être très probablement d’éviter de trop réparer. Réparer est bien normal, mais mieux encore est de mieux faire en amont, pour réduire l’inégalité des revenus avant redistribution et éviter de tomber dans ce cercle vicieux. Plutôt prévenir que de beaucoup réparer.

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Le taux d’emploi de la France est de 65 %. On se situe à environ 10 % de moins que celui des pays comparables. C’est une situation inacceptable en soi. En France, il n’y a pas assez de gens en âge de travailler qui exercent un emploi. Si l’on considère les deux extrêmes, entre 60 ans et 65 ans, il y a beaucoup moins de gens qui travaillent en France qu’ailleurs. Bien moins qu’en Allemagne, sans parler de la Suède, en se comparant toujours à des pays à modèles comparables. De même, il est très difficile pour des jeunes de trouver un emploi. Et on voit bien la corrélation : plus le taux d’emploi est faible, plus les prestations sociales sont fortes, pour compenser les inégalités ainsi créées.

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Considérons maintenant la corrélation entre les taux d’emploi et la taille des politiques distributives. C’est-à-dire, en fait, les taux d’emploi et les différences entre les indices GINI avant et après répartition. La France affiche les plus fortes politiques de redistribution et les plus bas taux d’emploi.

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La corrélation est évidente là encore pour les pays de l’OCDE. En raison de notre importante politique de redistribution, les cotisations sociales sont en France à peu près 60 % plus chères que la moyenne de la zone euro, donc que les cotisations des pays voisins et comparables.

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Les entreprises sont ainsi structurellement moins compétitives. Ainsi, après cotisations sociales, part-on avec un désavantage considérable, en termes de coût global du travail. Cela se paye donc en manque d’emplois. Ce qui entraîne de fortes inégalités de revenu avant redistribution. D’où le fait que l’on redistribue fortement… Je ne pense pas qu’il faudrait arrêter la redistribution, ce n’est pas du tout mon propos. Mais que, pour faire une redistribution saine, normale, qui ne coûte pas en termes de croissance et d’emplois, il faut s’efforcer de permettre à beaucoup plus de gens de travailler, et ainsi à nos entreprises d’être plus compétitives. Sinon, on entre dans un cercle vicieux.
L’enjeu est donc de faire en sorte qu’en amont même de la redistribution, on ait moins d’inégalités parce beaucoup plus de gens travaillent. Agir en amont pour moins réparer, c’est entrer dans un cercle vertueux, et c’est évidemment permettre à beaucoup plus de monde de travailler, donc de subir moins d’inégalités de revenu avant redistribution et, dans le même temps, accroître par là-même l’égalité des chances. Plus de gens qui travaillent entraîne plus de gens autonomes, bien moins de poches de pauvreté et beaucoup plus de gens socialisés, parce que le travail est une des principales formes de socialisation.


Espérons que ces chiffres et ces constats, parfois inattendus, parce que peu connus, comme ces analyses pourront contribuer à un débat utile quant aux réformes efficaces à mener, sans idées préconçues ou confusions entre l’objectif final, réduire les inégalités, au premier rang desquelles l’inégalité des chances forte en France, et les moyens à utiliser pour y parvenir.
Bossuet écrivait déjà : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

(1) Voir à ce sujet la théorie de la croissance, de type Schumpétérienne, de Philippe Aghion.

(2) – L’analyse du coût de la redistribution et du cercle vicieux créé entre les inégalités de revenu avant et après redistribution et le manque de compétitivité des entreprises françaises a été développée par Patrick Artus dans plusieurs « flash économie ».

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Pour un capitalisme partenarial

Le chantier de la redéfinition de l’entreprise s’ouvre et avec lui, celui de la gouvernance. Les actionnaires restent au cœur de la gouvernance. La juste rémunération des risques impose de reconnaître leur rôle essentiel. Toute la question est de savoir comment mieux intégrer à leur côté l’intérêt des autres partenaires au sein de l’entreprise.

Longtemps, la question ne s’est pas posée. Wendel, Renault, Michelin… Actionnaires et dirigeants étaient les mêmes personnes, souvent des familles. Le capitalisme familial des origines ne connaissait pas de problème de gouvernance par construction. Mais, pour accompagner leur croissance, les entreprises ont ouvert leur capital, et, grâce à la bourse, ont offert à leurs actionnaires la possibilité de vendre leurs titres pour disposer de liquidités. L’actionnariat s’est dispersé. Son pouvoir sur les dirigeants s’est dilué.

Après-guerre, le capitalisme managérial s’est imposé majoritairement. Les dirigeants se sont émancipés des actionnaires et ont imposé leur contrôle sur l’entreprise fondé sur leur savoir-faire « technique ». C’est ainsi que s’est constituée la technocratie. Les intérêts des deux parties n’étaient plus alignés. Les dirigeants recherchaient la croissance et la pérennité de l’entreprise, insérant les salariés dans des organisations pyramidales. Mais cette configuration n’aboutissait pas toujours à la meilleure efficacité, ni à la meilleure rentabilité, créant des conglomérats souvent lourds et peu manœuvrant, qui délaissaient trop souvent l’intérêt des actionnaires.

Dans les années 80, en congruence avec la globalisation financière, les actionnaires ont rappelé aux dirigeants leur existence et la priorité de maximisation de la richesse. Cette évolution s’est traduite par la création de comités (audit, rémunération et nomination, stratégie…) et le développement de mécanismes d’incitation (primes, stock-options…), afin d’aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires. Toute une série d’indicateurs s’est imposée (return on equity, taux de distribution…), au même titre qu’est née la doctrine de la création de la valeur. Et si les résultats n’étaient pas au rendez-vous, les actionnaires permettaient des « raids » qui organisaient des prises de pouvoir offensives afin d’optimiser la valeur, parfois en découpant les groupes antérieurement constitués. Parallèlement, ces différents outils de rémunération fondés sur l’évolution de la valeur de l’entreprise ont favorisé l’innovation, en permettant aux « start-up » de recruter des talents qui participaient au risque de l’entreprise, alors que les salaires seuls n’auraient pas permis de les attirer.

Mais le capitalisme actionnarial a trouvé rapidement ses limites. Parce que les rendements financiers attendus semblaient garantis, la spéculation l’a souvent emporté sur les paris raisonnables. Pour respecter des normes minimales de rentabilité à court terme (15 %, quels que soient les secteurs d’activité et les taux d’intérêt sans risque, dans les années 90 et 2000), beaucoup d’entreprises se sont mises à racheter leurs actions pour soutenir leurs titres et/ou à augmenter leur ratio de levier. Le revenu des dirigeants a connu une évolution difficilement justifiable. En 1965, le revenu moyen d’un PDG de grand groupe américain représentait 44 fois celui d’un ouvrier. En 2000, 300 fois les plus bas salaires. Plus grave encore, face à ces attentes de rendements déconnectés de la réalité, on a vu apparaître des comportements non éthiques de créativité comptable : Enron, Worldcom, Parmalat et d’autres encore très récemment. A certains égards, les subprimes et leurs conséquences relèvent du même phénomène.

Les crises de 2000-2003 et de 2007-2009 en ont résulté, directement ou indirectement, avec leurs lots de très lourds coûts économiques et sociaux.

S’ouvre ainsi la nécessité d’aborder un nouvel âge de la gouvernance, celui d’un véritable capitalisme partenarial, à même de remettre, aux côtés des actionnaires, notamment les clients, les salariés et l’environnement de l’entreprise, selon un modèle mieux adapté aux révolutions commerciales, comportementales, éthiques, managériales et technologiques en cours.

L’actionnaire doit toujours occuper une place centrale en tant que mandant des dirigeants. Parce qu’il assume en théorie le risque sans disposer d’aucune certitude sur son rendement futur. La pratique a fait en sorte que les actionnaires soient, pour partie, protégés contre les évolutions négatives de la conjoncture, en reportant partiellement le risque sur les autres parties prenantes de l’entreprise. Sur les salariés, dont la variabilité de la rémunération ou de l’emploi a augmenté. Sur les sous-traitants, dont les marges de négociation vis-à-vis de leurs donneurs d’ordre se sont fortement affaiblies. Les clients sont parfois également des variables d’ajustement, à travers la moindre sécurité des produits ou l’obsolescence accélérée qui leur est imposée. L’environnement climatique est aussi l’un des impacts des choix des entreprises.

Ces partenaires doivent donc pouvoir être mieux pris en compte dans le cadre d’une gouvernance équilibrée, puisqu’ils prennent également une part du risque de l’entreprise. Mais aussi, parce que, sur le long terme, une entreprise est la rencontre de l’ensemble de ces parties prenantes. Et que les modes de régulation qui permettent d’atteindre les meilleurs compromis entre eux sont garants du développement durable et rentable de l’entreprise.
A ce titre, les banques, coopératives ou mutualistes, sans rien sacrifier de leur efficacité, de par le fait que leurs clients en sont les propriétaires et élus aux conseils d’administration, de par leur modèle décentralisé qui renforce la proximité relationnelle non seulement avec les clients qu’elles servent, mais aussi avec les territoires sur lesquels elles opèrent en symbiose, enfin de par l’attention et la place qu’elles donnent aux salariés, représentent une des formes intéressantes possibles de la redéfinition de l’entreprise à gouvernance élargie. A elles de tirer avantage des nouvelles technologies qui permettent de renforcer encore la validité de leur modèle et leur pleine modernité.
A chaque type d’entreprise, cotée, privée ou coopérative, grande ou petite, de réinventer la définition de l’entreprise et de sa gouvernance, de façon à la rendre partenariale. L’avenir de nos économies ouvertes et de nos sociétés démocratiques passe aussi par là.