Prenons la réforme des retraites là où elle en est. Bien ou mal préparée.
Elle est aujourd’hui, telle que présentée par le Premier Ministre, une réforme tout à la fois juste – elle améliore significativement la retraite de nombre de Français peu ou pas défendus par des statuts et/ou par les syndicats –, et elle est globalement financée par des mesures d’âge.
La question de savoir si la réforme devait être uniquement « systémique » (universalisation, soit une même régime pour tous) et non « paramétrique » (changement des paramètres pour assurer l’équilibre) est très surprenante. Les Français s’inquiètent bien davantage du montant de leur future retraite que de l’universalisation du système, même si le caractère universel conduit à plus de justice.
Or là réside sans doute une large partie de la défiance : un système de retraite par points peut laisser penser que l’équilibre du régime pourrait se faire par la manipulation de la valeur du point, donc du montant des retraites versées, en l’occurrence à la baisse. Il fallait donc sécuriser les Français quant à leur retraite future par la démonstration que le système allait être protecteur, donc financé.
Le seul moyen d’assurer efficacement l’équilibre des régimes de retraites par répartition, sans baisser les retraites, est de moduler la durée de la vie active, en fonction de l’évolution démographique. Sinon, l’équilibre ne peut être assuré que par l’augmentation des cotisations sociales payées par les salariés et/ou par les entreprises. Immédiatement ou de façon différée, cette mesure ne peut que ponctionner le pouvoir d’achat et/ou jouer contre la compétitivité de l’économie, donc in fine, dans les deux cas, contre le taux de croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat. Sachant que le taux de cotisations sociales des entreprises en France est déjà de 60 % plus élevé que dans le reste de la zone euro, toute élévation supplémentaire serait inacceptable, tant socialement qu’économiquement, car elle irait à l’encontre de l’intérêt de l’économie française et de tous ceux qui y travaillent.
Restent donc les mesures d’âge, seules à même de rendre compatibles l’intérêt des retraités actuels ou futurs et la recherche du meilleur potentiel de croissance de l’économie. En France, nous avions 4 cotisants pour 1 retraité en 1960. En 2010, 1,8 cotisant seulement pour 1 retraité. Dans le même temps, en 1958, l’espérance de vie à l’âge de la retraite était de 15,6 ans pour les femmes et de 12,5 ans pour les hommes. En 2020, respectivement de 26,9 ans et de 22,4 ans. Et l’âge de la retraite est moins élevé aujourd’hui qu’en 1958. L’espérance de vie en bonne santé après la retraite a considérablement progressé également.
Tout le monde le comprend et anticipe un changement de la durée de la vie active. D’ailleurs, tous nos voisins ont remonté dans le même esprit l’âge de la retraite. De ce fait, le principe de réalité doit aussi nous saisir, pour que notre précieux système de retraite par répartition ne soit pas mis en danger par l’incapacité à le financer. En France, seuls environ 30 % des personnes de 60 à 64 ans travaillent, alors que dans les autres pays de la zone euro en moyenne, ils sont presque 50 % à le faire et 57 % en Allemagne, 68 % en Suède. Or, le travail n’est pas seulement nécessaire économiquement, il est aussi le plus souvent un moyen d’intégration, de socialisation et de réalisation de soi. Enfin, le travail crée le travail dans la dynamique de l’économie, ce que tous les travaux empiriques confirment.
Reste à réfléchir à l’intérêt d’un âge pivot par rapport à un ajustement du nombre d’années travaillées ; car ce dernier ajustement prendrait mieux en compte les carrières longues et la pénibilité du travail, ce qui serait plus juste.
Une bonne réforme est une réforme souhaitable et crédible. Cette réforme est souhaitable, parce qu’elle est plus juste et parce qu’elle sécurise les Français quant au montant de leur retraite future. Elle est crédible, parce qu’elle doit être financée par un ajustement de la durée de vie au travail. Elle est souhaitable et crédible, si elle n’accroît pas encore davantage les cotisations sociales en France, qui sont déjà à un niveau très supérieur aux autres pays de la zone euro.
Pour toutes ces raisons, cette réforme sera favorable et utile aux Français et à l’économie du pays.
Le cabinet Carbonnier, Lamaze, Rasle & Associés (Carlara) a organisé une conférence sur le thème « Inégalités des revenus, inégalités des chances ». Le mouvement contestataire des « Gilets jaunes » a recentré le débat politique autour de cette question chère à nos valeurs républicaines, a souligné Me Edouard de LAMAZE, avocat associé co-gérant du cabinet Carlara, en introduction du débat. L’égalité est, en effet, un des trois piliers de notre devise, a-t-il rappelé.
Pour débattre des enjeux aussi bien économiques que sociétaux au cœur de cette problématique, le cabinet Carlara a convié deux intervenants : M. Xavier BERTRAND, qui fut ministre du Travail des trois gouvernements Fillon de 2007 à 2012, l’occasion de mener plusieurs réformes à l’image notamment de l’instauration du service minimum dans les transports publics et de la réforme des régimes spéciaux de retraite. Auparavant ministre de la Santé et des Solidarités dans le gouvernement Villepin (2005-2007), il fut également député (LR) de l’Aisne entre 2002 et 2015 et maire de Saint-Quentin de 2010 à 2016. Aujourd’hui, président du Conseil régional des Hauts-de-France, M. Xavier BERTRAND a parallèlement créé un think tank, La Manufacture, conçue comme une boîte à idées. Et M. Olivier KLEIN qui cumule une double qualité, a souligné Me de LAMAZE, d’universitaire et de praticien de la finance. Auteur du Blog Note (www.oklein.fr), M. KLEIN est, en effet, professeur affilié d’économie et finance à HEC où il est co-responsable de la majeure Economie et du master « Managerial and Financial Economics ». Après avoir occupé, de 1985 à 1996, divers postes de responsabilité au sein de la Banque française du commerce extérieur (BFCE), il a rejoint le groupe Caisse d’Epargne en 1998 où il fut notamment président du directoire de la Caisse d’Epargne Ile-de-France Ouest (2000-2007) puis de la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes (2007-2010). Directeur général Banque commerciale et Assurances de BPCE de 2010 à 2012, il prit en septembre 2012 la direction générale de BRED Banque populaire, fonction que M. KLEIN occupe depuis lors.
Articulé autour de deux séquences, le débat a tout d’abord été nourri par une analyse de M. Olivier KLEIN qui a dressé un état des lieux de ces deux notions – inégalités des revenus, inégalités des chances – à partir d’une série d’indicateurs clés. Avant que M. Xavier BERTRAND ne confronte ce tableau à la réalité du pays et n’avance les pistes pour retisser les liens d’une nation fracturée.
Inégalités des revenus : quelques indicateurs clés
L’inégalité est un mot vague, un concept fourre-tout qu’il convient de circonscrire, a souligné M. Olivier KLEIN. Abordant, dans un premier temps, la question des inégalités de revenus, celui-ci a rappelé de façon liminaire que celles-ci ont considérablement baissé dans différentes zones du monde.
Quelques chiffres illustrent cette évolution. Selon la Banque Mondiale, dans la décennie 2010, 10 % de la population vivaient dans l’extrême pauvreté avec moins de 1,90 dollar par jour contre 40 % avec moins de 1 dollar en 1980. En Chine et en Inde, 2 milliards de personnes ont dépassé le seuil de pauvreté depuis les années 1980. Il y a, en effet, une croissance remarquable du PIB par habitant dans certaines zones du monde : Chine, Inde, Asie de l’Est.
* PPA : Parité de pouvoir d’achat. Ce taux de conversion monétaire exprime le rapport entre la quantité d’unités monétaires nécessaire dans des pays différents pour se procurer le même « panier » de biens et de services.
Parallèlement, l’espérance de vie a connu, elle aussi, une évolution favorable : dans les années 1980, il y avait 20 ans d’écart entre pays développés et pays non développés. Aujourd’hui, cet écart est de 9 ans.
Mais si les inégalités entre pays ont significativement baissé, en revanche, à l’intérieur même des pays, on a globalement assisté à une hausse des inégalités de revenus.
Plusieurs indicateurs permettent de mesurer cet état de fait. Tel l’indice de Gini qui va de 0 à 1 (0 = égalité parfaite / 1 = inégalité parfaite), calculé à partir de l’écart de revenus en prenant les habitants 2 à 2. En utilisant cet indice rapporté aux pays de l’OCDE, on observe que les inégalités de revenus dans chacun d’entre eux sont un peu en hausse (l’indice de Gini est passé de 0,47 en 1990 à 0,51 aujourd’hui). Ce n’est pas une hausse extrêmement forte, mais elle est néanmoins tangible.
Si l’on examine la variation des inégalités de revenus avant redistribution (répartition primaire des revenus), on constate une augmentation dans quasiment tous ces pays. S’agissant plus précisément de la France, sur la base des chiffres 2015 (disponibles pour l’ensemble des pays étudiés), le niveau d’inégalités avant redistribution y est parmi les plus élevés des pays de l’OCDE. Sur ce même critère, la France se singularise également de la moyenne au sein de la zone euro.
Après redistribution, la France est le pays qui a le plus faible niveau d’inégalités de revenus
En revanche, après redistribution, le constat est tout autre. Au vu des chiffres de 2015, la France est le pays qui a le plus faible niveau d’inégalités de revenus du fait de sa politique de redistribution qui a un effet puissant.
Au regard de l’indice de Gini avant et après redistribution, l’impact en France est très élevé par rapport aux autres pays de l’OCDE. Mais il l’est d’autant plus que les inégalités de revenus avant redistribution y sont élevées, a relevé M. KLEIN.
Même constat au sein de la zone euro : la France ne cesse d’additionner les efforts de redistribution. Les autres pays de la zone euro également, mais la France est significativement au-dessus de la moyenne. La France va beaucoup plus vite et beaucoup plus fort. L’inégalité de revenus après redistribution est, donc, faible en France.
Et ce constat est le même en utilisant un autre indicateur qui analyse la proportion du revenu national détenue par le 1 % des individus qui ont les revenus les plus élevés. Aux Etats-Unis, 1 % des individus détient 22 % du revenu national, ce qui témoigne d’un fort niveau d’inégalités. A l’inverse, en France, ce 1 % détient un peu plus de 10 % du revenu national, en ligne avec la moyenne de la zone euro.
Troisième indicateur dans ce registre, celui qui mesure la proportion de la population qui perçoit un revenu en dessous du seuil de pauvreté relatif (soit en dessous de 60 % du revenu médian) : là encore (chiffres 2016), la France est parmi les pays où la proportion de sa population qui se situe en deçà de 60 % du revenu médian est la plus faible avec 14 %. La courbe est même en légère diminution depuis 1998. Il n’y a donc pas d’accroissement de cette forme d’inégalité en France. La France est significativement en dessous de la moyenne de la zone euro, de 18 %.
Emploi : agir préventivement et pas seulement a posteriori par le biais de la redistribution
Une autre dimension doit être prise en compte, celle du partage de la valeur ajoutée (VA). S’est-il fait au détriment des salariés et en faveur des entreprises, comme dans à peu près tous les pays de l’OCDE ? Si les salaires augmentent plus vite que la productivité, cela déforme la valeur ajoutée au profit des salariés alors que la tendance inverse la déforme au profit des entreprises. Trop de partage de la valeur ajoutée au profit des entreprises augmente les inégalités et, in fine, va peser sur la croissance. Mais une déformation au profit des salariés, alors même que le taux de profit sur PIB dans l’Hexagone est parmi les plus faibles de toute la zone Euro, ne va pas nécessairement dans le sens de l’emploi, a mis en garde M. KLEIN.
Aux Etats-Unis, le salaire réel par tête a augmenté beaucoup plus faiblement que la productivité. Avec la mondialisation et les nouvelles technologies, on y a assisté à une déformation très forte au profit des entreprises et au détriment des salariés. On fait le même constat au Japon, tout comme en Allemagne même si la tendance est moins accentuée. En revanche, la France est l’un des rares pays de l’OCDE où l’évolution est inverse : les salaires y ont augmenté au détriment de la productivité. Ce qui, de fait, a pour conséquence une perte de compétitivité de ses entreprises.
Enfin, si l’on examine les écarts de l’indice de Gini avant et après redistribution, on constate logiquement que tous les pays qui ont plus de redistribution ont plus de prestations sociales en proportion du PIB.
Pour comprendre l’existence de fortes inégalités avant redistribution en France, il convient de faire un constat : le taux d’emploi dans l’Hexagone, à savoir la part de la population au travail rapportée à la population totale en âge de travailler, est parmi les plus faibles des pays de l’OCDE. Ainsi, voit-on que le taux d’emploi aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, au Canada, en Suède se situe entre 70 et 80 %. Tout comme l’Allemagne et l’Australie qui se situent autour de 75 %. Alors que la France se situe, elle, à 65 %. En dessous, à 60 %, figurent l’Italie et l’Espagne. Plus qu’un écart entre les plus hauts et les plus bas revenus, c’est ce chiffre qui explique notamment la forte inégalité des revenus avant redistribution qui prévaut en France, avec une proportion plus importante de personnes que dans d’autres pays vivant de subsides et non d’un salaire, porteur d’un niveau de revenu plus important. On relève, en outre, que le taux d’emploi des 60-64 ans est de près de 32 % en France contre 47 % en moyenne dans la zone euro.
Il y a donc une corrélation entre l’indice des inégalités de revenus avant redistribution et le taux d’emploi avec un niveau d’inégalités ici d’autant plus élevé que le taux d’emploi est faible. Même si ce n’est pas le seul déterminant, a cependant tempéré M. Olivier KLEIN.
Logiquement, plus la redistribution sociale est forte, via des prestations sociales élevées, plus la pression fiscale est importante, ce tant sur les entreprises que sur les ménages. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas sans rapport avec le taux d’emploi trop faible. Ainsi, la France a-t-elle un taux de cotisations sociales sur PIB bien plus élevé que dans les autres pays de la zone euro. C’est une bonne chose en soi car cela finance la redistribution mais cela pèse sur la compétitivité des entreprises, qui vont alors moins embaucher, pesant alors sur le taux d’emploi qui sera plus faible. D’où une corrélation entre le taux d’emploi et le niveau de cotisations sociales : plus les cotisations sociales sont élevées, plus le taux d’emploi est faible. C’est un cercle vicieux. Nous avons un traitement curatif et non préventif. La mécanique de redistribution est vertueuse car elle minore les inégalités. Mais jusqu’à un certain niveau, au-delà duquel elle entraîne des effets négatifs. Il est donc indispensable d’agir préventivement, afin d’améliorer le taux d’emploi, et pas seulement a posteriori, en faisant de la redistribution.
Ainsi, la part des cotisations sociales des entreprises en France rapportée au PIB est 60 % plus élevé, à plus de 11 %, que la moyenne de leurs homologues dans les autres pays, comparables, de la zone euro, avec un taux de l’ordre de 7 %.
NB : Les corrélations ci-dessus ont été réalisées par le service économique de Natixis.
Si l’on poursuit la comparaison de la situation de la France par rapport aux autres pays de la zone euro, on constate que le taux d’impôt sur les entreprises rapporté au PIB en France est de 17 % contre 11 % en moyenne dans la zone euro. Ce n’est donc pas en augmentant les impôts qu’on va créer de l’emploi. Même constat s’agissant des ménages : la proportion des impôts pesant sur les ménages rapportée au PIB est de près de 35 % en France contre 29 % dans la zone euro. Quant au salaire minimum en pourcentage du salaire médian en France, il est déjà très élevé par rapport à la moyenne de la zone euro. Si on l’augmente, on fait sortir de l’emploi tous ceux qui ont une productivité faible. En revanche, les compléments de revenu pour permettre de travailler avec le SMIC est un outil beaucoup plus adapté.
Une forte inégalité des chances en France
Mais il y a une autre forme d’inégalités à prendre en compte : l’inégalité des chances. Elle peut être mesurée de plusieurs manières : par le statut socio-économique qui se transmet plus ou moins fortement d’une génération à une autre ; par la corrélation entre le revenu des parents et celui des enfants une fois sur le marché du travail (en France, corrélation forte) ; par la corrélation entre le niveau de diplôme des parents et le niveau de diplôme des enfants une fois les études terminées (en France, elle est plus forte qu’ailleurs).
On constate qu’en France, le pourcentage d’hommes dont le père a de faibles revenus et qui ont eux-mêmes de faibles revenus est de 35 %, contre 31 % en moyenne dans l’OCDE. A l’opposé, le pourcentage d’hommes en France ayant de hauts revenus et dont le père a aussi de hauts revenus est de 40 %. D’un côté, c’est une poche de richesse et de l’autre côté, une trappe de pauvreté à l’envers. Il y a une forte corrélation entre le niveau de revenus des parents et des enfants. Dès lors, le constat est sans appel : il y a de fortes inégalités des chances en France avec une faible mobilité sociale entre les générations.
L’OCDE mesure combien il faut de générations pour que des individus nés dans une famille à faibles revenus puissent accéder au revenu médian. Au Danemark, il faut 2 générations ; en Suède 3 ; en Espagne et au Canada 4 ; aux Etats-Unis, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, en Italie : 5 ; en France 6. La moyenne de l’OCDE est à 5. Derrière la France, il y a l’Allemagne, la Hongrie, le Chili, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud.
Or, cet enjeu est fondamental car l’égalité des chances fonde la capacité à vivre ensemble et est au cœur de la cohésion sociale. Mais elle est également porteuse d’un point de vue économique. Si une relative inégalité des revenus est nécessaire pour l’innovation, l’entrepreneuriat, elle n’est acceptable que si elle est fondée sur l’égalité des chances, ou, à tout le moins, une faible inégalité des chances. En revanche, cumuler inégalité des revenus ET inégalités des chances, au-delà des aspects de justice sociale, nuit à la croissance. Enfin, l’égalité des chances permet de mobiliser tous les talents. A l’inverse, s’en priver, c’est pénalisant au regard de la croissance et de l’innovation.
Un autre indicateur montre la fragilité de la France sur ce terrain : la proportion de jeunes déscolarisés et sans emploi. Elle est en France de 17 %, contre 10 % en Allemagne et de l’ordre de 8 % aux Pays-Bas.
Dernier indicateur que l’on peut analyser, l’enquête PIAAC de l’OCDE (« évaluation des compétences des adultes », réalisée tous les trois ans par l’OCDE, NDLR) qui mesure le taux de compétences acquises par les salariés en entreprise en termes de maîtrise du langage et de mathématiques appliquées : le positionnement de la France se dégrade. Elle se situe désormais en-dessous de la moyenne de la zone euro. Or, il y a une corrélation entre l’acquisition de compétences, le niveau de formation et le taux d’emploi. A l’heure de la mondialisation et de la révolution technologique, le taux d’emploi est porté par le savoir. Dans le même registre, l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, ndlr) menée par l’OCDE tous les trois ans auprès des jeunes de 15 ans, montre une dégradation des résultats de la France même si son score est dans la moyenne de celui de la zone euro. La réforme de l’Education nationale est donc un enjeu décisif afin de renouer avec les savoirs fondamentaux.
En conclusion, on observe le lien entre croissance, innovation et égalité des chances. C’est cette combinaison qui permet de tirer un pays vers le haut et aux populations les plus fragiles de s’en sortir, a souligné M. Olivier KLEIN.
Aujourd’hui, on assiste à une croissance tirée par l’innovation. Ce n’est plus une croissance de rattrapage comme ce fut le cas dans les années d’après-guerre et jusqu’aux années 70. C’est par l’innovation qu’on stimule les talents et que l’on parvient à une égalité des chances car l’innovation crée des ruptures et casse les rentes et les positions acquises. La croissance par l’innovation est favorisée par une société plus mobile. Elle est la seule qui vaille dans un environnement mondialisé et fondé sur les nouvelles technologies. C’est un cercle vertueux.
Dans ce contexte, il est d’autant plus important de ne pas se tromper de diagnostic. Ainsi, en France, il y a une inégalité de revenus plus faible qu’ailleurs grâce à une redistribution forte. Mais cette redistribution forte n’est pas le résultat d’une politique préventive mais d’une politique curative. Il faut donc chercher à augmenter le taux d’emploi. Ce n’est donc pas la même chose, en termes de politique économique que si l’on était dans une situation de forte inégalité de revenus qui conduirait à augmenter les impôts.
Au vu de ce constat, M. Olivier KLEIN a défendu les grandes réformes structurelles qu’il juge indispensables. Elles sont au nombre de trois : le marché du travail, la formation et la retraite.
S’agissant de l’emploi, on constate certes des orientations qui vont dans le bon sens, mais les efforts demeurent encore insuffisants. Il faut, d’une façon ou d’une autre, parvenir à rendre le retour à l’emploi plus incitatif.
Cela veut dire, aussi, aller chercher les gens pour les former. Baisser d’année en année dans les classements PISA et PIAAC est désastreux dans le monde de l’économie du savoir et de la connaissance qui est le nôtre aujourd’hui. Il faut, d’une part, mettre en avant la formation professionnelle, réforme qui jusqu’à aujourd’hui n’a jamais été véritablement faite en France. Les dépenses de formation/PIB y sont les plus élevées de la zone euro. Le problème ne vient donc pas des moyens, mais d’une meilleure utilisation des dépenses. Il faut, d’autre part, placer le socle des savoirs fondamentaux au cœur de l’enseignement dans les écoles. L’action menée sur les premières années est, donc, essentiel. Toutes les études sur l’efficacité de la formation montrent que tout se joue à la maternelle et au primaire. Cela passe également par une remise à plat des programmes. Dans ce domaine, plusieurs réformes sont d’ailleurs menées dans ce sens à l’heure actuelle, a-t-il salué au passage.
Enfin, la troisième réforme indispensable est celle des retraites. Au vu de l’importance des déficits, une solution s’impose aux yeux de M. KLEIN, celle de l’augmentation de l’âge de départ à la retraite compte tenu de l’évolution de l’espérance de vie. Réformer la retraite, c’est aussi donner une indispensable visibilité. Or, chacun est conscient d’une chose, c’est que le système n’est pas équilibré.
voir l’assurance d’atteindre l’équilibre en fonction de l’évolution de l’espérance de vie permettrait à chacun de savoir sur quoi il pourra tabler le moment venu, inciterait à épargner un peu moins et in fine permettrait de vivre un peu mieux. C’est essentiel en termes de prévisibilité et c’est rassurant pour tout le monde, a-t-il conclu.
Pour M. Xavier BERTRAND, remettre le pays en mouvement est une impérieuse nécessité sans quoi on peut redouter le pire
Xavier BERTRAND l’a de nouveau martelé le 19 septembre lors de la nouvelle émission politique sur France 2 « Vous avez la parole » que le président de la Région Hauts-de-France a inaugurée : plus que de bouts de réformes, c’est d’une véritable refondation dont le pays a besoin. Une refondation qui doit permettre de réconcilier les Français et de retisser des liens mis à mal, mais également de renouer avec la confiance, notamment avec les responsables politiques.
Comme l’ont relevé plusieurs des intervenants lors du débat organisé par le cabinet Carlara, le mouvement des « Gilets jaunes » a mis brutalement en lumière ces fractures, manifestement sous-estimées, qui minent la société française. Chacun est désormais conscient que l’on est à un moment charnière où le pays peut basculer. Soit il bascule vers une société où l’on s’efforce de réconcilier les citoyens entre eux. Soit on risque de vivre de plus en plus les uns à côté des autres. D’où l’impérieuse nécessité de remettre le pays en mouvement, a insisté l’ancien ministre. Et ce, en répondant à trois questions, a-t-il détaillé récemment sur France 2 : comment réparer les fractures françaises ? Comment rebâtir une nouvelle société en France ? Comment relancer le pays en lui donnant de véritables perspectives ?
Il faut déjà cesser de se tromper sur les choix politiques et économiques et rompre avec ces échecs qui ne datent pas de 24 mois mais plutôt de 20 ou 30 ans. On est face à un défi, a souligné M. BERTRAND, alors que la réalité, ainsi que M. Olivier KLEIN en a fait la démonstration, est très différente de la perception. Précisément, a interrogé M. Fabrice DEMARIGNY, président de Mazars Société d’avocat et responsable global de l’activité Financial advisory et Capital markets du groupe Mazars, comment fait un responsable politique pour que, dans un tel contexte, les citoyens qui peuvent être très à l’écoute de discours simplistes, puissent retrouver une connexion entre les faits et les objectifs de politiques conçues pour répondre à de véritables enjeux mais qui nécessitent du temps ? En un mot, pour que le lien se retisse. Retrouver une écoute chez les citoyens, une légitimité, passe par l’action, a fait valoir M. Xavier BERTRAND. En étant concret et en apportant des solutions.
Alors que les injustices sont devenues des fractures, quels sont les remèdes ?
Deux visions semblent se télescoper, a de son côté relevé M. Michel DIDIER, président de Rexecode : d’un côté l’observation statistique nationale d’où il ressort que la France redistribue beaucoup et contient les inégalités de revenus ; de l’autre, la réalité d’une fracture territoriale qui fragilise le pays. Il conviendrait de restaurer une politique d’aménagement du territoire.
Il faut, ici, distinguer l’inégalité de revenu, nettement corrigée en France, et l’inégalité des chances qui y est une réalité, a souligné M. Olivier KLEIN. Effectivement ressentie par les Français, ils ne la conceptualisent pas comme telle pour autant. En parlant d’inégalité, c’est bien le blocage de la société française qui est en cause. Problématique qu’il faut assurément affronter, elle suppose d’agir tant sur ceux qui sont au bas de l’échelle afin de faire repartir l’ascenseur social, que sur cette nomenklatura au sommet convaincue que le pouvoir lui est dû quoi qu’il arrive. Il rejoint M. Xavier BERTRAND qui a insisté plus globalement sur la question, à ses yeux essentielle, de la déconnexion de l’élite politique et du fossé existant entre ceux qui dirigent la France, et les Français. Question qui ne date cependant pas d’aujourd’hui.
Quant au défi de la fracture territoriale et aux moyens d’actions dont une Région dispose pour y remédier au plus près du terrain, M. Xavier BERTRAND a tout d’abord insisté sur ces inégalités perçues comme autant d’injustices. Ce qui explique le tour très émotionnel pris ces derniers mois. Injustices qui sont devenues des fractures, de surcroît particulièrement nombreuses, qu’elles soient territoriales ou autres.
Ainsi en est-il en matière d’éducation. A cet égard, l’idée du ministre de l’Education nationale Jean-Michel BLANQUER de tout miser sur l’école primaire, avec notamment le dédoublement des classes, est une voie intéressante même s’il faut aller beaucoup plus loin, a estimé M. Xavier BERTRAND. Au global, ce n’est pas une question de moyens supplémentaires – qui de toute façon n’existeront plus, a-t-il relevé -, mais une question d’efficacité de la dépense publique et des priorités que l’on se fixe.
Inégalités, également, au regard de l’accès aux services publics avec la question du maillage territorial et des zones rurales qui se sentent abandonnées.
Inégalités en matière de retraite avec, notamment, la question des « petites retraites ». Comment admettre, en effet, qu’une personne qui a fait toute sa carrière au SMIC, entre 1100 et 1200 euros, touchera une retraite inférieure à 1000 euros. Avec, de surcroît, un minimum vieillesse à 868 euros… Et c’est tout le discours sur la valeur travail qui, au moment du départ en retraite, est mis à mal. Sans parler des conjoints de commerçants, ou encore des agriculteurs qui touchent, en moyenne, une pension de 750 euros. Or, qui mieux que ceux-ci symbolisent la valeur travail, a relevé M. Xavier BERTRAND.
Encore peut-on citer l’inégalité face aux soins. Sujet d’importance sur lequel il y a souvent une confusion. Quand on parle d’un besoin de disposer de services publics de santé de proximité, ce qui est en cause, ce sont avant tout les urgences. En revanche, s’agissant d’actes spécialisés, il importe en priorité d’avoir suffisamment de médecins qui pratiquent suffisamment d’actes pour qu’il n’y ait pas d’inégalités en termes de sécurité des patients, quitte à faire quelques dizaines de kilomètres de plus, a tenu à souligner l’ancien ministre de la Santé.
Ou bien la question du logement, source d’inégalité criante entre les Français avec 4 millions d’entre eux qui sont, aujourd’hui, mal logés. Problématique pourtant bien connue mais sur laquelle rien ne bouge.
Ou encore, sujet central s’il en est, la question du chômage et des inégalités face au travail.
Enfin, l’inégalité face au numérique ne doit pas être en reste. Si l’illettrisme est un vrai sujet, l’illectronisme ne sera pas en reste. Il y a une tentation d’aller vers le tout numérique. Or, un certain nombre de Français ne sont pas à l’aise dans ce registre. Ne pas en tenir compte, c’est prendre le risque de les isoler.
Au cœur de toutes ces thématiques, on retrouve, en effet, la question cruciale de la fracture territoriale. Et le président de la Région Hauts-de-France de prendre en exemple sa région avec Lille qui se porte bien, et à 50 minutes de là, des territoires où le taux de chômage est cinq fois supérieur, avec des différentiels d’espérance de vie très importants. Pourtant, il s’agit de la même région et du même pays, a-t-il insisté.
Une exigence : pouvoir agir pleinement sur le bloc des compétences dévolues à la région
Pour contribuer à y remédier, les régions disposent de trois compétences : les transports, les lycées, l’économie. En matière de transport, M. BERTRAND a fait le choix de ne fermer aucune gare ni aucune ligne de chemin de fer. Choix qui s’avèrera moins coûteux qu’on ne le pense en particulier si, comme il le souhaite, il reprend la main dans ses relations avec la SNCF. Une gare qui ferme alors que des gens prennent encore le train, c’est le symbole qu’ils n’existent plus, a-t-il souligné. Ce dernier a également mis en place une « aide au transport aux particuliers » (ATP) destinée, sous certaines conditions, aux salariés qui n’ont d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour se rendre à leur travail. Lancé en 2016, le dispositif a été élargi en janvier dernier et a d’ores et déjà bénéficié à plus de 60 000 personnes alors que quelque 100 000 aides ont été versées, a-t-il détaillé récemment sur France 2. Il en va de même avec les lycées. D’où l’idée, quand cela s’avère nécessaire, de les transformer, par exemple en centres de formation avec une dynamique entrepreneuriale. Ce qui permet de maintenir l’activité.
Sur le plan économique, a relevé le président de la Région, les Hauts-de-France ont été classés 1ère région française pour les investissements industriels selon le bilan 2018 des Investissements Directs Etrangers publié par Business France, et ce pour la deuxième année consécutive. Mais il n’entend pas en rester là. Et de plaider en faveur de l’instauration de zones franches pour des implantations industrielles. Certes, cela veut dire « moins d’impôts » récoltés à court terme, mais cela veut dire « plus d’emplois » tout de suite. De même, milite-t-il pour disposer de la fraction nationale de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dont il pourrait, par exemple, exonérer une nouvelle entreprise qui s’implante. Autant d’outils qui dessineraient un aménagement territorial digne de ce nom, a-t-il défendu.
Allant plus loin, M. Xavier BERTRAND a annoncé le lancement de son initiative « Hauts-de-France 2020-2040 » avec la mise en place d’une consultation des habitants de sa région pour voir comment ils se projettent dans l’avenir et décider des grandes orientations d’aménagements des Hauts-de-France pour les 20 prochaines années. Leur mise en œuvre serait accompagnée de la création d’une « DATAR régionale » [NDLR, Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale : créée en 1963, elle fut regroupée, en 2014, avec d’autres institutions au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires-CGET ; ce dernier devrait être englobé à l’avenir dans la future Agence nationale de la cohésion des territoires (cf. CE des 17/05 et 21/06/2019) ]. Cette agence régionale, de petit format pour rester agile, aura une mission d’aménagement du territoire, de prospective, d’innovation et d’évaluation, a-t-il détaillé, afin d’aider à penser l’organisation économique de la région pour l’avenir.
Au final, M. Xavier BERTRAND ne demande pas un nouveau grand soir de la décentralisation, mais seulement de pouvoir agir pleinement sur le bloc des compétences dévolues à la Région. Réaffirmant son attachement au rôle de l’Etat, mais d’un Etat avec une vision, une ambition, celui-ci a plaidé pour qu’il se recentre sur ses fonctions régaliennes afin de laisser les autres acteurs, telles les Régions, reprendre la main sur leurs domaines de compétences. Ainsi, sur le plan économique, devraient-elles pouvoir saisir le comité interministériel pour la restructuration industrielle-CIRI, ou encore gérer les implantations d’entreprises en n’ayant plus qu’un seul interlocuteur de bout en bout et en décloisonnant le processus à l’image de ce qui se passe à quelques kilomètres de là, en Belgique. « Je ne demande pas un euro supplémentaire », a fait valoir le président des Hauts-de-France qui n’a qu’une exigence : « pouvoir prendre la main » afin que les dossiers puissent être véritablement décentralisés. Faisant le constat, sans appel, d’« un système de gouvernance politico-administrative à bout de souffle », « ce n’est pas notre modèle », a-t-il relevé. Et de plaider pour « renouer avec l’esprit du modèle français. Cela suppose d’avoir des ministres qui sont les véritables patrons de leur administration et de » trancher ce nœud gordien de la complexité administrative ». Mais le temps presse, a-t-il insisté.
Il ne faut pas se tromper, ni sur les maux ni sur les fractures, a mis en garde M. BERTRAND en conclusion. Si l’on estime que c’est leur résorption qui doit être la priorité, l’alpha et l’oméga ne sont pas forcément un nouveau grand soir fiscal. La priorité est avant tout l’emploi.
L’un des grands échecs du modèle français : le chômage
Or, l’un des grands échecs de notre modèle de protection sociale, c’est précisément la question du retour à l’emploi. Nous nous sommes habitués depuis des décennies à vivre avec un taux de chômage élevé qui serait insupportable dans tout autre pays. 3,5 millions de personnes ne travaillent plus et pour beaucoup d’entre elles, depuis longtemps. Presque 5 millions de personnes sont privées d’emplois, pour une raison ou pour une autre, a-t-il relevé. Pourquoi ? Parce que nous avons créé une forme d’addiction à l’impôt et nous n’avons jamais vraiment eu une obsession pour l’emploi, les responsables politiques tendant à se réfugier derrière l’idée que l’« on a tout essayé contre le chômage ». A l’inverse, dans une société qui tend vers le plein emploi, la tension naturelle sur les salaires s’opère. Le rapport entre la productivité et le niveau des salaires s’équilibre de façon économiquement saine. Ainsi, M. Xavier BERTRAND en est convaincu, beaucoup de nos problèmes viennent de ce refus de considérer l’emploi en France. Mais si l’on décide de faire de l’emploi une stratégie pleine et entière – qui doit dépasser une simple réforme de l’assurance chômage -, on peut changer la donne et répondre de manière préventive et pas seulement curative à cette question.
Deux dimensions sont alors à prendre en considération. Tout d’abord, une dimension européenne, qui dépasse le cadre national. Nous avons eu la chance, ces dernières années, d’avoir avec Mario DRAGHI, un patron de la Banque centrale européenne visionnaire et pragmatique qui, dans la limite des statuts de son institution, a fait le maximum. Il en serait autrement avec un dirigeant qui les appliquerait à la lettre : s’ils ciblent bien la lutte contre l’inflation, certes un sujet très important, ils ne disent rien en revanche en matière de plein emploi et de croissance, a regretté M. Xavier BERTRAND. Ensuite, une dimension nationale : on est, en France, dans une logique de baisse des prélèvements. Or pour cela, il faut baisser la dépense publique. « J’étais persuadé que nous aurions des résultats plus significatifs », a déploré ce dernier.
Réforme des retraites : garantir le système en maintenant le niveau de vie et réparer les inégalités
Pourtant, il y a un domaine où il est aisé de baisser les dépenses en générant des milliards d’euros d’économies, c’est celui des retraites, en relevant progressivement l’âge de départ à la retraite. Une seule année supplémentaire correspond à 6 milliards d’euros. Trois années supplémentaires, ce sont 15 à 18 milliards d’euros. On peut ainsi garantir le système et réparer les inégalités. Une adaptation régulière du système de retraite est, au demeurant, inévitable pour faire face à l’allongement de l’espérance de vie tout en maintenant le niveau de vie des retraités.
En effet, il n’y a que deux alternatives : soit les Français acceptent de toucher une pension moins élevée, soit ils acceptent de travailler un peu plus longtemps. Ce peut être en reculant l’âge de départ à la retraite ou en allongeant la durée de cotisation, comme le préconise plutôt la CFDT. Ou en combinant les deux. Les Français sont conscients qu’il n’y a pas d’autre option. Il n’est pas impossible de renouer avec les efforts, si tant est que l’on n’oublie pas la justice en route. Ainsi faut-il tenir compte de la différence d’espérance de vie – près de 7 ans – entre un ouvrier et un cadre supérieur et étudier comment prendre en compte la pénibilité, en mettant en place un système de retraite anticipée, sans pour autant recréer une usine à gaz.
Mais force est de constater que l’on se heurte à un tabou en France. Mais à un tabou purement politique, est convaincu M. Xavier BERTRAND. A force de présenter cette réforme comme une réforme paramétrique, technique, visant à réduire les déficits, « on a perdu les Français en route », a-t-il regretté. C’est bien cette déconnexion, ce décalage qui est le plus problématique, assure-t-il. Ce qui est essentiel, c’est donc bien le montant des retraites, et derrière le niveau de vie des retraités et leur pouvoir d’achat, aujourd’hui et demain. En décidant de ne pas indexer les pensions sur l’inflation, en augmentant de surcroît le taux de CSG, on a rompu un engagement jusque-là intangible de maintenir le niveau des retraites, a déploré l’ancien ministre du Travail. Mais au-delà de ce coup de canif, c’est plus globalement la réforme qui se prépare que celui-ci a dénoncée, réforme qu’il a qualifiée lors de l’émission « Vous avez la parole » sur France 2 d’« hypocrite, injuste et dangereuse ». En effet, si le système de retraite par points a le mérite de la simplicité et s’accompagne d’un alignement de tous sur les mêmes règles, il doit cependant être complété de garde-fous afin de garantir qu’il n’y ait pas, le moment venu, de baisse de pensions. A titre d’exemple, dans le privé, ce sont aujourd’hui les 25 meilleures années qui sont prises en compte. Dans un système par points, toutes les années entrent en ligne de compte, y compris les années de moindres revenus. Et de suggérer, pour rassurer les Français, la mise en place avant le vote de la loi d’un simulateur individuel.
La situation de la France requiert une triple exigence : lucidité, créativité, courage
En conclusion, M. Xavier BERTRAND a insisté sur la nécessité de prendre la mesure de la gravité de la situation et de ressouder le pays en s’attachant à réduire les fractures, nombreuses, que la crise des Gilets jaunes a mises en lumière mais qui ne sont pas nouvelles. La question des inégalités est, en effet, une de celles qui peut nous amener dans le mur. Fort de son expérience dans sa région des Hauts-de-France, il ne saurait exclure l’arrivée des extrêmes au pouvoir, nombre de citoyens étant persuadés qu’ils n’ont rien à perdre à essayer ce qui ne l’a jamais été, a-t-il relevé. Le phénomène n’est d’ailleurs pas que français alors que l’on assiste, en Europe notamment, à leur montée qui semble inexorable.
La situation requiert une triple exigence : lucidité, créativité, courage. Premier pilier, donc, ne plus se tromper de constat, ne pas craindre de dire la vérité, en un mot faire preuve de lucidité. Mais celle-ci est-elle partagée par tous les dirigeants ? Il en doute, conscient du chemin qu’il a lui-même parcouru. Ce n’est pas un problème de qualité des élites, absolument nécessaires, mais de déconnexion.
Deuxième pilier, insuffler des idées nouvelles et faire preuve de créativité en n’hésitant pas, comme lui-même l’a fait dans sa région, a testé des solutions disruptives. Ce fut le cas du dispositif « Proch’Emploi », regardé avec dédain par certains. A l’arrivée, ce sont deux tiers de retour à l’emploi. Il s’agit de connecter ou reconnecter les gens au monde du travail avec des aides aux transports, des aides à la garde d’enfants. Cela touche quelque 100 000 personnes. Ou encore via un nouveau service pour faciliter l’orientation de jeunes, « Proch’Orientation », dont les parents ont plus difficilement accès aux informations sur l’emploi. Une approche analogue devrait prévaloir au niveau national afin de combiner les outils de part et d’autre. Mais pour être efficace, il faut impérativement pouvoir décloisonner les dispositifs.
Troisième pilier, ne pas avoir peur d’entreprendre les réformes avec courage. A cet égard, la mise en place du quinquennat fut une « terrible erreur », a déploré M. Xavier BERTRAND se déclarant, tout comme M. Olivier KLEIN, favorable à un mandat un peu plus long, 6 ans par exemple, et non renouvelable, garant d’une plus grande efficacité. Voilà, dans ce contexte, l’enjeu pour les responsables politiques. Sans quoi, on peut redouter le pire, a-t-il mis en garde.
À l’occasion de ma visite en Nouvelle-Calédonie, j’ai eu le plaisir d’être accueilli par Jean-François Bodin sur Radio Rythme Bleu pour y parler économie mondiale, guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, stratégie bancaire ou encore situation actuelle de l’économie calédonienne.
Le thème des inégalités recouvre par nature plusieurs aspects. Si l’on se situe au plan mondial, les inégalités entre les pays pauvres et les pays riches se sont considérablement réduites depuis les années 80. D’après la Banque mondiale, en 1981, 40 % de la population mondiale vivaient en dessous du seuil de l’extrême pauvreté, contre seulement 11 % aujourd’hui. Le taux de croissance des pays émergents a donc considérablement réduit les inégalités entre les niveaux de vie moyens des différents pays. Et si l’on se concentre simplement sur la Chine et l’Inde, qui ont connu et continuent à connaître les plus forts développements économiques depuis les années 80, on dénombre 2 milliards de personnes qui sont passées au-dessus du seuil de pauvreté. Cela constitue un formidable progrès et c’est l’un des bienfaits évients de la mondialisation.
Cela est vrai pour les revenus mais aussi pour la santé. Mes données sont moins récentes et cela s’est encore amélioré depuis lors. En 1940, l’espérance de vie dans les pays en développement était de 44,5 ans. Dans les années quatre-vingt, elle atteint 64,3 ans. Elle a donc augmenté de 20 ans pendant ces 40 années. Dans le même temps, dans les pays développés, on vit 9 ans de plus. On voit donc, là aussi, se réduire les inégalités dans le domaine de la santé et de l’espérance de vie.
En revanche, au sein de chaque pays, développé ou émergent, les inégalités ont en moyenne augmenté avec la mondialisation et la croissance. Car, si le processus de croissance permet au plus grand nombre d’accroître son niveau de vie, certains au sein de chaque pays progressent plus vite que d’autres, et dans certains pays, on accède à une plus grande part du revenu national qu’avant lorsqu’on est au sommet de la pyramide. Donc, le niveau de vie a bien augmenté pour tout le monde ou presque. Mais, les inégalités ont pu croître quand même, tout simplement parce que certains ont vu leur situation s’améliorer plus rapidement que d’autres. Ainsi va le bonheur, mesuré par les économistes de façon instructive. Toutes les études montrent que le bonheur est relatif. On est heureux quand, d’une part, on va mieux et, d’autre part, que sa situation s’améliore plus vite que celle des autres. Autrement dit par comparaison. En relatif. Ainsi l’accroissement des inégalités, même si tout le monde voit son niveau de vie augmenter, devient-il vite un sujet social et politique. On assiste donc à un phénomène à bien clarifier : une inégalité très largement réduite entre les pays et des inégalités croissantes au sein des pays, même si le niveau de richesse et de bien-être a globalement monté.
On peut donc aborder et analyser la question des inégalités de différentes manières.
Les inégalités de revenu peuvent être mesurées en considérant la part prise par le top 1 % de la population dans les revenus du pays. On peut aussi mesurer beaucoup plus finement, et sans doute de façon plus pertinente, les inégalités avec l’indice de Gini. Gini est un économiste –statisticien qui a inventé la méthode qui consiste à étudier la répartition des inégalités sur l’ensemble de la population. On relève en fait les écarts entre tout le monde pris deux à deux et l’on fait une moyenne des écarts de chacun à chacun. Si la moyenne des écarts est égale à zéro, cela signifie que tout le monde a exactement le même revenu, si cette même moyenne est de 1, cela traduit l’inégalité la plus totale. Ces indices sont mesurés sur tous les pays de l’OCDE.
Enfin, une troisième manière de faire ne s’intéresse pas à l’inégalité des revenus mais à l’inégalité des chances. On parle là, bien sûr, de la mobilité sociale, des « trappes à la pauvreté » dans lesquelles des générations peuvent s’enfoncer. L’égalité des chances est évidemment cruciale, parce qu’elle participe du pacte républicain, du pacte social, de la capacité à vivre ensemble, et évidemment, qu’elle est fondamentale pour la santé d’une société, pour sa cohésion. Quand il y a une faible inégalité des chances, cela permet de mobiliser plus de personnes. Cela signifie que quel que soit le milieu dans lequel on est né, si l’on a du talent, si l’égalité des chances existe, on arrivera à progresser. Ainsi, non seulement la conviction que chacun a les mêmes chances est-il un facteur de cohésion sociale important, mais, en plus, cela permet de favoriser la croissance, parce que cela mobilise tous les talents où qu’ils soient. Donc la question de l’inégalité des chances est cruciale. Il s’agit, on le comprend bien, de savoir si ce sont toujours les mêmes et leurs enfants qui ont toutes leurs chances de réussite ou bien si les parcours peuvent être fluides sans détermination trop forte pour le milieu social d’origine. Et l’on va voir qu’en France, il y a une adhérence forte en haut, comme en bas.
Les constats :
Je vais d’abord présenter quelques chiffres, puis quelques éléments d’analyse.
En France, si l’on se compare aux pays voisins, l’inégalité de revenu après répartition est plutôt faible, tandis que l’inégalité de revenu avant répartition est plutôt forte. L’inégalité des chances, quant à elle, est plutôt forte.
Et c’est autour de ces constats que l’on va essayer de raisonner pour trouver éventuellement des conclusions en termes de politique économique et de réformes indispensables.
Prenons d’abord la mesure de l’inégalité des revenus avant répartition et après répartition. Avant répartition, il est évident, par exemple, que l’inégalité est plus grande si les salaires vont de 1 à 1 000, plutôt que de 1 à 100. Mais il faut aussi considérer les personnes qui ne travaillent pas et qui ont de ce fait de très maigres revenus. Plus il y a de gens exclus de l’emploi, plus l’inégalité des revenus avant redistribution est forte. Et plus le système de redistribution, que ce soit par les impôts, les revenus de soutien, etc.-, est puissant, plus on réduit l’inégalité des revenus après distribution.
Avant répartition, l’indice GINI, qui était à 0,477 aux États-Unis en 1996, est passé à 0,507 en 2016. Au Royaume-Uni, il a peu augmenté, contrairement à ce que l’on pourrait penser. En zone euro, il est passé de 0,473 à 0,504 ; au Japon de 0,409 à 0,488. Donc, que constate-t-on ? Les inégalités ont effectivement monté un peu partout. Et aux États-Unis, cela n’a pas monté beaucoup plus qu’ailleurs, avant répartition. Le niveau d’inégalité n’y est pas tellement plus élevé, en outre, que dans la zone euro alors qu’au Japon, il est plus bas.
Après répartition, les Etats-Unis passent en 2016 de 0,507 à 0,391. On voit donc l’effet de la répartition, qui, évidemment, réduit l’inégalité de revenu. Au Royaume-Uni, on note une forte baisse aussi. La zone euro, après répartition, s’avère un système beaucoup plus égalitaire que les États-Unis puisqu’il y est bien plus bas après répartition. L’Europe a donc un système qui réduit davantage les inégalités. Et le Japon se situe entre les deux.
Analysons la France. Avant redistribution, l’indice Gini est passé de 0,490 en 1998 à 0,516 en 2015. Donc une assez faible évolution à la hausse des inégalités. Ces inégalités sont-elles fortes ou faibles par rapport aux autres pays? En 2015, la France est un peu plus inégalitaire avant redistribution que les États-Unis. Est-ce parce que l’éventail des salaires est plus fort ? Non, bien entendu. C’est parce qu’il y a beaucoup plus de personnes sans emploi. Ce qui est un problème essentiellement français. Les autres pays ayant très souvent un taux d’emploi de 10 points supérieurs (75 %, contre 65 % en France). L’Allemagne est presque au niveau des États-Unis. Et l’on sait bien que le niveau de chômeurs y est très élevé. L’Espagne connaît un niveau d’inégalité avant redistribution plus fort encore que la France. La Suède, même avant répartition est, sans surprise, un pays plus égalitaire. On constate donc que la France se place avant répartition, à des niveaux élevés d’inégalité.
Mais après redistribution, quel est le constat ?
La France en 2015 est à 0,295, parmi les indices les plus bas de tous les pays pris en compte. On passe donc d’un indice parmi les plus élevés en termes d’inégalité avant redistribution à un indice parmi les plus bas après redistribution. Ainsi donc en France, la redistribution est-elle très forte. Aux États-Unis, le niveau des inégalités après redistribution est beaucoup plus élevé qu’en France. Mais en Espagne, en Italie, en Allemagne, le niveau d’inégalité des revenus après redistribution est à peu près identique à celui la France. Et l’on se retrouve à des niveaux, toujours après redistribution, assez comparables à ceux de la Suède.
La France connaît ainsi une politique de redistribution, ramenée au PIB, parmi les plus élevées de tous les pays de l’OCDE. L’avantage en est de réduire les inégalités, mais cela a aussi des inconvénients. Cela implique, en effet, des impôts beaucoup plus lourds, des prélèvements obligatoires beaucoup plus importants, ce qui n’est pas sans conséquences. On peut ainsi corréler aisément l’indice Gini après redistribution et le poids des prestations sociales sur le PIB. Et c’est ainsi, grâce à l’une des plus fortes redistributions des pays de l’OCDE, que la France connaît l’une des plus faibles inégalités des revenus, seuls le Danemark, la Finlande et la Suède connaissant un niveau encore inférieur.
Considérons maintenant la proportion du revenu national reçu par 1 % des individus touchant le plus de revenu national. En France, ils touchaient 9 % des revenus nationaux en 1995. En 2015, ils en touchent 10,5 %. Si l’on compare avec la Suède, ce pays connaissait en 1995 le pourcentage le plus bas de 6 % du revenu national, contre 9 % en France, et, en 2015, 8 % contre 10,5 % en France. Ce n’est pas extrêmement éloigné. Regardons les États-Unis, en 1995, les 1 % les plus riches obtenaient 15 % du revenu national. Et en 2015, ce pourcentage atteint un peu plus de 20 %. C’est évidemment frappant. 2 fois plus qu’en France. Et l’augmentation de la part reçue par le 1 % les plus riches a été beaucoup plus brutale. En Allemagne, la progression a été un peu plus vive que chez nous, 9 % aussi en 1995 mais 13 % en 2015. On est cependant très loin des États-Unis. Au total donc, les 1 % les plus riches ont donc obtenu une portion croissante du revenu national. Mais le phénomène est bien plus visible aux Etats-Unis qu’en Europe.
Une autre façon d’analyser les inégalités est de regarder le pourcentage d’individus qui se situent au seuil de pauvreté.
La façon habituelle et internationale de le calculer peut être remise en question, mais, au moins, c’est un indicateur utilisé partout. On se place en pourcentage du revenu médian des Français ou des Américains, par exemple. A moins de 50 %, ou bien 60 % comme dans nos chiffres de ce revenu medium, on est considéré comme pauvre. C’est une notion relative de la pauvreté.
En France, peu de gens se situent en-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire en-dessous de 60 % du revenu médian français. Alors qu’en Espagne, le pourcentage est plus élevé, de même qu’en Italie. Aux Etats-Unis, il est également plus fort. Et le pourcentage de la population française en-dessous du seuil de pauvreté a même baissé entre 1998 et 2016. Il a, sur la même période, augmenté en Allemagne. Donc, là encore, on ne peut pas dire que la pauvreté soit forte ni qu’elle se soit accrue en France. Ce que l’on entend parfois dans les médias est tout simplement statistiquement faux.
En revanche, en France, l’inégalité des chances, elle, est plutôt forte, comparée aux pays similaires.
Selon les sondages d’opinion réalisés par l’OCDE, 44 % des Français interrogés considèrent que l’éducation transmise par les parents est importante pour progresser dans la vie. Au sein de l’OCDE, qui comprend aussi bien le Chili que le Mexique que tous les pays européens, les États-Unis, etc., l’opinion moyenne est à 37 %. Ce qui reflète en France un sentiment d’inégalité des chances assez élevé. Et malheureusement, l’opinion a raison. En France, le statut socio-économique se transmet plus fortement qu’ailleurs d’une génération à l’autre. Le niveau de revenu relatif se transmet plus fortement d’une génération à l’autre que dans les autres pays. Enfin, le niveau d’éducation, de diplôme, se transmet plus fortement de parents à enfants que dans les autres pays. En fonction de ces 3 critères, l’inégalité des chances s’avère plus forte en France qu’ailleurs.
Evidemment, l’inégalité des chances existe partout puisque le milieu socio-culturel compte beaucoup dans la vie et le développement des enfants. Mais la façon dont on parvient à corriger partiellement le phénomène peut être plus ou moins forte. Cela a été calculé par l’OCDE qui a publié une note sur ce sujet. L’OCDE a pris en compte la mobilité intergénérationnelle. Et l’on regarde combien de générations il faut à une famille qui part du bas de l’échelle pour arriver à la moyenne. Evidemment, plus faible est le nombre de générations pour arriver à la moyenne, en appliquant la mobilité moyenne de la société, moins il y a d’inégalité des chances. Plus il faut de générations pour y parvenir, plus on est cantonné au bas de l’échelle, ou protégé symétriquement en haut de l’échelle.
Au Danemark cela prend 2 générations. En Norvège, 3 ; en Finlande, 3 ; en Suède, 3 ; en Espagne, 4. En Nouvelle Zélande, Canada, Grèce, Belgique, Australie, Japon, Pays-Bas, 4. Aux États-Unis, 5. Et en France, 6.
Six générations pour que quelqu’un qui se situe tout en bas de l’échelle des revenus ait une chance que ses arrières petits enfants arrivent au revenu moyen, eu égard à la mobilité française. L’Allemagne ne fait pas mieux et le Chili non plus ! Et l’OCDE, en moyenne, se situe entre 4 et 5.
Des études parviennent aux mêmes conclusions quant à l’inégalité des chances en France, par rapport à celle de pays comparables, en calculant les corrélations entre le revenu des parents et celui des enfants devenus adultes. De même pour les corrélations des niveaux de diplômes.
Quelles réformes de structures faudrait-il faire pour lutter contre l’inégalité des chances ?
Il faut évidemment évoquer la réforme de l’éducation nationale. On a beaucoup moins de mobilité et d’égalité des chances en France qu’il y a de nombreuses années, quand on parlait des « hussards de la République » pour désigner les instituteurs qui accompagnaient et poussaient loin leurs élèves méritants. Cet état d’esprit n’est pas abandonné, mais il est bien moins répandu et l’éducation nationale, en réalité, a baissé en efficacité globale pour de nombreuses raisons que l’on peut expliquer plus ou moins aisément. L’efficacité de l’éducation est mesurée et comparée par des tests de niveau réalisés internationalement par l’OCDE.
Les études comparatives montrent qu’il faut que l’éducation nationale puisse consacrer un peu plus de moyens aux enfants des quartiers ou des milieux défavorisés. On sait également que beaucoup se joue au début de la vie, à la maternelle et à l’école élémentaire. C’est là où il faut davantage de moyens. Mais ne nous trompons pas, c’est bien une question d’efficacité et non de moyens globaux au sein de l’éducation nationale en France qui a un budget sur PIB bien supérieur aux autres pays européens pour un résultat décevant aux tests. Il faut également accompagner les gens au cours de leur parcours professionnel pour qu’ils puissent progresser. La formation professionnelle en France est très inefficace et en voie d’être réformée.
Certains pays font tout cela remarquablement bien : la Corée du Sud par exemple, ou encore les pays nordiques. Ils se donnent ainsi les moyens d’assurer un bon degré de mobilité sociale dans leur pays. Ce qui est utile, je le répète, non seulement pour la cohésion sociale, mais aussi pour l’économie parce qu’on va chercher des talents qui, autrement, ne pourraient s’exprimer, et qui contribuent, évidemment, à la croissance générale.
Il faut par ailleurs réduire le chômage de longue durée, ce qui implique un accompagnement plus efficace du retour à l’emploi et de meilleures incitations à prendre un emploi. On sait en outre très bien qu’en France, après 4 mois de travail, on a droit au chômage. C’est l’un des rares pays où il faut aussi peu de temps pour ouvrir un droit au chômage. C’est à regarder. Et, bien sûr, aussi, il faut faciliter ce qui contribue à la création d’emplois…
Il est aussi important de travailler sur les inégalités territoriales, parce qu’elles existent.
Donc, en général, en France, la mobilité sociale est plutôt plus faible que dans d’autres pays comparables, et cela se traduit, à travers les revenus, les diplômes et les catégories socio-professionnelles, dans l’évolution entre les générations.
Et l’on sait aussi que la faible mobilité est non seulement intergénérationnelle, mais aussi qu’il y a en France moins de chances qu’ailleurs de pouvoir évoluer au cours de sa vie.
Deux analyses :
J’en tire deux analyses qui, à mon sens, amènent à réfléchir.
La première est le lien existant entre croissance, innovation et égalité des chances. La deuxième, la forte redistribution qui réduit grandement les inégalités initiales conduit à un cercle vicieux.
Premier angle d’analyse, le lien entre croissance, égalité et innovation. Nous vivons, depuis maintenant 20 ans, dans un contexte de mondialisation et dans une révolution technologique liée au digital. Ces deux phénomènes suppriment de plus en plus le travail répétitif et les postes correspondants.
Aujourd’hui, pour croître dans une économie qui n’est plus une économie de rattrapage comme après-guerre, il faut être innovant. L’innovation est cruciale, c’est actuellement le moteur de la croissance des pays à la « frontière technologique » (1). Les pays développés sont rattrapés par les pays émergents, la seule façon pour les premiers de continuer à croître alors que les pays émergents croissent très vite, c’est d’innover en permanence.
Nous sommes donc dans une économie du savoir, de l’innovation, seule façon de créer de la croissance et de la richesse.
De ce fait, il faut que l’on s’assure que l’on favorise l’innovation, dans notre économie, dans ses institutions (modes d’organisation, marché du travail, cadre législatif…). Et il y a un lien avec l’égalité des chances car, quand il y a de la croissance, il est plus facile évidemment de lutter contre la pauvreté. Et il est aussi plus facile d’assurer la promotion sociale, de procurer de la mobilité sociale. Si l’on ne se place plus au niveau d’un pays mais de l’entreprise, on sait bien que dans une entreprise qui ne se développe pas, il est très difficile de promouvoir et de faire évoluer les collaborateurs. Alors que dans une entreprise en croissance, on peut faire progresser tous ceux qui sont motivés et talentueux.
Donc, on a besoin de croissance pour diminuer l’inégalité des chances et permettre la promotion et la mobilité sociales. Si l’on n’a pas suffisamment de croissance, d’innovation, on aboutit à une société bloquée, une société grippée, une mobilité sociale insuffisante, et, par construction, cela crée beaucoup de problèmes de cohésion sociale. En outre, comme déjà évoqué, plus on parvient à promouvoir l’égalité des chances, plus nombreux sont les talents mobilisés, autant d’énergies qui vont contribuer à la croissance. On voit donc bien le lien vertueux existant entre ces différents éléments.
Qui plus est, les innovations créent des ruptures, en créant de nouvelles sources de croissance et de richesse. L’innovation entraîne donc des remises en cause des rentes acquises. Et c’est aussi cela qui permet la mobilité sociale. Aux États-Unis, si l’on voit tout à coup des gens apparaître dans les classements de fortune et développer très vite de nouvelles affaires, c’est parce qu’ils saisissent des innovations et elles peuvent connaître des évolutions personnelles fulgurantes.
Je ne dis pas que cela constitue un modèle en soi, mais simplement que, même à des échelles moindres, c’est indispensable. Plus il y a d’innovation, de capacité à inventer et plus il y a de croissance. Plus il est possible de dépasser les rentes et de favoriser la mobilité sociale.
Donc, il faut savoir assurer des politiques qui facilitent l’innovation et qui favorisent ce phénomène. A nouveau, l’économie de l’innovation, c’est l’économie du savoir, c’est l’éducation, c’est la formation professionnelle et c’est la promotion de tous les talents. C’est également la suppression des « trappes à la pauvreté » par, je l’ai déjà dit, une meilleure incitation à travailler, un meilleur soutien pour retrouver un emploi et faciliter les changements d’emplois dans des économies mouvantes.
Et cela aussi fait partie des réformes structurelles nécessaires. Pour encourager le progrès technique et les innovations, il faut aussi encourager la compétitivité par l’investissement.
La deuxième réflexion est de bien analyser les inégalités de revenu avant répartition et après répartition et le coût de cette répartition (2).
L’inégalité de revenu plutôt élevée avant répartition est compensée en France par la redistribution, une redistribution forte parce qu’on n’aime pas les inégalités en France. Ce qui est honorable, c’est un choix collectif, en quelque sorte. Mais une redistribution forte a un coût élevé en termes de prestations sociales, donc naturellement, en termes de cotisations sociales et d’impôts. Et, comme cela entraîne beaucoup de prélèvements sur les entreprises, cela rejaillit sur la compétitivité. Et une moindre compétitivité se traduit par moins d’emplois. Et on boucle ainsi. Car si l’on a moins d’emplois, on a des poches beaucoup plus fortes de pauvreté, donc de fortes inégalités de revenus avant distribution. Et on a du chômage de longue durée que l’on doit compenser par plus de redistribution, donc plus de coûts des entreprises. On rentre ainsi dans un cercle vicieux.
Ainsi, l’objectif devrait-il être très probablement d’éviter de trop réparer. Réparer est bien normal, mais mieux encore est de mieux faire en amont, pour réduire l’inégalité des revenus avant redistribution et éviter de tomber dans ce cercle vicieux. Plutôt prévenir que de beaucoup réparer.
Le taux d’emploi de la France est de 65 %. On se situe à environ 10 % de moins que celui des pays comparables. C’est une situation inacceptable en soi. En France, il n’y a pas assez de gens en âge de travailler qui exercent un emploi. Si l’on considère les deux extrêmes, entre 60 ans et 65 ans, il y a beaucoup moins de gens qui travaillent en France qu’ailleurs. Bien moins qu’en Allemagne, sans parler de la Suède, en se comparant toujours à des pays à modèles comparables. De même, il est très difficile pour des jeunes de trouver un emploi. Et on voit bien la corrélation : plus le taux d’emploi est faible, plus les prestations sociales sont fortes, pour compenser les inégalités ainsi créées.
Considérons maintenant la corrélation entre les taux d’emploi et la taille des politiques distributives. C’est-à-dire, en fait, les taux d’emploi et les différences entre les indices GINI avant et après répartition. La France affiche les plus fortes politiques de redistribution et les plus bas taux d’emploi.
La corrélation est évidente là encore pour les pays de l’OCDE. En raison de notre importante politique de redistribution, les cotisations sociales sont en France à peu près 60 % plus chères que la moyenne de la zone euro, donc que les cotisations des pays voisins et comparables.
Les entreprises sont ainsi structurellement moins compétitives. Ainsi, après cotisations sociales, part-on avec un désavantage considérable, en termes de coût global du travail. Cela se paye donc en manque d’emplois. Ce qui entraîne de fortes inégalités de revenu avant redistribution. D’où le fait que l’on redistribue fortement… Je ne pense pas qu’il faudrait arrêter la redistribution, ce n’est pas du tout mon propos. Mais que, pour faire une redistribution saine, normale, qui ne coûte pas en termes de croissance et d’emplois, il faut s’efforcer de permettre à beaucoup plus de gens de travailler, et ainsi à nos entreprises d’être plus compétitives. Sinon, on entre dans un cercle vicieux. L’enjeu est donc de faire en sorte qu’en amont même de la redistribution, on ait moins d’inégalités parce beaucoup plus de gens travaillent. Agir en amont pour moins réparer, c’est entrer dans un cercle vertueux, et c’est évidemment permettre à beaucoup plus de monde de travailler, donc de subir moins d’inégalités de revenu avant redistribution et, dans le même temps, accroître par là-même l’égalité des chances. Plus de gens qui travaillent entraîne plus de gens autonomes, bien moins de poches de pauvreté et beaucoup plus de gens socialisés, parce que le travail est une des principales formes de socialisation.
Espérons que ces chiffres et ces constats, parfois inattendus, parce que peu connus, comme ces analyses pourront contribuer à un débat utile quant aux réformes efficaces à mener, sans idées préconçues ou confusions entre l’objectif final, réduire les inégalités, au premier rang desquelles l’inégalité des chances forte en France, et les moyens à utiliser pour y parvenir. Bossuet écrivait déjà : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».
(1) Voir à ce sujet la théorie de la croissance, de type Schumpétérienne, de Philippe Aghion.
(2) – L’analyse du coût de la redistribution et du cercle vicieux créé entre les inégalités de revenu avant et après redistribution et le manque de compétitivité des entreprises françaises a été développée par Patrick Artus dans plusieurs « flash économie ».
Le chantier de la redéfinition de l’entreprise s’ouvre et avec lui, celui de la gouvernance. Les actionnaires restent au cœur de la gouvernance. La juste rémunération des risques impose de reconnaître leur rôle essentiel. Toute la question est de savoir comment mieux intégrer à leur côté l’intérêt des autres partenaires au sein de l’entreprise.
Longtemps, la question ne s’est pas posée. Wendel, Renault, Michelin… Actionnaires et dirigeants étaient les mêmes personnes, souvent des familles. Le capitalisme familial des origines ne connaissait pas de problème de gouvernance par construction. Mais, pour accompagner leur croissance, les entreprises ont ouvert leur capital, et, grâce à la bourse, ont offert à leurs actionnaires la possibilité de vendre leurs titres pour disposer de liquidités. L’actionnariat s’est dispersé. Son pouvoir sur les dirigeants s’est dilué.
Après-guerre, le capitalisme managérial s’est imposé majoritairement. Les dirigeants se sont émancipés des actionnaires et ont imposé leur contrôle sur l’entreprise fondé sur leur savoir-faire « technique ». C’est ainsi que s’est constituée la technocratie. Les intérêts des deux parties n’étaient plus alignés. Les dirigeants recherchaient la croissance et la pérennité de l’entreprise, insérant les salariés dans des organisations pyramidales. Mais cette configuration n’aboutissait pas toujours à la meilleure efficacité, ni à la meilleure rentabilité, créant des conglomérats souvent lourds et peu manœuvrant, qui délaissaient trop souvent l’intérêt des actionnaires.
Dans les années 80, en congruence avec la globalisation financière, les actionnaires ont rappelé aux dirigeants leur existence et la priorité de maximisation de la richesse. Cette évolution s’est traduite par la création de comités (audit, rémunération et nomination, stratégie…) et le développement de mécanismes d’incitation (primes, stock-options…), afin d’aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires. Toute une série d’indicateurs s’est imposée (return on equity, taux de distribution…), au même titre qu’est née la doctrine de la création de la valeur. Et si les résultats n’étaient pas au rendez-vous, les actionnaires permettaient des « raids » qui organisaient des prises de pouvoir offensives afin d’optimiser la valeur, parfois en découpant les groupes antérieurement constitués. Parallèlement, ces différents outils de rémunération fondés sur l’évolution de la valeur de l’entreprise ont favorisé l’innovation, en permettant aux « start-up » de recruter des talents qui participaient au risque de l’entreprise, alors que les salaires seuls n’auraient pas permis de les attirer.
Mais le capitalisme actionnarial a trouvé rapidement ses limites. Parce que les rendements financiers attendus semblaient garantis, la spéculation l’a souvent emporté sur les paris raisonnables. Pour respecter des normes minimales de rentabilité à court terme (15 %, quels que soient les secteurs d’activité et les taux d’intérêt sans risque, dans les années 90 et 2000), beaucoup d’entreprises se sont mises à racheter leurs actions pour soutenir leurs titres et/ou à augmenter leur ratio de levier. Le revenu des dirigeants a connu une évolution difficilement justifiable. En 1965, le revenu moyen d’un PDG de grand groupe américain représentait 44 fois celui d’un ouvrier. En 2000, 300 fois les plus bas salaires. Plus grave encore, face à ces attentes de rendements déconnectés de la réalité, on a vu apparaître des comportements non éthiques de créativité comptable : Enron, Worldcom, Parmalat et d’autres encore très récemment. A certains égards, les subprimes et leurs conséquences relèvent du même phénomène.
Les crises de 2000-2003 et de 2007-2009 en ont résulté, directement ou indirectement, avec leurs lots de très lourds coûts économiques et sociaux.
S’ouvre ainsi la nécessité d’aborder un nouvel âge de la gouvernance, celui d’un véritable capitalisme partenarial, à même de remettre, aux côtés des actionnaires, notamment les clients, les salariés et l’environnement de l’entreprise, selon un modèle mieux adapté aux révolutions commerciales, comportementales, éthiques, managériales et technologiques en cours.
L’actionnaire doit toujours occuper une place centrale en tant que mandant des dirigeants. Parce qu’il assume en théorie le risque sans disposer d’aucune certitude sur son rendement futur. La pratique a fait en sorte que les actionnaires soient, pour partie, protégés contre les évolutions négatives de la conjoncture, en reportant partiellement le risque sur les autres parties prenantes de l’entreprise. Sur les salariés, dont la variabilité de la rémunération ou de l’emploi a augmenté. Sur les sous-traitants, dont les marges de négociation vis-à-vis de leurs donneurs d’ordre se sont fortement affaiblies. Les clients sont parfois également des variables d’ajustement, à travers la moindre sécurité des produits ou l’obsolescence accélérée qui leur est imposée. L’environnement climatique est aussi l’un des impacts des choix des entreprises.
Ces partenaires doivent donc pouvoir être mieux pris en compte dans le cadre d’une gouvernance équilibrée, puisqu’ils prennent également une part du risque de l’entreprise. Mais aussi, parce que, sur le long terme, une entreprise est la rencontre de l’ensemble de ces parties prenantes. Et que les modes de régulation qui permettent d’atteindre les meilleurs compromis entre eux sont garants du développement durable et rentable de l’entreprise. A ce titre, les banques, coopératives ou mutualistes, sans rien sacrifier de leur efficacité, de par le fait que leurs clients en sont les propriétaires et élus aux conseils d’administration, de par leur modèle décentralisé qui renforce la proximité relationnelle non seulement avec les clients qu’elles servent, mais aussi avec les territoires sur lesquels elles opèrent en symbiose, enfin de par l’attention et la place qu’elles donnent aux salariés, représentent une des formes intéressantes possibles de la redéfinition de l’entreprise à gouvernance élargie. A elles de tirer avantage des nouvelles technologies qui permettent de renforcer encore la validité de leur modèle et leur pleine modernité. A chaque type d’entreprise, cotée, privée ou coopérative, grande ou petite, de réinventer la définition de l’entreprise et de sa gouvernance, de façon à la rendre partenariale. L’avenir de nos économies ouvertes et de nos sociétés démocratiques passe aussi par là.