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Institut Messine – Taux d’intérêt négatifs, le regard d’Olivier Klein, février 2016

SOMMAIRE

Remerciements

Avant-propos par Michel Léger

Introduction générale à la problématique des taux d’intérêt négatifs par Michel Aglietta et Natacha Valla

Robert Ophèle, Sous-gouverneur de la Banque de France

Maya Atig, Directrice générale adjointe de l’Agence France Trésor

Jesper Berg, Directeur général de l’Autorité de surveillance financière du Danemark

Philippe Capron, Directeur général adjoint de Veolia, en charge des finances

Jean-Jacques Daigre, Professeur émérite de droit bancaire et financier

Ramon Fernandez, Directeur général adjoint d’Orange, en charge des finances et de la stratégie du groupe. Ramon Fernandez occupait auparavant les fonctions de Directeur du Trésor et de Président de l’Agence France Trésor

Marc Fiorentino, Dirigeant fondateur d’Euroland Corporate

Hervé Hannoun, ancien Directeur général adjoint de la Banque des règlements internationaux

Philippe Heim, Directeur financier de Société Générale

Denis Kessler, Président-Directeur général de SCOR SE

Olivier Klein, Directeur général de la BRED, Professeur affilié à HEC en économie et finance, co-responsable de la Majeure « Managerial and Financial Economics » et du Mastère spécialisé du même nom

Le regard d’Olivier Klein* 

Quelle est votre opinion sur la complexité conceptuelle des taux négatifs ? Pensiez-vous, en tant que « patron » de banque et professeur d’économie, connaître un jour une telle situation ?

Le concept même de taux négatif est un peu troublant et si particulier que je ne pensais pas y être moi-même confronté un jour. Certains acteurs économiques s’y adaptent plutôt bien : certains de nos clients institutionnels placent désormais chez nous de l’argent à taux négatif. Ils préfèrent le placer chez nous à – 0,15 % qu’ailleurs à – 0,20 %.

Les taux négatifs s’expliquent par la configuration macroéconomique actuelle. La Banque centrale européenne (BCE) tente, avec ces taux négatifs, de retrouver un niveau d’équilibre épargne-investissement plus favorable à la croissance pour conjurer ce que certains décrivent comme la menace d’une stagnation séculaire. Mais il s’agit également « simplement » d’une période d’ajustement après une phase d’endettement excessif, comme cela s’est observé très souvent depuis le XIXe siècle après une crise financière. En tout état de cause, ce que recherche la BCE, c’est d’inciter les agents à ne pas laisser l’argent dormir et à investir, et les banques à faire crédit, mais aussi à favoriser le désendettement, en maintenant des taux bas par rapport aux taux de croissance nominal.

Pour le moment, l’usage des taux négatifs est limité au champ des opérations entre institutionnels et professionnels de la finance. Ce n’est pas encore le cas des entreprises en France – alors que des entreprises commencent elles aussi à déposer à taux négatif dans certains pays d’Europe.

On touche d’ailleurs là une limite très matérielle de la capacité du système à répercuter la baisse des taux dans toute l’économie : ni le système bancaire, qui a besoin des dépôts pour faire des crédits, ni les autorités pour des raisons fiscales et de sécurité, ne peuvent se permettre de négliger l’attrait que pourrait avoir, en particulier pour les ménages, le cash comme alternative à des dépôts portant un intérêt négatif. La France semble relativement préservée de ce risque par rapport à certains pays comme l’Allemagne, où la culture du cash est beaucoup plus développée.

Selon vous, pour quelles raisons a-t-il été nécessaire de mettre en place des taux négatifs en zone euro alors que le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ont pourtant eu recours à des politiques non-conventionnelles, n’y ont pas fait appel ?

Cela s’explique à mon avis par l’existence d’un risque de déflation plus marqué en zone euro qu’aux États-Unis, et que la BCE a, à juste titre, absolument voulu conjurer. Cela tient notamment à la crise de la zone euro, qui nous a valu un second ralentissement économique au sortir de la crise de 2008, due à la nature incomplète de notre union monétaire qui engendre un léger « biais déflationniste ». On peut aussi invoquer le moindre impact de l’« effet richesse » : aux États-Unis, la baisse des taux a rapidement permis un redressement de la valeur des actifs, en particulier de la bourse, qui s’est traduite par une reconstitution de la valeur de l’épargne des ménages – laquelle est, outre-Atlantique, bien plus investie sur les marchés en raison de l’importance des fonds de pension. Au total, il était nécessaire, en zone euro, de frapper encore plus fort sur les taux. Mais c’est une question de quantum, et pas de principe : la BCE n’est pas entrée en territoire négatif pour y entrer, mais pour baisser les taux autant que nécessaire, et la Banque d’Angleterre et la Fed ne sont pas restées en territoire positif pour éviter les taux négatifs, mais parce que les taux zéro étaient suffisants dans leurs cas respectifs.

Comment la rentabilité des banques de détail est-elle impactée par l’environnement de taux négatifs ?

Il faut distinguer l’effet de taux d’intérêt qui baissent et celui de taux négatifs. Structurellement, une banque prête à long terme et se refinance à court terme. En général, comme nous prêtons, en France, à taux fixe, il y a moins d’hystérésis à très court terme au passif qu’à l’actif des banques – autrement dit, si les taux baissent au même rythme sur toutes les échéances, le coût d’une partie de nos ressources diminue immédiatement, tandis que le produit des prêts ne décroît qu’avec le temps, au fur et à mesure du renouvellement de notre portefeuille de prêts. Ainsi, une baisse homothétique de la courbe des taux jouera en faveur des banques la première année.

Néanmoins, cette situation n’est que temporaire car, très rapidement, l’entrée en portefeuille de nouveaux crédits accordés à des taux inférieurs, l’amortissement des anciens crédits à taux supérieurs, mais aussi les demandes de renégociation de leur crédit immobilier formulées par les clients particuliers, provoquent une baisse des taux de nos actifs plus rapide que celle de nos passifs, qui contiennent beaucoup de ressources indexées sur les taux réglementés, variant moins rapidement. Cela nous amène à des taux de marge d’intermédiation détériorés, mais dans un quantum supportable et gérable. Puis, à terme, quand la courbe de taux se stabilise, si la pente de la courbe est restée constante, la marge nette d’intérêts se reconstitue peu à peu.

Ce qui se passe aujourd’hui est différent. D’abord, la marge nette d’intérêt se trouve comprimée par l’évolution du différentiel entre le taux long et le taux court, c’est-à-dire la pente de la courbe des taux. Les banques centrales cherchent en effet depuis deux ans à gouverner et à faire baisser non seulement les taux courts, qu’elles fixent toujours plus ou moins directement, mais aussi, ce qui est nouveau, les taux longs par des politiques de Quantitative Easing (QE) et par une gestion habile des anticipations des agents dans le cadre de la forward guidance.

Cette politique fonctionne bien, ce qui conduit à un écrasement de la courbe des taux, donc de la marge d’intérêt des établissements bancaires.

Les taux négatifs introduisent un élément additionnel, contrariant pour notre business model. Dès lors que, pour l’essentiel, nous ne répercutons pas la baisse des taux à nos déposants en deçà de zéro, la baisse du coût de notre ressource se heurte à une butée. Pour résumer, le produit de nos prêts, corrélé à des taux longs qui baissent, diminue, tandis que notre refinancement a un coût qui ne peut plus diminuer parallèlement, compte tenu de l’impossibilité de faire passer la rémunération de l’essentiel des dépôts en territoire négatif.

La pente des taux s’écrase ainsi encore davantage. On voit bien que cette situation est très défavorable à la rentabilité de nos établissements. Notre marge nette d’intérêt, qui a pu frôler les 6 % au début des années quatre-vingt-dix, plafonne à 2 % depuis des années et nous sommes tous rentrés, depuis 2014-2015, dans une phase de baisse graduelle supplémentaire, qui va s’accentuer encore les années prochaines, avec l’amortissement de nos crédits anciens à taux plus élevés et l’entrée en vigueur de nouveaux crédits à taux très bas.

Cette évolution sera durable, et il faut que les banques se résignent à vivre assez longtemps dans un contexte de marge d’intérêt très réduite : le mouvement ne peut pas, selon moi, s’inverser avant au minimum deux ou trois ans dès lors que la « repentification » de la courbe des taux s’opérera seulement dans le temps eu égard au faible taux de croissance potentielle de la zone euro et que ses effets bienfaisants pour nous ne se feront sentir qu’au fil du renouvellement de nos portefeuilles de prêts. Les conditions monétaires très particulières que nous vivons – taux négatif et QE – me paraissent sincèrement bienvenues du point de vue de l’économie générale : la BCE n’avait pas d’autre choix. Mais il faut être bien conscient qu’elles sont spécialement défavorables aux banques… Mais aussi aux assureurs, aux caisses de retraite, comme à tous ceux qui ont besoin de rendement de leurs actifs pour assurer les prestations attendues d’eux.

Les banques sont-elles dès lors contraintes de chercher de nouvelles sources de revenus ?

Il est indéniable que la baisse de la marge d’intérêt que je viens d’évoquer nous pousse à diversifier nos sources de revenus. Certes, les banques peuvent d’abord essayer de compenser l’érosion des marges par un effet volume sur les encours, mais on ne peut pas aller bien loin dans ce domaine : soit on essaie de gagner des parts de marché – ce que, par définition, tout le monde ne peut pas faire en même temps –, soit les banques, en tant qu’agrégat, comptent sur l’expansion générale du volume des crédits à l’économie – ce qui est peu de saison en raison du niveau médiocre de la croissance.

Les banques, si on les considère en tant qu’agrégat, peuvent donc penser jouer sur l’augmentation des commissions, c’est-à-dire rechercher une meilleure et plus juste facturation de leurs services. On constate d’ailleurs depuis quelques mois une évolution légère en ce sens. Mais, là encore, ce n’est pas aussi facile qu’on l’imagine souvent. D’abord, l’encadrement de notre activité par les différents dispositifs de protection du consommateur plafonne les possibilités. Mais, en plus, la concurrence est vive et ne donne pas beaucoup de marges de manoeuvre. En outre, le contexte de taux bas pèse sur certains types de commissions. On comprend bien, par exemple, que les « commissions de placement » dans le domaine de l’assurance-vie ne peuvent pas être les mêmes dans un contexte où les contrats rapportent 2,5 % ou 3 % que lorsque la rémunération classique de l’épargnant était de 5 % ou 6 %. C’est la même chose pour l’asset management. Nous voyons donc, sur beaucoup de produits, nos commissions baisser au fur et à mesure de la baisse des taux d’intérêt.

Restent les nouveaux services. Mon sentiment est que leur spectre est limité par les besoins objectifs et les attentes du client à l’égard de leur banque, et par la nécessité de maintenir une offre cohérente et raisonnable.

Ainsi, il ne semble pas que nous soyons très légitimes comme agence de voyage ou vendeurs d’ordinateurs,par exemple.

C’est pour cette raison que de nombreux acteurs tentent aujourd’hui, faute de pouvoir accroître leurs recettes pour compenser l’érosion de la marge d’intérêt, de réduire leurs coûts de fonctionnement, en réduisant par exemple le nombre d’agences bancaires. À l’argument « technologique » – l’utilité des agences s’érode dès lors que les clients utilisent de plus en plus intensément nos plateformes digitales –, s’ajoute de fait aujourd’hui un nouvel argument plus financier : si l’on ne peut rémunérer par une marge suffisante la transformation des dépôts en crédits, le coût des grands réseaux des agences devient rédhibitoire. Si cette vision, qui n’est pas exactement la mienne, venait à prospérer avec le temps, des milliers d’emplois seraient potentiellement en jeu dans la banque de détail.

Voyez que l’impact opérationnel du contexte monétaire que nous évoquons est loin d’être négligeable ! S’il existe donc des stratégies possibles de « sortie par le haut » de banques spécifiques, le secteur dans son ensemble est voué à faire face à des difficultés de rentabilité réelles.

L’écrasement des rendements pousse-t-il par ailleurs les banques à prendre plus de risques ?

On pourrait l’imaginer, mais ce n’est pas le cas. La nouvelle réglementation prudentielle laisse en effet de moins en moins de place à la prise de risques.

Précisément, quel est votre avis sur le rôle des ratios prudentiels dans le contexte de faible croissance et de taux très bas, voire négatifs, que l’on connaît aujourd’hui ?

En tant que banquier et professeur d’économie, je suis convaincu de longue date qu’il est nécessaire de mettre en œuvre des règles prudentielles et des politiques macro-prudentielles pour la raison toute simple que les marchés ne s’autorégulent pas d’eux-mêmes – cela a été mis en évidence dans de nombreuses contributions théoriques, mais aussi et surtout, hélas, dans les faits, avec la crise de 2008 notamment. La finance est intrinsèquement procyclique. La régulation prudentielle a donc un rôle crucial pour éviter autant que possible l’instabilité financière.

Mais il se trouve que les normes prudentielles mises en place depuis Bâle II, bien fondées sur bien des points, incorporaient également un caractère procyclique problématique. Le risque calculé par les RWA (Risk-Weighted Assets), fondé sur des mesures historiques, à volume de crédit égal, baissait en effet lors de la phase euphorique du cycle, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, rendait possible une augmentation de l’effet de levier des banques et un accompagnement de la hausse de la demande généralisée de crédit. Cela favorisait alors l’accumulation de situations financières fragiles des ménages comme des entreprises, dans un contexte où l’euphorie précisément conduisait emprunteurs comme prêteurs à sous-estimer le risque. Symétriquement, au moment du retournement, le risque avéré réapparaissait en bloc dans le livre des banques, ce qui pesait très naturellement sur leur propension à prêter, mais en plus, la contrainte des ratios prudentiels se tendait car l’augmentation du coût du risque enregistrée se traduisait par une remontée des RWA, donc par une insuffisance de capitaux propres, entraînant ainsi une plus forte baisse encore de la capacité à prêter. Ce mode de régulation bancaire pouvait alors favoriser la formation de bulles, comme leur éclatement, et accentuer les cycles financiers. Il était donc indispensable de les refonder, ce qu’a fait Bâle III, notamment par la création d’un coussin de fonds propres contra-cyclique.

Les mesures prudentielles ne sont-elles pas, aussi, facteur de risque en tant qu’elles contribuent à créer une forme de bulle obligataire, en particulier sur les titres d’État ?

Les banques font face progressivement, depuis Bâle III, à un durcissement de la réglementation avec des ratios de solvabilité plus stricts : il leur est demandé de détenir plus de capitaux propres pour les mêmes RWA et le poids du risque dans le calcul des RWA est plus fort qu’auparavant, en particulier pour les crédits aux entreprises ou pour les risques de marché. En cas de redémarrage plus puissant de l’économie, cela pourrait constituer un risque d’insuffisante capacité des banques à accompagner la reprise. Par ailleurs, les ratios de liquidité favorisent incontestablement le fait que les banques investissent dans les titres souverains.

Voulez-vous dire que la régulation prudentielle pousse finalement au rationnement du crédit pour les entreprises ?

Jusqu’alors, on a vraiment accusé en France les banques à tort. Il n’y a pas eu de rationnement du crédit aux entreprises, et les indicateurs de la Banque de France comme de la BCE le montrent clairement. Reprenons le déroulement des sept années qui viennent de s’écouler. L’essentiel de la baisse de la distribution de crédit observée dans les années qui ont suivi 2008 s’expliquait par une moindre demande de crédit : les entreprises coupaient leurs dépenses d’investissement et empruntaient moins, de par l’évolution conjoncturelle défavorable à laquelle elles faisaient face et leur manque de confiance dans l’avenir. Aujourd’hui encore, d’ailleurs, des taux très bas, voire négatifs, ne suffisent pas à eux seuls à donner envie d’emprunter.

Il est vrai cependant que, lorsque l’économie réelle était au tapis à la suite de la crise financière, on a pu observer, pendant quelques mois, moins la réticence générale à prêter qu’on a reprochée aux banques, qu’une plus grande sélectivité, d’ailleurs parfaitement compréhensible. Ne pas prêter aux entreprises dont l’avenir est très fortement compromis fait partie du rôle normal des banques. C’est une fonction économique de la profession, qu’elle doit pleinement assumer : si les banques, n’exerçant pas pleinement la « contrainte monétaire », accordaient des prêts à des entreprises qui avaient vocation à disparaître, elles créeraient des distorsions sur les marchés de leurs clients et nuiraient au bon développement des autres entreprises, celles qui sont saines et viables.

Aujourd’hui, nous sommes sortis de cette période. En revanche, avec les nouveaux ratios de liquidité et de solvabilité, il va maintenant être progressivement plus difficile pour les banques de suivre une trajectoire de la demande de crédit qui s’améliorerait significativement.

Comment se retrouve-t-on dans cette situation alors même que l’objectif des autorités, politiques et monétaires, est de faciliter l’octroi de crédit par tous les moyens pour favoriser la croissance ?

La vérité est que les banques ont été considérées comme fautives de la crise, ce qui est, à mon avis, une vision à tout le moins parcellaire et sans doute fausse, en tout cas en Europe, même si on peut plaider qu’elles ont inévitablement été un facteur de propagation de la crise. On est aujourd’hui, à ce titre, dans une phase historiquement classique de « répression financière », post-crise de surendettement, marquée par des taux d’intérêt très bas et un durcissement des exigences qui pèsent sur les banques : on se dit qu’il faut à tout prix « éviter ça » pour l’avenir. Ce souci se traduit par une quantité de réglementations nouvelles ou durcies, cela au moment même où, de fait, l’on mobilise une politique monétaire visant à relancer le crédit avec l’usage d’instruments inédits, comme les taux négatifs justement ou le QE.

Le plus paradoxal est que, bien conscients de cette contradiction, les banquiers centraux semblent aujourd’hui, pour en sortir, inviter au développement de la désintermédiation et de la titrisation, qu’on vouait pourtant aux gémonies il y a quelques années seulement à raison du rôle qu’elles ont effectivement joué aux États-Unis dans l’accumulation de mauvais risques débouchant finalement sur la crise. Ainsi, on voit aujourd’hui des hedge funds, des assets managers, des assureurs, des mutuelles de santé et des gestionnaires de retraite prêter aux entreprises, alors qu’ils n’ont pas l’expertise historique des banques pour le faire. Il y a une asymétrie d’information considérable entre ces nouveaux prêteurs et ceux à qui ils prêtent. Certains, comme les hedge funds ne sont en outre pas ou peu régulés.

Ne doit-on pas cependant se féliciter de voir certaines entreprises, en particulier de belles ETI, avoir enfin accès au marché, en particulier grâce au développement de l’Euro PP ?

En théorie, certes. Mon sentiment est cependant qu’il convient d’être très prudent, car toutes les entreprises de taille moyenne ne peuvent effectivement pas supporter un tel type de financement sans se mettre en danger, en particulier en raison du mode d’amortissement de tels prêts. Les banques ont l’habitude de demander aux petites et moyennes entreprises de procéder à un remboursement annuel en leur accordant des crédits amortissables. C’est une saine pratique : l’entreprise sait alors qu’elle doit dédier une partie de son cash-flow annuel au remboursement de ses crédits et surveiller ses ratios de gestion. Les Euro PP sont très différents puisque, en y ayant recours, les entreprises peuvent se financer par exemple jusqu’à cinq ans avec un remboursement in fine. Le dispositif est d’autant plus attractif aujourd’hui que les taux sont très bas et les spreads peu élevés.

Dans le cas des grandes entreprises, qui émettent des obligations dans le cadre de programmes d’émission annuels élevés, un financement avec remboursement in fine s’apparente d’une certaine manière à un crédit amortissable, puisqu’on retrouve une forme d’échéancier d’amortissement : si par exemple l’horizon moyen des obligations émises annuellement est de sept ans, alors 1/7e des emprunts en cours doit être remboursé chaque année. En revanche, seuls certains types d’entreprises de taille moyenne sont en mesure d’émettre des Euro PP régulièrement. La plupart se créent donc devant elles une échéance unique et différée, ce qui signifie concrètement que, le moment venu, elles risquent de se retrouver face un mur de la dette qu’elles ne pourront surmonter que si elles sont capables, à ce moment-là, de réemprunter le montant total de l’emprunt qu’il leur faut rembourser d’un coup.

Deux inconvénients : premièrement, personne ne sait dans quelle situation l’entreprise se trouvera à ce moment-là et, deuxièmement, durant la durée de l’Euro PP, la contrainte de cash-flow a été levée pour elle – ce qui, dans certains cas, pourrait être une forme de pousse au crime.

Voulez-vous dire que seules les banques soient capables de distribuer du crédit sans prendre ni faire courir de risque excessif ?

Je crois évidemment tout à fait à l’utilité de la coexistence de la banque et des financements de marché ! Mais je ne crois pas que le marché soit obligatoirement autant approprié pour des entreprises de taille modeste. Le rôle de la banque est irréductible parce que la banque a une bonne connaissance de l’emprunteur et parce qu’elle garde le risque dans son bilan, ce qui l’amène, dans son propre intérêt, à ne pas prêter n’importe comment et à « monitorer » son client dans le temps.

On sait d’ailleurs que, aux États-Unis, la titrisation a été l’un des facteurs qui ont facilité le surendettement au début des années deux mille : les banques étaient en partie déresponsabilisées puisque, ne conservant pas le risque dans leurs livres, elles étaient moins sélectives sur les emprunteurs et ne les « monitoraient » plus par la suite. Il y a un problème majeur d’incitation à la sélection dans le financement par le marché dès lors que l’on sort du cas des très grands emprunteurs qui peuvent, à travers des agences de notation, comme à travers beaucoup de communication sur leur propre situation, payer le coût de l’information financière qui réduit l’asymétrie d’information. Ce défaut intrinsèque de la titrisation a été corrigé pour partie par certaines dispositions de Bâle III, qui exigent des banques qu’elles conservent un quota des risques liés aux crédits qu’elles titrisent. L’élan que l’on connaît aujourd’hui vers plus de désintermédiation pourrait être un facteur d’accroissement de l’instabilité financière, alors que le crédit bancaire est, lui, un facteur de stabilité s’il est bien régulé. La part de l’intermédiation bancaire détermine selon moi le niveau de stabilité d’un système financier dans son ensemble.

Les banques ne se contentent pas, en effet, de mobiliser l’épargne au service de l’investissement : ce sont des centrales de risque. Elles prennent sur elles les risques de contrepartie dans l’acte de crédit, les risques de taux d’intérêt et de liquidité dans l’acte de transformation (transformation des échéances courtes de l’épargne en échéances longues en moyenne du crédit). Les risques ne sont pas créés par les banques, mais gérés par elles, dont elles soulagent l’économie. Elles les gèrent prudemment, professionnellement et dans un cadre réglementé. Les marchés sont utiles à l’économie, mais eux laissent le risque de crédit de taux d’intérêt et de liquidité aux prêteurs ou aux emprunteurs, ce qui est tout à fait différent !

En augmentant la part de la désintermédiation, on ne va pas réduire le risque, on va le déplacer vers une multiplicité d’acteurs moins équipés que les banques pour le gérer. La question de la proportion entre banques et marchés, entre intermédiation et désintermédiation, est donc cruciale pour la stabilité financière. Tout comme la qualité, la pertinence et le champ d’application de la réglementation prudentielle elle-même, hautement indispensable d’ailleurs.

Cependant, comme vous l’avez dit plus haut, les évolutions sociologiques et technologiques d’une part et le contexte monétaire d’autre part semblent menacer la raison d’être même de la banque, en tout cas sur le marché des particuliers. Le business model de la banque « retail » survivra-t-il à ces secousses ?

Il y a indéniablement des changements profonds dans notre activité. Cela nous invite à revenir aux invariants économiques qui justifient notre existence, tout en assurant les changements indispensables pour prendre en compte la « révolution client », due à la révolution technologique. Le particulier a et aura toujours besoin d’un conseiller fiable et professionnel pour parler avec lui de ses projets de vie et être conseillé sur ses principaux crédits – immobilier en tête –, son épargne, sa protection retraite… Mais les particuliers exigent aujourd’hui plus de praticité dans leur relation avec la banque, par exemple avec l’utilisation en fort développement d’internet et des smartphones. Ils veulent également une plus grande pertinence du conseil qui leur est prodigué. Mais ils souhaitent toujours accéder à un interlocuteur qualifié et qui les connaît lorsqu’ils doivent prendre des décisions importantes. Miser sur le capital humain, donner plus de praticité et plus de valeur ajoutée au conseil bancaire, tout en utilisant la révolution technologique tant pour l’usage de ses clients que pour repenser sa propre organisation, est certainement un défi crucial, industriel et humain, de la banque de détail qu’il faut relever très vite.


*Interview réalisée en novembre 2015

Rapport Institut Messine abstract

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« Banque et nouvelles technologies : la nouvelle donne »

Les nouvelles technologies engendrent pour chacun un nouveau rapport au monde, une nouvelle façon de penser le temps et l’espace, une autre manière de concevoir l’information, les connaissances et l’autonomie d’action. De fait, elles induisent une série de révolutions en chaîne dans notre vie quotidienne, comme dans l’entreprise.

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La banque sans distance, le nouveau monde

Fait sociologique, les nouvelles technologies ont changé nos vies. Quels en sont les impacts sur celle de l’entreprise ?

Olivier KLEIN : C’est indéniable, les nouvelles technologies engendrent un nouveau rapport au monde. De fait, elles induisent une série de révolutions en chaîne, dans notre vie quotidienne, et dans l’entreprise en particulier. La première est une révolution commerciale, qui bouleverse les rapports de force entre les producteurs, les distributeurs et les consommateurs. Elle vient de la prise de pouvoir du client due précisément aux nouvelles technologies : plus avertis, plus informés, les consommateurs bénéficient d’une plus grande liberté de choix.

Le distributeur peut en sortir plus fort que jamais s’il s’avère capable de bien connaître et fidéliser ses clients. Appuyé sur une excellente maîtrise des données dont il dispose sur le comportement de chaque client, comme sur la relation qu’il entretient à long terme avec lui, il lui faut chercher la combinaison, en prix comme en qualité, de produits et de services qui correspond le mieux aux besoins du client individualisé et monter les solutions avec lui.

Ce qu’il faut bien percevoir dans ces nouveaux rapports de force, c’est que l’absence de valeur ajoutée apportée au client, c’est-à-dire l’absence de qualité du conseil comme l’absence de proposition des meilleures combinaisons de produits et de services adaptés à chacun, conduisent tout droit à la numérisation totale de la relation client-fournisseur. Et à la disparition du rôle économique du distributeur, avec l’apparition d’une relation directe producteur-client, ou avec l’apparition de pure-players Internet de la distribution, forme low-cost de la relation client.

Il y a les comportements du producteur, du distributeur, du client, qui évoluent. Qu’en est-il de ceux du collaborateur ?

O.K. : Justement. Autre conséquence pour l’entreprise, ce sont les changements de comportement des salariés. La révolution technologique positionne les collaborateurs au centre de l’entreprise, avec des impacts sur l’organisation. Aujourd’hui, par exemple, les cadres ne sont plus crédibles – et sont incapables d’entraîner leurs collaborateurs – s’ils ne fondent pas leur autorité sur la valeur ajoutée qu’ils apportent à leurs équipes, et non sur la détention d’informations qui circulent désormais librement et gratuitement dans toute l’entreprise.

’autant que les collaborateurs expriment un besoin accru d’autonomie, soutenu et renforcé par cette même révolution technologique. Développer l’esprit d’entreprendre est devenu un véritable enjeu pour les grandes entreprises. Aujourd’hui, les individus – et tout particulièrement les salariés des sociétés – aspirent à comprendre le sens de leur contribution à l’entreprise : ils souhaitent en partager la stratégie et le choix du mode d’organisation, pour y adhérer plus naturellement.

Cela n’implique-t-il pas de revoir les organisations traditionnelles ?

Bien évidemment, les organisations très hiérarchisées, verticales, nées des années 50/60, si elles n’ont pas su se moderniser, sont devenues moins efficaces et plus difficiles à gérer : elles mobilisent moins, car la proximité managériale est plus cruciale que jamais ; plus rigides, moins flexibles, elles ne sont plus en phase avec un monde et un environnement de plus en plus complexe et mouvant. A contrario, les entreprises organisées en réseau – réseau entre les différentes parties de l’entreprise ou entre différentes entreprises – sont plus adaptables plus agiles, absorbent mieux les chocs et gèrent mieux la complexité.

Et puis, il y a le facteur sociétal. Il doit être traité très sérieusement, car la société devient une véritable partie prenante de l’entreprise, Internet et réseaux sociaux obligent. La RSE, l’engagement sociétal, la réputation des entreprises sont devenues des facteurs importants de leur réussite.

En bref, il n’y a pas d’autre issue, pour se faire entendre dans ce nouveau monde, que de suivre ou plutôt même d’anticiper les usages des gens. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : il n’y a pas d’un côté le digital, et de l’autre, la vie comme avant. Les nouvelles technologies ont changé nos façons d’agir et notre rapport au monde.

Une plus grande proximité managériale, une meilleure compréhension des attentes des clients, une ouverture au monde entrepreneurial, une forte capacité d’absorption des chocs, des mutations et de la complexité, tels sont les ingrédients de l’entreprise, aujourd’hui. Et la banque dans tout cela ?

O.K. : C’est aussi une entreprise… moteur de l’économie, qui plus est. L’entreprise-banque, et plus spécifiquement la banque commerciale, n’échappe pas à ces bouleversements, bien au contraire, étant au cœur de l’activité économique.

Qu’il s’agisse de la banque en ligne, du mobile banking, du paiement et, plus généralement, de la relation entre la banque et ses clients particuliers, l’accélération de la révolution numérique pousse à se demander s’il y a encore de la place pour des agences bancaires au coin de la rue. Pour moi, la réponse est positive.

Mais il faut bien se rendre à l’évidence : les nouveaux outils numériques ont altéré deux paramètres, le facteur-temps et le facteur-distance. La relation entre le client et sa banque est devenue immédiate, et l’achat de produits ou de services bancaires se fait maintenant à distance. Le client pousse de moins en moins la porte de son agence bancaire, sauf pour traiter de ses projets de vie significatifs. Et c’est bien là, le cœur du réacteur.

La banque doit donc se réinventer. Sans perdre de temps. Mais il convient de bien faire la distinction entre les pratiques dépassées et les pratiques qui restent indispensables parce qu’elles sont l’essence même du métier. Deux invariants sont les piliers de la banque commerciale. D’une part, la demande bancaire ne diminue pas en volume : elle s’exprime différemment, avec de nouvelles exigences. Les gens n’ont ainsi pas moins besoin de banques.

D’autre part, la relation intuitu personae reste un élément fondamental du métier de banquier de proximité. Car la banque n’est pas un métier de production de produits ; la banque est un métier de relations humaines, fondé sur la capacité à proposer le bon conseil et le bon service, au bon moment, quel que soit le canal proposé. Parce que la banque traite des projets de vie et d’entreprise – du temps long -, et que ce traitement implique une relation personnalisée et durable avec un conseiller bancaire pertinent. Ce sont nos clients qui le disent.

Alors, que faire ? Faut-il mettre en place des banques en ligne, sans contact humain, au détriment des agences ?

O.K. : La seule issue passe par notre agilité à réinventer la banque de proximité. J’insiste, la relation personnelle entre un conseiller et son client est non négociable. Surtout dans un groupe bancaire composé de banques régionales de proximité.

otre force réside dans notre capacité à promouvoir ce que j’appelle « la banque sans distance », par différence avec la notion de « banque à distance » qui fait l’hypothèse qu’une banque complète peut se passer totalement d’un réseau d’agences.

Que recouvre ce concept ? Tout naturellement ce qu’exigent les clients avec la révolution technologique, sans couper court avec une relation personnalisée forte : plus de praticité. Conserver un relationnel fort avec son conseiller bancaire, mais par le canal de son choix, téléphone, email ou en rendez-vous physique, en fonction du sujet que l’on veut traiter, du moment de la journée… Mais cela recouvre aussi une meilleure réponse au besoin d’un conseil encore plus avisé, plus pertinent, plus approprié. Fini les produits que les banques cherchaient à vendre par le biais de successions de campagnes indifférenciées.

Pourvu qu’elle soit plus agile, plus interconnectée et plus proactive, la banque de réseau a tout en main pour préserver sa relation fondamentale avec ses clients en croisant sa force – la proximité – avec les nouveaux outils – Internet, tablette, smartphone. En combinant le meilleur de la banque traditionnelle et le meilleur de la banque en ligne.

Concrètement, dans chaque agence, chaque conseiller devient ainsi le porteur du multicanal. Ce qui revient, comme je le disais, à offrir au client la possibilité de traiter, à son choix, les sujets d’importance avec son conseiller attitré en face à face, par téléphone ou par e-mail, sans se déplacer. Et, surtout, avec toujours le même conseiller. Le reste, c’est-à-dire la banque au quotidien, se traitant évidemment sur son téléphone mobile. On peut en outre parfaitement développer, parallèlement aux agences, des banques en lignes avec des conseillers attitrés pour les clients très mobiles ou très peu disponibles.

Quels risques encourez-vous en développant une telle stratégie d’entreprise ?

O.K. : Le plus grand risque serait de ne pas admettre qu’il est indispensable de changer. Mais il faut le faire en respectant les fondamentaux essentiels et pérennes. J’évoquerai aussi les investissements nécessaires. Un tel modèle de « banque sans distance » engendre automatiquement des coûts salariaux plus élevés que ceux d’une banque à distance de type low cost. Cela conduit la banque à concentrer ses ressources – à commencer par ses collaborateurs – sur l’apport d’une valeur ajoutée, pour justifier la rémunération du service proposé. Et, partant, à miser sur le capital humain, seul véritable facteur de différenciation dans la banque. La compétence, la réactivité et la proactivité sont clé. Tout comme l’utilisation intelligente et non intrusive d’un CRM pertinent – ou bigdata – pour anticiper au mieux les besoins de chaque client. Mais aussi, et surtout, en profilant les réseaux pour les rendre plus agiles, en répartissant mieux les expertises et en articulant de façon optimisée le physique et le numérique. L’agence n’est pas morte, loin de là. Mais elle doit fusionner dorénavant deux concepts : la e-agence et l’agence physique, c’est-à-dire le meilleur de la modernité et le meilleur de la tradition. Et elle doit être plus mobile, plus alerte.

Et tout cela, pour sortir par le haut. C’est aussi ce que peuvent permettre les nouvelles technologies. Elles ne sont pas qu’une menace. Car dans un environnement où le revenu bancaire a tendance à baisser indéniablement macro-économiquement, le défi majeur d’un tel modèle est stratégique. Si nous n’étions pas à la hauteur des attentes du client, ce dernier irait naturellement vers des pures banques en ligne moins chères. Sans état d’âme.
Cela relève donc de la transformation interne, c’est-à-dire de l’augmentation de la valeur ajoutée de chaque conseiller et de notre capacité à rendre nos réseaux plus agiles. Les nouvelles technologies nous y aident en retour.

Mais ne nous cachons pas la face, cette nouvelle orientation implique en outre plusieurs autres chantiers de longue haleine. En vrac : réétudier les outils pour mieux aider les commerciaux, revisiter les process en utilisant le numérique pour revoir les parcours clients, du « front » jusqu’aux « back offices ». Il s’agit par exemple de faciliter la vie des clients et des collaborateurs de la banque tout en maîtrisant les coûts, de faire participer les clients, qui y trouveront avantage, à l’élaboration même des contrats, de développer la signature électronique, etc. Une véritable réforme organisationnelle est en marche.

Quelle motivation mettez-vous en avant auprès de vos collaborateurs pour les faire adhérer à ce projet ?

O.K. : Les collaborateurs comprennent que, plus que toute autre, la banque doit être à l’écoute des nouveaux comportements et nouveaux usages de nos clients et de notre société, d’autant à nouveau que ce sont le mode relationnel et la qualité de la prestation qui sont les vrais atouts différenciants dans la banque. C’est donc vital.

Et ces réformes, en outre, permettent à chaque conseiller de développer un rôle d’entrepreneur de son propre portefeuille. Cette révolution technologique apporte en effet des degrés de liberté qui responsabilisent les commerciaux. Le métier de banquier est toujours plus passionnant. Et le métier de directeur d’agence reprend beaucoup de sens. N’est-ce pas la plus forte motivation pour chacun ? Vous savez, plus les institutions sont grandes, plus nous avons besoin de proximité, relationnelle avec les clients, managériale avec les collaborateurs. 

Cet article est la retranscription d’une conférence prononcée en décembre 2015 et qui a fait l’objet d’une publication dans des termes quasiment identiques dans la Revue d’Economie Financière de janvier 2016.

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Olivier Klein : « Les Banques Populaires ont soif de projets d’investissement à financer »

Olivier Klein, l’invité des Echos

La reconfiguration du réseau : « Si nous avons vu les revenus de nos réseaux d’agences progresser de 5 % en 2014, c’est parce que nous avons cherché à faire converger l’agence physique et le numérique. Le commercial est toujours le pivot de la relation, mais le client doit pouvoir le contacter par le canal le plus approprié (courriel, téléphone ou agence) selon le moment de la journée. Nous avons aussi reconfiguré notre réseau d’agences, avec des spécialistes sur un segment de clientèle qui peuvent se déplacer dans plusieurs agences en fonction des besoins. »

Une conjoncture difficile : « Les taux très bas laissant des marges très faibles, un marché hypermature, des réglementations de plus en plus contraignantes… Cela fait beaucoup de choses, mais, à la BRED, il y a encore beaucoup de potentiel de développement interne et externe. Nous avons encore des parts de marché à prendre et des clients avec lesquels nous n’avons pas encore de relations suffisamment intenses. »

L’octroi de crédits aux PME : « Des enquêtes de la BCE et de la Banque de France montrent que le niveau actuel d’octroi de crédits fait partie des plus élevés de notre histoire. Les banques populaires ont soif de projets d’investissements à financer ! Elles répondent « oui » dans 85 % des cas aux demandes de financement des projets d’équipement des PME et ETI. »

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« Oui, il y a encore de la place pour la banque de réseau »

Les nouvelles technologies bouleversent des pans entiers de l’économie de la distribution et des modèles de consommation. La banque de détail n’y échappera pas. Qu’il s’agisse de la banque en ligne, du « mobile banking », du paiement et plus généralement de la relation entre la banque et ses clients particuliers, l’accélération de la révolution numérique pousse à se demander s’il y aura encore demain de la place pour des agences bancaires au coin de la rue.

Les nouveaux outils numériques ont altéré le facteur temps – la relation entre le client et sa banque est devenue immédiate -, et celui du lieu – l’achat peut se faire à distance. Dans le même temps, ils poussent à une « hyperpersonnalisation » du service. « La banque n’est plus quelque part où vous allez. Elle est quelque chose que vous faites », a bien résumé Brett King, auteur de « Bank 3.0 ».

Le téléscopage entre ces innovations et les nouveaux modèles de consommation qu’elles façonnent se traduit par des ruptures encore inimaginables il y a peu. Le client pousse de moins en moins la porte de son agence bancaire, si ce n’est pour traiter de ses projets de vie significatifs.

La banque doit donc se réinventer. Mais il convient de bien faire le tri préalablement entre les pratiques dépassées et les pratiques qui restent indispensables parce qu’elles sont l’essence du métier. La banque commerciale s’appuie sur deux invariants. Primo, la demande bancaire ne diminue pas en volume. Elle s’exprime différemment avec de nouvelles exigences. Deuxio : la relation intuitu personae reste un élément fondamental de ce métier. La révolution numérique ne casse pas le lien entre le client et son banquier. Elle diversifie les canaux par lesquels cette relation s’organise. La banque n’est pas un métier de produits. Les produits bancaires se copient quasi instantanément, sans copyright. La banque est un métier de relations humaines fondé sur la capacité à proposer le bon conseil et le bon service, au bon moment, quel que soit le canal utilisé.

Alors, que faire ? Attendre passivement que le mauvais moment passe ? Ce serait suicidaire. Réduire nos capacités d’offre pour s’ajuster à la baisse possible ou déjà constatée des revenus bancaires ? C’est, à mon sens, une voie à elle seule peu porteuse d’avenir. La seule issue passe par notre capacité et notre agilité à réinventer la banque de proximité. Et pour cela promouvoir la banque sans distance plutôt que de nous jeter à corps perdu dans la banque à distance. Qu’exigent nos clients avec la révolution technologique ? Plus de praticité. Plus de conseil approprié. Pas des produits que nous chercherions à leur vendre coûte que coûte, dans des successions de campagnes commerciales indifférenciées.

Pourvu qu’elle soit plus agile, plus interconnectée et plus proactive, la banque de réseau a tout ce qu’il faut pour préserver sa relation fondamentale avec ses clients en croisant sa force (la proximité) avec les nouveaux outils (« smartphone », tablette, Internet…). Soit la possibilité pour le client, à son choix, de traiter les sujets d’importance avec son conseiller attitré en face à face, par téléphone ou par e-mail sans se déplacer. Le reste, c’est-à-dire la banque au quotidien, se traitant évidemment sur son téléphone mobile.

Un tel modèle de banque sans distance aux coûts salariaux nécessairement plus élevés que ceux de la banque à distance lorsqu’elle est low cost n’est concevable que si le client est prêt à rétribuer le service proposé. Cela doit conduire nos banques à concentrer leurs ressources, à commencer par leurs collaborateurs, sur l’apport de valeur ajoutée. Et, partant, à miser sur le capital humain, seul véritable facteur de différenciation dans la banque.

Tel est l’enjeu majeur des banques de réseau. Sortir par le haut. Eviter le repli du moins-disant. Chercher la meilleure valeur ajoutée pour le client. C’est possible.

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« Oui, il y a encore de la place pour la banque de réseau » (version complète)

Les nouvelles technologies bouleversent des pans entiers de l’économie de la distribution et des modèles de consommation. La banque de détail n’y échappera pas. Qu’il s’agisse de la banque en ligne, du mobile banking, du paiement et plus généralement de la relation entre la banque et ses clients particuliers, l’accélération de la révolution numérique pousse à se demander s’il y aura encore demain de la place pour des agences bancaires au coin de la rue.
Les nouveaux outils numériques ont altéré le facteur temps – la relation entre le client et sa banque est devenue immédiate, et celui du lieu – l’achat peut se faire à distance. Dans le même temps, ils poussent à une « hyperpersonnalisation » du service. «La banque n’est plus quelque part où vous allez. Elle est quelque chose que vous faites » a bien résumé Brett King, auteur de Bank 3.0.
Le téléscopage entre ces innovations et les nouveaux modèles de consommation qu’elles façonnent se traduit par des ruptures encore inimaginables il y a peu. Le client pousse de moins en moins la porte de son agence bancaire, si ce n’est pour traiter de ses projets de vie significatifs.

La banque doit donc se réinventer. Sans perdre de temps. Tout le monde le reconnaît. Mais il convient de bien faire le tri préalablement entre les pratiques dépassées et les pratiques qui restent indispensables parce qu’elles sont l’essence du métier. La banque commerciale s’appuie sur deux invariants. Primo, la demande bancaire ne diminue pas en volume. Elle s’exprime différemment avec de nouvelles exigences. Deuxio : la  relation intuitu personae reste un élément fondamental de ce métier. La révolution numérique ne casse pas le lien entre le client et son banquier. Elle diversifie les canaux par lesquels cette relation s’organise. La banque n’est pas un métier de produits. Les produits bancaires se copient quasi instantanément, sans copyright. La banque est un métier de relations humaines fondé sur la capacité à proposer le bon conseil et le bon service, au bon moment, quel que soit le canal utilisé. Parce qu’elle traite des projets de vie et d’entreprise, donc du temps long, et que ce traitement nécessite une relation personnalisée et durable avec son conseiller bancaire. Une relation plébiscitée par les clients.

Alors, que faire ? Attendre passivement que le mauvais moment passe ? Ce serait suicidaire. Réduire nos capacités d’offre pour s’ajuster à la baisse possible ou déjà constatée des revenus bancaires ? C’est, à mon sens, une voie à elle seule peu porteuse d’avenir. La seule issue passe par notre capacité et notre agilité à réinventer la banque de proximité. Et pour cela promouvoir la banque sans distance plutôt que de nous jeter à corps perdu dans la banque à distance. Qu’exigent nos clients avec la révolution technologique ? Plus de praticité. Plus de conseil approprié. Pas des produits que nous chercherions à leur vendre coûte que coûte, dans des successions de campagnes commerciales indifférenciées.

Pourvu qu’elle soit plus agile, plus interconnectée et plus pro-active, la banque de réseau a tout ce qu’il faut pour préserver sa relation fondamentale avec ses clients en croisant sa force (la proximité) avec les nouveaux outils (« smartphone », tablette, internet…). En proposant dans chaque agence la combinaison du meilleur de la banque traditionnelle et de la banque en ligne. La qualité renouvelée et renforcée du conseil personnalisé et la praticité de la banque sans distance. Soit la possibilité pour le client, à son choix, de traiter les sujets d’importance avec son conseiller attitré en face à face, par téléphone ou par e-mail sans se déplacer. Le reste, c’est-à-dire la banque au quotidien, se traitant évidemment sur son téléphone mobile.

Un tel modèle de banque sans distance aux coûts salariaux nécessairement plus élevés que ceux de la banque à distance lorsqu’elle est low cost n’est concevable que si le client est prêt à rétribuer le service proposé. Cela doit conduire nos banques à concentrer leurs ressources, à commencer par leurs collaborateurs, sur l’apport de valeur ajoutée. Et partant à miser sur le capital humain, seul véritable facteur de différenciation dans la banque. Sa compétence, sa réactivité et sa proactivité sont clé. Tout comme l’utilisation intelligente et non intrusive du « bigdata » pour anticiper au mieux les besoins de chaque client. Mais aussi en profilant les réseaux pour les rendre plus agiles, en répartissant mieux les expertises et en articulant de façon optimisée le physique et le numérique. Les nouvelles technologies le permettent.
Tel est l’enjeu majeur des banques de réseau. Sortir par le haut. Eviter le repli du moins-disant. Chercher la meilleure valeur ajoutée pour le client. C’est possible.