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Conjoncture Politique Economique Zone Euro

Sommes-nous en économie de guerre ?

Le conflit en Ukraine fait l’objet de nombreux débats dans les milieux diplomatiques et militaires. Mais chez les économistes aussi. Certains estiment même que nous sommes en économie de guerre. Que veulent-ils dire ?

Qu’en économie de guerre, l’Etat dépense massivement pour financer les équipements militaires, le soutien à ses alliés, l’accueil des réfugiés, l’indépendance énergétique. Il  y a des pénuries. Les prix montent.

Malgré cela, la Banque centrale fait tourner la planche à billets pour financer ces dépenses et ne se préoccupe plus de l’inflation, ce qu’elle fait d’habitude. Ce rôle revient à l’Etat, qui gère les conséquences en bloquant les prix – comme on le voit sur le gaz ou l’électricité – ou en instaurant des rationnements.

Quand on est en économie de guerre, la Banque centrale ne remonte donc pas les taux d’intérêt et ne demande pas aux Etats de surveiller leurs déficits.

Et qu’en pense Christine Lagarde, la présidence de la Banque Centrale Européenne ?

C’est très compliqué pour elle, car clairement, le mandat de la BCE n’a pas prévu qu’il y aurait un jour une guerre si proche en Europe. Juridiquement, sa seule mission est donc d’assurer la stabilité des prix, de lutter contre l’inflation, et elle n’a théoriquement pas le droit de financer les dépenses des Etats.

Pourtant on a vu pendant la pandémie qu’elle pouvait le faire en rachetant des obligations de la France ou de l’Italie. Tout le monde a donc le regard tourné vers elle.

Or jeudi dernier, elle a confirmé que la BCE voulait arrêter d’acheter des dettes publiques au troisième trimestre. C’est donc bien qu’à ses yeux, il est plus important de lutter contre l’inflation que de soutenir l’économie comme si on était en guerre. En tout cas, pour l’instant.

Et les économistes sont d’accord avec ça ?

Et bien, il y a deux camps. Ceux comme Patrick Artus conseiller de la banque Natixis, ou Xavier Ragot, qui dirige l’OFCE, l’institut de conjoncture rattaché à Sciences po. Pour eux nous sommes doublement en économie de guerre: pour soutenir l’Ukraine et pour lutter contre le réchauffement climatique.

Et à l’opposé, il y a des économistes comme Olivier Klein, prof à HEC et directeur de la Bred, banque du groupe Banque Populaire, ou Philippe Aghion, professeur au Collège de France, qui sont beaucoup plus prudents et qui considèrent qu’il faut faire attention aux dépenses et à la hausse des prix. Plus de quoi qu’il en coûte, donc. Sinon, tôt ou tard, les investisseurs et tous les Européens pourraient perdre confiance dans leur monnaie, l’euro.

Ils préféreraient alors des placements en or, en franc suisse, qui a déjà beaucoup monté, ou en dollar. C’est vrai que le conflit est plus proche de nous que de Washington. Ce débat, Mathilde, ne fait que commencer.

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Disparités au sein de la Zone Euro Sources de risques pour l’après Covid ?La nécessité des réformes

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Les défis de la zone euro après la pandémie

L’union monétaire est notre bien commun. Les vertus de l’euro ont prouvé sa forte utilité notamment pendant les crises, et ce grâce à l’action déterminée de la Banque centrale européenne. Mais cette dernière ne pourra pas indéfiniment pallier l’insuffisance des politiques structurelles comme l’inachèvement du mode de régulation de la zone euro.

Une union monétaire européenne ne peut être pérenne sans éléments de solidarité en son sein. Mais les différents pays européens ont-ils des intérêts suffisamment convergents pour y parvenir ? Si les divergences sont trop fortes, il est illusoire de vouloir assurer la permanence d’un budget tel que Next Generation EU et d’une dette communautaire, qui sont pourtant des avancées remarquables.

Une solidarité à sens unique

Depuis la création de la zone euro, les pays du Nord de l’Union monétaire se sont davantage industrialisés tandis que les pays du Sud ont progressivement connu un phénomène de désindustrialisation. Les premiers ont corrélativement gagné des parts de marché dans le commerce mondial, alors que les pays du Sud en ont perdu. Les pays du Nord, avec leurs excédents courants, ont accumulé des avoirs nets sur le reste du monde, pendant que les pays du Sud, en déficit courant jusqu’à la crise de la zone euro, ont au contraire accumulé des dettes vis-à-vis du reste du monde. Les niveaux d’éducation initiale, tout comme les aptitudes professionnelles, sont également très dissemblables entre les uns et les autres. A l’instar du taux de chômage des jeunes ou du taux d’emploi. Les gains de productivité divergent également. Au final, nous assistons à une divergence Nord-Sud de plus en plus grande quant au niveau de la dette publique sur PIB. Pour préserver la solidarité développée pendant la pandémie, il faut établir une confiance entre pays du Nord et pays du Sud, en réduisant ces fortes divergences. Cela repose sur trois impératifs.

En premier lieu, les pays du Sud se doivent de conduire des politiques structurelles, c’est-à-dire des investissements ad hoc et des réformes. Il ne s’agit pas là de politiques d’austérité, bien au contraire, puisqu’elles permettent d’augmenter la croissance potentielle. Par l’accroissement de la productivité, par l’amélioration de l’efficacité de la formation initiale comme professionnelle, par une meilleure mobilisation de la population en âge de travailler (notamment par la réforme des retraites), comme par une optimisation des dépenses publiques. Seules ces réformes garantiront aux pays du Nord de ne pas devoir indéfiniment développer une solidarité à sens unique avec les pays du Sud. Mais, si ces réformes sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Les politiques structurelles seules ne sauraient suffire à rattraper les retards d’industrialisation des pays du Sud.

Des règles budgétaires réalistes

D’où le deuxième impératif : une politique industrielle et d’aménagement du territoire dans l’Union européenne, à travers des investissements et des aides ciblées des pays du Nord vers les pays du Sud. Le plan de relance Next Generation EU est une réponse. Il faudrait donc que les projets puissent effectivement être mis en place de façon à favoriser, dans les pays le nécessitant, compétitivité et industrialisation.

Enfin, la nécessaire reconstruction de règles budgétaires partagées et réalistes, ce qu’elles ne sont plus aujourd’hui. Ces règles doivent être efficaces et accompagner ces évolutions, tout en faisant en sorte qu’il n’y ait pas de « passager clandestin » au sein des pays de l’Union.

Si ces trois impératifs ne sont pas respectés, soit le populisme montera encore davantage dans les pays du Nord qui n’accepteront pas l’idée de devoir assister à l’infini les pays du Sud, soit le populisme continuera de croître dans les pays du Sud de plus en plus désindustrialisés, sans aide du Nord. Dans une zone monétaire, comme les dévaluations – loin d’être pour autant une solution miracle – ne sont plus possibles, le rattrapage dans chaque pays isolément des différentiels de compétitivité est plus difficile. Sont ainsi engendrés des phénomènes cumulatifs de polarisation industrielle localisée dans les pays ayant le plus d’avantages comparatifs. Seuls les efforts, tant communautaires que nationaux, cités ci-dessus, permettront de sortir de ce piège.

Tribune publiée dans Les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-les-defis-de-la-zone-euro-apres-la-pandemie-1374881

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Événement Zone Euro

Lettre semestrielle de la Ligue Européenne de Coopération Economique « spéciale 75 ans »

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Les enjeux de la zone euro après la pandémie

Comment bâtir une zone monétaire efficace par un projet réel de solidarité dans l’Union ? La réponse à la pandémie a permis des percées, mais beaucoup reste à faire. Des efforts tout à la fois individuels – pays par pays – et communs de la part des membres de l’Union, y compris transitoirement du Nord vers le Sud, sont nécessaires.

Une union monétaire est en principe très efficace lorsque la croissance y est facilitée par le fait que les capacités de financement de certains pays de cette union permettent de répondre aux besoins de financement des autres, repoussant ainsi la contrainte extérieure aux bornes de la zone monétaire et non aux frontières de chacun des pays la composant. C’est par exemple le cas aux Etats-Unis d’Amérique pour les différents Etats qui les constituent. Une croissance durablement plus forte de la Californie, par exemple, ne serait ainsi pas freinée par la moindre croissance des autres Etats, même si cela entraînerait un déficit courant croissant du premier Etat vis-à-vis de l’ensemble des autres, parce que le seul solde de la balance courante pertinent n’est que celui des Etats-Unis dans leur ensemble et non de celui de chacun des Etats. Il faut donc que les capitaux circulent efficacement au sein d’une union monétaire. Et pour que cette circulation puisse se faire sans frein, il faut une union de transferts, c’est-à-dire des éléments de solidarité budgétaire entre les Etats.

La crise de la zone euro, qui a démarré en 2010, a été une crise de « sudden stop », spécifique à cette zone, et non pas le simple rebondissement de la grande crise financière précédente. Jusqu’alors, les marchés financiers avaient très bien fait correspondre les capacités de financement des pays du Nord aux besoins de financement des pays du Sud au sein de la zone euro. Pourtant, des divergences de plus en plus grandes entre les soldes des balances courantes des pays de la zone, soit des déficits et des excédents croissants des uns et des autres, étaient apparus depuis la naissance de l’euro. Et lorsque les marchés ont compris qu’il n’y avait en réalité pas de mécanisme de solidarité entre les pays de la zone, ils ont soudainement cessé d’allouer les capacités de financement des pays du Nord – c’est-à-dire les excédents de leur balance courante – aux besoins de financement dus aux déficits courants des pays du Sud. La crise est donc survenue précipitamment, comme à chaque fois que les marchés financiers découvrent brutalement, et souvent tardivement, la réalité telle qu’elle est. Les pays structurellement plus importateurs qu’exportateurs, voyant leurs financements extérieurs coupés par les marchés et ne bénéficiant pas de solidarité de la part des autres pays de la zone, ont été obligés de freiner immédiatement leur demande, donc leurs importations, par une baisse des investissements, des salaires, des prestations sociales et des dépenses publiques. Par de fortes politiques d’austérité, les pays du Sud ont ainsi amené rapidement les soldes de leur balance courante à des niveaux proches de zéro. Les pays du Nord, restés en fort excédent courant, se sont mis à financer le reste de la planète, et notamment les déficits courants américains, mais paradoxalement pas les autres pays de la zone euro elle-même. Ce qui, à proprement parler, ne correspond en rien à une affection efficace des capitaux au sein d’une union monétaire.

Il est donc désormais important de se demander comment bâtir une zone monétaire efficace par un projet réel de solidarité dans l’Union. Les améliorations « techniques » espérées tant du marché européen des capitaux que de l’Union bancaire ne sauraient le permettre à elles seules.  

Depuis la crise idiosyncratique de la zone euro, les seuls éléments qui ont permis d’intermédier partiellement les capacités de financement des uns avec les besoins de financement des autres sont venus de la Banque centrale européenne, à travers ses relations avec les banques centrales nationales de la zone (Target 2).  Ce sont donc les banques centrales qui en réalité ont fait circuler les capitaux, mais indépendamment des marchés. Puis, avec l’apparition de la pandémie de COVID-19, sont nés le plan Next Generation EU et l’emprunt communautaire, qui permettent aujourd’hui d’entrer dans une nouvelle dimension car ils créent des éléments clairs de solidarité et une meilleure circulation des capitaux. Pour la première fois dans l’histoire de la zone et en réalité de l’Union européenne, des dépenses communautaires, à travers des dons, mobilisent des montants incomparablement plus forts que précédemment, tout en ne se répartissant pas en fonction du poids relatif de chaque pays mais en fonction de leurs besoins.  A condition toutefois qu’ils engagent les réformes nécessaires. Et le financement de ces dons se fait par un emprunt communautaire. Il y a bien là des manifestations évidentes de solidarité.

Naturellement, la question qui en découle est celle des futures ressources propres à l’Union européenne, indispensables pour rembourser ces emprunts. L’enjeu est alors de savoir si les pays européens vont parvenir à se mettre d’accord sur des taxes communes, telles que sur le plastique, le CO2 ou le numérique. Et si ce budget et cet emprunt communautaires seront durables. Le «moment hamiltonien» de l’Europe n’en sera véritablement un que s’il y a durablement des dépenses communes de montants importants, une dette communautaire et des ressources propres à l’Union européenne,  et non seulement en réponse à la pandémie. La solidarité sera-t-elle durable ou sera-t-elle, comme beaucoup de pays du Nord l’évoquent déjà, un « one off », une opération isolée, propre à la pandémie ?

Une union monétaire ne peut être durable que s’il y a des éléments clairs d’une union de transferts. Ainsi, la question fondamentale est-elle de savoir si les intérêts des différents pays européens sont suffisamment convergents pour y parvenir et y consentir durablement. S’ils ne le sont pas, il devient très difficile d’assurer la permanence d’un budget et d’une dette communautaires.

Or les pays du Nord ont significativement accru leur capacité industrielle pendant que les pays du Sud se sont progressivement désindustrialisés depuis la création de la zone euro. Consécutivement, les pays du Nord ont gagné des parts de marché dans le commerce mondial (augmentation de leurs exportations en pourcentage des exportations mondiales), alors que les pays du Sud, eux, en ont perdu.  Les pays ayant des excédents courants, donc les pays du Nord, ont ainsi accumulé des avoirs nets sur le reste du monde ; tandis que les pays du Sud, en déficit courant, jusqu’à la crise de la zone euro, ont à l’inverse en permanence accumulé des dettes vis-à-vis du reste du monde. Parallèlement, les évaluations des niveaux d’éducation initiale, comme des aptitudes professionnelles, sont très différentes entre pays du Sud et pays du Nord. Comme les taux de chômage des jeunes ou les taux d’emploi, les gains de productivité divergent également. Or tous ces facteurs contribuent au niveau de croissance et à la compétitivité qualité/prix de chaque pays. Ajoutons enfin que les conséquences en sont une divergence Nord-Sud de plus en plus grande dans les niveaux de dette publique sur PIB. Si cette situation perdure ainsi, la solidarité post pandémie risque de faire long feu. D’autant qu’en outre l’inflation actuelle, si elle n’était pas que transitoire, conduirait la BCE à augmenter ses taux progressivement, pour neutraliser sa politique à tout le moins, voire d’avantage, ce qui accroîtrait les difficultés des pays du Sud n’ayant pas encore suffisamment engagé une politique crédible de normalisation de leur politique budgétaire. Ou, au contraire, pour protéger ces derniers, à ne pas augmenter les taux, ce qui aggraverait considérablement les tensions des pays du Nord vis-à-vis d’une politique monétaire unique considérée alors comme trop longuement accommodante. Cela provoquerait sans doute aussi des réactions dangereuses des marchés.

Face à ces fortes et nombreuses divergences, que faut-il alors construire pour obtenir plus de solidarité ? Comment faire pour établir une confiance réciproque entre les pays du Nord et les pays du Sud ? Trois points peuvent ici être avancés.

En premier lieu, les pays du Sud doivent réaliser des politiques structurelles, c’est-à-dire des investissements ad hoc et des réformes visant à réduire significativement ces divergences. Ces indispensables réformes ne sont pas des politiques d’austérité puisque, bien au contraire, elles permettent d’augmenter la croissance potentielle, par l’accroissement de la productivité, l’amélioration de l’efficacité de la formation initiale comme professionnelle, par une meilleure mobilisation du travail, y compris par la réforme des retraites, comme par une optimisation des dépenses publiques. Seules ces politiques garantiront aux pays du Nord de ne pas devoir envoyer indéfiniment des subsides aux pays du Sud. Ce qui permettra ainsi d’enclencher des éléments nécessaires pour aboutir à une union de transferts.

Ces réformes sont certes nécessaires, mais elles ne seront pas suffisantes. Les politiques structurelles seules ne permettront en effet pas de rattraper les différences accrues de niveaux d’industrialisation entre les pays du Nord et du Sud. D’où le deuxième point : une politique industrielle et d’aménagement du territoire dans l’Union européenne doit également être menée, à travers des investissements et des aides des pays du Nord vers les pays du Sud, pour contribuer à leur réindustrialisation dans certains secteurs bien choisis. Sur ce point, on peut espérer que le plan Next Generation EU soit capable d’apporter des réponses, car ce plan présente et porte en lui des projets d’avenir structurants. Il faudrait donc qu’ils puissent être mis en place en fonction des spécialisations relatives existantes ou souhaitables, de façon à favoriser, dans les pays le nécessitant, industrialisation et compétitivité.

Enfin, le troisième point repose sur la nécessaire reconstruction de règles budgétaires partagées et réalistes; elles ne le sont plus aujourd’hui. Ces règles doivent être efficaces et permettre précisément d’accompagner ces évolutions, tout en faisant en sorte qu’il n’y ait pas de passager clandestin au sein des pays de l’Union.

Des efforts tout à la fois individuels – pays par pays – et communs de la part des membres de l’Union, y compris transitoirement du Nord vers le Sud, sont ainsi nécessaires. Car ces efforts permettront, dans un intérêt bien partagé, au Nord de ne pas financer le Sud ad vitam aeternam, et au Sud de ne pas vivre une désindustrialisation continuelle avec tout ce que cela implique tant économiquement que socialement. Et il faut des règles budgétaires qui permettent de mettre en place efficacement ces politiques. Ces mêmes règles doivent aussi ne pas laisser la possibilité pour certains pays de compter sans fin sur l’aide des autres, en différant perpétuellement les réformes nécessaires. Dans le cas contraire, soit le populisme continuerait de monter dans les pays du Nord qui n’acceptent pas l’idée de verser des subsides à l’infini au pays du Sud, soit le populisme monterait encore dans les pays du Sud, si on les laisse continuellement se désindustrialiser sans leur venir en aide. D’autant que cette désindustrialisation est favorisée par une union monétaire incomplète, c’est-à-dire notamment sans coordination des politiques économiques et sans union de transfert. Le rattrapage des différentiels de compétitivité ne peut en effet être facilité par des dévaluations – qui ne sont cependant jamais des solutions miracle -, ce qui entraîne une dynamique d’écarts de compétitivité croissants, avec des phénomènes induits de polarisation industrielle localisée dans les pays ayant le plus d’avantages comparatifs.

Sans efforts nationaux et communautaires donc, il sera impossible de parvenir à des éléments de solidarité pour sortir de ce piège. Nous subirions alors cette montée du populisme qui finirait par mettre en réel danger l’Union monétaire, Union monétaire qui constitue un bien commun indéniable, de par les vertus de l’euro qui nous a prouvé sa forte utilité notamment pendant les crises, grâce à l’action déterminée de la Banque centrale européenne. Or, la banque centrale européenne ne pourra éternellement pallier l’incomplétude de la zone euro.

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Europe : des institutions inadaptées ?

La crise de la zone euro qui a éclaté en 2010 avait une dimension idiosyncratique, spécifique à la zone euro. Historiquement, l’unification monétaire intervient à partir du moment où il y a des pouvoirs qui se centralisent dans un pays, ou qui se fédèrent quand on est un ensemble d’Etats. Dans chaque cas sont nécessaires : une politique budgétaire – ou une politique budgétaire fédérale –, un sens de la solidarité avec une communauté d’intérêts des populations qui y résident et, ce qui est fondamental, une dette publique. Avec, en congruence, la construction d’une banque centrale prêteuse en dernier ressort. Dans ces conditions, les régions ou les États fédérés peuvent ne pas avoir la même structure économique, ni même la même conjoncture. Pourquoi ? Pour les États fédérés, il y a une coordination des politiques budgétaires à laquelle s’ajoute une politique fédérale. Des transferts sont organisés entre les régions par le budget national, ou entre les États fédérés par le budget fédéral. Toutes les règles sociales – telles que celles du travail – sont unifiées et facilitent la mobilité de la main d’œuvre. Enfin, il y a des règles qui sont partagées par tous pour fonder la confiance. Et la supervision permet de légitimer et de solidifier la solidarité ainsi que le sentiment de communauté d’intérêts.

Dans ces conditions, les avantages à avoir une monnaie unique sont très grands. Tout d’abord, il y a une référence unique et pas d’instabilité intra-zone due à la variation des cours de change. Si, par exemple, dans l’ancien Système Monétaire Européen (SME) le dollar fluctuait contre le deutsche mark, le franc français baissait mécaniquement contre le deutsche mark provoquant des chocs asymétriques qui étaient seulement dus aux mouvements du dollar et qui, en réalité, entraînaient des perturbations internes à la zone. Ce type de situation ne se produit évidemment plus avec la monnaie unique.

Ensuite, avec la monnaie unique, il n’y a qu’une seule contrainte extérieure aux bornes de la zone monétaire. Il n’est donc plus problématique qu’existent d’un côté des déficits de balance courante et de l’autre des excédents, car seule compte la contrainte extérieure sur l’ensemble de la zone consolidée. Certains pays peuvent ainsi aller plus vite en croissance que d’autres en fonction de leurs besoins, par exemple en fonction de leur démographie. Ainsi, si des pays ont une population qui se développe plus rapidement que d’autres, le besoin de croissance supplémentaire peut être très facilement justifié et financé par les pays qui vont moins vite et qui ont des excédents.

En revanche s’il n’y a pas de forte mobilité de la main d’œuvre – en tout cas facilitée par la réglementation fiscale, la réglementation du travail, la réglementation du chômage –, s’il n’y a pas de véritable coordination des politiques économiques et s’il n’y a pas de transferts organisés, alors les modes d’ajustement dans une zone monétaire incomplète, qui n’a pas de dévaluation ou de réévaluation possible d’un pays vis-à-vis des autres, ne procurent que la seule possibilité de dévaluation interne. C’est-à-dire, au fond, de faire du moins-disant social, du moins-disant salarial, du moins-disant réglementaire. Avec de surcroît une dette qui reste à la même valeur, qui ne se dévalue pas alors que les revenus décroissent, qui engendre donc des effets pervers. De plus, lorsque plusieurs pays doivent s’ajuster par le bas en même temps, un biais structurel de croissance très basse apparaît, entraînant évidemment des problèmes économiques, sociaux et politiques que l’on voit bien s’exacerber en Europe.

Alors, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas s’ajuster en faisant des réformes structurelles pour augmenter le potentiel de croissance. Il est nécessaire d’augmenter l’efficacité économique par les réformes structurelles, qui ne sont pas assimilables à des réformes d’austérité. Mais si la zone monétaire n’est pas complète, l’horizon proposé est structurellement bouché. Il en va par ailleurs de même pour les politiques de convergence conjoncturelle, avec des indicateurs de convergence à respecter préalablement. S’ils sont bien faits, ces indicateurs sont fondateurs de la possibilité de solidarité entre les différents éléments de la zone. Mais ils n’ont pas fonctionné en tant que seule possibilité d’intégration. Contrairement à ce que certains ont pu croire, ils ne peuvent remplacer l’incomplétude de la zone monétaire unique. La seule croyance dans le fait que les critères de convergence, s’ils avaient été respectés ou s’il était possible de ne faire entrer que des pays qui les avaient respectés à l’époque, suffisait pour produire une zone monétaire avec une croissance normale et un mode de fonctionnement normal, a échouée. L’une des raisons réside dans le simple fait qu’une politique monétaire unique, en fonction de l’inflation des pays membres, ne donne pas les mêmes taux d’intérêt réels aux différents Etats. Ce qui entraîne évidemment des divergences de conjoncture. Une monnaie unique peut également favoriser la polarisation industrielle. Jusqu’à la crise existaient des polarisations de balance courante entre les pays du Sud, qui accumulaient déficits et désindustrialisations, et les pays du Nord qui multipliaient les excédents. Il faut ajouter à ces polarisations les erreurs des marchés qui ont cru que tous les taux longs pouvaient converger, alors même qu’il ne fallait pas considérer la contrainte extérieure aux bornes de la zone euro mais aux bornes de chaque pays. Beaucoup d’ingrédients ont ainsi facilité l’explosion de la crise et n’ont pas permis la régulation interne, tout simplement car les critères de convergence ne sont pas suffisants pour compenser l’incomplétude de la zone.

La crise a malheureusement aggravé l’absence d’envie d’intégration européenne, et ce n’est pas seulement vrai dans les pays du Sud. Les pays du Nord se méfient désormais bien plus des pays du Sud. Pourtant, le fédéralisme est une condition utile pour faire une zone monétaire ayant du sens. Et mettre fin à l’euro n’est pas une solution souhaitable car il est un bien collectif précieux, à condition que les moyens de régulation permettant d’avoir les avantages cités précédemment soient réunis. Nous sommes donc face à un dilemme : alors que le fédéralisme est aujourd’hui pratiquement impossible à mettre en place, doit-on cependant mettre fin à la monnaie unique qui est un bien commun précieux sous réserve d’avoir le bon mode d’organisation ? 

Des arrangements institutionnels existent sans doute pour construire une architecture favorable à la monnaie unique, sans affronter trop frontalement la question du fédéralisme. La crise a fait naître nombre d’éléments de solution : la BCE qui est aujourd’hui capable d’acheter de la dette, pas seulement publique, le Mécanisme européen de stabilité, le Traité sur la stabilité, la coordination et la surveillance, l’Union bancaire européenne. Mais la somme de ces instruments ne donne pas encore un système complet et l’architecture d’ensemble est elle-même encore insuffisante. Il est ainsi nécessaire de trouver d’autres possibilités d’avancer tout en évitant l’écueil de la crainte du fédéralisme et tout en protégeant l’euro.

Réponses au débat post intervention

Sur la mobilité de la main d’œuvre

Bien sûr, la langue représente un handicap naturel de l’Europe par rapport aux Etats-Unis. Il est tout de même possible de faciliter la mobilité de la main d’œuvre en dehors des grands moments de crise par une harmonisation sociale des règlementations du travail, ainsi que par l’indemnisation du chômage. Le fait, en tant que personne au chômage, de perdre ses droits à indemnisation en quittant un pays ne facilite évidemment pas la mobilité.

Sur les institutions

Lorsque l’on parle des « institutions » il ne s’agit pas seulement des institutions juridiques, mais plutôt des institutions économiques au sens de la théorie économique. C’est-à-dire de l’ensemble des règles, écrites ou non, qui font les modes de régulation globale, au-delà des seules règles juridiques.

Sur la communauté de destins

Faut-il penser l’Europe en tant qu’économie pure et non en tant que communauté de destins avec une vision culturelle partagée ? Il y a évidemment une communauté de destin européenne et beaucoup de visions culturelles partagées. Cependant, certains faits nationaux sont forts, irréductibles, et amènent naturellement à la question de la souveraineté. De bien meilleures politiques de communication et de renforcement de la fabrication d’une culture commune sont certes indispensables, mais pas suffisantes. Une communauté économique pure, avec seulement des réglementations communes, ne peut fonctionner correctement. Car la zone euro connaît une incomplétude due au manque de cette vision, de cette communauté d’intérêts réellement partagée. Il faut ainsi d’abord refonder la confiance, car il n’y a pas de de solidarité entre les personnes sans une confiance minimale entre elles. Cette confiance est essentielle, elle justifie la supervision. Il n’y a d’ailleurs pas de construction sans supervision, tout simplement car on ne peut pas être solidaire à l’infini sans capacité de vérifier que les personnes remplissent leurs devoirs. Chaque pays doit donc mener ses propres politiques structurelles, non pas pour abaisser son niveau de vie mais pour améliorer l’efficacité de son économie et créer la confiance de sa population. Avec la confiance, il sera possible de déclencher plusieurs éléments essentiels. D’abord la nécessaire coordination des politiques budgétaires. Ensuite des politiques industrielles au niveau européen, afin de développer des pôles de compétitivité et d’éviter l’émergence de déserts. À défaut, on assistera à des politiques de transfert permanentes vis-à-vis de ces déserts. Enfin, lorsque le marché ne finance plus les déficits courants des uns par les excédents courants des autres, il faut des modes d’organisation structurés qui permettent de le faire. Il s’agit là d’un sujet évidemment crucial puisque, au fond, la crise de la zone euro a été provoquée par un problème majeur de déficits de balances courantes et de dettes extérieures des différents pays.

Retrouvez la vidéo originale de mon intervention dans l’article : Zone euro : crise et incomplétude, les solutions structurelles envisageables