Catégories
Banque Politique Economique

L’inflation pourrait être une bonne nouvelle pour les banques

Comme on le sait, et contrairement à ce qu’on lit parfois, les taux d’intérêt bas ne sont pas en tant que tels l’ennemi des banques. Ce qui compte, pour elles, ce ne sont pas les taux d’intérêt, mais la pente des taux. Rappelons qu’en France, par exemple, les crédits (prêts immobiliers, crédits d’investissement) sont en moyenne d’une durée assez longue et très majoritairement à taux fixe. Alors que les dépôts sont plutôt courts, à vue non rémunérés ou à terme rémunérés à des taux indexés sur des taux courts.

Si la différence entre taux longs et taux courts est suffisamment forte, que les taux soient élevés ou bas importe peu. La même pente engendre le même taux de marge nette d’intérêt (MNI). En revanche, des taux longs très bas, proches de zéro, ne permettent pas une pente des taux suffisamment forte pour dégager un taux de MNI suffisant. Et pour cause : les dépôts peuvent très difficilement porter des taux négatifs, les ménages et les petites et moyennes entreprises ne l’acceptant pas aisément.

La hausse des taux est favorable à la MNI

En pratique, les banques connaissent rapidement une hausse de leur taux de MNI si la courbe des taux se déplace homothétiquement à la hausse. Et inversement à la baisse. Cet impact contre-intuitif est dû au fait que le stock de crédits se renouvelle plus vite que le stock d’épargne. Lorsque les taux courts et longs s’élèvent, le taux moyen de l’encours de crédits monte plus vite que le taux moyen de l’encours de dépôts, globalement indexé sur des taux réglementés.

A contrario, lorsque la courbe baisse, les réaménagements de taux et les remboursements anticipés des crédits immobiliers s’accélèrent. Les ménages profitent ainsi de la baisse des taux, alors que les placements au passif des ménages sur les plans d’épargne logement, par exemple, se renouvellent moins vite, les ménages étant désireux de conserver plus longtemps les taux anciens, plus intéressants.

Le rôle capital de la Banque centrale européenne dans l’équation

Quel pourrait être alors l’impact de l’inflation sur la MNI des banques, à travers le mouvement des taux d’intérêt ? Eu égard à ce qu’elles annoncent, le plus probable serait que les banques centrales diminuent leur quantitative easing en cessant progressivement d’acheter en net des titres longs sur les marchés (tapering), avant d’augmenter leur taux directeur, c’est-à-dire les taux de court terme. Cela pourrait alors provoquer un effet favorable sur le taux de MNI des banques, puisque les taux longs pourraient remonter plus rapidement que les taux courts, en augmentant ainsi une pente aujourd’hui très écrasée.

Cela serait d’ailleurs de bonne politique, puisque les banques centrales cesseraient progressivement de soutenir les conditions de financement, la croissance et l’inflation se redressant, tout en permettant aux banques de bien financer les demandes de crédits grâce à une profitabilité moins touchée par l’effet du quantitative easing. Cet effet positif ne doit toutefois pas faire oublier l’impact de la disparition concomitante des aides des banques centrales aux banques, avec notamment le tiering et les Targeted Longer-Term Refinancing Operations (TLTRO) en zone euro.

À ce stade, il convient d’intégrer un autre élément : les volumes. Les mouvements dus à l’effet taux, c’est-à-dire la variation du taux de MNI, peuvent être plus ou moins compensés par de l’effet volume. Autrement dit, les évolutions des encours de crédits et de dépôts. Car, in fine, l’effet taux croisé avec l’effet volume donne l’évolution de la MNI en valeur elle-même.

Une normalisation prudemment menée de la politique monétaire conduirait en principe à un effet globalement favorable. Si les taux montaient progressivement et sans à-coups majeurs, l’effet volume en résultant devrait être en effet relativement neutre. En outre, si les banques centrales ne procédaient à cette normalisation que très progressivement, et après l’avoir annoncée, comme c’est le plus probable, les à-coups sur les marchés financiers pourraient n’être que faibles.

En revanche, si, pour une raison ou pour une autre, les banques centrales ne réagissaient pas à un surcroît d’inflation durable, leur crédibilité en serait écorchée : les taux longs monteraient plus vivement, alors que les taux courts resteraient stables. La demande de crédits (immobiliers comme d’équipement) pourrait en être affectée, produisant éventuellement un effet volume négatif ou moins favorable qu’en régime de croisière. Les marchés obligataires et actions pourraient accuser de sévères moins-values.

Un scénario noir à éviter

Avec un tel scénario, les bulles se dégonfleraient plus soudainement et les chocs sur les bilans bancaires, comme sur le bilan et les comptes de résultat des clients des banques, pourraient être plus sévères, avec des répercussions sur les provisions bancaires et sur les résultats des salles de marché. Les entreprises et États très endettés qui ne se prépareraient pas à la remontée probable des taux pourraient en effet souffrir bien davantage.

Le rôle des banques centrales est donc majeur. Pour éviter de trop fortes bulles, même en cas d’inflation contenue, elles devraient normaliser tôt ou tard leur politique monétaire, pour ne pas laisser trop longtemps les taux d’intérêt nominaux à un niveau exagérément inférieur au taux de croissance nominale.

Catégories
Politique Economique Zone Euro

Europe : des institutions inadaptées ?

La crise de la zone euro qui a éclaté en 2010 avait une dimension idiosyncratique, spécifique à la zone euro. Historiquement, l’unification monétaire intervient à partir du moment où il y a des pouvoirs qui se centralisent dans un pays, ou qui se fédèrent quand on est un ensemble d’Etats. Dans chaque cas sont nécessaires : une politique budgétaire – ou une politique budgétaire fédérale –, un sens de la solidarité avec une communauté d’intérêts des populations qui y résident et, ce qui est fondamental, une dette publique. Avec, en congruence, la construction d’une banque centrale prêteuse en dernier ressort. Dans ces conditions, les régions ou les États fédérés peuvent ne pas avoir la même structure économique, ni même la même conjoncture. Pourquoi ? Pour les États fédérés, il y a une coordination des politiques budgétaires à laquelle s’ajoute une politique fédérale. Des transferts sont organisés entre les régions par le budget national, ou entre les États fédérés par le budget fédéral. Toutes les règles sociales – telles que celles du travail – sont unifiées et facilitent la mobilité de la main d’œuvre. Enfin, il y a des règles qui sont partagées par tous pour fonder la confiance. Et la supervision permet de légitimer et de solidifier la solidarité ainsi que le sentiment de communauté d’intérêts.

Dans ces conditions, les avantages à avoir une monnaie unique sont très grands. Tout d’abord, il y a une référence unique et pas d’instabilité intra-zone due à la variation des cours de change. Si, par exemple, dans l’ancien Système Monétaire Européen (SME) le dollar fluctuait contre le deutsche mark, le franc français baissait mécaniquement contre le deutsche mark provoquant des chocs asymétriques qui étaient seulement dus aux mouvements du dollar et qui, en réalité, entraînaient des perturbations internes à la zone. Ce type de situation ne se produit évidemment plus avec la monnaie unique.

Ensuite, avec la monnaie unique, il n’y a qu’une seule contrainte extérieure aux bornes de la zone monétaire. Il n’est donc plus problématique qu’existent d’un côté des déficits de balance courante et de l’autre des excédents, car seule compte la contrainte extérieure sur l’ensemble de la zone consolidée. Certains pays peuvent ainsi aller plus vite en croissance que d’autres en fonction de leurs besoins, par exemple en fonction de leur démographie. Ainsi, si des pays ont une population qui se développe plus rapidement que d’autres, le besoin de croissance supplémentaire peut être très facilement justifié et financé par les pays qui vont moins vite et qui ont des excédents.

En revanche s’il n’y a pas de forte mobilité de la main d’œuvre – en tout cas facilitée par la réglementation fiscale, la réglementation du travail, la réglementation du chômage –, s’il n’y a pas de véritable coordination des politiques économiques et s’il n’y a pas de transferts organisés, alors les modes d’ajustement dans une zone monétaire incomplète, qui n’a pas de dévaluation ou de réévaluation possible d’un pays vis-à-vis des autres, ne procurent que la seule possibilité de dévaluation interne. C’est-à-dire, au fond, de faire du moins-disant social, du moins-disant salarial, du moins-disant réglementaire. Avec de surcroît une dette qui reste à la même valeur, qui ne se dévalue pas alors que les revenus décroissent, qui engendre donc des effets pervers. De plus, lorsque plusieurs pays doivent s’ajuster par le bas en même temps, un biais structurel de croissance très basse apparaît, entraînant évidemment des problèmes économiques, sociaux et politiques que l’on voit bien s’exacerber en Europe.

Alors, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas s’ajuster en faisant des réformes structurelles pour augmenter le potentiel de croissance. Il est nécessaire d’augmenter l’efficacité économique par les réformes structurelles, qui ne sont pas assimilables à des réformes d’austérité. Mais si la zone monétaire n’est pas complète, l’horizon proposé est structurellement bouché. Il en va par ailleurs de même pour les politiques de convergence conjoncturelle, avec des indicateurs de convergence à respecter préalablement. S’ils sont bien faits, ces indicateurs sont fondateurs de la possibilité de solidarité entre les différents éléments de la zone. Mais ils n’ont pas fonctionné en tant que seule possibilité d’intégration. Contrairement à ce que certains ont pu croire, ils ne peuvent remplacer l’incomplétude de la zone monétaire unique. La seule croyance dans le fait que les critères de convergence, s’ils avaient été respectés ou s’il était possible de ne faire entrer que des pays qui les avaient respectés à l’époque, suffisait pour produire une zone monétaire avec une croissance normale et un mode de fonctionnement normal, a échouée. L’une des raisons réside dans le simple fait qu’une politique monétaire unique, en fonction de l’inflation des pays membres, ne donne pas les mêmes taux d’intérêt réels aux différents Etats. Ce qui entraîne évidemment des divergences de conjoncture. Une monnaie unique peut également favoriser la polarisation industrielle. Jusqu’à la crise existaient des polarisations de balance courante entre les pays du Sud, qui accumulaient déficits et désindustrialisations, et les pays du Nord qui multipliaient les excédents. Il faut ajouter à ces polarisations les erreurs des marchés qui ont cru que tous les taux longs pouvaient converger, alors même qu’il ne fallait pas considérer la contrainte extérieure aux bornes de la zone euro mais aux bornes de chaque pays. Beaucoup d’ingrédients ont ainsi facilité l’explosion de la crise et n’ont pas permis la régulation interne, tout simplement car les critères de convergence ne sont pas suffisants pour compenser l’incomplétude de la zone.

La crise a malheureusement aggravé l’absence d’envie d’intégration européenne, et ce n’est pas seulement vrai dans les pays du Sud. Les pays du Nord se méfient désormais bien plus des pays du Sud. Pourtant, le fédéralisme est une condition utile pour faire une zone monétaire ayant du sens. Et mettre fin à l’euro n’est pas une solution souhaitable car il est un bien collectif précieux, à condition que les moyens de régulation permettant d’avoir les avantages cités précédemment soient réunis. Nous sommes donc face à un dilemme : alors que le fédéralisme est aujourd’hui pratiquement impossible à mettre en place, doit-on cependant mettre fin à la monnaie unique qui est un bien commun précieux sous réserve d’avoir le bon mode d’organisation ? 

Des arrangements institutionnels existent sans doute pour construire une architecture favorable à la monnaie unique, sans affronter trop frontalement la question du fédéralisme. La crise a fait naître nombre d’éléments de solution : la BCE qui est aujourd’hui capable d’acheter de la dette, pas seulement publique, le Mécanisme européen de stabilité, le Traité sur la stabilité, la coordination et la surveillance, l’Union bancaire européenne. Mais la somme de ces instruments ne donne pas encore un système complet et l’architecture d’ensemble est elle-même encore insuffisante. Il est ainsi nécessaire de trouver d’autres possibilités d’avancer tout en évitant l’écueil de la crainte du fédéralisme et tout en protégeant l’euro.

Réponses au débat post intervention

Sur la mobilité de la main d’œuvre

Bien sûr, la langue représente un handicap naturel de l’Europe par rapport aux Etats-Unis. Il est tout de même possible de faciliter la mobilité de la main d’œuvre en dehors des grands moments de crise par une harmonisation sociale des règlementations du travail, ainsi que par l’indemnisation du chômage. Le fait, en tant que personne au chômage, de perdre ses droits à indemnisation en quittant un pays ne facilite évidemment pas la mobilité.

Sur les institutions

Lorsque l’on parle des « institutions » il ne s’agit pas seulement des institutions juridiques, mais plutôt des institutions économiques au sens de la théorie économique. C’est-à-dire de l’ensemble des règles, écrites ou non, qui font les modes de régulation globale, au-delà des seules règles juridiques.

Sur la communauté de destins

Faut-il penser l’Europe en tant qu’économie pure et non en tant que communauté de destins avec une vision culturelle partagée ? Il y a évidemment une communauté de destin européenne et beaucoup de visions culturelles partagées. Cependant, certains faits nationaux sont forts, irréductibles, et amènent naturellement à la question de la souveraineté. De bien meilleures politiques de communication et de renforcement de la fabrication d’une culture commune sont certes indispensables, mais pas suffisantes. Une communauté économique pure, avec seulement des réglementations communes, ne peut fonctionner correctement. Car la zone euro connaît une incomplétude due au manque de cette vision, de cette communauté d’intérêts réellement partagée. Il faut ainsi d’abord refonder la confiance, car il n’y a pas de de solidarité entre les personnes sans une confiance minimale entre elles. Cette confiance est essentielle, elle justifie la supervision. Il n’y a d’ailleurs pas de construction sans supervision, tout simplement car on ne peut pas être solidaire à l’infini sans capacité de vérifier que les personnes remplissent leurs devoirs. Chaque pays doit donc mener ses propres politiques structurelles, non pas pour abaisser son niveau de vie mais pour améliorer l’efficacité de son économie et créer la confiance de sa population. Avec la confiance, il sera possible de déclencher plusieurs éléments essentiels. D’abord la nécessaire coordination des politiques budgétaires. Ensuite des politiques industrielles au niveau européen, afin de développer des pôles de compétitivité et d’éviter l’émergence de déserts. À défaut, on assistera à des politiques de transfert permanentes vis-à-vis de ces déserts. Enfin, lorsque le marché ne finance plus les déficits courants des uns par les excédents courants des autres, il faut des modes d’organisation structurés qui permettent de le faire. Il s’agit là d’un sujet évidemment crucial puisque, au fond, la crise de la zone euro a été provoquée par un problème majeur de déficits de balances courantes et de dettes extérieures des différents pays.

Retrouvez la vidéo originale de mon intervention dans l’article : Zone euro : crise et incomplétude, les solutions structurelles envisageables

Catégories
Politique Economique Zone Euro

Pourquoi a-t-on autant de mal en France à faire les réformes structurelles ?

Tout d’abord, comme nous réfléchissons sur les difficultés institutionnelles à mener des réformes structurelles, il est important de prendre le mot « institutionnel » au sens large, c’est-à-dire au sens de culture, d’histoire, de place de l’État, de mode de régulation hors marché.

Il est nécessaire d’enclencher les réformes structurelles et de les réaliser progressivement. Fondamentalement, faire des réformes structurelles c’est augmenter le potentiel de croissance. En France, on a aujourd’hui un potentiel de croissance terriblement faible, d’environ 0,5 ou 0,7 %. Augmenter le potentiel de croissance permet de préserver ou d’augmenter la richesse par personne, d’abaisser sans souffrance les déficits publics, de mettre sous contrôle l’endettement public, de trouver la solvabilité budgétaire, d’assurer l’équilibre des systèmes sociaux. Si la croissance n’est pas suffisante, nos équilibres des systèmes sociaux ne sont pas tenus et sont donc financés soit par l’endettement, soit in fine par une baisse drastique de la protection sociale.

Des pays comme les pays nordiques et le Canada ont mené des réformes structurelles de manière très réussie durant la première moitié des années 90, l’Allemagne durant la première moitié des années 2000. Les pays du Sud tels que l’Espagne ou le Portugal les réalisent actuellement mais sont en grandes difficultés car ils le font totalement à chaud dans cette période de grande crise. La France a beaucoup de mal à mettre en place ces réformes puisque tout le monde, de droite comme de gauche, les repousse. La question est de connaître la raison pour laquelle on ne peut y arriver simplement, alors que sur le fond il y a une convergence d’idées extraordinaire dans tous les rapports qui sont parus (le rapport Camdessus ; le rapport Pébereau; le rapport Gallois ; le rapport Attali 1 et 2).

L’important est de constater que le potentiel de croissance d’une économie se développe avec les gains de productivité du travail. C’est-à-dire avec le progrès technique, avec l’intensité capitalistique et avec l’augmentation de la population active. Également avec l’augmentation de la compétitivité structurelle, par la recherche de l’efficience de l’État pour avoir, pour une qualité donnée, la meilleure efficacité des dépenses publiques. En France, il y a un sujet fondamental : nous avons les dépenses publiques sur PIB et la fiscalité sur PIB les plus élevées de toute l’Europe, pour un service public rendu dans la moyenne de l’Europe, c’est-à-dire bien en dessous du niveau des dépenses. Il est donc nécessaire soit d’améliorer considérablement l’efficacité, soit, pour une qualité donnée, de rechercher à faire des économies.

Pour la compétitivité, il faut évidemment avoir un regard sur le coût du travail. Mais attention, il y a le coût du travail pour une productivité donnée et le coût du travail pour une qualité donnée. Le coût du travail de l’Allemagne est très légèrement plus faible que celui de la France, alors que sa balance courante est excédentaire, son taux de croissance est beaucoup plus élevé et son taux de chômage beaucoup plus faible. Nous avons tout de même un problème fondamental en France, celui de la qualité de la production par rapport au coût du travail. Sur ce sujet il est important de ne pas raisonner en « moyenne » mais plutôt de faire attention à ce que le coût du travail soit fonction de la qualification des personnes, et de faire en sorte que les non-qualifiés travaillent, quitte à ce que des prestations sociales les protège en complément de salaires peu élevés. Et puis, il est indispensable de monter en qualité la moyenne de notre industrie et de nos services afin de justifier les coûts du travail élevés. Tout le monde s’accorde ainsi sur la nécessité de travailler sur les gammes de produits et sur l’importance de la recherche et développement. Et depuis plusieurs années la France réalise de beaux efforts sur ce sujet. Tout le monde est aussi conscient de la nécessité d’investir. Pour investir, les entreprises doivent avoir un taux de profit suffisant. Or, depuis dix ans, la France est le seul pays à avoir fait baisser la profitabilité de ses entreprises, c’est-à-dire le taux de profit sur la valeur ajoutée. Ce qui ne facilite pas l’investissement, la modernisation, l’innovation, etc.

Dans ce contexte notre population au travail doit être accrue car elle est un déterminant de la croissance de long terme. L’immigration doit évidemment être bien choisie et correspondre notamment aux gammes de produits souhaitées. La mise en place d’une politique familiale est aussi nécessaire pour favoriser la possibilité et l’envie de travailler. La réforme des retraites doit aussi permettre d’accroître la population en âge de travailler. La France est l’un des pays où l’on travaille le moins longtemps dans l’année, mais également le moins longtemps dans la vie. Ce qui entraîne évidemment des difficultés à atteindre un potentiel de croissance suffisant. Plusieurs questions sont ainsi à régler, comme celle de la préretraite pour inciter au travail, celle de la garde d’enfants, ou évidemment celle du revenu minimum par rapport aux revenus du travail. L’incitation à rechercher un travail passe aussi par l’aide à la formation, par le retour à l’emploi, par la flexisécurité. La France détient la plus longue et la plus haute protection du chômage pour un taux de chômage extrêmement élevé. Or nous savons que la corrélation entre la longueur de la protection, la hauteur de la protection et le taux de chômage est réelle. Il est urgent d’accélérer et d’accentuer l’incitation à retrouver un emploi. Et ce en protégeant mieux, en formant mieux et en accompagnant mieux ce retour à l’emploi.

Alors, puisque les idées convergent dans le même sens, pourquoi a-t-on tant de difficultés à mener ces réformes en France ? Très certainement, vaut-il mieux les faire lorsqu’il y a de la croissance. Mais la croissance, quand elle est présente, n’incite pas non plus à les conduire. Une autre façon de penser consiste à se dire que « nous ne sommes pas assez dans la crise » pour les entreprendre. Tous ces raisonnements concernent des questions conjoncturelles, et non institutionnelles. Essayons, avec modestie et sans prétention à l’exhaustivité, de trouver quelques raisons institutionnelles dans les modes de régulation de la société française pour comprendre les difficultés à mener ces réformes sur lesquelles tout le monde s’accorde. En voici deux.

La première raison concerne notre culture historique, conflictuelle et de rapports de force. Depuis Louis XI, en passant par Colbert, Louis XIV, Napoléon et en continuant avec l’après-guerre, la France s’est constituée en un État hyper-puissant, centralisateur. Nous nous sommes construits avec une élite française, progressivement devenue une élite d’Etat, occupant tout l’espace politique, mais aussi celui des entreprises. Alors, qu’est-ce qui empêche cet État tout puissant de faire des réformes ? Son intermédiation. De par son omniprésence, l’Etat intermédie la relation entre chacun et la société, entre chacun et les autres. Ainsi, au lieu de se sentir responsable face à la collectivité, de sentir que l’on a des droits mais aussi des devoirs, il y a une demande permanente de l’Etat qui fait office de « maman ». Ce qui explique le caractère particulièrement anxiogène de la population française. Dès que quelque chose ne va pas, que l’on soit chef d’entreprise ou particulier, on se retourne vers l’État en lui demandant des solutions. Et on refuse la réforme.

La seconde raison, sans doute liée, tient dans le fait qu’il y a en France – comme partout d’ailleurs – des groupes d’intérêt corporatistes cherchant à défendre chacun leurs propres intérêts. Mais cette situation mène à un vide de construction du social où ne sont présents que l’État et les groupes corporatistes. Et finalement, au lieu d’avoir une social-démocratie qui fonctionne, on a une sorte de social-corporatisme doublé de social-technocratie. C’est pourquoi les réformes sont difficiles à accepter, car on attend tout de l’État en refusant de penser que les droits et les devoirs de chacun devraient pouvoir justifier et protéger la protection sociale, la croissance et le bien-être.

Réponses au débat post intervention

Sur la capacité de la France à mener ces réformes

En France, on vit sur des principes qui sont très forts et très bons en soi, mais on oublie souvent que pour que ces principes fonctionnent il faut en comprendre les causes qui leur permettent justement de fonctionner. Bossuet disait : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». À partir du moment où l’on veut lutter contre l’inégalité, contre le chômage, il est nécessaire d’accepter d’en analyser clairement les causes, et de mener les actions en conséquence pour conserver nos protections sociales et défendre ce principe d’égalité.

Prenons l’exemple de l’université. À partir du moment où il n’y a pas de sélection suffisante, il est évident que les étudiants qui en sortent ont moins de chance d’être embauchés que ceux qui proviennent d’une grande école. Tout simplement car il existe une asymétrie d’information du côté de l’employeur qui va employer au plus sûr, pour moins se tromper, alors que d’excellents profils sortent aussi de l’université. Il faut donc des universités d’excellence, faire converger ces profils par l’excellence. Aujourd’hui, le taux d’échec en première année à l’université française est l’un des plus élevés d’Europe. Et beaucoup de ceux qui sortent de l’université en première année ne font rien. Pourquoi donc ne pas mieux sélectionner en amont ? Mais pour mieux sélectionner, il ne faut évidemment pas d’un baccalauréat très général où il est, à la sortie, directement demandé aux étudiants de se spécialiser en médecine, en droit ou en économie, alors qu’ils ne savent pas de quoi il s’agit. Le système doit comprendre un tronc commun de démarrage plus long et plus complet, dans lequel les étudiants pourront choisir leurs matières.

Au fond, il faut arriver à dépasser le « compassionnalisme ». Et il n’y a pas de politique aujourd’hui qui ose aller contre le compassionnel. Ce n’est pas parce qu’une chose émeut la population que l’État doit tout faire, tout de suite. Il est fondamental de trouver les vraies causes, d’avoir le courage de les analyser et de mener les réformes appropriées pour protéger le système. Heureusement, chez beaucoup de français le principe d’égalité est toujours chéri et mis en avant. Et tout le monde comprend que l’État ne peut pas tout, n’a pas toutes les ressources, car il y a trop de demandes de dépenses publiques et qu’il ne peut taxer suffisamment en échange, sauf à étouffer l’économie. La société doit être poussée à s’entendre, à évoluer ; les syndicats doivent être moins nombreux mais plus représentatifs afin de favoriser le consensuel, la négociation, la concertation, et non le conflit qui fige et qui empêche d’évoluer.

Sur le désamour envers les politiques et la lutte contre les inégalités

Il est mauvais de survendre la capacité de la femme ou de l’homme politique à tout résoudre. Redéfinir le rôle de l’État ainsi que la possibilité du politique serait préférable. Il faut s’orienter vers un État stratège plutôt que vers un État omniprésent. Cet effort de réflexion et d’honnêteté des politiques vis-à-vis de la société est nécessaire.

Une réflexion sur les inégalités. Dans la société, il y a des inégalités naturelles entre ceux qui ont du talent et ceux qui en ont moins. Ce ne sont pas les inégalités en soi qui sont insupportables, ce sont les injustices. D’ailleurs la France est l’un des rares pays qui, depuis 20 ans, n’a pratiquement pas aggravé les inégalités économiques de revenus. Le niveau d’inégalité des revenus est stable. Le vrai sujet est celui des injustices, de l’inégalité des chances, de se dire que l’on est capable de faire mais de ne pas y arriver car on est bloqué. Le blocage dans une société trop hiérarchique, mandarinale, qui survalorise les diplômes, est considérable. Il faut travailler sur cette notion d’injustice que l’on retrouve dans toute la société, dans nos entreprises, dans l’éducation, etc., qui est plus fondamentale encore que celle de l’inégalité des revenus.

Sur la simplification du système bureaucratique français et le retour de l’efficacité

Pendant très longtemps, le fonctionnement des entreprises était très hiérarchique, ce qui pouvait limiter la capacité d’expression des talents, la capacité d’initiative et l’esprit d’entreprise de chacun. Même si certaines sont toujours très hiérarchiques, la plupart des entreprises fonctionnent aujourd’hui en réseau, moins verticalement. Passer par le haut de sa direction qui passe elle-même par le haut d’une autre direction n’est plus obligatoire pour obtenir une autorisation. Le fonctionnement par réseaux améliore l’efficacité en impliquant davantage chacun, ce qui génère également plus de confiance. La société hiérarchique, qui fonctionnait il y a trente ou quarante ans, crée moins de confiance dans la mesure où le sur-pouvoir de la toute petite élite est remis en question, parce que les temps sont plus difficiles, parce que les mutations sont plus fortes. Il devient donc difficile de tout attendre du seul haut.

Ces mutations profondes que nous vivons nécessitent une organisation plus souple, moins strictement hiérarchique. Et ce afin de recréer un cadre de travail qui empêche l’injustice et qui permet de s’exprimer, de retrouver cette confiance et cette envie de faire. L’envie de faire est fondamentale. Elle pousse la compétitivité de l’entreprise dans le sens où elle favorise le développement d’un esprit d’équipe et d’une capacité à aller de l’avant, à se battre. L’État devrait peut-être aussi réfléchir de cette manière. La décentralisation est bonne à condition de faire attention à ne pas simplement juxtaposer les niveaux. Sinon, dans l’ensemble des collectivités publiques, l’Etat crée certains endroits où l’impôt est collecté et d’autres où l’impôt est dépensé. La situation est alors catastrophique puisqu’il y a moins de responsabilités collectives. 

Sur « l’économie française malade de ses institutions »

Il y a certes beaucoup de pays dans lesquels les institutions fonctionnent moins bien qu’en France. La question n’est pas là. Le sujet n’est pas de regarder les institutions au sens de justice, de routes ou de ministères. Il faut s’interroger sur la manière de nous positionner face à la tendance actuelle. Face à la faible croissance potentielle, face aux déficits de balance courante, face à la dette publique, face au taux de chômage…ne se dirige-t-on pas vers un appauvrissement progressif de notre pays ? Nos modes de régulation, qui ne sont pas strictement marchands, vont-ils bien s’adapter au monde qui arrive ? Sûrement pas suffisamment. La pédagogie est essentielle pour faire comprendre que, précisément, si l’enfer est souvent pavé de mauvaises intentions, il l’est également de bonnes. Par exemple, il ne suffit pas de vouloir moins de chômeurs pour qu’il y en ait moins. En France, on s’accorde sur la nécessité de baisser le chômage, mais en pratique on s’accommode toujours du nombre de chômeurs qui est très élevé. Il faut donc réussir à en déterminer les vraies causes. Heureusement la conscience collective progresse sur l’importance de mener des réformes, qui peuvent certes entraîner des efforts, mais des efforts indispensables pour protéger l’essentiel. Et le fait de changer pour protéger l’essentiel est de mieux en mieux partagé grâce à ces notions de responsabilités individuelles et de responsabilités collectives vis-à-vis de la société.

Retrouvez la vidéo originale de mon intervention dans l’article : L’économie française malade de ses institutions ?

Catégories
Événement Politique Economique Zone Euro

« La gouvernance économique de l’Europe » – les Nocturnes de l’Économie 2021

Programme complet et inscriptions : http://www.journeeseconomie.org/index.php?arc=e26

Catégories
Economie Générale Politique Economique

Pourquoi l’inflation pourrait faire son grand retour

L’après-pandémie provoque un fort rebond qui nécessite du temps pour que les circuits d’approvisionnement se remettent en place et que l’offre se réajuste. La plupart de économistes pensent en conséquence que l’inflation ne sera que transitoire. En outre, les raisons structurelles d’une inflation très basse persistent. Sont toujours à l’œuvre, en effet, la mondialisation, qui pèse sur le prix du travail et des biens et services, et la révolution technologique, qui abaisse le pouvoir de négociation des salariés peu qualifiés et qui, par la diffusion du digital comme de la robotisation, permet des gains de productivité qui freinent l’inflation. Ajoutons que depuis les années quatre-vingt, il y a décorrélation entre la croissance de la masse monétaire et l’inflation. Et depuis les années quatre-vingt-dix, une quasi-disparition de la courbe de Phillips, la montée de l’emploi n’entraînant plus la croissance des prix. Mais quelles sont les raisons pour lesquelles la poussée de l’inflation pourrait pourtant être durable ?  

Si nous envisageons l’histoire longue depuis le 19ème siècle, nous connaissons des cycles longs de régimes inflationnistes, où la conjoncture est dominée par la politique monétaire, qui lutte contre l’inflation en faisant chuter la croissance quand l’inflation accélère trop, et inversement. On observe également, en alternance, des cycles longs de basse inflation, due aux effets des mondialisations et des révolutions technologiques. A la fin du 19ème et au début du 20ème, un tel régime de basse inflation s’est installé, comme lors de ces trente dernières années. Le dernier cycle en cours a déjà une très forte longévité. Ce n’est pas une raison suffisante pour penser qu’il va prendre fin, mais cela suscite la réflexion. Aujourd’hui, en soulevant le couvercle mis sur l’économie pendant la pandémie et avec de très puissantes politiques de soutien, puis de relance, les prix remontent. Et un risque de retour d’un régime inflationniste ressurgit, risque que nous n’avions pas connu depuis longtemps.

Si la pandémie ne conduit pas « au monde d’après », elle a en effet accéléré considérablement les mutations qui étaient en cours précédemment. Et l’on constate aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, des pénuries de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, y compris dans les services à faible qualification, même si l’emploi global n’a pas retrouvé son étiage antérieur. Les salaires augmentent donc, parfois sensiblement, chez Mac Do comme dans les entreprises à forte valeur ajoutée. Pour attirer de nouveaux salariés comme pour les conserver. L’analyse macroéconomique peut ici donner de fausses indications si elle ne se concentre que sur des chiffres agrégés. Ajoutons encore que Biden souhaite, à juste titre, augmenter les petits salaires. Mais le rythme et l’intensité de ces augmentations sera déterminant. En outre, on a connu depuis quelques décennies, dans la plupart des pays de l’OCDE, une augmentation des salaires réels inférieure aux gains de productivité, soit une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés. Contribuant ainsi aux réactions populistes. Et conduisant à de possibles demandes à venir, plutôt tôt que tard, de progression plus vive des salaires.

Avec les évolutions de l’histoire longue en toile de fond et les fortes mutations économiques et de l’emploi en cours, le très fort rebond de l’économie et la montée sensible des prix en résultant pourraient, le cas échéant, et si la pandémie ne resurgit pas, enclencher une nouvelle indexation des salaires sur les prix, puis une boucle d’indexation qui pourrait ainsi entraîner le monde dans un nouveau cycle de régime inflationniste. Le coût croissant de la nécessaire transition énergétique pourra également peser sur une hausse durable des prix. Rien n’est certain, loin de là, mais le cas n’est plus à exclure.

Gageons cependant que les banques centrales, affichant ainsi leur indépendance vis-à-vis des Etats comme des marchés financiers, agiraient alors, lorsque la croissance sera revenue sur sa tendance de moyen terme, pour stopper un tel retour à un régime inflationniste. Les augmentations de taux d’intérêt qui en résulteraient seraient d’ailleurs bienvenues pour freiner les bulles spéculatives en plein développement actuellement. Mais ceux des Etats ou des entreprises qui sont très endettés devraient alors s’y préparer au mieux, en agissant structurellement sur leur trajectoire de solvabilité.

Tribune publiée dans les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-pourquoi-linflation-pourrait-faire-son-grand-retour-1329762

Catégories
Politique Economique Zone Euro

L’Europe face à la pandémie

Le plan de relance Next Generation EU est une novation remarquable permettant à la Commission européenne de verser 750 Mds€ (répartis entre subventions et prêts) aux vingt-sept pays membres, en fonction, non plus de leur « poids relatif », mais des besoins de chacun des pays et d’objectifs partagés. Mais c’est aussi une grande novation car ce plan de relance permet en outre pour la première fois à l’Europe de lever une dette commune, solidaire, du même montant.

Né de l’accord historique trouvé entre la France et l’Allemagne, ce plan représente un important bond en avant dans la construction nécessaire d’une Union européenne plus forte, plus efficace et plus solidaire. Il était particulièrement légitime que ce plan soit salué comme une avancée européenne majeure. Sans aller pourtant jusqu’à le qualifier de « moment hamiltonien » de l’Europe. Alexandre Hamilton, premier secrétaire au Trésor des États-Unis, a en effet organisé en 1790 la reprise par le gouvernement fédéral des dettes des différents États américains, que la guerre d’indépendance avait alourdies considérablement. Parallèlement, il a établi des taxes à l’importation, source de revenus fédéraux récurrents. Hamilton, chef du parti fédéraliste, a ainsi permis aux États-Unis de franchir une étape décisive dans leur construction fédérale. L’Europe n’a pas franchi ce cap.

Pour commencer, cette évolution notable elle-même est aujourd’hui freinée par plusieurs types de dysfonctionnements et de blocages. Le déboursement des subventions et prêts apparaît en effet lent et complexe à mettre en œuvre. Le Parlement européen ayant adopté le plan, il faut pour être mis en œuvre qu’il soit approuvé et ratifié par la totalité des vingt-sept parlements nationaux, et les vingt-sept pays devront justifier auprès de la Commission européenne les utilisations de leurs subventions et leur accompagnement par des réformes nécessaires à leur économie. Une exigence sans doute compréhensible avant d’engager un tel acte de solidarité, mais une lenteur et une complexité malheureusement incompatibles avec le besoin de financement immédiat des États, à l’heure où l’on annonce une reprise plus lente pour l’Union européenne, avec des prévisions de croissance 2021 de + 4,4 % contre + 6,4 % aux États-Unis, qui auront en outre nettement moins ralenti en 2020 (- 3,5 %, contre – 6,8 % pour l’Europe).

Plus encore, rien ne garantit qu’un tel budget communautaire soit maintenu à l’avenir et que la dette commune qui l’accompagne puisse être renouvelée. Beaucoup de pays dits « frugaux » ont déjà laissé entendre, en effet, qu’il ne s’agissait que d’une opération « one off », uniquement liée à l’existence de la pandémie. La mise en place opportune de ces instruments ne conduira pas ainsi obligatoirement à la construction d’une Europe plus fédérale.

Par ailleurs, la pandémie accélère considérablement de nombreuses mutations qui étaient en cours, et ce dans tous les domaines. L’Europe n’échappe évidemment pas à ces mutations, mais elle n’est pas bien placée dans les nouveaux secteurs porteurs de l’économie. Elle doit donc envisager rapidement de mettre en commun plus de moyens pour amplifier et accélérer les investissements dans ces domaines. Ce que le plan Next Generation EU prévoit de faire certes, mais peut-être pas à la hauteur des enjeux de la compétition économique et technologique mondiale. Pour bien participer au dynamisme retrouvé de l’économie mondiale et être actrice dans les nouveaux secteurs moteurs de la croissance, il est nécessaire que notre Europe, vieille civilisation, ne perde pas sa vitalité, son goût pour l’innovation et sa capacité à prendre des risques. Le seul principe de précaution ne peut servir de guide pour préparer l’avenir.

En outre, il devient urgent de reprendre la construction institutionnelle de l’Union et a minima de la zone euro. Si elle veut défendre durablement son intégrité et son modèle social de marché, elle doit être tout à la fois efficace économiquement et solidaire. Les politiques structurelles nécessaires doivent donc être conduites pays par pays pour rassurer les pays « frugaux » quant au fait qu’ils n’auront pas ad vitam aeternam à payer pour les pays « dépensiers », en échange d’une mise en place d’éléments d’une union de transferts. Une politique d’investissement européenne pour réindustrialiser les régions déficitaires en est également une condition complémentaire et indispensable. Les politiques structurelles – à supposer qu’elles soient effectivement mises en œuvre – ne pourront à elles seules suffire. L’Europe devra d’ailleurs faire face au fait que les pays la composant sortiront de la pandémie avec davantage encore de disparités qu’en y entrant.

Enfin, il lui faut porter une stratégie commune pour exister sur la scène internationale entre les deux hyperpuissances américaine et chinoise, si elle souhaite peser à l’avenir dans le concert international, en y défendant ses valeurs tout autant que son poids politique, diplomatique et économique.

Si le sursaut de l’Europe face à la pandémie est à saluer clairement, l’ambition européenne doit rebondir avec un sens certain de l’urgence, en portant les modifications indispensables, notamment en termes de mode de régulation institutionnelle, si elle veut faire face aux très forts enjeux du temps présent. Le chemin ne sera pas facile, mais le temps presse.