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L’équation nouvelle de la dette dans le prochain quinquennat

Les taux d’intérêt resteront-ils durablement inférieurs au taux de croissance, comme si la dette n’avait pas d’importance ? On peut penser, au contraire, que les banques centrales vont initier ou continuer une augmentation progressive de leurs taux. Quelles seront alors les réactions possibles et pertinentes pour un État connaissant un niveau d’endettement élevé ?

Avant la toute récente guerre en Ukraine, la croissance était forte, même si elle déclinait légèrement eu égard au lent retour vers un taux de croissance plus normal après le rebond de 2021. La politique monétaire devait donc être a minima normalisée, sans à-coup du fait du fort endettement global et de marchés financiers et immobiliers très fortement valorisés, en sortant progressivement de la politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing), ainsi qu’en remontant prudemment les taux. Cette nécessité de resserrement venait du risque de surchauffe. Mais aussi du risque d’épuisement de la politique monétaire en cas de nouvelle crise future (et il y en a toujours). Enfin, du développement des bulles dues aux taux trop longtemps trop bas par rapport aux taux de croissance.

Puis est venu, il y a plusieurs mois, un regain d’inflation. Force a été de constater qu’une partie de cette inflation n’était pas transitoire et que l’on était probablement en train de changer de régime inflationniste. La Fed, puis la BCE, ont ainsi été conduites à accélérer leur annonce d’arrêt progressif de leurs achats nets de titres sur les marchés. Elles ont également déclaré qu’elles allaient remonter leurs taux un peu plus vite que prévu. Pour les mêmes raisons que celle décrites ci-dessus, l’enjeu était alors cependant toujours de ne pas aller trop vite dans la sortie de leur politique très accommodante. La BCE devait en outre faire face à la question plus spécifique et plus délicate de la zone euro, avec ses forts déséquilibres entre pays du Sud et pays du Nord.

Dans le même temps, les États avaient, et ont toujours, un besoin d’investissement pour le développement des nouvelles technologies, la réindustrialisation (même partielle) et la transition énergétique. Il existait donc un conflit entre, d’un côté, l’objectif de stabilité financière mise à mal par des taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps et désormais de lutte contre l’inflation et, de l’autre, celui du financement des nouveaux investissements nécessaires et de solvabilité des États, voire d’acteurs privés, dont l’endettement s’était fortement accru depuis 2000 pour le secteur privé et depuis 2007 pour le secteur public, avec en outre un renforcement significatif de l’endettement public dû à la pandémie.

D’où la montée de plusieurs voix en zone euro. Les uns énonçaient la nécessité de changer les règles budgétaires communes, en excluant du calcul des contraintes imposées sur les déficits publics les budgets d’investissements. Cette proposition étant doublée parfois de l’idée que, dans les circonstances actuelles, le niveau de dette publique avait peu d’importance, et que les banques centrales continueraient de financer longuement les futurs déficits. D’autres montraient un chemin plus étroit, mais me semble-t-il bien plus crédible, expliquant certes la nécessité de changer les règles communes de la zone euro, datées et peu efficaces, mais soulignant dans le même temps l’importance des compromis à trouver entre les pays du Nord et les pays du Sud sur ces changements de règles pour ne sélectionner comme candidats à l’exclusion que les investissements effectivement porteurs de croissance potentielle ou facilitant la transition énergétique. Toute dépense n’entraînant en effet pas toujours plus de croissance potentielle. Et l’amélioration du potentiel de croissance ne nécessitant pas toujours un surcroît de dépense. Il était également crucial, dans cette optique, de se mettre d’accord sur des règles budgétaires raisonnables, empêchant tout comportement de « passager clandestin ».

Le spectre de la stagflation

Aujourd’hui, la situation de guerre a engendré le spectre de la stagflation. Donc d’un ralentissement de la croissance qui sera d’au moins un point, ainsi que d’une inflation encore beaucoup plus forte que prévue avant le début de la guerre. Cela provoquera ainsi un dilemme encore plus intense pour les banques centrales. Mais, si le très vif regain d’inflation ne conduisait à aucune réaction ou à une réaction très faible de leur part, un risque majeur d’emballement de l’inflation pourrait survenir. Car aujourd’hui, la question de savoir s’il y aura un second tour de l’inflation ne se pose plus. Beaucoup d’industriels et de grands distributeurs augmentent leurs prix, ne pouvant plus contenir l’augmentation de leurs coûts. Et nombre d’entreprises ont commencé à augmenter leurs salaires. Elles ne peuvent en effet pas agir autrement, si elles souhaitent conserver leurs compétences ou être en mesure de recruter. Les prochaines négociations salariales renforceront ce phénomène.

Or, si l’inflation s’installe par les indexations des prix aux prix, des salaires aux prix et des prix aux salaires, avec une croissance ralentie, nous entrerons bien dans une dynamique stagflationniste potentiellement durable. Lorsque Paul Volcker, alors président de la Fed, a tenté en 1979 de sortir d’une longue stagflation, il lui a fallu provoquer une profonde récession pour parvenir à casser les phénomènes d’indexation. Faire fi de l’inflation serait également très dangereux en termes d’inégalité, car personne n’est égal, ni chez les salariés ni chez les entreprises, devant la capacité à répercuter dans ses revenus les augmentations subies des prix. Il faut de surcroît redouter une inflation qui puisse se transformer en un système tendant vers l’hyper-inflation, faisant perdre leurs repères aux agents économiques. Une inflation stable et basse permet des accords salariaux viables ; des catalogues de prix fiables entre les producteurs, les distributeurs et les consommateurs ; des contrats de prêt permettant de fixer les taux d’intérêt entre emprunteurs et prêteurs fondés sur une anticipation d’inflation partagée. Bref, une inflation stable et suffisamment basse est essentielle à la confiance. Or cette dernière est nécessaire à une économie efficace. La politique monétaire doit donc réagir à temps. Si elle ne le faisait pas, elle devrait agir plus tard en prenant beaucoup plus de risque. Les banques centrales doivent rester crédibles. En soutenant la croissance certes, mais en luttant clairement contre l’inflation. D’ailleurs, une inflation non contrôlée mine la croissance elle-même.

Un chemin étroit

Ce chemin sera très étroit. La politique de resserrement monétaire doit donc nécessairement être très prudente, donc très progressive. Cette trajectoire nécessitera de ce fait impérativement que les gouvernements également jouent bien leur partition. Ces derniers devront réaliser d’un côté les investissements nécessaires, porteurs de croissance potentielle, et de l’autre réduire les dépenses non nécessaires ou les réallouer utilement. En France, nous affichons depuis longtemps des dépenses publiques par rapport au PIB les plus élevées au sein de la zone euro ; pourtant sur certains domaines ces dépenses ne procurent depuis quelques décennies qu’une qualité très peu en rapport avec le niveau des dépenses réalisées. Les nombreuses mesures comparatives de l’OCDE en attestent très régulièrement. Ainsi, l’effort ne doit-il pas être que financier. Les investissements indispensables ne pourront donc se faire que si les réformes indispensables sont conduites. Comme celle de la retraite, qui tout en réduisant le déficit public soutient la croissance potentielle car elle accroît la population disponible au travail, alors qu’actuellement la France fait partie des États qui ont le taux d’emploi après 60 ans significativement le plus faible.

Au total, il est impératif que les banques centrales neutralisent, a minima, mais prudemment, leur politique monétaire, pour lutter contre un trop fort surcroît d’inflation, comme pour éviter une instabilité financière due à des bulles qui se développeraient encore. Et, simultanément, il est indispensable que les gouvernements augmentent la croissance potentielle par des investissements et des réformes et assurent un meilleur contrôle des dépenses. Afin de donner des trajectoires crédibles à leur politique budgétaire et assurer leur solvabilité dans un monde où les taux d’intérêt seront structurellement en hausse.

Le 16 mars de cette année, la Fed a augmenté son taux d’intervention de 25 centimes et donné à comprendre que les hausses à venir seraient nombreuses. La BCE, le lendemain, à son tour a annoncé un arrêt de ses achats nets de titres à fin juin et ouvert la porte à des hausses de taux ultérieures. Qui plus est, si la BCE ne conduisait pas un tel changement de politique, l’euro continuerait de se déprécier notamment contre le dollar, conduisant à une inflation encore plus forte, due à la hausse de prix en euro des produits importés. Le mouvement semble donc lancé.

Les impensés de l’«économie de guerre»

L’idée d’une « économie de guerre », guerre contre le changement climatique, guerre pour la réindustrialisation, comme guerre militaire, telle qu’elle commence à être évoquée ici et là chez certains économistes – si elle conduisait à penser que la dette n’avait pas d’importance et que les banques centrales seraient conduites à financer tout nouveau déficit permettant ainsi de dépenser très durablement sans contrainte – pourrait conduire à un désastre. Ce concept d’économie de guerre induit inéluctablement l’idée d’une durée très longue. Contrairement à un « quoi qu’il en coûte », limité à la durée de la pandémie. Or cette idée comporte un impensé : la monnaie. La monnaie est le fondement du système de règlement des dettes. Avoir confiance dans la monnaie c’est avoir confiance dans l’efficacité du système de règlement des dettes. De ce fait, si jamais la contrainte monétaire[1] était suspendue trop longtemps, alors ce serait la confiance dans la monnaie qui pourrait être remise en cause. Et si l’on n’avait plus la confiance dans la monnaie, nous pourrions connaître, non pas une inflation traditionnelle, mais une fuite devant la monnaie. Si les banques centrales ne cessaient jamais de faire du « quantitative easing » et maintenaient sans fin des taux trop bas par rapport au taux de croissance, non seulement se produiraient régulièrement de graves explosions financières, mais également tôt ou tard serait engendrée une fuite devant la monnaie qui serait dramatique. Avec pour conséquence la désorganisation et l’effondrement de l’économie et de la société. Car la monnaie est constitutive du lien social. Comme le dit Michel Aglietta : « la confiance dans la monnaie, c’est l’alpha et l’oméga de la société ».

[1] Soit l’obligation de payer ses dettes ou plus exactement, pour les Etats et les entreprises, de devoir les refinancer à leur terme auprès des prêteurs autres que les banques centrales.

Tribune publiée sur le site de Telos

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Les défis économiques du prochain quinquennat

Les analyses des économistes mettent en avant des questions comme celles des inégalités, de l’éducation et de la recherche, de la compétitivité, de l’endettement public, de la désindustrialisation, des tensions environnementales, des stratégies de l’Union européenne à construire, des politiques monétaires et budgétaires à conduire dans la période de sortie de la pandémie, des réformes du marché du travail et du système de protection sociale qui permettraient de favoriser l’emploi et la lutte contre la pauvreté, des actions à privilégier pour éviter que les tensions inflationnistes ne grèvent lourdement le pouvoir d’achat des ménages…

Pourtant quand on s’intéresse aux débats des candidats à la présidentielle 2022, on constate que ces sujets économiques qui devraient être en haut de la liste des thèmes dans leurs programmes sont en fait relégués au second plan au profit de débats plus médiatisés comme ceux qui tournent autour de l’immigration et de la sécurité. L’objectif de cette nocturne n’était pas de dire ce que serait le bon programme mais de mettre en lumière les sujets essentiels pour l’économie française en s’appuyant sur les travaux des chercheurs.

Olivier Klein – guerre et spectre de la stagflation

Olivier Klein – solidité du secteur financier

Patrick Artus – on est en économie de guerre

Olivier Klein – Réponse à Patrick Artus sur la question de l’économie de guerre

Patrick Artus – segmentation du monde

Xavier Ragot – On n’est pas vraiment en stagflation – revenir à la macroéconomie d’Abba Lerner 

Philippe Aghion : Guerre et spectre de la stagflation

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Conjoncture Politique Economique

Interrogation d’un banquier – économiste dans un contexte de guerre

Economiste, directeur général de la Bred et professeur à HEC, Olivier Klein décrypte les enjeux financiers d’une crise ukrainienne qui désarçonne les marchés. Rencontre.

Le climat est fébrile sur le plateau de BFM Business. Nous sommes le 8 mars. Journalistes et analystes sont encore abasourdis par l’explosion de la guerre en Ukraine, l’évolution de l’armée russe sur le terrain et l’essaim de sanctions occidentales ouvrant une « guerre économique et financière totale », selon les mots du président américain Joe Biden. Sur les marchés, la panique est palpable : le rouble connaît une évolution abyssale et l’indice CAC 40 a perdu 10 % de sa valeur en deux semaines. Olivier Klein, économiste et directeur général de la Bred (banque appartenant au groupe BPCE), invité de L’Entretien HEC-Challenges sur BFM Business, partageait son diagnostic avec Hedwige Chevrillon, journaliste et présentatrice de l’émission, et Vincent Beaufils, directeur de la publication de Challenges. « La Bourse était auparavant surévaluée, affirme-t-il. Un événement tel qu’une guerre envoie immédiatement au marché le signal qu’il faut dégonfler la bulle. En janvier déjà, la volatilité était très forte, ce qui laissait comprendre que la Bourse était fragile. »

« Moyens indécelables »

Presque un mois plus tard, le CAC 40 a retrouvé ses niveaux d’avant-crise, entre violences sur le théâtre des opérations et perspectives de négociations entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine. Challenges a donc repris contact avec Olivier Klein pour évoquer les derniers atermoiements de la finance. « Je crains que l’euphorie boursière soit revenue par anticipation d’une résolution négociée de la guerre, nous écrit l’économiste entre deux réunions. Mais la volatilité restera forte et l’inquiétude des marchés reprendra en fonction de la crédibilité qu’ils accordent aux intentions d’apaisement. »

Sur le plan géopolitique, les tensions ne semblent guère se calmer : l’Union européenne mène des inspections surprises au siège allemand de Gazprom, suspecté d’avoir fait monter les prix du gaz en Europe ; Vladimir Poutine a annoncé exiger que les paiements occidentaux de l’énergie russe soient désormais effectués en roubles, en violation avec les contrats en vigueur. Bruxelles a – pour l’instant – refusé la requête de Moscou et se prépare à faire face à une pénurie de gaz, dont les effets se feront sentir à l’hiver prochain. Il n’en demeure pas moins qu’un phénomène étrange est en train d’avoir lieu. Le cours du rouble est progressivement remonté à son niveau d’avantcrise, alors même que toutes les sanctions occidentales, d’une importance sans précédent contre un pays du G 7, ont été ciblées pour étrangler la monnaie russe : exclusion de sept banques du réseau de messagerie interbancaire Swift, gel des dollars et euros de la banque centrale russe (l’équivalent de 463 milliards de dollars), blocage des avoirs des oligarques proches du Kremlin. « C’est difficilement explicable, concède Olivier Klein. Soit les marchés anticipent la fin du conflit de manière étonnante, soit la banque centrale russe parvient à infléchir, via des moyens indécelables, le cours de sa monnaie et ainsi limiter l’atrophie de l’économie russe. » La Bred – qui compte 1,3 million de clients en France et un produit net bancaire d’1,4 milliard en 2021 – possède pour 40 millions d’euros d’encours sur des matériaux ou des matières premières agricoles, en train d’être achetées ou livrées en Russie avant le conflit. Et ce sont 800 millions de risques qui pèsent sur le groupe BPCE. « Naturellement, on s’interroge sur ce que cela va devenir », observe le banquier. Dans l’Hexagone, loin des combats, les inquiétudes des Français portent sur le pouvoir d’achat à l’approche de la présidentielle. Après une décennie de croissance et d’inflation atone combinée à une politique de création de monnaie menée par la Banque centrale européenne (BCE), le coût de la vie augmente subitement depuis cet été ; l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières depuis février porte aujourd’hui l’inflation à 4,5 % par an, selon les derniers chiffres de l’Insee. Autre facteur d’inflation, « les industriels ne peuvent plus éviter de répercuter sur leurs prix le poids de l’inflation sur leurs propres dépenses », juge Olivier Klein.

« Ligne de crête »

Tous les regards se portent sur la présidente de la BCE, Christine Lagarde, et ses prochaines décisions relatives à l’augmentation de ses taux directeurs. En dépendra l’évolution de la croissance de la zone euro. « La BCE est sur une ligne de crête, analyse le banquier, qui exerce aussi comme professeur de sciences de la décision à HEC. Elle doit à la fois préserver la solvabilité des Etats et la stabilité des marchés financiers, tout en montrant qu’elle luttera contre l’inflation. Cela passera immanquablement par une augmentation des taux, mais il ne faudra pas le faire trop rapidement ou trop fort, au risque de casser la croissance européenne. » Pour tenter de limiter cette éventualité, le gouvernement du président-candidat Emmanuel Macron a présenté mi-mars un plan Résilience : près de 26 milliards d’euros ventilés sous forme de « remises carburants » et mesures pour les secteurs en difficulté.

« A l’inverse, si la BCE tarde trop à relever ses taux, elle ne pourra éviter une augmentation des salaires pour 2023, qui alimentera l’inflation en retour dans une spirale nocive sur le pouvoir d’achat », note Olivier Klein. En face, les Etats devront, eux, gérer la hausse certaine de leur dette publique. « En France, cela passera par des réformes structurelles des dépenses publiques, et notamment par la réforme des retraites », estime l’économiste. Esther Attias

Esther Attias

Making of Nous avons rencontré Olivier Klein le 8 mars dans les locaux de BFM Business. A mesure que la guerre en Ukraine évoluait, il était devenu nécessaire d’échanger à nouveau avec l’économiste avant la publication de l’entretien. Une conversation téléphonique et plusieurs messages écrits ont permis d’actualiser l’interview initiale.

Voir la vidéo replay de l’entretien HEC
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Conjoncture Politique Economique Zone Euro

Sommes-nous en économie de guerre ?

Le conflit en Ukraine fait l’objet de nombreux débats dans les milieux diplomatiques et militaires. Mais chez les économistes aussi. Certains estiment même que nous sommes en économie de guerre. Que veulent-ils dire ?

Qu’en économie de guerre, l’Etat dépense massivement pour financer les équipements militaires, le soutien à ses alliés, l’accueil des réfugiés, l’indépendance énergétique. Il  y a des pénuries. Les prix montent.

Malgré cela, la Banque centrale fait tourner la planche à billets pour financer ces dépenses et ne se préoccupe plus de l’inflation, ce qu’elle fait d’habitude. Ce rôle revient à l’Etat, qui gère les conséquences en bloquant les prix – comme on le voit sur le gaz ou l’électricité – ou en instaurant des rationnements.

Quand on est en économie de guerre, la Banque centrale ne remonte donc pas les taux d’intérêt et ne demande pas aux Etats de surveiller leurs déficits.

Et qu’en pense Christine Lagarde, la présidence de la Banque Centrale Européenne ?

C’est très compliqué pour elle, car clairement, le mandat de la BCE n’a pas prévu qu’il y aurait un jour une guerre si proche en Europe. Juridiquement, sa seule mission est donc d’assurer la stabilité des prix, de lutter contre l’inflation, et elle n’a théoriquement pas le droit de financer les dépenses des Etats.

Pourtant on a vu pendant la pandémie qu’elle pouvait le faire en rachetant des obligations de la France ou de l’Italie. Tout le monde a donc le regard tourné vers elle.

Or jeudi dernier, elle a confirmé que la BCE voulait arrêter d’acheter des dettes publiques au troisième trimestre. C’est donc bien qu’à ses yeux, il est plus important de lutter contre l’inflation que de soutenir l’économie comme si on était en guerre. En tout cas, pour l’instant.

Et les économistes sont d’accord avec ça ?

Et bien, il y a deux camps. Ceux comme Patrick Artus conseiller de la banque Natixis, ou Xavier Ragot, qui dirige l’OFCE, l’institut de conjoncture rattaché à Sciences po. Pour eux nous sommes doublement en économie de guerre: pour soutenir l’Ukraine et pour lutter contre le réchauffement climatique.

Et à l’opposé, il y a des économistes comme Olivier Klein, prof à HEC et directeur de la Bred, banque du groupe Banque Populaire, ou Philippe Aghion, professeur au Collège de France, qui sont beaucoup plus prudents et qui considèrent qu’il faut faire attention aux dépenses et à la hausse des prix. Plus de quoi qu’il en coûte, donc. Sinon, tôt ou tard, les investisseurs et tous les Européens pourraient perdre confiance dans leur monnaie, l’euro.

Ils préféreraient alors des placements en or, en franc suisse, qui a déjà beaucoup monté, ou en dollar. C’est vrai que le conflit est plus proche de nous que de Washington. Ce débat, Mathilde, ne fait que commencer.

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Le risque d’instabilité financière peut-il venir des non-banques ?

Les pratiques, mais aussi les règles comptables, ont leur influence dans le comportement des banques et du secteur non bancaire, deux segments complémentaires tout en étant concurrents. La réglementation a aussi son rôle. D’où la nécessité de réfléchir à une réglementation pour les non-banques.

Faire correspondre les capaci­tés de financement des uns et les besoins des autres, telle est l’ambition du système finan­cier. Autrement dit, des banques et des marchés financiers. Ces deux composants ont des rôles pour partie identiques et pour partie distincts. Les deux contribuent au financement des acteurs économiques. La part de la finance de marché a fortement monté dans le monde depuis la grande crise financière. Elle atteint jusqu’à envi­ron 50 % des financements en géné­ral, et 30 % pour le segment des cor­porate. Il est d’ailleurs utile que les fonds de placements, les gestion­naires d’actifs et les investisseurs institutionnels – acteurs majeurs des marchés financiers – prennent leur part dans les financements. Car les banques ne peuvent suffire à elles seules à assurer la totalité à financer.

Les marchés acceptent des risques refusés par les banques

De plus, ils peuvent apporter des capitaux à des entreprises plus dif­ficiles à financer par les banques, notamment aux start-up ainsi qu’à l’innovation en général. Explication : le risque de crédit de ces secteurs est généralement trop élevé pour les banques, vu la contrainte de protection des dépôts qui leur sont confiés. Les fonds d’investissement peuvent accepter de perdre davantage si, en moyenne dans le temps, les gains en capital réalisés sur les entreprises qui survivront et réussiront sont supérieurs aux pertes et si leurs détenteurs acceptent de prendre ce risque.

Les deux types d’acteurs composant le système financier sont en outre différents du point de vue de la stabi­lité financière. D’une part, parce que les banques inscrivent à leur bilan la valeur historique des crédits accordés. Elles doivent provisionner le risque de façon statistique, mais aussi au cas par cas en fonction de leur appréciation d’une éventuelle dégradation com­promettante de la capacité de rem­boursement de chaque emprunteur. En revanche, les fluctuations des opi­nions moyennes sur la qualité du risque ne sont pas prises en compte et n’en­traînent aucune variation comptable.

Une appréhension différente du risque

L’approche est totalement différente du côté des fonds : ils doivent enregis­trer à chaque instant la variation de la valeur de marché de leurs investisse­ments financiers, en application des règles comptables de fair value. Cela induit une différence de comporte­ment considérable entre les banques et les fonds. Les banques choisissent de faire crédit en fonction de leur ana­lyse de la capacité de remboursement dans le temps de l’emprunteur. Les fonds, eux, choisissent d’acheter des obligations en fonction de ce qu’ils pensent de l’évolution de l’opinion majoritaire du marché quant à la valeur de la prime de risque affec­tée à l’emprunteur. Pourquoi prêter si l’on pense que la valeur de l’obli­gation s’abaissera prochainement même si l’on ne craint pas in fine un non‑remboursement ? Sauf à ce qu’il soit conditionné fortement par la perspective de la titrisation des crédits octroyés ou de la revente des risques par CDS[1], le comportement des banques est donc bien plus stable par construction que celui des fonds. Les mécanismes de valorisation de ces derniers sont en effet beaucoup plus volatils, car liés aux phénomènes auto-référentiels des marchés.

En outre, les fonds ne prennent pas les risques financiers sur eux-mêmes. Tant les risques de crédit, de taux d’intérêt que de liquidité sont effectivement laissés dans les mains des investisseurs finaux, ménages ou entreprises. Alors que dans le cas de l’intermédiation bancaire, les banques prennent à leur charge ces risques sur leurs propres comptes de résultats. Et elles le font de façon professionnelle, réglementée et supervisée. Permettant ainsi aux ménages et aux entreprises n’en ayant pas la compétence ou le désir de ne pas les prendre.

Prise de risque accrue des taux très bas

Les banques et les intermédiaires financiers non bancaires comme les fonds sont donc tous les deux très utiles, tout à la fois concurrentiels et complémentaires. Mais la proportion accordée à chacun dans le système financier global participe fortement à la stabilité ou l’instabi­lité d’ensemble. Ajoutons un point fondamental, sur lequel les grandes banques centrales sont en train de se pencher. Depuis la grande crise finan­cière de 2007-2009, la réglementation des banques s’est significativement renforcée, notamment via les ratios de solvabilité exigés (plus de capitaux propres pour des risques identiques) et l’établissement de ratios contrai­gnants limitant le risque de liquidité. Il n’existe pas de réglementation de ce genre pour les intermédiaires finan­ciers non bancaires.

Or, la politique monétaire de taux très bas très longtemps a conduit progressivement les acteurs finan­ciers, pour le compte des épargnants, à rechercher du rendement, en pre­nant de plus en plus de risque. En termes de risque de crédit – incluant des effets de levier de plus en plus élevés – avec des primes de risque écrasées. Comme en termes de risque de liquidité, en allongeant toujours plus les durées de titres de crédit et en abaissant le niveau attendu de leur liquidité. Les actifs des fonds sont ainsi devenus plus vulnérables dans une proportion non négligeable, ainsi que le sou­lignent toutes les études des orga­nismes chargés de la supervision de la stabilité financière dans le monde. Le risque peut ainsi être repoussé hors du système bancaire vers les agents financiers non bancaires, sans contrôle.

Attention à l’aléa moral !

Due à l’impact envisagé de la pan­démie, la violente crise financière de mars 2020 a été heureusement très vite maîtrisée par les banques cen­trales. Elles ont agi très fortement et très rapidement. Mais cette crise a aussi montré la résilience des banques et, parallèlement, la vulnérabilité de nombre de fonds. Les banques cen­trales ont dû acheter des montants très élevés de titres aux fonds en difficul­tés, y compris high yield. Il fallait évi­ter un enchaînement catastrophique, dû notamment à des retraits brutaux d’investisseurs finaux auxquels ne pouvaient pas faire face ces fonds sans accuser de pertes trop importantes ou sans crise de liquidité majeure.

La réglementation prudentielle et macroprudentielle ne peut pas tout, mais elle est essentielle pour atténuer la procyclicité naturelle de la finance et pour prévenir autant que possible le risque d’instabilité financière.

Elle doit impérativement aujourd’hui être étendue et adaptée aux intermé­diaires financiers non bancaires. Elle est en outre indispensable pour lutter contre l’aléa moral, car sans régle­mentation préventive et avec des sau­vetages lors des grandes crises, la prise de risque peut être toujours plus élevée, et ce sans limite ou presque, grâce à une option gratuite donnée par les banques centrales contre les accidents graves. Enfin, la propor­tion entre banques et non-banques dans le système financier pris dans son ensemble doit faire également l’objet d’une analyse et d’une poli­tique adéquates pour définir l’équi­libre le plus favorable, à la fois à la croissance et à la stabilité finan­cière.

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Disparités au sein de la Zone Euro Sources de risques pour l’après Covid ?La nécessité des réformes

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