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Crise de la zone euro et nécessaire union bancaire européenne

Je commencerai par une mise en perspectives. Les problèmes de la zone euro en ce moment viennent fondamentalement du fait qu’elle n’est pas complète, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire classique. Notamment, on ne sait pas très bien régler les divergences naturelles qui viennent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : il y a des pays qui se désindustrialisent, il y en a d’autres qui s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains pays. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on assiste à deux phénomènes d’accélération, deux boucles d’accélération, deux cercles vicieux. Le premier qu’on connaît bien évidemment, vient de ce que, lorsqu’on lutte intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance.

Cette boucle se met en place via le recul de la croissance – dû à l’augmentation des impôts et à la baisse des dépenses publiques – qui tend à contrecarrer les efforts de la réduction du déficit public . Ce phénomène renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu égard au ralentissement de la croissance, voire de la récession.
Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne en boucle le risque bancaire et le risque souverain.

On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan . De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les États, eux-mêmes isolés, pour prendre en compte le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’État espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur l’État et renforçait la boucle d’accélération des risques dont je viens de parler.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif d’une zone monétaire et elle en est essentielle. Pourquoi ? Parce que d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles étant parfois la suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils ne veulent pas voir les problèmes et qu’ils s’aveuglent eux-mêmes.

On parle souvent de « capture » (c’est un mot à la mode en ce moment) nationale du régulateur. Le fait d’organiser une supervision au niveau européen a l’avantage de supprimer cette question de capture et d’imposer à tous une qualité de supervision identique. C’est d’autant plus valable – c’est le deuxième argument – que nos banques sont aussi multinationales en Europe, et qu’il est beaucoup plus simple de ne pas se contenter de juxtaposer des régulations et des supervisions nationales et de se fier à une supervision directement européenne, quitte à ce qu’elle comporte évidemment des démembrements nationaux. Cela assure une homogénéité tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité de la supervision.

Le deuxième élément de l’Union bancaire européenne, c’est certainement une solidarité interbancaire au niveau européen. Mais cette solidarité inquiète les banques qui vont bien parce qu’elles ont peur d’être « embarquées » par les banques qui vont moins bien. C’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. C’est-à-dire qu’il pourrait y avoir, au-delà des garanties de dépôt nationales existantes, des garanties de dépôt qui s’enclencheraient, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Enfin, c’est le fait de mettre en place un système européen de résolution des crises avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les États, pour éviter la seule recapitalisation des banques par leur seul État isolé qui ne fait rien d’autre sinon d’aggraver la boucle que j’ai évoquée. Ce Fonds d’intervention direct pourrait intervenir directement comme on l’imagine auprès de banques de certains pays sans passer par l’État, ce qui briserait précisément ce cercle vicieux.

La fonction de l’Union bancaire européenne est donc de rassurer. Elle devrait permettre de rassurer les clients des banques fragiles de certains pays en difficulté et éviter les bank run. On est bien là dans la prévention des risques systémiques et tout à fait bien dans la régulation.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tous les problèmes de la zone euro ?

Non à elle seule, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Est-ce que ce sera suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse pour le moment : le montant des fonds d’intervention – évidemment, ce sera crucial – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir. Restons optimistes et espérons qu’il sera possible d’aller jusqu’au bout de la logique de l’union bancaire et de ses objectifs.

L’Union bancaire ne résoudra pas à elle seule les problèmes de fond structurels de la zone euro. Mais c’est un premier pas et un pas essentiel pour restaurer le calme et aborder les problèmes de fond. Il ne faudrait pas que l’Union bancaire soit un substitut à un fédéralisme plus poussé, d’autant plus que l’Union bancaire apporte de toutes façons une mutualisation du risque de la dette : s’il y a des fonds qui sont nourris par les États au niveau européen pour intervenir sur les banques, cela signifie que les États mutualisent une partie de la dette qui va permettre de résoudre le problème. Pourquoi pas ? Mais il faut que cela soit assumé ou assumable, et que cela ne serve pas à éluder la question de la mise en place nécessaire d’une union de supervision et de transferts budgétaires qui comprenne également une véritable coordination des politiques économiques. On peut espérer que l’Union bancaire européenne, qui a été décidée, marquera le début du sursaut européen.

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L’activité de crédit aux entreprises et la transformation du secteur bancaire

JOURNAL DE L’ECONOMIE – Le 05/12/2011 – 07:49:23

Invité : Olivier KLEIN, Directeur Général de BPCE

STEPHANE SOUMIER

Olivier KLEIN est avec nous. Bonjour Olivier KLEIN !

OLIVIER KLEIN

Bonjour.

STEPHANE SOUMIER

On va tout se dire… justement, on était évidemment avec vous en pleine discussion permanente, deux casquettes, je vais mobiliser vos deux casquettes, celle d’abord de celui qui est en charge de la banque commerciale en France du groupe BPCE – BANQUES POPULAIRES ET CAISSES D’EPARGNE notamment – et puis il y a aussi la casquette de l’économiste, professeur à HEC et on ira parler de ce qui se joue en ce moment sur la planète financière. D’abord le groupe BPCE, d’abord le financement de l’économie. Je vais être très clair, Olivier KLEIN, vous ne pouvez pas me dire qu’il ne se passe rien en ce moment. On a trop d’échos. On reçoit trop de bruit des entreprises nous disant : les banques sont en train de durcir les conditions du crédit, les banques sont en train de nous rejouer le coup de 2008. Qu’est-ce qui se passe exactement et quelles sont les consignes que vous donnez à l’ensemble des établissements aujourd’hui, qui financent l’économie, Olivier KLEIN ?

OLIVIER KLEIN

Tout d’abord sur l’économie dans son ensemble, avec l’ensemble des banques, les derniers chiffres à fin septembre montrent que le taux de croissance des crédits n’a pas faibli. En revanche, il a commencé à changer vraiment à partir de l’été un peu et ces derniers mois. Jusqu’à fin uin,j fin septembre même, la croissance des crédits était de 6% par an, c’est-à-dire au-dessus de la croissance nominale de l’économie, aucun ralentissement. Depuis les derniers mois, il y a un ralentissement. En premier lieu ce que tout le monde pense, c’est que c’est la demande de crédit qui faiblit. Les banques sont toujours là pour faire du crédit immobilier, les CAISSES D’EPARGNE, les BANQUES POPULAIRES, toutes les banques, mais la demande de crédit faiblit et ce n’est pas anormal. Elle était extraordinairement élevée esl deux années précédentes. Donc c’est normal. Sur les PME, en second lieu …

STEPHANE SOUMIER

Là, on a un chiffre spectaculaire quand même Olivie r KLEIN : quand on regarde les encours de crédit pour les PME – parce qu’il faut sortir les chiffres globaux – on est passé de + 6,6% au mois de septembre à + 1,4% au mois d’octobre en croissance des encours de crédit pour les PME.

OLIVIER KLEIN

Il y a une inflexion très grande effectivement comme je vous le dis, à la rentrée, après l’été. La réalité quand même, c’estque ce n’est pas les banques qui freinent. Ça paraît bizarre, je le sais bien, mais ce n’est pas les banques qui freinent. Plusieurs raisons : la première, c’est que les banques, c’est leur activité de faire du crédit ; elles font de l’épargne, elles font du crédit, si elles font moins de crédit, elles vont moins bien, elles ont besoin de faire du crédit pour leur produit net bancaire, pour leurs revenus. La deuxième raison, c’est qu’en plus, c’est leur fonction économique ; clairement les très grandes entreprises peuvent se passer des banques en allant se financer sur les marchés financiers; les particuliers, les professionnels, les PME ne le peuvent pas, elles n’ont pas la surface pour aller sur les marchés, donc elles vont auprès des banques. Il y a plusieurs choses qui entrent en jeu dans la baisse de la demande de crédit : un, l’extrême inquiétude de l’été. Aujourd’hui. Ça fait quoi ? Ça fait que les chefs d’entreprise très légitimement, qui ont commencé à voir la baisse de leurs carnets de commandes à partir de septembre et d’octobre, se disent : il vaut mieux se mettre à la cape, donc beaucoup retardent leurs projets d’investissement, donc le financement de l’investissement. Les particuliers, il y a un changement comme je le disais tout à l’heure sur la demande de crédit immobilier…

STEPHANE SOUMIER

Mais quand c’est les crédits de trésorerie par exemple Olivier KLEIN, qui eux pour le coup s’effondrent, les crédits de trésorerie ! On est passé de +16,5% en août à + 4,4% en octobre ! Ça, ce n’est p as les chefs d’entreprise qui se mettent à la cape !!

OLIVIER KLEIN

Gestion du BFR, dont gestion des stocks, beaucoup plus précautionneuses dans les entreprises. Quant aux banques, c’est possible, qu’en anticipant la récession dont tout le monde parle, elles commencent à durcir un peu les critères de crédit, mais pas en fonction du fait qu’elles ont décidé de moins faire de crédit comme cela, simplement parce qu’en anticipant la récession, elles pensent qu’il y a certaines entreprises plus fragiles. Mais le plus souvent, et de loin c’est la demande des entreprises qui baisse. On le voit sur le terrain !

STEPHANE SOUMIER

Mais Olivier KLEIN, vous êtes un expert, c’est vous qui envoyez l’ensemble des consignes pour BANQUE POPULAIRE, pour CAISSE D’EPARGNE…

OLIVIER KLEIN

BANQUE POPULAIRE et CAISSE D’EPARGNE, il n’y a aucune consigne de durcissement des crédits…

STEPHANE SOUMIER

Parce qu’ils nous parlent, les employés des banques – et je les en remercie d’ailleurs – et ce qu’ils nous disent fondamentalement, c’est que rien n’a changé dans les consignes, simplement avant on avait le droit d’outrepasser les consignes, maintenant on n’a plus le droit d’outrepasser les consignes, voilà.

OLIVIER KLEIN

Moi je ne sais pas pour les réseaux dont les décisions se prennent à Paris…

STEPHANE SOUMIER

Non, non, on parle de vos réseaux, on ne parle que de vos réseaux Olivier KLEIN bien sûr…

OLIVIER KLEIN

Pour les CAISSES D’EPARGNE et les BANQUES POPULAIRES, ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’y a aucune consigne ; il y a simplement un jeu normal de prêteurs qui pensent que certaines en treprises peuvent être beaucoup plus fragiles, qu’il faut accompagner certaines entreprises avec plus de parcimonie et pour beaucoup d’autres au contraire qu’il faut les accompagner largement pendant les difficultés parce qu’elles rebondiront derrière. Ce qu’il y a de certain, c’est que même en cas de récession, il y aura de très nombreuses entreprises qui vont survivre, il faut absolument être à leurs côtés ; d’autres qui auront plus de difficultés, il faut les accompagner jusqu’au moment où c’est anormal de les accompagner . C’est aussi le rôle des banques de savoir ne pas accompagner des entreprises qui ne survivraient pas, sinon les marchés de produits et de services dysfonctionneraient totalement, avec des entreprises saines qui seraient entraînéesvers le bas, parce que des entreprises structurellement déficitaires survivraient artificiellement, car elles trouveraient toujours le crédit pour financer leurs pertes permanentes.

STEPHANE SOUMIER

Bien sûr mais est-ce que vous vous sentez avec une responsabilité qui dépasse finalement le simple exercice de votre profession de banquier ? Avec une responsabilité quasi-nationale de soutenir dans cette période particulière l’économie et les entreprises ?

OLIVIER KLEIN

Oui comme en 2008-2009. Honnêtement, j’étais moi-mê me sur le terrain et dans ma région, je ne voyais absolument aucune entreprise qui disait qu’elle n’était pas soutenue…

STEPHANE SOUMIER

Région Rhône-Alpes c’était à l’époque…

OLIVIER KLEIN

En Rhône-Alpes. Ce qui était très bien en 2008-2009et qui va reprendre de la vigueur maintenant, c’est ce rôle de médiateur qui existe au niveau national, développé au niveau régional, qui permet aux différentes banques de s’entendre avec l’entreprise et de se coordonner. Parce qu’il y a un risque, le manque de coordination des banques entre elles quand elles gèrent leur relation avec une entreprise. Une entreprise aime bien les mettre en concurrence quand tout va bien, mais quand ça va plus mal, les banques ont peur que d’autres banques s’en aillent. Donc forcer la coordination est une bonne chose et le rôle du médiateur dans ce cas-là est une très bonne chose…

STEPHANE SOUMIER

D’accord. Et l’idée de centraliser aussi l’ensemble des dispositifs d’aides – René RICOL était venu nous l’expliquer d’ailleurs…

OLIVIER KLEIN

Tout ça est très positif. J’ai entendu René RICOL chez vous. C’est très positif parce que cela permet aux chefs d’entreprise de mieux savoir comment agir en cas de problèmes chez lui.

STEPHANE SOUMIER

Globalement, ce que se disent les chefs d’entreprise, ce qu’on se dit tous Olivier KLEIN, c’est que votre priorité là, ça va être vous-même… C’est que les banques aujourd’hui sont à nouveau dans une telle situation de fragilité qu’elles vont avoir comme seule obsession que de survivre.

OLIVIER KLEIN

Ça c’est le deuxième volet que je n’ai pas encore abordé. Il y a comme on sait bien, des marchés financiers volatils. Tant que la zone euro est incertaine, il y a des marchés financiers qui financent moins les banques européennes, il n’y a aucun doute là-dessus. Et on a la nouvelle règlementation. La nouvelle réglementation, c’est plus de solvabilité. On en est tous d’accord. Je suis absolument persuadé de la nécessité de la réglementation, donc je ne lutte en aucun cas contre cela et même la rendre plus dure, cette réglementation, est légitime.

Donc plus de solvabilité est légitime. Pas trop vite, pas trop intensément. Parce que sinon on demande aux banques d’augmenter leur ratio de capitaux propres sur crédits et si elles ont un peu mal à augmenter leurs capitaux propres parce que les marchés ne sont pas prêts à venir souscrire à des augmentations de capital des banques ou parce que les résultats nets qu’on va capitaliser seraient insuffisants pour le faire, il va falloir serrer les crédits. Regardez, toutes les banques ont lancé aujourd’hui non pas des programmes de resserrement de crédits en France mais des programmes de cessions d’activités. Ça, c’est pour essayer de se profiler comme il faut pour les échéances de juin prochain notamment mais aussi de fin 2013 pour les ratios de solvabilité.

Et puis il y a les ratios de liquidité nouveaux. Ces ratios de liquidités LCR et autres, dont on parle de temps en temps chez vous notamment, sont des ratios qui pourraient contraindre le crédit ; ils ne sont pas encore mis en place et je sais que l’Europe a une réflexion sur leur potentiel aménagement pour éviter leurs dangers éventuels etéviter qu’ils ne ralentissent davantage encore le cycle économique. Ce n’est pas encore fait. Mais nous n’avons pas encore réduit en France, dans les banques commerciales, le crédit à cause de la réglementation.

STEPHANE SOUMIER

Mais si jamais ces ratios de liquidité devaient s’imposer, on courrait un grand risque Olivier KLEIN ?

OLIVIER KLEIN

Il y aurait un risque. Il y aurait un risque avec la mise en place des ratios de liquiditésans aménagement mais encore une fois c’est pour plus tard. Et il y a un risque en cas d’augmentation trop rapide et trop forte des ratios de solvabilité. C’est normal de les augmenter, il faut un peu de temps pour le faire.

STEPHANE SOUMIER

Mais est-ce qu’on ne pourrait pas très simplement appuyer sur le bouton pause sur l’ensemble de ces nouvelles réglementations que vous venez de décrire de manière très claire, Olivier KLEIN ?

OLIVIER KLEIN

C’est au régulateur de le dire et de le penser et pas seulement d’un point de vue de solvabilité mais d’un point de vue aussi de conjoncture économique. Je pense que c’est une réflexion qu’il faut avoir, au moins gérer les évolutions progressivement dans le temps. Je pense qu’il faut faire attention à l’impact macro-économique de la régulation, ça fait partie aussi de ce qu’elle doit faire. Je pense que les gens y réfléchissent.

STEPHANE SOUMIER

Il y a eu un geste spectaculaire de l’ensemble des banques centrales de la planète même parce que même la banque centrale c hinoise finalement n’est pas restée inactive de son côté, l’ensemble des banques centrales pour essayer de soulager le système et à ce moment-là, c’est toujours le problème, quand on voit des mesures d’urgence, on se dit : « ah ! c’est qu’il y avait besoin d’urgence ! » ; est-ce que ça veut dire que les banques à nouveau étaient dans une situation de fragilité comparable par exemple à ce qu’elles ont pu traverser à l’automne 2008, Olivier KLEIN ?

OLIVIER KLEIN

Tout repose sur la zone euro. Les banques européennes, vis-à-vis des marchés financiers et notamment des prêteurs américains et asiatiques etc sont considérés comme fragiles non pas tant par elles-mêmes – les banques françaises par exemple ne sont pas fragiles et même tout à fait solides – mais elles sont fragilisées par le fait que la zone euro est dans ce moment d’incertitude profond. Quand on nous interroge à l’étranger, on nous dit : où va la zone euro ? Est-ce qu’elle va subsister ? Quelles sont les réponses ? Et au fond, on demande aux banques de se prémunir contre un risque d’Etat. La réalité, c’est qu’il faut régler le problème de certains Etats et les banques françaises iront très bien. Donc, si on règle le problème des Etats, on aura réglé le problème des banques.

STEPHANE SOUMIER

Mais tant qu’il y a cette défiance, il y a de la tension sur les liquidités.

OLIVIER KLEIN

Oui. Aujourd’hui, les banques centrales interviennent et c’est normal parce qu’elles prêtent en lieu et place des marchés .

STEPHANE SOUMIER

Olivier KLEIN, est-ce que je peux vous demander de manière très exceptionnelle de rester avec nous encore pendant cinq-six minutes, c’est possible ? Parce que j’ai une question supplémentaire à vous poser sur vos propres salariés et sur les salariés des banques. Mais on va faire ça dans « Le journal de l’économie » dans un instant.

(…)

STEPHANE SOUMIER

Et on retrouve Olivier KLEIN, le directeur général de BPCE en charge de l’ensemble des activités françaises pour BANQUE POPULAIRE et CAISSE D’EPARGNE. Juste un mot, Olivier KLEIN, pour démarrer ce Journal de l’économie parce que je sais qu’il y a énormément de salariés du secteur bancaire qui nous écoutent. Ils ont de plus en plus de mal à faire face à l’ensemble de ce que leur demandent les banques, chiffres mis en évidence par une enquête du Syndicat national de la banque et du crédit. Trois quarts d’entre eux pensent qu’ils n’ont pas les moyens de réaliser leurs objectifs, 70% d’entre eux disent qu’ils n’ont pas l’intention de rester dans ce secteur jusqu’à la retraite et un sur cinq se dit victime de harcèlement. Qu’est-ce que vous pouvez leur dire, Olivier KLEIN ?

OLIVIER KLEIN

La première des choses c’est qu’on vit quand même une conjoncture particulièrement pénible pour l’ensemble des banques, votre sondage est sur l’ensemble des banques en France.

STEPHANE SOUMIER

Oui, absolument.

OLIVIER KLEIN

…depuis 2007, 2008. On a dit d’abord que toutes les banques étaient responsables de la crise, alors que la crise venait de beaucoup plus loin et que les banques de détail, les banques commerciales, notamment en France, n’avaient absolument pas fait défaut, elles ont toujours été là en termes de crédit et n’ont jamais fait de « subprime ». Ensuit e, on entend que les banques récemment ont spéculé sur les Etats, ce qui est un non-sens total parce que nos banques françaises, allemandes et autres, n‘ontjamais spéculé contre les Etats, elles ont simplement fait des placements de bon père de famille sur des Etats qui étaient considérés comme des investissements sans risque du tout. Certains Etats ont changé de nature de risque. Je pense que les gens commencent à changer d’ailleurs dans l’opinion publique, ils commencent à comprendre que les banques ne sont pas les grandes fautives. Les salariés entendent aussi que les liquidités sont difficiles, ce dont on parlait il y a un instant…

STEPHANE SOUMIER

Absolument.

OLIVIER KLEIN

…Qu’il faut changer un peu la façon de faire le métier parce qu’aujourd’hui on fait plus d’épargne bilantielle par exemple. Il y a encore quelques années on demandait de faire un peu plus d’épargne assurance-vie. Les clients eux-mêmes demandent des choses qui évol uent et ils montent beaucoup leur niveau d’exigence.

STEPHANE SOUMIER

Ils sont en première ligne, ils sont en première ligne…

OLIVIER KLEIN

Ils sont en première ligne dans nos réseaux !

STEPHANE SOUMIER

J’ai même envie de dire ils sont en première ligne du changement du monde en fait, j’ai l’impression, ils sont le creuset de toutes les transformations qu’on est tous obligés d’encaisser !

OLIVIER KLEIN

C’est vrai, c’est exactement cela, et ils ont parfois des gens qui viennent les voir dans les agences avec une agressivité certaine, aussi parce que la vie n’est pas toujours simple. Donc imaginez un petit peu qu’ils sont tous ensemble en première ligne.

STEPHANE SOUMIER

Bon, vous avez le sentiment d’un désarroi profond quand même, Olivier KLEIN ?

OLIVIER KLEIN

Non ! Si vous voulez, c’était plus simple, pas plus facile, pas moins de travail, mais plus simple de faire de la banque il y a encore trois, quatre ans, c’est évident. Aujourd’hui, il faut se justifier un peu d’être « banquier » alors qu’on fait un métier on ne peut plus utile, qu’heureusement il y a des banques pour tous les particuliers, pour tous les professionnels, pour toutes les PME.

Heureusement qu’il y a des banques, sinon il n’y aurait pas d’économie. On fait un métier particulièrement utile, on transforme l’épargne en crédit, ça irrigue et permet le développement de nos régions. On est implantés dans toutes nos régions, on vit, on est en symbiose avec nos territoires. Tout cela est indispensable, mais, en ce moment, il faut le justifier tous les jours. La deuxième chose c’est que le modèle de revenu bancaire change un peu. Il y a la Commission européenne, la Direction de la concurrence, de nouvelles réglementations qui limitent un peu chacune les revenus des banques. Il faut essayer de compenser, de ne pas tomber dans l’attrition. Bien sûr cela veut dire qu’il faut être mobiles, agiles. La plupart de nos conseillers dans nos agences savent parfaitement bien le faire, sont mobiles et agiles. Et puis il y a en a qui ont vécu des changements depuis bien longtemps et des changements sur les changements, à la fin certains peuvent être lassés. Il faut savoir aussi les accompagner. Il faut savoir aussi les comprendre et faire en sorte qu’ils se sentent le mieux possible et qu’on les accompagne du mieux possible.

STEPHANE SOUMIER

Merci beaucoup Olivier KLEIN, merci d’avoir été avec nous ce matin, directeur général du groupe BPCE en charge de la banque commerciale en France.

OLIVIER KLEIN

Merci à vous. 08:08:02 FIN]

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Regards croisés sur l’évolution du monde économique avec Daniel Cohen, Professeur d’Économie à l’École Normale Supérieure et à Paris 1

Débat du 28 janvier 2011 entre Daniel Cohen (Professeur d’Economie à l’Ecole normale supérieure et à Paris 1) et Olivier Klein autour de l’évolution du monde économique, la sortie de crise et les problèmes économiques de la zone Euro, animé par Stéphane Soumier,

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La crise financière : du neuf avec du vieux

Dossier : les institutions financières dans la crise

Les crises financières se répètent, montrant à chaque avènement une similarité fondamentale de leurs origines et de leur déroulement, mais aussi leur caractère spécifique. Toute crise financière prend l’une au moins des trois formes canoniques que l’histoire nous a fait connaître régulièrement depuis le XIXe siècle. Souvent elle prend chacune des trois formes successivement ou simultanément. L’analyse qui suit s’inspire notamment des travaux de Michel Aglietta et des économistes de la Banque des règlements internationaux.

La première forme de toute crise bancaire, aujourd’hui comme hier – on peut même dire que c’est la forme la plus ancienne de crise –, est la crise de spéculation. Pourquoi les actifs patrimoniaux (actions, immobilier, or, etc.) peuvent-ils faire l’objet de bulles spéculatives ? Parce que leur prix, contrairement à celui d’un bien ou d’un service industriel ou commercial reproductible, ne dépend pas de leur coût de revient, de ce que les économistes appellent leur coût marginal. C’est pourquoi il peut s’éloigner fortement de leur prix de fabrication.

Asymétries

Le prix d’un actif financier dépend en fait fondamentalement de la confiance que l’on place soi-même dans la chronique des revenus futurs qu’il peut engendrer, une chronique promise par son émetteur. Mais la détermination du prix dépend aussi de ce que chacun anticipe quant à la confiance des autres accordée à cette promesse. Chacun raisonnant de la sorte.

Pour peu que les informations ne soient pas bien partagées (entre le prêteur et l’em-prunteur, l’actionnaire et le management, ou entre les acteurs de marchés eux-mêmes) et que le futur soit difficilement probabilisable, ces asymétries d’informations et cette incertitude fondamentale favorisent le mimétisme des acteurs. Il est alors, en effet, très difficile de connaître la valeur intrinsèque de l’actif considéré, et, de ce fait, de parier sur elle. En ce cas, le sens du marché est donné par les autres, car il est le pur produit de l’expression de l’opinion majoritaire qui se dégage. Les acteurs s’imitent rationnellement, afin de tenter d’anticiper et de jouer les tendances du marché, de façon totalement autoréférentielle. C’est ainsi que peuvent se développer des bulles spéculatives fortes et durables. Ces bulles finissent par se « crever » soudainement, au moment du retournement de l’opinion majoritaire, dans un mouvement encore plus fort que celui qui a caractérisé la phase précédente.

Le sens du marché est le pur produit de l’expression de l’opinion majoritaire qui se dégage.

Euphorie

La deuxième forme, la crise de crédit, vient quant à elle du fait que, dans une longue période de croissance, tous (banques et emprunteurs) oublient progressivement la possi-bilité de survenance des crises et finissent par anticiper une expansion sans limite. Dans cette phase euphorique, les prêteurs diminuent dangereusement leur sensibilité au ris-que et le niveau de levier (dettes sur niveau de richesse ou de revenus pour les ménages ou d’actif net pour les entreprises) finit par atteindre des seuils que tout observateur objectif est amené à considérer comme déraisonnable. Et ce phénomène s’amplifie considérablement encore lorsque les prêteurs apprécient la solvabilité des emprunteurs non plus à l’aune de leurs revenus futurs probables, mais à l’aune de la valeur antici-pée des actifs (actions ou immobilier notamment) financés ou qui servent de garantie. Enfin, bien souvent, pendant cette phase, ils acceptent, par le jeu concurrentiel, des marges qui ne couvriront pas le coût du risque de crédit à venir. La situation financière des agents économiques se révèle extrêmement vulnérable lorsque le retournement conjoncturel intervient. Aussi, au moment de la crise, les prêteurs (banques et marchés) reconsidèrent-ils brutalement le niveau de risque encouru, et par un effet symétrique du précédent, inversent-ils fortement leur pratique d’attribution du crédit, tant en termes de volume que de marge, jusqu’à provoquer un credit crunch – ou resserrement du cré-dit –, qui va lui-même amplifier la crise économique qui l’a suscité.

Défiance

Troisième forme canonique de la crise : la crise de liquidité. Lors de certains dérou-lements dramatiques des crises financières, une défiance contagieuse apparaît. C’est typiquement le cas dans la crise financière et bancaire que nous connaissons aujourd’hui. Cette défiance induit pour certaines banques une course fatale de leurs clients aux retraits des dépôts (ce que les spécialistes appellent un « bank run »).

Elle peut également conduire à une raréfaction, voire une disparition, de l’intention des banques de se prê-ter entre elles, de par la crainte de faillites bancaires en chaîne. Cette illiquidité du marché du financement interbancaire – sans intervention des Banques centra-les en tant que prêteurs en dernier ressort – produit les faillites tant redoutées. En outre, d’autres formes d’illiquidité peuvent se produire. Certains marchés financiers, liquides hier, peuvent se révéler soudainement illiquides, tant la notion de liquidité de marché, telle que l’a analysée André Orléan, est là encore hautement autoréférentielle. Un marché n’est liquide que si tous les acteurs pensent qu’il l’est. Si une méfiance sur sa liquidité s’installe, tous les acteurs se trouveront alors vendeurs pour sortir de ce marché, pro-voquant du même coup, de façon endogène, son illiquidité. Dans la crise actuelle, le cas le plus emblématique est le marché des ABS (asset-backed securities, en français « titres adossés à des actifs », c’est-à-dire fondamentalement les actifs titrisés).

Un marché n’est liquide que si tous les acteurs pensent qu’il l’est.

Une chose entraîne l’autre

Ces trois types de crises s’entrelacent souvent et s’entraînent mutuellement dans une situation qui devient alors critique. À titre d’exemple, le crédit peut se développer trop rapidement, de par la croissance elle-même anormalement élevée des prix des actifs patrimoniaux qui servent de garantie à ces crédits. Et les prix de ces actifs s’emballent eux-mêmes, car des achats additionnels sont permis par des crédits plus faciles. On obtient là un phénomène de divergence auto-entretenue et potentielle-ment durable dans des marchés qui ne s’équilibrent pas par eux-mêmes à des niveaux « normaux ». De même, la crise de liquidité est-elle engendrée, par exemple, par une crainte soudaine sur la valeur des créances bancaires et des actifs financiers que les établissements financiers détiennent.

À la recherche de liquidité, les banques vont alors moins financer l’économie et tenter de céder leurs actifs. Ce qui aggrave à son tour la crise spéculative comme la crise du crédit. La grande crise qui a commencé concrètement en 2007 est, comme les crises précédentes, la combinaison de ces trois formes. Une bulle spéculative immobilière tout d’abord, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne. Une crise du crédit ensuite, due à une hausse dangereuse du taux d’endettement des ménages dans ces mêmes pays et à un effet de levier très élevé des banques d’investissement, des entreprises en LBO et des hedge funds notamment. Une crise de liquidité, enfin, des marchés de produits de titrisation et du refinancement interbancaire, due aux perturbations issues de la faillite de Lehman Brothers. Chaque crise renforçant les deux autres, dans un processus auto-entretenu.

Ce qui ne se voit pas

La composante idiosyncratique de la crise actuelle, quant à elle, repose sur le déve-loppement rapide, ces dernières années, de la titrisation des créances bancaires.

La titrisation sort du bilan des établissements de crédit des créances bancaires sur des particuliers, des entreprises, comme des collectivités locales. Ces créances sont regroupées de façon souvent hétéroclite dans des supports eux-mêmes à fort effet de levier, supports revendus à d’autres banques, aux assureurs comme à des fonds de placement, c’est-à-dire in fine à tout un chacun.

La titrisation a permis un accrois-sement important du financement de l’économie mondiale, puisqu’elle autorisait les banques à réaliser bien davantage de crédits que si elles avaient dû les conserver à leur bilan. Mais cette technique a incité les banques qui l’utilisaient le plus (notam-ment aux États-Unis) à abaisser considérablement leur niveau de sélection et de suivi des emprunteurs et à accepter de prêter à des agents de moins en moins solvables, puisqu’elles n’encouraient plus aucun risque après titrisation. C’est ainsi, par exemple, que les encours de crédits subprime se sont multipliés, amplifiant considérablement la crise de crédit qui s’est fait jour après l’éclatement de la bulle immobilière.

La titrisation non régulée a ainsi considérablement aggravé la crise de crédit, mais aussi de liquidité. En effet, la difficile traçabilité de ces crédits et le mélange de bons et de mauvais crédits dans les mêmes supports, comme l’opacité et la complexité (CDO de CDO…) des produits titrisés ont, à leur tour, aggravé l’ampleur de la crise elle-même. Chacun n’ayant plus confiance dans la qualité, ni même dans sa compréhen-sion de ce type de placements, la liquidité s’est trouvée brutalement tarie. Par crainte des actifs ainsi détenus aux bilans des banques, voire des assureurs, cela a induit du même coup une crise de liquidité, notamment interbancaire, d’une violence que l’on pensait à jamais reléguée au passé. La difficulté de résoudre les problèmes ainsi sou-levés s’en est trouvée accrue pour les pouvoirs publics. La première leçon à tirer porte donc sur la dynamique réalisée sans régulation de la titrisation et sur le rôle que ce mécanisme doit jouer à l’avenir dans l’activité des banques.

Imposture

Élément important, les agences de notations, fortes de modèles mathématiques fon-dés sur des hypothèses restrictives mal appréciées et sur l’analyse exclusive des séries passées, ont donné un label de qualité (note AAA) à des tranches des supports en question. Or, ce label s’est révélé de très piètre qualité au fur et à mesure du dérou-lement de la crise. Ces notes, qui ne visaient d’ailleurs pas le risque de liquidité, ont conduit nombre d’investisseurs, y compris bancaires, à se rassurer à bon compte et finalement à tort sur la qualité de leurs actifs financiers, sans beaucoup s’interroger sur les raisons pour lesquelles un placement coté AAA pouvait être si bien rémunéré. Il y a là une réforme incontournable à prévoir pour redonner à ces agences à la fois un sens objectif à leur mission et une indispensable crédibilité.

L’entremêlement des trois formes canoniques de la crise financière et des éléments spécifiques de la crise actuelle explique la gravité extrême de la situation, avec son cortège de banques en détresse, de panique des investisseurs, de credit crunch en cours et, finalement, de crise économique sévère. Seules les fortes actions des pouvoirs publics, au moment même où chacun doute de tous les autres, ont pu récemment commencer à détendre quelque peu le marché interbancaire et à éviter une explosion du système financier dans son ensemble. Reste maintenant à prendre du champ pour contrer les conséquences économiques de la crise financière et bancaire et pour éviter que l’on ne se retrouve dans une situation aussi critique à relativement court terme.

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Quelles réformes pour limiter l’instabilité financière ?

Dix Propositions

Aujourd’hui, deux évidences s’entrechoquent. En premier lieu, les marchés financiers ne s’autorégulent pas. En finance globalisée et déréglementée, ils conduisent inéluctablement à des crises plus ou moins violentes qui amplifient, voire déclenchent, 295 les cycles de l’économie réelle, tant dans leurs phases euphoriques que dans leurs périodes dépressives. La seconde évidence est le caractère indispensable de ces mêmes marchés financiers qui autorisent la réallocation des risques (de taux d’intérêt et de change, par exemple) et qui permettent, complémentairement aux banques, l’ajustement des besoins et des capacités de financement mondiales. Les banques, seules, ne peuvent pas aujourd’hui assurer la totalité du financement de l’économie.

C’est pourquoi une conclusion s’impose avec force : la nécessité d’une réglementation adéquate et de réformes de diverses natures permettant de limiter l’instabilité intrinsèque de la finance, à défaut de la faire disparaître. Soyons vigilants à ce que ces réformes soient bien engagées avant que l’on ne s’empresse, avec le retour ultérieur d’une nouvelle phase euphorique, d’oublier les leçons récurrentes que nous apporte chaque crise financière.

Les raisons de l’instabilité inhérente à la finance sont de mieux en mieux analysées. Elles se trouvent dans la nature profonde d’un actif financier ou patrimonial, dont le prix n’est pas fonction de son coût de fabrication, à l’instar d’un bien ou d’un service reproductible. Sa valeur correspond en fa$ à l’évaluation d’une promesse de revenus futurs engendrés par l’actif considéré. Or, cette prévision est très incertaine, tant l’avenir est difficilement probabilisable dans une économie décentralisée et monétaire.

En effet, les évolutions du taux d’épargne des ménages comme les multiples interactions des agents privés concurrents et complémentaires rendent les succès ou les échecs des uns et des autres très difficiles à prévoir et encore davantage à quantifier.
Les économistes parlent ici de situation d’incertitude radicale ou fondamentale. Mais la prévision est également incertaine parce que le risque exact de l’émetteur de l’actif en question (action ou titre obligataire, par exemple) est mal connu par le détenteur du titre. Ce dernier ne possède en effet une information parfaite ni sur la situation actuelle de l’émetteur, ni sur ce que celui-là fera demain, modifiant ainsi éventuellement profondément son profil de risque. Cette asymétrie d’information et cette incertitude radicale induisent une difficulté profonde à connaître en toutes circonstances avec vraisemblance les prix d’équilibre, les prix « normaux », des actifs financiers, facilitant en cela les comportements mimétiques et les créations de bulles.

S’ajoute, dans la phase euphorique, une capacité à oublier les effets des crises précédentes et, de ce fait, à ce que les 296 acteurs économiques augmentent leur niveau d’endettement, en poussant l’effet de levier à des niveaux tels qu’ils fragilisent leurs situations financières, et lors de la phase dépressive, à brutalement chercher à réduire cet endettement, aggravant ainsi considérablement le retournement conjoncturel. En outre, ce phénomène s’amplifie encore lorsque les prêteurs apprécient la solvabilité -des emprunteurs non plus à l’aune de leurs revenus futurs probables, mais de l’évolution anticipke des prix des actifs (actions ou immobilier, par exemple) qui sont ainsi financés ou qui servent de garantie.

Enfin, viennent s’ajouter de façon exogène, par exemple, des règles de rémunération des acteurs ou des normes comptables et prudentielles qui peuvent être des causes additionnelles de l’instabilité et de la procyclicité de la finance par rapport à l’économie réelle.

Tout projet de réformes doit donc s’attacher à lutter contre les causes tant endogènes qu’exogènes de cette instabilité. S’attaquer aux causes exogènes est sans doute la tâche la tâche la moins ardue.

S’ATTAQUER AUX CAUSES EXOGÈNES

Première proposition

Les normes comptables IFRS (International Financial Reporting Standards) ont privilégié l’évaluation des actifs au bilan en fair value, fondée essentiellement sur les prix de marché. Cette décision repose sur l’hypothèse que le prix de marché est à tout moment la meilleure représentation de la « vraie valeur de tel ou tel actif. Or, la profonde crise de liquidités que nous connaissons aujourd’hui a montré, si besoin était, que lorsque le marché s’évanouit sous la pression des vendeurs, en l’absence d’acheteurs, les prix s’effondrent au-delà de toute réalité fondamentale. De même et symétriquement, lorsque nous sommes au cœur d’une bulle spéculative, le prix du marché est totalement déconnecté de toute valeur d’équilibre. Il est donc nécessaire, comme la situation de 2008 y conduit, de pouvoir estimer raisonnablement la valeur au bilan des actifs, lorsque le marché ne permet plus de le faire.

Sans quoi, la dévalorisation comptable conduit à des ventes additionnelles qui s’entraînent les unes les autres, dans un mouvement auto-entretenu des prix vers le bas, et symétriquement en cas de hausse. II est donc nécessaire, en cas de défaillance des marchés, d’utiliser d’autres méthodes que celles de la fair value pour d u e r un actif. Sans revenir la méthode de comptabilisation en valeur historique, qui peut être trompeuse en cas d’actifs détenus en trading il peut être utile de procéder au mdrk to model, sous réserve de contrôle extérieur desdits modèles, ou à la simple actualisation des flux futurs raisonnablement attendus.

En outre, à l’opposé de l’effet provoqué par les normes IFRS, afin 297 d’atténuer la procyclicité du crédit, il est hautement souhaitable de favoriser le provisionnement des banques.

Si ces dernières peuvent provisionner par avance les risques futurs non encore avérés de leurs crédits, elles sont moins contraintes d’abaisser leur production de crédit lors de la survenance d’un fort ralentissement économique. L’impact de leurs pertes accrues dues à l’augmentation du coût du risque de crédit sur leurs capitaux propres est dors en effet compensé, au moins pour partie, par leurs reprises de provision. Enfin, il conviendrait de réexaminer les vertus de l’ancien plan comptable des banques sur un point : celui qui permettait la constitution et la reprise discrétionnaire de fonds pour risques bancaires généraux.

Deuxième proposition

De même, les normes prudentielles Bâle II sont-elles procycliques.
Les capitaux propres des banques exigés par Bâle II sont proportionnels aux engagements de crédit notamment, eux-mêmes pondérés en fonction des risques qui leur sont associés. Parallèlement, les positions sur les marchés financiers sont également prises en compte en fonction des risques qui leur sont propres (méthode de la valse at risk).

Les modèles d’évaluation de ces risques, tant de crédit que de marché, étant essentiellement fondés sur les données des quelques années précédentes et prenant mal en compte les risques extrêmes, une phase économique euphorique conduit peu à peu à permettre plus de crédits et plus de positions spéculatives pour une même quantité de fonds propres, donc d’accroître encore l’euphorie. Tandis qu’une phase dépressive impose aux banques d’abaisser leur rythme de crédit ou de diminuer leurs positions sur les marchés, pour une quantité donnée de fonds propres, donc de renforcer la dépression elle-même. Aussi est-il indispen$able de modifier, sans doute, les modèles d’évaluation des risques et la durée de la période passée qu’ils prennent en compte, ou encore d’appliquer des stress scénarios aux modèles, permettant de prendre en compte des cas plus extrêmes (décomposition en facteurs de risque et application de chocs indépendants). Enfin, à modèles identiques, la solution est probablement, à l’instar de ce que fait l’Espagne, d’adapter le ratio de fonds propres exigés lui-même, en fonction de la phase économique traversée, de façon à i’élever pendant la période haussière du cycle et de l’abaisser lors du retournement, afin de lui faire jouer un rôle contracyclique. Le deuxième pilier de Bâle II autorise théoriquement les autorités monétaires à procéder de la sorte, mais, en i’absence de règles plus claires et partagées, il ne le permet pas en pratique de façon satisfaisante et coordonnée.

Troisième proposition

La question du mode de fonctionnement des agences de notation est égaiement au ceur de la réflexion. Leur caractère procyclique est là encore avéré. De plus, le rating des C D 0 (collate~zseddebt obligation) n’est pas semblable à celui des coupoïates. Les modèles d’évaluation des tranches de titrisation ont failli, et pas uniquement parce qu’ils n’intégraient pas le risque de liquidité. Outre le fait que ces modèles utilisaient des données collectées sur une durée trop courte, ils prenaient peu ou pas en compte les effets de non-linéarité liés aux effets de seuil, eux-mêmes dus à la mise en jeu successive du risque des differentes tranches de titrisation. En outre, ils ont mai appréhendé les corrélations des défauts des différents composants des supports de titrisation.

Enfin, il est crucial d’imposer que les agences de notation aient bien l’obligation de réaliser ou de faire réaliser la due dilzgence des sous-jacents de la titrisation, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent (d’où des tricheries sur les documents des crédits subprime, par exemple).

Ajoutons sur un autre plan que ces agences sont rémunérées par les émetteurs qui ont besoin de leur notation, ce qui pourrait inciter à douter de leur impartidité. Cependant, comme il n’est pas possible de concevoir un système viable qui reposerait sur un paiement par les utilisateurs, car les investisseurs sont disséminés et de taille très inégale, il reste soit à rendre ces agences publiques, arguant ainsi qu’elles rendent un service apportant un bien collectif, soit plus proba-blement à les soumettre à uri organisme de supervision qui vérifie la qualité des méthodologies utilisées et des résultats expost, comme le respect d’une déontologie corivenable.

En outre, comme cela a étk fait pour les commissaires aux comptes, il serait judicieux d’établir leur responsabilité civile en cas d’erreur fautive dans leur processus de notation, en comptant sur la régulation jurisprudentielle pour s’assurer davantage que leur mode de paiement n’influe pas sur leurs décisioris. Enfin, il semble qu’il soit absolument nécessaire, dans le même esprit, de séparer leurs activités de conseil (en préparation d’une notation) et de notation.

Quatrième proposition

La question de la rémunération des traders est également décisive, même si l’on ne peut en aucun cas en faire la cause principale des désordres actuels. Les bonus, payés annuellement, représentent des sommes extraordinairement importantes à l’échelle d’un individu et sont fondés sur les gains réalisés grâce aux positions de trading prises. Ce système de rémunération est totalement asymétrique, puisqu’il n’engendre pas de malus en cas de pertes. Aussi, est-il puissamment incitatif à prendre des risques importants. A minima, il serait indispensable. de ne calculer et de ne verser les bonus que lorsque les 299 position sont finalement débouclées. Mais surtout, puisque les phases fastes et moins fastes, voire désastreuses comme aujourd’hui, se succèdent au fil du temps sur les marchés, il pourrait être envisagé de ne payer la partie principale des bonus qu’à l’issue de cycles de trois à cinq ans, par exemple, induisant ainsi un comportement de plus long terme des traders. Il serait sans doute également sage de limiter ces mêmes bonus à un multiple plus raisonnable du salaire fixe, non seulement pour une question éventuelle d’équité sociale, mais aussi et surtout pour éviter les comportements professionnels déraisonnables induits par des sommes hors normes.

Notons enfin que ces systèmes de rémunération pourraient être examinés par les organes de supervision et entrer en ligne de compte dans le niveau d’exigence des fonds propres. Il est probable, en effet, que la seule autorégulation des banques ne puisse parvenir à assagir les modes de rémunération, dès lors que la concurrence interbancaire
sera à nouveau forte en ce domaine.

FAIRE FACE AUX CAUSES ENDOGÈNES

Faire face aux causes endogènes de l’instabilité financière est, par construction, moins aisé. Un certain nombre de pistes doivent être cependant poursuivies.

Cinquième proposition

Commençons par la voie la moins facile à mettre en oeuvre à cette fin : la politique monétaire: Ainsi que le disent nombre de banques centrales, il est, en premier lieu, difficile, voire impossible, d’utiliser l’arme des taux d’intérêt, afin de freiner ou d’empêcher l’apparition des phases euphoriques sur les marchés d’actifs patrimoniaux, car c’est Egalement le taux d’intervention des banques centrales qui permet d’influencer le taux de croissance économique. Or, ralentir la croissance par une augmentation de taux n’est souvent pas souhaitable, alors même qu’il serait utile de ne pas laisser se développer de phase euphorique sur les marchés.

En second lieu, les banques centrales ne peuvent déterminer avec précision la valeur des fondamentaux et ne sont donc pas certaines de bien cerner le début des bulles spéculatives.

En revanche, les autorités monétaires pourraient, à n’en pas douter, mieux régler qu’elles ne le font aujourd’hui les exigences de capitaux propres des établissements financiers en fonction de la phase en cours. En effet, le plus souvent, les bulles spéculatives sur le marché des actions comme celui de l’immobilier s’accompagnent d’un développement trop rapide du crédit, c’est-à-dire du niveau d’endettement et des niveaux de levier. Si l’endettement n’était pas en mesure de s’accélérer de façon anormale, de par une exigence plus forte de fonds propres bancaires, les bulles auraient moins d’oxygène pour se développer. Un réglage des taux de réserve obligatoires suivant le même objectif peut parfaitement s’envisager en complément.

Reste bien entendu le risque pour les banques centrales d’agir à
contretemps.

Sixième proposition

Les bulles viennent, comme nous l’avons vu, d’une capacité des acteurs à développer un fort mimétisme – rationnel à titre individuel, mais conduisant à une irrationalité collective ,en l’absence de repères fiables quant aux valeurs fondamentales.
Les banques centrales tentent ainsi de rendre la parole régulièrement afin de préciser au marché, lorsque c’est nécessaire, que les prix leur semblent sortir des plages « normales » correspondant à une juste appréciation des fondamentaux. Pourtant, ces mises en garde n’ont en général que peu d’effets. Ainsi, Alan Greenspan a-t-il parlé d’exubérance irrationnelle sur le marché des actions dès 1996. Cela n’a pas empêché l’une des plus fortes bulles de se former et d’éclater en 2000.

Peut-être serait-il possible d’imaginer une instance indépendante, un observatoire scientifique composé d’experts de renom, lié au FMI ou à la Banque des règlements internationaux (BRI), capable d’émettre un rapport public, trimestriellement par exemple, mesurant les tensions spéculatives sur les différents marchés d’actifs patrimoniaux.

Les économistes de la BRI ont mis à jour des indicateurs prédictifs assez fiables des crises financières et bancaires à venir. Ils reposent essentiellement sur la mesure de l’écart entre l’évolution instantanée des prix de l’immobilier et des actions et leur tendance longue de croissance, ainsi qu’entre le niveau des crédits sur le PIB et son niveau de référence de long terme. II est possible d’espérer que si de tels rapports étaient régulièrement faits et qu’ils étaient rendus publics avec le retentissement qu’il convient, ils pourraient peu à peu influencer la formation des anticipations des agents sur les marchés. Ils pourraient aussi permettre de diminuer la capacité d’aveuglement au désastre (disaster myopia) des marchés. Ce biais cognitif largement partagé correspond à la désensibilisation progressive de toute personne au risque qu’il encourt, au fur et à mesure que la survenance du dernier évènement à fréquence rare et à effet violent (ici la crise financière) s’éloigne dans le temps, favorisant ainsi des comportements qui conduiront à faciliter l’avènement du prochain désastre.

Septième proposition

Le court-termisme est inhérent à la finance, car il est rationnel pour des gestionnaires de fonds ou des dirigeants de banque d’adopter ou de faire adopter un horizon très court dans la gestion de leurs positions, eu égard précisément à l’incertitude quant aux valeurs fondamentales. Quand on ne sait pas quel est le « vrai » prix, on ne parie pas longtemps sur une convergence du prix de marché vers une anticipation incertaine de la valeur fondamentale. Aussi, est-il difficile de réduire ce court-termisme.

Quelques pistes cependant. Au-delà des fonds souverains qui ne sont pas contraints par le court terme, il serait possible d’orienter certains fonds vers le long terme, les fonds de pension par exemple, car leurs sorties sont programmables de longue date. Leur comptabilité pourrait être adaptée, afin de ne pas exiger un enregistrement comptable des différents soubresauts de marché. De façon parallèle, les règles de sortie des fonds pourraient être revues en fonction de leur nature afin, par exemple, que des fonds actions n’aient pas une liquidité quotidienne, allongeant ainsi l’horizon des gestionnaires et des détenteurs.

Limiter le court-termisme pourrait également passer par une publication de la valeur des fonds et de leur benchmarking à une fréquence moins élevée, afin de ne pas aggraver le mimétisme de leurs propres gestion.

En outre, afin d’encourager les investisseurs particuliers, par exemple, à acheter de tels fonds, il pourrait être envisagé une fiscalité attractive. Il est en effet plus judicieux d’accorder des taux d’imposition bas ou nuls, non à des enveloppes d e produits ou de fonds, tels que les P M en France, par exemple, mais à la détention directe ou indirecte des fonds qui auraient la particularité d’être de long terme. En effet, même au sein d’un P M , il est tout fait possible d’acheter et de vendre des fonds cotés quotidiennement et benchmarkés mensuellement. Détenus’au sein d’un P M ou non, ces fonds sont conduits rationnellement à adopter des horizons très courts et des comportements très mimétiques, sous peine d’être revendus par leurs détenteurs des lors qu’ils n’auraient pas profité d’une hausse, dont d’autres auraient bénéficié, fût-elle au sommet d’une bulle spéculative. Une fiscalité avantageuse réservée à des fonds de long terme pourrait donc être un outil puissant pour limiter le court-termisme inhérent aux marchés financiers.

Huitième proposition

Renforcer la supervision est une nécessité attestée par tous. Elle passe.par la supervision d’organismes jusqu’alors peu ou pas contrôlés, les hedgefinds et les véhicules de titrisation notamment. Ils se comportent, en effet, comme des banques, mais disposent d’un levier non réglementé et de risques non scrutés par des superviseurs. Il en va bien évidemment de même pour les banques d’investissement aux États-unis qui ont été pour la plupart aidées par la Fed, alors même qu’elles n’en dépendaient pas. Ajoutons qu’aux États-Unis encore, la supervision est très éclatée. &si, par exemple, les établissements ayant distribué les crédits subprime n’étaient-ils pas supervisés par la Fed.

En outre, il pourrait certainement être utile d’envisager une mise en commun ou a minima d’une coopération active des superviseurs des banques et des assurances. En effet, la circulation des risques de crédit, par exemple, par le biais du marché des CDS (credit default swaps), entre les assureurs et les banques est intense. Et Son a assisté de plus à une intégration des métiers et parfois des capitaux des uns chez des autres.

Par ailleurs, un superviseur unique, ou à tout le moins fédéral, aurait grand avantage à prendre forme dans la zone euro, voire dans l’Union européenne. Internationalement enfin, les organismes de supervision étant nationaux et les phénomènes de crise financière et de contagion étant mondiaux depuis la globalisation financière, une coordination internationale plus poussée des superviseurs est devenue nécessaire.

Plus généralement, les régulateurs doivent prêter une attention extrême aux capacités des acteurs économiques à augmenter déraisonnablement le levier d’endettement dans les phases euphoriques, parfois en contournant les réglementations ou en utilisant leurs insuffisances (distribution de crédit subprime aux États-Unis, titrisation permettant un fort effet de levier des banques malgré Bâle IL..).

Neuvième proposition

La titrisation et le marché des CDS ont fait couler beaucoup d’encre. Ils sont certes les éléments spécifiques et aggravants de la crise financière actuelle. Ils sont pourtant nécessaires, car ils permettent aux banques d’accorder davantage de crédits que s’ils n’existaient pas. Les banques ne seraient pas en mesure à elles seules de financer l’économie mondiale sur la base de leurs fonds propres. Il n’en reste pas moins qu’ils doivent être repensés pour être à la fois plus efficaces et plus « moraux ». Tout d’abord, les supports de la titrisation comme les CDS doivent être standardisés. Leur hétérogénéité actuelle a ajouté considérablement à la confusion des marchés et à leur manque de liquidités. Pour les CDS, il est indispensable, en outre, de les insérer dans des marchés organisés, avec tutelle de marché et chambre de compensation, afin de garantir la bonne fin des contrats, grâce aux appels de marge quotidiens et aux deposits, qui permettent quasiment de supprimer le risque de contrepartie.

Pour l a titrisation, il est nécessaire d’en atténuer l’aléa moral qui l’accompagne, puisqu’une banque qui titrise ses créances ne supporte plus le risque du crédit qu’elle a octroyé, ni l’obligation de « monitorer » l’emprunteur pendant la durée du crédit. Toutes choses qui pourtant définissent normalement le rôle des banques dans le processus du crédit, de la sélection dans l’octroi de crédit jusqu’à son remboursement. Pour entraver la possibilité des banques de ne pas s’intéresser au remboursement du crédit – donc de ne pas jouer leur rôle de banques -,comme cela a été montré jusqu’à l’absurde sur le marché des subprimes aux États-Unis, devrait être instaurée l’obligation des banques de conserver la responsabilité du risque sur environ 10 %, par exemple, des crédits titrisés, en indiquant précisément dans le prospectus le risque exact conservé par la banque et en imposant un reporting précis auprès des souscripteurs. Enfin, il n’est pas raisonnable d’avoir laissé des titrisations des créances bancaires se faire à travers des structures (conduits) portant des actifs souvent longs, avec un refinancement très court.

Ces conduits sont en quelque sorte des ersatz de banques non contrôlées, permettant de faco aux banques d’augmenter leur levier, sans le même contrôle réglementaire. Or, ces mêmes banques devaient donner des garanties de refinancement de leurs conduits, exerçable en cas de problème de liquidité, les contraignant alors à reprendre les risques précédemment titrisés. De plus, en l’occurrence, ta disparition du refinancement par le marché, à laquelle ont été confrontés les conduits, révèle une très forte incertitude quant à la qualité des créances ainsi titrisées.

Dixième proposition

Plus fondamentalement et plus en amont, la forte instabilité financière est souvent facilitée par des déséquilibres macroéconomiques et macro-financiers mondiaux. C’est certainement le cas de la crise financière actuelle, qui s’est déroulée dans un contexte de déficits courants américains très élevés. Ces déficits sont financés sans limites par des réserves officielles chinoises, elles-mêmes dues à des excédents courants imposants, et permis par une devise chinoise très longtemps sous-évaluée. D’où les réflexions actuelles sur un nouveau Bretton Woods, réglant de façon plus harmonieuse notamment les valeurs des monnaies entre elles. Il est malheureusement probable qu’une telle tentative n’aboutisse pas, tant les intérêts nationaux en cause peuvent ne pas s’accorder. Il n’est pourtant pas inutile de chercher les arrangements possibles, même temporaires, qui seraient éventuellement de façon plus coordonnée les modes de résolution de telles divergences d’intérêt.

Réduire l’instabilité financière n’est pas aisé, mais, comme nous l’avons vu, des pistes sérieuses et pragmatiques sont possibles. Les idées présentées ici ne sont certainement pas exhaustives. Mais il est nécessaire de les étudier et, le cas échéant, de les faire aboutir au plus vite. La stabilité financière est un bien collectif qui contribue à la croissance et au bien-être de chacun. La démonstration par l’absurde est en train d’en être donnée.

Rédaction achevée en janvier 2009.

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La crise financière actuelle : nouveauté ou répétition de l’histoire ?

Publié dans la revue Sociétal – numéro de Printemps 2009

La première de ses formes, et la plus ancienne, est la crise de spéculation. Pourquoi les actifs patrimoniaux (actions, immobilier, or…) peuvent-ils faire l’objet de bulles spéculatives ? Parce que leur prix, au contraire de celui d’un bien ou service industriel ou commercial reproductible, ne dépend pas de leur coût de revient. C’est pourquoi leur prix peut s’éloigner fortement de leur prix de fabrication. Le prix d’un actif financier dépend donc en fait fondamentalement de la confiance que l’on place soi-même dans la chronique des revenus futurs qu’il peut engendrer, une chronique promise par son émetteur. Mais la détermination du prix dépend aussi de ce que chacun anticipe quant à la confiance des autres accordée à cette promesse. Chacun raisonnant de la sorte.

Pour peu que les informations ne soient pas bien partagées (entre le prêteur et l’emprunteur, l’actionnaire et le management, ou entre les acteurs de marchés eux-mêmes) et que le futur soit difficilement probabilisable, ces asymétries d’informations et cette incertitude fondamentale favorisent le mimétisme des acteurs.

Il est alors, en effet, très difficile de connaître la valeur fondamentale de l’actif considéré, et, de ce fait de parier sur elle. En ce cas, le sens du marché est donné par les autres, car il est le pur produit de l’expression de l’opinion majoritaire qui se dégage alors. Les acteurs s’imitent donc rationnellement, afin de tenter d’anticiper et de jouer les tendances du marché, de façon totalement autoréférentielle. Ainsi, peuvent se développer des bulles spéculatives fortes et durables. Ainsi, ces bulles crèvent-elles soudainement, avec le retournement de l’opinion majoritaire, dans un mouvement encore plus fort que celui qui a caractérisé la phase précédente.

La deuxième forme, la crise de crédit, quant à elle, vient du fait que, dans une période longue de croissance, tous (banques et emprunteurs) oublient progressivement la possibilité de survenance des crises et finissent par anticiper une expansion sans limite. Dans cette phase euphorique, le niveau de levier (dettes sur niveau de richesse ou de revenus pour les ménages ou d’actif net pour les entreprises) finit par s’accroître déraisonnablement.

La situation financière des agents économiques s’avère très vulnérable lors du retournement conjoncturel suivant. Bien souvent, pendant cette phase, les prêteurs diminuent dangereusement leur sensibilité au risque et acceptent, par le jeu concurrentiel, des marges qui ne couvriront pas le coût du risque de crédit à venir. Aussi, lorsqu’advient la crise suivante, les prêteurs (banques et marchés) reconsidèrent-ils brutalement le niveau de risque encouru, et par un effet symétrique du précédent, inversent-ils fortement leur pratique d’octroi du crédit, jusqu’à provoquer un « crédit crunch », qui va lui-même renforcer la crise économique qui l’a suscité.

Troisième forme canonique de la crise : la crise de liquidité. Lors de certains déroulements dramatiques des crises financières, une défiance contagieuse apparaît, comme dans la crise financière et bancaire que nous connaissons aujourd’hui. Cette défiance induit pour certaines banques une course fatale de leurs clients aux retraits des dépôts. Elle peut également conduire à une raréfaction, voire une disparition, de l’intention des banques de se prêter entre elles, de par la crainte de faillites bancaires en chaîne. Mais cette illiquidité du marché du financement interbancaire – sans interventions des Banques Centrales en tant que prêteurs en dernier ressort produit les faillites tant redoutées. En outre, d’autres formes d’illiquidité peuvent se produire.

Certains marchés financiers, liquides hier, peuvent se révéler soudainement illiquides, tant la notion de liquidité de marché, comme l’a analysé André Orléan, est là encore hautement autoréférentielle. Un marché n’est liquide que si tous les acteurs pensent qu’il est tel. Si une méfiance sur sa liquidité s’installe, comme sur le marché des ABS récemment par exemple, tous les acteurs se trouveront alors vendeurs pour sortir de ce marché, provoquant du même coup, de façon endogène, son illiquidité.
Ces trois types de crises s’entrelacent souvent et s’entraînent mutuellement dans une situation qui devient alors très critique. La grande crise qui s’est faite jour en 2007 est la combinaison de ces trois formes. Une bulle spéculative immobilière tout d’abord, notamment aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Espagne.

Une crise du crédit ensuite, due à une hausse dangereuse du taux d’endettement des ménages dans ces mêmes pays, et à un effet de levier très élevé des banques d’investissement, des entreprises en LBO et des hedge funds notamment. Une crise de liquidité, enfin, des marchés de produits de titrisation et du refinancement interbancaire.

La composante idiosyncratique de la crise actuelle, quant à elle, repose sur le développement rapide de la titrisation des créances bancaires, ces dernières années.

La titrisation sort du bilan des établissements de crédit des créances bancaires sur des particuliers, des entreprises, comme des collectivités locales. Ces créances sont regroupées de façon souvent hétéroclite dans des supports eux-mêmes à fort effet de levier, supports revendus à d’autres banques, aux assureurs comme à des fonds de placement, c’est-à-dire à tout un chacun.

La titrisation a donc permis un accroissement important du financement de l’économie mondiale, puisqu’elle autorisait les banques à réaliser bien davantage de crédits que si elles avaient dû les conserver à leur bilan.

Mais cette technique, réalisée sans régulation, a également incité les banques qui l’utilisaient le plus (notamment aux Etats Unis) à abaisser considérablement leur niveau de sélection des emprunteurs, puisqu’elles n’encouraient plus aucun risque après titrisation. Cela a provoqué d’importantes dépréciations d’actifs additionnels. C’est ainsi, par exemple, que les encours de crédits subprime se sont multipliés, amplifiant considérablement la crise de crédit qui s’est faite jour, après l’éclatement de la bulle immobilière.

La difficile traçabilité de ces crédits et le mélange de bons et mauvais crédits dans les mêmes supports ont, à leur tour, aggravé l’ampleur de la crise elle-même. Chacun n’ayant plus confiance dans la qualité de ce type de placements, leur liquidité s’en est trouvée en effet brutalement tarie. Cela a accru en outre, pour les pouvoirs publics, la difficulté de résoudre les problèmes ainsi soulevés.
Enfin, les agences de notations, fortes de modèles mathématiques fondés sur des hypothèses restrictives mal appréciées et sur l’analyse exclusive des séries passées, ont donné un label de qualité (note AAA) à des tranches des supports en question. Or ce label s’est révélé être de très piètre qualité au fur et à mesure du déroulement de la crise. Ces notes, qui ne visaient d’ailleurs pas le risque de liquidité, ont conduit nombre d’investisseurs, y compris bancaires, à se rassurer à bon compte et finalement à tort sur la qualité de leurs actifs financiers, sans beaucoup s’interroger sur les raisons pour lesquelles un placement coté AAA pouvait être si bien rémunéré.

L’entremêlement des trois formes canoniques de la crise financière et des éléments spécifiques de la crise actuelle explique la gravité extrême de la situation d’aujourd’hui, avec son cortège de banques en détresse, de panique des investisseurs, de « crédit crunch » en cours, et finalement de puissante crise économique. Seules les fortes actions des pouvoirs publics, au moment même où chacun doute de tous les autres, ont pu très récemment commencer à détendre quelque peu le marché interbancaire et à éviter une explosion du système financier dans son ensemble.

Reste à guetter et à tenter de contrer les conséquences économiques de la crise financière et bancaire la plus grave depuis les années 30. Et à espérer que le risque de crédit à venir sur les entreprises ne ravive pas la crise bancaire, dans un cercle vicieux qui aggraverait à nouveau la récession qui s’annonce.