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Crise économique et financière Economie Générale

« Taux d’intérêt bas : attention à la fuite en avant permanente ! » Tribune publiée dans La Tribune du 1er Septembre 2020

Avec, pour certaines, l’utilisation de taux d’intérêt négatifs et, pour toutes, la mise en place d’un Quantitative Easing (QE), afin de contrôler les taux long terme et les primes de risque (les « spreads ») des dettes publiques comme des dettes privées. Cela permet aux banques centrales, par leurs politiques conventionnelles comme non conventionnelles, d’amener les taux d’intérêt courts et longs à des niveaux très bas et d’empêcher les « spreads » de monter à des niveaux qui déclencheraient un enchaînement catastrophique de faillites par une montée brutale de l’insolvabilité. Les taux très bas jouent également favorablement directement sur la demande, comme sur la valeur des actifs patrimoniaux (immobilier et actions notamment), ce qui rétroagit positivement sur la demande et soutient le crédit.

Lors de ces crises, la politique monétaire, y compris non conventionnelle, a de facto notamment pour objet d’abaisser les taux d’intérêt nominaux en dessous du taux de croissance nominal. Ce qui aide clairement à relancer l’économie et facilite le désendettement en rendant la dette plus aisée à rembourser.

Alors, quel peut être le danger d’une telle politique monétaire qui protège l’économie contre une crise systémique et une profonde dépression ? Le risque vient d’une utilisation de la politique monétaire qui, de fait, est asymétrique. S’il est très utile et même indispensable que les banques centrales aient adopté ce type de politiques dans ce genre de situations, on assiste en réalité à une asymétrie problématique, car, lorsque la croissance est de retour avec une reprise notable du crédit, les banques centrales n’inversent que peu ou pas leur politique en n’augmentant pas ou trop peu leurs taux d’intérêt et en ne diminuant pas ou trop peu leur QE, c’est-à-dire la quantité de monnaie banque centrale.

La raison affichée dans la zone euro a souvent été une inflation encore trop basse, donc une cible d’inflation non encore atteinte, ce qui justifiait de maintenir une politique monétaire ultra accommodante. Mais l’inflation n’est-elle pas structurellement et non conjoncturellement très basse , de part les effets de la mondialisation, du progrès technique (automatisation), qui pèsent tous les deux sur la capacité d’augmentation des salaires, comme du vieillissement de la population mondiale? La politique monétaire peut-elle de ce fait la faire remonter ? Or, si la politique monétaire ne peut pas faire remonter une inflation fondamentalement très basse, il devient évidemment dangereux de continuer de mener une telle politique trop longtemps car elle maintient alors des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance trop longtemps.  Donc elle provoque des taux d’intérêt « too low for too long ». Ce qui induit le retour d’un cycle financier, c’est-à-dire d’un endettement qui monte plus vite que la croissance économique, ce qui entraîne ainsi un nouveau surendettement, et le retour de bulles sur l’immobilier et/ou les actions.

Avec un effet de boucle, car l’endettement sert aussi à acheter ces actifs patrimoniaux, ce qui nourrit les bulles et rend possible le fait de s’endetter davantage. On augmente ainsi la vulnérabilité financière de l’ensemble de l’économie, avec des risques incorporés dans les bilans qui s’aggravent de plus en plus dangereusement :

1/ A l’actif des investisseurs financiers et/ou des épargnants

Ceux-là cherchent à tout prix un peu de rendement, puisque les taux d’intérêt sont trop bas. Ils vont donc prendre de plus en plus de risque afin de l’obtenir. Les primes de risque sont ainsi comprimées à leur tour de manière tout à fait anormale et évidemment dangereuse, car lorsque les bulles éclateront, les « spreads » n’auront tout simplement pas couvert le coût du risque avéré. L’actif des épargnants, comme l’actif des investisseurs financiers, qui travaillent pour les épargnants (les fonds de pension, les assureurs, les fonds de placement, etc.), sont ainsi rendus vulnérables. Cela a conduit, avant la pandémie notamment, à une forte baisse historique des rendements des placements dans les infrastructures, à des « spreads » historiquement bas sur les dettes, à des niveaux de valorisation des entreprises en bourse ou en « private equity » très élevés, à des fonds de placement détenant de plus en plus d’actifs illiquides et/ou de maturité très longue, alors qu’ils assurent  une liquidité quotidienne de ces mêmes fonds, etc.

2/ Au passif des emprunteurs

Ces derniers s’endettent trop dans ces conditions-là, ce qui entraîne des leviers trop élevés. Avec entre autres, de très nombreux rachats d’actions par les sociétés elles-mêmes, notamment aux Etats-Unis. Les passifs deviennent ainsi eux-mêmes vulnérables. Ils sont vulnérables à une baisse des cashflows liés à un ralentissement de la croissance, aussi bien qu’une remontée des taux d’intérêt. Cela conduit ainsi à un risque significativement accru d’insolvabilité.

La conjugaison des deux points ci-dessus provoque une croissance du nombre d’entreprises zombies, c’est-à-dire d’entreprises qui subsistent, mais qui ne sont pas rentables structurellement et qui feraient faillite avec des taux d’intérêt normaux. Ce phénomène contribue naturellement à une moindre efficacité de l’économie et à de moindres gains de productivité.

Le maintien de taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que de tels taux ne sont plus nécessaires pour lutter contre une croissance insuffisante de l’économie et des crédits, installe donc une situation très risquée à long terme. Une asymétrie de la réaction de la politique monétaire peut ainsi conduire à une montée de l’instabilité financière et à une perte lente d’efficacité de l’économie avec une baisse des gains de productivité et, in fine, à une succession de crises financières. Telle était la situation pré-Covid.

La situation financière a ainsi tourné à la catastrophe au tout début du Covid, car la pandémie a produit une chute vertigineuse de la production, des contractions violentes de revenus et des cash-flows pour les entreprises, alors qu’elle est survenue sur un fond préalable de forte vulnérabilité financière.

Fin mars, la crise financière entraînée par le Covid était ainsi plus forte que celle de 2008-2009, avec une volatilité des actions deux fois plus grande, des spreads qui ont bondi, une liquidité, notamment des fonds de placement, qui était très problématique. Heureusement, les banques centrales ont répondu extrêmement rapidement : elles ont abaissé leurs taux lorsque c’était encore possible, aux États-Unis notamment, mais pas du côté européen parce qu’ils n’avaient pas remonté malgré la croissance revenue les années précédentes. Elles se sont mises également à acheter des dettes publiques et privées, y compris du « High yield », et parfois même des actions, en accroissant leur Quantitative Easing de façon considérable. Elles ont aussi adopté des mesures de réglage macro-prudentiel.

Les banques centrales ont ainsi permis à très juste titre de soulager en quelques semaines une situation financière catastrophique et ont soutenu les efforts des Etats en faveur de l’économie, grâce à une utilisation massive de la politique monétaire non conventionnelle. Mais la question qui se posera très vite est la suivante : Comment peut s’envisager la sortie d’une telle politique monétaire, lorsque la croissance sera revenue à un niveau satisfaisant, alors que l’endettement des Etats et des entreprises aura cru encore bien davantage ? Certes aujourd’hui la question centrale est de savoir comment sortir d’une crise économique inédite. Mais il faut malgré tout réfléchir dès à présent à la sortie à terme d’une situation exceptionnelle où les Banques Centrales auront à raison suspendu transitoirement la logique du marché, en assurant de façon délibérée et massive la liquidité des marchés et la solvabilité des Etats et, conjointement à l’action des Etats, en assurant également la solvabilité des entreprises, par le contrôle des taux d’intérêt et des « spreads ».

Première indication : il faudra en sortir très doucement. La situation sera en effet problématique, car à l’issue de la crise on connaîtra un surendettement de nombre d’entreprises, notamment parce qu’elles auront dû, et heureusement pu, financer leurs pertes, et un surendettement des nombreux Etats. En outre, il faudra faire face à des bulles sur les actifs patrimoniaux ; elles sont d’ailleurs déjà en train de gonfler fortement, aussi bien sur l’immobilier résidentiel que sur les actions. Si l’on remonte alors trop rapidement les taux notamment par un retrait mal calibré des QE, si l’on met fin hâtivement aux taux d’intérêts négatifs, cela peut avoir un effet désastreux sur l’insolvabilité privée et publique, et naturellement cela peut entraîner un risque de krach sur les marchés des actifs patrimoniaux, ce qui renforcerait l’insolvabilité générale. La sortie doit donc être très progressive.

Ajoutons que, si l’inflation revenait dans deux ou trois ans, cela poserait des questions très compliquées aux banques centrales. Devraient-elles maintenir la solvabilité des agents économiques au prix d’une inflation éventuellement incontrôlée ? Ou l’inverse ?

Mais, même si l’inflation ne réapparaissait pas, les banques Centrales devraient-elles poursuivre leur QE à l’infini, si les Etats et les entreprises volens nolens ne se désendettaient pas ? Ce serait au prix alors d’une instabilité financière structurellement accrue, tant en termes de surendettement que de bulles de plus en plus fortes, avec les dangers inhérents à une telle situation. Et au prix d’un aléa moral de plus en plus élevé, les emprunteurs, privés et publics, ne craignant plus les situations de surendettement. Au prix encore d’investisseurs comprenant qu’ils détiennent à tout jamais une option gratuite de la part des banques centrales les protégeant contre les krachs et qui seraient ainsi incités à sous pondérer durablement le prix du risque dans leurs calculs financiers. Au prix enfin d’une économie qui connaîtrait de plus en plus d’entreprises zombies, empêchant la destruction créatrice nécessaire à la croissance et entraînant une baisse durable des gains de productivité, donc, entre autres, freinant structurellement les augmentations de pouvoir d’achat non inflationnistes…

In fine, le risque d’une monétisation sans limite des dettes conduirait à une situation catastrophique de fuite devant la monnaie.

Première conclusion, pour conserver leur crédibilité, donc leur efficacité, y compris lors des crises systémiques, les banques centrales, pour que l’on ne tombe pas dans des crises de plus en plus fortes, violentes et potentiellement très dangereuses, doivent se prémunir d’une part contre le risque bien connu de « fiscal dominance », mais aussi contre celui de « financial market dominance »; c’est-à-dire qu’elles ne doivent être ni dominées par les Etats qui pourraient souhaiter une intervention ininterrompue des banques centrales pour « garantir » leur solvabilité, ni par les marchés financiers. Les banques centrales doivent en effet être dans une relation stratégique avec les marchés financiers. Et elles ne doivent pas avoir peur de canaliser autant que possible vers des plages de fluctuation soutenables les représentations collectives et opinions moyennes des marchés, voire de les contrer. Alors même que les marchés demandent aujourd’hui toujours plus d’injections pour poursuivre leur dynamique haussière. Jérôme Powell, le Président de la Fed, disait d’ailleurs très justement récemment : « Le danger, c’est de rester coincé dans une zone où nous ne voulons pas être, sur le long terme. Ce que je redoute, c’est que certains veuillent que nous utilisions ces pouvoirs plus fréquemment, davantage que dans les seules situations de crise impérieuse ». 

Seconde conclusion, à côté des politiques de banques centrales – qui doivent déjà réfléchir à la sortie ultérieure de leurs politiques ultra accompagnantes-, il est nécessaire de conduire des politiques budgétaires soutenables à moyen terme. Non à bref délai, en revanche, car il ne faut surtout pas provoquer d’austérité durant les prochaines années. Il faut également mener des réformes structurelles qui sont nécessaires pour augmenter le potentiel de croissance de chaque économie. Il s’agit là in fine de la meilleure façon de sortir du surendettement.

Cela inclut également des politiques favorisant le capital des entreprises. Nous aurons besoin, pour réduire l’excès d’endettement -sans réduire la croissance-, de beaucoup plus d’investissements en fonds propres et en quasi fonds propres (prêts participatifs, obligations convertibles…). Il faudra donc des mesures incitatives pour orienter l’épargne des ménages vers du capital plus à risque aussi bien que, notamment, des mesures visant le coût en capitaux propres prudentiels des banques et des assureurs pour ne pas rendre rédhibitoires leurs investissements en fonds propres des entreprises. Transitoirement, un système de garantie partielle étatique du capital investi pourra s’avérer nécessaire.

Les Banques Centrales ne peuvent en effet pas tout faire toutes seules et leur en demander trop peut s’avérer très dangereux, y compris pour leur efficacité, lorsque cela s’avérera à nouveau nécessaire.

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Crise économique et financière Economie Générale Non classifié(e) Politique Economique

Des taux d’intérêt bas pour préserver une économie endettée ? Oui, mais attention à la fuite en avant permanente !

Lorsqu’une crise économique et financière très grave se produit, que les taux d’intérêt courts sont déjà proches de zéro et que l’on connaît une situation préalable de surendettement, les banques centrales mettent en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles. Avec, pour certaines, l’utilisation de taux d’intérêt négatifs et, pour toutes, la mise en place d’un Quantitative Easing (QE), afin de contrôler les taux long terme et les primes de risque (les « spreads ») des dettes publiques comme des dettes privées. Cela permet aux banques centrales, par leurs politiques conventionnelles comme non conventionnelles, d’amener les taux d’intérêt courts et longs à des niveaux très bas et d’empêcher les « spreads » de monter à des niveaux qui déclencheraient un enchaînement catastrophique de faillites par une montée brutale de l’insolvabilité. Les taux très bas jouent également favorablement directement sur la demande, comme sur la valeur des actifs patrimoniaux (immobilier et actions notamment), ce qui rétroagit positivement sur la demande et soutient le crédit.

Lors de ces crises, la politique monétaire, y compris non conventionnelle, a de facto notamment pour objet d’abaisser les taux d’intérêt nominaux en dessous du taux de croissance nominal. Ce qui aide clairement à relancer l’économie et facilite le désendettement en rendant la dette plus aisée à rembourser.

Alors, quel peut être le danger d’une telle politique monétaire qui protège l’économie contre une crise systémique et une profonde dépression ? Le risque vient d’une utilisation de la politique monétaire qui, de fait, est asymétrique. S’il est très utile et même indispensable que les banques centrales aient adopté ce type de politiques dans ce genre de situations, on assiste en réalité à une asymétrie problématique, car, lorsque la croissance est de retour avec une reprise notable du crédit, les banques centrales n’inversent que peu ou pas leur politique en n’augmentant pas ou trop peu leurs taux d’intérêt et en ne diminuant pas ou trop peu leur QE, c’est-à-dire la quantité de monnaie banque centrale.

La raison affichée dans la zone euro a souvent été une inflation encore trop basse, donc une cible d’inflation non encore atteinte, ce qui justifiait de maintenir une politique monétaire ultra accommodante. Mais l’inflation n’est-elle pas structurellement et non conjoncturellement très basse ? La politique monétaire peut-elle de ce fait la faire remonter ? Or, si la politique monétaire ne peut pas faire remonter une inflation fondamentalement très basse, il devient évidemment dangereux de continuer de mener une telle politique trop longtemps car elle maintient alors sans raison des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance, donc des taux d’intérêt trop bas et ce trop longtemps. « Too low for too long ». Ce qui induit le retour d’un cycle financier, c’est-à-dire d’un endettement qui monte plus vite que la croissance économique, ce qui entraîne ainsi un nouveau surendettement, et le retour de bulles sur l’immobilier et/ou les actions. Avec un effet de boucle, car l’endettement sert aussi à acheter ces actifs patrimoniaux, ce qui nourrit les bulles et rend possible le fait de s’endetter davantage. On augmente ainsi la vulnérabilité financière de l’ensemble de l’économie, avec des risques incorporés dans les bilans qui s’aggravent de plus en plus dangereusement :

  • Premièrement, à l’actif des investisseurs financiers et/ou des épargnants : ces derniers cherchent à tout prix un peu de rendement, puisque les taux d’intérêt sont trop bas. Ils vont donc prendre de plus en plus de risque afin d’obtenir ce petit peu de rendement. Les primes de risque sont ainsi comprimées à leur tour de manière tout à fait anormale et évidemment dangereuse, car lorsque les bulles éclateront, les « spreads » n’auront tout simplement pas couvert le coût du risque avéré. L’actif des épargnants, comme l’actif des investisseurs financiers (qui travaillent eux-mêmes pour les épargnants, c’est à dire les fonds de pension, les assureurs, les fonds de placement, etc.), sont ainsi rendus vulnérables. Cela a conduit, avant la pandémie notamment, à une forte baisse des rendements des placements dans les infrastructures, à des « spreads » sur les dettes historiquement bas, à des niveaux de valorisation des entreprises en bourse ou en « private equity » très élevés, à des fonds de placement détenant de plus en plus d’actifs illiquides et/ou de maturité très longue, alors qu’ils assurent une liquidité quotidienne de ces mêmes fonds, etc.
  • Deuxièmement, au passif des emprunteurs : dans ces circonstances, ces derniers s’endettent trop, ce qui entraîne des leviers trop élevés. Avec entre autres, de nombreux rachats d’actions par les sociétés elles-mêmes, notamment aux Etats-Unis. Les passifs deviennent ainsi eux-mêmes vulnérables. Ils sont vulnérables à une baisse des cash flows liés à un ralentissement de la croissance, aussi bien qu’à une remontée des taux d’intérêt. Cela conduit ainsi à un risque accru d’insolvabilité.
  • La conjugaison des deux points ci-dessus provoque une croissance du nombre d’entreprises zombies, c’est-à-dire d’entreprises qui subsistent, mais qui ne sont pas rentables structurellement et qui feraient faillite avec des taux d’intérêt normaux. Ce phénomène contribue naturellement à une moindre efficacité de l’économie et à de moindres gains de productivité.

Le maintien de taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que de tels taux ne sont plus nécessaires pour lutter contre une croissance insuffisante de l’économie et des crédits, installe donc une situation très risquée à long terme. Une asymétrie de la réaction de la politique monétaire peut ainsi conduire à une montée de l’instabilité financière et à une perte lente d’efficacité de l’économie avec une baisse des gains de productivité et, in fine, à une succession de crises financières. Telle était la situation pré-Covid.

La situation financière a de fait tourné à la catastrophe au tout début du Covid, car la pandémie a produit une chute vertigineuse de la production, des contractions violentes de revenus et des cash-flows pour les entreprises, alors qu’elle est survenue sur un fond préalable de forte vulnérabilité financière.

Fin mars, la crise financière entraînée par le Covid était ainsi plus forte que celle de 2008-2009, avec une volatilité des actions deux fois plus grande, des spreads qui ont bondi, une liquidité, notamment des fonds de placement, qui était très problématique. Heureusement, les banques centrales ont répondu extrêmement rapidement : elles ont abaissé leurs taux lorsque c’était encore possible, aux États-Unis notamment, mais pas en Europe parce qu’ils n’avaient pas remonté malgré la croissance revenue les années précédentes. Elles se sont mises également à juste titre à acheter des dettes publiques et privées,  y compris du « High yield », et parfois même des actions, en accroissant leur QE de façon considérable. Elles ont aussi adopté des mesures utiles de réglage macro-prudentiel.

Les banques centrales ont dès lors efficacement permis de soulager en quelques semaines une situation financière catastrophique et ont soutenu les efforts des Etats en faveur de l’économie, grâce à une utilisation massive de la politique monétaire non conventionnelle. 

Mais la question qui se posera très vite est la suivante : comment peut s’envisager la sortie d’une telle politique monétaire, lorsque la croissance sera revenue à un niveau satisfaisant, alors que l’endettement des Etats et des entreprises aura crû encore bien davantage ? Certes aujourd’hui la question centrale est de savoir comment sortir d’une crise économique inédite. Mais il faut malgré tout réfléchir dès à présent à la sortie à terme d’une situation exceptionnelle où les banques centrales auront à raison suspendu transitoirement la logique du marché, en assurant de façon délibérée et massive la liquidité des marchés financiers et la solvabilité des Etats et, conjointement à l’action des Etats, en assurant également la solvabilité des entreprises, par le contrôle des taux d’intérêt et des « spreads ». 

Première indication : il faudra en sortir très doucement. La situation sera en effet problématique, car à l’issue de la crise on connaîtra un surendettement de nombre d’entreprises, notamment parce qu’elles auront dû, et heureusement pu, financer leurs pertes. On assistera également à un surendettement de nombreux Etats. En outre, il faudra faire face à des bulles sur les actifs patrimoniaux ; elles sont d’ailleurs déjà en train de gonfler fortement, aussi bien sur l’immobilier résidentiel que sur les actions. Si l’on remonte alors trop rapidement les taux notamment par un retrait mal calibré des QE, si l’on met fin hâtivement aux taux d’intérêts négatifs, cela peut avoir un effet désastreux sur l’insolvabilité privée et publique, et naturellement cela peut entraîner un risque de krach sur les marchés des actifs patrimoniaux, ce qui renforcerait l’insolvabilité générale. La sortie doit donc être très progressive.

Ajoutons que, si l’inflation revenait dans deux ou trois ans, cela poserait des questions très compliquées aux banques centrales. Devraient-elles maintenir la solvabilité des agents économiques au prix d’une inflation éventuellement incontrôlée ? Ou l’inverse ?

Mais, même si l’inflation ne réapparaissait pas, les banques centrales devraient-elles poursuivre leur QE à l’infini, si les Etats et les entreprises volens nolens ne se désendettaient pas ? Ce serait au prix alors d’une instabilité financière structurellement accrue, tant en termes de surendettement que de bulles de plus en plus fortes, avec les dangers inhérents à une telle situation. Et au prix d’un aléa moral de plus en plus élevé, les emprunteurs, privés et publics, ne craignant plus les situations de surendettement. Au prix encore d’investisseurs comprenant qu’ils détiennent à tout jamais une option gratuite de la part des banques centrales les protégeant contre les krachs et qui seraient ainsi incités à sous pondérer durablement le prix du risque dans leurs calculs financiers. Au prix enfin d’une économie qui connaîtrait de plus en plus d’entreprises zombies, empêchant la destruction créatrice nécessaire à la croissance et entraînant une baisse durable des gains de productivité, donc, entre autres, freinant structurellement les augmentations de pouvoir d’achat non inflationnistes…

In fine, le risque d’une monétisation sans limite des dettes conduirait à une situation catastrophique de fuite devant la monnaie.

Première conclusion: les banques centrales doivent préserver leur crédibilité, donc leur efficacité, pour pouvoir plus aisément atteindre leurs objectifs, tant d’inflation, de croissance que de stabilité financière. Elles doivent donc se prémunir d’une part contre le risque bien connu de fiscal dominance, mais aussi contre celui de financial market dominance ; c’est-à-dire qu’elles ne doivent ni être dominées par les Etats qui pourraient souhaiter une intervention ininterrompue des banques centrales pour « garantir » leur solvabilité, ni être dominées par les marchés financiers. Les banques centrales doivent en effet être dans une relation stratégique avec les marchés financiers. Et elles ne doivent pas avoir peur de canaliser autant que possible les représentations collectives et les opinions moyennes des marchés vers des plages de fluctuation soutenables, voire de les contrer si ces dernières s’avèrent être constitutives de bulles. Alors même que les marchés demandent aujourd’hui toujours plus d’injections pour poursuivre leur dynamique haussière. Jérôme Powell, le Président de la Fed, disait d’ailleurs très justement récemment : « Le danger, c’est de rester coincé dans une zone où nous ne voulons pas être, sur le long terme. Ce que je redoute, c’est que certains veuillent que nous utilisions ces pouvoirs plus fréquemment, davantage que dans les seules situations de crise impérieuse ».

Seconde conclusion : à côté des politiques de banques centrales – qui doivent déjà réfléchir à la sortie ultérieure de leurs politiques ultra accompagnantes -, il est nécessaire de conduire des politiques budgétaires soutenables à moyen terme. Non à bref délai, en revanche, car il ne faut surtout pas provoquer d’austérité durant les prochaines années. Il faut également mener des réformes structurelles qui sont nécessaires pour augmenter le potentiel de croissance de chaque économie. Il s’agit là in fine de la meilleure façon de sortir du surendettement.

Cela inclut également des politiques favorisant le capital des entreprises. Nous aurons besoin, pour réduire l’excès d’endettement – sans réduire la croissance -, de beaucoup plus d’investissements en fonds propres et en quasi fonds propres (prêts participatifs, obligations convertibles…). Il faudra donc des mesures incitatives pour orienter l’épargne des ménages vers du capital plus à risque aussi bien que, notamment, des mesures visant le coût en capitaux propres prudentiels des banques et des assureurs pour ne pas rendre rédhibitoires leurs investissements en fonds propres des entreprises. Transitoirement, un système de garantie partielle étatique du capital investi pourra s’avérer nécessaire.

Les banques centrales ne peuvent en effet pas tout faire toutes seules et leur en demander trop peut s’avérer très dangereux, y compris pour leur efficacité, lorsque cela s’avèrera à nouveau nécessaire.

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Crise économique et financière Zone Euro

Prise de position de la LECE – Utilisons le Fonds « L’U.E. de la prochaine génération», intégré dans un cadre financier pluriannuel ambitieux, comme moteur du changement dans l’Union européenne

5 Juin 2020

Ligue Européenne de Coopération EconomiqueFondation Universitaire 11 rue Egmont – Bruxelles

Cette prise de position fait suite à l’avis adopté par la LECE le 2 avril 2020 « Pour une solidarité et une coordination audacieuses pour sauver les citoyens et le projet de l’UE ». Elle s’appuie sur les contributions de plusieurs sections nationales de la Ligue, dont les LECE – Espagne et LECE – France. Maintenant que des vies ont été sauvées, il faut sauver des emplois et des secteurs entiers de l’économie. Le projet « Prochaine Génération UE » dévoilé par la présidente Von der Leyen le 27 mai pourrait changer la donne en rétablissant l’espoir, en démontrant que les sacrifices n’ont pas été vains et en devenant un modèle de solidarité européenne.  Notre Ligue le soutient donc totalement.

Ce projet complète les initiatives et accords conclus précédemment, dont la LECE se félicite :

  • L’accord conclu lors du Conseil européen du 23 avril 2020 sur une réponse globale de la politique économique à la crise du Covid-19, comprenant trois volets, qui prévoient respectivement des aides pour les travailleurs (SURE), pour les entreprises (programme de garanties de la BEI) et pour les Etats souverains (soutien MES) pour une enveloppe globale de 540 milliards d’euros. Toutefois, ces filets de sécurité ne proposent que des instruments de prêt, qui ont l’inconvénient d’augmenter la dette de leurs bénéficiaires.
  • Du côté de la politique monétaire, la LECE a également exprimé son soutien en faveur du programme d’achats d’actifs de la BCE contre la pandémie (PEPP) à hauteur de 1,350 milliards d’euros après l’augmentation de 600 milliards annoncée le 4 juin, ainsi qu’à  la prolongation du terme de son dispositif jusqu’en 2021 et à  l’engagement de maintenir les achats d’actifs au titre du PEPP jusqu’à ce qu’elle juge que la phase de crise du coronavirus est terminée. Il s’agit d’un programme crucial pour maintenir la confiance dans les marchés financiers et empêcher une hausse injustifiée des taux d’intérêt payés par les différents États membres. Toutefois, l’arrêt récent de la Cour Constitutionnelle allemande démontre que les programmes d’achat d’obligations de la BCE rencontrent des résistances et doivent être complétés par des initiatives plus audacieuses, démontrant une solidarité budgétaire entre les pays de la zone euro.
  • L’initiative conjointe annoncée le 18 mai par la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron. La collecte de fonds d’une taille sans précédent par emprunts de la Commission Européenne sur les marchés des capitaux et leur allocation sous forme de subventions (plutôt que de prêts) constituent une véritable avancée, car l’union budgétaire – même limitée – a été jusqu’à présent la pièce manquante la plus importante de l’Union Economique et Monétaire. Elle devrait en fait être développée davantage dans l’architecture européenne. Ces 500 milliards d’euros à allouer sous forme de subventions seraient désormais complétés par 250 milliards d’euros sous forme de prêts, formant ensemble un nouvel instrument de relance baptisé « Prochaine Génération EU ». La LECE espère vivement que, malgré les objections exprimées par certains États membres, la taille et la conception de cet instrument de recouvrement seront acceptées, en gardant à l’esprit que les fonds seront consacrés à des programmes et à des priorités convenues conjointement.

La LECE estime que cette initiative constructive est un pas dans la bonne direction, significatif en termes de message politique mais encore assez limité en termes macroéconomiques. L’approche dynamique doit être maintenue, y compris le lien avec le cadre financier pluriannuel (2021-2027). La nouvelle proposition pour ce cadre pluriannuel semble bien équilibrée. La LECE soutient l’idée d’envisager l’introduction de nouvelles ressources (venant par exemple du système d’échange de quotas d’émission, d’une taxe d’ égalisation carbone, un prélèvement  sur les revenus des grandes entreprises, une taxe numérique, etc…) Une nouvelle impulsion devrait être donnée à l’examen d’un niveau minimum d’impôt sur les sociétés au niveau de l’UE pour empêcher le dumping fiscal. Même si les États membres ont donné leur accord de principe à un plan de redressement tenant compte du caractère exogène et global du choc, il existe une asymétrie considérable entre pays dans les conséquences de la crise et les besoins de financement qui en résultent dans cette période de déconfinement, alors que le redémarrage de l’économie est essentiel. Les positions économiques des pays sont en effet très différentes en ce qui concerne leurs marchés du travail, leurs finances publiques et leur marge de manœuvre budgétaire pour soutenir leur économie interne[1], leur structure sectorielle (dépendance vis-à-vis des activités de services de proximité comme le tourisme et les loisirs) et leur appartenance ou non à la zone euro. Certains pays étaient déjà plus vulnérables que d’autres lorsque la crise sanitaire a frappé. Aucun pays ni aucune région ne doivent être laissés pour compte. L’UE doit commencer à réfléchir stratégiquement à l’objectif du fonds et à la manière dont il le mettra en œuvre pour bâtir une économie plus résiliente et une Union européenne plus forte.

« L’UE de la prochaine génération » doit servir les ambitions et les objectifs sociétaux de l’UE, en particulier les transitions verte et numérique.

« l’UE de la prochaine génération » doit se concentrer sur l’investissement: l’investissement public – insuffisant depuis au moins une décennie – et le soutien à l’investissement privé, qui risque d’être paralysé par la crise. Elle doit servir de déclencheur à une stratégie de croissance nouvelle et ambitieuse. Les fonds doivent être appliqués sur l’ensemble du territoire européen, en ciblant les régions, les secteurs et les entreprises, y compris les PME, les plus durement touchées par la pandémie. Sa conception devrait promouvoir l’Union européenne dans son ensemble et accompagner les objectifs sociaux et les priorités adoptées par la commission Von der Leyen. Une politique industrielle plus proactive devrait compléter le programme encourageant EU4Health, qui a vocation à investir dans la prévention, la préparation aux crises, l’acquisition de médicaments et d’équipements essentiels par l’amélioration de la R&D:

  • « l’UE de la prochaine génération» doit soutenir voire accélérer, l’ambition du pacte vert de l’UE et la transition vers de nouvelles formes d’organisation économique comme l’économie circulaire.
  • Concernant la stratégie numérique, des fonds devraient être affectés en priorité pour faciliter le passage de la phase de démarrage à la phase de déploiement de l’économie numérique afin de bénéficier des effets de productivité[2]Une stratégie numérique peut aider à soutenir des secteurs clés comme le tourisme et les secteurs impliqués dans la transition vers une économie zéro carbone. Une stratégie appropriée pour l’infrastructure numérique sur l’ensemble du territoire de l’UE doit être élaborée, en veillant à ce que les infrastructures couvrent les zones reculées afin d’éviter une fracture sociale entre ceux qui ont accès aux outils numériques et ceux qui ne sont pas connectés.
  • La crise a également mis en lumière les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les entreprises vont les revoir et les restructurer avec une tendance à la diversification hors de l’Asie et à la relocalisation de certains éléments de la chaîne. Une stratégie industrielle appropriée est nécessaire en Europe afin de bénéficier d’un redéploiement cohérent des chaînes d’approvisionnement au sein de l’UE, des États membres et leurs partenaires
  • L’éducation, la qualification et la formation à la reconversion doivent être une priorité afin de s’assurer que la main-d’œuvre est correctement préparée avec l’apprentissage tout au long de la vie, en encourageant les disciplines qui sont recherchées de manière urgente: santé, sciences de l’environnement, technologies numériques, intelligence artificielle, cybersécurité, etc.… C’est le seul moyen de lutter contre le chômage de longue durée.
  • Enfin, l’émission de dette par la Commission européenne à grande échelle permettrait  la création  d’un «actif sans risque» tant recherché, indispensable au développement futur de l’Union des marchés de capitaux[3]. La CMU faciliterait l’allocation de capitaux aux projets à long terme et le financement de l’innovation en mobilisant l’épargne des ménages vers des instruments à plus long terme dédiés à la croissance et à l’innovation. Elle favoriserait également  l’évolution de l’euro vers une monnaie internationale à part entière. De nombreuses entreprises seront confrontées à des problèmes de solvabilité dans les mois à venir en raison de l’interruption soudaine de l’activité et de la faiblesse de la demande agrégée, il serait approprié d’entreprendre certaines formes d’harmonisation des règles d’insolvabilité dans toute l’Union Européenne (inspirées du « Chapitre 11 » aux États-Unis par exemple).

Une crise est une occasion à ne pas manquer d’aller de l’avant. Ne la manquons pas aujourd’hui pour faire avancer l’Europe.

Bernard Snoy et d’Oppuers (Président LECE International), Rainer Boden (Vice-Président LECE International), Servaas Deroose (Conseiller Spécial du Président LECE International), François Baudu (Secrétaire Général LECE International), Javier Arias (LECE International), Andreas Grünbichler (LECE Autriche), Branco Botev (LECE Bulgarie), Frances Homs Ferret (LECE Espagne), Olivier Klein (LECE France), Wim Boonstra (LECE Pays-Bas et Président LECE Commission Monétaire), Maciej Dobrzyniecki (LECE Pologne), Antonio Martins da Cruz (LECE Portugal), Radu Deac (LECE Roumanie), Thomas Cottier (LECE Suisse), Philippe Jurgensen (Présent LECE Commission Economique et Sociale), Senén Florensa (President LECE Commission Méditerranée).

ELEC-website: www.elec-lece.eu


[1] Par exemple, certains pays ont fourni des aides d’État et des capitaux à risques aux entreprises au niveau national (Allemagne) alors que d’autres ont limité leur intervention au niveau régional (Autriche avec la ville de Vienne).

[2] Bart van Ark, University of Groningen, The Conference Board, The Productivity Paradox of the New Digital Economy; Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Banque de France, La récession actuelle et les précédentes: un regard sur longue période.

[3] Voir à ce sujet  la proposition de la LECE « T-Bill Fund »: https://ec.europa.eu/economy_finance/articles/governance/pdf/elec.pdf


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Crise économique et financière Economie Générale Politique Economique

La commission économique d’Emmanuel Macron doit permettre la reconstruction de l’économie française, hors de toute pensée magique

J’espère que la commission économique qui vient d’être nommée permettra d’orienter utilement la politique économique de notre pays pour l’après confinement et la nécessaire  reconstruction.

Ces derniers temps , à la lecture de nombreuses tribunes de diverses personnes plus proches de la simple idéologie que de l’analyse objective des faits, on pourrait craindre, si elles étaient suivies, un possible décrochage structurel de la France, alors même que la  politique du début du quinquennat actuel avait commencé  à inverser heureusement la tendance, ou craindre même pire, une dérive lente du type Argentine, si notre pays voulait revenir à ses  faiblesses et illusions antérieures. De même, bien évidemment, pourrait-on craindre un déclassement du pays au sein de l’Union européenne, ce qui compliquerait singulièrement la recherche de l’unité et de la poursuite de l’intégration au sein de cette dernière.

On oublie si souvent une chose tellement simple, qui est une évidence trop  peu partagée en France, notre haut niveau de protection sociale – que nous voulons  à très juste titre conserver – n’est permis que par un haut niveau de production  de richesse. Sinon, nous sommes dans la pensée magique. Et cela finit tôt ou tard très mal.

Et déjà des cercles vicieux s’étaient installés depuis de nombreuses années. Parce que l’on a ponctionné chaque fois davantage pour soutenir un système social qui s’essoufflait, de par notamment un taux d’emploi trop bas,  cela finissait  par abîmer la production elle même, donc par restreindre la source des revenus permettant cette redistribution et cette protection. Et nécessitait à nouveau en retour d’augmenter les prélèvements obligatoires…

Tout retour en arrière vers une ré-augmentation des impôts quels qu’il soient provoquera je pense la fin immédiate de l’amélioration  – qui s’opérait peu à peu pourtant efficacement – de l’attractivité de la France. Ce retour en arrière agirait également comme une politique bien malheureuse tant pour l’offre, qui nécessite des entrepreneurs et des innovateurs, comme de nombreux épargnants choisissant de prendre du risque en capital pour atténuer l’effet négatif de la montée de l’endettement des entreprises sur l’emploi et l’investissement, que pour la demande à l’évidence.

J’appelle de mes vœux que soit combattue la fragilité de l’image de la France tant en interne qu’à l’étranger, en termes de sérieux économique, de valorisation du travail comme d’attractivité, fragilité portée depuis si longtemps par un grave manque de réformes structurelles, ces réformes bien menées n’impliquant  pas d’austérité, mais à l’inverse permettant une augmentation du potentiel de croissance. Cette lacune venait d’être partiellement comblée par des premières réformes prometteuses. Cette recherche d’un meilleur potentiel de croissance par les mises en œuvre de réformes structurelles appropriées n’empêchera en rien, et même au contraire facilitera, la réalisation des projets indispensables pour demain, tels que ceux de la transition énergétique ou de la reconstitution de filières stratégiques, par exemple.

Espérons que cette commission économique, dont la partie américaine critique à très juste titre les inégalités au sein des pays de l’OCDE, mais ignore peut-être que la France a le plus fort taux de redistribution et l’un des plus faibles taux d’inégalités des revenus (et d’ailleurs quasi stable depuis 2000) après redistribution, participe du choix des politiques économiques qui permettront la reconstruction de la France, hors de toute pensée magique.

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Conjoncture Crise économique et financière

Retrouvez mon intervention sur Paris Normandie

J’étais l’invité de Sylvain Richon mercredi 20 Mai dans l’émission « Lignes ouvertes » sur Paris Normandie pour témoigner du soutien de la BRED à l’ensemble de ses clients, professionnels et particuliers et des conséquences de cette crise pour la BRED.

PGE accordés en Normandie, évolution des taux d’intérêts pour l’immobilier, coût du risque, comparaison avec la crise de 2008, retrouvez ces sujets à partir de la 13ème minute.

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Conjoncture Crise économique et financière Economie Générale

L’après-confinement : ni austérité ni économie vaudoue ! (version complète)

Les banques centrales ont bien et vite réagi. Les États, comme en France, ont également agi de façon très rapide et appropriée pour tenter de prendre au mieux en charge le coût de cette chute inédite de la production, en permettant tant que possible le financement des pertes des entreprises et en prenant en charge le coût du travail qui, sans chiffre d’affaires, ne peuvent plus continuer à payer leurs salariés. Et ce, pour éviter au mieux les licenciements et les faillites. Et protéger autant que faire se peut la capacité productive et prévenir un développement effroyable de la pauvreté.

Au fond, cet ensemble de mesures suspend temporairement la contrainte monétaire des différents agents économiques, entreprises et ménages. Contrainte monétaire qui s’applique en temps normal, car elle est indispensable à un fonctionnement efficace de l’économie.

Les seules entreprises qui doivent survivre sur le moyen-long terme sont celles qui ne perdent pas durablement d’argent, sans quoi aucune efficacité économique – qui comme aimait à dire Michel Rocard est la seule bonne façon de ménager la peine des hommes – ne serait possible et aucune croissance schumpéterienne ne serait permise. Il en va de même pour les ménages qui ne peuvent durablement dépenser plus qu’ils ne gagnent.

Mais aujourd’hui, dans ce gigantesque trou d’air économique, l’exercice normal de la contrainte monétaire serait catastrophique, conduisant à des faillites et à des pertes d’emplois innombrables et irrécupérables.

Et les banques centrales, quant à elles, tout en assurant la liquidité nécessaire au système financier, suspendent à bon escient momentanément la contrainte monétaire des États.

Une fois réellement finie la crise sanitaire, la sortie de cette suspension extraordinaire ne sera pas simple. Et pourtant elle sera indispensable. Et il serait trompeur et dangereux de laisser croire que la contrainte monétaire de tous pourrait être durablement levée, par le seul jeu des banques centrales qui pourraient « ad libitum » acheter les dettes tant des États que des entreprises.

Il ne faudra en fait ni remettre en place brutalement la contrainte monétaire au risque de voir replonger rapidement l’économie, ni la laisser suspendue trop longtemps. Car il ne faudra pas provoquer de fuite devant la monnaie, monnaie elle-même qui ne vaut que tant que l’on accorde confiance à l’exercice efficace de la contrainte monétaire, donc confiance aux banques et aux banques centrales. Et confiance dans la qualité des dettes, dont notamment la dette publique.

En l’occurrence, une partie du surcroît de la dette publique due à la lutte contre la pandémie devra, me semble-t-il, être portée à taux zéro et quasi-indéfiniment par les banques centrales, pour alléger le fardeau et permettre à la croissance de revenir. Mais cela devra être réalisé de façon strictement circonscrite et précise. L’idée d’une suppression permanente de la contrainte par les banques centrales n’est qu’une illusion funeste.

Certes, il n’y a plus de corrélation depuis les années 80 entre masse monétaire et inflation. Le risque majeur de faire comme si les contraintes monétaires et économiques n’existaient plus n’est donc pas de retrouver de l’inflation classique (bienvenue au contraire, si elle restait contenue), mais de provoquer une perte de confiance dans la monnaie, de par une défiance généralisée.

Ce serait à plus ou moins brève échéance l’apparition d’une forme d’hyper-inflation et d´une instabilité financière majeure. L’histoire économique, y compris récente, est remplie d’exemples de ruines et de crises interminables et socialement terribles dues à l’illusion du fait qu’aucune contrainte n’existe et que tout est possible sans avoir à produire la richesse qui le permet.

La sortie pourra ainsi comporter des risques élevés d’erreurs de politique économique, qui, sous le coup de l’émotion et de la pression de l’opinion, pourrait ici vouloir trop rapidement revenir à l’orthodoxie et là croire pouvoir s’exonérer pour toujours de toute contrainte.

Il faudra conduire une solide politique d’offre pour reconstituer la capacité de production du pays et même l’accroître pour diminuer sa dépendance stratégique. On aura besoin de toute l’énergie, de la capacité de travail et de l’esprit d’entreprise de tous. Cette politique d’offre devra mobiliser davantage le travail et comporter un volet important de recapitalisation des entreprises et de facilitation des investissements. Les entreprises en effet sortiront surendettées de cette période et investiront durablement de façon insuffisante sinon.

Cette politique d’offre devra être accompagnée d’une politique de soutien de la demande, tant les deux ont à souffrir pendant cette crise. L’augmentation des impôts ne serait compatible ni avec l’une ni avec l’autre. Il faudra donc accepter des budgets en réduction de déficit très progressive et des politiques monétaires qui ne reviendront que précautionneusement sur leurs pratiques non conventionnelles. Mais dans une programmation très explicite de retour à la normale pour sauver la confiance dans les dettes des États et dans la monnaie.