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Crise économique et financière Zone Euro

Prise de position de la LECE – Utilisons le Fonds « L’U.E. de la prochaine génération», intégré dans un cadre financier pluriannuel ambitieux, comme moteur du changement dans l’Union européenne

5 Juin 2020

Ligue Européenne de Coopération EconomiqueFondation Universitaire 11 rue Egmont – Bruxelles

Cette prise de position fait suite à l’avis adopté par la LECE le 2 avril 2020 « Pour une solidarité et une coordination audacieuses pour sauver les citoyens et le projet de l’UE ». Elle s’appuie sur les contributions de plusieurs sections nationales de la Ligue, dont les LECE – Espagne et LECE – France. Maintenant que des vies ont été sauvées, il faut sauver des emplois et des secteurs entiers de l’économie. Le projet « Prochaine Génération UE » dévoilé par la présidente Von der Leyen le 27 mai pourrait changer la donne en rétablissant l’espoir, en démontrant que les sacrifices n’ont pas été vains et en devenant un modèle de solidarité européenne.  Notre Ligue le soutient donc totalement.

Ce projet complète les initiatives et accords conclus précédemment, dont la LECE se félicite :

  • L’accord conclu lors du Conseil européen du 23 avril 2020 sur une réponse globale de la politique économique à la crise du Covid-19, comprenant trois volets, qui prévoient respectivement des aides pour les travailleurs (SURE), pour les entreprises (programme de garanties de la BEI) et pour les Etats souverains (soutien MES) pour une enveloppe globale de 540 milliards d’euros. Toutefois, ces filets de sécurité ne proposent que des instruments de prêt, qui ont l’inconvénient d’augmenter la dette de leurs bénéficiaires.
  • Du côté de la politique monétaire, la LECE a également exprimé son soutien en faveur du programme d’achats d’actifs de la BCE contre la pandémie (PEPP) à hauteur de 1,350 milliards d’euros après l’augmentation de 600 milliards annoncée le 4 juin, ainsi qu’à  la prolongation du terme de son dispositif jusqu’en 2021 et à  l’engagement de maintenir les achats d’actifs au titre du PEPP jusqu’à ce qu’elle juge que la phase de crise du coronavirus est terminée. Il s’agit d’un programme crucial pour maintenir la confiance dans les marchés financiers et empêcher une hausse injustifiée des taux d’intérêt payés par les différents États membres. Toutefois, l’arrêt récent de la Cour Constitutionnelle allemande démontre que les programmes d’achat d’obligations de la BCE rencontrent des résistances et doivent être complétés par des initiatives plus audacieuses, démontrant une solidarité budgétaire entre les pays de la zone euro.
  • L’initiative conjointe annoncée le 18 mai par la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron. La collecte de fonds d’une taille sans précédent par emprunts de la Commission Européenne sur les marchés des capitaux et leur allocation sous forme de subventions (plutôt que de prêts) constituent une véritable avancée, car l’union budgétaire – même limitée – a été jusqu’à présent la pièce manquante la plus importante de l’Union Economique et Monétaire. Elle devrait en fait être développée davantage dans l’architecture européenne. Ces 500 milliards d’euros à allouer sous forme de subventions seraient désormais complétés par 250 milliards d’euros sous forme de prêts, formant ensemble un nouvel instrument de relance baptisé « Prochaine Génération EU ». La LECE espère vivement que, malgré les objections exprimées par certains États membres, la taille et la conception de cet instrument de recouvrement seront acceptées, en gardant à l’esprit que les fonds seront consacrés à des programmes et à des priorités convenues conjointement.

La LECE estime que cette initiative constructive est un pas dans la bonne direction, significatif en termes de message politique mais encore assez limité en termes macroéconomiques. L’approche dynamique doit être maintenue, y compris le lien avec le cadre financier pluriannuel (2021-2027). La nouvelle proposition pour ce cadre pluriannuel semble bien équilibrée. La LECE soutient l’idée d’envisager l’introduction de nouvelles ressources (venant par exemple du système d’échange de quotas d’émission, d’une taxe d’ égalisation carbone, un prélèvement  sur les revenus des grandes entreprises, une taxe numérique, etc…) Une nouvelle impulsion devrait être donnée à l’examen d’un niveau minimum d’impôt sur les sociétés au niveau de l’UE pour empêcher le dumping fiscal. Même si les États membres ont donné leur accord de principe à un plan de redressement tenant compte du caractère exogène et global du choc, il existe une asymétrie considérable entre pays dans les conséquences de la crise et les besoins de financement qui en résultent dans cette période de déconfinement, alors que le redémarrage de l’économie est essentiel. Les positions économiques des pays sont en effet très différentes en ce qui concerne leurs marchés du travail, leurs finances publiques et leur marge de manœuvre budgétaire pour soutenir leur économie interne[1], leur structure sectorielle (dépendance vis-à-vis des activités de services de proximité comme le tourisme et les loisirs) et leur appartenance ou non à la zone euro. Certains pays étaient déjà plus vulnérables que d’autres lorsque la crise sanitaire a frappé. Aucun pays ni aucune région ne doivent être laissés pour compte. L’UE doit commencer à réfléchir stratégiquement à l’objectif du fonds et à la manière dont il le mettra en œuvre pour bâtir une économie plus résiliente et une Union européenne plus forte.

« L’UE de la prochaine génération » doit servir les ambitions et les objectifs sociétaux de l’UE, en particulier les transitions verte et numérique.

« l’UE de la prochaine génération » doit se concentrer sur l’investissement: l’investissement public – insuffisant depuis au moins une décennie – et le soutien à l’investissement privé, qui risque d’être paralysé par la crise. Elle doit servir de déclencheur à une stratégie de croissance nouvelle et ambitieuse. Les fonds doivent être appliqués sur l’ensemble du territoire européen, en ciblant les régions, les secteurs et les entreprises, y compris les PME, les plus durement touchées par la pandémie. Sa conception devrait promouvoir l’Union européenne dans son ensemble et accompagner les objectifs sociaux et les priorités adoptées par la commission Von der Leyen. Une politique industrielle plus proactive devrait compléter le programme encourageant EU4Health, qui a vocation à investir dans la prévention, la préparation aux crises, l’acquisition de médicaments et d’équipements essentiels par l’amélioration de la R&D:

  • « l’UE de la prochaine génération» doit soutenir voire accélérer, l’ambition du pacte vert de l’UE et la transition vers de nouvelles formes d’organisation économique comme l’économie circulaire.
  • Concernant la stratégie numérique, des fonds devraient être affectés en priorité pour faciliter le passage de la phase de démarrage à la phase de déploiement de l’économie numérique afin de bénéficier des effets de productivité[2]Une stratégie numérique peut aider à soutenir des secteurs clés comme le tourisme et les secteurs impliqués dans la transition vers une économie zéro carbone. Une stratégie appropriée pour l’infrastructure numérique sur l’ensemble du territoire de l’UE doit être élaborée, en veillant à ce que les infrastructures couvrent les zones reculées afin d’éviter une fracture sociale entre ceux qui ont accès aux outils numériques et ceux qui ne sont pas connectés.
  • La crise a également mis en lumière les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les entreprises vont les revoir et les restructurer avec une tendance à la diversification hors de l’Asie et à la relocalisation de certains éléments de la chaîne. Une stratégie industrielle appropriée est nécessaire en Europe afin de bénéficier d’un redéploiement cohérent des chaînes d’approvisionnement au sein de l’UE, des États membres et leurs partenaires
  • L’éducation, la qualification et la formation à la reconversion doivent être une priorité afin de s’assurer que la main-d’œuvre est correctement préparée avec l’apprentissage tout au long de la vie, en encourageant les disciplines qui sont recherchées de manière urgente: santé, sciences de l’environnement, technologies numériques, intelligence artificielle, cybersécurité, etc.… C’est le seul moyen de lutter contre le chômage de longue durée.
  • Enfin, l’émission de dette par la Commission européenne à grande échelle permettrait  la création  d’un «actif sans risque» tant recherché, indispensable au développement futur de l’Union des marchés de capitaux[3]. La CMU faciliterait l’allocation de capitaux aux projets à long terme et le financement de l’innovation en mobilisant l’épargne des ménages vers des instruments à plus long terme dédiés à la croissance et à l’innovation. Elle favoriserait également  l’évolution de l’euro vers une monnaie internationale à part entière. De nombreuses entreprises seront confrontées à des problèmes de solvabilité dans les mois à venir en raison de l’interruption soudaine de l’activité et de la faiblesse de la demande agrégée, il serait approprié d’entreprendre certaines formes d’harmonisation des règles d’insolvabilité dans toute l’Union Européenne (inspirées du « Chapitre 11 » aux États-Unis par exemple).

Une crise est une occasion à ne pas manquer d’aller de l’avant. Ne la manquons pas aujourd’hui pour faire avancer l’Europe.

Bernard Snoy et d’Oppuers (Président LECE International), Rainer Boden (Vice-Président LECE International), Servaas Deroose (Conseiller Spécial du Président LECE International), François Baudu (Secrétaire Général LECE International), Javier Arias (LECE International), Andreas Grünbichler (LECE Autriche), Branco Botev (LECE Bulgarie), Frances Homs Ferret (LECE Espagne), Olivier Klein (LECE France), Wim Boonstra (LECE Pays-Bas et Président LECE Commission Monétaire), Maciej Dobrzyniecki (LECE Pologne), Antonio Martins da Cruz (LECE Portugal), Radu Deac (LECE Roumanie), Thomas Cottier (LECE Suisse), Philippe Jurgensen (Présent LECE Commission Economique et Sociale), Senén Florensa (President LECE Commission Méditerranée).

ELEC-website: www.elec-lece.eu


[1] Par exemple, certains pays ont fourni des aides d’État et des capitaux à risques aux entreprises au niveau national (Allemagne) alors que d’autres ont limité leur intervention au niveau régional (Autriche avec la ville de Vienne).

[2] Bart van Ark, University of Groningen, The Conference Board, The Productivity Paradox of the New Digital Economy; Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Banque de France, La récession actuelle et les précédentes: un regard sur longue période.

[3] Voir à ce sujet  la proposition de la LECE « T-Bill Fund »: https://ec.europa.eu/economy_finance/articles/governance/pdf/elec.pdf