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Réveiller l’Europe, c’est maintenant ! – Texte complet de l’article publié dans les Echos du 11 décembre 2018

C’est la première fois qu’un pays de l’Union veut la quitter. Le développement de l’illibéralisme de quelques pays pose la question de la signification de l’appartenance à l’Union Européenne. Les tensions Nord-Sud au sein de l’Union sur fond de méfiance réciproque ne permettent plus d’avancer dans la construction d’une zone euro, pourtant aujourd’hui encore bancale. Les pays du Nord craignent le non-respect des règles, notamment budgétaires, de vie en commun par ceux du Sud. Ceux du Sud, le manque de solidarité et une sorte de mépris de la part de ceux du Nord. Avec bien entendu, en point d’orgue, l’arrivée au pouvoir en Italie d’une coalition hétéroclite des extrêmes.

En outre, même si l’Europe n’en a en rien l’exclusivité, on assiste partout en Europe à la montée de mouvements populistes, recherchant des solutions simplistes à des problèmes réels et des boucs émissaires faciles. Ces mouvements sont la manifestation politique et électorale d’une demande d’identité, de sécurité et de protection. Conséquence elle-même, en Europe comme ailleurs, de la peur d’un affaiblissement des classes moyennes et d’une réponse perçue comme inadéquate ou insuffisante de la part des gouvernements. Mondialisation, révolution technologique, immigration mal maîtrisée et terrorisme islamiste sont les ferments de cette inquiétude. Le tout sur fond d’une déconstruction progressive des organisations multilatérales et des règles et principes de la communauté des nations établis après-guerre. Donc d’une montée de jeux non coopératifs potentiellement très dangereux. Qu’ils soient par exemple ceux des Etats- unis, proclamant qu’ « America first » est leur unique objectif, ou ceux à plus petite échelle de l’Italie qui présente une politique budgétaire dangereuse pour la zone euro ou, d’une certaine manière et dans un style opposé, de l’Allemagne, qui affiche depuis des années un excédent courant d’un niveau anormalement élevé.

Il est donc urgent de bien s’interroger en Europe sur la bonne façon de réagir à cette défiance. Deux types de réactions doivent être évités. Le premier serait de nier les défauts intrinsèques de l’Europe. Ce n’est pas en ignorant les problèmes ressentis par les gens qu’on les fait disparaître. Tout au contraire, on les aggrave. Il faut regarder en face les véritables problèmes et nommer les questions d’immigration mal gérées au niveau communautaire, les effets de l’élargissement européen qui a fait perdre de la lisibilité et a dégradé l’efficacité de la gouvernance de l’Union. De même, doit-on pointer la mise en place d’une zone euro qui, parce qu’incomplète, a engendré un certain nombre d’effets indésirables. Ainsi, mettre à plat les contre-vérités sur l’Europe est-il salutaire. Mais sembler en ignorer les difficultés serait dangereux.

A l’inverse, après avoir constaté le risque de délitement de l’Europe et ses défauts intrinsèques, la deuxième erreur consisterait à se contenter d’un pessimisme cultivé, qui pourrait donner la place à une contemplation tout à la fois complaisante et navrée des reculs successifs d’une Europe impuissante à poursuivre sa construction.

Même si elle est bien difficile, la seule voie possible est de rechercher inlassablement à mettre en place et à renforcer les jeux coopératifs en Europe. Face à l’entropie actuelle, il est urgent en premier lieu de rappeler avec force ce qui réunit les peuples européens et ce en quoi l’Europe leur apporte un mieux-vivre : la protection et l’efficacité d’une économie sociale de marché ; l’importance cruciale de l’Etat de droit, avec le caractère inaliénable de la liberté de la personne et de la liberté de la pensée critique, qui va de pair avec celle de la presse ; la laïcité qui permet le vivre-ensemble; les bienfaits du marché unique et de la libre circulation des personnes ; sans oublier la paix bien entendu. Faisons le pari qu’in fine les peuples européens instruits des menaces ne voudront pas de ces régressions.

Mais, plus les bienfaits de l’Europe sont considérés comme acquis, plus ils sont paradoxalement fragiles, tant la nature humaine est sujette à l’oubli. Il nous faut donc parler en outre du caractère indispensable d’une Europe forte demain. Nous assistons aujourd’hui à un gigantesque combat entre les Etats-Unis et la Chine pour un nouveau partage du monde. La rupture avec le multilatéralisme et l’affirmation assumée d’une attitude non coopérative, d’un côté. La nouvelle route de la soie, comme moyen d’expansion de la nouvelle puissance, de l’autre. Ouvrons vite les yeux, nous autres Européens, si nous voulons que nos peuples conservent la maîtrise de leur destin et pèsent encore sur le cours de l’histoire. Si nous voulons nous donner une chance de préserver les spécificités et les valeurs auxquelles nous tenons, qui nous rassemblent et nous distinguent, ce n’est pas moins d’Europe qu’il nous faut, mais davantage ! Pour exister entre les deux géants du nouveau monde, il nous faut une Europe forte économiquement, politiquement, diplomatiquement et militairement.

Industrie à forte valeur ajoutée, nouvelles technologies, transition écologique, défense commune comme vient de le proposer le couple franco-allemand, flux migratoires, etc., tels sont les thèmes qu’il nous faut travailler ensemble au plus vite, en instaurant de nouvelles règles communes et de nouveaux jeux coopératifs. Pour peser davantage sur le nouvel ordre du monde. Il nous faut, en outre, une vision propre de l’organisation du commerce international et une défense de nos intérêts en ce domaine. Construisons donc, au plus vite, une vision géostratégique partagée. Enfin, sur la base d’une zone monétaire complète et solide, recherchons une plus forte internationalisation de l’Euro. Appuyée sur une Europe stratège, un Euro plus utilisé mondialement est en effet utile pour éviter les inacceptables règles unilatérales d’extraterritorialité imposées par les Etats-Unis, facilitées par un dollar omniprésent.

Comment dès lors ne pas voir le besoin urgent d’Europe ? Pour les peuples européens eux-mêmes d’abord, mais aussi pour de nombreux autres qui ne veulent pas avoir à choisir entre les deux futurs maîtres du monde, si l’Europe ne jouait pas son propre jeu. Cette renaissance ne pourra se réaliser que si nous savons marier intelligemment une Europe des nations et une Europe stratège, qui seule peut faire face à la somme gigantesque des défis géopolitiques, industriels et écologiques qui sont les nôtres.

Face au délitement progressif, seule la combinaison d’une volonté déterminée de reconnaître et de corriger les défauts de l’Europe d’une part, d’une explication limpide des enjeux géostratégiques et des possibilités réelles de régression d’autre part et, enfin, d’hommes d’Etat courageux ayant une claire vision de l’avenir pourra renverser l’ordre des choses. Mais rien ne se fera sans que nous partions pragmatiquement de projets concrets sur les différentes thématiques pré-citées, en nous alliant avec nos voisins allemands. Ni sans que tous, où que nous soyons et qui que nous soyons, y concourions à notre mesure !

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Réveiller l’Europe, c’est maintenant ! – Retrouvez ma tribune parue le dans Les Echos du 11 décembre 2018

Les élections européennes approchent, alors que nous connaissons un moment de défiance à l’égard de l’Europe et une phase de retour en force des nations.

Pour la première fois  un pays de l’Union veut la quitter. Le développement de l’illibéralisme de quelques pays pose la question de la signification de l’appartenance à l’Union européenne. Les tensions Nord-Sud au sein de l’Union sur fond de méfiance réciproque ne permettent plus d’avancer dans la construction d’une zone euro, pourtant aujourd’hui encore bancale.

En outre, on assiste partout en Europe à la montée de mouvements populistes, recherchant des solutions simplistes à des problèmes réels et des boucs émissaires faciles. Ces mouvements sont la manifestation politique et électorale d’une demande d’identité, de sécurité et de protection. Conséquence elle-même, en Europe comme ailleurs, de la peur d’un affaiblissement des classes moyennes et d’une réponse perçue comme inadéquate ou insuffisante de la part des gouvernements.

Mondialisation, révolution technologique, immigration mal maîtrisée et terrorisme islamiste sont les ferments de cette inquiétude. Le tout sur fond d’une déconstruction progressive des organisations multilatérales et des règles et principes de la communauté des nations établis après-guerre. Donc d’une montée de jeux non coopératifs potentiellement très dangereux.

Ce qui réunit les peuples

Il est donc urgent de bien s’interroger en Europe sur la bonne façon de réagir à cette défiance. Il serait vain de nier les défauts intrinsèques de l’Europe. Il faut regarder en face les véritables problèmes et nommer les questions d’immigration mal gérées au niveau communautaire, les effets de l’élargissement européen qui a fait perdre de la lisibilité et a dégradé l’efficacité de la gouvernance de l’Union. De même, doit-on pointer la mise en place d’une zone euro qui, parce qu’incomplète, a engendré un certain nombre d’effets indésirables.

Même si elle est bien difficile, la seule voie possible est de rechercher inlassablement à mettre en place et à renforcer les jeux coopératifs en Europe. Face à l’entropie actuelle, il est urgent en premier lieu de rappeler avec force ce qui réunit les peuples européens et ce en quoi l’Europe leur apporte un mieux-vivre : la protection et l’efficacité d’une économie sociale de marché ; l’importance cruciale de l’Etat de droit, avec le caractère inaliénable de la liberté de la personne et de la liberté de la pensée critique, qui va de pair avec celle de la presse ; la laïcité qui permet le vivre-ensemble ; les bienfaits du marché unique et de la libre circulation des personnes ; sans oublier la paix bien entendu.

Ouvrir les yeux

Nous assistons aujourd’hui à un gigantesque combat entre les Etats-Unis et la Chine pour un nouveau partage du monde. Ouvrons vite les yeux, nous autres Européens, si nous voulons que nos peuples conservent la maîtrise de leur destin et pèsent encore sur le cours de l’histoire. Pour exister entre les deux géants du nouveau monde, il nous faut une Europe forte.

Industrie à forte valeur ajoutée, nouvelles technologies, transition écologique, défense commune comme vient de le proposer le couple franco-allemand, flux migratoires, etc., tels sont les thèmes qu’il nous faut travailler ensemble au plus vite. Pour peser davantage sur le nouvel ordre du monde. Il nous faut, en outre, une vision propre de l’organisation du commerce international. Enfin, sur la base d’une zone monétaire complète et solide, recherchons une plus forte internationalisation de l’euro. Appuyée sur une Europe stratège, un euro plus utilisé mondialement est en effet utile pour éviter les inacceptables règles unilatérales d’extraterritorialité imposées par les Etats-Unis.

Rien ne se fera sans que nous partions pragmatiquement de projets concrets sur les différentes thématiques précitées, en nous alliant avec nos voisins allemands. Ni sans que tous, où que nous soyons et qui que nous soyons, y concourions à notre mesure !

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« Italie, Brexit…où va la zone euro ? » Je répondais lundi 22 octobre aux questions de France Info.

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La sortie de la politique monétaire très accommodante de la BCE : Enjeux et Défis par Olivier klein

Revue D’Économie Financière – Extrait du numéro 127 – Article Olivier Klein
 

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La sortie de la politique monétaire non conventionnelle de la BCE est nécessaire mais difficile

La BCE (Banque Centrale Européenne) annoncera probablement le 26 octobre la façon dont elle compte recalibrer sa politique monétaire aujourd’hui très accommodante. Cette politique, qui consiste principalement en un achat massif d’obligations souveraines et privées par la BCE et en la mise en place de taux négatifs, s’est avérée utile pour lutter contre le risque déflationniste et de désintégration de la zone euro. Un bilan positif, donc.

Désormais, son retrait progressif apparaît  nécessaire. En effet, la crainte déflationniste est maintenant dernière nous. La croissance de la zone euro s’affirme, avec une baisse notable du taux chômage. Bien que nous connaissions une faiblesse persistante de l’inflation, le maintien de cette politique comporte des risques importants.

Par une politique de taux très bas, voire négatifs, en-dessous du taux de croissance nominal, la BCE, en soutenant les emprunteurs, affecte  la rémunération des épargnants et des prêteurs. L’Allemagne, pays à démographie déclinante, donc plus sensible à cette situation, le rappelle régulièrement à la banque centrale. En outre, les investisseurs institutionnels (assureurs, gestionnaires de retraite…), tenus ou non de délivrer un rendement minimum contractuel, peuvent ainsi avoir tendance à rallonger les durées de leurs placements et à accepter des risques de contrepartie plus élevés en échange d’une rémunération meilleure. Cette politique, si elle devait durer au-delà du nécessaire, pourrait engendrer une instabilité financière dans le futur.

En complément, une telle politique peut favoriser les comportements spéculatifs, facteurs de bulles, consistant à emprunter à taux bas pour acheter des actifs risqués (actions, immobilier) afin de gagner le différentiel de rendement. Or, si de telles bulles n’étaient pas encore apparues clairement jusqu’à récemment, certains actifs semblent voir leur prix s’envoler un peu rapidement depuis plusieurs mois, tant sur les marchés d’actions américains par exemple que sur le marché immobilier dans quelques grandes villes américaines et européennes (y compris en Allemagne).

Enfin, en cherchant à positionner les taux d’intérêt de long terme à un niveau très bas, elle écrase le différentiel entre les taux des crédits et les taux de collecte des ressources bancaires, alors même que le taux de rémunération des dépôts  bancaire des épargnants ne peut  concrètement être inférieur à zéro. Or cette marge d’intérêt constitue une base essentielle des revenus des banques de détail   .  Et cet effet défavorable, dans le cas français par exemple ,  n’est plus compensé depuis 2016 par l’accroissement des volumes de crédit et  l’abaissement du coût du risque de crédit, engendrés par ces mêmes taux très bas. Même si les résultats tirés de leurs autres activités (banque d’investissement, international, assurances…) leur ont permis de dégager au total de très bons résultats. En conséquence, la baisse des revenus bancaires tirés de leur activité de banque de détail sur leur marché domestique risque de freiner tôt ou tard leur capacité à suivre la croissance du crédit qui accompagne le regain de croissance, alors même que le ratio de solvabilité exigé par les règles prudentielles est en hausse.

Pour l’ensemble de ces raisons notamment, l’amorce d’une normalisation de la politique monétaire de la BCE devient donc nécessaire. Elle permettrait d’ailleurs à l’institution de se reconstituer d’indispensables marges de manœuvre pour prévenir un futur renversement de cycle, d’autant plus que la politique budgétaire de nombreux Etats européens apparaît aujourd’hui peu mobilisable, compte-tenu de leur niveau d’endettement public.

Pour effectuer ce virage, la Réserve Fédérale américaine a procédé à partir de 2014 à une réduction progressive (appelée tapering), puis à un arrêt de son programme d’achats de titres, enfin à une hausse progressive de ses taux directeurs (taux de court terme). L’annonce de la BCE présentant son tapering aura probablement lieu le 26 octobre. Par un choix de sortie certainement très progressif de son programme d’achat d’obligations, en stabilisant tout d’abord ses stocks, elle pourrait ainsi provoquer une remontée très prudente des taux longs au cours des prochaines années. Elle pourrait par ailleurs faire remonter parallèlement les taux négatifs vers zéro, situation qui ne peut être que très exceptionnelle. Le relèvement de ses taux directeurs d’interviendrait qu’après cette première étape.

La remontée des taux sera pilotée de façon très  prudente, car elle comporte elle-même des risques significatifs. Elle pourrait provoquer des chocs importants sur les marchés, si elle était brutale et mal anticipée. De même, compte-tenu du niveau d’endettement élevé des Etats comme des entreprises et des ménages, elle ne peut qu’être très progressive. Enfin, l’euro a déjà fortement remonté par rapport au dollar. Or la hausse de notre devise ayant clairement un effet qui peut contrecarrer le surcroît d’inflation envisageable à la  suite de la meilleure croissance de la zone, la BCE ne peut prendre le risque d’une accélération de la réévaluation de l’euro, alors qu’elle cherche à faire remonter le taux d’inflation vers 2%.

La politique menée par la BCE a de fait cherché à acheter du temps à la zone euro, pour permettre aux Etats de réaliser les réformes structurelles et les adaptations nécessaires du cadre institutionnel et organisationnel de la zone monétaire elle-même   . Cette politique ne pouvant être éternelle, il devient encore plus impératif pour les Etats concernés de conduire ces réformes pour accroître leur compétitivité (qualité/prix) et soutenir leur potentiel de croissance. Et ainsi, sans politique d’austérité, faire baisser les déficits publics, y compris sociaux, et les déficits structurels de balance courante. L’objectif doit être de créer les fondements d’une zone euro renforcée, car mieux coordonnée, plus solidaire et dont tous les membres auront accru leur potentiel de croissance.

Co-écrit avec Thibault Dubreuil, Majeure Finance d’HEC

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Cercle Les Échos : Face à l’ubérisation annoncée, quelles clés du succès pour les banques ?

La banque connaît-elle une ubérisation ? Et dans ce cas comment y faire face ? De quels atouts dispose-t-on ? Quelques analyses et raisonnements peuvent être posés de manière assez sûre, sans jouer au futurologue.

Le mot « ubérisation », pris de façon assez large peut désigner la menace d’un modèle établi par une série d’innovations et de nouveaux acteurs. On se concentrera sur la banque de détail car elle est a priori plus touchée par ce phénomène que la banque d’entreprise. Les innovations digitales, qui peuvent trouver un champ d’application dans le domaine bancaire, sont de divers ordres : robotisation, digitalisation des process, des contrats et des signatures, le big data, l’intelligence artificielle, les paiements et bien d’autres. À l’évidence, ces innovations provoquent beaucoup de ruptures et créent de nombreuses possibilités de révolutions à analyser et à intégrer dans nos stratégies. Deux types de rupture en particulier sont intéressants à étudier.

La première approche consiste à se poser la question de savoir si la digitalisation pourrait aller jusqu’à la disparition des agences, ou du moins jusqu’à une forte réduction du modèle de banque à réseau. C’est une question qu’il faut se poser, puisqu’il y a beaucoup moins de clients qui viennent dans les agences. Nous pouvons donc légitimement nous demander si cela va se poursuivre, si cette réduction touche tous les métiers des agences et si l’on se dirige vers un modèle quasi-unique de banque en ligne ou néo-banque.
La deuxième approche consiste à étudier dans quelle mesure cette révolution technologique permet à nombre de startups, telles que les fintechs, de croître et de concurrencer des banques commerciales sur telle ou telle partie de leur chaîne de valeur. Y-a-t-il à ce moment-là une possibilité de perte de segments rentables ? La rentabilité peut-elle baisser sans pour autant mettre en cause le modèle de banque de réseau ?

Ces deux questions sont importantes et différentes, même si les réponses que l’on peut apporter peuvent parfois se rejoindre.
La première approche est fondamentale : peut-on imaginer un monde de banques sans agence ? Certains analystes l’affirment et parlent pour la banque du « Kodak de demain », ou un peu moins radicalement de « la prochaine sidérurgie ». Il ne faut pas refuser cette question, mais au contraire aller au fond des choses. Ce sujet mérite des éléments de réponse fondés sur de solides analyses. Il faut d’abord bien distinguer la question du digital de celle des taux d’intérêt. Nous avons la conjonction des deux phénomènes, mais ils n’ont pourtant rien à voir l’un avec l’autre. Il y a d’un côté une courbe de taux d’intérêt très plate qui abîme la rentabilité des banques de détail. On peut raisonnablement espérer que ceux-ci remonteront, avec notamment à nouveau un écart suffisant entre taux courts et taux longs, et une banque centrale qui sortira progressivement du quantitative easing. Gageons qu’il y aura des annonces faites dans ce sens de la part de la BCE fin octobre.
De l’autre côté,  nous avons le digital et son impact sur la rentabilité. Il faut faire attention, me semble-t-il, à ne pas répondre par le digital à des questions de taux d’intérêt en pensant que les taux bas changent structurellement le modèle. Les taux d’intérêt tels qu’ils sont aujourd’hui ne changent pas le modèle en soi, mais abîment transitoirement la rentabilité, ce qui n’est pas tout à fait pareil.


Le raisonnement à tenir consiste, me semble-t-il, à revenir aux fondements : Qu’est-ce que l’essence même d’une banque de détail ? Qu’est-ce que l’essence de la relation bancaire ? Il faut ici bien distinguer les invariants des points contextuels qui varient en fonction de la technologie en vigueur et de leur utilisation par les clients. Dans la banque de détail – dont le modèle peut d’ailleurs être différent suivant les pays en fonction des us et coutumes qui sont propres à chacun –, il y a deux grands domaines : la banque au quotidien, transactionnelle, et la banque relationnelle, celle des « projets de vie » et celle du conseil. Ce sont bien deux demandes de banques assez distinctes, même si naturellement elles se croisent souvent.

La banque au quotidien, à l’évidence, est celle des transactions courantes : aller chercher un chéquier, effectuer un paiement, retirer de l’argent liquide ou en déposer, etc. Cette banque-là n’a pratiquement plus besoin de réseau, même s’il y a encore des demandes, mais de moins en moins nombreuses, pour aller au guichet. Le développement de l’internet, des smartphones et des automates fait que cette banque transactionnelle n’a pratiquement plus besoin de réseau pour réaliser ces opérations courantes. La baisse de fréquentation y est globalement très forte. C’est très important, car la demande de « guichetiers » existe de ce fait de moins en moins et il faut bien l’intégrer.

Il y a d’autre part la banque relationnelle, celle des projets de vie et du conseil -mais aussi la banque qui accompagne les moments difficiles que chacun peut rencontrer tôt ou tard -,  qui caractérise au fond la relation la plus profonde des particuliers avec leur banque, bien au-delà de la gestion des moyens de paiement. C’est celle du temps long avec les clients. Ceci est crucial, car ce temps long est lié au fait que l’on s’occupe de leurs projets de vie, dans leur préparation comme dans leur déroulement. Ces projets peuvent être très importants : financer ses études, sa première installation professionnelle, acheter un logement, préparer sa retraite ou sa succession, etc. Il peut aussi s’agir de petits projets de vie qui s’enchaînent, comme préparer un voyage ou acheter une voiture. Tout cela fait partie d’un univers dans lequel les banques sont parfaitement légitimes car elles répondent aux besoins des clients en leur proposant les produits nécessaires, à savoir le crédit, l’épargne, et naturellement l’assurance (de biens ou de personnes) qui permet de les protéger. Ces projets demandent du temps à être préparés et réalisés. Une longue et forte relation de confiance se crée donc entre le client et le banquier, puisque l’on traite de la sécurité de ses biens, de la personne, de sa famille et, au fond, de son bien-être. L’univers de besoin auquel répond la banque relationnelle est donc celui du temps long, de même que le crédit, l’épargne et l’assurance sont des produits du temps long.

Il est normal et courant dans une société d’avoir régulièrement des polarisations de la pensée: à la fin des années 90 et courant des années 2000, on s’interrogeait beaucoup sur le fait de savoir si la grande distribution allait remplacer la banque. À cette époque, nombreux étaient ceux qui écrivaient savamment que la grande distribution allait enlever des pans entiers à la banque. Or, cela n’a pas été le cas. En 2004, dans Les Échos déjà, j’avais commis un long article sur ce sujet. La réflexion partait du point suivant : dans la grande distribution on traite le temps court, car ce qui s’y achète se consomme quasiment immédiatement. Si cela ne nous convient pas, il est facile de changer de marque et même d’enseigne. Dans la banque cela est compliqué de changer rapidement, en fonction de l’expérience de consommation, car si l’on fait un crédit, une épargne, ou si l’on souscrit à une assurance, c’est en général pour une longue durée. C’est pourquoi les conseillers bancaires doivent rester un temps suffisamment long en poste. C’est d’ailleurs une demande forte des clients. Alors que dans la grande distribution, pour l’essentiel, il n’y a plus de « commerciaux » dans les magasins. Je n’ai donc jamais vraiment cru à ce que la grande distribution puisse prendre des parts de marché importantes sur la banque, précisément parce que l’analyse fondamentale de l’essence même de ce qui était la relation bancaire me laissait penser que l’épargne ne s’achèterait pas sous blister. Le seul point de rencontre entre la grande distribution et la banque se faisait sur le crédit consommation et la carte de paiement et de fidélité, tous deux en prolongation exacte de  l’acte d’achat. Il s’agit donc du seul champ dans lequel on a effectivement eu une concurrence entre la grande distribution et les banques, jusqu’à présent.

Par ailleurs, suivant les pays, il existe différents  mix entre modèles relationnels et banques au quotidien. Une étude réalisée pour le compte de la FBF en 2010 a cherché à savoir quels étaient les pays dans lesquels les banques avaient un fort modèle relationnel. La France ressortait dans les pays les plus forts, ce qui ne voulait pas dire que les banques françaises n’étaient pas transactionnelles, mais simplement qu’elles avaient mis un poids relativement plus important sur le côté relationnel que beaucoup d’autres pays. Les pays qui ont des modèles beaucoup plus transactionnels que relationnels ont donc tout intérêt à fermer beaucoup d’agences, car celles-ci n’ont pas beaucoup d’autres offres à proposer. Dans les banques relationnelles, quelque chose d’autre se passe.

Donc les personnes viennent de moins en moins pour la banque au quotidien, c’est une certitude. Mais auront-elles pour autant de moins en moins d’appétence pour la banque relationnelle ? Depuis déjà une dizaine d’années, les modes de relation avec les réseaux bancaires ont évolué : physique, téléphone, e-mail, visio, tchats, etc. Ils ne suppriment cependant pas le besoin du conseiller bancaire. Si l’on a toujours autant besoin, voire davantage, de conseillers bancaires, il faut donc bien savoir où les placer et où les loger. Les clients désirent à intervalle régulier voir leur conseiller en tête-à-tête, pour certains sujets plus structurants ou par simple réassurance. Avoir des agences plus proches n’est donc pas complètement incongru. D’autant plus qu’elles sont aussi, en tant que lieu matérialisant la banque, une réassurance pour nombre de particuliers et même de  professionnels.  Alors puisque nous disposons déjà des agences en proximité, pourquoi se priver de cet atout ? D’autant plus que celles-ci nous offrent des kilomètres de vitrines publicitaires que bien des banques en ligne nous envient.
Ainsi, les modes de relation évoluent et se complètent, mais ils ne se suppriment pas. In fine, ils sont même essentiellement fondés sur la relation avec le conseiller de clientèle. L’essence ne change pas, car il n’y a pas de baisse de la demande de banque pour les projets de vie, et même au contraire. Avec Internet, les clients sont de plus en plus exigeants sur la qualité du conseil, car ils savent très bien naviguer pour s’informer, comparer et changer s’il le faut. Ils demandent à leur conseiller d’être encore meilleur, plus réactif et plus proactif qu’auparavant.

En réalité, la moindre fréquentation des « guichets » est une chance pour la banque, et ce n’est pas un paradoxe. Premièrement, le digital supprime les tâches répétitives au « guichet » qui ne sont pas rémunérées, ce qui économise des coûts. Nous pouvons aussi offrir beaucoup plus de temps commercial aux clients qui demandent davantage, et ce en faisant des personnes qui étaient au « guichet » des conseillers de clientèle. La plupart du temps ce sont des jeunes débutants qui n’attendent que cela, ils sont donc formés aisément. Grâce au digital, le temps commercial est développé et évite aussi les tâches répétitives aux commerciaux aguerris.

Le deuxième argument, conséquence du premier, est que l’on accroît le temps productif commercial de nos propres conseillers, ce qui augmente notre productivité. Notre PNB est ainsi accru par notre capacité à mieux servir et conseiller nos clients, et ainsi répondre à leurs besoins.

Troisièmement, le parcours client est clairement facilité par le digital, car certaines opérations sont plus faciles à traiter à distance ou par les automates. La satisfaction du client est donc augmentée, car la banque est rendue plus pratique.

Enfin, le digital est aussi une chance, car il permet d’améliorer le modèle relationnel lui-même. Le big data et l’intelligence artificielle, que l’on essaie d’intégrer progressivement, peuvent nous permettre de bien mieux comprendre nos clients et leurs besoins, de mieux préparer nos rendez-vous, donc de mieux les servir. Nous sommes ainsi bien plus efficaces. Il s’agit ici de productivité commerciale intelligente, et cela satisfait beaucoup les clients qui ne sont appelés que pour des choses qui concernent leurs véritables besoins.

Augmenter la praticité de nos banques et la qualité du conseil sont donc deux clés fondamentales de succès. Pour la banque, deux axes le permettent : la formation, dont nous avons très significativement augmenté le budget à la BRED, et le digital lui-même !

Il nous faut ainsi assurer la même praticité que les banques en ligne. Evidemment, si l’on assure la même praticité, mais que l’on ne pratique pas des tarifs aussi bas, il faut nous différencier par autre chose : un conseil de qualité. Sans vouloir les critiquer car elles sont parfaitement légitimes, il n’y a pas de conseillers dans les banques purement digitales.

Les clients en France demandent en fait les deux : une banque au quotidien très pratique et un conseiller attitré qui puisse leur apporter de la valeur ajoutée. Ils ne chercheront donc à dissocier banque transactionnelle et banque de conseil, ou même à se satisfaire d’une seule banque au quotidien low cost, que si leur banque usuelle n’excelle pas dans les deux registres.

Les banques de réseau ont donc un avantage comparatif certain, à condition aujourd’hui, d’une part, de continuer d’investir pour être aussi bonnes que les banques en ligne dans la praticité de la banque au quotidien. Rien d’impossible. Et d’autre part, Il leur faut parallèlement s’assurer qu’elles peuvent produire des conseils de qualité, dont la valeur ajoutée justifie une rémunération. L’investissement important sur le digital et sur la formation sont donc bien deux clés de succès.

Mais l’organisation agile de chaque agence comme du réseau et l’optimisation de l’utilisation des moyens pour les affecter au plus producteur de PNB est aussi cruciale. Dans certains cas, les banques peuvent supprimer des agences, car le besoin de guichets transactionnels disparaît. En conséquence, nous ne sommes effectivement plus obligés d’avoir une agence tous les 200 mètres dans les grandes villes, même si nous avons toujours besoin d’agences pour assurer le conseil. Donc, suivant la configuration des banques d’aujourd’hui, le nombre d’agences à réduire peut-être assez différent.

Ajoutons que la banque en ligne n’a pour le moment pas de rentabilité, car elle a précisément beaucoup de mal à équiper les clients. En outre, pour acquérir des clients, elle a un coût considérable à assumer qui correspond au besoin de faire beaucoup plus de publicité que les autres banques. Comme elle n’a pas de vitrines, il faut qu’elle attire le client avant qu’il ne rentre spontanément dans nos agences. La banque en ligne doit, dans le même registre, proposer beaucoup de cadeaux et d’offres gratuites. Par exemple, 80 euros sont en général accordés à l’ouverture de comptes, mais beaucoup d’étudiants vont successivement dans plusieurs banques afin de les obtenir à tour de rôle. La fidélisation n’est donc pas aisée. Et la banque en ligne se concentre pour l’essentiel, par construction donc, sur la banque transactionnelle. Il est ainsi assez difficile de rentabiliser ces modèles et de capitaliser sur les clients, sauf à commencer à élargir l’offre et à nommer des conseillers, ce qui commence à apparaître ici et là. Si cela se développait, ce serait très intéressant, car il pourrait alors y avoir des banques traditionnelles qui se digitaliseraient et des banques en ligne qui commenceraient à ouvrir leur jeu en nommant des conseillers. Les deux registres de banque commenceraient alors à se rapprocher de manière intéressante.

Mais alors la question se pose : le conseil lui-même peut-il être digitalisable ? Peut-on se passer d’humains dans le conseil ? On pourrait évidemment se dire : avec un big data bien fait et avec une bonne intelligence artificielle, une automatisation des « pushs », (SMS ou e-mails) aux clients rendrait le conseiller humain inutile. Le client recevrait des propositions intelligentes, parfois même plus intelligentes que celles du conseiller qui n’a pas été suffisamment formé ou aidé. Pourquoi demain aurait-on donc besoin de conseillers bancaires puisque tout serait digitalisé ?

Nous sommes convaincus du contraire, même s’il est impossible de se projeter avec certitude dans dix ou vingt ans.

On sait que la machine est capable de battre l’homme dans beaucoup de domaines. On sait aussi que l’homme et la machine ensemble battent la machine seule. Il faut toutefois rester très modeste, car qui sait aujourd’hui ce que sera capable de faire l’intelligence artificielle demain. Les personnes expertes en intelligence artificielle restent elles-mêmes très prudentes. Il y a cependant quelques éléments clés de réflexion à prendre en compte.

Le premier élément est que la confiance est une clé de la relation bancaire, pour une raison simple : les gens nous confient leur argent et la co-construction de leurs projets de vie. On entre dans l’intimité et dans la sécurité des personnes et de leur famille. Avoir une relation interpersonnelle permet aujourd’hui de dégager infiniment plus de confiance qu’avec un robot, même ‘’intelligent’’. Les plus jeunes qui ont une habitude extraordinaire du digital demandent par exemple à nos banques d’avoir des conseillers de clientèle attitrés, et ce même s’ils viennent bien moins dans nos agences. A la BRED, en outre, nous avons fait l’expérience d’envoyer à des groupes de clients connaissant des situations identiques des propositions commerciales par SMS ou e-mails. Comme toujours lorsque l’on fait un mailing, on a eu un retour de 2 à 3 % de réponses positives. Nous avons ensuite réitéré les envois par e-mails ou SMS à d’autres personnes aux caractéristiques identiques, puis fait appeler les conseillers de clientèle sur le même sujet. Nos succès ont alors été multipliés par dix. Il y a donc un espoir pour la relation humaine à travers cette très modeste expérience.

Le deuxième enjeu tient au fait que la base de la confiance réside aussi dans la réputation de l’institution, qui est une valeur ajoutée et un atout pour les banques.

Par ailleurs, les sciences cognitives montrent aujourd’hui que dans la capacité de décision, il y a besoin d’intelligence rationnelle, mais aussi d’intelligence émotive. Des études présentent certains cas de personnes ayant été blessées et ayant perdu l’usage d’une partie du cerveau qui servait à l’intelligence émotive. Elles sont alors totalement incapables de prendre des décisions, alors même que leurs capacités de raisonnement et d’analyse restent intactes. Les avancées de la science cognitive démontrent donc que pour prendre une bonne décision il faut avoir l’intuition de la solution doublée de la bonne analyse. Donc, la relation humaine peut-être un puissant facteur d’aide à la décision. Dans le même ordre d’idée, des études économétriques viennent de mettre à jour que l’apprentissage d’un cours était plus performant en « présentiel » avec un professeur qu’avec un MOOC. Ce qui ne remet en aucun cas en cause l’intérêt extraordinaire des MOOC dans la diffusion du savoir et la capacité de toucher bien davantage d’étudiants. Mais le professeur en salle de cours n’est pas pour autant sans avenir.
Enfin, nous recevons tous les jours davantage de sollicitations diverses et variées de la part de personnes ou d’organisations que l’on ne connaît pas, et ce sous forme de « pushs », d’e-mails ou de SMS. D’ici quelques années nous serons tous saturés de ces sollicitations, si ce n’est déjà le cas. La différence se fera alors sur les humains capables d’appeler en supplément des « pushs » ; en apportant une valeur ajoutée additionnelle. Cette différentiation sera sûrement décisive.

Pour toutes ces raisons, les banques à réseau ne seront donc probablement pas menacées d’extinction par ce qui s’apparente à une possible ‘’ubérisation’’.


Une seconde approche consiste à se demander s’il y a des possibilités de perte de segments de marché rentables, due à des intervenants extérieurs tels que les fintechs.

Prenons les fintechs qui fleurissent. On a de plus en plus de développement des services proposés sur les certifications et authentifications, la biométrie, la gestion budgétaire, les coffres forts électroniques, les agrégateurs, les paiements, la blockchain, etc. La question est donc : y a-t-il un risque de se faire désintermédier, quand on est une banque, sur des portions de la chaîne bancaire qui seraient rentables ?

L’exemple qui pourrait légitimement inquiéter est celui des agrégateurs externes qui ont aujourd’hui des possibilités d’accéder aux données, de proposer des virements, donc d’initier des paiements. Ils peuvent aussi greffer là-dessus des services de gestion de budget et des propositions de produits bancaires au meilleur prix. Qu’est-ce qui les empêcherait demain, en effet, d’analyser les données de nos clients et de proposer les services bancaires qui leur correspondent ? De tels acteurs pourraient par exemple proposer des crédits à la consommation en s’appuyant sur des courtiers et en proposant le moins disant, -mais pas obligatoirement le plus approprié – qui peut ne pas être la banque traditionnelle du client. Cette hypothèse de désintermédiation partielle des banques est parfaitement envisageable. Je pense – peut-être à tort – que les craintes peuvent être exagérées.

En premier lieu, de nombreuses fintechs n’auront pas accès aux données des clients, celles qui par exemple proposeront des logiciels de gestion de budget. Celles-ci ne seront que difficilement en mesure de prendre des parts de marché sur certains segments aujourd’hui opérés par les banques. Deux solutions s’offrent donc à elles : soit elles coopèrent avec des banques spécifiques, par achat des premières par les dernières ou partenariat plus ou moins exclusif, soit elles font des plates-formes collaboratives avec plusieurs banques de façon à proposer des services qui peuvent être partagés. Ainsi, elles s’invitent et s’intègrent dans la chaîne de valeur des banques, mais sans pour autant perturber leur modèle. Elles contribuent même à l’enrichir, puisque les banques deviennent encore plus fortes dans le modèle global avec leurs clients en élargissant leurs services. Par exemple, dans le groupe BPCE nous sommes allés chercher des fintechs pour proposer aux clients professionnels des solutions de CRM reliés aux paiements. Donc, soit les banques ont la capacité d’investissement informatique et peuvent enrichir leurs services elles-mêmes, soit elles cherchent à sous-traiter. En fait, la réalité est bien entendu, un mix des deux. Ce qui change en revanche, c’est que la banque avait l’habitude de tout faire par elle-même, alors que demain elle sera probablement aussi un métier d’assemblage, pas seulement un métier complet et totalement intégré. Assembler n’est en rien mauvais, si cela nous permet d’élargir notre base de relation globale et nos revenus.

Le second cas, qui peut évidemment poser problème, est celui où les fintechs auront accès à  une partie des données. Le web scratching -qui sera peut être interdit prochainement ou tout du moins très encadré – et plus généralement la DSP2 et les API posent la question de l’ouverture des données des banques et des comptes des clients. Aujourd’hui, toutes les banques ont construit leur agrégateur pour essayer de faire en sorte que leur clientèle n’ait pas besoin de sortir de leur univers pour accéder à leurs comptes dans leurs autres banques, et cela marche bien. Demain, réglementairement  l’accès aux données sera assorti de fortes autorisations, ce qui rendra certainement, et de façon légitime, beaucoup plus difficile  le traitement des données par les interlocuteurs externes à la banque du client (qu’il s’agisse ou non de banques).

La discussion porte aujourd’hui également sur le fait de savoir à quelles données il sera possible d’accéder. Nous pouvons dire que l’on assiste à une prise de conscience croissante des clients, des citoyens, sur le danger de laisser utiliser leurs données sans contrôle. La tendance va probablement s’accélérer, on le constate notamment chez les jeunes. Cette prise de conscience va vraisemblablement mettre un frein à l’intrusion.

En outre, une nouvelle réglementation sur la protection des données se mettra en place l’année prochaine (le règlement général sur la protection des données, GDPR, sera applicable en mai 2018) qui rappellera que les données appartiennent aux clients et que toute utilisation devra faire l’objet de son approbation. Celle-ci s’appliquera non seulement aux banques, mais aussi à tous les utilisateurs de données. Il s’agit probablement d’une bonne nouvelle, car même s’il est naturellement compliqué pour les banques d’avoir à tout justifier, cette réglementation va permettre de freiner l’arrivée de tiers voulant utiliser les données de façon cavalière, ce qui constituera à nouveau un frein à l’intrusion. La banque doit rester ce tiers de confiance qui traite les données intimes des gens, et il ne faut évidemment pas les laisser les dévoiler sans que les clients ne soient au courant et n’expriment leur consentement.


Ici encore donc, la capacité des banques à faire vivre et à améliorer leur modèle de relation globale avec leurs clients particuliers sera décisive pour résister à l’ubérisation. Tout en intégrant et en proposant  de nouveaux services qui s’inscrivent  bien dans l’univers de besoin des clients traités par les banques.Ainsi, si les banques investissent beaucoup dans la formation et dans le digital, et conduisent les changements indispensables de leurs organisations, il n’y a pas de raison de penser que le modèle de banque de détail en réseau soit mort. En revanche, comme dans tous les modèles qui durent, il ne faut plus qu’il soit chimiquement pur. Il doit au contraire être désormais intimement mixé avec le digital. On voit aujourd’hui dans tous les domaines de la distribution que les modèles purs digitaux ont du mal à vivre et que les modèles purs de distribution physique sont en train de mourir. L’avenir se fera dans ce mix-là, et les bonnes voies de réponse se trouvent dans la compréhension de ce qu’est l’essence même de la relation bancaire. Il me semble que c’est possible.

Le risque d’ubérisation aura alors aussi provoqué, ici comme dans d’autres domaines, une forte stimulation concurrentielle, essentielle dans un secteur très réglementé et peu propice aux changements rapides. Mais il faut être lucide : il ne se réduit pas à cet effet stimulant qui aura au total entraîné une amélioration du modèle bancaire au bénéfice de ses clients. Une baisse de rentabilité, toute chose égale par ailleurs, due à de nouveaux entrants exerçant une pression sur les prix, est probable. Mais d’autres domaines peuvent sans doute être développés parallèlement, connexes à l’activité récurrente des banques commerciales, qui viendront accroître leurs revenus.

Le risque d’ubérisation, pour reprendre le titre de la conférence, doit être évalué en profondeur à l’aune des atouts mobilisables par les banques commerciales. Une sortie par le haut paraît alors possible. Mais sous réserve de la juste appréciation des nécessaires mutations à réaliser et de l’adoption d’une stratégie délibérément offensive par ces mêmes banques commerciales.