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Les tournants des politiques monétaires

Depuis trois décennies, les politiques monétaires se sont adaptées à ce qui a été un changement profond des modes de régulation de l’économie. Après la lutte réussie contre une inflation à deux chiffres dans la première moitié des années quatre-vingt, par une politique monétaire qui a élevé les taux d’intérêt à des sommets mais qui a dû ce faisant provoquer une forte récession, l’économie a progressivement changé de façon de se réguler. La politique monétaire également.

L’atterrissage conjoncturel de l’inflation – essentiellement causé par le ralentissement brutal de l’économie dû à la très forte augmentation des taux d’intérêt – a débouché peu à peu sur un régime structurel de basse inflation. La politique monétaire ici n’en était pas la seule raison, ni même la raison majeure. Les années quatre-vingt ont en effet été, d’une part, le moment de la libéralisation financière – déréglementation et globalisation financières (libéralisation transfrontière des mouvements de capitaux), dans la sphère financière. Et, d’autre part, dans la sphère réelle, le moment du début de la mondialisation, qui s’est accentuée fortement dans les deux décennies suivantes.

La globalisation financière fait peser une pression accrue sur les taux d’intérêt des pays connaissant davantage d’inflation.

Et la mondialisation implique sans conteste l’apparition concurrentielle de main d’œuvre moins chère, impliquant une nécessaire modération salariale dans les pays avancés (et une sortie massive de la pauvreté dans les pays émergents).
Enfin, ce moment a été également celui de l’apparition d’une nouvelle révolution technologique, la révolution digitale qui, si elle n’a pas montré dans les statistiques un accroissement flagrant des gains de productivité, a été un frein à la croissance des salaires de par les possibilités de substitution qu’elle entraîne dans certaines catégories de tâches du travail humain par de l’automatisation.

Ce double mouvement – une mondialisation du marché des capitaux et des marchandises comme des investissements couplée à une révolution technologique – a déjà été connu à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, avec une même conséquence sur l’apparition d’un régime de basse inflation.

Du fait de ce nouveau régime, depuis les années quatre-vingt-dix la politique monétaire n’a pas eu autant à se préoccuper de lutter contre les éventuels excès d’inflation et a ainsi légitimement utilisé ses moyens disponibles pour davantage favoriser une croissance régulière de bon niveau.

Au point d’ailleurs que les modèles économiques ont pris en compte ces changements en profondeur et ont donné un soubassement théorique à la « nouvelle » politique monétaire, allant jusqu’à promouvoir l’hypothèse d’une capacité nouvelle de cette dernière à permettre une période de grande modération, dans laquelle les cycles réels étaient fortement atténués et l’inflation bien, voire totalement, maîtrisée.

Cependant, un phénomène autre n’a pas été pris suffisamment – voire pas du tout – en considération, celui de la réapparition des cycles financiers. Il a été pensé que la stabilité financière était donnée par surcroît dès lors que l’on assurait régularité de la croissance et faiblesse et stabilité de l’inflation. Pourtant, sans grande surveillance, parallèlement à cette période de grande modération, se sont développées des phases – plus longues que les cycles réels – de montée de l’endettement (du secteur privé et/ou public suivant les moments) et de développement de bulles d’actifs patrimoniaux (actions et immobilier principalement, mais on peut aisément y inclure l’art).

La déréglementation et la globalisation financières, comme l’histoire longue le montre, facilitent ce genre de phénomènes liés à la procyclicité intrinsèque de la finance.

Les autorités monétaires n’ont pas alors pris en compte ces cycles financiers qui voient endettement et bulles se développer pendant la phase euphorique du cycle, puis qui engendrent inéluctablement des crises graves de solvabilité, de liquidité et d’explosions catastrophiques des bulles. Ainsi, dès 1987 (actions), puis en 1990-1991 et suivantes (immobilier), en 1997-1998 (crises de sudden stops dans les pays émergents), en 2000 …(actions) et bien entendu en 2007-2009 ( endettement et immobilier), des crises systémiques sont-elles réapparues, avec l’éclatement de bulles spéculatives successives, de même que des crises de crédit et de surendettement de plus en plus prononcées.

Ce retour des crises financières a provoqué internationalement une réaction à bon escient des banques centrales et des régulateurs pour tout d’abord éviter des déroulements catastrophiques de ces crises – et éviter le retour de périodes longues de dépression telles que celle succédant à la crise de 1929 – par des actions curatives (rôle réaffirmé de la banque centrale en prêteur en dernier ressort) et tenter également préventivement de limiter les risques pris par les banques et de leur imposer notamment des capitaux propres suffisants pour absorber des pertes éventuelles importantes.

Puis, après la grande crise financière de 2007-2009, pour mettre en place des réglementations dites macro-prudentielles, afin de limiter la procyclicité du crédit et des marchés financiers.

Cependant, peu à peu s’est installée une asymétrie de la politique monétaire elle-même.

Afin d’éviter les effets de crises systémiques, dont la dépression et la déflation qui pouvaient en résulter, elles ont, à juste titre, abaissé leurs taux directeurs (qui sont des taux d’intérêt à court terme) vers zéro, voire pour certaines en-dessous de zéro (dont la BCE).

Et face à la limite de leur action que représentait la proximité de leurs taux de 0%, elles ont innové en lançant notamment une politique appelée non conventionnelle, celle du «Quantitative Easing» ou de l’assouplissement quantitatif, qui consiste à directement prendre le quasi contrôle des taux longs et des primes de risques notamment obligataires par achat de titres directement sur les marchés, en augmentant singulièrement leur bilan ce faisant. Ces politiques ont empêché tout emballement spéculatif auto-destructeur, mais aussi, en positionnant les taux d’intérêt longs de marché en dessous du niveau du taux de croissance, elles ont facilité le désendettement des nombreux acteurs le nécessitant.

L’asymétrie problématique de la conduite de la politique monétaire est venue du fait que, pour toute une série de raisons, les banques centrales n’ont pas renversé (ou ont tenté de le faire puis ont rapidement abandonné) leur « Quantitative Easing » alors même que la croissance était revenue sur un sentier normal et que l’offre de crédit retrouvait un rythme satisfaisant. Ainsi, les politiques monétaires ont-elles peu à peu facilité, dans le monde avancé comme émergent, une très forte valorisation du marché des actions et une bulle encore plus visible du marché de l’immobilier, ainsi qu’une forte montée de l’endettement public et privé rapporté au PIB et ce, dans de nombreux pays. Même si les taux étaient restés très bas encore plus longtemps, les vulnérabilités financières ainsi développées n’auraient pas pu éternellement éviter de se transformer en une instabilité financière prononcée.

Mais, en outre, l’inflation a fait son retour à la sortie des confinements, attisée par les effets de la guerre en Ukraine sur les prix de l’énergie et des produits agricoles… Cela nous amène au tournant des politiques monétaires de 2022 et au chemin de crête qu’elles doivent suivre actuellement.

Le réveil brutal de l’inflation a nécessairement amené les banques centrales à une remontée forte de leurs taux directeurs.

D’une part parce l’inflation est très défavorable à celles des entreprises comme à ceux des ménages qui ne peuvent aisément reproduire la hausse des prix dans leurs propres prix ou salaires. D’autre part, parce qu’une inflation forte et non stabilisée fait perdre les repères nécessaires à une fixation ordonnée, confiante, donc incontestée des prix et des salaires indispensables à une économie efficace. De plus, il était nécessaire de sortir enfin d’une période où les taux d’intérêt étaient trop bas pendant trop longtemps, avec les conséquences ci-dessus décrites.

Tout cela explique entre autres, après un moment d’hésitation quant à la nature transitoire ou non de l’inflation, la forte et rapide remontée des taux des banques centrales. Et parallèlement le début de resserrement quantitatif (Quantitative Tightening). Mais cela souligne également la situation singulière auxquelles les banques centrales sont confrontées aujourd’hui et qui exigent d’elles de procéder dorénavant très prudemment et d’avancer à petit pas.

L’inflation sous-jacente n’est pas vaincue et nécessite de ce fait des taux plus élevés ou à tout le moins maintenus longtemps aux niveaux actuels.

Mais simultanément, une remontée trop rapide ou trop forte des taux peut faire se matérialiser les vulnérabilités financières accumulées engendrées par des taux trop bas pendant trop longtemps. Au passif des bilans (trop d’endettement) comme à l’actif (des actifs très ou trop valorisés) de nombreux acteurs privés comme publics.

Les taux d’intérêt au niveau actuel, ou plus élevés encore, ont et auront tendance à mettre à rude épreuve la solidité financière de nombre d’acteurs.

Les banques centrales sont donc entrées dans une conduite de la politique monétaire qui scrutera incessamment l’état de la stabilité financière globale et sera emprunte de prudence. Sans perdre pour autant leur indispensable crédibilité dans leur lutte contre l’inflation.

Notons enfin que l’on a très probablement trop attendu de la seule politique monétaire. Elle ne peut pas tout faire. Il est crucial que la politique budgétaire soit orientée de façon compatible avec la phase dans laquelle se trouve l’économie et que les réformes structurelles indispensables soient réalisées.

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Fragmentation du monde : conséquences économiques et financières

Les tensions géopolitiques croissantes ont et auront des effets durables sur le commerce international (réallocation des flux de marchandises…) aussi bien que sur le système monétaire international. Elles organisent de fait une fragmentation progressive du monde en accroissant les polarisations commerciales et financières autour de zones d’influence de plus en plus marquées des deux hyper-puissances américaine et chinoise. Même si de nombreux pays aimeraient s’en tenir à équidistance. Et ce après quelques décennies de mondialisation du commerce et de l’investissement et de globalisation financière qui, ensemble, ont apporté notamment une diminution très significative de la pauvreté dans le monde et une réduction notable des écarts entre les pays avancés et les autres. Ainsi d’ailleurs qu’un long phénomène de désinflation. Mais aussi des bouleversements profonds des structures industrielles des différents pays, avec de nécessaires reconversions, parfois douloureuses.


On évoque aujourd’hui de fait de plus en plus les risques économiques, financiers et sociaux liés à ce processus de fragmentation. Et les grands organismes internationaux s’inquiètent à juste titre du processus de fragmentation en cours. La mondialisation a en effet permis de réduire considérablement les inégalités entre les pays pauvres et les pays riches. En 1981, 40 % de la population mondiale vivait en-dessous du seuil de l’extrême pauvreté, contre environ 10 % avant la pandémie. En Chine et en Inde, pour ne prendre que ces pays, deux milliards de personnes sont passées au-dessus du seuil de pauvreté. Et ce qui est vrai des revenus est vrai de la santé. La différence d’espérance de vie entre les pays avancés et les autres s’est également très fortement réduite. Les effets d’un commerce international très développé et de marchés de capitaux globalisés sont, selon ces critères, clairement établis.

Nous savons aussi que, pour que la mondialisation fonctionne au mieux, il est absolument nécessaire qu’il y ait, d’une part, des règles mutuellement acceptées et respectées, qui fixent le cadre régulé de ces échanges, et d’autre part, des politiques nationales qui permettent d’accompagner les transformations des structures de production comme de la nature des emplois qui en résultent. Or, cette dernière décennie, la reconnaissance du caractère indispensable de ces règles internationales et de ces modes de régulation a été mise à mal notamment avec la montée de la volonté de puissance chinoise et la réaction qu’elle a induite aux États-Unis.

Ainsi, les tensions sino-américaines sont-elles évidemment au cœur de ces inquiétudes, avec, côté américain, la montée du protectionnisme déjà affichée dans la politique proposée par Trump, mais aussi bien sous Biden, avec notamment les mesures de sécurité restreignant les exportations de technologie et avec très récemment l’IRA (Inflation Reduction Act). Et dans le camp opposé, les nombreuses et durables politiques anti-concurrentielles chinoises, explicites comme implicites.

Cependant, les conséquences de la Covid, du Brexit, comme la guerre en Ukraine par exemple, participent également de la réorganisation constatée des routes commerciales et des flux de capitaux. Sont notamment en effet venues renforcer le risque de fragmentation la guerre en Ukraine et, en résultante, la montée des sanctions touchant tant au commerce qu’aux investissements ou encore aux avoirs détenus par les institutions ou les personnes sanctionnées.

Ces constats comme les implications en termes économiques et financiers ici évoquées ne sont pas analysés sous l’angle de la morale, ni sous celui, réaliste, du rapport de force exercé entre puissances porteuses de régimes politiques opposés. La fragmentation du monde que nous voyons se développer engendre de facto des effets au-delà des intentions qui l’induisent.

Une démondialisation partielle, comme une relocalisation pour partie des usines de production, produiraient tout à la fois des conséquences favorables pour le climat et probablement pour les emplois et leur qualification pour les classes moyennes des pays avancés. La plus forte inflation structurelle qui en résulterait cependant ne serait a minima pas favorable à leur pouvoir d’achat. Symétriquement, ralentirait le rattrapage de pays moins avancés, avec des effets sociaux induits. Enfin, la mobilité réduite des capitaux qui résulterait de cette fragmentation du monde engendrerait moins de possibilités de financement, notamment de projets de développement des pays moins avancés. Le coût des emprunts en serait parallèlement renchéri.

L’accroissement des tensions géopolitiques et des sanctions induites réduit de facto et de jure la mobilité internationale des capitaux sur les marchés financiers aussi bien que sur les prêts bancaires transfrontières.

Ainsi les vulnérabilités financières monteraient-elles également, puisque les capitaux pourraient être plus rares pour certains pays, les banques moins financées internationalement, donc plus fragiles, et les crises de « sudden stop » ou de change plus fréquentes. La stabilité financière mondiale pourrait en être ébranlée. Et au total, commerce, investissements et finances combinés, la croissance mondiale en serait réduite.

Ce mouvement de fragmentation pose in fine la question du système monétaire international et de sa mutation éventuelle. Quelle place pour le dollar américain demain et pour le renminbi chinois ? Le dollar peut-il et va-t-il perdre de plus en plus de poids au sein des réserves de change et des paiements internationaux ? La question a son importance tant macro financièrement que pour la puissance américaine elle-même.

Tout d’abord, depuis une vingtaine d’années, la part du dollar dans le commerce international est restée assez stable, alors que le poids relatif de l’économie américaine dans le commerce mondial, comme dans le PIB mondial, a légèrement décliné, mesuré en parité de pouvoir d’achat.

En revanche, la part du dollar américain dans les réserves des banques centrales a perdu plus de 10 points. Au profit non pas de l’euro, du sterling ou du yen, les candidats pourtant habituels à la diversification des réserves de change. Mais au bénéfice du renminbi pour ¼ de cette baisse et de quelques autres devises telles que celles de l’Australie, du Canada, de la Corée ou de Singapour, notamment, pour les ¾ restants. L’or est redevenu en outre une source de diversification des réserves des banques centrales des pays émergents notamment.

Or les États-Unis ont fondamentalement besoin du dollar américain en tant que monnaie internationale de fait, sinon de droit. Leur balance courante est en effet structurellement et significativement déficitaire et leur dette extérieure nette en croissance permanente (10% du PIB en 2000, environ 70% à l’heure actuelle).

Que la monnaie de réserve et de transaction mondiale soit le dollar américain est donc indispensable pour les États-Unis dans le maintien de leur rôle d’hyper-puissance. C’est ainsi qu’ils refinancent globalement sans difficulté leurs déficits et que le coût de leurs emprunts en est rabaissé. C’est d’ailleurs cette corrélation entre puissance mondiale et monnaie mondiale que la Chine a bien comprise puisqu’elle construit patiemment les bases d’une internationalisation de sa propre monnaie. Elle incite les pays qui sont entrés dans sa zone d’influence à progressivement se dédollariser ou facturer et échanger moins en dollar américain. Elle construit également peu à peu les infrastructures nécessaires en créant de futures chambres de compensation off-shore en renminbi.

Soulignons enfin que les États-Unis, en utilisant leur dollar pour développer l’extraterritorialité de leur droit, comme pour l’imposition de sanctions (y compris en exigeant le gel des réserves de la banque centrale russe) risquent de précipiter le moindre usage du dollar américain tant en tant que monnaie internationale de transaction que de monnaie de réserve. L’arme monétaire de la puissance est ainsi à double tranchant. Car le refinancement des déficits et le très fort endettement extérieur des États-Unis supporteraient mal une dédollarisation progressive dans le champ des transactions comme des réserves.

Notons symétriquement que tant que la Chine a une politique qui dominent largement l’économie, sa propre monnaie aura de fortes difficultés à s’internationaliser. Pour s’imposer, la monnaie doit donner confiance. La monnaie est une dette. La dette des banques vis-à-vis des agents économiques non bancaires, au sein d’un pays. Au niveau international, la monnaie au total est la dette d’un pays. La confiance multiforme dans la puissance politique, militaire et économique est donc clé. Mais cette confiance repose aussi sur les modes de régulation de cette monnaie, donc sur la validité et la stabilité des institutions qui la définissent et l’encadrent. Le mouvement de dé-dollarisation, s’il a lieu, sera donc très progressif et ne se fera au sur le temps long.

La fragmentation en cours est une conséquence évidente du désordre du monde et de la multipolarisation en cours. Les forces politiques, militaires, économiques et démographiques, ainsi que la plus ou moins grande sagesse des dirigeants et des peuples, détermineront la forme finale (transitoirement du moins) des transformations que nous vivons. Ces évolutions ne seront pas sans effet sur la croissance, les niveaux et la qualite de vie, comme la stabilité financière des différentes parties du monde.

Bibliographie :

  • Geo-economic fragmentation and the world economy
    Shekhar Aiyar, Anna Ilyina
    March 27, 2023 – Vox Eu columns
  • Confronting Fragmentation Where It Matters Most: Trade, Debt, and Climate Action
    Kristalina Georgieva
    January 16, 2023 – IMF
  • Geopolitics and Fragmentation Emerge as Serious Financial Stability Threats
    Mario Catalán, Fabio Natalucci, Mahvash S. Qureshi, Tomohiro Tsuruga
    April 5, 2023
  • The Stealth Erosion of Dollar Dominance: Active Diversifiers and the Rise of Nontraditional Reserve Currencies
    Serkan Arslanalp, Barry J. Eichengreen, Chima Simpson-Bell
    March 24, 2022 – IMF
  • Le passage à une situation de multiples monnaies de réserve
    Patrick Artus
    5 Janvier 2023, Flash Economie
  • Le système monétaire international et le financement des Etats-Unis
    Patrick Artus
    30 Mars 2023, Flash Economie
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Finance Politique Economique

Texte de mon intervention à la conférence d’EURO 50 de juin 2023 : « Can the risk of financial instability come from Non-Bank Financial Institutions?  (NBFIs) »

Can the risk of financial instability come from Non-Bank Financial Institutions?  (NBFIs)

Market finance and NBFIs (pension funds, insurers, investment funds, hedge funds) have seen a sharp increase in their share worldwide since the Great Financial Crisis.
It now accounts for around 50% of global financing and 30% in the corporate sector.
Obviously, because banks alone cannot guarantee the full amount to be financed, it is very useful that the NBFIs, as major players on the financial markets, take part in financing.
As the NBFIs sector accounts a lot in global financial assets, the correct functioning of the non-bank sector is crucial  for financial stability.

However, NBFIs potential fragility has been increasing for the last 15 years or so.
All in all, there is a high level of financial vulnerabilities in the financial system. Recent stresses at some banks remind us of the elevated financial vulnerabilities built over years of too low for too long interest rates and ample liquidity.
The recent manifestations of these strains – Silicon Valley Bank being a good example – appeared to be more idiosyncratic. This bank was in fact very badly managed and severely undersupervised. But, this bank was not the only bank to face this situation and the fast contagion we witnessed, shows in my opinion, that we are facing a potential systemic issue, rather than a simple idiosyncratic problem.

As a matter of fact, as I said, too low for too long interest rates, with very abundant liquidity have led to a high level of vulnerabilities in many balance sheets.
On the liability side, numerous firms and states, and even sometimes individuals, in both Advanced and Emerging Countries, have been able to run up debts painlessly, until over-indebtedness is proven when interest rates normalize.
On the asset side, because of zero, or even negatives rates, final investors or their asset managers were incited to take more and more risk to get a little return. By lengthening the maturities, by increasing the mismatch between the asset and liability duration, by choosing higher and higher leverage, including by using more and more derivatives, etc.

The rapid rise in rates has of course brutally interrupted this too long period of too low rates, during which the accumulation of vulnerabilities took place.
As far as banks are concerned, since the Great Financial Crisis, the bank regulation has increased significantly, notably through the increase in the required capital adequacy ratios and the setting of restrictive ratios limiting liquidity risks.
So, on average, banks are much more solid than before the Great Financial Crisis. But, there is no such regulation for non-bank financial institutions,  and specifically for funds.

So, the former financial environment led the NBFIs, on behalf of savers, to seek returns, but increasingly taking on risks.
Let me be more explicative:
1st. In terms of credit risks – including higher and higher leverage ratios, with squashed risk premiums.
2nd. In terms of liquidity, by further extending the securities of bonds or credit, and by lowering the expected level of their liquidity. And doing so, endangering their liquidity risk, with bigger and bigger liquidity mismatching.
3rd.The funds’ use of derivatives (futures, repo, etc.) amplified tremendously their own leverage. For example, between 2015 and 2022, the financial leverage (measured by derivatives over total assets) of macro-hedge funds came from 15% to more than 30%. And for relative value funds: from 15% to 25%.
On top of that, Margin calls as well as collateral calls may be fatal.


All this has been highlighted by numerous organisations in charge of supervising financial stability around the world.
So, all in all, financial risk could have been partly pushed out of the banking system onto NBFIs, without control.

A piece of evidence:
The violent financial crisis of March 2020, triggered by the expected impact of the pandemic, was fortunately brought swiftly under control by the Central Banks. They acted very strongly and very quickly. The violence of this flash crisis was much more due to the vulnerability of many funds, than to banks which demonstrated, by the way, their resilience.
Central Banks had to buy very large amounts of securities, including high yield bonds, from funds in difficulty.
Central Banks had to prevent a catastrophic chain of events, due in particular to sudden withdrawal from final investors, that these funds could not absorb without incurring excessive losses or without a major liquidity crisis.

Of course, additionally, high levels of interconnectedness among NFBIs and with banks can also be a crucial channel of financial stress.

And, obviously, possible repeated Central Banks’ interventions to provide them with liquidity support during systemic stress events could bring a very dangerous moral hazard effect !

So, some ideas arising from these facts and analyses, converging with the IMF proposals:
1st.Robust surveillance, regulation (capital and liquidity requirements) and supervision are needed.
2nd.Public data disclosures are required to post the liquidity mismatch chosen, the level of leverage (including derivatives), etc.
3rd.Only under these conditions, access to Central Banks facilities liquidity at a high interest rate and/or fully collateralized should be envisaged. Otherwise, there would be a free option!

As NBFIs became more and more important in the financial intermediation, and because of their systemic risk and potential vulnerabilities, an appropriate international regulation of the NBFIs seems to me a priority.

Finally, I’d like to say that prudential and macro-prudential regulation cannot do everything. But it is essential to mitigate the intrinsic procyclicality of finance and to prevent -better then to cure-financial instability, as much as possible.
So, in my opinion, prudential and macro-prudential regulation must now be extended and adapted notably to investment and hedge funds.

> Ordre du jour de la dernière conférence d’EURO 50, tenue le 19 juin à la BEI au Luxembourg

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Management Politique Economique

Malaise au travail ou perte de la valeur travail ?

Des reportages se multiplient sur des jeunes qui décident de ne pas travailler, de vivoter et qui affichent le plus naturellement du monde que le RSA leur suffit. Comme si d’ailleurs il était normal que l’on compte sur ceux qui travaillent pour choisir de ne pas travailler. Et cela signerait le changement du regard des jeunes adultes vis-à-vis du travail.

Des enquêtes sociologiques sont brandies pour démontrer que les entreprises françaises sont le lieu d’un malaise au travail, quasi-pathologique, et qui expliquerait le refus majoritaire de repousser l’âge de la retraite.

Quelque chose serait donc cassé entre les Français et leur travail qui leur procurerait trop de mécontentement, voire entraînerait des désordres psychologiques ou physiques.
Et il conviendrait donc d’urgence de traiter cette souffrance au travail bien française, liée à une mauvaise organisation des entreprises, à une « exploitation » mal régulée des salariés.

Évidemment la satisfaction au travail dépend de la situation particulière de chaque entreprise, et même plus spécifiquement des services au sein des entreprises, d’éventuels petits chefs… Mais très nombreuses sont les entreprises en France qui travaillent sur le management, l’approfondissement de ce qu’est un bon management, et qui en développent les meilleures pratiques.

Et si le problème n’était pas le malaise au travail qui serait généralisé ? Et si ce nouveau discours répété à l’envi cachait autre chose ? D’ailleurs d’autres enquêtes ou sondages montrent la confiance de nombreux salariés vis-à-vis de l’entreprise et une relation équilibrée entre vie privée et travail. Ne s’agirait-il pas avant tout d’une dévalorisation de la valeur du travail elle-même, bien davantage que du sentiment d’un malaise au travail ? Au-delà même de l’indispensable amélioration des situations de travail pénible ou très répétitif ou bien encore, notamment dans les services publics hospitaliers ou de l’enseignement, des situations de paupérisation et de manque de reconnaissance de l’importance du travail fourni.

La séquence française depuis plus de 40 ans du passage aux 35 heures, de la cinquième semaine de vacances, du recul à contre-temps de l’âge de la retraite à 60 ans, quel qu’en soit l’agrément évident retiré individuellement et la justesse de telle ou telle de ces mesures, n’a-t-elle pas induit que le travail n’était plus une valeur indispensable tant à titre individuel que collectif ? Voire n’était plus utile ? Ou un mal éventuellement nécessaire, mais à comprimer à sa plus petite quantité ?

La société de protection sociale dans laquelle nous vivons, et qui est à valoriser et à préserver en tant que bien collectif précieux, a été largement dévoyée, en ne demandant que trop peu de devoirs en face de droits toujours plus étendus.
Pourtant, à titre d’exemple, les chômeurs, pendant le Front populaire, en échange des subsides qu’ils recevaient, devaient remplir des tâches d’intérêt général.

Or, tant financièrement que pour que le contrat social soit acceptable par tous, nous n’en sommes plus à pouvoir accorder sans cesse plus de droits, mais à faire la révolution réformatrice des pays nordiques démarrée au début des années 90 ou en Allemagne au début des années 2000. Arrêter la distribution des aides sans compter, en installant des devoirs bien compris et des conditions en face des droits. Pour, comme les Nordiques l’ont fait au courant des années 90, sauver le pays d’une déroute économico-financière et préserver le pacte social permettant une protection sociale de haut niveau.

Notre société n’est de fait majoritairement pas malade d’un malaise au travail généralisé causé par l’entreprise, mais d’un désamour pour le travail mêlé à la montée d’un individualisme forcené qui s’habille habilement des mots de solidarité, de modes alternatifs, voire du rejet du capitalisme. La bienveillance, bonne valeur mise de plus en plus en avant, ne peut être conçue que si elle s’accompagne dans le même élan de l’exigence. Sans quoi, elle permet, sous prétexte de tout comprendre et de tout expliquer, de tout laisser faire. Et de laisser ainsi se déliter les liens entre droits et devoirs qui constituent la base du contrat social, de la possibilité du vivre ensemble. La bienveillance exigeante, donc. La saine exigence vis-à-vis de soi comme des autres, dans la vie familiale comme au travail ou à l’école. L’exigence n’emportant d’ailleurs aucune connotation d’intransigeance.

À force d’être sans cesse soutenus et protégés sans contrepartie, trop nombreux sont ceux pour lesquels le lien entre d’un côté le droit au revenu, le droit à la santé ou le droit à la retraite, et de l’autre, le travail, a été perdu.

Ce qui peut nous conduire tout droit à une crise économique, financière et sociale majeure, si la valeur travail n’est pas rétablie au plus tôt. En comprenant qu’il n’est de richesse que de travail. Et que le haut niveau de vie et de protection sociale qui est celui des Français, en comparaison avec celui des pays du monde entier, n’est défendable à court-moyen terme que par le travail des Français eux-mêmes.
Le travail, bien davantage que d’aliéner, libère le plus souvent tout autant qu’il socialise. Demande sociale forte, s’il en est, cette socialisation, ce lien social, cette inscription de soi-même dans le monde, sont le plus souvent permis par le travail. Il permet de réaliser des projets en commun. Il donne du sens. Il organise la vie en société. Et, si, entreprise par entreprise, service par service, la meilleure façon de travailler, de rendre chacun acteur de son propre travail comme de celui de son équipe, doit sans cesse être recherchée, sans idéaliser la réalité, mais sans la noircir idéologiquement systématiquement, il ne doit jamais être oublié que c’est le travail qui permet de maintenir collectivement le niveau de vie et de protection sociale de tous. Voire de les accroître.

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Banque Crise économique et financière Politique Economique

Banques centrales : vers une politique des « petits pas »

L’économie mondiale est en voie de ralentissement. Cela compliquera la situation des États et des acteurs privés très endettés. Mais cela devrait en principe faciliter la désinflation, donc ralentir la hausse des taux d’intérêt et peut-être faciliter ultérieurement leur baisse. Pourtant, l’activité résiste mieux que prévu et les marchés du travail continuent d’afficher des tensions – taux d’emploi élevés et taux de chômage faibles – qui entretiennent le niveau de l’inflation sous-jacente. Ce qui s’accompagne par voie de conséquence de gains de productivité très faibles, voire nuls.

Ainsi les politiques monétaires devront-elles poursuivre, avec beaucoup de prudence toutefois, leurs hausses de taux d’intérêt. Et a minima maintenir longtemps – plus longtemps que ne l’anticipent les marchés financiers – ce niveau de taux d’intérêt. Les causes de cette prudence impérative sont multiples. Les nouvelles conditions financières sont en effet resserrées et œuvrent par elles-mêmes au ralentissement du crédit et de l’économie. Les taux d’intérêt sont ainsi plus élevés, les primes de risque (« spreads ») plus importantes, les conditions d’octroi des crédits plus strictes, la liquidité à laquelle accèdent les banques moins abondante, etc. Il n’est donc pas absolument nécessaire de durcir encore fortement la politique monétaire. Les petits pas seront dorénavant de mise, avec une étude entre chaque décision de toutes les données disponibles, pour n’en faire ni trop ni trop peu.

Mais avant tout, les banques centrales sont évidemment rendues très prudentes par les vulnérabilités du système financier dans son ensemble. Certes les manifestations récentes de cette instabilité avaient des causes partiellement idiosyncratiques. La Silicon Valley Bank était mal gérée et sous-supervisée. La multiplication simultanée des cas et la contagion qui en a résulté montrent cependant le caractère potentiellement systémique de ces événements. Les taux longs trop bas trop longtemps ont conduit à une forte vulnérabilité de beaucoup de bilans. Au passif, parce que nombre d’entreprises et d’États, voire de particuliers, tant dans les pays avancés qu’émergents, ont pu s’endetter sans douleur apparente, jusqu’au surendettement avéré lorsque les taux d’intérêt se normalisent. À l’actif, parce que pour rechercher un peu de rendement en des temps de taux nuls, voire négatifs, les investisseurs finaux, directement ou à travers les divers gestionnaires d’actifs, ont été incités à prendre de plus en plus de risques, que ce soit par un allongement des maturités des actifs achetés, par une dissymétrie plus forte entre la duration de l’actif et du passif, par l’acceptation de risques de crédit ou actions plus élevés, par du levier toujours plus fort, etc. La remontée rapide des taux a rompu brutalement avec cette longue période de taux trop bas (id. inférieurs au taux de croissance), pendant laquelle l’accumulation de ces fragilités s’est réalisée. Aujourd’hui, les fortes bulles immobilières mondiales semblent de plus en plus vulnérables et le marché des actions connaîtra une chute d’autant plus forte qu’il continuera longtemps d’ignorer les effets progressifs du resserrement généralisé des conditions financières. Et le risque d’insolvabilité de nombreux acteurs très endettés a fortement monté.

Les banques centrales sont fort conscientes de cet état de fait, comme des risques engendrés par une situation géopolitique très tendue, entraînant entre autres une fragmentation coûteuse des zones économiques. Et bien que les banques en moyenne soient bien plus solides que lors de la grande crise financière, le « shadow banking » restant quant à lui nettement moins réglementé, les responsables de la politique monétaire redoubleront de prudence, mais préserveront leur indispensable crédibilité dans leur lutte contre l’inflation.

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« L’urgence des réformes structurelles »