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Conjoncture Politique Economique Zone Euro

Sommes-nous en économie de guerre ?

Le conflit en Ukraine fait l’objet de nombreux débats dans les milieux diplomatiques et militaires. Mais chez les économistes aussi. Certains estiment même que nous sommes en économie de guerre. Que veulent-ils dire ?

Qu’en économie de guerre, l’Etat dépense massivement pour financer les équipements militaires, le soutien à ses alliés, l’accueil des réfugiés, l’indépendance énergétique. Il  y a des pénuries. Les prix montent.

Malgré cela, la Banque centrale fait tourner la planche à billets pour financer ces dépenses et ne se préoccupe plus de l’inflation, ce qu’elle fait d’habitude. Ce rôle revient à l’Etat, qui gère les conséquences en bloquant les prix – comme on le voit sur le gaz ou l’électricité – ou en instaurant des rationnements.

Quand on est en économie de guerre, la Banque centrale ne remonte donc pas les taux d’intérêt et ne demande pas aux Etats de surveiller leurs déficits.

Et qu’en pense Christine Lagarde, la présidence de la Banque Centrale Européenne ?

C’est très compliqué pour elle, car clairement, le mandat de la BCE n’a pas prévu qu’il y aurait un jour une guerre si proche en Europe. Juridiquement, sa seule mission est donc d’assurer la stabilité des prix, de lutter contre l’inflation, et elle n’a théoriquement pas le droit de financer les dépenses des Etats.

Pourtant on a vu pendant la pandémie qu’elle pouvait le faire en rachetant des obligations de la France ou de l’Italie. Tout le monde a donc le regard tourné vers elle.

Or jeudi dernier, elle a confirmé que la BCE voulait arrêter d’acheter des dettes publiques au troisième trimestre. C’est donc bien qu’à ses yeux, il est plus important de lutter contre l’inflation que de soutenir l’économie comme si on était en guerre. En tout cas, pour l’instant.

Et les économistes sont d’accord avec ça ?

Et bien, il y a deux camps. Ceux comme Patrick Artus conseiller de la banque Natixis, ou Xavier Ragot, qui dirige l’OFCE, l’institut de conjoncture rattaché à Sciences po. Pour eux nous sommes doublement en économie de guerre: pour soutenir l’Ukraine et pour lutter contre le réchauffement climatique.

Et à l’opposé, il y a des économistes comme Olivier Klein, prof à HEC et directeur de la Bred, banque du groupe Banque Populaire, ou Philippe Aghion, professeur au Collège de France, qui sont beaucoup plus prudents et qui considèrent qu’il faut faire attention aux dépenses et à la hausse des prix. Plus de quoi qu’il en coûte, donc. Sinon, tôt ou tard, les investisseurs et tous les Européens pourraient perdre confiance dans leur monnaie, l’euro.

Ils préféreraient alors des placements en or, en franc suisse, qui a déjà beaucoup monté, ou en dollar. C’est vrai que le conflit est plus proche de nous que de Washington. Ce débat, Mathilde, ne fait que commencer.

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Banque Finance Politique Economique

Le risque d’instabilité financière peut-il venir des non-banques ?

Les pratiques, mais aussi les règles comptables, ont leur influence dans le comportement des banques et du secteur non bancaire, deux segments complémentaires tout en étant concurrents. La réglementation a aussi son rôle. D’où la nécessité de réfléchir à une réglementation pour les non-banques.

Faire correspondre les capaci­tés de financement des uns et les besoins des autres, telle est l’ambition du système finan­cier. Autrement dit, des banques et des marchés financiers. Ces deux composants ont des rôles pour partie identiques et pour partie distincts. Les deux contribuent au financement des acteurs économiques. La part de la finance de marché a fortement monté dans le monde depuis la grande crise financière. Elle atteint jusqu’à envi­ron 50 % des financements en géné­ral, et 30 % pour le segment des cor­porate. Il est d’ailleurs utile que les fonds de placements, les gestion­naires d’actifs et les investisseurs institutionnels – acteurs majeurs des marchés financiers – prennent leur part dans les financements. Car les banques ne peuvent suffire à elles seules à assurer la totalité à financer.

Les marchés acceptent des risques refusés par les banques

De plus, ils peuvent apporter des capitaux à des entreprises plus dif­ficiles à financer par les banques, notamment aux start-up ainsi qu’à l’innovation en général. Explication : le risque de crédit de ces secteurs est généralement trop élevé pour les banques, vu la contrainte de protection des dépôts qui leur sont confiés. Les fonds d’investissement peuvent accepter de perdre davantage si, en moyenne dans le temps, les gains en capital réalisés sur les entreprises qui survivront et réussiront sont supérieurs aux pertes et si leurs détenteurs acceptent de prendre ce risque.

Les deux types d’acteurs composant le système financier sont en outre différents du point de vue de la stabi­lité financière. D’une part, parce que les banques inscrivent à leur bilan la valeur historique des crédits accordés. Elles doivent provisionner le risque de façon statistique, mais aussi au cas par cas en fonction de leur appréciation d’une éventuelle dégradation com­promettante de la capacité de rem­boursement de chaque emprunteur. En revanche, les fluctuations des opi­nions moyennes sur la qualité du risque ne sont pas prises en compte et n’en­traînent aucune variation comptable.

Une appréhension différente du risque

L’approche est totalement différente du côté des fonds : ils doivent enregis­trer à chaque instant la variation de la valeur de marché de leurs investisse­ments financiers, en application des règles comptables de fair value. Cela induit une différence de comporte­ment considérable entre les banques et les fonds. Les banques choisissent de faire crédit en fonction de leur ana­lyse de la capacité de remboursement dans le temps de l’emprunteur. Les fonds, eux, choisissent d’acheter des obligations en fonction de ce qu’ils pensent de l’évolution de l’opinion majoritaire du marché quant à la valeur de la prime de risque affec­tée à l’emprunteur. Pourquoi prêter si l’on pense que la valeur de l’obli­gation s’abaissera prochainement même si l’on ne craint pas in fine un non‑remboursement ? Sauf à ce qu’il soit conditionné fortement par la perspective de la titrisation des crédits octroyés ou de la revente des risques par CDS[1], le comportement des banques est donc bien plus stable par construction que celui des fonds. Les mécanismes de valorisation de ces derniers sont en effet beaucoup plus volatils, car liés aux phénomènes auto-référentiels des marchés.

En outre, les fonds ne prennent pas les risques financiers sur eux-mêmes. Tant les risques de crédit, de taux d’intérêt que de liquidité sont effectivement laissés dans les mains des investisseurs finaux, ménages ou entreprises. Alors que dans le cas de l’intermédiation bancaire, les banques prennent à leur charge ces risques sur leurs propres comptes de résultats. Et elles le font de façon professionnelle, réglementée et supervisée. Permettant ainsi aux ménages et aux entreprises n’en ayant pas la compétence ou le désir de ne pas les prendre.

Prise de risque accrue des taux très bas

Les banques et les intermédiaires financiers non bancaires comme les fonds sont donc tous les deux très utiles, tout à la fois concurrentiels et complémentaires. Mais la proportion accordée à chacun dans le système financier global participe fortement à la stabilité ou l’instabi­lité d’ensemble. Ajoutons un point fondamental, sur lequel les grandes banques centrales sont en train de se pencher. Depuis la grande crise finan­cière de 2007-2009, la réglementation des banques s’est significativement renforcée, notamment via les ratios de solvabilité exigés (plus de capitaux propres pour des risques identiques) et l’établissement de ratios contrai­gnants limitant le risque de liquidité. Il n’existe pas de réglementation de ce genre pour les intermédiaires finan­ciers non bancaires.

Or, la politique monétaire de taux très bas très longtemps a conduit progressivement les acteurs finan­ciers, pour le compte des épargnants, à rechercher du rendement, en pre­nant de plus en plus de risque. En termes de risque de crédit – incluant des effets de levier de plus en plus élevés – avec des primes de risque écrasées. Comme en termes de risque de liquidité, en allongeant toujours plus les durées de titres de crédit et en abaissant le niveau attendu de leur liquidité. Les actifs des fonds sont ainsi devenus plus vulnérables dans une proportion non négligeable, ainsi que le sou­lignent toutes les études des orga­nismes chargés de la supervision de la stabilité financière dans le monde. Le risque peut ainsi être repoussé hors du système bancaire vers les agents financiers non bancaires, sans contrôle.

Attention à l’aléa moral !

Due à l’impact envisagé de la pan­démie, la violente crise financière de mars 2020 a été heureusement très vite maîtrisée par les banques cen­trales. Elles ont agi très fortement et très rapidement. Mais cette crise a aussi montré la résilience des banques et, parallèlement, la vulnérabilité de nombre de fonds. Les banques cen­trales ont dû acheter des montants très élevés de titres aux fonds en difficul­tés, y compris high yield. Il fallait évi­ter un enchaînement catastrophique, dû notamment à des retraits brutaux d’investisseurs finaux auxquels ne pouvaient pas faire face ces fonds sans accuser de pertes trop importantes ou sans crise de liquidité majeure.

La réglementation prudentielle et macroprudentielle ne peut pas tout, mais elle est essentielle pour atténuer la procyclicité naturelle de la finance et pour prévenir autant que possible le risque d’instabilité financière.

Elle doit impérativement aujourd’hui être étendue et adaptée aux intermé­diaires financiers non bancaires. Elle est en outre indispensable pour lutter contre l’aléa moral, car sans régle­mentation préventive et avec des sau­vetages lors des grandes crises, la prise de risque peut être toujours plus élevée, et ce sans limite ou presque, grâce à une option gratuite donnée par les banques centrales contre les accidents graves. Enfin, la propor­tion entre banques et non-banques dans le système financier pris dans son ensemble doit faire également l’objet d’une analyse et d’une poli­tique adéquates pour définir l’équi­libre le plus favorable, à la fois à la croissance et à la stabilité finan­cière.

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Disparités au sein de la Zone Euro Sources de risques pour l’après Covid ?La nécessité des réformes

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Les défis de la zone euro après la pandémie

L’union monétaire est notre bien commun. Les vertus de l’euro ont prouvé sa forte utilité notamment pendant les crises, et ce grâce à l’action déterminée de la Banque centrale européenne. Mais cette dernière ne pourra pas indéfiniment pallier l’insuffisance des politiques structurelles comme l’inachèvement du mode de régulation de la zone euro.

Une union monétaire européenne ne peut être pérenne sans éléments de solidarité en son sein. Mais les différents pays européens ont-ils des intérêts suffisamment convergents pour y parvenir ? Si les divergences sont trop fortes, il est illusoire de vouloir assurer la permanence d’un budget tel que Next Generation EU et d’une dette communautaire, qui sont pourtant des avancées remarquables.

Une solidarité à sens unique

Depuis la création de la zone euro, les pays du Nord de l’Union monétaire se sont davantage industrialisés tandis que les pays du Sud ont progressivement connu un phénomène de désindustrialisation. Les premiers ont corrélativement gagné des parts de marché dans le commerce mondial, alors que les pays du Sud en ont perdu. Les pays du Nord, avec leurs excédents courants, ont accumulé des avoirs nets sur le reste du monde, pendant que les pays du Sud, en déficit courant jusqu’à la crise de la zone euro, ont au contraire accumulé des dettes vis-à-vis du reste du monde. Les niveaux d’éducation initiale, tout comme les aptitudes professionnelles, sont également très dissemblables entre les uns et les autres. A l’instar du taux de chômage des jeunes ou du taux d’emploi. Les gains de productivité divergent également. Au final, nous assistons à une divergence Nord-Sud de plus en plus grande quant au niveau de la dette publique sur PIB. Pour préserver la solidarité développée pendant la pandémie, il faut établir une confiance entre pays du Nord et pays du Sud, en réduisant ces fortes divergences. Cela repose sur trois impératifs.

En premier lieu, les pays du Sud se doivent de conduire des politiques structurelles, c’est-à-dire des investissements ad hoc et des réformes. Il ne s’agit pas là de politiques d’austérité, bien au contraire, puisqu’elles permettent d’augmenter la croissance potentielle. Par l’accroissement de la productivité, par l’amélioration de l’efficacité de la formation initiale comme professionnelle, par une meilleure mobilisation de la population en âge de travailler (notamment par la réforme des retraites), comme par une optimisation des dépenses publiques. Seules ces réformes garantiront aux pays du Nord de ne pas devoir indéfiniment développer une solidarité à sens unique avec les pays du Sud. Mais, si ces réformes sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Les politiques structurelles seules ne sauraient suffire à rattraper les retards d’industrialisation des pays du Sud.

Des règles budgétaires réalistes

D’où le deuxième impératif : une politique industrielle et d’aménagement du territoire dans l’Union européenne, à travers des investissements et des aides ciblées des pays du Nord vers les pays du Sud. Le plan de relance Next Generation EU est une réponse. Il faudrait donc que les projets puissent effectivement être mis en place de façon à favoriser, dans les pays le nécessitant, compétitivité et industrialisation.

Enfin, la nécessaire reconstruction de règles budgétaires partagées et réalistes, ce qu’elles ne sont plus aujourd’hui. Ces règles doivent être efficaces et accompagner ces évolutions, tout en faisant en sorte qu’il n’y ait pas de « passager clandestin » au sein des pays de l’Union.

Si ces trois impératifs ne sont pas respectés, soit le populisme montera encore davantage dans les pays du Nord qui n’accepteront pas l’idée de devoir assister à l’infini les pays du Sud, soit le populisme continuera de croître dans les pays du Sud de plus en plus désindustrialisés, sans aide du Nord. Dans une zone monétaire, comme les dévaluations – loin d’être pour autant une solution miracle – ne sont plus possibles, le rattrapage dans chaque pays isolément des différentiels de compétitivité est plus difficile. Sont ainsi engendrés des phénomènes cumulatifs de polarisation industrielle localisée dans les pays ayant le plus d’avantages comparatifs. Seuls les efforts, tant communautaires que nationaux, cités ci-dessus, permettront de sortir de ce piège.

Tribune publiée dans Les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-les-defis-de-la-zone-euro-apres-la-pandemie-1374881

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Politique Economique Zone Euro

Les enjeux de la zone euro après la pandémie

Comment bâtir une zone monétaire efficace par un projet réel de solidarité dans l’Union ? La réponse à la pandémie a permis des percées, mais beaucoup reste à faire. Des efforts tout à la fois individuels – pays par pays – et communs de la part des membres de l’Union, y compris transitoirement du Nord vers le Sud, sont nécessaires.

Une union monétaire est en principe très efficace lorsque la croissance y est facilitée par le fait que les capacités de financement de certains pays de cette union permettent de répondre aux besoins de financement des autres, repoussant ainsi la contrainte extérieure aux bornes de la zone monétaire et non aux frontières de chacun des pays la composant. C’est par exemple le cas aux Etats-Unis d’Amérique pour les différents Etats qui les constituent. Une croissance durablement plus forte de la Californie, par exemple, ne serait ainsi pas freinée par la moindre croissance des autres Etats, même si cela entraînerait un déficit courant croissant du premier Etat vis-à-vis de l’ensemble des autres, parce que le seul solde de la balance courante pertinent n’est que celui des Etats-Unis dans leur ensemble et non de celui de chacun des Etats. Il faut donc que les capitaux circulent efficacement au sein d’une union monétaire. Et pour que cette circulation puisse se faire sans frein, il faut une union de transferts, c’est-à-dire des éléments de solidarité budgétaire entre les Etats.

La crise de la zone euro, qui a démarré en 2010, a été une crise de « sudden stop », spécifique à cette zone, et non pas le simple rebondissement de la grande crise financière précédente. Jusqu’alors, les marchés financiers avaient très bien fait correspondre les capacités de financement des pays du Nord aux besoins de financement des pays du Sud au sein de la zone euro. Pourtant, des divergences de plus en plus grandes entre les soldes des balances courantes des pays de la zone, soit des déficits et des excédents croissants des uns et des autres, étaient apparus depuis la naissance de l’euro. Et lorsque les marchés ont compris qu’il n’y avait en réalité pas de mécanisme de solidarité entre les pays de la zone, ils ont soudainement cessé d’allouer les capacités de financement des pays du Nord – c’est-à-dire les excédents de leur balance courante – aux besoins de financement dus aux déficits courants des pays du Sud. La crise est donc survenue précipitamment, comme à chaque fois que les marchés financiers découvrent brutalement, et souvent tardivement, la réalité telle qu’elle est. Les pays structurellement plus importateurs qu’exportateurs, voyant leurs financements extérieurs coupés par les marchés et ne bénéficiant pas de solidarité de la part des autres pays de la zone, ont été obligés de freiner immédiatement leur demande, donc leurs importations, par une baisse des investissements, des salaires, des prestations sociales et des dépenses publiques. Par de fortes politiques d’austérité, les pays du Sud ont ainsi amené rapidement les soldes de leur balance courante à des niveaux proches de zéro. Les pays du Nord, restés en fort excédent courant, se sont mis à financer le reste de la planète, et notamment les déficits courants américains, mais paradoxalement pas les autres pays de la zone euro elle-même. Ce qui, à proprement parler, ne correspond en rien à une affection efficace des capitaux au sein d’une union monétaire.

Il est donc désormais important de se demander comment bâtir une zone monétaire efficace par un projet réel de solidarité dans l’Union. Les améliorations « techniques » espérées tant du marché européen des capitaux que de l’Union bancaire ne sauraient le permettre à elles seules.  

Depuis la crise idiosyncratique de la zone euro, les seuls éléments qui ont permis d’intermédier partiellement les capacités de financement des uns avec les besoins de financement des autres sont venus de la Banque centrale européenne, à travers ses relations avec les banques centrales nationales de la zone (Target 2).  Ce sont donc les banques centrales qui en réalité ont fait circuler les capitaux, mais indépendamment des marchés. Puis, avec l’apparition de la pandémie de COVID-19, sont nés le plan Next Generation EU et l’emprunt communautaire, qui permettent aujourd’hui d’entrer dans une nouvelle dimension car ils créent des éléments clairs de solidarité et une meilleure circulation des capitaux. Pour la première fois dans l’histoire de la zone et en réalité de l’Union européenne, des dépenses communautaires, à travers des dons, mobilisent des montants incomparablement plus forts que précédemment, tout en ne se répartissant pas en fonction du poids relatif de chaque pays mais en fonction de leurs besoins.  A condition toutefois qu’ils engagent les réformes nécessaires. Et le financement de ces dons se fait par un emprunt communautaire. Il y a bien là des manifestations évidentes de solidarité.

Naturellement, la question qui en découle est celle des futures ressources propres à l’Union européenne, indispensables pour rembourser ces emprunts. L’enjeu est alors de savoir si les pays européens vont parvenir à se mettre d’accord sur des taxes communes, telles que sur le plastique, le CO2 ou le numérique. Et si ce budget et cet emprunt communautaires seront durables. Le «moment hamiltonien» de l’Europe n’en sera véritablement un que s’il y a durablement des dépenses communes de montants importants, une dette communautaire et des ressources propres à l’Union européenne,  et non seulement en réponse à la pandémie. La solidarité sera-t-elle durable ou sera-t-elle, comme beaucoup de pays du Nord l’évoquent déjà, un « one off », une opération isolée, propre à la pandémie ?

Une union monétaire ne peut être durable que s’il y a des éléments clairs d’une union de transferts. Ainsi, la question fondamentale est-elle de savoir si les intérêts des différents pays européens sont suffisamment convergents pour y parvenir et y consentir durablement. S’ils ne le sont pas, il devient très difficile d’assurer la permanence d’un budget et d’une dette communautaires.

Or les pays du Nord ont significativement accru leur capacité industrielle pendant que les pays du Sud se sont progressivement désindustrialisés depuis la création de la zone euro. Consécutivement, les pays du Nord ont gagné des parts de marché dans le commerce mondial (augmentation de leurs exportations en pourcentage des exportations mondiales), alors que les pays du Sud, eux, en ont perdu.  Les pays ayant des excédents courants, donc les pays du Nord, ont ainsi accumulé des avoirs nets sur le reste du monde ; tandis que les pays du Sud, en déficit courant, jusqu’à la crise de la zone euro, ont à l’inverse en permanence accumulé des dettes vis-à-vis du reste du monde. Parallèlement, les évaluations des niveaux d’éducation initiale, comme des aptitudes professionnelles, sont très différentes entre pays du Sud et pays du Nord. Comme les taux de chômage des jeunes ou les taux d’emploi, les gains de productivité divergent également. Or tous ces facteurs contribuent au niveau de croissance et à la compétitivité qualité/prix de chaque pays. Ajoutons enfin que les conséquences en sont une divergence Nord-Sud de plus en plus grande dans les niveaux de dette publique sur PIB. Si cette situation perdure ainsi, la solidarité post pandémie risque de faire long feu. D’autant qu’en outre l’inflation actuelle, si elle n’était pas que transitoire, conduirait la BCE à augmenter ses taux progressivement, pour neutraliser sa politique à tout le moins, voire d’avantage, ce qui accroîtrait les difficultés des pays du Sud n’ayant pas encore suffisamment engagé une politique crédible de normalisation de leur politique budgétaire. Ou, au contraire, pour protéger ces derniers, à ne pas augmenter les taux, ce qui aggraverait considérablement les tensions des pays du Nord vis-à-vis d’une politique monétaire unique considérée alors comme trop longuement accommodante. Cela provoquerait sans doute aussi des réactions dangereuses des marchés.

Face à ces fortes et nombreuses divergences, que faut-il alors construire pour obtenir plus de solidarité ? Comment faire pour établir une confiance réciproque entre les pays du Nord et les pays du Sud ? Trois points peuvent ici être avancés.

En premier lieu, les pays du Sud doivent réaliser des politiques structurelles, c’est-à-dire des investissements ad hoc et des réformes visant à réduire significativement ces divergences. Ces indispensables réformes ne sont pas des politiques d’austérité puisque, bien au contraire, elles permettent d’augmenter la croissance potentielle, par l’accroissement de la productivité, l’amélioration de l’efficacité de la formation initiale comme professionnelle, par une meilleure mobilisation du travail, y compris par la réforme des retraites, comme par une optimisation des dépenses publiques. Seules ces politiques garantiront aux pays du Nord de ne pas devoir envoyer indéfiniment des subsides aux pays du Sud. Ce qui permettra ainsi d’enclencher des éléments nécessaires pour aboutir à une union de transferts.

Ces réformes sont certes nécessaires, mais elles ne seront pas suffisantes. Les politiques structurelles seules ne permettront en effet pas de rattraper les différences accrues de niveaux d’industrialisation entre les pays du Nord et du Sud. D’où le deuxième point : une politique industrielle et d’aménagement du territoire dans l’Union européenne doit également être menée, à travers des investissements et des aides des pays du Nord vers les pays du Sud, pour contribuer à leur réindustrialisation dans certains secteurs bien choisis. Sur ce point, on peut espérer que le plan Next Generation EU soit capable d’apporter des réponses, car ce plan présente et porte en lui des projets d’avenir structurants. Il faudrait donc qu’ils puissent être mis en place en fonction des spécialisations relatives existantes ou souhaitables, de façon à favoriser, dans les pays le nécessitant, industrialisation et compétitivité.

Enfin, le troisième point repose sur la nécessaire reconstruction de règles budgétaires partagées et réalistes; elles ne le sont plus aujourd’hui. Ces règles doivent être efficaces et permettre précisément d’accompagner ces évolutions, tout en faisant en sorte qu’il n’y ait pas de passager clandestin au sein des pays de l’Union.

Des efforts tout à la fois individuels – pays par pays – et communs de la part des membres de l’Union, y compris transitoirement du Nord vers le Sud, sont ainsi nécessaires. Car ces efforts permettront, dans un intérêt bien partagé, au Nord de ne pas financer le Sud ad vitam aeternam, et au Sud de ne pas vivre une désindustrialisation continuelle avec tout ce que cela implique tant économiquement que socialement. Et il faut des règles budgétaires qui permettent de mettre en place efficacement ces politiques. Ces mêmes règles doivent aussi ne pas laisser la possibilité pour certains pays de compter sans fin sur l’aide des autres, en différant perpétuellement les réformes nécessaires. Dans le cas contraire, soit le populisme continuerait de monter dans les pays du Nord qui n’acceptent pas l’idée de verser des subsides à l’infini au pays du Sud, soit le populisme monterait encore dans les pays du Sud, si on les laisse continuellement se désindustrialiser sans leur venir en aide. D’autant que cette désindustrialisation est favorisée par une union monétaire incomplète, c’est-à-dire notamment sans coordination des politiques économiques et sans union de transfert. Le rattrapage des différentiels de compétitivité ne peut en effet être facilité par des dévaluations – qui ne sont cependant jamais des solutions miracle -, ce qui entraîne une dynamique d’écarts de compétitivité croissants, avec des phénomènes induits de polarisation industrielle localisée dans les pays ayant le plus d’avantages comparatifs.

Sans efforts nationaux et communautaires donc, il sera impossible de parvenir à des éléments de solidarité pour sortir de ce piège. Nous subirions alors cette montée du populisme qui finirait par mettre en réel danger l’Union monétaire, Union monétaire qui constitue un bien commun indéniable, de par les vertus de l’euro qui nous a prouvé sa forte utilité notamment pendant les crises, grâce à l’action déterminée de la Banque centrale européenne. Or, la banque centrale européenne ne pourra éternellement pallier l’incomplétude de la zone euro.

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L’inflation pourrait être une bonne nouvelle pour les banques

Comme on le sait, et contrairement à ce qu’on lit parfois, les taux d’intérêt bas ne sont pas en tant que tels l’ennemi des banques. Ce qui compte, pour elles, ce ne sont pas les taux d’intérêt, mais la pente des taux. Rappelons qu’en France, par exemple, les crédits (prêts immobiliers, crédits d’investissement) sont en moyenne d’une durée assez longue et très majoritairement à taux fixe. Alors que les dépôts sont plutôt courts, à vue non rémunérés ou à terme rémunérés à des taux indexés sur des taux courts.

Si la différence entre taux longs et taux courts est suffisamment forte, que les taux soient élevés ou bas importe peu. La même pente engendre le même taux de marge nette d’intérêt (MNI). En revanche, des taux longs très bas, proches de zéro, ne permettent pas une pente des taux suffisamment forte pour dégager un taux de MNI suffisant. Et pour cause : les dépôts peuvent très difficilement porter des taux négatifs, les ménages et les petites et moyennes entreprises ne l’acceptant pas aisément.

La hausse des taux est favorable à la MNI

En pratique, les banques connaissent rapidement une hausse de leur taux de MNI si la courbe des taux se déplace homothétiquement à la hausse. Et inversement à la baisse. Cet impact contre-intuitif est dû au fait que le stock de crédits se renouvelle plus vite que le stock d’épargne. Lorsque les taux courts et longs s’élèvent, le taux moyen de l’encours de crédits monte plus vite que le taux moyen de l’encours de dépôts, globalement indexé sur des taux réglementés.

A contrario, lorsque la courbe baisse, les réaménagements de taux et les remboursements anticipés des crédits immobiliers s’accélèrent. Les ménages profitent ainsi de la baisse des taux, alors que les placements au passif des ménages sur les plans d’épargne logement, par exemple, se renouvellent moins vite, les ménages étant désireux de conserver plus longtemps les taux anciens, plus intéressants.

Le rôle capital de la Banque centrale européenne dans l’équation

Quel pourrait être alors l’impact de l’inflation sur la MNI des banques, à travers le mouvement des taux d’intérêt ? Eu égard à ce qu’elles annoncent, le plus probable serait que les banques centrales diminuent leur quantitative easing en cessant progressivement d’acheter en net des titres longs sur les marchés (tapering), avant d’augmenter leur taux directeur, c’est-à-dire les taux de court terme. Cela pourrait alors provoquer un effet favorable sur le taux de MNI des banques, puisque les taux longs pourraient remonter plus rapidement que les taux courts, en augmentant ainsi une pente aujourd’hui très écrasée.

Cela serait d’ailleurs de bonne politique, puisque les banques centrales cesseraient progressivement de soutenir les conditions de financement, la croissance et l’inflation se redressant, tout en permettant aux banques de bien financer les demandes de crédits grâce à une profitabilité moins touchée par l’effet du quantitative easing. Cet effet positif ne doit toutefois pas faire oublier l’impact de la disparition concomitante des aides des banques centrales aux banques, avec notamment le tiering et les Targeted Longer-Term Refinancing Operations (TLTRO) en zone euro.

À ce stade, il convient d’intégrer un autre élément : les volumes. Les mouvements dus à l’effet taux, c’est-à-dire la variation du taux de MNI, peuvent être plus ou moins compensés par de l’effet volume. Autrement dit, les évolutions des encours de crédits et de dépôts. Car, in fine, l’effet taux croisé avec l’effet volume donne l’évolution de la MNI en valeur elle-même.

Une normalisation prudemment menée de la politique monétaire conduirait en principe à un effet globalement favorable. Si les taux montaient progressivement et sans à-coups majeurs, l’effet volume en résultant devrait être en effet relativement neutre. En outre, si les banques centrales ne procédaient à cette normalisation que très progressivement, et après l’avoir annoncée, comme c’est le plus probable, les à-coups sur les marchés financiers pourraient n’être que faibles.

En revanche, si, pour une raison ou pour une autre, les banques centrales ne réagissaient pas à un surcroît d’inflation durable, leur crédibilité en serait écorchée : les taux longs monteraient plus vivement, alors que les taux courts resteraient stables. La demande de crédits (immobiliers comme d’équipement) pourrait en être affectée, produisant éventuellement un effet volume négatif ou moins favorable qu’en régime de croisière. Les marchés obligataires et actions pourraient accuser de sévères moins-values.

Un scénario noir à éviter

Avec un tel scénario, les bulles se dégonfleraient plus soudainement et les chocs sur les bilans bancaires, comme sur le bilan et les comptes de résultat des clients des banques, pourraient être plus sévères, avec des répercussions sur les provisions bancaires et sur les résultats des salles de marché. Les entreprises et États très endettés qui ne se prépareraient pas à la remontée probable des taux pourraient en effet souffrir bien davantage.

Le rôle des banques centrales est donc majeur. Pour éviter de trop fortes bulles, même en cas d’inflation contenue, elles devraient normaliser tôt ou tard leur politique monétaire, pour ne pas laisser trop longtemps les taux d’intérêt nominaux à un niveau exagérément inférieur au taux de croissance nominale.