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Conjoncture Politique Economique

Ponctionner les retraités n’est pas la solution

26 mars 2025 Les Echos

La démarche consistant à répondre à l’équation du système de retraite par une ponction sur les retraités est simple, mais il s’agit toujours de prélever davantage ou de moins donner aux agents économiques et non de baisser les dépenses inefficaces de la sphère publique ou les surconsommations de Sécurité sociale dues au manque d’incitation à ne pas surconsommer (l’aléa moral joue à plein). Et , pour le système de retraite stricto sensu, il y a avant tout un fort manque de cotisants actifs par rapport au nombre de retraités.

L’augmentation du nombre d’années de travail est nécessaire. La proportion de Français travaillant entre 60 et 65 ans est gravement inférieure à celle des autres pays européens (environ 40 % en France, contre 57 % en Allemagne et 68 % en Suède, par exemple) qui sont déjà ou vont tous vers 65-67 ans. Cela accroîtrait également la croissance et serait très positif pour les finances publiques, sans baisser les revenus, donc sans ponctionner davantage les actifs (par plus de cotisations) et les retraités (par moins de retraites).

Les Français peuvent comprendre que c’est de loin la meilleure solution. Pour peu qu’on leur laisse le choix de partir plus tôt avec moins de retraite et que les différentes situations soient bien prises en compte.

Rassurer les cotisants

Stabiliser le système des retraites en résorbant les déficits actuels ou futurs dus au déséquilibre démographique par l’ajustement du montant des retraites raterait donc l’essentiel. Au contraire, un système de retraite garantissant son équilibre par l’ajustement du nombre d’années de travail nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein, en fonction de l’évolution de l’espérance de vie sans incapacité, serait très efficace pour rassurer les cotisants quant à leur retraite future, ainsi que le font déjà dix pays européens.

Ce qui permettrait, outre le fait d’accroître le potentiel de croissance, d’éviter aux Français qui doutent quant à leur retraite future de ne pas sur-épargner toute leur vie et de prendre trop peu de risque sur leur épargne. Ce serait ainsi très positif pour l’économie française.

La retraite est un revenu gagné par son travail, car lié aux cotisations cumulées par chacun (avec le jeu de la solidarité intergénérationnelle). Pourquoi les viser spécifiquement ? L’argument consistant à avancer que les retraités ont fini de payer leurs dettes n’est pas recevable. Ils ont pris une part de leurs revenus souvent significative pour précisément se libérer de leurs dettes lors de leur retraite. En outre, ils aident souvent leurs enfants et leurs petits-enfants.

Une vie qui dure 20 ans de plus qu’en 1945

Abaisser les retraites correspondrait donc encore à dévaloriser le travail et son attractivité. Ne serait-ce pas une incitation en effet pour les jeunes à partir travailler dans un pays où la retraite est mieux sécurisée ou plus individualisée parce que par capitalisation ?
En outre, le système de retraite en lui-même ne doit pas en soi être un système de redistribution. Les impôts et les cotisations /prestations ont cette fonction. Or, par le jeu des plafonds, il l’est pourtant déjà. L’accentuer serait illogique et contreproductif.

Ceux qui ont institué le régime de retraite par répartition en France, à la fin de la guerre l’avaient parfaitement compris. C’est pourquoi ils avaient délibérément choisi 65 ans comme âge nécessaire pour avoir droit à la retraite. Il ne faudrait pas l’oublier, par l’expression d’une pure idéologie qui finirait par mettre en fort risque le système lui-même.
L’ordonnance du 19 octobre 1945 explicitait : « L’insuffisance de la natalité entraîne un vieillissement lent et progressif de la population. Or, les retraites sont supportées par les travailleurs en activité ; la fixation d’un âge trop bas de l’ouverture du droit à la retraite ferait peser sur la population active une charge insupportable ». Alors même qu’à l’insuffisance de la natalité est venu s’ajouter l’accroissement de la durée de vie : 20 ans de plus depuis 1945.

Si l’on veut protéger notre système de retraite, protéger la croissance en ne rendant pas la charge pour la population active insupportable et en n’ajustant pas par l’abaissement des retraites, la seule solution raisonnable et saine est d’augmenter la durée du travail dans la vie en fonction de la croissance de l’espérance de vie sans incapacité. Il n’y a qu’une logique simple et robuste qui tienne. Les promoteurs français du système l’avaient bien compris.

Olivier Klein est directeur général de Lazard Frères Banque et professeur d’économie à HEC.

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Conjoncture Politique Economique

Europe : la menace de l’effacement 

L’Opinion le 11 mars 2025

Lorsque le pur et simple rapport de force s’impose autour de soi, pour être audible et, mieux encore, respecté, il faut être forts et unis alors que l’on veut défendre les valeurs de l’Etat de droit, du multilatéralisme, du droit international, d’une conception du mode de régulation économico-sociale. L’Europe porte ces valeurs, mais n’a aujourd’hui que peu de capacité à les faire respecter. Et pourtant, elle en a le potentiel.

Décrochage. Mais l’Europe a significativement décroché économiquement par rapport aux Etats Unis. La zone euro, de 2000 à 2024, a connu un taux de croissance deux fois moindre que celui des Etats Unis, en moyenne annuelle environ 1 % contre 2 % outre Atlantique. Avec des gains de productivité de 0,7 % l’an contre 2 %. Ces écarts se sont davantage creusés depuis 2019. La Chine domine la production mondiale de panneaux solaires (84 % de part de marché) et d’éoliennes (55 %).

L’Europe est également très peu présente dans d’autres industries du futur (batteries électriques, semi-conducteurs, industries de la data…). Accumulant ainsi un manque d’investissement dans les nouvelles technologies et une déficience en termes de gains de productivité, l’Europe ne s’est pas donné les moyens de la puissance économique.

Nonobstant le caractère louable de ses intentions, l’Europe a en effet adopté une pensée très normative et souvent insuffisamment réaliste, au détriment de son économie et de sa compétitivité. Elle fabrique à coût élevé et s’est emballée dans la production de normes pointilleuses en tout genre. Qui plus est, les réglementations sont souvent disparatesentre les différents membres de l’Union européenne, ce qui est aussi un fort frein à la croissance économique.

Hyperpuissances

Or, le manque d’équilibre entre éthique et efficacité ne peut permettre de faire vivre durablement, faute d’une économie dynamique et suffisamment compétitive, les principes éthiques affichés. Ainsi l’Europe, telle qu’elle a fonctionné ces dernières années, s’est voulue pure. Mais loin de cet équilibre indispensable, elle est in fine souvent vue comme entravante. Dotée d’une gouvernance complexe et insuffisamment efficace, elle est perçue comme très difficilement capable de s’affirmer face à la montée des hyperpuissances chinoise et américaine.

Mais encore, même si l’Europe n’en a pas l’exclusivité au sein des pays développés, de nombreux pays du continent sont affaiblis par la montée de la défiance en la capacité de leur population à vivre ensemble, comme vis-à-vis des institutions et de la démocratie elle-même. Nous ne devons pas, en Europe, nous exonérer de bien analyser les raisons de cette perte de confiance. Sont en jeu les effets délétères de l’inattention à la demande populaire (et non populiste en soi) d’autorité publique, de sécurité et d’une meilleure régulation et intégration de l’immigration.

Dans certains pays européens, il convient en outre de bien prendre la mesure des effets déresponsabilisants et producteurs de défiance de la suradministration. Comme la mesure des effets négatifs, sociétalement comme économiquement, des taux de dépenses et de prélèvements publics excessifs, du trop-plein de règlementation, des graves excès de la montée des droits individuels face à l’affaiblissement des devoirs, des tendances égalitaristes jusqu’au-boutistes…

Alors même que des mouvements populistes montent significativement, y compris en France, en Allemagne, en Autriche ou aux Pays Bas, par exemple, nous ne pouvons nous contenter de critiquer ces derniers. Seules de justes et urgentes prise de conscience et réactions appropriées des partis de gouvernement pourront empêcher l’avènement d’une réaction brutale, de nature populiste.

Causalités

N’inversons pas les causalités ; le populisme est le symptôme et la conséquence d’une désaffection vis-à-vis de la démocratie et des institutions, bien davantage que sa cause. La crédibilité européenne n’en sera alors que plus forte, tant en Europe-même que vis-à-vis des Etats-Unis ou du « Sud global », et sa critique moins aisée.

Le déclin n’est pas inexorable si l’Europe et les pays qui la composent sont encore capables d’un fort sursaut multidimensionnel, d’un élan vital

Ces deux phénomènes conjugués, décrochage économique et montée de la défiance vis-à-vis des institutions, pourraient aboutir à « la lente agonie » (cf. Mario Draghi) de notre vieux continent, assailli par le doute. Question existentielle, s’il en est. Les civilisations, même les plus belles comme la nôtre, peuvent finir par lentement s’effacer. Mais ce déclin n’est pas inexorable si l’Europe et les pays qui la composent sont encore capables d’un fort sursaut multidimensionnel, d’un élan vital.

Avec la mise en commun de nombre de nos forces et la recherche d’une unité plus affirmée, dans les champs diplomatique et militaire. Mais aussi sur le terrain de l’économie et de l’industrie, par plus d’intégration, par une capacité à faire naître des champions européens et par une réduction drastique de nos barrières règlementaires internes.

Gouvernance

Et cela ne sera en outre possible qu’en améliorant significativement la gouvernance de l’Union européenne. Enfin, en retrouvant le bon mariage entre la nécessaire régulation des forces du marché et le dynamisme de l’économie, l’efficacité et la protection sociale et environnementale, les règles et les libertés, la tradition et la modernité, le respect de l’individu et celui de la société… Sans ces équilibres, notre modèle pourra disparaître dans une faillite morale accompagnée d’une faillite financière.

L’échelle européenne est la seule possible, à l’aune de la prégnance des hyperpuissances américaine et chinoise. L’Europe peut et doit réagir vigoureusement et ne pas laisser notre modèle, notre mode de vie et notre système économico-social et de valeurs se déliter. L’enjeu est d’assurer un avenir à notre civilisation européenne.

Citons enfin Cioran : « Une civilisation débute par le mythe et finit par le doute ». Nous pouvons encore avoir les ressorts et la force de ne pas nous laisser assaillir par le doute

En ne laissant pas l’Europe sortir de l’histoire par un affaiblissement inexorable. En ne permettant pas de ce fait l’avènement ici-même de régimes autoritaires et brutaux, plus indifférents à l’Etat de droit. Pour faire entendre la voix de l’Europe dans le concert des grandes puissances. Citons enfin Cioran : « Une civilisation débute par le mythe et finit par le doute ».

Nous pouvons encore avoir les ressorts et la force de ne pas nous laisser assaillir par le doute. Trois conditions a minima s’imposent pour cela : la lucidité dans l’analyse de nos faiblesses comme de nos forces, tout d’abord. Le sentiment indispensable d’urgence, ensuite. Et le courage de retrouver une gouvernance et les équilibres indispensables à notre vitalité, enfin.

Olivier Klein est professeur d’Economie à HEC, directeur Général Lazard Frères Banque.

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Conjoncture Enseignement Politique Economique

L’avenir des démocraties est-il compromis ?

La démocratie est critiquée par les autocraties. Plus inquiétant, elle l’est aussi de plus en plus régulièrement au sein-même des pays démocratiques. A tout le moins, la défiance à son endroit monte-t-elle dans ces derniers. Quels en sont les facteurs explicatifs ? Cela peut-il conduire au pessimisme quant à l’avenir ?

La possibilité d’un déclin repose sur plusieurs hypothèses. En voici quelques-unes.
L’altération de la démocratie aux Etats Unis, comme en Europe, est entre autres due au fait que les politiques eux-mêmes malmènent parfois les institutions. Mais l’une des raisons principales tient à ce que trop de partis de gouvernement ignorent ou affichent une attitude moralisatrice vis-à-vis des demandes des gens en termes de sécurité et d’autorité publique, comme de meilleures intégration et régulation de l’immigration. Ce qui est un facteur puissant de la montée de forces populistes des deux côtés de l’Atlantique.

De plus, le nouveau prêt-à-penser normatif (idéologies wokiste et écologiste…), accepté ou adopté par nombre de partis politiques et certaines institutions, est en fait refusé par une grande majorité dans sa version dogmatique et quasi totalitaire. Créant ainsi une méfiance vis-à-vis des institutions, des politiques et de la démocratie. Le wokisme idéologique est à l’évidence la caricature et l’expression aujourd’hui la plus aboutie de ce dévoiement du concept de démocratie. Il n’en est en rien une extension. Il n’est pas davantage la prolongation du progressisme. Il est la nouvelle idéologie des excès pernicieux de la démocratie, qui, in fine, sont destructeurs du consensus démocratique.

En Europe, la montée des mouvements populistes se fait en écho à ces deux phénomènes. Sur ces deux mêmes thèmes, les Démocrates, aux Etats-Unis, en ont payé le prix. Trump en est une réaction extrême. Et il peut à son tour tant malmener les institutions que cela provoque une accélération du processus.

La perte d’efficacité de la sphère publique est également source de dégradation de la confiance. Comme le marché n’est pas exempt d’erreurs et de dysfonctionnements endogènes, les décisions des pouvoirs publics elles-mêmes peuvent ne pas être efficaces, ne pas être les bonnes, voire même provoquer des effets contraires au but initialement recherché. Il n’y a en effet ni omniscience des marchés, ni omniscience de l’Etat. La sphère publique peut en outre perdre de son efficacité par entropie, dans une logique d’extension continue. Et engendrer ainsi un doute quant à la validité des institutions et de leur gouvernance démocratique. Qui plus est, la suradministration développe un sentiment d’impuissance et partant le découragement et le passéisme. Mais aussi la recherche de l’avantage maximal pour soi-même. Ou encore, chez certains, l’envie de sédition, d’insoumission. Par la logique de croissance sans fin qui lui est propre, la suradministration tente de répondre à tous, en infantilisant les gens et en poussant sans cesse à plus de demande d’Etat. Ce qui amène inéluctablement la déception. Et développe, à son tour, l’angoisse, la peur devenue insurmontable devant tout problème, fût-il petit, tant le sens de la responsabilité individuelle a été réduit, abîmé. Trop d’Etat induit en effet une aliénation des individus quant à leur capacité à agir par eux-mêmes.  La suradministration et un Etat trop intrusif et omniprésent peuvent conduire ainsi à un affaissement de la confiance en soi-même, mais aussi entre les uns et les autres. Ils sont un frein à l’action individuelle et collective. Et ils entraînent une perte de confiance dans les institutions et la démocratie elle-même. “Un État qui s’immisce partout ne fait pas que fragiliser les institutions ; il détruit également les relations de confiance entre les citoyens, car il s’interpose entre eux et les rend étrangers les uns aux autres.” (La Crise de la culture) écrivait avec une grande acuité Hannah Arendt.

La réduction de la sphère publique aux Etats-Unis pourrait avoir des conséquences négatives ou non suivant qu’elle porte sur des fonctions superflues ou pas, et que ces fonctions peuvent être exercées par le privé ou non. Mais en Europe, la lutte contre la suradministration et la surrèglementation sera décisive pour réduire la défiance des citoyens vis à vis des institutions.

En outre, aux États-Unis, la montée des inégalités contribue aussi à l’altération de la démocratie. La concentration des richesses et le développement des inégalités de revenus y est un phénomène qui dépasse le clivage démocrate et républicain. Trump aggravera-t-il la donne ou l’améliorera-t-il ? Pour partie, cela dépendra de sa réussite dans sa lutte contre la désindustrialisation, processus en cours depuis des décennies. En Europe, et particulièrement en France, c’est au contraire l’excès de prélèvements obligatoires et la tendance à l’égalitarisme sans limite qui sont pernicieuses pour les institutions, comme pour la démocratie. L’égalité en tout, de tous avec chacun, conduit en effet à la jalousie généralisée. Aux passions tristes, donc. Mais aussi bien à la condamnation de ce qui fait la dynamique d’une société, le moteur de l’effort et la recherche de la progression. Partant, de ce qui fait le progrès. Tocqueville déjà : “Il n’y a pas de passion si funeste pour l’homme et pour la société que cet amour de l’égalité, qui peut dégrader les individus et les pousser à préférer la médiocrité commune à l’excellence individuelle.” Au total, la méfiance ainsi vis à vis des autres pousse à un individualisme forcené, à des passions malsaines et à une polarisation de la population, ce qui à son tour rend difficile la vie normale des institutions et de la démocratie.

Autre cause, énoncée par Daron Acemoglu (prix Nobel d’économie 2024). La concentration monopolistique, contre le principe de concurrence, peut également contribuer à une méfiance vis-à-vis des institutions. Les lois antitrust doivent en principe empêcher que la concentration ne débouche sur des positions tellement dominantes qu’elles mettent en cause la démocratie et l’économie de marché. Or les Etats-Unis laissent une telle situation se développer depuis plus d’une décennie notamment dans le domaine des technologies de l’information. En Europe, au contraire, il s’agit de laisser des champions européens émerger en réévaluant la législation antitrust au regard des marchés pertinents, tout en évitant le trop plein de normes, pour tâcher d’éviter la désindustrialisation, cette dernière étant un facteur également de mise en question des institutions et de la démocratie, et par suite de la montée du populisme.

Les démocraties américaine et européenne, chacune avec leurs spécificités, et fortes de ces constats et analyses non exhaustifs, doivent trouver lucidement les antidotes et agir rapidement face aux dangers qui les menacent. L’avènement du populisme n’est pas inéluctable.

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Economie Générale Politique Economique

Entreprises, État: le nécessaire art du changement

Sans anticipation, les crises guettent, qui contraignent alors à des ruptures brutales, incertaines et pénibles socialement, souligne Olivier Klein. (Getty Images/Istockphoto)

Aujourd’hui, l’urgence du changement dans la gestion des administrations publiques s’impose. Pour les entreprises comme pour les administrations publiques, sans que l’on les confonde, les évolutions de comportement des salariés et des clients-utilisateurs ou les révolutions technologiques, nécessitent souvent de réaliser des transformations en profondeur pour survivre et se développer pour les unes et pour rester efficaces et légitimes, pour les autres. Dans un monde mouvant, rien n’est acquis. Et, sans anticipation, les crises guettent, qui contraignent alors à des ruptures brutales, incertaines et pénibles socialement.

Il faut être sans cesse attentif aux changements des conditions d’exercice de son activité, repenser régulièrement à la validité de son modèle, en entretenant un doute

méthodologique pour ne jamais être engoncé dans ses certitudes. Dans le même temps, pour éviter les mouvements browniens, il est indispensable de s’appuyer sur une analyse claire de ce qui, dans son activité, est invariant. Ce en quoi elle est fondamentalement et durablement utile aux gens et à l’économie.

Ainsi, concevoir clairement l’essence même de son activité et percevoir simultanément les évolutions liées à son mode d’exercice est une clé cruciale pour forger une bonne stratégie et atteindre au mieux son cap, en assurant une transformation tranquille et non une disruption brutale.

Anticipation et cohérence

Mais pour nécessaire que cela soit, pour réussir il faut également une gestion du changement réfléchie et organisée avec pertinence. Il faut anticiper les réactions que les salariés, les clients/utilisateurs, voire la concurrence, vont manifester aux changements que l’on souhaite conduire. Anticiper juste, c’est se permettre d’agir juste. La cohérence est également une clé fondamentale du succès. Elle doit être totale dans la stratégie menée. Sinon, c’est la perte du sens et l’on ne peut aller nulle part avec un cap inconstant et des directions données divergentes.

Anticiper juste, c’est se permettre d’agir juste.

Mais il y a plus. Il doit y avoir un alignement constant de la stratégie, des moyens nécessaires pour la réussir et des systèmes d’incitation. Lorsque les moyens mis en oeuvre sont en ligne avec une stratégie pertinente et que le système d’incitation fait en sorte que chacun ou chaque équipe est enclin à orienter son action vers la réalisation de la stratégie proposée, la réussite est bien souvent au rendez-vous.

Un dialogue permanent

Il faut enfin avoir une conduite et un accompagnement du changement adéquats. Donc détecter et considérer par anticipation les obstacles aux changements, grâce aux remontées des équipes elles-mêmes, notamment parce qu’elles sont parties prenantes au changement mais aussi parce qu’elles sont sur le terrain. Le changement ne peut être seulement impulsé par le haut. Il doit être le fruit du dialogue permanent entre managers et managés. Ce processus est exigeant mais nécessaire et fructueux.

Ce qui conduit logiquement à un processus de tâtonnement bien conduit. Le changement doit avoir un cap clairement défini. Mais, s’il s’agit obligatoirement d’un processus bien pensé, il doit être flexible. Il ne faut pas planifier le changement de façon rigide et s’y tenir quoi qu’il arrive. Une planification très souple et dynamique, avec un cap clair, intégrant les réalités rencontrées, dans un aller et retour entre la conceptualisation du processus

suivi et la réalité qui se révèle au fur et à mesure de son déploiement, permet beaucoup plus sûrement d’atteindre son objectif.

La vie est un changement, une évolution permanente. Tout comme les entreprises et les administrations et leur environnement. Il faut donc penser et conduire les indispensables mutations, avant d’y être contraints par la crise sinon inéluctable. Les entreprises naissent et meurent lorsqu’elles n’ont pas su s’adapter. Les administrations publiques ne meurent pas d’elles-mêmes, mais elles peuvent connaître une entropie telle qu’elles deviennent de moins en moins efficaces et de plus en plus coûteuses, pouvant aller jusqu’à perdre leur légitimité. Conduisant alors à des déficits et des dettes qui, face au mur, peuvent entraîner une « disruption » toujours hasardeuse et douloureuse.

Olivier Klein est directeur général de Lazard Frères Banque et professeur d’économie à HEC.

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Economie Générale Politique Economique

Fragmentation du monde. Vers une dé-dollarisation ?

Le 30 septembre , j’étais invité par le Cercle de l’Union interalliée à y donner une conférence qui a réuni environ 300 personnes  . Le thème : La fragmentation économique du monde .
Sous-titre : vers une dé-dollarisation?

Après une introduction sur la fragmentation politique du monde , que j’ai prononcée sans transparent , j’ai présenté les chiffres de la dé/mondialisation , de l’évolution des sanctions et des barrières au commerce et à l’investissement, enfin de la place du dollar suivant différents critères .
Vous en trouverez les transparents ci-dessous et deux articles en relation avec la conférence que j’ai publiés l’un dans la Revue Banque , l’autre dans Les Échos .

https://www.oklein.fr/fr/fragmentation-du-monde-consequences-economiques-et-financieres
https://www.oklein.fr/fr/la-fatigue-des-democraties

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

Pourquoi les politiques monétaires non conventionnelles doivent le rester ?

Il n’est pas inutile d’opérer une distinction entre la politique d’assouplissement quantitatif des banques centrales, qui consiste à approvisionner massivement les banques et les marchés en « liquidités », en particulier en monnaie des instituts d’émission – prolongement et élargissement de l’action du prêteur en dernier ressort – , et celle qui consiste en l’achat d’actifs sur les marchés financiers, obligations publiques et privées, voire actions. Les deux façons de conduire une politique de quantitative easing (QE) induisent le même gonflement de l’actif et du passif des banques centrales, mais par des biais différents.

Dans le premier cas, les autorités monétaires prêtent de façon extra deux façons de conduire une politique de quantitative easing (QE) induisent le même gonflement de l’actif et du passif des banques centrales, mais par des biais différents. Dans le premier cas, les autorités monétaires prêtent de façon extraordinaire aux banques, afin que le système bancaire ne manque pas gravement de liquidités en monnaie banque centrale. Dans le deuxième, elles achètent de façon tout aussi extraordinaire des actifs à des agents non bancaires qui, en les vendant aux banques centrales, reçoivent de la monnaie qu’ils déposent dans les banques ; ces dernières détenant in fine plus de monnaie banque centrale dans leurs comptes chez des instituts d’émission. On pourrait nommer la première option politique de QE par le passif du bilan des banques centrales et la seconde politique par l’actif.

Mission n° 1 du QE : endiguer les catastrophes
La distinction fondamentale réside dans les circonstances conduisant à l’utilisation de ces politiques. Aux États-Unis, comme en Europe, elles ont été utilisées initialement pour faire face à la crise financière et économique très grave de 2008-2009. Le risque de faillite en chaîne des banques, comme de dislocation des marchés, nécessitait de rompre les enchaînements catastrophiques en
suspendant temporairement la logique des marchés financiers et la méfiance contagieuse entre les banques elles-mêmes. Celle-ci aurait d’ailleurs pu conduire à une crise de confiance destructrice des ménages vis-à-vis de leurs propres banques.

Aussi, les banques centrales ont-elles massivement augmenté leur bilan pour fournir notamment la liquidité nécessaire aux banques. Le marché interbancaire étant gelé, les banques centrales ont interposé leur bilan dans les échanges de liquidités entre les
banques. Celles qui connaissaient des excédents de liquidités ne prêtaient plus aux autres banques et conservaient leur monnaie banque centrale en dépôt à la banque centrale, les instituts d’émission prêtant alors euxmêmes aux banques ayant besoin de
liquidités. C’est ainsi que les banques centrales ont à nouveau été les prêteurs en dernier ressort du système financier dès 2008.

L’exemple historique de 2008
Cette année-là, la Réserve fédérale américaine (Fed) a aussi décidé d’acheter des actifs « toxiques » pour éviter la perte de confiance et la faillite de ceux qui les détenaient et pour éviter l’effondrement du prix de ces actifs, dont les conséquences auraient été potentiellement désastreuses pour l’économie.

Ainsi, les banques centrales ont pu enrayer le risque systémique qui se développait très rapidement et qui aurait induit des conséquences économiques et sociales catastrophiques. Il en fut de même vers mars 2020, lors de la très forte crise financière éclair due au Covid et aux confinements. Les banques centrales ont alors acheté de nombreux actifs, y compris « high yield »,
notamment aux institutions financières non bancaires, dont des fonds d’investissement en détresse ; ce qui a ainsi permis d’éteindre très rapidement le feu qui prenait brutalement.

Mission n° 2 : ranimer croissance et inflation
L’assouplissement quantitatif a été ensuite utilisé et pérennisé avec un tout autre objectif. À la suite de la crise financière de 2008, l’économie se trouvait très ralentie et l’inflation à des niveaux extrêmement bas. Comme les taux d’intérêt étaient proches de leur valeur plancher (effective lower bound), arme des taux d’intérêt direc teurs, la politique conventionnelle était devenue inefficace. C’est pourquoi les banques centrales ont commencé à acheter des actifs financiers pour stimuler l’économie et tenter de faire remonter l’inflation. Puis en 2020, avec les conséquences économiques de la pandémie et des confinements, elles ont fait de même. Elles ont notamment acheté des titres de dette publique, afin de soutenir l’effort budgétaire très important des États.

L’ambition d’inciter les ménages à consommer
L’efficacité de cette politique peut venir de l’annonce même de la mise en place d’une telle décision. Par exemple, le programme OMT, annoncé en 2012, a recréé la confiance à la suite de sa présentation, alors qu’il n’a jamais été exécuté. Mais son efficacité peut venir aussi de la possibilité qu’elle offre aux banques centrales de prendre le contrôle des taux d’intérêt long terme et des primes de risque ou, à tout le moins, de les influencer largement.

Par là même, elles peuvent inciter les ménages et les entreprises à investir voire à consommer davantage, notamment en abaissant le coût de leurs emprunts. Le crédit et son double, l’endettement, sont d’ailleurs repartis progressivement vers 2017 en Europe. Le troisième canal de transmission a été l’effet richesse enclenché en conséquence de la baisse des taux longs sur la valeur des actions aussi bien que sur l’immobilier. Cet effet richesse a ainsi soutenu la demande. Cependant, une telle politique d’assouplissement quantitatif hors situation de stress financier, pour être efficace, donc pour stimuler l’économie, doit demander aux banques centrales d’acheter beaucoup plus d’actifs, c’est à-dire de créer beaucoup plus de monnaie banque centrale que lors des crises financières. Même si elle nécessite d’injecter encore plus de liquidités pour revigorer la croissance économique, comme celle des crédits, cette politique d’achat a été utile. Elle a notamment permis de ne pas laisser s’enclencher un cycle déflationniste.

Un échec sur l’inflation ?
Néanmoins, elle n’a pas réussi à faire remonter l’inflation. Il est probable que l’objectif d’inflation de 2 % ne correspondait pas à un taux répondant au mode contemporain de régulation économique, c’est-à-dire aux conditions structurelles prévalant pendant la période avant Covid. La combinaison d’une situation durable de mondialisation, qui pesait sur les salaires et les prix des pays développés, et d’une révolution technologique, qui ne donnait guère de marge de manœuvre de négociations des salaires pour les employés peu ou moyennement qualifiés, digitalisation et robotisation aidant, induisait les causes structurelles d’une très basse inflation, d’environ 1 %.
Les efforts des banques centrales, cherchant à stimuler l’économie et l’inflation, ont alors réussi à augmenter le taux de croissance mais pas le niveau d’inflation. À la recherche d’une cible d’inflation sans doute inatteignable comme à l’aide d’une boussole – le
taux d’intérêt naturel – très peu précise et conceptuellement critiquable, la politique monétaire a persévéré dans l’assouplissement quantitatif alors même que le PIB et les crédits avaient retrouvé une tendance favorable.

L’inquiétante montée de l’instabilité financière
La conséquence a été des taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps, c’est-à-dire durablement inférieurs aux taux de croissance. Avec, en résultante, la montée de l’instabilité financière dûe à une croissance forte de l’endettement des agents privés et publics par rapport au au produit intérieur brut (voir graphique). Imbriquée dans la hausse de l’endettement, la hausse très rapide et très forte de la valeur des actions et de l’immobilier en fut également une manifestation notoire. En effet, avec des taux d’intérêt longs inférieurs au taux de croissance nominale, les acteurs privés et publics étaient incités à augmenter leurs dettes sans douleur, fragilisant ainsi leur bilan. Et les épargnants, ou leurs gestionnaires d’actifs, leurs caisses ou fonds de retraite, comme leurs assureurs vie, ont cherché à obtenir un rendement suffisant. Ils ont été incités à acheter des actifs de plus en plus risqués (faisant dangereusement baisser les primes de risque), des actifs de plus en plus longs (prenant alors de plus en plus de risques de liquidité), etc. Les bilans des acteurs économiques se sont ainsi fragilisés tant à l’actif qu’au passif. En outre, les politiques monétaires très accommodantes qui perdurent accroissent les inégalités de patrimoine, enrichissant davantage ceux qui en ont déjà, et rendant moins accessibles aux autres l’immobilier et le marché des actions. Enfin, pour tous ces effets réunis, il est raisonnable de penser qu’elles ont contribué in fine au ralentissement, à l’alanguissement de l’économie, en ayant permis notamment le développement d’entreprises « zombies » (qui, avec des taux d’intérêt normaux, auraient durablement connu des résultats négatifs).

Le QE contributif à la moindre productivité
Cette mauvaise allocation globale des capitaux a très probablement contribué à faire décroître les gains de productivité. De plus, des taux d’intérêt trop bas trop longtemps peuvent avoir, comme en Allemagne, contribué à la remontée du taux d’épargne et non
à sa décrue, contrairement aux préceptes de la théorie économique standard. Une population à la démographie déclinante peut en effet désirer épargner davantage pour préparer sa retraite, ne pouvant plus compter suffisamment sur le rendement de son épargne « normale ». Le fort niveau d’endettement de nombreux acteurs est aussi de nature à peser tôt ou tard sur leur capacité d’investissement, l’ensemble conduisant alors à un ralentissement structurel de la croissance et non à un soutien.

Pour conclure, il est difficile de sortir des politiques d’assouplissement quantitatif dès lors qu’elles ont été utilisées longuement. Dès lors, ces politiques ont développé un caractère asymétrique qui pourrait s’avérer préoccupant. Entre autres, cette asymétrie peut procurer aux marchés des options gratuites pour les protéger à la baisse et leur permettant de jouer la hausse avec un risque très limité. La fragilité ainsi accentuée des structures financières des agents tant à l’actif des bilans, qui comprend des valeurs d’action et d’immobilier très valorisées ou survalorisées, qu’à leur passif, qui connaît des niveaux d’endettement sur PIB rarement atteints, incite à juste titre les banques centrales à une très grande prudence.

Comment sortir du QE ?
Faire diminuer trop rapidement ou trop intensément le bilan des instituts d’émission pourrait conduire à des crises financières et économiques de grande ampleur. C’est pourquoi on peut considérer que les liquidités en monnaie banque centrale ne seront retirées – comme à l’heure actuelle – que très précautionneusement. Très probablement, le chemin inverse ne sera jamais parcouru dans sa totalité. Mais nous sommes dans le domaine de l’inédit puisque l’expérience de quantitative tightening est une première
historique. La lutte contre le retour brutal de l’inflation ces dernières années a été réussie grâce à l’effet des politiques conventionnelles des banques centrales (hausse de leurs taux d’intérêt directeurs), tout en ne jouant pas sur la taille de leur bilan, mais en essayant de conduire sa réduction à bas bruit, comme une action structurelle et non comme une politique monétaire discrétionnaire. En fin de course, il semble que l’on puisse affirmer que les politiques d’assouplissement quantitatif ont des
effets très favorables lorsqu’il s’agit de guérir une crise financière et économique violente en tentant d’endiguer le risque systémique empêchant un enchaînement catastrophique.

Cependant, s’en servir pour stimuler croissance et inflation, si la croissance est revenue et si l’inflation cible ne correspond plus à l’inflation structurelle, peut sembler comporter plus de dangers que de bénéfices.

Encore des objets d’incertitude
Nous n’avons pas encore vu d’ailleurs toutes les conséquences économiques et financières qu’une telle politique, menée trop longtemps, peut induire. Gageons que, hors nouvelles crises violentes, les banques centrales chercheront à maintenir durablement les taux d’intérêt à des niveaux sensiblement égaux aux taux de croissance nominaux. Tout compte fait, afin de pouvoir s’en resservir en cas de besoin avéré, la politique monétaire non conventionnelle devrait le rester .