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Institut Messine – Taux d’intérêt négatifs, le regard d’Olivier Klein, février 2016

SOMMAIRE

Remerciements

Avant-propos par Michel Léger

Introduction générale à la problématique des taux d’intérêt négatifs par Michel Aglietta et Natacha Valla

Robert Ophèle, Sous-gouverneur de la Banque de France

Maya Atig, Directrice générale adjointe de l’Agence France Trésor

Jesper Berg, Directeur général de l’Autorité de surveillance financière du Danemark

Philippe Capron, Directeur général adjoint de Veolia, en charge des finances

Jean-Jacques Daigre, Professeur émérite de droit bancaire et financier

Ramon Fernandez, Directeur général adjoint d’Orange, en charge des finances et de la stratégie du groupe. Ramon Fernandez occupait auparavant les fonctions de Directeur du Trésor et de Président de l’Agence France Trésor

Marc Fiorentino, Dirigeant fondateur d’Euroland Corporate

Hervé Hannoun, ancien Directeur général adjoint de la Banque des règlements internationaux

Philippe Heim, Directeur financier de Société Générale

Denis Kessler, Président-Directeur général de SCOR SE

Olivier Klein, Directeur général de la BRED, Professeur affilié à HEC en économie et finance, co-responsable de la Majeure « Managerial and Financial Economics » et du Mastère spécialisé du même nom

Le regard d’Olivier Klein* 

Quelle est votre opinion sur la complexité conceptuelle des taux négatifs ? Pensiez-vous, en tant que « patron » de banque et professeur d’économie, connaître un jour une telle situation ?

Le concept même de taux négatif est un peu troublant et si particulier que je ne pensais pas y être moi-même confronté un jour. Certains acteurs économiques s’y adaptent plutôt bien : certains de nos clients institutionnels placent désormais chez nous de l’argent à taux négatif. Ils préfèrent le placer chez nous à – 0,15 % qu’ailleurs à – 0,20 %.

Les taux négatifs s’expliquent par la configuration macroéconomique actuelle. La Banque centrale européenne (BCE) tente, avec ces taux négatifs, de retrouver un niveau d’équilibre épargne-investissement plus favorable à la croissance pour conjurer ce que certains décrivent comme la menace d’une stagnation séculaire. Mais il s’agit également « simplement » d’une période d’ajustement après une phase d’endettement excessif, comme cela s’est observé très souvent depuis le XIXe siècle après une crise financière. En tout état de cause, ce que recherche la BCE, c’est d’inciter les agents à ne pas laisser l’argent dormir et à investir, et les banques à faire crédit, mais aussi à favoriser le désendettement, en maintenant des taux bas par rapport aux taux de croissance nominal.

Pour le moment, l’usage des taux négatifs est limité au champ des opérations entre institutionnels et professionnels de la finance. Ce n’est pas encore le cas des entreprises en France – alors que des entreprises commencent elles aussi à déposer à taux négatif dans certains pays d’Europe.

On touche d’ailleurs là une limite très matérielle de la capacité du système à répercuter la baisse des taux dans toute l’économie : ni le système bancaire, qui a besoin des dépôts pour faire des crédits, ni les autorités pour des raisons fiscales et de sécurité, ne peuvent se permettre de négliger l’attrait que pourrait avoir, en particulier pour les ménages, le cash comme alternative à des dépôts portant un intérêt négatif. La France semble relativement préservée de ce risque par rapport à certains pays comme l’Allemagne, où la culture du cash est beaucoup plus développée.

Selon vous, pour quelles raisons a-t-il été nécessaire de mettre en place des taux négatifs en zone euro alors que le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ont pourtant eu recours à des politiques non-conventionnelles, n’y ont pas fait appel ?

Cela s’explique à mon avis par l’existence d’un risque de déflation plus marqué en zone euro qu’aux États-Unis, et que la BCE a, à juste titre, absolument voulu conjurer. Cela tient notamment à la crise de la zone euro, qui nous a valu un second ralentissement économique au sortir de la crise de 2008, due à la nature incomplète de notre union monétaire qui engendre un léger « biais déflationniste ». On peut aussi invoquer le moindre impact de l’« effet richesse » : aux États-Unis, la baisse des taux a rapidement permis un redressement de la valeur des actifs, en particulier de la bourse, qui s’est traduite par une reconstitution de la valeur de l’épargne des ménages – laquelle est, outre-Atlantique, bien plus investie sur les marchés en raison de l’importance des fonds de pension. Au total, il était nécessaire, en zone euro, de frapper encore plus fort sur les taux. Mais c’est une question de quantum, et pas de principe : la BCE n’est pas entrée en territoire négatif pour y entrer, mais pour baisser les taux autant que nécessaire, et la Banque d’Angleterre et la Fed ne sont pas restées en territoire positif pour éviter les taux négatifs, mais parce que les taux zéro étaient suffisants dans leurs cas respectifs.

Comment la rentabilité des banques de détail est-elle impactée par l’environnement de taux négatifs ?

Il faut distinguer l’effet de taux d’intérêt qui baissent et celui de taux négatifs. Structurellement, une banque prête à long terme et se refinance à court terme. En général, comme nous prêtons, en France, à taux fixe, il y a moins d’hystérésis à très court terme au passif qu’à l’actif des banques – autrement dit, si les taux baissent au même rythme sur toutes les échéances, le coût d’une partie de nos ressources diminue immédiatement, tandis que le produit des prêts ne décroît qu’avec le temps, au fur et à mesure du renouvellement de notre portefeuille de prêts. Ainsi, une baisse homothétique de la courbe des taux jouera en faveur des banques la première année.

Néanmoins, cette situation n’est que temporaire car, très rapidement, l’entrée en portefeuille de nouveaux crédits accordés à des taux inférieurs, l’amortissement des anciens crédits à taux supérieurs, mais aussi les demandes de renégociation de leur crédit immobilier formulées par les clients particuliers, provoquent une baisse des taux de nos actifs plus rapide que celle de nos passifs, qui contiennent beaucoup de ressources indexées sur les taux réglementés, variant moins rapidement. Cela nous amène à des taux de marge d’intermédiation détériorés, mais dans un quantum supportable et gérable. Puis, à terme, quand la courbe de taux se stabilise, si la pente de la courbe est restée constante, la marge nette d’intérêts se reconstitue peu à peu.

Ce qui se passe aujourd’hui est différent. D’abord, la marge nette d’intérêt se trouve comprimée par l’évolution du différentiel entre le taux long et le taux court, c’est-à-dire la pente de la courbe des taux. Les banques centrales cherchent en effet depuis deux ans à gouverner et à faire baisser non seulement les taux courts, qu’elles fixent toujours plus ou moins directement, mais aussi, ce qui est nouveau, les taux longs par des politiques de Quantitative Easing (QE) et par une gestion habile des anticipations des agents dans le cadre de la forward guidance.

Cette politique fonctionne bien, ce qui conduit à un écrasement de la courbe des taux, donc de la marge d’intérêt des établissements bancaires.

Les taux négatifs introduisent un élément additionnel, contrariant pour notre business model. Dès lors que, pour l’essentiel, nous ne répercutons pas la baisse des taux à nos déposants en deçà de zéro, la baisse du coût de notre ressource se heurte à une butée. Pour résumer, le produit de nos prêts, corrélé à des taux longs qui baissent, diminue, tandis que notre refinancement a un coût qui ne peut plus diminuer parallèlement, compte tenu de l’impossibilité de faire passer la rémunération de l’essentiel des dépôts en territoire négatif.

La pente des taux s’écrase ainsi encore davantage. On voit bien que cette situation est très défavorable à la rentabilité de nos établissements. Notre marge nette d’intérêt, qui a pu frôler les 6 % au début des années quatre-vingt-dix, plafonne à 2 % depuis des années et nous sommes tous rentrés, depuis 2014-2015, dans une phase de baisse graduelle supplémentaire, qui va s’accentuer encore les années prochaines, avec l’amortissement de nos crédits anciens à taux plus élevés et l’entrée en vigueur de nouveaux crédits à taux très bas.

Cette évolution sera durable, et il faut que les banques se résignent à vivre assez longtemps dans un contexte de marge d’intérêt très réduite : le mouvement ne peut pas, selon moi, s’inverser avant au minimum deux ou trois ans dès lors que la « repentification » de la courbe des taux s’opérera seulement dans le temps eu égard au faible taux de croissance potentielle de la zone euro et que ses effets bienfaisants pour nous ne se feront sentir qu’au fil du renouvellement de nos portefeuilles de prêts. Les conditions monétaires très particulières que nous vivons – taux négatif et QE – me paraissent sincèrement bienvenues du point de vue de l’économie générale : la BCE n’avait pas d’autre choix. Mais il faut être bien conscient qu’elles sont spécialement défavorables aux banques… Mais aussi aux assureurs, aux caisses de retraite, comme à tous ceux qui ont besoin de rendement de leurs actifs pour assurer les prestations attendues d’eux.

Les banques sont-elles dès lors contraintes de chercher de nouvelles sources de revenus ?

Il est indéniable que la baisse de la marge d’intérêt que je viens d’évoquer nous pousse à diversifier nos sources de revenus. Certes, les banques peuvent d’abord essayer de compenser l’érosion des marges par un effet volume sur les encours, mais on ne peut pas aller bien loin dans ce domaine : soit on essaie de gagner des parts de marché – ce que, par définition, tout le monde ne peut pas faire en même temps –, soit les banques, en tant qu’agrégat, comptent sur l’expansion générale du volume des crédits à l’économie – ce qui est peu de saison en raison du niveau médiocre de la croissance.

Les banques, si on les considère en tant qu’agrégat, peuvent donc penser jouer sur l’augmentation des commissions, c’est-à-dire rechercher une meilleure et plus juste facturation de leurs services. On constate d’ailleurs depuis quelques mois une évolution légère en ce sens. Mais, là encore, ce n’est pas aussi facile qu’on l’imagine souvent. D’abord, l’encadrement de notre activité par les différents dispositifs de protection du consommateur plafonne les possibilités. Mais, en plus, la concurrence est vive et ne donne pas beaucoup de marges de manoeuvre. En outre, le contexte de taux bas pèse sur certains types de commissions. On comprend bien, par exemple, que les « commissions de placement » dans le domaine de l’assurance-vie ne peuvent pas être les mêmes dans un contexte où les contrats rapportent 2,5 % ou 3 % que lorsque la rémunération classique de l’épargnant était de 5 % ou 6 %. C’est la même chose pour l’asset management. Nous voyons donc, sur beaucoup de produits, nos commissions baisser au fur et à mesure de la baisse des taux d’intérêt.

Restent les nouveaux services. Mon sentiment est que leur spectre est limité par les besoins objectifs et les attentes du client à l’égard de leur banque, et par la nécessité de maintenir une offre cohérente et raisonnable.

Ainsi, il ne semble pas que nous soyons très légitimes comme agence de voyage ou vendeurs d’ordinateurs,par exemple.

C’est pour cette raison que de nombreux acteurs tentent aujourd’hui, faute de pouvoir accroître leurs recettes pour compenser l’érosion de la marge d’intérêt, de réduire leurs coûts de fonctionnement, en réduisant par exemple le nombre d’agences bancaires. À l’argument « technologique » – l’utilité des agences s’érode dès lors que les clients utilisent de plus en plus intensément nos plateformes digitales –, s’ajoute de fait aujourd’hui un nouvel argument plus financier : si l’on ne peut rémunérer par une marge suffisante la transformation des dépôts en crédits, le coût des grands réseaux des agences devient rédhibitoire. Si cette vision, qui n’est pas exactement la mienne, venait à prospérer avec le temps, des milliers d’emplois seraient potentiellement en jeu dans la banque de détail.

Voyez que l’impact opérationnel du contexte monétaire que nous évoquons est loin d’être négligeable ! S’il existe donc des stratégies possibles de « sortie par le haut » de banques spécifiques, le secteur dans son ensemble est voué à faire face à des difficultés de rentabilité réelles.

L’écrasement des rendements pousse-t-il par ailleurs les banques à prendre plus de risques ?

On pourrait l’imaginer, mais ce n’est pas le cas. La nouvelle réglementation prudentielle laisse en effet de moins en moins de place à la prise de risques.

Précisément, quel est votre avis sur le rôle des ratios prudentiels dans le contexte de faible croissance et de taux très bas, voire négatifs, que l’on connaît aujourd’hui ?

En tant que banquier et professeur d’économie, je suis convaincu de longue date qu’il est nécessaire de mettre en œuvre des règles prudentielles et des politiques macro-prudentielles pour la raison toute simple que les marchés ne s’autorégulent pas d’eux-mêmes – cela a été mis en évidence dans de nombreuses contributions théoriques, mais aussi et surtout, hélas, dans les faits, avec la crise de 2008 notamment. La finance est intrinsèquement procyclique. La régulation prudentielle a donc un rôle crucial pour éviter autant que possible l’instabilité financière.

Mais il se trouve que les normes prudentielles mises en place depuis Bâle II, bien fondées sur bien des points, incorporaient également un caractère procyclique problématique. Le risque calculé par les RWA (Risk-Weighted Assets), fondé sur des mesures historiques, à volume de crédit égal, baissait en effet lors de la phase euphorique du cycle, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, rendait possible une augmentation de l’effet de levier des banques et un accompagnement de la hausse de la demande généralisée de crédit. Cela favorisait alors l’accumulation de situations financières fragiles des ménages comme des entreprises, dans un contexte où l’euphorie précisément conduisait emprunteurs comme prêteurs à sous-estimer le risque. Symétriquement, au moment du retournement, le risque avéré réapparaissait en bloc dans le livre des banques, ce qui pesait très naturellement sur leur propension à prêter, mais en plus, la contrainte des ratios prudentiels se tendait car l’augmentation du coût du risque enregistrée se traduisait par une remontée des RWA, donc par une insuffisance de capitaux propres, entraînant ainsi une plus forte baisse encore de la capacité à prêter. Ce mode de régulation bancaire pouvait alors favoriser la formation de bulles, comme leur éclatement, et accentuer les cycles financiers. Il était donc indispensable de les refonder, ce qu’a fait Bâle III, notamment par la création d’un coussin de fonds propres contra-cyclique.

Les mesures prudentielles ne sont-elles pas, aussi, facteur de risque en tant qu’elles contribuent à créer une forme de bulle obligataire, en particulier sur les titres d’État ?

Les banques font face progressivement, depuis Bâle III, à un durcissement de la réglementation avec des ratios de solvabilité plus stricts : il leur est demandé de détenir plus de capitaux propres pour les mêmes RWA et le poids du risque dans le calcul des RWA est plus fort qu’auparavant, en particulier pour les crédits aux entreprises ou pour les risques de marché. En cas de redémarrage plus puissant de l’économie, cela pourrait constituer un risque d’insuffisante capacité des banques à accompagner la reprise. Par ailleurs, les ratios de liquidité favorisent incontestablement le fait que les banques investissent dans les titres souverains.

Voulez-vous dire que la régulation prudentielle pousse finalement au rationnement du crédit pour les entreprises ?

Jusqu’alors, on a vraiment accusé en France les banques à tort. Il n’y a pas eu de rationnement du crédit aux entreprises, et les indicateurs de la Banque de France comme de la BCE le montrent clairement. Reprenons le déroulement des sept années qui viennent de s’écouler. L’essentiel de la baisse de la distribution de crédit observée dans les années qui ont suivi 2008 s’expliquait par une moindre demande de crédit : les entreprises coupaient leurs dépenses d’investissement et empruntaient moins, de par l’évolution conjoncturelle défavorable à laquelle elles faisaient face et leur manque de confiance dans l’avenir. Aujourd’hui encore, d’ailleurs, des taux très bas, voire négatifs, ne suffisent pas à eux seuls à donner envie d’emprunter.

Il est vrai cependant que, lorsque l’économie réelle était au tapis à la suite de la crise financière, on a pu observer, pendant quelques mois, moins la réticence générale à prêter qu’on a reprochée aux banques, qu’une plus grande sélectivité, d’ailleurs parfaitement compréhensible. Ne pas prêter aux entreprises dont l’avenir est très fortement compromis fait partie du rôle normal des banques. C’est une fonction économique de la profession, qu’elle doit pleinement assumer : si les banques, n’exerçant pas pleinement la « contrainte monétaire », accordaient des prêts à des entreprises qui avaient vocation à disparaître, elles créeraient des distorsions sur les marchés de leurs clients et nuiraient au bon développement des autres entreprises, celles qui sont saines et viables.

Aujourd’hui, nous sommes sortis de cette période. En revanche, avec les nouveaux ratios de liquidité et de solvabilité, il va maintenant être progressivement plus difficile pour les banques de suivre une trajectoire de la demande de crédit qui s’améliorerait significativement.

Comment se retrouve-t-on dans cette situation alors même que l’objectif des autorités, politiques et monétaires, est de faciliter l’octroi de crédit par tous les moyens pour favoriser la croissance ?

La vérité est que les banques ont été considérées comme fautives de la crise, ce qui est, à mon avis, une vision à tout le moins parcellaire et sans doute fausse, en tout cas en Europe, même si on peut plaider qu’elles ont inévitablement été un facteur de propagation de la crise. On est aujourd’hui, à ce titre, dans une phase historiquement classique de « répression financière », post-crise de surendettement, marquée par des taux d’intérêt très bas et un durcissement des exigences qui pèsent sur les banques : on se dit qu’il faut à tout prix « éviter ça » pour l’avenir. Ce souci se traduit par une quantité de réglementations nouvelles ou durcies, cela au moment même où, de fait, l’on mobilise une politique monétaire visant à relancer le crédit avec l’usage d’instruments inédits, comme les taux négatifs justement ou le QE.

Le plus paradoxal est que, bien conscients de cette contradiction, les banquiers centraux semblent aujourd’hui, pour en sortir, inviter au développement de la désintermédiation et de la titrisation, qu’on vouait pourtant aux gémonies il y a quelques années seulement à raison du rôle qu’elles ont effectivement joué aux États-Unis dans l’accumulation de mauvais risques débouchant finalement sur la crise. Ainsi, on voit aujourd’hui des hedge funds, des assets managers, des assureurs, des mutuelles de santé et des gestionnaires de retraite prêter aux entreprises, alors qu’ils n’ont pas l’expertise historique des banques pour le faire. Il y a une asymétrie d’information considérable entre ces nouveaux prêteurs et ceux à qui ils prêtent. Certains, comme les hedge funds ne sont en outre pas ou peu régulés.

Ne doit-on pas cependant se féliciter de voir certaines entreprises, en particulier de belles ETI, avoir enfin accès au marché, en particulier grâce au développement de l’Euro PP ?

En théorie, certes. Mon sentiment est cependant qu’il convient d’être très prudent, car toutes les entreprises de taille moyenne ne peuvent effectivement pas supporter un tel type de financement sans se mettre en danger, en particulier en raison du mode d’amortissement de tels prêts. Les banques ont l’habitude de demander aux petites et moyennes entreprises de procéder à un remboursement annuel en leur accordant des crédits amortissables. C’est une saine pratique : l’entreprise sait alors qu’elle doit dédier une partie de son cash-flow annuel au remboursement de ses crédits et surveiller ses ratios de gestion. Les Euro PP sont très différents puisque, en y ayant recours, les entreprises peuvent se financer par exemple jusqu’à cinq ans avec un remboursement in fine. Le dispositif est d’autant plus attractif aujourd’hui que les taux sont très bas et les spreads peu élevés.

Dans le cas des grandes entreprises, qui émettent des obligations dans le cadre de programmes d’émission annuels élevés, un financement avec remboursement in fine s’apparente d’une certaine manière à un crédit amortissable, puisqu’on retrouve une forme d’échéancier d’amortissement : si par exemple l’horizon moyen des obligations émises annuellement est de sept ans, alors 1/7e des emprunts en cours doit être remboursé chaque année. En revanche, seuls certains types d’entreprises de taille moyenne sont en mesure d’émettre des Euro PP régulièrement. La plupart se créent donc devant elles une échéance unique et différée, ce qui signifie concrètement que, le moment venu, elles risquent de se retrouver face un mur de la dette qu’elles ne pourront surmonter que si elles sont capables, à ce moment-là, de réemprunter le montant total de l’emprunt qu’il leur faut rembourser d’un coup.

Deux inconvénients : premièrement, personne ne sait dans quelle situation l’entreprise se trouvera à ce moment-là et, deuxièmement, durant la durée de l’Euro PP, la contrainte de cash-flow a été levée pour elle – ce qui, dans certains cas, pourrait être une forme de pousse au crime.

Voulez-vous dire que seules les banques soient capables de distribuer du crédit sans prendre ni faire courir de risque excessif ?

Je crois évidemment tout à fait à l’utilité de la coexistence de la banque et des financements de marché ! Mais je ne crois pas que le marché soit obligatoirement autant approprié pour des entreprises de taille modeste. Le rôle de la banque est irréductible parce que la banque a une bonne connaissance de l’emprunteur et parce qu’elle garde le risque dans son bilan, ce qui l’amène, dans son propre intérêt, à ne pas prêter n’importe comment et à « monitorer » son client dans le temps.

On sait d’ailleurs que, aux États-Unis, la titrisation a été l’un des facteurs qui ont facilité le surendettement au début des années deux mille : les banques étaient en partie déresponsabilisées puisque, ne conservant pas le risque dans leurs livres, elles étaient moins sélectives sur les emprunteurs et ne les « monitoraient » plus par la suite. Il y a un problème majeur d’incitation à la sélection dans le financement par le marché dès lors que l’on sort du cas des très grands emprunteurs qui peuvent, à travers des agences de notation, comme à travers beaucoup de communication sur leur propre situation, payer le coût de l’information financière qui réduit l’asymétrie d’information. Ce défaut intrinsèque de la titrisation a été corrigé pour partie par certaines dispositions de Bâle III, qui exigent des banques qu’elles conservent un quota des risques liés aux crédits qu’elles titrisent. L’élan que l’on connaît aujourd’hui vers plus de désintermédiation pourrait être un facteur d’accroissement de l’instabilité financière, alors que le crédit bancaire est, lui, un facteur de stabilité s’il est bien régulé. La part de l’intermédiation bancaire détermine selon moi le niveau de stabilité d’un système financier dans son ensemble.

Les banques ne se contentent pas, en effet, de mobiliser l’épargne au service de l’investissement : ce sont des centrales de risque. Elles prennent sur elles les risques de contrepartie dans l’acte de crédit, les risques de taux d’intérêt et de liquidité dans l’acte de transformation (transformation des échéances courtes de l’épargne en échéances longues en moyenne du crédit). Les risques ne sont pas créés par les banques, mais gérés par elles, dont elles soulagent l’économie. Elles les gèrent prudemment, professionnellement et dans un cadre réglementé. Les marchés sont utiles à l’économie, mais eux laissent le risque de crédit de taux d’intérêt et de liquidité aux prêteurs ou aux emprunteurs, ce qui est tout à fait différent !

En augmentant la part de la désintermédiation, on ne va pas réduire le risque, on va le déplacer vers une multiplicité d’acteurs moins équipés que les banques pour le gérer. La question de la proportion entre banques et marchés, entre intermédiation et désintermédiation, est donc cruciale pour la stabilité financière. Tout comme la qualité, la pertinence et le champ d’application de la réglementation prudentielle elle-même, hautement indispensable d’ailleurs.

Cependant, comme vous l’avez dit plus haut, les évolutions sociologiques et technologiques d’une part et le contexte monétaire d’autre part semblent menacer la raison d’être même de la banque, en tout cas sur le marché des particuliers. Le business model de la banque « retail » survivra-t-il à ces secousses ?

Il y a indéniablement des changements profonds dans notre activité. Cela nous invite à revenir aux invariants économiques qui justifient notre existence, tout en assurant les changements indispensables pour prendre en compte la « révolution client », due à la révolution technologique. Le particulier a et aura toujours besoin d’un conseiller fiable et professionnel pour parler avec lui de ses projets de vie et être conseillé sur ses principaux crédits – immobilier en tête –, son épargne, sa protection retraite… Mais les particuliers exigent aujourd’hui plus de praticité dans leur relation avec la banque, par exemple avec l’utilisation en fort développement d’internet et des smartphones. Ils veulent également une plus grande pertinence du conseil qui leur est prodigué. Mais ils souhaitent toujours accéder à un interlocuteur qualifié et qui les connaît lorsqu’ils doivent prendre des décisions importantes. Miser sur le capital humain, donner plus de praticité et plus de valeur ajoutée au conseil bancaire, tout en utilisant la révolution technologique tant pour l’usage de ses clients que pour repenser sa propre organisation, est certainement un défi crucial, industriel et humain, de la banque de détail qu’il faut relever très vite.


*Interview réalisée en novembre 2015

Rapport Institut Messine abstract

Rapport complet

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Zone euro : crise et incomplétude, les solutions structurelles envisageables

Vous entendrez ici les interventions d’Olivier Klein et de Michel Aglietta dans le cadre de la table ronde « Europe : des institutions inadaptées ? » composée de Michel Aglietta, Pervenche Berès, Olivier Klein et David Thesmar et animée par Antoine Reverchon, journaliste au Monde.

L’autre table-ronde portait sur le thème « Europe, quels moteurs pour la croissance ? » et était composée de Patrick Artus, Gilbert Cette, Sandrine Duchêne et Jean Pisani-Ferry.

En savoir plus : http://www.journeeseconomie.org/blogjeco/index.php?

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«Réformes structurelles : les graphes»

13 graphes, en complément aux articles :

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action», publié dans les Echos du 17 juillet 2014,

«Les réformes structurelles sont difficiles, mais indispensables», publié dans le Monde le 20 mars 2014 »

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«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action»

Les réformes structurelles, qui améliorent le potentiel de croissance et l’efficacité d’une économie, sont aujourd’hui bien connues. La question n’est ni de droite ni de gauche. Il y a une urgence économique et sociale à enrayer le déclin français et défendre notre modèle en le rendant soutenable. Pourquoi alors éprouvons-nous autant de difficultés à résoudre les problèmes jumeaux de l’économie française, le manque de croissance et de réformes ?

Notre culture conflictuelle-droite/gauche, patrons/salariés, pays riches/pays pauvres, multinationales/peuples, etc.-, ne peut plus nous empêcher de voir la réalité et de mettre en place les solutions concrètes et pragmatiques qui s’imposent. 

Autre frein aux réformes : un Etat historiquement hyperpuissant et centralisateur. Cette organisation, jadis utile à la France, n’est plus adaptée à une société et à une économie globalisées et organisées en réseaux. Le digital bouscule les rapports d’autorité. Par son omniprésence, l’Etat intermédie la relation entre chacun et la société, entre chacun et les autres. Au lieu de se sentir responsable face à la collectivité, l’individu exprime une demande forte d’Etat. Chacun refuse alors les réformes, méfiant quant à la réalité de l’effort réclamé aux autres et questionnant l’incapacité de l’Etat à prendre en charge tous les problèmes. 

Simultanément se sont érigés, au fil du temps, des groupes d’intérêt corporatistes puissants. Et des syndicats trop faiblement représentatifs dans les entreprises privées. Résultat : un vide de construction du social, une sorte de «social corporatisme» doublé de «social technocratie»*. Difficile donc de penser symétriquement à ses devoirs autant qu’à ses droits et d’accepter les réformes. 

Ajoutons un mélange culturel historique qui fait trop souvent de la compassion l’alpha et l’oméga de l’action politique et du débat médiatique et nous empêche de voir les choses telles qu’elles sont ou de nous donner les moyens de les corriger. Compétitivité en déclin, chômage élevé, exclusion trop forte du marché du travail des jeunes, inégalité croissante des chances, niveau moyen relatif de compétence trop faible… Face à la réalité des faits, la compassion ne peut nous servir de politique et nous exonérer de bousculer quelques a priori et habitudes de pensée très spécifiquement françaises. 

Heureusement les Français prennent conscience des limites d’une compétitivité insuffisante. De règles trop lourdes. D’abus trop nombreux et non corrigés. Et de déficits publics permanents, dûs à une sphère publique qui n’a pas suffisamment recherché depuis longtemps l’efficacité du système, conduisant ainsi à des dépenses sur PIB (et de fait à des impôts) parmi les plus élevées d’Europe, alors que la qualité des prestations publiques ne se situe que dans la moyenne. 

Nos compatriotes appréhendent mieux, fort des exemples de nos voisins étrangers, les réformes nécessaires pour mettre fin à cette spirale suicidaire et protéger notre mode de vie et notre protection sociale. Pour permettre le mariage heureux et nécessaire du vivre ensemble et de l’envie d’entreprendre. Dans une société fondée sur l’équité. 

Cette prise de conscience nouvelle doit permettre aujourd’hui aux gouvernements de lutter contre ces atavismes spécifiquement français et de traiter de façon crédible ces questions afin que les Français cessent d’être parmi les peuples les plus pessimistes au monde quant à l’avenir collectif de leur pays. 

S’appuyant sur l’opinion, osant éventuellement les referendums pour contrer les oppositions corporatistes, nos gouvernements doivent avoir le courage de trouver le chemin du changement, d’en expliquer le sens et de convaincre. Baisser les dépenses publiques certes, mais avec un plan d’ensemble pour réorganiser efficacement la sphère publique. Mais encore réformer sans idéologie, notamment le marché du travail et le système de retraite, pour prendre en compte l’allongement de la durée de vie en équilibrant les comptes. Enfin, conduire des politiques de compétitivité, notamment en baissant la fiscalité et les cotisations sociales des entreprises. C’est l’ensemble de ces changements qui donnent la possibilité, dans les contraintes qui sont les nôtres, de protéger durablement notre niveau de vie et notre protection sociale, en combinant à moyen terme augmentation de la croissance et réduction des déficits publics. 

Reste un élément clé : en formuler la bonne programmation et le bon accompagnement. Gageons que si le chemin en est vertueux et résolu, le rythme en sera ajustable.

* Expression de Denis Olivennes

«En complément de l’article, 13 graphes»

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action

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« Oui à l’union bancaire européenne », publié dans Le Monde du 07-01-13

Les problèmes de la Zone Euro, apparus dès 2009-2010, ont pour cause première sa non complétude, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire optimale. Notamment, elle ne sait pas bien régler les divergences naturelles qui découlent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : certains pays se désindustrialisent, d’autres s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains territoires. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres, et avec pour corollaire l’évolution de la capacité ou du besoin de financement de différentes nations, c’est-à-dire de leur endettement extérieur.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on a assisté à deux phénomènes d’accélération, à deux cercles vicieux. Le premier, que l’on connait bien, vient de ce que lorsqu’on lutte soudainement et intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. Ce phénomène est renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu regard au ralentissement de la croissance, voire de la récession. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance par des politiques conjoncturelles appropriées lorsque cela est possible, et dans tous les cas par des réformes structurelles.

Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne ne boucle le risque bancaire et le risque souverain. On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan. De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les Etats, pris chacun séparément, pour prendre en charge le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’Etat espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur cet Etat et renforçait la boucle d’accélération des risques pré-citée.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif et essentiel d’une zone monétaire. Pourquoi ? Parce que, d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. En effet, il existe parfois une suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils s’aveuglent eux-mêmes. Une supervision au niveau européen est d’autant plus valable que nos banques sont aussi multi-nationales en Europe, afin d’assurer ainsi une homogénéité du contrôle prudentiel tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité. Mais l’argument central en faveur d’une supervision européenne tient au fait qu’il ne peut y avoir de solidarité acceptée sans supervision partagée. C’est pourquoi l’accord récent conditionnait la mise en place des autres éléments essentiels de l’Union bancaire.

Cette solidarité inquiète toutefois les banques en bonne santé parce qu’elles ont crainte d’avoir à pâtir de la situation des banques moins bien portantes. Or c’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. Au-delà des garanties de dépôts nationales existantes, des garanties de dépôts s’enclencheraient ainsi, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Cette solidarité interbancaire serait complétée par une solidarité entre les Etats de la Zone. Un système européen de résolution des crises, avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les Etats, devrait voir le jour pour éviter la seule recapitalisation des banques isolement par leur seul Etat donc pour mettre fin au deuxième cercle vicieux évoqué ci-dessus.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tousles problèmes de la zone euro ?

A elle seule, l’Union bancaire ne résoudra pas tous les problèmes, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Sera-t-il suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse à ce jour : le montant du fonds d’intervention – qui évidemment sera déterminant – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir.

L’annonce de cette Union bancaire, de même que les déclarations essentielles de la BCE précisant qu’elle pourrait intervenir, sous certaines conditions, de façon illimitée, en achetant la dette de certains Etats de la zone, ont permis de restaurer le calme sur les marchés financiers et d’aborder les problèmes de fond.
Pour résoudre durablement les dysfonctionnements de la Zone Euro, la mise en place nécessaire d’une Union bancaire doit encore être accompagnée de la création d’une Union de transferts budgétaires, qui implique à l’évidence une Union de supervision des budgets nationaux et une véritable coordination des politiques économiques des pays de la Zone.

Espérons que l’avènement d’une Union bancaire européenne complète soit proche et marque le début du sursaut européen.

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Crise de la zone euro et nécessaire union bancaire européenne

Je commencerai par une mise en perspectives. Les problèmes de la zone euro en ce moment viennent fondamentalement du fait qu’elle n’est pas complète, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire classique. Notamment, on ne sait pas très bien régler les divergences naturelles qui viennent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : il y a des pays qui se désindustrialisent, il y en a d’autres qui s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains pays. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on assiste à deux phénomènes d’accélération, deux boucles d’accélération, deux cercles vicieux. Le premier qu’on connaît bien évidemment, vient de ce que, lorsqu’on lutte intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance.

Cette boucle se met en place via le recul de la croissance – dû à l’augmentation des impôts et à la baisse des dépenses publiques – qui tend à contrecarrer les efforts de la réduction du déficit public . Ce phénomène renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu égard au ralentissement de la croissance, voire de la récession.
Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne en boucle le risque bancaire et le risque souverain.

On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan . De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les États, eux-mêmes isolés, pour prendre en compte le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’État espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur l’État et renforçait la boucle d’accélération des risques dont je viens de parler.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif d’une zone monétaire et elle en est essentielle. Pourquoi ? Parce que d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles étant parfois la suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils ne veulent pas voir les problèmes et qu’ils s’aveuglent eux-mêmes.

On parle souvent de « capture » (c’est un mot à la mode en ce moment) nationale du régulateur. Le fait d’organiser une supervision au niveau européen a l’avantage de supprimer cette question de capture et d’imposer à tous une qualité de supervision identique. C’est d’autant plus valable – c’est le deuxième argument – que nos banques sont aussi multinationales en Europe, et qu’il est beaucoup plus simple de ne pas se contenter de juxtaposer des régulations et des supervisions nationales et de se fier à une supervision directement européenne, quitte à ce qu’elle comporte évidemment des démembrements nationaux. Cela assure une homogénéité tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité de la supervision.

Le deuxième élément de l’Union bancaire européenne, c’est certainement une solidarité interbancaire au niveau européen. Mais cette solidarité inquiète les banques qui vont bien parce qu’elles ont peur d’être « embarquées » par les banques qui vont moins bien. C’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. C’est-à-dire qu’il pourrait y avoir, au-delà des garanties de dépôt nationales existantes, des garanties de dépôt qui s’enclencheraient, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Enfin, c’est le fait de mettre en place un système européen de résolution des crises avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les États, pour éviter la seule recapitalisation des banques par leur seul État isolé qui ne fait rien d’autre sinon d’aggraver la boucle que j’ai évoquée. Ce Fonds d’intervention direct pourrait intervenir directement comme on l’imagine auprès de banques de certains pays sans passer par l’État, ce qui briserait précisément ce cercle vicieux.

La fonction de l’Union bancaire européenne est donc de rassurer. Elle devrait permettre de rassurer les clients des banques fragiles de certains pays en difficulté et éviter les bank run. On est bien là dans la prévention des risques systémiques et tout à fait bien dans la régulation.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tous les problèmes de la zone euro ?

Non à elle seule, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Est-ce que ce sera suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse pour le moment : le montant des fonds d’intervention – évidemment, ce sera crucial – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir. Restons optimistes et espérons qu’il sera possible d’aller jusqu’au bout de la logique de l’union bancaire et de ses objectifs.

L’Union bancaire ne résoudra pas à elle seule les problèmes de fond structurels de la zone euro. Mais c’est un premier pas et un pas essentiel pour restaurer le calme et aborder les problèmes de fond. Il ne faudrait pas que l’Union bancaire soit un substitut à un fédéralisme plus poussé, d’autant plus que l’Union bancaire apporte de toutes façons une mutualisation du risque de la dette : s’il y a des fonds qui sont nourris par les États au niveau européen pour intervenir sur les banques, cela signifie que les États mutualisent une partie de la dette qui va permettre de résoudre le problème. Pourquoi pas ? Mais il faut que cela soit assumé ou assumable, et que cela ne serve pas à éluder la question de la mise en place nécessaire d’une union de supervision et de transferts budgétaires qui comprenne également une véritable coordination des politiques économiques. On peut espérer que l’Union bancaire européenne, qui a été décidée, marquera le début du sursaut européen.

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