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Zone euro : crise et incomplétude, les solutions structurelles envisageables

Vous entendrez ici les interventions d’Olivier Klein et de Michel Aglietta dans le cadre de la table ronde « Europe : des institutions inadaptées ? » composée de Michel Aglietta, Pervenche Berès, Olivier Klein et David Thesmar et animée par Antoine Reverchon, journaliste au Monde.

L’autre table-ronde portait sur le thème « Europe, quels moteurs pour la croissance ? » et était composée de Patrick Artus, Gilbert Cette, Sandrine Duchêne et Jean Pisani-Ferry.

En savoir plus : http://www.journeeseconomie.org/blogjeco/index.php?

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«Réformes structurelles : les graphes»

13 graphes, en complément aux articles :

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action», publié dans les Echos du 17 juillet 2014,

«Les réformes structurelles sont difficiles, mais indispensables», publié dans le Monde le 20 mars 2014 »

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«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action»

Les réformes structurelles, qui améliorent le potentiel de croissance et l’efficacité d’une économie, sont aujourd’hui bien connues. La question n’est ni de droite ni de gauche. Il y a une urgence économique et sociale à enrayer le déclin français et défendre notre modèle en le rendant soutenable. Pourquoi alors éprouvons-nous autant de difficultés à résoudre les problèmes jumeaux de l’économie française, le manque de croissance et de réformes ?

Notre culture conflictuelle-droite/gauche, patrons/salariés, pays riches/pays pauvres, multinationales/peuples, etc.-, ne peut plus nous empêcher de voir la réalité et de mettre en place les solutions concrètes et pragmatiques qui s’imposent. 

Autre frein aux réformes : un Etat historiquement hyperpuissant et centralisateur. Cette organisation, jadis utile à la France, n’est plus adaptée à une société et à une économie globalisées et organisées en réseaux. Le digital bouscule les rapports d’autorité. Par son omniprésence, l’Etat intermédie la relation entre chacun et la société, entre chacun et les autres. Au lieu de se sentir responsable face à la collectivité, l’individu exprime une demande forte d’Etat. Chacun refuse alors les réformes, méfiant quant à la réalité de l’effort réclamé aux autres et questionnant l’incapacité de l’Etat à prendre en charge tous les problèmes. 

Simultanément se sont érigés, au fil du temps, des groupes d’intérêt corporatistes puissants. Et des syndicats trop faiblement représentatifs dans les entreprises privées. Résultat : un vide de construction du social, une sorte de «social corporatisme» doublé de «social technocratie»*. Difficile donc de penser symétriquement à ses devoirs autant qu’à ses droits et d’accepter les réformes. 

Ajoutons un mélange culturel historique qui fait trop souvent de la compassion l’alpha et l’oméga de l’action politique et du débat médiatique et nous empêche de voir les choses telles qu’elles sont ou de nous donner les moyens de les corriger. Compétitivité en déclin, chômage élevé, exclusion trop forte du marché du travail des jeunes, inégalité croissante des chances, niveau moyen relatif de compétence trop faible… Face à la réalité des faits, la compassion ne peut nous servir de politique et nous exonérer de bousculer quelques a priori et habitudes de pensée très spécifiquement françaises. 

Heureusement les Français prennent conscience des limites d’une compétitivité insuffisante. De règles trop lourdes. D’abus trop nombreux et non corrigés. Et de déficits publics permanents, dûs à une sphère publique qui n’a pas suffisamment recherché depuis longtemps l’efficacité du système, conduisant ainsi à des dépenses sur PIB (et de fait à des impôts) parmi les plus élevées d’Europe, alors que la qualité des prestations publiques ne se situe que dans la moyenne. 

Nos compatriotes appréhendent mieux, fort des exemples de nos voisins étrangers, les réformes nécessaires pour mettre fin à cette spirale suicidaire et protéger notre mode de vie et notre protection sociale. Pour permettre le mariage heureux et nécessaire du vivre ensemble et de l’envie d’entreprendre. Dans une société fondée sur l’équité. 

Cette prise de conscience nouvelle doit permettre aujourd’hui aux gouvernements de lutter contre ces atavismes spécifiquement français et de traiter de façon crédible ces questions afin que les Français cessent d’être parmi les peuples les plus pessimistes au monde quant à l’avenir collectif de leur pays. 

S’appuyant sur l’opinion, osant éventuellement les referendums pour contrer les oppositions corporatistes, nos gouvernements doivent avoir le courage de trouver le chemin du changement, d’en expliquer le sens et de convaincre. Baisser les dépenses publiques certes, mais avec un plan d’ensemble pour réorganiser efficacement la sphère publique. Mais encore réformer sans idéologie, notamment le marché du travail et le système de retraite, pour prendre en compte l’allongement de la durée de vie en équilibrant les comptes. Enfin, conduire des politiques de compétitivité, notamment en baissant la fiscalité et les cotisations sociales des entreprises. C’est l’ensemble de ces changements qui donnent la possibilité, dans les contraintes qui sont les nôtres, de protéger durablement notre niveau de vie et notre protection sociale, en combinant à moyen terme augmentation de la croissance et réduction des déficits publics. 

Reste un élément clé : en formuler la bonne programmation et le bon accompagnement. Gageons que si le chemin en est vertueux et résolu, le rythme en sera ajustable.

* Expression de Denis Olivennes

«En complément de l’article, 13 graphes»

«Manque de croissance et manque de réformes : le temps de l’action

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« Oui à l’union bancaire européenne », publié dans Le Monde du 07-01-13

Les problèmes de la Zone Euro, apparus dès 2009-2010, ont pour cause première sa non complétude, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire optimale. Notamment, elle ne sait pas bien régler les divergences naturelles qui découlent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : certains pays se désindustrialisent, d’autres s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains territoires. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres, et avec pour corollaire l’évolution de la capacité ou du besoin de financement de différentes nations, c’est-à-dire de leur endettement extérieur.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on a assisté à deux phénomènes d’accélération, à deux cercles vicieux. Le premier, que l’on connait bien, vient de ce que lorsqu’on lutte soudainement et intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. Ce phénomène est renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu regard au ralentissement de la croissance, voire de la récession. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance par des politiques conjoncturelles appropriées lorsque cela est possible, et dans tous les cas par des réformes structurelles.

Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne ne boucle le risque bancaire et le risque souverain. On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan. De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les Etats, pris chacun séparément, pour prendre en charge le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’Etat espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur cet Etat et renforçait la boucle d’accélération des risques pré-citée.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif et essentiel d’une zone monétaire. Pourquoi ? Parce que, d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. En effet, il existe parfois une suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils s’aveuglent eux-mêmes. Une supervision au niveau européen est d’autant plus valable que nos banques sont aussi multi-nationales en Europe, afin d’assurer ainsi une homogénéité du contrôle prudentiel tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité. Mais l’argument central en faveur d’une supervision européenne tient au fait qu’il ne peut y avoir de solidarité acceptée sans supervision partagée. C’est pourquoi l’accord récent conditionnait la mise en place des autres éléments essentiels de l’Union bancaire.

Cette solidarité inquiète toutefois les banques en bonne santé parce qu’elles ont crainte d’avoir à pâtir de la situation des banques moins bien portantes. Or c’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. Au-delà des garanties de dépôts nationales existantes, des garanties de dépôts s’enclencheraient ainsi, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Cette solidarité interbancaire serait complétée par une solidarité entre les Etats de la Zone. Un système européen de résolution des crises, avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les Etats, devrait voir le jour pour éviter la seule recapitalisation des banques isolement par leur seul Etat donc pour mettre fin au deuxième cercle vicieux évoqué ci-dessus.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tousles problèmes de la zone euro ?

A elle seule, l’Union bancaire ne résoudra pas tous les problèmes, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Sera-t-il suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse à ce jour : le montant du fonds d’intervention – qui évidemment sera déterminant – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir.

L’annonce de cette Union bancaire, de même que les déclarations essentielles de la BCE précisant qu’elle pourrait intervenir, sous certaines conditions, de façon illimitée, en achetant la dette de certains Etats de la zone, ont permis de restaurer le calme sur les marchés financiers et d’aborder les problèmes de fond.
Pour résoudre durablement les dysfonctionnements de la Zone Euro, la mise en place nécessaire d’une Union bancaire doit encore être accompagnée de la création d’une Union de transferts budgétaires, qui implique à l’évidence une Union de supervision des budgets nationaux et une véritable coordination des politiques économiques des pays de la Zone.

Espérons que l’avènement d’une Union bancaire européenne complète soit proche et marque le début du sursaut européen.

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Crise de la zone euro et nécessaire union bancaire européenne

Je commencerai par une mise en perspectives. Les problèmes de la zone euro en ce moment viennent fondamentalement du fait qu’elle n’est pas complète, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire classique. Notamment, on ne sait pas très bien régler les divergences naturelles qui viennent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : il y a des pays qui se désindustrialisent, il y en a d’autres qui s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains pays. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on assiste à deux phénomènes d’accélération, deux boucles d’accélération, deux cercles vicieux. Le premier qu’on connaît bien évidemment, vient de ce que, lorsqu’on lutte intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance.

Cette boucle se met en place via le recul de la croissance – dû à l’augmentation des impôts et à la baisse des dépenses publiques – qui tend à contrecarrer les efforts de la réduction du déficit public . Ce phénomène renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu égard au ralentissement de la croissance, voire de la récession.
Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne en boucle le risque bancaire et le risque souverain.

On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan . De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les États, eux-mêmes isolés, pour prendre en compte le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’État espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur l’État et renforçait la boucle d’accélération des risques dont je viens de parler.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif d’une zone monétaire et elle en est essentielle. Pourquoi ? Parce que d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles étant parfois la suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils ne veulent pas voir les problèmes et qu’ils s’aveuglent eux-mêmes.

On parle souvent de « capture » (c’est un mot à la mode en ce moment) nationale du régulateur. Le fait d’organiser une supervision au niveau européen a l’avantage de supprimer cette question de capture et d’imposer à tous une qualité de supervision identique. C’est d’autant plus valable – c’est le deuxième argument – que nos banques sont aussi multinationales en Europe, et qu’il est beaucoup plus simple de ne pas se contenter de juxtaposer des régulations et des supervisions nationales et de se fier à une supervision directement européenne, quitte à ce qu’elle comporte évidemment des démembrements nationaux. Cela assure une homogénéité tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité de la supervision.

Le deuxième élément de l’Union bancaire européenne, c’est certainement une solidarité interbancaire au niveau européen. Mais cette solidarité inquiète les banques qui vont bien parce qu’elles ont peur d’être « embarquées » par les banques qui vont moins bien. C’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. C’est-à-dire qu’il pourrait y avoir, au-delà des garanties de dépôt nationales existantes, des garanties de dépôt qui s’enclencheraient, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Enfin, c’est le fait de mettre en place un système européen de résolution des crises avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les États, pour éviter la seule recapitalisation des banques par leur seul État isolé qui ne fait rien d’autre sinon d’aggraver la boucle que j’ai évoquée. Ce Fonds d’intervention direct pourrait intervenir directement comme on l’imagine auprès de banques de certains pays sans passer par l’État, ce qui briserait précisément ce cercle vicieux.

La fonction de l’Union bancaire européenne est donc de rassurer. Elle devrait permettre de rassurer les clients des banques fragiles de certains pays en difficulté et éviter les bank run. On est bien là dans la prévention des risques systémiques et tout à fait bien dans la régulation.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tous les problèmes de la zone euro ?

Non à elle seule, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Est-ce que ce sera suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse pour le moment : le montant des fonds d’intervention – évidemment, ce sera crucial – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir. Restons optimistes et espérons qu’il sera possible d’aller jusqu’au bout de la logique de l’union bancaire et de ses objectifs.

L’Union bancaire ne résoudra pas à elle seule les problèmes de fond structurels de la zone euro. Mais c’est un premier pas et un pas essentiel pour restaurer le calme et aborder les problèmes de fond. Il ne faudrait pas que l’Union bancaire soit un substitut à un fédéralisme plus poussé, d’autant plus que l’Union bancaire apporte de toutes façons une mutualisation du risque de la dette : s’il y a des fonds qui sont nourris par les États au niveau européen pour intervenir sur les banques, cela signifie que les États mutualisent une partie de la dette qui va permettre de résoudre le problème. Pourquoi pas ? Mais il faut que cela soit assumé ou assumable, et que cela ne serve pas à éluder la question de la mise en place nécessaire d’une union de supervision et de transferts budgétaires qui comprenne également une véritable coordination des politiques économiques. On peut espérer que l’Union bancaire européenne, qui a été décidée, marquera le début du sursaut européen.

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Les effets probables du nouvel environnement réglementaire et financier des banques sur l’épargne et le financement de l’économie

En remarque préliminaire, je souhaiterais revenir sur un propos de mon prédécesseur à la table ronde. Je ne crois pas que l’on puisse affirmer que la seule épargne utile à l’économie soit celle qui s’investit directement sur le marché des actions. Pour financer l’économie, il y a les actions, mais également le crédit. L’épargne placée pour partie en assurance-vie est ensuite réinvestie par les assureurs dans les actions mais également et surtout dans les obligations (d’Etat comme d’entreprise). C’est un financement utile à l’économie. L’épargne placée directement dans le bilan des banques sert, quant à elle, évidemment à financer l’ensemble de l’économie : les ménages, les professionnels, comme les entreprises. Elle est essentielle et incontournable pour un bon financement de l’économie, la plupart des agents économiques ne pouvant en effet se financer que grâce aux crédits bancaires, puisqu’ils n’ont ni assez de visibilité, ni assez de surface pour émettre des titres sur les marchés financiers.

Je reviens d’abord brièvement sur l’évolution de l’épargne des ménages hors immobilier. En 2010, l’épargne placée dans le bilan des banques représente 30 % de l’épargne totale des ménages. Le chiffre des encours est assez stable sur cinq ans, puisqu’en 2005 ce chiffre s’élevait à 34 %. Ce chiffre recouvre les livrets (hors livret A, replacé à la Caisse des Dépôt à hauteur des deux tiers pour financer le logement social), les plans d’épargne, les comptes à terme, etc. Le livret A lui-même représentait 5 % de l’épargne des ménages en 2005 et 6 % en 2010 ; l’assurance-vie, représentait 41 % en 2005 et 47 % en 2010 ; enfin les titres, aussi bien obligations, qu’actions ou OPCVM, représentaient 17 % en 2010 contre 20 % en 2005. On observe donc une assez grande stabilité des comportements d’épargne, due en partie à l’assez grande stabilité de la fiscalité sur les revenus de l’épargne.

Le taux d’épargne, quant à lui, me paraît moins déterminé par le niveau des taux d’intérêt que par l’évolution de la conjoncture et de la confiance des ménages. En revanche, la composition de l’épargne dépend assez fortement de l’évolution dela courbe des taux d’intérêt (taux courts, taux longs) et évidemment de la fiscalité. L’évolution écenter le montre bien. La montée des dépôts à vue enregistrée l’année dernière est ainsi liée à la faiblesse des taux d’intérêts courts, gommant la différence avec la rémunération des livrets.

Les livrets A ont monté à leur tour dans la foulée de la remontée du taux en juillet. Les PEL ont remonté à la suite au réajustement de leur taux. Dans l’assurance-vie, on a assisté à une baisse de la collecte au premier trimestre 2010, de l’ordre de 40 %. La baisse des taux offerts par l’assurance-vie l’a rendue moins attractive par rapport aux autres placements. De plus, a pesé dans le choix des ménages l’incertitude sur la fiscalité de l’assurance-vie. Enfin, on assiste depuis 2009 à une reprise des montants placés sur les actions et obligations. Cette reprise reste modeste par rapport aux niveaux antérieurs, les Français ayant été détournés, par les crises financières successives,des placements en actions et obligations.

J’aimerais à présent dire quelques mots sur la réglementation prudentielle du secteur financier. De façon structurelle, la réglementation prudentielle de l’assurance-vie provoquera des changements certains dans le financement de l’économie, par les moindres montants qui seront placés par les assureurs-vie dans les actions, ce qui ne sera pas sans effet sur la croissance potentielle. La régulation des banques doit également être bien pesée. Chacun comprend qu’il est nécessaire d’assurer la sécurité du système financier national et mondial.

Il s’agit d’une nécessité absolue puisque de cette sécurité découle la capacité des économies à survivre. Il est donc légitime et utile de vouloir mieux réguler. Il convient néanmoins de prendre garde, dans les choix de régulation des assureurs comme des banques, à ne pas empêcher tout e prise de risque. En effet, si l’on empêche tout risque, on s’expose à la possibilité de figer toute l’économie.

A cet égard, il est intéressant de noter que ces nouvelles régulations ne concernent que la vingtaine de grandes banques américaines, alors qu’il en existe des multitudes de taille plus modeste. Les nouvelles régulations concernent en revanche toutes les banques européennes. En Asie, Bâle III ne semble pas être un fort sujet de préoccupation pour les banques. Attention donc que l’application très stricte de la régulation en Europe, si cette régulation s’avéraittrop « risk adverse », n’y freine exagérément la croissance.
Bâle III comporte deux volets.

Le premier repose sur l’augmentation des capitaux exigés en fonction du niveau des engagements des banques. Cette exigence peut probablement être satisfaite par les banques, sans fortes conséquences macro-économiques, même si elle suppose des efforts certains et en particulier de mettre en réserve davantage de résultats. Cette exigence renforcée semble saine et nécessaire pour mieux prévenir d’autres crises financières.

Le deuxième volet a trait à deux nouveaux ratios dits de liquidité. Ces derniers seront applicables à partir de 2015 ou 2018, mais seront mesurés dès 2012. Ils visent d’une part à accroître dans de fortes proportions la nécessité de détenir l’épargne des clients dans les bilans bancaires pour pouvoir faire crédit, en diminuant ainsi le recours des banques aux marchés financiers et au refinancement auprès des Banques Centrales. D’autre part, à limiter la transformation de ressources à court terme financiers ou d’épargne en crédit à moyen ou long terme.

Or les conséquences de l’application de ces deux ratios paraissent en l’état un peu étranges au regard de l’analyse de la crise précédente. La crise que nous venons de vivre est celle notamment de la titrisation mal faite : les banques, notamment anglo-saxonnes, ont voulu se débarrasser des crédits parfois insuffisamment prudents et ont eu recours à des supports de titrisation vendus à des personnes physiques ou morales qui n’en comprenaient bien souvent ni le fonctionnement ni surtout le contenu. Par une ironie de l’histoire que je n’ai pas le temps d’expliciter ici, de très nombreuses banques et assureurs dans le monde entier ont fini par détenir ces actifs toxiques.

Une incertitude totale quant à la solvabilité de chacun est alors apparue et a provoqué une crise de liquidité majeure, personne ne voulant plus prêter à personne. Aujourd ’hui, les ratios de liquidité imposés par la nouvelle réglementation mettent en avant le risque de fuite des déposants. Or ce risque n’a absolument pas été constaté en France. Je ne prétends pas qu’il faille négliger ce risque. Mais, on peut penser que ces ratios, de par leurs effets induits, rendront plus rares et / ou plus chers les crédits, et inciteront en France les banques à titriser bien davantage.

En outre, ces nouveaux ratios réduiront une partie de l’utilité économique réelle des banques en limitant leur transformation de ressources à court terme en crédits à moyen et long terme. En effet, aussi bien les ménages que les entreprises pour des raisons évidentes préfèrent placer leur argent à court terme et emprunter à moyen-long terme, ce qui rend économiquement nécessaire la transformation bancaire, car les marchés financiers ne peuvent que très imparfaitement remplir ce rôle.

Ainsi, les nouveaux ratios de liquidité pourront avoir deux conséquences. Premièrement, les banques devront titriser davantage, alors qu’elles ne le faisaient pas ou très peu auparavant en France, ce qui peut sembler paradoxal. Deuxièmement, le coût de l’épargne longue, plus recherchée, tendra à augmenter, avec le risque d’un renchérissement du crédit, voire d’une baisse de l’activité de crédit des banques, si l’épargne ne se déplaçait pas suffisamment vers les bilans bancaires. Ces évolutions auraient évidemment pour conséquence un ralentissement de l’économie, toute chose égale par ailleurs.

Les banques françaises seraient en outre parmi les plus défavorisées dans le monde par la nouvelle réglementation. En effet, elles sont celles dont l’activité de titrisation était la plus réduite et dont l’épargne était la plus désintermédiée (du fait du poids de l’assurance-vie, de l’épargne réglementée et des OPCVM monétaires). Les banques françaises seraient ainsi parmi les plus mal placées au regard des nouveaux ratios de liquidité, alors même qu’elles sont de celles qui ont le mieux résisté à la crise et qu’elles n’ont rencontré aucun problème de retrait de dépôt. Les conséquences sur le financement de l’économie, donc sur la croissance, pourraient donc être non négligeables.

REPONSE AUX QUESTIONS

Olivier Klein

Je ne répondrai pas à toutes les questions, mais je donnerai quelques idées qui peuvent éventuellement venir en réponse à certaines de ces questions.

Je ferai d’abord, et j’espère que vous m’en excuserez, un plaidoyer pro domo. L’épargne, depuis la globalisation des marchés financiers, est naturellement tant potentiellement que réellement internationale ; mais il existe aussi une épargne nationale. Quand vous placez vos économies dans une banque régionale, cette dernière prête dans sa région. Or je représente ici 37 banques régionales. Toutes les Banques Populaires et toutes les Caisses d’Epargne financent l’économie de leur région à hauteur de 100 % de l’épargne reçue. Il ne faut pas oublier ces circuits courts de financement.

Je suis d’accord avec une partie des propos de Monsieur Sterdyniak concernant l’instabilité financière, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec ses conclusions. Il existe une instabilité financière intrinsèque. Elle est évidemment perturbante pour la croissance économique. Dès lors, il me semble qu’il est nécessaire que les régulateurs essaient de lutter contre cette instabilité.

Cependant, la régulation prudentielle ne peut pas à elle seule répondre à cette instabilité. Il faut aussi prendre en compte la dimension du court ou long termisme dans lequel se placent les acteurs financiers. Les marchés financiers sont essentiellement court-termistes, pour des raisons qui sont liées intrinsèquement à l’incertitude radicale quant au futur dans laquelle se placent les acteurs, tout aussi bien qu’à leurs règles et contraintes de jeu. En revanche, on peut lutter contre ce phénomène par la fiscalité de l’épargne, si l’on parvient à airef en sorte que cette dernière favorise le long terme par rapport au court terme. Pour favoriser des placements à long terme et faire en sorte qu’ils soient stables et ne « tournent » pas sans cesse, il n’est pas anormal de privilégier les personnes qui placeront sur des fonds de long terme, à rotation lente, ou qui choisiront des types de placements qui permettent des financements longs.

Enfin, pour favoriser la croissance, il faut assurer une stabilité de l’environnement financier, mais aussi maintenir la capacité d’une économie à prendre des risques. Je suis d’accord avec Monsieur Sterdyniak sur le fait que le crédit compte et comptera très majoritairement dans le financement de l’économie, par rapport aux marchés financiers. Les nouvelles règlementations prudentielles doivent ainsi prendre garde de ne pas favoriser, par effets induits, une marchelisation accrue de la finance.

Cependant, une économie a aussi besoin d’une capacité à prendre un niveau de risque suffisant pour permettre cette croissance. Le crédit ne peut pas toujours financer des entreprises innovantes ou des start-ups, tout simplement parce qu’une sur deux périclite dans les cinq ans de leur création et que les marges de crédit ne peuvent pas être suffisantes pour couvrir ce type de risque.

Ces entreprises ont donc besoin de capitaux propres. L’investissement dans ces entreprises innovantes peut ainsi être incité par la fiscalité puisque la part de risque prise est beaucoup plus élevée, notamment dans le cadre d’entreprises naissantes et pointues. Dans le même temps, il ne faut pas déresponsabiliser les acteurs qui financent ces entreprises. Même s’il convient de les aider, ils doivent demeurer co-responsables du risque qu’ils prennent.

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