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Economie Générale

«La crise financière : enseignements et perspectives»

J’articulerai mon propos autour de trois axes :

  • Les causes de la grande crise financière et économique de 2007-2009
  • Les causes de la crise de la Zone Euro
  • Les enseignements. Quels enseignements peut-on en tirer ? Les a-t-on tirés ? A-t-on résolu cette crise ou peut-elle rebondir ?

I) Les causes de la crise financière de 2007-2009

  • Remontons un peu en amont pour tenter d’expliquer d’où vient cette crise. Et tout d’abord au violent krach de 2000 qui correspond à l’éclatement de la bulle technologique. Le CAC 40 en juin 2000 était à 7000 et en mars 2003 à 2300. C’est donc un krach boursier gigantesque. Rappelons qu’il y a eu, entre 2000 et 2003, le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, qui a sapé un peu plus les bases de la confiance. En 2002-2003 en outre, a été découvert qu’un certain nombre d’entreprises, et parfois parmi les plus grandes, avaient cédé à la créativité comptable. On se rappelle des bilans falsifiés d’ENRON, de WORLDCOM ou de PARMALAT, par exemple. Cela avait entraîné une crise de confiance considérable et une violente crise du crédit, puisqu’en 2003 il y a eu une quasi-disparition de la liquidité sur le marché des obligations d’entreprises. Tous les grands groupes quasiment ne pouvaient pratiquement plus emprunter sur les marchés financiers et leur prime de risque s’est élevée vertigineusement.
    Ces événements conjugués ont conduit à une forte récession et à une crainte de déflation qui n’était pas feinte. Heureusement, la FED et les différentes banques centrales ont réagi fortement et assez rapidement en lâchant les liquidités et en baissant les taux. Rappelons que le taux directeur de la FED en 2000 était à 6%/7% et qu’en 2003 il était à 1%. Une division quasiment par 7 des taux d’intérêts en très peu de temps. Cela mesure aussi l’importance de la crise. Avec l’intervention indispensable de la FED et des autres banques centrales, on a connu un environnement de taux bas jusqu’en 2004 et on a réussi à éviter une récession mondiale plus forte encore. L’action sur les taux d’intérêt a en effet soutenu, en l’occurrence, pas tant le marché des actions que le marché de l’immobilier, ce qui a permis, par un effet richesse, au consommateur américain de servir de « consommateur en dernier ressort ». Ainsi, fin 2003-début 2004, la croissance est repartie.
  • Le deuxième élément de contexte, est la mondialisation, qui contribue également à expliquer la crise de 2007-2009. La mondialisation est évidemment le fait des pays émergents, qui choisissent un mode de développement, à partir des années 2000, très différent que celui choisi par les pays asiatiques, avant qu’il n’échoue avec la crise de 1997-1998. Ce dernier était fondé sur la consommation interne et a buté sur des contraintes de balances courantes, avec un retournement très brutal des marchés de capitaux trop euphoriques antérieurement.
    En 1997, on a vu se retirer soudainement, et avec un effet de panique, les capitaux qui s’étaient investis à court terme dans les pays émergents, à la recherche de rendements élevés. Les pays émergents, et notamment asiatiques, en en tirant la leçon, ont cherché un autre mode de développement leur étant plus favorable. Ils ont adopté un modèle fondé sur l’exportation, en allant chercher la demande des pays développés.
    Cela est totalement légitime et rationnellement fondé sur leurs avantages comparatifs, qui étaient un faible coût du travail, donc des prix très compétitifs sur certaines gammes de produits. Le modèle s’est également développé sur la base de devises sous-évaluées pour faciliter leurs exportations, donc pour soutenir leur dynamique de croissance. Durant les années 2000, les capacités de production des émergents se sont accrues fortement. Dès lors, l’offre mondiale a fini par connaître des surcapacités de production importantes, puisque simultanément les pays développés, qui se faisaient en conséquence contester leur propre production sur certaines gammes, n’ont évidemment pas baissé leur propre niveau de production à due proportion. Et la demande interne des pays émergents ne tirait pas encore la croissance mondiale par un surcroît de demande suffisante.
    L’offre mondiale de biens et services s’est ainsi retrouvée supérieure à la demande, avec pour corollaire une épargne mondiale très forte et supérieure à l’investissement. C’est ce que Bernanke, l’ancien président de la FED, quand il était encore professeur, a appelé le « saving glut », « l’excès d’épargne ». Effectivement, les pays émergents eux-mêmes épargnaient beaucoup puisqu’ils ne consommaient que peu, avec des revenus en accroissement. Ils ont ainsi dégagé des excédents d’épargne considérables qui n’étaient pas suffisamment absorbés par un surcroît d’investissement interne. Les taux d’intérêts ont donc été structurellement bas parce que les capacités de financement mondiales étaient supérieures aux besoins de financement.
    Dans le même temps, les salaires réels des pays développés augmentaient très peu, voire pas, car la compétition mondiale salariale sur des branches d’activités données, sur les gammes de produits concernées, ne permettaient pas de continuer à autoriser des augmentations de pouvoir d’achat régulières. Cela a donc conduit à nouveau à une inflation très basse et à des taux d’intérêts très bas.
  • Troisième élément de contexte : le refinancement automatique du déficit de la balance courante américaine, qui est la contrepartie de ce qui précède. La Chine, les pays pétroliers et d’autres pays émergents décident, comme nous venons de le voir, de développer leur croissance par l’augmentation de leurs exportations, avec une consommation interne encore faible. Ils connaissent donc une croissance des excédents courants de leur balance des paiements.
    Symétriquement, les Etats-Unis connaissent en conséquence des balances courantes de plus en plus déficitaires. Mais, avec en outre des cours de change maintenus volontairement sous-évalués, ces déficits accentués n’agissent pas comme une contrainte pour une raison très simple : au fur et à mesure que les Chinois accumulent des réserves de change, par accumulation des excédents courants, ils les placent aux Etats-Unis. Donc ces capitaux se replacent aux Etats-Unis spontanément, finançant au fond sans douleur l’accroissement des dettes américaines (des particuliers, des entreprises, voire des Etats).
    Il y a en quelque sorte un recyclage automatique des excédents des pays émergents vers les pays déficitaires, et, en premier lieu, vers les Etats-Unis. Les taux longs, ici encore, restent donc très bas, puisque les dettes additionnelles américaines sont refinancées sans aucune difficulté, sans aucune tension. Et, dès début 2004, dès le retour de croissance, bien que la FED remonte ses taux courts de façon importante, jusqu’à 5%, les taux longs eux ne remontent pas ou peu. Cette décorrélation historique entre le mouvement des taux longs et celui des taux courts fait parler Greenspan, alors patron de la Banque Centrale américaine, de « conundrum », c’est-à-dire d’énigme. L’énigme était la suivante : « Comment, alors que la FED remonte significativement ses taux courts, les taux longs ne montent-ils pas de façon automatique ? ». La raison n’était probablement pas si énigmatique, comme nous l’avons vu.

Les conséquences du côté des emprunteurs privés ont été un endettement très facilité par des taux plus bas que le taux de croissance nominale, de 2003 à 2007. D’une certaine manière, tout s’est passé comme si au fond la surproduction mondiale née de la mondialisation, mondialisation non régulée, avait été occultée par l’accroissement de la consommation dans les pays développés, mais sur base d’un endettement progressivement insoutenable, c’est-à-dire débouchant sur une situation de réel surendettement.

L’augmentation de l’endettement des uns et des autres, sur fond de stagnation des pouvoirs d’achat dans les pays développés, a soutenu très artificiellement des niveaux de croissance qui sinon n’auraient pas pu être atteints.

L’endettement des ménages aux Etats-Unis en 2000 était de 100% de leur revenu disponible, en 2007 il était de 140%. En Espagne ou en Grande Bretagne, il est passé de 100% à 170%. En France, de 55% à 70% et, dans la Zone Euro de 65% à 85%. Le seul pays qui n’a pas connu d’augmentation de taux d’endettement des ménages est l’Allemagne : 70% en 2000, de même qu’en 2007.

Le taux d’endettement des entreprises est également monté de façon significative entre 2000 et 2007. Avec le retour à la croissance à partir de 2004, les emprunteurs comme les prêteurs sont entrés dans une phase euphorique oubliant les règles de prudence traditionnelles tant quant aux niveaux d’endettement, qui ont dépassé leur moyenne historique, que quant aux primes de risque qui se sont abaissées dangereusement, comme dans toute bulle de crédit. C’est l’effet d’un biais cognitif, bien connu que l’on appelle « l’aveuglement au désastre ».

On oublie, en effet, au fur et à mesure de l’éloignement de la dernière grande crise, le fait qu’une nouvelle crise de forte ampleur peut survenir à nouveau, de même que l’on oublie ses conséquences désastreuses. Plus le temps passe, moins on sait probabiliser le retour d’une crise catastrophique.

De ce fait, dans le domaine financier, on accumule des dettes progressivement, donc des positions fragiles, qui évidement se révèleront dangereuses quand la bulle crèvera avec le retournement de la conjoncture. Les banques, mais aussi les prêteurs de marché, abaissent leurs conditions d’octroi de crédit, commençant à demander moins de garanties, à accepter des marges plus faibles. La sélection devient moins forte, le niveau de levier monte. Parallèlement, les emprunteurs oublient les règles de prudence élémentaires.

Ajoutons que depuis le milieu des années 90, avec une accélération dans les années 2000, on a connu un phénomène qui a facilité cet endettement : la titrisation. La titrisation consiste, en effet, à sortir du bilan des banques des crédits pour en faire des objets marchands et à les vendre à des investisseurs financiers ou indirectement à des particuliers.

A partir de 2005, la titrisation a connu une trajectoire exponentielle, notamment dans les banques américaines. Les titrisations non réglementées se sont faites de la façon la plus anarchique qui soit. On a vu des titrisations de créances peu homogènes, des titrisations de titrisations…

La complexité ajoutée à l’opacité a conduit à une très grande difficulté à apprécier la véritable valeur de ces placements. En outre, la titrisation a permis à certaines banques de ne pas se sentir responsables des crédits qu’elles octroyaient. En effet, si une banque fait un crédit qu’elle titrise et revend ainsi peu après, elle peut s’exonérer tout à la fois d’une analyse sérieuse des risques de l’emprunteur comme du suivi (« monitoring ») du client emprunteur. Or il fait partie du rôle économique des banques de suivre et de conseiller le client ne serait-ce que pour éviter qu’il ne se surendette, qu’il s’agisse d’une entreprise comme d’un particulier.

Se généralise alors, dans certains types de banques, un comportement dit « d’aléa moral », puisqu’elles engendrent un surcroit de risque pour le système économique de par leurs propres actions. Enfin, la dissémination des objets titrisés au sein d’investisseurs non avertis comme prétendument avertis conduit à une incertitude générale sur qui détient le risque, sur les effets systémiques ou non de cette situation, donc au total ne permet plus d’avoir une véritable supervision prudentielle.

La théorie économique et financière traditionnelle, qui suppose qu’une diffusion large du risque est meilleure qu’une concentration dans des banques supervisées et professionnalisées pour les gérer, s’est révélée totalement erronée. Les montages de plus en plus sophistiqués (CDO, CDO de CDO, etc.) ont permis à de nombreuses banques d’investissement d’engranger des revenus croissants, puisque c’était elles qui en faisaient l’ingénierie financière, en en assurant le montage

Côté américain, le paroxysme de la titrisation a consisté dans le montage de certains crédits subprime. Dans nombre de cas, des crédits immobiliers étaient proposés à des personnes qui n’avaient pas les revenus pour pouvoir les rembourser. On a parlé à cet effet de crédits NINJA pour « No Income, no Job, no Asset ». Tout reposait sur l’idée que l’immobilier devait connaitre une évolution haussière de son prix permanente et qu’il suffirait de revendre le bien pour pouvoir rembourser, indépendamment des revenus récurrents des ménages. Au moment où ces titrisations se sont révélées problématiques, les détenteurs de ces véhicules de titrisation cherchant à se faire rembourser par le débiteur se sont parfois aperçus que même les documents contractuels n’existaient pas. C’était donc non seulement « No Income, no Job, no Asset », mais aussi parfois « No Document ».

Les investisseurs, qu’ils aient été particuliers ou spécialistes, ont été pris par un biais cognitif bien classique : l’effet d’ancrage. Effectivement, jusqu’à la fin des années 80, les taux d’intérêt longs s’établissaient à des niveaux très élevés. Les années 90 et 2000 n’ont cessé de voir ces taux baisser régulièrement et fortement.

Les investisseurs avaient en tête (c’est l’effet d’ancrage) des taux de rendement beaucoup plus élevés que ceux qui leur étaient proposés et qui étaient compatibles alors avec le taux de croissance économique et le taux d’inflation

Ils étaient donc en attente de proposition de rendement satisfaisant à leurs yeux, quitte à ne pas chercher à comprendre comment ces taux de rendement « anormaux » étaient possibles. C’est-à-dire quitte à ignorer un peu trop facilement le niveau de risque incorporé dans le placement, par des niveaux d’endettement élevé ou des cascades d’endettement, par exemple. Certaines entreprises, quant à elles, acceptaient d’élever leur niveau d’endettement afin de présenter un taux de rendement sur leurs actions (ROE) compatible avec les attentes des investisseurs, au prix parfois d’acrobaties comptables ou financières.

La période 2003-2004 jusqu’à 2007 a donc été une phase euphorique, peu différente en réalité des phases euphoriques du XIXème siècle ou de la première moitié du XXème siècle. Elles se composent de bulles de crédit, de bulles immobilières et / ou de bulles sur les actions. Dans la phase récente, nous avons assisté à une bulle immobilière et à une bulle de crédit, qui se sont auto-entretenues. Dans toutes ces phases euphoriques, l’aveuglement au désastre, (« desaster myopia ») s’amplifie. Les comportements de prévention s’émoussent alors au fur et à mesure du temps, provoquant de ce fait la possibilité même d’un retour de ces crises.

Pour conclure cette première partie, notons que la crise de 2007-2009 est bien une répétition de l’histoire, aggravée par un élément nouveau qu’est la titrisation. On a en effet connu une crise immobilière peu banale aux Etats-Unis, en Angleterre et en Espagne notamment. Conjointement, on a vu une crise de l’endettement et du levier (« leverage »), suivie naturellement d’un désendettement et d’un « deleveraging » généralisés qui se poursuivent encore et qui laissent à penser que pendant un temps certain la croissance devrait être très faible.

Ajoutons encore qu’une crise majeure de liquidité s’est faite jour, entremêlée à la crise de l’immobilier et à la crise du crédit et de l’endettement.

En 2008, survenait une crise de liquidité d’une violence inouïe. Face à l’incertitude fondamentale quant à qui détenait quoi et quant au contenu même des titrisations, plus personne ne voulait prêter à personne. Le marché inter-bancaire notamment était totalement figé. Si les banques centrales n’étaient pas intervenues massivement, il n’y aurait plus de banques. Une très grave crise de liquidité est également apparue en 2010-2011 pour les banques de la Zone Euro.

La globalisation financière mal régulée, à partir de 1987, a entrainé de facto la réapparition et la répétition de crises systémiques qui ont vu s’entremêler les trois formes de crises financières précitées.

II) Analyse de la crise de la Zone Euro

Je vais à présent faire porter l’analyse sur la crise de la Zone Euro. On pourrait dire que la crise de la Zone Euro est la conséquence de la crise financière mondiale précédente. Je ne suis pas totalement d’accord avec cette assertion. Pour autant un certains arguments sont vrais : les Etats ont connu un endettement public qui est monté à partir de la crise de 2008-2009, car d’une part certains Etats ont apporté des fonds à leurs banques pour les sauver, et d’autre part, la croissance s’étant effondrée, les Etats ont essayé de lutter de façon contracyclique et ont dépensé beaucoup plus, ce qui était assez légitime.

Cependant, dans les pays européens, cet accroissement des dépenses est venu s’ajouter dans certains cas à des dérives des finances publiques largement antérieures. La France, par exemple n’a pas connu de budget équilibré depuis 1974. Je crois beaucoup à l’efficacité de la politique budgétaire, et à l’utilité des déficits publics, mais à une seule condition, qu’ils soient temporaires et que lorsque la conjoncture s’améliore on connaisse des excédents.

Cela permet de s’endetter en temps utiles et de rembourser cet excès d’endettement quand les temps sont meilleurs. Des déficits permanents épuisent en réalité la politique budgétaire, car lorsque les niveaux d’endettement publics sont trop élevés, l’arme budgétaire n’est plus utilisable. La crise de la dette publique en Zone Euro, n’est cependant pas la simple conséquence de la crise financière précédente, puisque la même augmentation des taux d’endettement public, succédant à celle de l’endettement privé n’a pas posé les mêmes problèmes fondamentaux aux Etats-Unis, au Japon, ou ailleurs. Il y a bien un problème idiosyncratique de la Zone Euro. Pourquoi ? En consolidé, en effet, la Zone Euro ne connaîtrait pas de problème. Sa situation serait même meilleure que celle des Etats-Unis, et nettement meilleure que celle du Japon.

La création de la Zone Euro était un pari très intéressant et porteur, sous réserve soit de la compléter des ingrédients vitaux qui lui manquaient, soit de n’y faire entrer que des pays connaissant durablement une convergence économique forte. Deux écoles de pensée s’opposaient donc à la création de l’euro. Celle qui imaginait, dans la lignée de la création de l’Europe depuis l’origine, que les avancées économiques entraîneraient les avancées politiques. En effet, si une zone monétaire incorpore des pays qui ne sont pas tous semblables en termes de niveau économique comme d’évolution conjoncturelle, il est indispensable alors pour qu’une telle zone monétaire puisse fonctionner efficacement et durablement qu’elle connaisse trois attributs :

  • Une coordination des politiques économiques des pays composant la zone monétaire,
  • Un système de transferts fiscaux permettant, ainsi que cela se passe aux Etats-Unis, d’aider un Etat en difficulté transitoire, grâce à l’existence d’un budget fédéral,
  • Une mobilité de la main d’œuvre entre différents pays en fonction de l’évolution de leurs conjonctures réciproques, afin de ne pas accumuler de zone de chômage dans les Etats connaissant une phase conjoncturelle plus difficile.

Sous ces conditions, la création d’une monnaie unique facilite tout à la fois le commerce intra-zone et la stabilité des anticipations des acteurs économiques. Mais surtout, elle présente un intérêt fort, celui d’analyser la balance courante aux bornes de la zone monétaire et non de chacun des Etats la composant. Ce qui permet de ne pas freiner immédiatement la croissance d’un état qui connaîtrait une conjoncture économique plus favorable que les autres, par exemple du fait de sa démographie, alors que si la contrainte extérieure s’exerçait à ses bornes à lui, un tel différentiel de croissance entraînerait immédiatement un déficit de la balance courante qui nécessiterait tôt ou tard une politique restrictive pour rétablir l’équilibre de ses importations et de ses exportations. C’est ce bon cas de figure qui fonctionne entre les différents Etats des Etats-Unis.

La Zone Euro, malheureusement, ne comporte aucun de ces attributs :

  • la mobilité de la main d’œuvre : en Europe, elle est freinée car on y parle des langues différentes. Aux Etats-Unis, l’anglais est la langue parlée par tous. Cela facilite la mobilité. Historiquement, la mobilité géographique y est également plus forte qu’en Europe,
  • la coordination des politiques économiques : en Europe, il n’y a pas de gouvernement économique. Seule la France semble désirer un gouvernement économique européen, quelle que soit la couleur politique de son gouvernement. Il n’y a donc pas à proprement parler de coordination construite et obligatoire des politiques économiques qui permettrait, le cas échéant, d’organiser une relance en Allemagne pendant que les pays du sud seraient contraints de freiner pour rétablir les équilibres budgétaires, afin d’adoucir les effets économiques et sociaux de ce freinage,
  • les transferts budgétaires : le budget européen s’élève à environ 1% du PIB de l’Union Européenne. Et chacun des pays et des peuples ne se sent pas solidaire des autres et n’accepte pas l’idée d’un transfert nécessaire au bon fonctionnement de la zone monétaire. Evidemment, pour que de tels transferts existent, une condition nécessaire mais malheureusement insuffisante consiste à mettre en place une supervision fédérale des budgets nationaux.
    En effet, aucun peuple ne peut être solidaire s’il pense que cette solidarité est sans fond, voire incite même certains autres peuples à n’exercer sur eux-mêmes aucune discipline et favorise donc par là même un comportement d’aléa moral. Mais cette condition de supervision n’est pas suffisante, manque en Europe manifestement, pour des raisons historiques, comme certainement pour des raisons de volonté politique, une envie de partage, un désir de solidarité entre les Nations, facilités par un sentiment d’appartenance à une même communauté d’intérêts partagés.

Sans mobilité de la main d’œuvre, sans coordination des politiques monétaires et sans transferts budgétaires, le seul mode d’ajustement restant, en cas de choc asymétrique entre les pays de la zone, est pour les pays en difficulté de rechercher le moins disant social, le moins disant économique et le moins disant réglementaire. Chercher à faire de la dévaluation interne, puisque l’ajustement par le mouvement du cours de change n’est plus envisageable. Ce nouveau mode de régulation et d’ajustement conduit alors à un déficit de croissance durable dans la zone et à des difficultés sociales et politiques à moyen ou long terme devant l’obligation permanente de s’ajuster par le bas.

Cela ne signifie en rien que dans une zone monétaire complète les pays peuvent se permettre un quelconque laxisme ou qu’ils soient exonérés des réformes structurelles indispensables à la recherche de la compétitivité et au réhaussement de leur potentiel de croissance. Une zone monétaire complète ne les exonérerait pas davantage des efforts pour supprimer le caractère insoutenable de leur déficit et de leur dette publics. Mais à supposer que tous les pays aient réalisé leurs réformes structurelles, il n’en reste pas moins qu’une zone monétaire incomplète, c’est-à dire sans les attributs pré-cités, conduit inéluctablement à des pressions déflationnistes au sein de la zone. La Zone Euro est incomplète et comporte ce biais dangereux.

La deuxième école de pensée, à la création de la Zone Euro, reposait sur le postulat que toute forme de fédéralisme n’était soit pas souhaitable, soit pas réaliste. Les attributs d’une Zone Euro complète n’étaient donc, selon eux, pas envisageables. La solution consistait donc à faire en sorte que tous les pays participant à la zone soient semblables et partagent la même conjoncture. Aussi était-il nécessaire qu’ils respectent des critères de convergence (sur les taux d’inflation, sur les déficits publics, comme les dettes publiques) au moment de l’entrée dans la zone, comme par la suite. Ce faisant, cette école de pensée faisait elle-même plusieurs erreurs qui se sont avérées en tant que telles, au fil du temps.

La première erreur tient au fait que l’on a laissé rentrer dans la zone des pays qui n’étaient pas convergents. Soit parce qu’ils avaient « arrangé » leurs statistiques, et qu’on ne le savait pas, soit même parce qu’ils l’avaient fait, et qu’on le savait.

La deuxième erreur est que l’on n’a pas compris qu’une zone monétaire conduisait très probablement à une polarisation industrielle. Avec une monnaie unique, en effet, par construction il n’y a plus de variation de cours de change entre les pays participants. Cela induit de la part des entreprises la possibilité de ne produire que dans un seul pays de la zone pour profiter des meilleures conditions de production. Ces entreprises n’ont donc plus à s’implanter directement dans les différents grands pays concernés dans le but de ne pas avoir à subir des variations de cours de change capables d’abîmer la compétitivité de leurs usines.

Ajoutons qu’une seule politique monétaire pour des pays connaissant des situations divergentes peut aggraver ces divergences. En Espagne, par exemple, qui a connu un taux de croissance et d’inflation plus élevé que ceux de l’Allemagne, le taux d’intérêt fixé par la Banque Centrale Européenne pour l’ensemble de la zone s’est établi à un niveau inférieur à celui souhaitable pour l’Espagne elle-même, ce qui a permis un endettement sans douleur qui a favorisé notamment la bulle immobilière. Et pendant un temps long, un taux de croissance y a été tiré par l’accroissement de l’endettement des ménages, comme des entreprises.

La troisième erreur était une erreur de marché. Les marchés financiers, contrairement à la théorie traditionnelle, ne sont pas omniscients. Ils ne se trompent pas en permanence, mais ils se trompent souvent. Et en l’occurrence, avec la création de la Zone Euro, ils ont cru que la balance courante grecque ou espagnole ne devait pas être supervisée en tant que telle. Ils ont donc fait converger les taux longs de tous les pays de la zone vers le taux allemand. En conséquence, il n’y a eu aucun coup de semonce des marchés, aucun avertissement quant aux trajectoires non soutenables de certains pays de la zone. Les marchés n’ont pas joué leur rôle. Si, préalablement à l’avènement de la crise, les marchés avaient tiré les sonnettes d’alarme en faisant monter les taux d’intérêts longs pour avertir que leur risque s’élevait, eu égard à un endettement intérieur et à un déficit de balance courante difficilement soutenables, une contrainte macro-financière aurait alors pu s’exercer en amont et permettre d’éviter pour tout ou partie la crise.

En 2010, les marchés ont finalement pris conscience brutalement du fait de la divergence croissante de la Zone Euro et de son incapacité à s’autoréguler. Les deux écoles de pensée avaient en réalité failli. Aucun traitement de ce genre de situation n’avait été prévu par les autorités publiques, quelles qu’elles soient, au sein de la Zone Euro. De ce fait, pendant trop longtemps, la crise grecque a-t- elle était niée. Puis, lorsqu’elle a été reconnue comme un problème grave, trop de temps s’est écoulé pour la traiter.

Mais surtout, eu égard à l’absence des attributs précités constituant une zone monétaire complète, nous n’avons connu ni véritable coordination économique ni transferts assumés de subsides publics de pays les mieux lotis vers les pays les moins bien lotis, comme cela se fait pourtant utilement au sein des Etats-Unis.

Au-delà de la question spécifique de la Grèce, qui n’avait que très peu respecté les règles de base et de bon sens économique, le seul mode d’ajustement au sein de la Zone Euro s’est révélé être la demande d’efforts considérables à réaliser par chaque pays en difficulté pour abaisser les dépenses publiques, monter la pression fiscale et pour retrouver de la compétitivité par une dévaluation interne à la zone, c’est-à-dire par abaissement des coûts.

Cela conduit certes à un affaissement de la demande, qui à son tour permet rapidement une baisse des importations et de ce fait une réduction drastique du déficit courant. Mais ce genre de politique, en outre menée dans plusieurs pays à la fois, conduit inéluctablement à un ralentissement généralisé de la croissance.

Or, les recettes fiscales sont liées au niveau de croissance. On a donc eu une sorte de course-poursuite entre, d’un côté, la baisse des dépenses publiques associée à la compression des coûts et à l’augmentation des impôts, et, de l’autre, les moindres recettes fiscales dues au ralentissement induit de la croissance.

Cela ne signifie en rien pour autant que les réformes structurelles n’étaient pas strictement indispensables pour les pays concernés, car seules ces réformes sont susceptibles de rehausser le potentiel de croissance et d’assainir en profondeur la situation, en passant d’une croissance tirée par l’endettement à une croissance fondée sur les gains de productivité, l’innovation et la mobilisation de la population active. Toutefois, ces réformes structurelles, pour être réussies et acceptées, doivent être accompagnées d’une politique conjoncturelle qui ne soit pas elle-même dépressive.

La Zone Euro, face à ce manque d’institutions permettant la régulation, a alors connu la mise en place de deux cercles vicieux.

Le premier cercle vicieux est celui de la dette publique et des taux d’intérêt. Les politiques de dévaluation compétitive interne et d’abaissement des dépenses publiques, comme décrit ci-dessus, ont pour effet de comprimer la demande et d’affaisser la croissance, ce qui à son tour ne permet pas de faire rentrer les impôts au niveau espéré, donc de réduire autant que prévu les déficits budgétaires. La dette publique continuant ainsi d’augmenter, les marchés financiers accroissent leur méfiance quant à la soutenabilité de la trajectoire des finances publiques des pays en question. Ils font alors augmenter brutalement les taux d’intérêt longs de ces pays, accroissant en spirale les déficits publics de ces mêmes pays, leurs Etats devant emprunter de plus en plus cher. Le premier cercle vicieux se boucle alors de façon fatale.

Le deuxième cercle vicieux est celui qui relie les Etats aux banques. Les banques européennes détiennent en général des dettes de leur Etat, mais aussi, eu égard à l’intégration financière due à la création de la Zone Euro, des autres Etats de la zone. Lorsque certains de ces Etats sont considérés comme surendettés, les actifs correspondants des banques sont alors considérés comme potentiellement toxiques. S’enclenche alors le cercle vicieux suivant : les marchés financiers se méfient des banques considérées et leur prêtent beaucoup plus cher ou beaucoup moins de capitaux, ce qui les fragilisent beaucoup. C’est ainsi que les Etats apparaissent encore plus affaiblis, car éventuellement dans l’obligation de sauver leurs propres banques. Ce qui déclenche à nouveau une méfiance accrue vis-à-vis de ces mêmes banques.

Nous sommes sortis de ces deux cercles vicieux fatals grâce à deux mesures. La première : Mario Draghi lance un vaste programme de fourniture de liquidité aux banques européennes (VLTRO) et, plus encore, énonce à l’été 2012 que la Banque Centrale Européenne pourra acheter la dette publique des Etats de la Zone Euro dès lors que leur taux d’intérêt serait trop élevé et s’éloignerait spéculativement de leur taux d’équilibre. Mario Draghi ajoute : « Whatever it takes ». Par cette annonce, le Président de la BCE a réussi à dompter les marchés, permettant ainsi aux taux d’intérêts longs des Etats en difficultés de revenir sur une trajectoire bien plus soutenable, c’est-à-dire à un niveau plus proche de celui de la croissance économique nominale. La BCE détient in fine significativement moins de dette publique des Etats membres que réciproquement la Banque d’Angleterre ou que la FED.

La deuxième a été la mise en place de l’union bancaire européenne. Celle-là comprend trois éléments. Tout d’abord, pour qu’une solidarité puisse s’exercer valablement, il convient d’accepter une supervision au niveau fédéral. C’est ainsi que la supervision des grandes banques européennes s’est déplacée du niveau national au niveau fédéral, au siège de la BCE à Francfort. La solidarité quant à elle s’exerce à deux niveaux. Après avoir appliqué des règles de « bail in », soit de renflouement des banques en difficulté par leurs propres actionnaires et créanciers, pourra intervenir un fonds mutualisé entre les banques européennes pour sauver la banque qui connaîtrait encore des difficultés sérieuses. Second pilier de la solidarité : un fonds de garantie interbancaire des dépôts des clients.

III) Enseignements et perspectives

Pour conclure, peut-on penser aujourd’hui que tous les problèmes de fond de la Zone Euro sont résolus ? La confiance à court terme est de mise, principalement parce que la BCE est crédible dans sa volonté d’intervention, si la situation devait empirer. Pourtant les pays considérés de la Zone Euro parviendront-ils à redresser leur situation, grâce au temps que Mario Draghi leur a acheté avec beaucoup de talent ? De nombreux pays dits « périphériques » de la zone ont redressé significativement leur solde de balance courante. Le temps semble jouer favorablement. Mais si l’on y regarde de plus près, c’est essentiellement, comme nous l’avons noté précédemment, la baisse de la demande qui a joué. La restructuration des appareils productifs et la réindustrialisation, si elle se fait, ne pourra se faire que lentement. Le désendettement des acteurs économiques, privés ou publics, prend également du temps. La conséquence en est un niveau de croissance très bas pour une durée significative, avec des taux de chômage en corrélation. Les questions portent donc sur la patience des populations quant à ces phénomènes durables. La montée des populismes et du sentiment anti-européen n’y est pas étrangère. A nouveau, il ne s’agit en aucun cas d’une mise en cause des réformes structurelles trop longtemps repoussées et strictement nécessaires, mais de la difficulté d’abaisser les dépenses et de provoquer le désendettement dans de nombreux pays simultanément et à un rythme élevé.

Enfin, reverra-t-on des crises financières ? Notre opinion est qu’elles sont inéluctables dans le monde tel qu’il est. D’une part parce que la finance est intrinsèquement instable et que l’on vit depuis trente ans des cycles financiers faisant se succéder des phases euphoriques  avec des bulles de crédit comme du prix des actifs patrimoniaux – actions et immobilier notamment -, et des phases dépressives avec éclatement de ces mêmes bulles, réapparition des crises de liquidité, donc avec des crises financières majeures.

Les réglementations financières et bancaires sont nécessaires, mais à supposer qu’elles soient parfaitement efficaces, elles ne tendraient qu’à adoucir les hauts et les bas, sans pour autant abolir la succession de ces phases. D’autre part, les réglementations prudentielles elles-mêmes ne sont pas exemptes d’erreurs. De temps en temps, elles tentent de corriger les causes de la crise précédente avec une sous-estimation des causes futures. Enfin, certaines réglementations excessives ou mal calibrées peuvent elles-mêmes accroître la pro-cyclicité de la finance, voire engendrer les prochaines crises.

Il est à notre avis ainsi possible d’atténuer l’instabilité financière par de bonnes mesures et une bonne réglementation prudentielle, mais illusoire de prétendre la supprimer. De même, il est absolument indispensable de réglementer les banques. Mais, il serait dangereux de vouloir trop abaisser le niveau de risque pris par elles, alors que leur utilité économique et sociale réside dans le fait même d’être des centrales de risque – de crédit, de taux d’intérêt, de liquidité, etc.- et de gérer ces risques professionnellement et de façon supervisée. Ce serait très certainement provoquer une instabilité bien plus grande encore que de repousser ces risques hors des banques sur du « shadow banking » et hedge funds peu ou pas contrôlés ou sur les entreprises et les ménages eux-mêmes qui ne sont pas armés pour le faire.

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Fonder l’entreprise du XXIe siècle. Intervention d’Olivier Klein aux rencontres économiques d’Aix, juillet 2014

Allons-nous passer du « capitalisme actionnarial » au « capitalisme partenarial » qui permettrait de prendre en compte à la fois l’intérêt des actionnaires, des clients, des salariés et de la société toute entière et, dans l’affirmative, avec quels modes d’organisation ?

Regarder l’intégralité du Parcours 4 « Inventer le nouvel environnement de l’investissement »

Lire le texte complet de l’intervention d’Olivier Klein aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence

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« Les réformes structurelles sont difficiles, mais indispensables », publié dans Le Monde du 20 Mars 2014

Des pays comme les pays nordiques et le Canada notamment ont enclenché ces réformes dans les années 1990 de façon très réussie. L’Allemagne dans la première moitié des années 2000, avec succès également. L’Espagne et le Portugal les mènent activement, mais en pleine crise, et le coût social, au moins à court terme, en est de ce fait élevé. En France, quelle que soit la couleur du gouvernement, ces réformes structurelles sont très difficiles à mettre en place. Pourtant il existe une assez forte convergence d’idées. Quelques-unes méritent d’être rappelées :

1 – Le coût du travail est crucial pour la compétitivité d’une économie, mais uniquement rapporté à la productivité du travail. En Allemagne, le coût du travail n’est en moyenne que légèrement inférieur à celui de la France, mais ce pays bénéficie d’une économie compétitive et d’une balance courante largement excédentaire, d’une croissance assez élevée et d’un chômage faible. En France, avec un coût de travail seulement légèrement plus élevé, on a l’inverse. Cela est dû à un coût du travail corrigé des gains de productivité qui a fortement augmenté en France dans les années 2000 par rapport à l’Allemagne et à une gamme et une qualité moyennes de la production française, alors qu’outre-Rhin la spécialisation s’est plutôt faite sur le haut de gamme. Il convient donc d’avoir en France un coût du travail corrigé de la productivité en adéquation avec sa gamme de production.

L’accroissement de la productivité du travail, facteur de croissance économique, est donc nécessaire pour augmenter les revenus sans perte de compétitivité. Tout comme la recherche d’une production haut-de-gamme, les gains de productivité demandent de la recherche-développement et de l’investissement. Pour cela, encore faut-il bénéficier d’un taux de profit suffisant dans les entreprises. Or, depuis dix ans, la France est l’un des très rares pays de l’OCDE à avoir vu baisser le taux de profit de ses entreprises. Comment alors financer l’investissement, la modernisation, l’innovation et la montée en gamme ? Pour inciter à l’innovation, il faut également accroître la concurrence dans certains secteurs encore trop protégés.

En revanche, pour les personnes à faible qualification dans des secteurs structurellement moins haut de gamme, rechercher un coût du travail plus bas est indispensable à leur emploi. Les études empiriques le démontrent clairement. Cet abaissement peut se faire soit par les charges sociales, soit par le salaire lui-même, en complétant alors le revenu par des prestations sociales adaptées pour assurer un niveau de vie décent.

2 – L’augmentation de la population au travail – qui, comme les gains de productivité, est un déterminant de la croissance économique potentielle – doit conduire notamment à une réforme du marché du travail, en limitant les rigidités telles que les effets de seuil, la complexité des lois sociales… Il faut également accélérer l’incitation à retrouver un emploi. Or, il existe une corrélation empirique solide entre le taux de chômage et la longueur, le niveau et surtout la dégressivité de la protection du chômage. Cette réforme ne peut qu’aller de pair avec une meilleure formation et un accompagnement amélioré du retour à l’emploi. Il s’agit ici de développer la « flexi-sécurité ». Parallèlement, il est indispensable de mener une réforme des retraites par augmentation du nombre d’années de cotisation, afin d’accroître la population en âge de travailler. Ce sera d’ailleurs la seule façon, comme l’ont déjà fait tant d’autres pays européens, de stimuler la croissance tout en résolvant l’impasse du financement du régime des retraites. Tout abaissement du niveau des retraites, comme tout prélèvement additionnel sur les actifs, a un effet dépressif sur l’économie.

3 – L’augmentation du potentiel de croissance et de la compétitivité passe aussi par la recherche d’un service public plus efficient, c’est-à-dire du meilleur rapport entre l’utilité et la qualité du service public et le niveau des dépenses publiques. Or, en France, nous sommes sur le podium européen des dépenses publiques comme des prélèvements obligatoires sur PIB, mais pour un service public rendu (sécurité sociale, collectivités locales, Etat) qui se situe dans la moyenne européenne. Autrement dit, l’efficacité n’est pas au rendez-vous, pendant que la dette publique s’accumule dangereusement. Les réformes s’imposent donc.

Ma part d’optimisme : il semble que, de plus en plus, les Français comprennent, forts des exemples étrangers, que le niveau de la protection sociale et des services publics a été artificiellement maintenu depuis longtemps par un endettement public croissant, aujourd’hui insoutenable. Les efforts à réaliser sont donc mieux appréhendés, ainsi que la nécessité de rechercher un meilleur équilibre des droits et des devoirs de chacun afin de protéger l’essentiel, c’est-à-dire une société équitable à haut niveau de vie et à forte protection sociale, qui favorise tout à la fois le vivre ensemble et l’envie d’entreprendre.

Les réformes pouvant être à court terme coûteuses socialement et ne produire leurs effets favorables qu’à deux ou trois ans, leur conduite doit être couplée avec des mesures dont les effets peuvent être visibles à court terme en termes de soutien de l’économie et de l’emploi. La baisse significative des charges sociales sur les bas salaires couplée à une hausse de la TVA peut avoir cet effet. Reste donc aux gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, à expliquer le sens et la nécessité des réformes, à en trouver la bonne programmation et le bon accompagnement, et à en assurer la justice dans leur application.

 «En complément de l’article, 13 graphes»

 Les réformes structurelles sont difficiles mais indispensables

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Crises et mutations, vers de nouvelles opportunités ?

Nouvelle revue de Géopolitique

Les crises économiques font souvent l’objet d’analyses qui s’inscrivent dans des perspectives de temps plus ou moins courts. J’exposerai ici volontairement une vision de long terme des crises, non sans avoir au préalable rappelé cette réflexion d’Antonio Gramsci : « Une crise est ce qui sépare le vieux du neuf ».

Dans une approche plutôt « régulationniste », on peut dire que chaque crise profonde du capitalisme est le temps d’une mutation fondamentale portant sur un ensemble d’éléments qui constitue et organise la société et l’économie. Ce sont des moments de forte transition dont on peut constater, a posteriori, qu’elles ont engendré de nouveaux modes de régulation et de nouveaux modes d’organisation de la société et de l’économie. En général, ils mettent en jeu de nouvelles industries motrices, de nouvelles organisations du travail, de nouveaux modes de consommation, souvent de nouveaux modes de combinaison du privé et du public, comme de nouveaux centres de l’économie mondiale. À mon sens, nous sommes actuellement dans cette phase de mutation forte et de crise profonde qui, avec l’apparition progressive de ce renouveau, pourra s’accompagner, comme cela s’est produit à chaque fois dans l’Histoire, d’une phase longue de croissance et de forts gains de productivité.

Une économie en transition.
Aujourd’hui, je dénombre quatre transitions principales.

La première transition, la mondialisation et l’émergence de nouveaux pays, s’est déroulée en deux phases.

La première phase, notamment à la fin des années 1990 et tout au long des années 2000, voit les pays émergents concentrer leurs efforts sur ce qui va déterminer leur succès – les industries exportatrices –, en tirant notamment avantage de leur coût du travail bas. Ces industries bénéficient de la demande des pays déjà développés et provoquent une surproduction mondiale car, parallèlement dans les pays développés, il n’y a pas autant de destruction de capacités de production. De ce fait, cette surproduction mondiale et cette concurrence à coûts bas produisent un ralentissement, voire une stagnation, des pouvoirs d’achat des populations des pays développés. Ce phénomène conduit à une montée de l’endettement qui permet à la crise de surproduction de ne pas se manifester violemment. L’endettement croissant des agents des pays développés autorise, pendant cette période, un développement de la demande au niveau mondial, masquant ainsi les conséquences qu’aurait dû avoir la stagnation du pouvoir d’achat associée à des capacités mondiales de production trop fortes. Cette montée de l’endettement, qui concerne tous les agents économiques et, en premier lieu, les agents privés, dégénère en crises de surendettement qui entraînent des crises financières et économiques profondes venant aggraver brutalement l’endettement public. À cette croissance de l’endettement de plus en plus forte du monde développé, correspond une montée des déséquilibres des balances de paiements, avec des déficits courants au Nord et, symétriquement, des excédents courants au Sud.

La seconde phase de la mondialisation est celle de la maturité grandissante des pays émergents. Apparaissent progressivement une classe moyenne, puis une augmentation de son pouvoir d’achat et, peu à peu, des systèmes de protection sociale et de retraite. Il est alors probable que se développe une croissance interne qui va, de façon chaotique, rééquilibrer progressivement les déséquilibres précédents.

La deuxième transition est engendrée par la première : la phase de désendettement. Historiquement, les phases de désendettement, dans des contextes de crises d’endettement aussi fortes, sont initiées avec brutalité, mais se réalisent sur de longues périodes, de 5 à 10 ans. Elles se résolvent avec des leviers de différentes natures, alternatives ou complémentaires, comme une dépréciation des créances, une croissance nulle ou très ralentie avec un lent abaissement du taux d’endettement par la montée de l’épargne et la réduction ou la limitation de la consommation, de l’investissement, comme des dépenses de l’État. Elles s’accompagnent de risques de déflation. Nous sommes actuellement dans cette période pour la zone euro prise dans son ensemble. Une autre issue des crises de surendettement peut être la montée de l’inflation, lorsque les circonstances le permettent, l’inflation ne se décrétant pas.

La troisième transition est celle de l’évolution démographique. Elle est très bien connue, mais le vieillissement de la population n’en est pas moins un phénomène essentiel dans de nombreux pays émergents et développés, à l’exception de l’Afrique. Elle pose des questions fondamentales quant au coût des systèmes sociaux, de la sécurité sociale et des retraites qui rebondissent sur la question de l’endettement. Nous les avons partiellement traitées jusqu’alors en France par la montée de l’endettement de ces systèmes.

La quatrième transition repose sur la transition énergétique, enjeu majeur de ce siècle. La fin programmée de l’énergie fossile, avec l’épuisement progressif de ces ressources, devrait avoir pour conséquence une augmentation des prix des matières premières, avec pour corollaire une décélération de la croissance mondiale. Cette lutte renforcée pour les sources d’énergie provoque une modification des rapports de force entre les pays producteurs et non producteurs de ressources naturelles et, si le progrès technique le permet, la lente apparition, non linéaire et sans certitude, d’énergies de substitution qui pourraient desserrer plus ou moins les contraintes sur la croissance.

Vers un renouveau industriel ?

Ces transitions majeures évoquées, il faut se pencher, sans prétention à l’exhaustivité ni même quant à leurs succès, sur ce que pourraient être les moteurs du renouveau qui permettraient de sortir progressivement de cette crise, laissant apparaître de nouveaux modes de régulation permettant un retour à une phase longue de croissance. Chaque grande phase du capitalisme a vu apparaître de nouvelles industries motrices porteuses d’évolutions fondamentales de l’espace économique, des façons de produire et de consommer, des marchandises elles-mêmes, des modes de travail et de loisirs… Nous sommes ainsi passés notamment du moteur à vapeur qui a permis le chemin de fer, au moteur à explosion qui a permis l’automobile puis au moteur électrique qui a permis l’électroménager. Trois moteurs potentiels, porteurs d’avenir, méritent d’être mis en avant ici.

Le premier, le numérique, dont le développement est déjà important, mais dont les impacts en sont, à mon avis, encore à leurs prémices. Qu’il s’agisse de la transformation des modes de consommation, de travail, des business model entre producteurs et distributeurs, entre distributeurs et consommateurs, entre producteurs et consommateurs, avec à la clé l’apparition de nouveaux gains de productivité, il me semble que nous sommes encore très éloignés de la fin de ce développement. La révolution numérique donne un pouvoir accru aux consommateurs, en mesure de devenir beaucoup plus exigeants car mieux informés des prix, mais aussi de la qualité des produits et services, grâce aux données collectées sur internet. Cette révolution leur permet aussi d’accroître leur confort par l’amélioration considérable de la praticité qu’ils peuvent en attendre : aujourd’hui, grâce à internet, on ne fait plus la queue pour acheter des billets de cinéma ou de train ; de même, on se déplace de moins en moins pour son acte de consommation, puisque l’on peut acheter directement depuis son ordinateur et se faire livrer. Les business model en sont largement modifiés. Les distributeurs, s’ils savent fidéliser leurs clients et les travailler pro-activement par l’utilisation intelligente des données qu’ils détiennent, prennent eux-mêmes du pouvoir sur les producteurs en se mettant en situation de proposer des solutions mieux adaptées qu’auparavant à chaque consommateur individu, en fabriquant la solution avec le client devenu « consom’acteur ». Dans cette nouvelle relation, les distributeurs prennent le pouvoir sur les producteurs en les mettant en compétition, à la recherche de la meilleure combinaison de produits et de services appropriés à chaque client. Et, dans le cas où le distributeur ne développe pas une légitimité suffisante, le producteur peut l’évincer et s’adresser directement au consommateur.

Ces modifications radicales dans les relations entre les producteurs, les distributeurs et les consommateurs permettront une recomposition de tous les circuits. Il sera ainsi opéré une sélection drastique des combinaisons entre ces trois catégories d’acteurs, faisant émerger les plus efficaces et permettant les meilleurs gains de productivité.

Le deuxième moteur de renouveau est la biotechnologie. Ses développements peuvent notamment être induits par le désir de lutter contre le vieillissement de la population, lorsque cette demande s’avère solvable. Ces biotechnologies, qui se perfectionnent jour après jour, permettront demain de réparer son corps et de mieux lutter préventivement contre la maladie. Enfin, dans un avenir proche, le développement des machines biotechnologiques permettra de remplacer différentes parties du corps, approfondissant dans le même temps le domaine de la marchandise.

Enfin, l’énergie, secteur clé regroupant les énergies renouvelables, les technologies de stockage d’énergie – véritable problème de fond – comme les économies d’énergie, sera une clé essentielle de la croissance future à cause du développement de ces industries et car elles desserreront les contraintes induites par l’épuisement progressif des énergies fossiles.

Une transformation sociale et sociétale ?

En parallèle et en cohérence avec ces nouveaux moteurs industriels, nous assistons à l’émergence progressive de nouveaux modes de consommation. Ils sont la conséquence de la digitalisation, de nouvelles technologies, des effets de réseaux y afférant, du pouvoir d’achat stagnant et de l’évolution des mentalités (y compris de la prise de conscience de la rareté croissante des ressources naturelles). Des changements s’opèrent dans les consommations incompressibles, dont l’orientation évolue de la propriété de l’objet vers son usage. Par exemple, acquérir un téléphone aujourd’hui ne correspond plus au simple achat du matériel : nous acquérons la possibilité d’avoir accès à un catalogue d’applications et aux services du téléphone et du réseau internet. Nous avons maintenant accès au cloud computing et la possession d’ordinateurs à très fortes capacités de mémoire diminuera en conséquence. Nous achetons de moins en moins de livres, de CD ou de films qui sont de plus en plus loués. Tout comme l’achat du seul service d’une automobile pour un simple trajet va se développer en ville. Nous parlons encore de chauffage ou de climatisation, mais, à l’avenir, nous achèterons plus un service de régulation thermique dans chaque pièce de notre habitation et aux moments choisis que l’énergie elle-même permettant de l’obtenir. Ces pratiques vont croître avec le temps. À leur tour, ces nouveaux modes de consommation induisent des évolutions radicales dans les business model des entreprises et dans l’organisation économique, ainsi que de nouvelles possibilités de croissance.

Parallèlement aux nouvelles consommations, apparaissent également de nouveaux modes de travail et peut-être de nouvelles normes salariales. Ce n’est que le début, mais nous observons déjà le développement du travail à distance, ou en réseau, grâce aux nouvelles technologies. Le travail hors du bureau et sans horaires fixes commence à se répandre, avec pour corollaire des interrogations sur les évolutions des modes de rémunération.

Faciliter l’agilité pour une sortie par le haut

Comme dans toute crise et mutation profondes, nous sommes face à des évolutions heurtées, incertaines et douloureuses. On voit alors des zones géographiques, comme des strates de population, qui peuvent se révéler gagnantes ou perdantes. Il faut espérer qu’un pays comme la France sache choisir (car il s’agit bien d’un choix) les politiques structurelles qui favoriseront les leviers d’une sortie de crise par le haut. Nous avons besoin de faciliter l’agilité pour nous transformer, pour tirer parti de nos atouts et de nos savoir-faire et pour réduire les zones de freins à la nécessaire adaptation, de même que les zones d’inefficience. Nous en avons les moyens, à condition de bien donner le cadre législatif, réglementaire et incitatif qui en favorisera la mise en œuvre.

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Difficiles mais indispensables réformes structurelles

En France, le potentiel de croissance annuelle est d’environ 0,8 – 1 %. C’est très faible. Or, la croissance s’avère cruciale pour augmenter le niveau de vie, permettre d’abaisser les déficits publics et équilibrer les systèmes sociaux sans drame, donc mettre sous contrôle l’endettement public sans violente cure d’austérité. Et les réformes structurelles sont le passage obligé pour augmenter le potentiel de croissance.

Des pays comme les pays nordiques et le Canada notamment ont enclenché ces réformes dans les années 90, de façon très réussie. L’Allemagne dans la première moitié des années 2000, avec succès également. L’Espagne et le Portugal les mènent activement, mais en pleine crise et le coût social, au moins à court terme, en est de ce fait très élevé. En France, quelle que soit la couleur du gouvernement, ces réformes structurelles sont très difficiles à mettre en place.

Pourtant il existe une convergence d’idées dans tous les rapports publiés, rapports Camdessus, Pébereau, Gallois, Attali 1 et 2. Au fond, et si l’on passe sur les détails, tout le monde exprime la même chose, qui correspond d’ailleurs à l’analyse économique tant théorique qu’empirique : le potentiel de croissance d’une économie est déterminé à moyen terme par les gains de productivité du travail, autrement dit avec le progrès technique et l’intensité capitalistique, qu’aiguillonne la concurrence, et par l’augmentation de la population active.
Les réformes préconisées par tous consistent donc, pour augmenter notre potentiel de croissance, à favoriser les deux facteurs principaux qui la déterminent, les gains de productivité et l’augmentation de la population au travail ou prête à travailler.


Quelques idées méritent donc d’être rappelées :

  1. Le coût du travail est crucial pour la compétitivité d’une économie, mais uniquement rapporté à la productivité du travail. En Allemagne, le coût du travail en moyenne n’est que légèrement inférieur à celui de la France, mais ce pays bénéficie d’une économie compétitive avec une balance courante largement excédentaire, une croissance assez élevée et un chômage faible. En France, avec un coût de travail seulement légèrement plus élevé, on a l’inverse. C’est lié à un coût du travail diminué des gains de productivité qui a fortement augmenté en France dans les années 2000 par rapport à l’Allemagne et à une gamme et qualité moyennes de la production française, alors qu’outre-Rhin la spécialisation s’est plutôt faite sur le haut de gamme.
    L’accroissement de la productivité du travail est un facteur de croissance économique et d’augmentation des revenus sans perte de compétitivité. Cela nécessite de la recherche-développement et de l’investissement. Pour cela, encore faut-il bénéficier d’un taux de profit suffisant dans les entreprises. Or, depuis 10 ans, la France est l’un des très rares pays de l’OCDE à avoir vu baisser son excédent brut d’exploitation sur valeur ajoutée, donc le taux de profit de ses entreprises. Cette situation ne facilite pas l’investissement, la modernisation, l’innovation, ni la montée en gamme. Pour inciter à l’innovation, il faut également accroître la concurrence dans certains secteurs encore trop protégés. Pour les personnes à faible qualification, rechercher un coût du travail plus bas est indispensable à leur emploi. Là-encore, les études empiriques le démontrent clairement. Cet abaissement peut se faire soit par les charges sociales, soit par le salaire lui-même, en complétant alors le revenu par des prestations sociales adaptées pour assurer un niveau de vie décent.
  2. L’augmentation de la population active, déterminant important de la croissance économique de long terme, doit conduire notamment à une réforme des retraites par augmentation du nombre d’années de cotisation, afin d’accroître la population en âge de travailler. Ce sera d’ailleurs la seule façon, comme l’ont déjà fait tant d’autres pays européens, de stimuler la croissance ; tout abaissement du niveau des retraites comme tout prélèvement additionnel sur les actifs a un effet dépressif sur l’économie.
    Il faut également accélérer l’incitation à retrouver un emploi. Or, il existe une corrélation très solide entre le taux de chômage et la longueur, le niveau et surtout la dégressivité de la protection du chômage. Cette réforme ne peut qu’aller de pair avec une meilleure formation et un accompagnement amélioré du retour à l’emploi. Il s’agit ici de développer la « flexi-sécurité ».
  3. L’augmentation du potentiel de croissance et de la compétitivité passe aussi par la recherche d’un service public plus efficient, c’est-à-dire du meilleur rapport entre l’utilité et la qualité du service public et le niveau des dépenses publiques. Or, en France, nous sommes sur le podium européen des dépenses publiques comme des prélèvements obligatoires sur PIB, mais pour un service public rendu (sécurité sociale – collectivités locales – Etat) dans la moyenne de l’Europe. Autrement dit, l’efficacité n’est pas au rendez-vous et les réformes s’imposent.

Si une très grande majorité d’économistes s’accorde sur ces réformes, pourquoi éprouve-t-on tant de difficultés à les réaliser en France ? Quelles raisons institutionnelles l’expliquent ? Tout d’abord, cette résistance provient sans doute d’une culture conflictuelle historiquement et d’un Etat hyperpuissant, centralisateur, de Louis XI en passant par Colbert, Louis XIV et Napoléon, à la France d’après-guerre, avec une reconstruction dirigée par l’Etat – et très réussie d’ailleurs – et la constitution d’une élite d’Etat.

Cette centralisation, qui a certainement été un facteur de la puissance française, est moins adaptée à la société et à l’économie du XXIème siècle, globalisées, organisées en réseaux et qui bousculent les hiérarchies verticales. Par son omniprésence, l’Etat intermédie la relation entre chacun et la société, entre chacun et les autres. Au lieu de se sentir responsable face à la collectivité, le particulier comme souvent le chef d’entreprise exprime une forte demande d’Etat.

L’Etat sert alors de maman surprotectrice, dès l’apparition d’un obstacle ou d’un problème, conduisant ainsi à donner aux Français le record du monde de la consommation d’anxiolytiques comme de la vision pessimiste de leur avenir collectif. Et l’on refuse alors les réformes, méfiant quant à la réalité de l’effort des autres et questionnant l’incapacité de l’Etat à prendre en charge tous les problèmes.

Simultanément, il existe en France des groupes d’intérêt plutôt corporatistes, cherchant avant tout à défendre leurs propres intérêts et des syndicats trop faiblement représentatifs dans les entreprises privées. Ces deux traits caractéristiques expliquent un vide de construction du social. On obtient ainsi une sorte de « social corporatisme », doublé de « social technocratie », comme l’écrivait récemment Denis Olivennes. Ainsi, chacun a des difficultés à penser symétriquement à ses devoirs comme à ses droits et à accepter les réformes qu’il faudrait pourtant faire pour justifier et protéger la protection sociale, la croissance et le bien-être.

Enfin, sans aucunement prétendre à l’exhaustivité, une des causes des difficultés à réformer repose certainement sur un mélange culturel historique qui fait souvent de la compassion l’alpha et l’oméga de la pensée politique et médiatique, loin des analyses empiriques et rationnelles des causes et des effets des phénomènes sociaux et économiques rencontrés. D’ailleurs Bossuet déjà ne disait-il pas que « Dieu rit de ceux qui déplorent les effets tout en chérissant les causes » ?

Ma part d’optimisme : il semble que, de plus en plus, les Français ont conscience de la fin inéluctable de l’Etat tout puissant dans le monde actuel. Ils comprennent également, forts des exemples étrangers, que le niveau de la protection sociale et des services publics a été artificiellement maintenu depuis longtemps par un endettement public croissant, aujourd’hui insoutenable. Sont donc mieux appréhendés les efforts à réaliser pour protéger l’essentiel, une société équitable, qui favorise tout à la fois le vivre ensemble et l’envie d’entreprendre, à haut niveau de vie et à forte protection sociale. Reste aux gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, à expliquer le sens et la nécessité des réformes, à en trouver la bonne programmation et le bon accompagnement et à en assurer la justice dans l’application.

(disponible également en vidéo).

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L’économie française malade de ses institutions ?

L’intervention d’Olivier Klein

« L’état de santé de la démocratie française a de quoi inquiéter. Depuis plus de trente ans, les enquêtes internationales montrent que les français, plus souvent que les habitants des autres pays développés, se défient de leurs élus et de leurs pouvoirs publics. Cette défiance s’étend également au marché, aux entreprises, au dialogue social ou encore à l’école

01

Quelles sont les causes de cette défiance des Français envers leurs institutions ? Quelles en sont les conséquences sur nos performances économiques, sur le bien-être de nos concitoyens et sur notre cohésion sociale? Comment rétablir la transparence de nos institutions et redonner une vitalité à notre démocratie économique et sociale ? »

02

Regarder l’intégralité des échanges

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