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Vidéo. Crises et sorties de crises entre urgences et long terme

Intervention d’Olivier Klein

La crise est un moment de transition entre le passé et le futur. Je crois donc important de lister les grands moments de transition auxquels l’économie française, mais aussi l’économie mondiale, doit faire face : évolution de la mondialisation et montée en puissance de la demande interne au sein des pays émergents, évolution démographique, situation de la croissance économique européenne et française avec les effets induits sur les systèmes sociaux et, corrélativement, transition d’une période d’ajustement par l’endettement à une nécessaire période de désendettement, transition énergétique, transition entre les moteurs de croissance et de productivité du passé et ceux de demain.

Olivier Klein aux Rencontres d'Aix-en-Provence 2013

Dans une perspective de long terme, on doit s’interroger sur les moteurs possibles de croissance et de productivité de demain, avec les conséquences sur les normes de consommations et de travail, mais aussi sur les réformes structurelles nécessaires en France pour faciliter leur avènement. Cela conduit à distinguer, à cet effet, dans le concept flou de réformes structurelles, les réformes qui permettent les sorties par le haut de notre économie, de celles relevant d’un ajustement par le bas en ne s’appuyant que sur une baisse des coûts.

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L’avenir de la zone euro, publié dans la Nouvelle Revue de Géopolitique n° 9, Avril-Mai-Juin 2013

Un regard sur le passé tout d’abord. Le Système monétaire européen (SME) a été mis en place pour créer un lien fixe, mais ajustable entre les différentes devises de la zone. Il permettait ainsi, depuis 1979, d’éviter les variations brutales et perturbantes entre les devises des différents pays constituant le SME. Cependant, s’il démontrait sa forte utilité, il restait une source d’instabilité : des événements externes pouvaient entraîner des chocs asymétriques non désirés entre les pays européens concernés. Par exemple, une baisse du dollar contre les autres monnaies conduisait les opérateurs de marché à se porter sur le deutsche mark. Ils faisaient ainsi monter la devise allemande contre le dollar, mais aussi contre le franc français ou d’autres monnaies du SME. Cependant, l’évolution conjoncturelle de la France ou des autres pays et de l’Allemagne ne nécessitait pas une telle évolution du cours de change entre leurs devises.

En outre, chaque pays de la zone conservant sa monnaie, le solde de la balance courante devait être surveillé pays par pays. Une nation qui avait besoin de plus de croissance économique – par exemple de par sa plus forte croissance démographique – venait régulièrement buter sur la contrainte extérieure : un différentiel de croissance économique entre deux pays engendrait mécaniquement une dégradation du solde de la balance courante du pays à la croissance plus élevée. L’effet induit de ce phénomène était inéluctablement une contrainte d’alignement sur les taux de croissance les moins élevés des grands pays du SME.

La création d’une monnaie unique, en substitution du SME, participait donc structurellement de cette réflexion. D’une part, une monnaie unique permettait une dépréciation du dollar, provoquant un effet homogène sur les pays de la zone euro. D’autre part, la création de la monnaie unique pouvait laisser penser que des marges de manœuvre de politique conjoncturelle pouvaient être dégagées : le solde de la balance courante devait pouvoir alors se considérer au seul niveau de la zone et non plus de chaque pays.

Cela devait permettre à un pays de relancer son économie, si cela s’avérait nécessaire, sans buter immédiatement sur la contrainte extérieure, dès lors que l’ensemble de la zone ne dégradait pas son solde courant. L’exemple mis en avant était celui des États-Unis, au sein desquels un État pouvait relancer seul sa conjoncture sans frein immédiat dû à son propre solde courant. Enfin, une monnaie unique entre les pays considérés, sans possibilité de dévaluation-réévaluation, devait permettre aux acteurs économiques d’avoir une base plus stable de prévisions pour leurs investissements à l’étranger et leurs échanges, importations ou exportations, et de ne plus supporter les charges liées au change des devises les unes contre les autres.

Fédéralisme vs. convergence

À la création de la zone euro, deux écoles de pensée coexistaient tacitement. L’une et l’autre concevaient clairement qu’une telle zone monétaire ne pouvait fonctionner correctement sans complément.

La première école comprenait que, pour devenir efficiente et pour disposer d’une autorégulation satisfaisante, la zone euro devait progressivement être complétée d’un niveau de fédéralisme supérieur. En effet, la seule création de la monnaie unique était insuffisante pour apporter les modes de régulation nécessaires aux perturbations éventuelles. Dès lors qu’un pays au sein de la zone pouvait connaître un choc récessif interne isolé, il lui fallait s’ajuster sans pouvoir bénéficier d’une quelconque dépréciation ou dévaluation de sa monnaie. En l’absence de tout mode de régulation fédéral, la seule possibilité pour un tel pays consistait alors à abaisser ses coûts salariaux et ses dépenses publiques et sociales de façon à regagner de la compétitivité, en provoquant, en quelque sorte, une dévaluation interne, forcément douloureuse socialement et certainement coûteuse en termes de croissance économique pendant les premières années de l’ajustement.

Si l’on voulait éviter des ajustements « par le bas » trop coûteux, il fallait alors deux conditions clairement identifiées théoriquement. D’une part, une mobilité de la main d’œuvre entre les pays de la zone permettant aux personnes perdant leur emploi dans un pays d’en retrouver un autre dans un pays de la même zone. D’autre part, une solidarité budgétaire entre les pays ayant une même monnaie, de façon à organiser des transferts budgétaires des pays à plus forte croissance vers les pays en difficulté, allégeant ainsi la tâche d’ajustement interne de ces derniers pays. Cette situation est exactement celle des États-Unis, grâce à une langue commune et à une pratique historique de mobilité de la population, et grâce à un budget fédéral d’un niveau suffisant pour permettre ces transferts.

L’Europe n’avait pas historiquement cette mobilité, ni le cadre institutionnel légal et social unifié permettant de l’inciter. Mais, en poursuivant sa construction, elle pouvait atteindre un degré de fédéralisme plus élevé autorisant des transferts budgétaires, sous condition expresse d’une supervision budgétaire de chacun des pays par le niveau fédéral, la solidarité ne pouvant se développer sans contrôle préalable du sérieux des politiques menées nationalement. Telles étaient les réflexions de cette école de pensée qui fondait ses espoirs sur la continuation d’une construction européenne, jusqu’alors faite par l’économique avant de procéder aux avancées politiques nécessaires.

L’autre école de pensée, qui s’imposait dès lors que l’on n’osait ou ne voulait afficher des objectifs fédéralistes, était de ne laisser entrer dans la zone monétaire européenne que des pays très similaires et devant le rester ; d’où la création justifiée dans ce cadre des critères de convergence. Si les pays membres d’une zone monétaire sont en phase conjoncturelle et convergent en termes de taux d’inflation, de déficit budgétaire sur PIB, comme de dette publique sur PIB, et qu’ils le restent une fois entrés dans la zone, les ajustements entre pays membres ne sont plus nécessaires. Il n’y a plus lieu alors d’attendre un surcroît de fédéralisme.

Erreurs partagées

À la lecture des événements des dernières années, les deux écoles de pensée ont été dans l’erreur.

La première, puisque le surcroît de fédéralisme, considéré comme devant nécessairement suivre la création de la zone, ne s’est pas produit et qu’il s’est révélé difficile de faire émerger des solidarités internationales ex nihilo.

La seconde, puisque les pays entrés dans la zone n’ont pas tous été choisis sur une base de forte proximité économique structurelle et conjoncturelle, pour des raisons politiques ou car certains de ces pays ont volontairement occulté certains traits de leur économie. Erreur, en outre, parce qu’une union monétaire ne conduit pas naturellement à préserver une convergence, eût-elle existé à sa création, mais tout au contraire induit progressivement des divergences structurelles dues à des polarisations industrielles sur certaines régions de la zone, correspondant à des désindustrialisations d’autres régions. Une même politique monétaire, adaptée à la moyenne des pays de la zone et non à chaque conjoncture spécifique, comme la suppression du risque de change, conduit en fait à des spécialisations économiques nationales divergentes, pouvant mener certains pays à connaître structurellement des déficits de balance courante de par une industrialisation insuffisante.

Les marchés financiers eux aussi s’y sont trompés. Ils ont maintenu un taux d’intérêt des dettes publiques des différents pays de la zone à des niveaux très similaires, alors que l’on connaissait progressivement des divergences considérables, tant dans les ratios d’endettement public que dans ceux des déficits courants.

Ces erreurs de politique et de marché ont amené à l’éclatement d’une crise majeure spécifique à la zone euro, non pas due à de mauvais résultats et ratios en termes consolidés, mais à des divergences de plus en plus fortes entre pays de la même zone, sans que les mécanismes de régulation de tels phénomènes aient été à l’œuvre ou, même, aient été prévus.

Comment sortir des cercles vicieux de la crise ?

La résolution des problèmes intrinsèques de la zone euro s’est révélée dès lors extrêmement difficile, douloureuse et peu lisible.

Se sont enclenchés deux cercles vicieux qui ont accéléré les processus de crise. Le premier est la boucle qui s’est formée entre taux de croissance économique, taux d’intérêt de la dette publique et déficit public des pays en difficulté. Pour redresser la situation des comptes publics et sa compétitivité, un pays doit abaisser son niveau de dépenses publiques et augmenter ses taux d’imposition brutalement, de même que faire baisser ses coûts salariaux – alors même que plusieurs pays de la même zone le font simultanément. Les effets sur la conjoncture économique sont dès lors très défavorables. Le multiplicateur budgétaire dans de telles circonstances – avec un environnement de croissance très faible – a été calculé, y compris par le FMI. Il est supérieur à 1 : une baisse donnée des dépenses publiques en Europe engendre une contraction encore plus grande en proportion de l’activité économique. La baisse de croissance induite dégrade à nouveau le déficit public, ce qui inquiète les marchés et fait augmenter alors le taux d’intérêt de la dette publique. Ce qui à son tour rétroagit négativement sur le niveau du déficit public.

Le second cercle vicieux enclenché consiste en une boucle entre les banques et la dette publique d’un même pays. Les banques européennes détiennent, en placements de bon père de famille, des titres sur leur État, et d’ailleurs sur les États des autres pays de la zone, eu égard à une forte intégration financière dans l’union monétaire. La crainte sur la solvabilité de ces États a donc enclenché une défiance vis-à-vis de ces banques qui, si cette défiance dégénérait en crise systémique, ne pouvaient être sauvées que par leur État, aggravant immédiatement la crainte sur la dette publique.

La zone euro, par tâtonnements successifs, a tenté de sortir de cette grave crise et de ces boucles auto-entretenues. Là encore, deux grandes tendances issues des deux écoles décrites précédemment se sont fait jour, même si celles-là ont pu s’interpénétrer, voire converger.

La première a soutenu que la sortie dépendait de la capacité européenne à créer davantage de fédéralisme, capacité renforcée par la crise. La seconde a avancé que chaque pays en difficulté devait retrouver par lui-même une compétitivité par des efforts suffisants sur ses coûts et sur ses déficits. À nouveau, ces deux tendances ne s’excluant pas totalement ont convergé vers les compromis européens que nous avons connus.

Ainsi, après quelques errements trop longs, les décideurs politiques et la BCE ont heureusement décidé la création d’un fonds d’intervention européen, mutualisant ainsi de facto une partie de la dette publique des pays en difficulté, et la création de l’Union bancaire européenne. L’union bancaire est un élément constitutif et essentiel d’une zone monétaire parce qu’un niveau de supervision européen des banques est nécessaire. En effet, il existe parfois une suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils s’aveuglent eux-mêmes. Une supervision au niveau européen est d’autant plus valable que nos banques sont aussi multinationales en Europe, afin d’assurer ainsi une homogénéité du contrôle prudentiel tant en terme de qualité qu’en terme d’efficacité. Mais l’argument central en faveur d’une supervision européenne est qu’il ne peut y avoir de solidarité acceptée sans supervision partagée. C’est pourquoi l’accord récent conditionnait la mise en place des autres éléments essentiels de l’union bancaire.

Cette solidarité inquiète les banques en bonne santé parce qu’elles craignent de pâtir de la situation des banques moins bien portantes. Or c’est bien le contenu de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts, éventuellement à plusieurs étages. Au-delà des garanties de dépôts nationales existantes, des garanties de dépôts s’enclencheraient ainsi, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations. Cette solidarité interbancaire serait complétée par une solidarité entre les États de la zone. Un système européen de résolution des crises, avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les États, devrait voir le jour. Un tel fonds éviterait que la recapitalisation des banques doive se faire nécessairement par un État isolé. Il mettrait ainsi fin au deuxième cercle vicieux évoqué ci-dessus.

La BCE a annoncé qu’elle avait dorénavant la possibilité d’acheter ad libitum des dettes publiques des pays en difficultés, dès lors que leur taux d’intérêt dépassait un niveau considéré comme normal et autorisant une trajectoire de retour à une meilleure solvabilité, sous réserve qu’ils mènent une politique structurelle le permettant.

Ces décisions fondamentales – fonds d’intervention, union bancaire et politique d’intervention illimitée, mais conditionnée de la BCE – ont permis de retrouver la confiance et de casser au moins temporairement les deux cercles vicieux des crises énoncées ci-avant. Aujourd’hui, la question posée par la communauté des économistes est de savoir si les efforts réalisés par chaque pays – couplés aux mesures précitées – permettront d’assainir structurellement la situation de la zone euro et de se préserver en tant que telle, en assurant une convergence durable des pays participants.

Les alternatives à l’austérité

Les efforts intenses réalisés par les pays du sud de l’Europe induisent des coûts sociaux immenses, en termes de niveau de vie et de chômage. En moyenne, ces pays n’ont pas amélioré – voire ont détérioré – leur ratio dette publique sur PIB, eu égard à l’effet multiplicateur supérieur à 1 des mesures budgétaires. Cependant, certains pays comme l’Espagne commencent à voir leurs efforts porter des fruits lisibles dans le redressement de la balance courante et l’augmentation des exportations.

Dans le cas de la Grèce, la suppression d’une partie importante de la dette grecque détenue par le secteur privé semble ne pas suffire au redressement du pays alors même que, là encore, les coûts sociaux et économiques des mesures sont considérables. L’Italie a décidé de réformes structurelles importantes, mais a des difficultés à afficher un redressement de sa compétitivité et semble s’épuiser en combats politiques incertains, ce que viennent de confirmer les dernières élections. Le redressement constaté des balances courantes des pays en difficulté, à l’exclusion de l’Espagne, vient plus souvent d’un affaissement des importations dû à la récession que d’une hausse de leurs exportations expliquée par un surcroît de compétitivité.

La question est donc de savoir si la quête douloureuse simultanée d’un surcroît de compétitivité par une cure d’austérité dans chaque pays concerné isolément, sans avoir recours à l’ajustement par les cours de change, peut être fructueuse. La récession durable provoquée affaiblit en effet la croissance potentielle. Même en supposant un succès à terme, le redressement des comptes publics et des exportations peut-il être suffisamment rapide pour que les coûts sociaux ne se traduisent pas antérieurement par une crise politique et sociale qui viendrait compromettre l’équation européenne et les efforts jusqu’alors consentis ?

À supposer enfin que le regain de compétitivité parvienne à se matérialiser avant toute crise, la question se pose dans les termes suivants : la zone euro doit-elle se réguler par le seul ajustement « par le bas » des niveaux de vie, afin d’amener certains pays-membres, par des efforts internes considérables, à converger vers des niveaux de déficit et de dette publics plus acceptables et vers un meilleur équilibre de leur balance des paiements ? Dès lors que la base industrielle est faible, l’équilibre ne peut venir en effet que d’une croissance atone n’induisant pas d’accroissement des importations.  Ce qui produit alors un phénomène inéluctable de ralentissement durable de la croissance de la zone euro. Ou la régulation de cette zone monétaire doit-elle s’opérer par un mix de réformes structurelles indispensables à des finances publiques plus saines et à une meilleure compétitivité, mais aussi par une politique européenne de soutien de la croissance potentielle, par une véritable coordination des politiques économiques – relance ici et politiques restrictives là – et des transferts entre les différents pays permettant aux moins industrialisés d’entre eux de ne pas être contraints en permanence à l’ajustement par l’austérité ? Ce mix pourrait aider à ce que ces changements structurels puissent se faire sans brutalité excessive et sans entraîner de récession violente, donc en permettant à ces réformes d’être plus acceptables. Les réformes structurelles réussies par le Canada et la Suède notamment, dans les années 1990, ont été largement facilitées par des politiques conjoncturelles accommodantes qui ont permis de rendre acceptable le coût social transitoire de ces mesures. Ce mix ne manquera pas de comprendre également une meilleure supervision des politiques budgétaires notamment, car on ne peut concevoir de solidarité sans contrôle, si l’on souhaite éviter tout effet d’aléa moral.

L’interrogation finale est la suivante : la zone euro peut-elle développer un degré de fédéralisme supplémentaire – supervision, coordination des politiques économiques et transferts budgétaires – qui permettrait d’assurer un degré supérieur de solidarité entre ses membres, sans pour autant accepter de laxisme, ni de comportement de free rider ? Cela permettrait alors, non seulement, comme dit ci-dessus, de réaliser les indispensables réformes structurelles dans nombre de pays de façon organisée et mieux planifiée sur un temps plus long, donc moins douloureusement et avec moins de risques, mais aussi de reconnaître et d’assumer la diversité naturelle des pays composant la zone, y compris la diversité induite sur le plan industriel notamment par l’existence même de la monnaie unique.

Cela favoriserait un niveau de croissance moyen plus élevé, en autorisant certains pays à connaître des déficits courants alors que d’autres afficheraient des excédents. Ou alors, incapable de dessiner cette évolution politique, la zone euro est-elle condamnée à exiger trop vite et trop durablement une politique d’austérité dans les pays les moins industrialisés, conduisant alors à un niveau moyen de croissance pour l’ensemble de la zone durablement très affaibli, avec les risques politiques induits. Et peut-être finalement des risques sur l’euro lui-même.

Article publié dans la Nouvelle Revue de Géopolitique, n° 9, Avril-Mai-Juin 2013

Télécharger : L’avenir de la zone euro – Nouvelle Revue de Géopolitique 2013 04 (PDF)

Lire en anglais The future of the euro zone

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« Oui à l’union bancaire européenne », publié dans Le Monde du 07-01-13

Les problèmes de la Zone Euro, apparus dès 2009-2010, ont pour cause première sa non complétude, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire optimale. Notamment, elle ne sait pas bien régler les divergences naturelles qui découlent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : certains pays se désindustrialisent, d’autres s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains territoires. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres, et avec pour corollaire l’évolution de la capacité ou du besoin de financement de différentes nations, c’est-à-dire de leur endettement extérieur.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on a assisté à deux phénomènes d’accélération, à deux cercles vicieux. Le premier, que l’on connait bien, vient de ce que lorsqu’on lutte soudainement et intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. Ce phénomène est renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu regard au ralentissement de la croissance, voire de la récession. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance par des politiques conjoncturelles appropriées lorsque cela est possible, et dans tous les cas par des réformes structurelles.

Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne ne boucle le risque bancaire et le risque souverain. On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan. De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les Etats, pris chacun séparément, pour prendre en charge le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’Etat espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur cet Etat et renforçait la boucle d’accélération des risques pré-citée.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif et essentiel d’une zone monétaire. Pourquoi ? Parce que, d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. En effet, il existe parfois une suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils s’aveuglent eux-mêmes. Une supervision au niveau européen est d’autant plus valable que nos banques sont aussi multi-nationales en Europe, afin d’assurer ainsi une homogénéité du contrôle prudentiel tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité. Mais l’argument central en faveur d’une supervision européenne tient au fait qu’il ne peut y avoir de solidarité acceptée sans supervision partagée. C’est pourquoi l’accord récent conditionnait la mise en place des autres éléments essentiels de l’Union bancaire.

Cette solidarité inquiète toutefois les banques en bonne santé parce qu’elles ont crainte d’avoir à pâtir de la situation des banques moins bien portantes. Or c’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. Au-delà des garanties de dépôts nationales existantes, des garanties de dépôts s’enclencheraient ainsi, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Cette solidarité interbancaire serait complétée par une solidarité entre les Etats de la Zone. Un système européen de résolution des crises, avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les Etats, devrait voir le jour pour éviter la seule recapitalisation des banques isolement par leur seul Etat donc pour mettre fin au deuxième cercle vicieux évoqué ci-dessus.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tousles problèmes de la zone euro ?

A elle seule, l’Union bancaire ne résoudra pas tous les problèmes, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Sera-t-il suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse à ce jour : le montant du fonds d’intervention – qui évidemment sera déterminant – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir.

L’annonce de cette Union bancaire, de même que les déclarations essentielles de la BCE précisant qu’elle pourrait intervenir, sous certaines conditions, de façon illimitée, en achetant la dette de certains Etats de la zone, ont permis de restaurer le calme sur les marchés financiers et d’aborder les problèmes de fond.
Pour résoudre durablement les dysfonctionnements de la Zone Euro, la mise en place nécessaire d’une Union bancaire doit encore être accompagnée de la création d’une Union de transferts budgétaires, qui implique à l’évidence une Union de supervision des budgets nationaux et une véritable coordination des politiques économiques des pays de la Zone.

Espérons que l’avènement d’une Union bancaire européenne complète soit proche et marque le début du sursaut européen.

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Regards croisés sur l’évolution du monde économique avec Daniel Cohen, Professeur d’Économie à l’École Normale Supérieure et à Paris 1

Débat du 28 janvier 2011 entre Daniel Cohen (Professeur d’Economie à l’Ecole normale supérieure et à Paris 1) et Olivier Klein autour de l’évolution du monde économique, la sortie de crise et les problèmes économiques de la zone Euro, animé par Stéphane Soumier,

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L’évolution du principe et de la pratique de la gouvernance d’entreprise à travers les différents âges du capitalisme

Pour fixer le sujet, je vous propose une définition. Le plus souvent, le concept de gouvernance d’entreprise recouvre l’organisation des relations entre les actionnaires et les dirigeants de l’entreprise. Son contenu a évolué avec les différentes phases du capitalisme et s’est élargi récemment aux relations des dirigeants avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise. A ce titre, la gouvernance d’entreprise est une question de société. Elle évolue avec les modes de régulation de l’économie. L’histoire de la gouvernance d’entreprise intéresse ainsi le citoyen comme l’économiste ou le sociologue.

Je ne traiterai que des pays développés et de l’économie de marché. La dénomination elle-même de « gouvernance » est récente puisqu’elle n’est apparue que dans les années 80 et a connu un fort développement de son usage au début des années 90, dans de nombreux rapports, thèses, articles ainsi que dans des textes réglementaires. Le droit des sociétés et les textes des organismes de contrôle réglementaire se sont ainsi adaptés aux nouvelles exigences de la gouvernance.

Ce sujet a donc de multiples répercussions sur la vie des entreprises et de la société et nous conduit à nous poser les questions suivantes :

  • Pourquoi ce concept est-il apparu récemment?
  • Quelles sont les évolutions du principe et de la pratique de la gouvernance au cours des différents âges du capitalisme?
  • Pourquoi ont eu lieu ces évolutions?

Pour tenter d’y répondre, nous traiterons le sujet au travers des différentes phases du capitalisme, sachant que les diverses formes historiques de la gouvernance s’imbriquent entre elles. Les formes passées perdurent, alors même que, progressivement, d’autres formes prennent place majoritairement.

 I. Le capitalisme familial

Au XIXe siècle et au début du XXe, les rapports entre actionnaires et dirigeants étaient très simples, car c’étaient les mêmes personnes. En effet, les entreprises étaient créées par des familles telles que Wendel, Renault, Michelin -certaines d’entre elles ont laissé leur nom en tant que marque-, et leurs dirigeants en étaient les propriétaires. Il n’existait alors par construction pas de problème de gouvernance, car ces familles, qui créaient, travaillaient et possédaient leur entreprise, avaient une légitimité à ce que le résultat leur revienne.

 II. Le capitalisme managérial

Le capitalisme managérial est apparu entre les deux guerres aux Etats-Unis et reposait sur l’émergence d’un nouveau modèle de régulation et de gouvernance des entreprises. Ce changement était dû, d’une part, à une évolution des générations ; les générations créatrices d’entreprises avaient transmis celles-ci à leurs descendants de plus en plus nombreux qui n’en étaient pas tous devenus dirigeants. Il s’expliquait, d’autre part, par la croissance des entreprises ; les meilleures ont eu besoin d’ouvrir leur capital pour assurer leur forte croissance. Cela a contribué au développement des sociétés anonymes qui permettaient d’avoir des capitaux en provenance d’actionnaires qui n’étaient pas les dirigeants de l’entreprise. L’ouverture du capital de l’entreprise a débouché sur une volonté des actionnaires de pouvoir sortir du capital afin de disposer de liquidités en cas de besoin. D’où le développement considérable de la bourse. Aujourd’hui aux Etats-Unis, 80 % des entreprises n’ont pas d’actionnaire détenant plus de 10 % des actions. Leur actionnariat est donc très éclaté.

Cela a engendré deux conséquences :

  • la dispersion de l’actionnariat

Cette dispersion a conduit à ce qu’aucun actionnaire n’ait un poids fort sur les dirigeants. Plus le capital est dispersé, plus les actionnaires sont nombreux, plus il est difficile pour chacun d’exercer un contrôle réel et efficace sur les dirigeants.

  • la liquidité des actions

Davantage de liquidité a permis aux actionnaires de trouver une liberté -celle de vendre aisément leurs actions-, mais aussi a provoqué une instabilité de l’actionnariat. Les actionnaires ont donc de facto échangé la liberté de la liquidité contre la perte du contrôle des dirigeants de l’entreprise.

Les dirigeants d’entreprise se sont progressivement émancipés du contrôle de leurs mandants et ont logiquement imposé un contrôle managérial interne par opposition au contrôle externe des actionnaires. Cela a ouvert la possibilité de divergences entre les intérêts des deux parties. Les actionnaires avaient le droit, qui leur était propre, de nommer les membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, mais ils perdaient le contrôle effectif et ne se donnaient pas les moyens d’exiger auprès des dirigeants des objectifs susceptibles de les satisfaire davantage. Au point que, dans de nombreuses sociétés, les dirigeants cooptaient ou cooptent encore purement et simplement les membres de leur conseil d’administration ou de surveillance. Le phénomène s’est répandu partout dans le monde occidental, après la seconde guerre mondiale, avec l’avènement des grandes entreprises qui constituaient de véritables conglomérats. La figure emblématique du dirigeant n’a ainsi cessé de monter pendant les Trente Glorieuses. La légitimité des dirigeants venait de leurs compétences. Ils recherchaient la croissance et la pérennité de l’entreprise et fondaient leur pouvoir sur une alliance avec les salariés. Dans ce schéma, l’actionnaire n’avait pas beaucoup de place et l’efficacité réelle de ces grandes entreprises n’était pas tournée vers la valorisation des entreprises pour les actionnaires.

III.  Le capitalisme actionnarial

A la fin des années 70 et au tout début des années 80, on constate un déclin relatif de la puissance des Etats-Unis vis-à-vis des autres pays développés. L’opinion commune explique alors cette évolution négative par l’existence d’énormes conglomérats d’entreprises difficilement compétitifs. Ceux-ci s’étaient fortement diversifiés pour assurer leur longévité, et leur rentabilité ne constituait pas l’objectif prioritaire. Outre ces analyses de plus en plus prégnantes, on assiste alors à deux phénomènes qui vont bouleverser le jeu et conduire à passer majoritairement du capitalisme managérial au capitalisme actionnarial.

Le premier de ces phénomènes réside dans le rappel du jeu du marché boursier. Dans les années 80, pour diverses raisons, la bourse a pris de plus en plus d’importance. Et le jeu du marché boursier a consisté à ce que les actionnaires retrouvent un poids à travers la possibilité de vendre leurs actions lorsque la rentabilité n’était pas suffisante. Ce qui affaiblissait l’entreprise cotée en bourse, qui pouvait alors faire l’objet d’OPA et constituait alors une sérieuse menace pour les dirigeants. Des acteurs sont ainsi apparus (les « raiders ») pour acheter de grands groupes peu rentables. En les revendant par parties, ils réalisaient des plus-values considérables. La force de rappel du marché boursier pour les dirigeants s’est donc avérée décisive.

Le second phénomène a consisté en un renforcement institutionnel du rôle des actionnaires. Un rappel à l’ordre des dirigeants par leurs mandants a eu lieu et a conduit précisément à la notion de gouvernance. Cela a permis de rappeler aux dirigeants, par de nouvelles règles du jeu, leur objectif de maximisation de la richesse des actionnaires. Trois effets s’en sont suivis :

  • le renforcement du contrôle juridico-institutionnel des dirigeants par les actionnaires, d’où la création de comités d’audit, de comités des rémunérations, comme de comités stratégiques;
  • la mise au point de mécanismes d’incitation dans la rémunération des dirigeants, de façon à les associer à l’intérêt des actionnaires; d’où la montée en force des primes variables -souvent plus fortes que les rémunérations fixes-, des stock-options, etc.
  • l’application de sanctions (renvoi des dirigeants), en cas de valorisation insuffisante des actions, bien plus fréquentes qu’auparavant.

Cet âge du capitalisme marque le retour au pouvoir des actionnaires, et l’affirmation du corporate government. Des normes de rentabilité apparaissent, (ROE (return of Equity) minimum de 15 %). Apparaît ainsi la théorie de la création de la valeur selon laquelle une entreprise crée de la valeur quand sa rentabilité est supérieure à la moyenne des entreprises du même secteur. Cette théorie comporte bien entendu un paradoxe (puisque toutes les entreprises ne peuvent pas être supérieures à la moyenne) qui s’est ensuite avéré dommageable (cf. infra). Mais elle vise à pousser les entreprises à faire mieux que les autres, donc à plus de compétitivité et de rentabilité, et, à ce titre, elle présente donc des avantages.

Le modèle du capitalisme actionnarial a eu des effets positifs. Il a créé un cercle vertueux. Dans la Silicon Valley, par exemple, dans les années 80 et 90, une multitude d’innovations technologiques sont apparues et des kyrielles de toutes petites sociétés se sont créées. Il était nécessaire de contourner les difficultés à attirer les talents, ne pouvant les payer à hauteur de ce à quoi ils pouvaient prétendre dans les grands groupes. Les créateurs de ces petites entreprises ont ainsi proposé à ces talents des rémunérations en stock-options pouvant offrir de fortes plus-values, en contrepartie des risques qu’ils prenaient. Ce mode de fonctionnement a eu un effet économique très positif, en permettant à de petites sociétés de se développer rapidement et fortement, grâce à la capacité d’attraction de professionnels et de chercheurs de très grande qualité, venus tenter l’aventure.

Le second effet favorable repose sur le phénomène suivant. Aux Etats-Unis notamment, le capital-risque et le capital innovation se sont intéressés à ces entreprises en création, qui manquaient de capitaux. Les succès, avec réalisation d’importantes plus-values lors des sorties en bourse, surcompensant les échecs inévitables.

Au total, ce nouveau mode de régulation économique a fonctionné très efficacement et a apporté les capitaux et l’intelligence pour développer de nombreuses entreprises innovantes. Ces innovations se sont diffusées dans le reste de l’économie, qui est devenue globalement plus productive, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies -notamment de l’information- ainsi répandues. Soulignons que, de 1994 à la première moitié des années 2000, les Etats-Unis ont eu un rythme annuel de gain de productivité environ deux fois supérieur à celui de la Zone Euro. Ces gains de productivité ont engendré une plus forte croissance, sans inflation, et permis une plus forte augmentation des salaires, comme une valorisation des actions plus élevée, donc un pouvoir d’achat en hausse.

La question à présent est de savoir pourquoi et comment ce système a connu des dysfonctionnements. Au-delà, il convient de se demander si l’on restera dans l’âge du capitalisme actionnarial ou si le modèle de gouvernance évoluera vers une nouvelle phase.

IV. Vers un capitalisme partenarial ?

Après des succès indéniables, le capitalisme actionnarial a connu quelques échecs qui ont conduit à se poser la question de l’avènement du capitalisme partenarial. Ce dernier entraîne une gouvernance élargie, qui permettrait de prendre en compte les actionnaires, mais aussi les salariés, les clients, la société et l’environnement, c’est-à-dire l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.

1. Les échecs du capitalisme actionnarial

La première dérive s’est manifestée par l’emballement du modèle de la gouvernance actionnariale à partir de 1997. Ce modèle d’innovation et de forte productivité a, en effet, fait croire qu’il n’y aurait plus de crises et de cycles économiques. La spéculation s’est mise à l’emporter sur les paris raisonnables. La bulle spéculative s’est développée à partir de 1997-98 sur la bourse, notamment sur les valeurs technologiques, en sous-estimant les risques encourus par ces entreprises. A l’évidence, elle est devenue dangereuse, à tel point que beaucoup pensaient que plus une entreprise perdait d’argent dans ses premières années d’existence, plus sa valeur devait monter, car ces pertes laissaient envisager un fort développement ! La pression psychologique de l’opinion commune était extrêmement forte dans la bulle spéculative. Il était considéré comme « raisonnable » de penser que les courbes ascendantes devaient poursuivre durablement leur tendance. Jusqu’au moment où l’on s’est aperçu que nombre de ces entreprises ne répondraient pas aux espérances qu’elles avaient suscitées, voire même qu’elles ne seraient jamais rentables, provoquant ainsi l’éclatement de la bulle spéculative.

La deuxième dérive repose sur certains comportements problématiques des dirigeants eux-mêmes, induits par les contraintes du marché mal maîtrisées.  Pour respecter des normes de rentabilité très élevées à très court terme (au moins 15 % quel que soit le secteur d’activité et la conjoncture), beaucoup d’entreprises se sont mises à racheter leurs actions pour afficher une montée de leur cotation en bourse, mais parfois au prix d’un surendettement et d’un affaiblissement de l’entreprise. On a, en outre, assisté à une course à la taille pas toujours objectivement justifiable. Lorsque la croissance interne est faible, ce peut être légitime et indispensable. Néanmoins, si la course à la taille est excessive, n’apporte pas de synergies démontrables et provoque un endettement non proportionné à l’évolution des capitaux propres, l’entreprise risque d’être fragilisée. Sur une dizaine d’années, les études montrent qu’une fusion sur deux ne crée pas de valeur.

La troisième dérive réside dans l’évolution du revenu des dirigeants. Aux Etats-Unis, le revenu moyen des PDG était, en 1965, 44 fois supérieur à celui d’un ouvrier. Dans les années 2000, leurs rémunérations, y compris les plus-values liées aux stock-options, représentent plus de 400 fois les revenus des salariés les plus modestes. Parallèlement, toujours aux Etats-Unis, la rémunération globale des PDG (y.c. stocks options) a été multipliée par 8 en prix constants, en une vingtaine d’années. Certes, il est légitime qu’un dirigeant qui réussit ait un très bon revenu, mais un tel écart pose des questions et des difficultés.

La quatrième dérive est pathologique. Il s’agit des tricheries de certains dirigeants qui, ne sachant plus comment respecter la norme de rentabilité, ont faussé les comptes de leur entreprise. De 2001 à 2003, des scandales ont occupé les premières pages de la presse tant anglo-saxonne qu’européenne et ont déstabilisé gravement la confiance des marchés financiers. Je citerai, à titre d’exemple, Enron ou Worldcom aux Etats-Unis et Parmalat en Italie.

Ces importantes dérives ont été engendrées par les excès du capitalisme actionnarial. Comme tout modèle ayant apporté sa contribution positive, ses dysfonctionnement incitent à trouver les voies de son dépassement.

2. La question de la légitimité de l’actionnaire comme étant le seul mandant des dirigeants d’une entreprise

Actuellement, dans la littérature économique et financière, la question est posée de comprendre s’il est légitime que l’actionnaire ait la place centrale en tant que mandant des dirigeants. La théorie usuelle, comme la pratique, l’expliquent par le fait que l’actionnaire assume le risque sans avoir aucune certitude sur son rendement futur. Les prêteurs, quant à eux, ont un rendement fixé contractuellement, contrairement à l’actionnaire qui apporte également un financement, mais qui prend bien davantage de risques.  Il est donc tout à fait compréhensible que l’actionnaire puisse exercer un contrôle sur la gestion.

En revanche, il convient d’ouvrir la réflexion sur une gouvernance élargie, parce que, sur le fond, le risque comparé des différents partenaires de l’entreprise n’est pas tout à fait aujourd’hui celui supposé par la théorie. Un actionnaire peut, par exemple, limiter ses risques en diversifiant ses placements, alors qu’un salarié peut difficilement le faire en travaillant pour plusieurs employeurs. En outre, et plus fondamentalement, la pratique du capitalisme actionnarial, qui a défini la norme de rentabilité des capitaux propres minimale de 15 % à tout moment, a fait ainsi en sorte pendant une vingtaine d’année que les actionnaires soient, pour partie, protégés contre les évolutions négatives de la conjoncture. Tout étant fait pour tenter de garantir une rentabilité minimale aux actionnaires, le risque a, par conséquent, été reporté sur les autres parties prenantes, notamment sur les salariés, dont la variabilité de la rémunération ou de l’emploi ont augmenté, ou sur les sous-traitants, dont les marges de négociation vis-à-vis de leurs donneurs d’ordre se sont fortement affaiblies.

A titre de démonstration, analysons les résultats et des dividendes des entreprises aux Etats-Unis. De 1980 à 1990, les profits des entreprises ont légèrement augmenté. Cependant, la part des dividendes dans ces profits a été multipliée par deux, passant de 24,7 %  en 1980 à 50,1 % en 1990. De 1990 à 1997, la forte augmentation des profits a été accompagnée d’un maintien du pourcentage des dividendes dans les bénéfices. De 1998 à 2003, les profits ont chuté et les dividendes, quant à eux, ont progressé en valeur absolue. En conséquence,  la part des dividendes a, en outre,  augmenté fortement en pourcentage. Ainsi, sur la période, la part des dividendes dans les profits a atteint en moyenne 83 %. Cela constitue une sorte de protection de l’actionnaire puisque, quelle que soit l’évolution des profits, le niveau des dividendes a continué à progresser, jusqu’à absorber la quasi-totalité des résultats. Donc, pendant cette période, les dividendes n’évoluaient plus parallèlement aux bénéfices. Acheter des actions permettait ainsi d’avoir un potentiel important de valorisation et, en outre, de percevoir un dividende quasiment égal au taux d’intérêt des obligations. En résumé, les actionnaires prennent bien des risques quant au capital investi et à son rendement -l’histoire récente du marché boursier le montre à l’envi-, mais ce risque a été globalement amoindri par l’évolution, au fil des vingt dernières années, de la pratique de la distribution des dividendes en faveur des actionnaires.

C’est pourquoi, il peut être légitime de s’interroger sur le rôle unique des actionnaires en tant que mandants des dirigeants d’entreprise. On peut ainsi se demander comment élargir le cercle des mandants aux clients, aux salariés, à la société, et à se préoccuper de la meilleure façon de prendre en compte les problèmes d’environnement. Les salariés, quant à eux, sont plutôt bien protégés en France, notamment dans les grandes entreprises. Les clients sont mieux pris en compte qu’auparavant dans le monde occidental. Aux Etats-Unis, la judiciarisation des rapports entre les entreprises et leurs clients a permis à ceux-ci d’imposer la prise en compte de leurs besoins et les a introduits au cœur des préoccupations des dirigeants. Ces derniers pensent dorénavant davantage à l’intérêt de leurs clients et l’intègrent mieux aux côtés de  celui des actionnaires. En France, la pression en faveur des clients vient davantage des pouvoirs publics, par le biais de la loi et des règlements. Dans le domaine de la banque notamment, les choses ont beaucoup évolué depuis quelques années. Depuis quelques années, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) notamment supervise étroitement les établissements financiers pour vérifier leur connaissance de la clientèle et l’adéquation des produits aux clients et les associations de consommateurs ne sont pas en reste. Son rôle en ce sens est sur le point de se renforcer encore.

Le même type de problématique s’est posé quant à la prise en compte des problèmes d’environnement. La difficulté réside en ce que, contrairement aux actionnaires, aux salariés et aux clients, il n’y a pas de forces de rappel personnifiées pour faire respecter ces critères. La sensibilisation à l’environnement peut cependant passer par l’image que certaines entreprises sont soucieuses de donner d’elles-mêmes, ou par les autorités nationales ou territoriales, voire par la pression éventuelle des consommateurs.

Ces diverses considérations, qui tendent à intégrer dans le mandat des dirigeants les différentes parties prenantes de l’entreprise, n’empêchent en aucun cas que les actionnaires soient au cœur de la gouvernance, avec une juste rémunération des risques pris, reconnaissant ainsi leur rôle essentiel.

Apparaissent donc des réflexions dans la théorie économique et financière pour savoir de quelle manière intégrer l’intérêt des différents partenaires dans les conseils d’administration ou les conseils de surveillance des entreprises, aux côtés des actionnaires.

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Economie Générale

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