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Conjoncture Crise économique et financière

Retrouvez mon intervention sur Paris Normandie

J’étais l’invité de Sylvain Richon mercredi 20 Mai dans l’émission « Lignes ouvertes » sur Paris Normandie pour témoigner du soutien de la BRED à l’ensemble de ses clients, professionnels et particuliers et des conséquences de cette crise pour la BRED.

PGE accordés en Normandie, évolution des taux d’intérêts pour l’immobilier, coût du risque, comparaison avec la crise de 2008, retrouvez ces sujets à partir de la 13ème minute.

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Conjoncture Crise économique et financière Economie Générale

L’après-confinement : ni austérité ni économie vaudoue ! (version complète)

Les banques centrales ont bien et vite réagi. Les États, comme en France, ont également agi de façon très rapide et appropriée pour tenter de prendre au mieux en charge le coût de cette chute inédite de la production, en permettant tant que possible le financement des pertes des entreprises et en prenant en charge le coût du travail qui, sans chiffre d’affaires, ne peuvent plus continuer à payer leurs salariés. Et ce, pour éviter au mieux les licenciements et les faillites. Et protéger autant que faire se peut la capacité productive et prévenir un développement effroyable de la pauvreté.

Au fond, cet ensemble de mesures suspend temporairement la contrainte monétaire des différents agents économiques, entreprises et ménages. Contrainte monétaire qui s’applique en temps normal, car elle est indispensable à un fonctionnement efficace de l’économie.

Les seules entreprises qui doivent survivre sur le moyen-long terme sont celles qui ne perdent pas durablement d’argent, sans quoi aucune efficacité économique – qui comme aimait à dire Michel Rocard est la seule bonne façon de ménager la peine des hommes – ne serait possible et aucune croissance schumpéterienne ne serait permise. Il en va de même pour les ménages qui ne peuvent durablement dépenser plus qu’ils ne gagnent.

Mais aujourd’hui, dans ce gigantesque trou d’air économique, l’exercice normal de la contrainte monétaire serait catastrophique, conduisant à des faillites et à des pertes d’emplois innombrables et irrécupérables.

Et les banques centrales, quant à elles, tout en assurant la liquidité nécessaire au système financier, suspendent à bon escient momentanément la contrainte monétaire des États.

Une fois réellement finie la crise sanitaire, la sortie de cette suspension extraordinaire ne sera pas simple. Et pourtant elle sera indispensable. Et il serait trompeur et dangereux de laisser croire que la contrainte monétaire de tous pourrait être durablement levée, par le seul jeu des banques centrales qui pourraient « ad libitum » acheter les dettes tant des États que des entreprises.

Il ne faudra en fait ni remettre en place brutalement la contrainte monétaire au risque de voir replonger rapidement l’économie, ni la laisser suspendue trop longtemps. Car il ne faudra pas provoquer de fuite devant la monnaie, monnaie elle-même qui ne vaut que tant que l’on accorde confiance à l’exercice efficace de la contrainte monétaire, donc confiance aux banques et aux banques centrales. Et confiance dans la qualité des dettes, dont notamment la dette publique.

En l’occurrence, une partie du surcroît de la dette publique due à la lutte contre la pandémie devra, me semble-t-il, être portée à taux zéro et quasi-indéfiniment par les banques centrales, pour alléger le fardeau et permettre à la croissance de revenir. Mais cela devra être réalisé de façon strictement circonscrite et précise. L’idée d’une suppression permanente de la contrainte par les banques centrales n’est qu’une illusion funeste.

Certes, il n’y a plus de corrélation depuis les années 80 entre masse monétaire et inflation. Le risque majeur de faire comme si les contraintes monétaires et économiques n’existaient plus n’est donc pas de retrouver de l’inflation classique (bienvenue au contraire, si elle restait contenue), mais de provoquer une perte de confiance dans la monnaie, de par une défiance généralisée.

Ce serait à plus ou moins brève échéance l’apparition d’une forme d’hyper-inflation et d´une instabilité financière majeure. L’histoire économique, y compris récente, est remplie d’exemples de ruines et de crises interminables et socialement terribles dues à l’illusion du fait qu’aucune contrainte n’existe et que tout est possible sans avoir à produire la richesse qui le permet.

La sortie pourra ainsi comporter des risques élevés d’erreurs de politique économique, qui, sous le coup de l’émotion et de la pression de l’opinion, pourrait ici vouloir trop rapidement revenir à l’orthodoxie et là croire pouvoir s’exonérer pour toujours de toute contrainte.

Il faudra conduire une solide politique d’offre pour reconstituer la capacité de production du pays et même l’accroître pour diminuer sa dépendance stratégique. On aura besoin de toute l’énergie, de la capacité de travail et de l’esprit d’entreprise de tous. Cette politique d’offre devra mobiliser davantage le travail et comporter un volet important de recapitalisation des entreprises et de facilitation des investissements. Les entreprises en effet sortiront surendettées de cette période et investiront durablement de façon insuffisante sinon.

Cette politique d’offre devra être accompagnée d’une politique de soutien de la demande, tant les deux ont à souffrir pendant cette crise. L’augmentation des impôts ne serait compatible ni avec l’une ni avec l’autre. Il faudra donc accepter des budgets en réduction de déficit très progressive et des politiques monétaires qui ne reviendront que précautionneusement sur leurs pratiques non conventionnelles. Mais dans une programmation très explicite de retour à la normale pour sauver la confiance dans les dettes des États et dans la monnaie.

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Conjoncture Crise économique et financière Economie Générale

L’après-confinement : ni austérité ni économie vaudoue !

Les banques centrales ont bien et vite réagi. Les Etats ont également agi de façon rapide pour tenter de prendre au mieux en charge le coût de cette chute inédite de la production, en permettant le financement des pertes des entreprises et en prenant en charge le coût du travail qui, sans chiffre d’affaires, ne peuvent plus continuer à payer leurs salariés. Et ce, pour éviter au mieux les licenciements et les faillites, protéger la capacité productive et prévenir un développement effroyable de la pauvreté.

Cet ensemble de mesures suspend temporairement la contrainte monétaire des agents économiques, entreprises et ménages, contrainte qui s’applique en temps normal, car indispensable à un fonctionnement efficace de l’économie.

Contrainte monétaire

Mais aujourd’hui, dans ce gigantesque trou d’air économique, l’exercice normal de la contrainte monétaire serait catastrophique, conduisant à des faillites et à des pertes d’emplois innombrables et irrécupérables. Les banques centrales, quant à elles, tout en assurant la liquidité nécessaire au système financier, suspendent à bon escient momentanément la contrainte monétaire des Etats .

Une fois finie la crise sanitaire, la sortie de cette suspension extraordinaire ne sera pas simple et il serait dangereux de laisser croire que la contrainte monétaire de tous pourrait être durablement levée par le seul jeu des banques centrales , qui pourraient, « ad libitum », acheter les dettes tant des Etats que des entreprises.

Il ne faudra ni remettre en place brutalement la contrainte monétaire, au risque de voir replonger rapidement l’économie, ni la laisser suspendue trop longtemps. Car il ne faudra pas provoquer de fuite devant la monnaie, qui ne vaut que tant que l’on accorde confiance à l’exercice efficace de la contrainte monétaire, donc confiance aux banques et aux banques centrales. Et confiance dans la qualité des dettes, dont la dette publique.

Illusion funeste

Une partie du surcroît de la dette publique due à la lutte contre la pandémie devra être portée à taux zéro et quasi indéfiniment par les banques centrales, pour alléger le fardeau et permettre à la croissance de revenir. Mais cela devra être réalisé de façon strictement circonscrite et précise. L’idée d’une suppression permanente de la contrainte par les banques centrales n’est qu’une illusion funeste . Le risque majeur de faire comme si les contraintes monétaires et économiques n’existaient plus n’est donc pas de retrouver de l’inflation classique, mais de provoquer une perte de confiance dans la monnaie. Ce serait à plus ou moins brève échéance l’apparition d’une forme d’hyperinflation et d’une instabilité financière majeure.

Pression de l’opinion

La sortie pourra ainsi comporter des risques élevés d’erreurs de politique économique, qui, sous le coup de la pression de l’opinion, pourrait ici vouloir trop rapidement revenir à l’orthodoxie, ou là, croire pouvoir s’exonérer pour toujours de toute contrainte.

Il faudra conduire une solide politique d’offre pour reconstituer la capacité de production du pays et même l’accroître pour diminuer sa dépendance stratégique. On aura besoin de la capacité de travail et de l’esprit d’entreprise de tous. Cette politique d’offre devra mobiliser davantage le travail et comporter un volet important de recapitalisation des entreprises et de facilitation des investissements. Les entreprises en effet sortiront surendettées de cette période et risquent d’investir durablement de façon insuffisante sans cela.

Cette politique d’offre devra être accompagnée d’une politique de soutien de la demande, tant les deux ont à souffrir pendant cette crise. L’augmentation des impôts ne serait compatible ni avec l’une ni avec l’autre. Il faudra donc accepter des budgets en réduction de déficit très progressive et des politiques monétaires qui ne reviendront que précautionneusement sur leurs pratiques non conventionnelles. Mais dans une programmation très explicite de retour à la normale pour sauver la confiance dans les dettes des Etats et dans la monnaie.

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Crise économique et financière Politique Economique Zone Euro

Budget et instruments européens de reconstruction après confinement

En réaction à l’article d’Anne Planchon au Figaro : Accord des Vingt-Sept sur le principe d’un plan de relance – Les États membres restent divisés sur ses modalités.

Budget européen et instruments européens de reconstruction après confinement : augmenter significativement le budget Européen, comme le propose la Présidente de la commission, me semble une très bonne chose. C’est une occasion historique pour l’Europe de le faire et ainsi de compléter son mode de régulation.

Deux choses à approfondir seront décisives :

  • Son financement : le faire par l’impôt additionnel ne contribuerait pas beaucoup à relancer les économies. Une partie doit être financée par un financement perpétuel de la BCE à 0%. Avec des engagements clairs à gérer le financement du solde par les marchés avec rigueur.
  • Son utilisation :  un mix prêts et subventions, aidant notamment les pays les plus en difficulté après la période de confinement, afin de faciliter la ré-industrialisation des différents territoires  concernés, améliorer le niveau d’éducation, favoriser la R&D, soutenir partout  le développement de secteurs économiques stratégiques (data, santé, armement, agro-alimentaire, etc.), le tout en échange de réformes structurelles des différents pays davantage affaiblis par la crise pandémique, réformes permettant conjointement d’augmenter leur potentiel de croissance et d’affirmer une trajectoire (douce) d’équilibrage des  comptes publics.
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Crise économique et financière

La triple crise actuelle : pandémique, économique et financière – Retrouvez mon analyse macro-économique écrite le 4 avril sur la situation actuelle

Sur les marchés financiers, le « black Swan », tant craint par ceux qui pensaient comme moi que la possibilité d’avènement d’une forte crise financière était en train de singulièrement monter, s’est présenté sous la forme du Coronavirus.

Et comme cette pandémie, à elle seule, de par le confinement quasi mondial qu’elle entraîne, met très brutalement la production en berne, elle nous enfonce dans une crise d’une violence inégalée et protéiforme : crise pandémique, crise économique et crise financière.

Elle survient sur un fond préexistant de vulnérabilité financière très forte, due à une accumulation de risques très élevés durant les dernières années, tant du côté des prêteurs que des investisseurs. Cette accumulation est elle-même due à des taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps. Ce qui rend la crise financière, résultant du Coronavirus, encore bien plus forte et dangereuse.

De ce fait :

  • Le marché monétaire s’est fermé, les banques ne pouvant plus se financer à des termes même de 3 mois hors des banques centrales, qui heureusement sont là;
  • Les titrisations ne se placent plus et les conduits des banques d’investissement qui portent des actifs titrisés ne se financent plus sur le marché monétaire, ce qui impose à ces banques de financer elles-mêmes leur « warehousing » et de conserver sur elles-mêmes tous les risques qu’ils comprennent ;
  • Les fonds de placement sont de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir répondre aux appels de marge et certains font faillite. Ce n’est qu’un début, je le crains ;
  •  Inutile de commenter le marché des actions, qui semble sans fond jusqu’à présent ;
  • Quant aux primes de risque sur les obligations, après avoir été bien trop basses, elles se redressent vivement, mettant à mal nombre d’investisseurs ;
  • Les nombreuses entreprises trop « leveragées » précédemment ont bien du mal à se refinancer. Aux États-Unis, cela a été largement renforcé par le rachat d’actions par les sociétés elles-mêmes, pratique devenue courante afin de dégager un rendement artificiel aux actionnaires.Sans compter les entreprises de gaz de schiste, en général petites et à levier financier très élevé qui sont en train de s’étouffer avec le prix du pétrole sur les marchés internationaux. Donc avec des banques et des fonds qui les ont financées pour des montants importants en passe de souffrir sérieusement.

J’ajoute qu’est en train de se mettre en place un cercle vicieux que je craignais quand je donnais des conférences depuis l’été dernier sur la montée évidentes des vulnérabilités financières et la préparation de la future crise financière.  Devant la dégradation violente des cash-flows des entreprises et des niveaux d’endettement très élevés préexistants de nombre d’entreprises, les agences de notation commencent à dégrader en série des « corporates ». Or, la moitié environ des entreprises notées dans l’OCDE sont en catégorie BBB. Ce qui signifie qu’en étant abaissée d’une note, elles quittent la catégorie d’« investment grade » pour passer en catégorie spéculative. Ce qui va entraîner l’obligation de nombreux fonds,  engagés à ne détenir que des obligations de corporates notés en « investment grade », à les vendre, engendrant ainsi une montée bien plus vive encore des spreads.

Ce qui, à mon sens, entraînera de nouvelles baisses de cours boursiers. Heureusement, les banques centrales se sont engagées à acheter beaucoup d’obligations corporate. Espérons que cela suffise à couper ce possible cercle vicieux.

Heureusement, les banques centrales ont bien et vite réagi, même si j’impute les fortes vulnérabilités financières qui accroissent significativement la crise financière actuelle au fait qu’elles ne sont pas sorties de leurs politiques non conventionnelles à temps et qu’elles ont ainsi elles-mêmes poussé à la hausse le cycle financier à cause de taux trop bas, durant trop longtemps, « too low for too long « . Elles ont en effet incité emprunteurs et prêteurs/investisseurs, dont de nombreux fonds de placement, fonds de pension et assureurs (davantage en moyenne que les banques) à des prises de risque inconsidérées.

Enfin, heureusement également, les États réagissent globalement bien pour tenter de prendre en charge le coût de cette chute inédite de la production, en protégeant tant que possible le financement des entreprises, c’est-à-dire le financement de leurs pertes d’exploitation temporaires. Afin d’éviter au mieux les licenciements et faillites, ils prennent ainsi en charge le coût du travail dans les entreprises qui, sans ou peu de chiffre d’affaires, ne peuvent plus continuer à payer leurs salariés.

Dans le fond, les États suppriment temporairement la contrainte monétaire, en temps normal indispensable à un fonctionnement efficace de l’économie, qui s’applique aux différents agents économiques, entreprises et ménages. Mais cette contrainte monétaire serait totalement catastrophique si elle s’appliquait dans une telle période. Les banques centrales, quant à elles, suppriment momentanément (?) la contrainte monétaire des États, tout en s’efforçant à juste titre d’assurer la liquidité nécessaire à tout le système économique et financier.

Espérons que cette phase transitoire soit la plus brève possible, même s’il est évident que la reprise sera difficile et non immédiate, les chaînes d’approvisionnement ne pouvant se remettre en place en très peu de temps, idem pour la reprise des chaînes de valeur. La sortie du confinement pays par pays, comme dans tous les pays, ne pouvant aussi probablement pas se faire d’un coup, ni de façon simultanée.

Ajoutons qu’une fois la crise sanitaire réellement finie, la sortie de la suspension extraordinaire de la contrainte monétaire ne sera pas simple. Elle sera lente, et dangereuse. Il ne faut en effet pas provoquer de fuite devant la monnaie, monnaie elle-même qui ne vaut que si l’on accorde confiance à l’exercice efficace de la contrainte monétaire, donc confiance aux banques et aux banques centrales qui sont censées les faire respecter.

En outre, la sortie pourra comporter des risques élevés d’erreurs de politique économique, qui, sous le coup de l’émotion et de la pression de l’opinion, pourraient, ici, vouloir trop rapidement revenir à l’orthodoxie, ou là, trop lentement. De plus, au moment où il faudra mobiliser tout le pouvoir d’achat et où l’on aura besoin de toute l’énergie et de l’esprit d’entreprise de tous pour relancer à la fois la demande et l’offre, il serait de très mauvaise politique de provoquer une augmentation massive des impôts, tant sur les revenus que sur les patrimoines. Une forte politique de réformes structurelles ne baissant pas le pouvoir d’achat mais augmentant le niveau de la croissance potentielle sera indispensable aux côtés d’une politique de soutien de la demande.

Il faudra accepter des budgets en réduction de déficit très progressive et des politiques monétaires qui ne reviendront que lentement et précautionneusement sur leurs pratiques non conventionnelles. Le tout dans une programmation suffisamment explicite pour conserver la confiance dans les dettes des États et dans la monnaie.

Avec toute la modestie qu’impose une telle situation totalement inédite à toute tentative d’analyse.

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Crise économique et financière Finance

À quand la prochaine crise financière ?

Table ronde avec Lorenzo BINI SMAGHI, Président du Conseil d’Administration de la Société Générale et ancien membre du directoire de la BCE ; Charles CALOMIRIS, Professeur, Financial Institutions à la Columbia University ; Antoine LISSOWSKI, Directeur général de la CNP ; Shubhada RAO, Chef économiste à Yes Bank ; Wilfried VERSTRAETE, Président du Directoire d’Euler Hermes et Olivier KLEIN, Directeur Général de la BRED et professeur d’économie financière à HEC.

La grande crise financière précédente a entraîné un risque déflationniste justifiant les politiques monétaires non-conventionnelles, avec des taux courts à zéro, voire négatifs, et des taux longs tendant vers zéro grâce au Quantitative Easing. Fixer les taux d’intérêt long terme en dessous du taux de croissance nominal a pour effet d’aider les acteurs surendettés à retrouver une santé financière plus aisément. Cela permet aussi, parallèlement et conjointement, de relancer l’économie.

Depuis quelques années, nous sommes sortis du risque déflationniste, avec un indéniable regain de croissance et une nette reprise du crédit, bien que plus tôt aux États-Unis que dans la zone euro, même si récemment des signes de ralentissement sont apparus , représentatifs d’un retournement classique du cycle économique .

Le maintien d’une politique monétaire très accommodante, et même exceptionnelle n’a plus lieu d’être dès lors qu’il n’existe plus de risque déflationniste. Aux Etats-Unis, on a certes un peu infléchi cette politique, la Fed ayant commencé à remonter ses taux directeurs depuis 2016 et à sortir progressivement du Quantitative Easing depuis 2017. En zone euro, depuis fin 2018, les achats nets de titres liés au Quantitative Easing ont cessé, le bilan de la BCE ayant été ainsi stabilisé et non diminué, mais ses taux directeurs sont restés inchangés à des niveaux égaux à zéro et même négatifs.
En outre, on annonce aujourd’hui, tant aux États-Unis que dans la zone euro, que l’on pourrait revenir à des baisses de taux et reprendre éventuellement les achats nets du QE.

Pourquoi ?

Parce que l’inflation n’est pas au niveau souhaité, disent les banques centrales. Le sera-t-elle à court terme ? Ce n’est pas le débat ici, mais ce n’est pas évident. Les effets de la mondialisation, de la révolution technologique, ainsi que les modes actuels de régulation du marché du travail semblent pousser au fort aplatissement de la courbe de Phillips. Si l’inflation ne devait pas significativement remonter, pourrait-on poursuivre très longtemps cet objectif, par des taux courts et longs proches de zéro ou négatifs ?

Plus vraisemblablement, la raison tacite des banques centrales d’agir ainsi tient au fait qu’elles appréhendent une remontée des taux qui poserait de sérieux problèmes d’insolvabilité au secteur privé. Mais aussi au secteur public, un sujet de dominance fiscale apparaissant donc, puisque les banques centrales semblent contraintes de ne pas compromettre la solvabilité des États.

Ajoutons aussi actuellement la crainte affichée d’un retournement de conjoncture qui expliquerait en outre le souhait des banques centrales de conduire des politiques encore plus accommodantes.
De ce fait, pour toutes ces raisons, on s’accorde à dire la plupart du temps que les taux très bas sont installés pour très longtemps. C’est le low for long. Selon moi, cette situation crée un dangereux cercle vicieux, car conserver trop longtemps des taux d’intérêt nominaux inférieurs au taux de croissance nominal n’aide pas les acteurs économiques à se désendetter, mais les incite au contraire à poursuivre leur endettement. Et cela pousse les emprunteurs, d’une part, et les épargnants et les investisseurs institutionnels, d’autre part, à prendre des risques de plus en plus inconsidérés, pour les uns, quant à leur structure financière et, pour les autres, pour trouver, coûte que coûte , un peu de rendement.

Cela conduit directement à une instabilité financière accrue, donc à un risque de crise financière accru. Si l’on étudie de façon historique et analytique toutes les crises financières, l’on peut identifier aujourd’hui très clairement les signaux annonciateurs d’un cycle financier assez mûr, qui peut conduire tôt ou tard, même si on ne sait évidemment jamais exactement quand, au retour d’une crise financière potentiellement importante.

Les trois formes canoniques des crises  financières systémiques sont la crise liée à l’éclatement de bulles spéculatives sur les actifs patrimoniaux (actions, immobilier), la crise liée à l’éclatement d’une bulle de crédit et la crise de liquidité. Les trois formes de crises pouvant bien entendu se combiner entre elles. D’où la crise pourrait-elle venir cette fois-ci ? Sans doute pas d’une bulle sur les marchés boursiers. Les PER ne sont pas excessifs par rapport à leurs tendances passées, même si les indices battent leurs records et si certains secteurs semblent surévalués. Il ne semble pas non plus que la bulle immobilière, facilitée par les taux d’intérêt extrêmement bas, ait été un problème extrêmement grave jusqu’alors. Malgré tout, les prix immobiliers continuent de monter, alors que, même corrigés de l’indice des prix général, ils sont revenus dans beaucoup de pays à des niveaux proches ou supérieurs à ceux de l’avant crise. Crise elle-même déclenchée en 2007 par l’éclatement d’une bulle immobilière liée à une bulle de crédit.
Mais surtout, aujourd’hui, ce qui est inquiétant, c’est la bulle de crédit elle-même. Elle n’est pas spécifiquement bancaire, car elle concerne toute forme d’endettement permis également par tous les investisseurs financiers, fonds de placement, assureurs, fonds de retraite… Le taux d’endettement global mondial a beaucoup augmenté, y compris pendant ces 10 dernières années, depuis la grande crise. Comme nous l’avons dit, cela a été facilité par des taux d’intérêt trop longtemps trop bas par rapport au taux de croissance nominal. Ainsi, par exemplel’endettement mondial, tous acteurs confondus, publics et privés, s’élevait à environ 190 % en 2001, 200 % en 2008 et à 230 % en 2018 du PIB mondial (source : BRI). Les pays avancés sont eux-mêmes passés d’environ 200% en 2001, à 240% en 2008 et à 265% en 2018.

On n’a donc pas connu de désendettement global, y compris dans les pays de l’OCDE, mais un désendettement pour certains agents économiques et dans certains pays.

Mais ce taux d’endettement global plus élevé n’est pas le seul facteur à faire craindre la prochaine crise. Il s’est en effet accompagné, comme à chaque fois lors de chaque phase identique du cycle financier, d’une prise de risque de plus en plus forte, tant de la part des emprunteurs que des investisseurs. Ces derniers, épargnants ou investisseurs institutionnels (représentants la plupart du temps des épargnants), cherchant un peu de rendement, malgré une structure des taux d’intérêt écrasée vers zéro. Il est, il est vrai, difficile d’offrir des rendements négatifs à des épargnants. Donc, les caisses de retraite, les assureurs, les fonds de placement, les banques essaient de bonne foi de trouver des obligations et des crédits un peu rémunérateurs.

On est ainsi en pleine phase euphorique du cycle de crédit, au sens où les acteurs font fi du risque, espérant que les taux d’intérêt restent durablement bas et que la croissance sera éternelle, pour que les risques pris ne soient pas avérés. Ce type de phase est bien repéré historiquement, et le cycle est même, semble-t-il, bien mûr. Les prêts aux entreprises sont ainsi accordés à des firmes de moins en moins solvables, ce qui, par retour, accroît leur fragilité financière. Les prêts et crédits sont de plus en plus longs, de plus en plus illiquides. Les prêts sont accordés de plus en plus in fine, c’est à dire avec un principal remboursable à l’échéance finale, sans amortissement régulier. Une aberration pour le prêteur comme pour l’emprunteur, dès lors que l’emprunteur ne peut répéter cela annuellement de par sa taille moyenne et « joue » sa capacité à renouveler son emprunt sur les conditions financières plus ou moins favorables à l’échéance de son prêt ou crédit. Mais tout le monde en contracte de plus en plus.

C’est également toujours davantage de levier, naturellement, augmentant dangereusement intrinsèquement le risque financier de l´entreprise. Les « collatéraux », soit les garanties, ont fortement baissé en nombre et en qualité depuis quelques années. Quant aux « covenants », ce qui permet de donner contractuellement des limites au ratio d’endettement sur capitaux propres ou sur « EBIT », ils ont été totalement dénaturés. Aujourd’hui, il existe en effet encore assez souvent des covenants, mais comme ils sont fixés à des niveaux tellement peu contraignants, cela revient à donner une limite qui tend vers l’infini. Dans le même temps, les primes de risque ont considérablement baissé, ce qui augmente encore davantage la vulnérabilité des prêteurs.

Ainsi, les banques, les caisses de retraite, les fonds de placement, les assureurs ont commencé à engranger des actifs beaucoup plus illiquides, beaucoup plus risqués, avec des primes de risque beaucoup plus basses. Et les emprunteurs ont commencé depuis plusieurs années à augmenter leur levier, à recourir à des prêts de plus en plus longs et in fine, avec de moins en moins de contraintes financières imposées par les prêteurs, donc à fragiliser leur situation financière.

Alors, quels sont les facteurs susceptibles de faire éclater la bulle ? Bien sûr, tout le monde évoque la remontée des taux d’intérêt. Et comme l’on estime que l’inflation, donc les taux d’intérêt ne remonteront pas de sitôt, on peut finalement penser qu’il ne se produira pas de crise financière.
Je ne le crois pas.

Effectivement, une remontée des taux d’intérêt serait préjudiciable à beaucoup d’acteurs, y compris et en premier lieu aux entreprises « zombies », celles précisément qui seraient insolvables si les taux revenaient à la normale. Rappelons que dans l’OCDE elles représentaient 1 % des entreprises en 1990, 5 % en 2000, 12 % en 2016.

Mais le risque ne vient pas seulement d’une potentielle augmentation des taux qui ne se profile peut-être pas à l’horizon. Il peut venir aussi d’un ralentissement fort de la croissance, car on aurait ainsi une coïncidence entre cycles financiers et cycles réels. Quand cela se produit, la crise bat son plein et l’on assiste alors à une crise systémique. A son tour, un ralentissement prononcé peut provenir d’autres causes que d’une remontée des taux. Des causes géopolitiques peuvent survenir, par exemple. Lorenzo Bini Smaghi a évoqué à ce sujet plusieurs possibilités, ou tout simplement un fort ralentissement peut être dû au cycle classique de l’investissement, productif ou immobilier.

Un fort ralentissement de la croissance provoque une baisse des recettes et des cash-flows. Il devient donc plus difficile de rembourser la dette, tant pour les États que pour les entreprises. Ce même ralentissement induit une hausse des primes de risque, donc une valeur des dettes qui se déprécie brutalement. Et un effet richesse négatif qui accroît la dépression.

Le problème de la dépréciation brutale des actifs est sans doute moindre pour les assureurs et les fonds de retraite, parce que l’argent est en principe bloqué sur le long terme (même si cette caractéristique est aujourd’hui moins vraie pour les assureurs vie en France), et de par la protection des règles comptables spécifiques notamment aux assureurs. Enfin, les règles prudentielles (Solvency 2) des assureurs les protègent davantage contre un risque de ce genre. Mais ce risque est beaucoup plus important pour les fonds de placement qui verraient , en cas de retournement significatif de la conjoncture, se dégrader brutalement la note de ce qu’ils détiennent, ce qui pourrait les conduire à vendre précipitamment et tous en même temps. Et, en cas de dépréciation brutale de la valeur des actifs détenus, un retrait des investisseurs dans les fonds pourrait être précipité. De surcroît, les fonds proposent en général la liquidité à leurs investisseurs, mais achètent de plus en plus d’actifs illiquides. Et j’espère, que les « fund runs », comme on vient d’en voir quelques-uns dans un passé tout récent, ne sont pas annonciateurs de la prochaine crise qui pourrait venir.

Les banques pour leur part sont bien mieux capitalisées qu’auparavant, donc, selon moi, moins risquées. Et elles sont mieux protégées contre le risque de liquidité de par le ratio (LCR) qu’elles doivent respecter à ce sujet.

Le prochain risque de crise financière majeure viendra plutôt, à mon sens, du shadow banking, au sens large du terme. D’autant plus que les politiques macro-prudentielles qui sont censées lutter contre le risque de montée de l’instabilité financière, à supposer même qu’à elles-seules elles puissent le contenir par le maniement contracyclique des ratios prudentiels bancaires, ne s’adressent précisément qu’aux banques. Or, la part de la finance ne passant pas par les banques n’a cessé de monter.

Ajoutons que la structure de la courbe des taux avec des taux écrasés vers zéro, et avec parfois même des taux interbancaires ou de dépôts à la Banque centrale inférieurs à zéro et des taux longs très proches ou inférieurs à zéro, comme en zone euro, fragilise progressivement les banques. Elles seront d’ailleurs peu à peu, de ce fait, moins aptes à prêter au même rythme. Toutefois cela devrait se faire sentir à horizon de quelques années, pas avant. A court terme, les banques sont indéniablement mieux sécurisées que précédemment.

Pour conclure, le danger est que les banques centrales, qui ont lutté contre des risques catastrophiques avec des instruments très innovants à très juste titre, veuillent utiliser ces mêmes armes pour faire face aux seuls retournements conjoncturels et/ou pour protéger trop longtemps les acteurs très endettés. Le régime de politique monétaire peut être l’un des déterminants importants de la dynamique du cycle financier. Donc, si la politique monétaire réagissait, de façon appropriée, très agressivement à l’avènement d’une crise systémique, mais qu’elle restait ultra accommodante pendant la phase ascendante du cycle, cela conduirait alors durablement à des taux d’intérêts proches de zéro et à la montée de l’instabilité financière. Dans ce cas, cela retarderait sans doute la prochaine crise financière, mais augmenterait considérablement sa puissance, en laissant simultanément une politique monétaire bien moins opérante pour y faire face.