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« Gouverner avec la dette » – Rencontres d’Aix 2022

Revivez le débat sur le thème « Gouverner avec la dette » auquel j’ai eu l’honneur et le plaisir de prendre part aux côtés de :

  • Mme Sarah Carlson, Senior Vice President at Moody’s Investors Service;
  • M. Pierre-Olivier Gourinchas, chef économiste du Fonds monétaire international;
  • Mme Vera Songwe, Secrétaire général adjointe des Nations Unies et Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique.

De 13’20 à 24’26 » retrouvez mon intervention sur les conséquences du durcissement des politiques monétaires dû à l’inflation sur la dette tant pour les banques centrales, les Etats, les entreprises que les ménages.

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Inflation et pouvoir d’achat : sortir d’une équation impossible

L ‘inflation vient de dépasser 5 % en France et la croissance sur le premier trimestre recule de 0,2 %. Les entreprises ne pourront (et ne devront) pas compenser la totalité de la perte de pouvoir d’achat des salariés, car cela induirait une baisse de leurs résultats entamant tôt ou tard leur capacité d’investissement, leur compétitivité et donc l’emploi, d’autant qu’elles sont déjà financièrement affaiblies par les difficultés d’approvisionnement et l’augmentation du coût des matières premières et de nombreux produits intermédiaires.

Ce serait donc très dommageable, à terme, pour les ménages eux-mêmes. Et cela renforcerait très dangereusement la spirale d’indexation, l’inflation devenant alors incontrôlable. C’est d’ailleurs pour ces raisons que, depuis 1983, il est interdit aux entreprises d’indexer systématiquement les salaires sur les prix.

Parallèlement, l’Etat français ne sera pas capable de protéger longuement les ménages comme il l’a fait aujourd’hui en prenant leur surcoût en charge. La politique monétaire ne permettra plus de financer les excédents de dette publique en découlant, et les marchés seront probablement peu appétents à avaler ce surcroît de dette aux taux d’aujourd’hui… Pourrait s’ensuivre un effet boule de neige très inquiétant sur la dette.

Ainsi, peu ou prou, les ménages perdront du pouvoir d’achat tant que l’inflation sera élevée, en prenant leur part de l’effort, avec le risque économique et social induit. Les entreprises seront aussi mises à contribution. L’Etat se limitera de plus en plus à la seule protection des plus faibles.

Cette perte de pouvoir d’achat n’est cependant pas inéluctable. Les ménages actifs pourraient mieux protéger leur pouvoir d’achat sans entraîner de boucle prix-salaires, si les gains de productivité progressaient suffisamment ou si le rapport masse salariale sur valeur restait globalement stable à la suite des augmentations salariales. Ce qui permettrait alors aux entreprises de ne pas augmenter davantage leurs prix et de protéger leur compétitivité et leur capacité d’emploi comme d’investissement.

La solution serait que les salariés travaillent un peu plus, en échange d’une augmentation de salaires, dans une proportion à négocier.

Malheureusement, les gains de productivité sont aujourd’hui nuls. La seule possibilité pour que l’économie s’en sorte au mieux – pour les ménages, les entreprises et l’Etat – est donc que les salariés travaillent un peu plus, suivant les types d’emplois, en échange d’un surcroît d’augmentation de salaires, dans une proportion à négocier. C’est envisageable, car il existe des goulets d’étranglement dus à la pénurie de maind’oeuvre dans de nombreux secteurs.

Cela permettrait également, grâce à l’accroissement de l’activité, d’augmenter les recettes des cotisations sociales et des impôts sans en relever les taux, donc ce serait favorable au maintien de notre haut niveau de protection sociale, tout en favorisant une meilleure maîtrise du déficit public et de la dette. Pour les ménages à la retraite, c’est l’allongement du nombre d’années de cotisations des actifs (en fonction de la pénibilité du travail) qui seule pourrait permettre de ne pas leur faire perdre de pouvoir d’achat, alors même que les comptes de la retraite vont continuer à se dégrader.

Il y a là une réelle marge de manoeuvre pour la France. Au-delà des efforts que les entreprises pourront faire pour limiter partiellement la perte de pouvoir d’achat de leurs salariés – un mix d’augmentation salariale et de primes Pepa, par exemple -, il est parfaitement possible, sans changer la loi, d’ouvrir avant la fin d’année des négociations au niveau de l’entreprise sur ce surcroît de compensation en échange du surcroît de travail. Il est aussi possible et souhaitable d’envisager des accords d’entreprise qui permettent à chaque salarié ou chaque équipe de choisir son propre équilibre.

C’est en tout cas une voie de sortie par le haut d’un problème majeur qui, sinon, risque de constituer rapidement une équation impossible… et douloureuse. 

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« 2021 concilier rebond et protection ? »

J’ai partagé mes réflexions sur les dangers de la suspension trop longue de la contrainte monétaire et surtout sur les voies de sortie de cette crise.

Les invités étaient :

  • Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la DG Trésor
  • Olivier Garnier, Directeur Général de la Banque de France, en charge des statistiques, des études et de l’international
  • Xavier Ragot, Directeur de recherches au CNRS, professeur en économie à Sciences po et président de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques
  • Olivier Klein, Directeur Général de la BRED et professeur de macroéconomie financière et de politique monétaire à HEC

Vous pouvez visionner ce débat en cliquant ci-dessous :

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La question de la dette : risque d’instabilité financière et de perte de confiance dans la monnaie.

Tout d’abord, je tiens à remercier Euro 50 pour cette invitation à débattre de la question de la dette en Europe.

Les politiques budgétaires et monétaires actuelles sont indispensables pour limiter les dégâts provoqués par la pandémie, chacun en est bien conscient. Et tout ce qui a été entrepris par les États et les banques centrales devait l’être. Nous savons également que le fait de baisser trop précipitamment la garde en la matière serait une grave erreur.

Mais, eu égard à l’ampleur de la dette engendrée par la crise, succédant à une montée globale de la dette depuis 20 ans a minima, ne doit-on pas redouter ce qui risque d’arriver lorsque la situation sanitaire et la croissance reviendront à la normale ? La dette ne devrait-elle pas nous inquiéter ?

Le non-remboursement de la dette publique aux créanciers privés aurait des conséquences considérables pour l’économie et la société, avec un impact catastrophique sur l’épargne et les retraites des ménages. De toute évidence, cette option n’est pas viable. Et ne pas rembourser la dette publique à la seule banque centrale, même si cela était possible, serait jouer un jeu à somme nulle dans la mesure où les actionnaires des banques centrales sont les États et qu’il faut donc analyser la situation de façon consolidée. 

On pourrait éventuellement imaginer que seule la dette supplémentaire résultant de la pandémie soit refinancée très longtemps par la banque centrale. Mais peut-on imaginer que cette option soit étendue aux futures augmentations de la dette publique ?

Comment éviter alors de succomber à la logique de l’argent magique ? D’autant plus, au final, que nous avons trouvé pendant la pandémie les ressources financières nécessaires pour financer ce qui semblait auparavant impossible. Dans ces conditions, il pourrait sembler à certains qu’il n’y a aucune raison de ne pas poursuivre dans cette voie.

Mais une politique d’assouplissement quantitatif sans fin ne fonctionnerait pas et doit être écartée. Permettre à l’État de dépenser sans limites et aux agents privés d’accumuler indéfiniment des dettes sans aucune contrainte aurait des conséquences majeures sur l’instabilité financière ainsi engendrée. Avec le retour d’une croissance plus normale de l’économie, maintenir des taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps reviendrait à encourager, voire à déclencher des cycles financiers. Ce qui donnerait lieu à des bulles spéculatives encore plus importantes et tôt ou tard à leur inévitable éclatement. Ces phénomènes bien connus sont à l’origine de crises majeures, financières, économiques et sociales. Ce point est capital. Au cours des dernières décennies, chaque fois que les taux d’intérêt sont restés trop bas pendant trop longtemps, on a observé une inflation des actifs financiers et/ou immobiliers et non une inflation des biens et des services. Cela s’explique par la mondialisation et la révolution digitale qui n’ont pas permis aux salaires et aux prix d’augmenter.

Enfin, à plus long terme, on pourrait finir par connaître une fuite devant la monnaie. L’absence de contrainte de paiement, c’est-à-dire de contrainte monétaire, due à une politique d’assouplissement quantitatif trop forte et trop longue, permettant de financer les dettes durablement sans contrainte, pourrait susciter une crise de confiance vis-à-vis des monnaies « officielles » dans la mesure où le système monétaire est essentiellement un système de règlement des dettes, conférant une cohérence aux échanges commerciaux. L’efficacité de l’économie en dépend. En effet, les seules entreprises susceptibles de survivre à moyen et long terme sont celles qui ne subissent pas de pertes de manière ininterrompue. Sinon, l’efficacité économique serait impossible et aucune croissance schumpétérienne ne serait envisageable. Il en est de même des ménages, qui ne peuvent pas durablement dépenser plus que ce qu’ils gagnent.

L’ensemble du système repose sur cette confiance. En substance, la confiance est la capacité de se fier à la parole de quelqu’un ou à un contrat signé. Dans ce cas, les contrats relatifs aux dettes et aux créances, sur lesquels repose l’ensemble du système, doivent être respectés. La confiance dans les banques elles-mêmes est elle aussi primordiale. Il en est de même de la confiance dans les banques centrales. Cette dernière est capitale, car les banques centrales sont chargées de la régulation monétaire, c’est-à-dire de la confiance dans la monnaie, pièce maîtresse qui assure la cohésion de tout le système économique. Si elles venaient à émettre trop de monnaie centrale pendant trop longtemps et sans limite, une crise majeure pourrait survenir, comparable par exemple à l’effondrement de l’assignat durant la Révolution française. Ou à l’hyperinflation lors de la République de Weimar. Au-delà d’un seuil indéterminé, la monnaie nationale ou régionale risque d’être rejetée. Cette situation entraînerait la désintégration du système de dettes et de créances et, par voie de conséquence, la désintégration potentielle de toute notre société. Cette confiance doit être protégée, faute de quoi on s’expose au risque de fuite vers une monnaie étrangère. Et même si toutes les banques centrales agissaient simultanément de la même manière, il serait possible de trouver refuge dans l’or ou dans des biens physiques comme l’immobilier ou dans une cryptomonnaie émise un jour ou l’autre par un GAFA devenu plus solvable que les États eux-mêmes.

La monnaie est une institution et doit être gérée comme telle. Elle doit être fondée sur la confiance et le respect des règles qui sont l’alpha et l’oméga des institutions solides. Dans la mesure où les dettes des entreprises et des États sont généralement remboursées par l’émission de nouveaux emprunts, la contrainte monétaire repose donc sur l’obligation de maintenir une trajectoire d’endettement soutenable. Le maintien des taux d’intérêt à des niveaux extrêmement bas ne suffira pas à lui seul à garantir cette viabilité indispensable, d’abord parce que rien ne garantit à long terme que les taux d’intérêt n’augmenteront plus jamais. Les craintes quant à l’inflation future le montrent déjà. Mais aussi parce que les banques centrales finiront par ne plus acheter les nouvelles émissions de dettes et que les marchés financiers ne viendront pas en substitution, si la trajectoire de solvabilité n’est alors pas crédible.

Il est par conséquent possible de suspendre provisoirement les contraintes monétaires, comme c’est le cas aujourd’hui, mais pas de manière durable.

La légitimité des banques centrales repose sur leur capacité à se maintenir au-dessus des intérêts privés et publics. Autrement dit en veillant à se prémunir contre toute domination par les États comme contre toute domination par les marchés financiers. Au final, le devoir des banques centrales est donc de défendre l’intérêt général et de préserver leur crédibilité. À défaut, elles seront dans l’impossibilité de maintenir un système économique efficace et la confiance dans la monnaie, comme de recourir de manière valable à une politique monétaire expansionniste si celle-ci se révèle à nouveau nécessaire. C’est ainsi qu’elles contribuent au bien commun et à la préservation de l’ordre social lui-même. Les Etats et les banques centrales doivent donc assez rapidement annoncer leur engagement, le temps venu, à reprendre des politiques budgétaires, structurelles et monétaires engendrant des trajectoires crédibles.

Je vous remercie.

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Le non-remboursement de la dette ? Un risque de perte de confiance dans la monnaie et un risque pour la société – version complète

Face aux conséquences de la pandémie, les politiques budgétaires et monétaires menées sont indispensables pour tenter de sauver l’essentiel. Et abaisser la garde rapidement serait une grave erreur. Mais que peut-il se passer ensuite, après retour à la normale, eu égard au niveau très élevé de dette en résultant ?

Le non-remboursement de la dette publique vis-à-vis des détenteurs privés provoquerait des conséquences économiques et sociales lourdes, touchant à l’épargne et à la retraite des ménages. À supposer que les textes permettent de ne pas rembourser cette dette à la seule banque centrale, le jeu avec les États, qui en sont actionnaires, serait à somme nulle. Et même s’il pourrait être imaginé qu’une partie de la dette additionnelle due à la pandémie soit financée de manière quasi perpétuelle par la banque centrale à un taux proche de zéro, pourrait-on étendre cette possibilité à l’ensemble de la dette et à ses futurs accroissements ?

Comment ne pas entrer dans la pensée de la monnaie magique et se dire qu’au fond, puisqu’on a pu trouver les moyens financiers pour ce qu’il semblait hier impossible de financer, il n’y a pas de raison de ne pas continuer ainsi ?

Il faut récuser l’idée d’une politique de « quantitative easing » sans fin. Permettre à l’État de dépenser sans limite et aux acteurs privés de s’endetter sans contrainte, indéfiniment, aurait des conséquences considérables sur l’instabilité financière que cela provoquerait. Maintenir des taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que l’économie reviendrait à un taux de croissance plus normal, reviendrait à faciliter, voire à engendrer les cycles financiers. C’est-à-dire l’apparition de bulles spéculatives de plus en plus fortes, puis leur éclosion. Ces phénomènes bien connus donnent lieu à des crises majeures.

Enfin, nous pourrions avoir à plus long terme une fuite devant la monnaie. Sans contrainte de paiement, une crise de confiance dans la monnaie peut survenir, car le système monétaire est par essence un système de règlement des dettes qui donne de la cohérence aux échanges et qui est nécessaire à l’efficacité économique. Tout le système est fondé sur cela : si l’on achète, alors on doit ; si l’on vend, alors on nous doit. Et l’on emprunte parce que l’on fait le pari que les revenus engendrés par l’investissement réalisé devraient permettre de rembourser l’emprunt.

La confiance, au fond, c’est l’idée que la parole donnée ou que les contrats signés sont fiables. Ici, les contrats de dettes et de créances sur lesquels l’ensemble est construit doivent être respectés. La confiance dans les banques elles-mêmes est cruciale, ce sont elles qui créent la monnaie ex nihilo en faisant crédit. Et la confiance dans la banque centrale l’est aussi. Parce qu’elle est la banque des banques, et surtout parce qu’elle assure la régulation monétaire, c’est-à-dire qu’elle régule le rythme de croissance de la monnaie, pierre angulaire du tout.

Si la banque centrale émettait trop de monnaie banque centrale durant trop longtemps et sans contrainte, alors une grave crise pourrait advenir, du type de celle des assignats. Au-delà d’un seuil indéterminé a priori, il y a un rejet possible de la monnaie officielle. Et une désagrégation du système de dettes et de créances à la clé, donc une possible désagrégation de la société.

Il est impératif de protéger cette confiance, sinon il pourrait y avoir des fuites dans les monnaies étrangères. Et même si toutes les banques centrales font la même chose au même moment, le refuge dans l’or ou dans quelques actifs matériels tels que l’immobilier est possible. L’on peut aussi imaginer un jour trouver refuge dans une cryptomonnaie émise par un GAFA plus solvable qu’un État. Elle deviendrait une monnaie privée, ligne de fuite des systèmes officiels.

La monnaie est une institution qui doit être gérée comme telle, comme un ensemble nécessitant de la confiance et des règles. Les règles, c’est le règlement des dettes, donc la contrainte monétaire. C’est-à-dire, alors que les dettes des entreprises comme des États sont généralement remboursées par la mise en place de nouveaux prêts, par l’obligation de maintenir une trajectoire soutenable de l’endettement. Et le seul maintien d’un taux d’intérêt très bas ne peut suffire à garantir cette nécessaire soutenabilité, car non seulement il n’est pas assuré sur le long terme, mais les revenus peuvent aussi s’affaisser lors d’une récession, y compris en présence de taux très bas. Il est donc possible de suspendre la contrainte monétaire momentanément, comme aujourd’hui, mais pas durablement.

Pour être légitimes, les banques centrales doivent donc être au-dessus des intérêts privés comme de ceux des États, en se prémunissant contre la « fiscal dominance » et la « financial market dominance » : elles ne doivent ni être dominées par les États, qui les obligeraient à maintenir durablement des taux d’intérêt trop bas, ni par les marchés financiers qui appellent à toujours plus d’injections monétaires.

Les banques centrales doivent ainsi défendre l’intérêt général et conserver leur crédibilité. C’est crucial pour préserver la possibilité d’utiliser valablement la politique monétaire en cas de nouveau besoin, pour l’économie en tant que telle et son efficacité, comme pour l’ordre même de la société.

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Opinion | Ne pas rembourser les dettes, un risque pour la société

Face aux conséquences de la pandémie, les politiques budgétaires et monétaires menées sont indispensables pour tenter de sauver l’essentiel. Et abaisser la garde rapidement serait une grave erreur. Mais que peut-il se passer ensuite, après un retour à la normale, eu égard au niveau très élevé de dette en résultant ?

Le non-remboursement de la dette publique vis-à-vis des détenteurs privés provoquerait des conséquences économiques et sociales lourdes, touchant à l’épargne et à la retraite des ménages. À supposer que les textes permettent de ne pas rembourser cette dette à la seule Banque centrale, le jeu avec les États, qui en sont actionnaires, serait à somme nulle. Et même s’il pouvait être imaginé qu’une partie de la dette additionnelle due à la pandémie soit financée de manière quasi perpétuelle par la Banque centrale à un taux proche de zéro de la dette publique, pourrait-on étendre cette possibilité à l’ensemble de la dette et à ses futurs accroissements ? Comment ne pas entrer dans la pensée de la monnaie magique et se dire qu’au fond, puisqu’on a pu trouver les moyens financiers pour ce qu’il semblait hier impossible de financer, il n’y a pas de raison de ne pas continuer ainsi, en supprimant la contrainte monétaire ? Il faut récuser l’idée d’une politique de « quantitative easing » sans fin. Permettre à l’Etat de dépenser sans limite et aux acteurs privés de s’endetter sans contrainte, indéfiniment, aurait des conséquences considérables et provoquerait une terrible instabilité financière. Maintenir des taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que l’économie reviendrait à un taux de croissance plus normal, reviendrait à faire émerger des bulles spéculatives de plus en plus fortes. Ces phénomènes bien connus donnent lieu à des crises majeures.

Enfin, nous pourrions avoir à plus long terme une fuite devant la monnaie. Sans contrainte, une crise de confiance dans la monnaie peut survenir, car le système monétaire est par essence un système de règlement des dettes qui donne de la cohérence aux échanges et qui est nécessaire à l’efficacité économique. Tout le système est fondé sur cela : si l’on achète, alors on doit ; si l’on vend, alors on nous doit. Et l’on emprunte parce que l’on fait le pari que les revenus engendrés par l’investissement réalisé devraient permettre de rembourser l’emprunt.

La confiance, au fond, c’est l’idée que la parole donnée ou que les contrats signés sont fiables. Les contrats de dettes et de créances doivent ainsi être respectés. La confiance dans les banques elles-mêmes est cruciale, ce sont elles qui créent la monnaie ex nihilo en faisant crédit. Avoir confiance dans la monnaie, c’est donc avoir confiance dans les banques. Et la confiance dans la Banque centrale est aussi essentielle. Parce qu’elle est la banque des banques, et surtout parce qu’elle assure la régulation monétaire, pierre angulaire du tout, en protégeant la stabilité monétaire et financière.

Il est impératif de protéger cette confiance, sinon il pourrait y avoir des fuites vers des monnaies étrangères. Et même si toutes les banques centrales font la même chose au même moment, le refuge dans l’or ou dans quelques actifs matériels tels que l’immobilier est possible. L’on peut aussi imaginer un jour trouver refuge dans une cryptomonnaie émise par un Gafa plus solvable qu’un Etat.

Pour être légitime, les banques centrales doivent donc être au-dessus des intérêts des Etats comme de ceux du privé, en se prémunissant tant contre la « fiscal dominance » que contre la « financial market dominance » : elles ne doivent ni être dominées par les Etats, qui les obligeraient à maintenir durablement des taux d’intérêt trop bas, ni par les marchés financiers, qui appellent à toujours plus d’injections monétaires.

Les banques centrales doivent défendre l’intérêt général et conserver leur crédibilité. C’est crucial pour préserver la possibilité d’utiliser valablement la politique monétaire en cas de nouveau besoin, pour l’économie en tant que telle et son efficacité, comme pour l’ordre même de la société.

Olivier Klein est directeur général de la BRED et professeur de macroéconomie financière et de politique monétaire à HEC.