Il existe, sur vingt ans, une corrélation négative entre les taux de dépenses publiques et le taux de croissance, au sein des pays de l’OCDE. Il ne s’agit en aucun cas de dire que les dépenses publiques ne sont pas utiles. Ni de nier le rôle contracyclique de la politique budgétaire. Il s’agit simplement de remettre en cause un dogme trop partagé en France. La réponse à tous les sujets ne peut être en permanence une augmentation des dépenses publiques. Et leur croissance ne peut être illimitée sans dégâts. Nous avons des dépenses publiques d’enseignement sur PIB supérieures à celles de la zone euro en moyenne, y compris celles de l’Allemagne. Pourtant, nos enseignants sont moins bien payés qu’outre-Rhin. Idem pour les dépenses de santé et le salaire des infirmières…
Donc, premier point, les dépenses publiques doivent être efficaces. Il ne suffit pas qu’elles existent. Deuxième point, plus le taux de dépenses publiques est élevé par rapport aux pays comparables, plus le taux de prélèvements obligatoires est aussi élevé. En France, nous sommes sur le podium dans les deux cas. Or, un taux de prélèvements durablement plus élevé contribue à un manque de compétitivité des entreprises et à un manque d’attractivité pour le travail, y compris qualifié. Et à une suradministration qui complique la vie des habitants, handicape et freine le dynamisme économique. Entraînant ainsi par ces deux biais une croissance soit plus faible, soit nécessitant plus de dépenses publiques et un taux d’endettement toujours en hausse pour la même croissance. Ce qui n’est pas soutenable. D’où la corrélation négative sur le long terme. Malheureusement, la situation des finances publiques de la France le montre aujourd’hui.
Défiance. Par le cercle vicieux ainsi constitué, le taux de dette publique ne cesse de monter. Ce qui tôt ou tard, sans reprise en mains déterminée, crée des crises de la dette, avec des répercussions économiques et sociales très graves.
Enfin, la France qui connaît ce taux de dépenses publiques si élevé est l’un des pays les plus pessimistes au monde et celui où l’on consomme par habitant le plus d’anxiolytiques. Où est le bonheur que ces dépenses sont censées apporter ? La suradministration crée un sentiment d’impuissance qui peut conduire à la passivité ou à la sédition. Et un Etat trop intrusif et omniprésent à un affaissement de la confiance, à un frein à l’action individuelle et collective, comme à une perte de solidarité exercée directement entre les membres de la société. Cette omniprésence étatique entraîne ainsi une demande toujours plus forte d’Etat et de son intervention, avec pour conséquence une attente toujours déçue et une inquiétude toujours plus prégnante.
Des finances publiques en désordre engendrent un sentiment de défiance vis-à-vis des politiques et des institutions. Et entre les gens eux-mêmes. Enfin, si nous n’avions pas l’euro, vis-à-vis de la monnaie. Bref, à une situation de défiance généralisée, très peu heureuse et très instable sociétalement.
Les dépenses publiques, bien gérées, efficaces et contrôlées sont ainsi un bien public nécessaire. Mais nous en sommes malheureusement loin en France depuis longtemps. Il y a beaucoup à faire pour retrouver un chemin vertueux en ce domaine. Et c’est à cela que le nouveau gouvernement doit s’attaquer d’urgence. Une augmentation des prélèvements obligatoires, au niveau où ils sont déjà, serait contre-productive pour la croissance et pour les finances publiques elles-mêmes, et aggraverait la défiance sociétale qui monte.
Article publié par Les Échos le 30 décembre 2024 .
Nous devons être très attentifs à l’état du pays après des décennies de dégradation des finances publiques. La dette publique sur PIB s’élevait à 20 % en 1980. Elle s’élève à 114% aujourd’hui et la dynamique en est toujours haussière. Dans l’état de la société française, de son très/trop-plein de prélèvements obligatoires, de dépenses publiques mal contrôlées, d’un surendettement manifeste de la sphère publique (Etat, collectivités locales et Sécurité sociale) et d’une dégradation ressentie par tous de son efficacité, toute politique budgétaire est devenue très sensible.
Il faut ainsi éviter soigneusement d’augmenter encore le taux d’imposition et de cotisations, de même qu’il est impératif de mieux maîtriser le taux de dépenses publiques. Sinon, outre les effets très négatifs sur l’économie elle-même, donc sur les emplois et le bien-être, les compromis sociaux et institutionnels-déjà aujourd’hui bien fragilisés-pourraient en être profondément altérés. Ces compromis, entre marché et justice redistributive par exemple, conduisent au consentement à l’impôt, qui permet à son tour de vivre ensemble et de faire société. « Les comptes publics en désordre sont le signe des nations qui s’abandonnent », disait déjà Pierre Mendès France.
55 % des ménages ne paient pas d’impôts
Or les bases de ce consentement sont d’ores et déjà affaiblies. 55 % des ménages ne paient pas d’impôts sur le revenu. Et 10 % en paient environ 75 %. Les premières tranches du barème sont les plus faibles de la zone euro. Les 1 % les plus aisés en France perçoivent déjà un pourcentage moindre des revenus totaux que dans nombre d’autres pays, soit 7,17 %. Alors qu’en Suède même il s’agit de 8,72 %, en Italie de 10,32 % et aux Etats-Unis de 14, 35 %, par exemple. Enfin, toujours post-redistribution, l’indice des écarts de revenus (Gini) est en France l’un des plus faibles en Europe.
Augmenter davantage le taux de redistribution, l’un des plus forts de l’OCDE, conduirait à abaisser encore l’attractivité du travail et à renouer avec la fuite des talents, actuels comme futurs, au détriment de tous. Mais aussi à affaiblir de façon encore plus problématique le consentement à l’impôt, partie intégrante de la cohésion sociale. Et le question du consentement à l’impôt ne touche pas que les plus aisés, mais aussi tous ceux qui ressentent une dégradation de la qualité de nombre de services publics. Or les services publics sont, en France, l’un des ciments nationaux.
Un pays suradministré
De plus, au-delà d’un certain seuil, non facilement objectivable ex ante, le niveau de dépenses publiques de fonctionnement comme le niveau de réglementation conduisent à un surdéveloppement administratif qui ankylose et réduit l’initiative et l’innovation (Draghi le dénonce à bon escient pour l’Union européenne), freinant ainsi la dynamique de l’économie. Cette suradministration crée en outre et surtout, d’un point de vue sociétal, un sentiment d’impuissance individuel et collectif, qui renforce la remise en cause du contrat social.
Complémentairement, l’entropie de l’administration (qui se transforme insuffisamment et très inégalement) gagne ainsi du terrain, engendrant un manque d’efficacité et, de ce fait, une crise de confiance et de légitimité contagieuse.
Les niveaux très élevés des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires couplés à la suradministration induisent l’omniprésence de l’Etat dans la vie économique comme dans la vie quotidienne, ce qui finit par désintermédier dangereusement d’une part les organisations dites intermédiaires précisément, bien utiles pourtant à la régulation de la société par elle-même, et d’autre part les relations directes de chacun avec les autres, de chacun avec la société donc.
Le tout provoquant une forte diminution du sens des responsabilités de tous face à tous les autres. Comme un affaiblissement de la capacité individuelle ou de groupes d’individus à prendre, autant que possible, soi-même en charge les problèmes rencontrés. Chacun tendant à penser que l’Etat doit régler toutes les difficultés et assumer tous les risques. De même, s’en trouve largement accru le sentiment que ses propres droits doivent être accrus sans fin, et ses devoirs, vis-à-vis de la société donc des autres, limités. La conséquence en est une demande d’Etat sans cesse plus forte. Et de plus en plus déçue. Avec son corollaire, la dépendance et la frustration. Et une défiance grandissante envers les institutions et les politiques. Confiance déjà fortement érodée avec la perte de contrôle des finances publiques.
Crise de confiance
In fine, la crise de confiance se répand ainsi entre les individus eux-mêmes. Défiance conduisant chacun à s’interroger : qui profite trop et indûment des prestations sociales ? Des services publics ? Qui ne paie pas assez d’impôts ? Ou symétriquement, n’en paie-t-on pas trop et de façon inéquitable ? Cette perte de confiance, appuyée sur le sentiment d’impuissance énoncé plus haut, induit une fragmentation de la société, une polarisation destructrice et le développement du populisme.
Si l’on n’y prend pas garde vigoureusement en repositionnant l’Etat essentiellement dans son rôle indispensable de stratège, et en conduisant – avec l’ingénierie sociale nécessaire – la transformation et l’amélioration de l’efficacité des administrations publiques, comme en retrouvant la maîtrise de ses coûts, cette situation pourrait conduire peu à peu mais inexorablement au délitement de la société et à la violence.
Le prochain gouvernement devra maintenir la politique de l’offre et réduire les dépenses publiques. Ce sont les seuls moyens de relancer la consommation, le moral et la confiance des Français, plaide Olivier Klein.
C’est un fait maintenant bien établi. Nos finances publiques sont en danger. La dégradation de la note de la France par Moody’s en est un signe à ne pas sous-estimer. La précipitation pourrait inciter à monter les impôts tout d’abord et à rechercher la maîtrise des dépenses ensuite. Ce serait une erreur lourde de conséquences pour l’avenir.
Conserver la politique de l’offre
Le futur gouvernement devra s’empresser de protéger la politique de l’offre. Elle facilite la croissance par la recherche d’une meilleure compétitivité qualité/prix et d’une meilleure attractivité. Elle ne doit pas être abandonnée ni écornée. Elle a eu ces sept dernières années des effets très positifs, dont la remontée du taux d’emploi.
Il est nécessaire de bien faire en sorte de préserver en France le développement, la croissance, les investissements des entreprises à valeur ajoutée, ainsi que le travail qualifié lui-même. En n’aggravant pas, et même en réduisant, les systèmes existants de désincitation. Toute surtaxation à leur endroit incite à leur délocalisation.
Toute ponction fiscale et cotisations sociales excessives sur les entreprises comme sur les ménages, y compris aisés, induit des effets pervers à bas bruit, mais à long terme destructeurs.
Comme l’a montré l’INSEE, les entreprises de main-d’oeuvre peu qualifiée ne sont pas les seules à se délocaliser. Le travail qualifié et la production à valeur ajoutée aussi. Toute politique budgétaire doit l’intégrer. C’est essentiel pour l’économie française tout autant que pour les finances publiques. Toute ponction fiscale et cotisations sociales excessives – et trop élevées, comparativement aux autres pays semblables – sur les entreprises comme sur les ménages, y compris aisés, induit des effets pervers à bas bruit, mais à long terme destructeurs.
Maîtrise des dépenses publiques
Au niveau très élevé et très peu compétitif de nos prélèvements obligatoires, la trajectoire de l’indispensable reprise en mains de nos finances publiques ne doit pas aggraver cet état de fait. C’est donc la maîtrise des dépenses publiques qui a fait sérieusement défaut.
La trajectoire que dessinera la politique budgétaire du futur gouvernement devra ainsi se concentrer d’entrée de jeu sur l’abaissement des dépenses publiques sur PIB – elles aussi au sommet des pays de l’OCDE – pour faire baisser ce ratio, s’attacher à les rendre plus efficaces et les réallouer pour dégager les moyens d’investir davantage pour l’avenir. Ce sera le seul chemin pour rétablir la confiance des Français en l’avenir.
C’est pourquoi doivent ainsi être poursuivies et approfondies les réformes structurelles du type réforme complémentaire du chômage, pour inciter encore davantage à l’emploi, le taux d’emploi étant crucial pour la croissance comme pour les finances publiques. La réforme de la retraite pour garantir son équilibre par le réglage du nombre d’annuités à travailler pour assurer de ne pas ajuster à l’avenir sur le niveau de la retraite future, ce qui sinon pousse à épargner davantage. Les mesures visant à favoriser la quantité et la valorisation du travail, comme la prise de risque qu’il convient de mieux rémunérer. La réforme de la prise en charge par tous d’une (toute) petite partie des frais de médecine courante, pour responsabiliser chacun sur sa « consommation » de soins comme de médicaments, et éviter les mauvaises incitations ou les effets négatifs de l’aléa moral.
Millefeuille administratif
Ce retour indispensable de la confiance passera également par une réforme des administrations publiques et de leur gestion. Et par la lutte contre la sur-administration. Les réformes structurelles et de gouvernance des finances publiques de la Suède au début des années 1990 avaient sauvé la social-démocratie suédoise d’une dérive insoutenable.
Bref, la politique budgétaire devra présenter les caractéristiques indispensables qui permettront aux Français d’envisager enfin que cesse la fuite en avant que nous connaissons depuis des décennies : toujours plus d’impôts et de cotisations pour toujours plus de dépenses publiques – dont l’efficacité baisse – et de sur-administration, entraînant en fait toujours plus de déficits et de dette publique sur PIB, ainsi qu’un découragement et un sentiment d’impuissance.
Sans cela, l’épargne continuera d’être très élevée, la consommation et le moral, comme la confiance dans l’avenir, en berne. Et les pertes de production à valeur ajoutée et de travail qualifié menaçantes. Donc une économie et des finances publiques se détériorant, avec une protection sociale en danger. Le redressement durable des finances publiques en France ne peut pas passer par l’alourdissement supplémentaire des prélèvements obligatoires
Il n’est pas inutile d’opérer une distinction entre la politique d’assouplissement quantitatif des banques centrales, qui consiste à approvisionner massivement les banques et les marchés en « liquidités », en particulier en monnaie des instituts d’émission – prolongement et élargissement de l’action du prêteur en dernier ressort – , et celle qui consiste en l’achat d’actifs sur les marchés financiers, obligations publiques et privées, voire actions. Les deux façons de conduire une politique de quantitative easing (QE) induisent le même gonflement de l’actif et du passif des banques centrales, mais par des biais différents.
Dans le premier cas, les autorités monétaires prêtent de façon extra deux façons de conduire une politique de quantitative easing (QE) induisent le même gonflement de l’actif et du passif des banques centrales, mais par des biais différents. Dans le premier cas, les autorités monétaires prêtent de façon extraordinaire aux banques, afin que le système bancaire ne manque pas gravement de liquidités en monnaie banque centrale. Dans le deuxième, elles achètent de façon tout aussi extraordinaire des actifs à des agents non bancaires qui, en les vendant aux banques centrales, reçoivent de la monnaie qu’ils déposent dans les banques ; ces dernières détenant in fine plus de monnaie banque centrale dans leurs comptes chez des instituts d’émission. On pourrait nommer la première option politique de QE par le passif du bilan des banques centrales et la seconde politique par l’actif.
Mission n° 1 du QE : endiguer les catastrophes La distinction fondamentale réside dans les circonstances conduisant à l’utilisation de ces politiques. Aux États-Unis, comme en Europe, elles ont été utilisées initialement pour faire face à la crise financière et économique très grave de 2008-2009. Le risque de faillite en chaîne des banques, comme de dislocation des marchés, nécessitait de rompre les enchaînements catastrophiques en suspendant temporairement la logique des marchés financiers et la méfiance contagieuse entre les banques elles-mêmes. Celle-ci aurait d’ailleurs pu conduire à une crise de confiance destructrice des ménages vis-à-vis de leurs propres banques.
Aussi, les banques centrales ont-elles massivement augmenté leur bilan pour fournir notamment la liquidité nécessaire aux banques. Le marché interbancaire étant gelé, les banques centrales ont interposé leur bilan dans les échanges de liquidités entre les banques. Celles qui connaissaient des excédents de liquidités ne prêtaient plus aux autres banques et conservaient leur monnaie banque centrale en dépôt à la banque centrale, les instituts d’émission prêtant alors euxmêmes aux banques ayant besoin de liquidités. C’est ainsi que les banques centrales ont à nouveau été les prêteurs en dernier ressort du système financier dès 2008.
L’exemple historique de 2008 Cette année-là, la Réserve fédérale américaine (Fed) a aussi décidé d’acheter des actifs « toxiques » pour éviter la perte de confiance et la faillite de ceux qui les détenaient et pour éviter l’effondrement du prix de ces actifs, dont les conséquences auraient été potentiellement désastreuses pour l’économie.
Ainsi, les banques centrales ont pu enrayer le risque systémique qui se développait très rapidement et qui aurait induit des conséquences économiques et sociales catastrophiques. Il en fut de même vers mars 2020, lors de la très forte crise financière éclair due au Covid et aux confinements. Les banques centrales ont alors acheté de nombreux actifs, y compris « high yield », notamment aux institutions financières non bancaires, dont des fonds d’investissement en détresse ; ce qui a ainsi permis d’éteindre très rapidement le feu qui prenait brutalement.
Mission n° 2 : ranimer croissance et inflation L’assouplissement quantitatif a été ensuite utilisé et pérennisé avec un tout autre objectif. À la suite de la crise financière de 2008, l’économie se trouvait très ralentie et l’inflation à des niveaux extrêmement bas. Comme les taux d’intérêt étaient proches de leur valeur plancher (effective lower bound), arme des taux d’intérêt direc teurs, la politique conventionnelle était devenue inefficace. C’est pourquoi les banques centrales ont commencé à acheter des actifs financiers pour stimuler l’économie et tenter de faire remonter l’inflation. Puis en 2020, avec les conséquences économiques de la pandémie et des confinements, elles ont fait de même. Elles ont notamment acheté des titres de dette publique, afin de soutenir l’effort budgétaire très important des États.
L’ambition d’inciter les ménages à consommer L’efficacité de cette politique peut venir de l’annonce même de la mise en place d’une telle décision. Par exemple, le programme OMT, annoncé en 2012, a recréé la confiance à la suite de sa présentation, alors qu’il n’a jamais été exécuté. Mais son efficacité peut venir aussi de la possibilité qu’elle offre aux banques centrales de prendre le contrôle des taux d’intérêt long terme et des primes de risque ou, à tout le moins, de les influencer largement.
Par là même, elles peuvent inciter les ménages et les entreprises à investir voire à consommer davantage, notamment en abaissant le coût de leurs emprunts. Le crédit et son double, l’endettement, sont d’ailleurs repartis progressivement vers 2017 en Europe. Le troisième canal de transmission a été l’effet richesse enclenché en conséquence de la baisse des taux longs sur la valeur des actions aussi bien que sur l’immobilier. Cet effet richesse a ainsi soutenu la demande. Cependant, une telle politique d’assouplissement quantitatif hors situation de stress financier, pour être efficace, donc pour stimuler l’économie, doit demander aux banques centrales d’acheter beaucoup plus d’actifs, c’est à-dire de créer beaucoup plus de monnaie banque centrale que lors des crises financières. Même si elle nécessite d’injecter encore plus de liquidités pour revigorer la croissance économique, comme celle des crédits, cette politique d’achat a été utile. Elle a notamment permis de ne pas laisser s’enclencher un cycle déflationniste.
Un échec sur l’inflation ? Néanmoins, elle n’a pas réussi à faire remonter l’inflation. Il est probable que l’objectif d’inflation de 2 % ne correspondait pas à un taux répondant au mode contemporain de régulation économique, c’est-à-dire aux conditions structurelles prévalant pendant la période avant Covid. La combinaison d’une situation durable de mondialisation, qui pesait sur les salaires et les prix des pays développés, et d’une révolution technologique, qui ne donnait guère de marge de manœuvre de négociations des salaires pour les employés peu ou moyennement qualifiés, digitalisation et robotisation aidant, induisait les causes structurelles d’une très basse inflation, d’environ 1 %. Les efforts des banques centrales, cherchant à stimuler l’économie et l’inflation, ont alors réussi à augmenter le taux de croissance mais pas le niveau d’inflation. À la recherche d’une cible d’inflation sans doute inatteignable comme à l’aide d’une boussole – le taux d’intérêt naturel – très peu précise et conceptuellement critiquable, la politique monétaire a persévéré dans l’assouplissement quantitatif alors même que le PIB et les crédits avaient retrouvé une tendance favorable.
L’inquiétante montée de l’instabilité financière La conséquence a été des taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps, c’est-à-dire durablement inférieurs aux taux de croissance. Avec, en résultante, la montée de l’instabilité financière dûe à une croissance forte de l’endettement des agents privés et publics par rapport au au produit intérieur brut (voir graphique). Imbriquée dans la hausse de l’endettement, la hausse très rapide et très forte de la valeur des actions et de l’immobilier en fut également une manifestation notoire. En effet, avec des taux d’intérêt longs inférieurs au taux de croissance nominale, les acteurs privés et publics étaient incités à augmenter leurs dettes sans douleur, fragilisant ainsi leur bilan. Et les épargnants, ou leurs gestionnaires d’actifs, leurs caisses ou fonds de retraite, comme leurs assureurs vie, ont cherché à obtenir un rendement suffisant. Ils ont été incités à acheter des actifs de plus en plus risqués (faisant dangereusement baisser les primes de risque), des actifs de plus en plus longs (prenant alors de plus en plus de risques de liquidité), etc. Les bilans des acteurs économiques se sont ainsi fragilisés tant à l’actif qu’au passif. En outre, les politiques monétaires très accommodantes qui perdurent accroissent les inégalités de patrimoine, enrichissant davantage ceux qui en ont déjà, et rendant moins accessibles aux autres l’immobilier et le marché des actions. Enfin, pour tous ces effets réunis, il est raisonnable de penser qu’elles ont contribué in fine au ralentissement, à l’alanguissement de l’économie, en ayant permis notamment le développement d’entreprises « zombies » (qui, avec des taux d’intérêt normaux, auraient durablement connu des résultats négatifs).
Le QE contributif à la moindre productivité Cette mauvaise allocation globale des capitaux a très probablement contribué à faire décroître les gains de productivité. De plus, des taux d’intérêt trop bas trop longtemps peuvent avoir, comme en Allemagne, contribué à la remontée du taux d’épargne et non à sa décrue, contrairement aux préceptes de la théorie économique standard. Une population à la démographie déclinante peut en effet désirer épargner davantage pour préparer sa retraite, ne pouvant plus compter suffisamment sur le rendement de son épargne « normale ». Le fort niveau d’endettement de nombreux acteurs est aussi de nature à peser tôt ou tard sur leur capacité d’investissement, l’ensemble conduisant alors à un ralentissement structurel de la croissance et non à un soutien.
Pour conclure, il est difficile de sortir des politiques d’assouplissement quantitatif dès lors qu’elles ont été utilisées longuement. Dès lors, ces politiques ont développé un caractère asymétrique qui pourrait s’avérer préoccupant. Entre autres, cette asymétrie peut procurer aux marchés des options gratuites pour les protéger à la baisse et leur permettant de jouer la hausse avec un risque très limité. La fragilité ainsi accentuée des structures financières des agents tant à l’actif des bilans, qui comprend des valeurs d’action et d’immobilier très valorisées ou survalorisées, qu’à leur passif, qui connaît des niveaux d’endettement sur PIB rarement atteints, incite à juste titre les banques centrales à une très grande prudence.
Comment sortir du QE ? Faire diminuer trop rapidement ou trop intensément le bilan des instituts d’émission pourrait conduire à des crises financières et économiques de grande ampleur. C’est pourquoi on peut considérer que les liquidités en monnaie banque centrale ne seront retirées – comme à l’heure actuelle – que très précautionneusement. Très probablement, le chemin inverse ne sera jamais parcouru dans sa totalité. Mais nous sommes dans le domaine de l’inédit puisque l’expérience de quantitative tightening est une première historique. La lutte contre le retour brutal de l’inflation ces dernières années a été réussie grâce à l’effet des politiques conventionnelles des banques centrales (hausse de leurs taux d’intérêt directeurs), tout en ne jouant pas sur la taille de leur bilan, mais en essayant de conduire sa réduction à bas bruit, comme une action structurelle et non comme une politique monétaire discrétionnaire. En fin de course, il semble que l’on puisse affirmer que les politiques d’assouplissement quantitatif ont des effets très favorables lorsqu’il s’agit de guérir une crise financière et économique violente en tentant d’endiguer le risque systémique empêchant un enchaînement catastrophique.
Cependant, s’en servir pour stimuler croissance et inflation, si la croissance est revenue et si l’inflation cible ne correspond plus à l’inflation structurelle, peut sembler comporter plus de dangers que de bénéfices.
Encore des objets d’incertitude Nous n’avons pas encore vu d’ailleurs toutes les conséquences économiques et financières qu’une telle politique, menée trop longtemps, peut induire. Gageons que, hors nouvelles crises violentes, les banques centrales chercheront à maintenir durablement les taux d’intérêt à des niveaux sensiblement égaux aux taux de croissance nominaux. Tout compte fait, afin de pouvoir s’en resservir en cas de besoin avéré, la politique monétaire non conventionnelle devrait le rester .
Le professeur à HEC Paris et directeur général de Lazard Frères Banque estime qu’un relèvement des prélèvements obligatoires, déjà parmi les plus élevés en Europe, produirait l’inverse de l’effet escompté.
Pendant sept longues années, cʼest une ligne rouge quʼEmmanuel Macron, ses Premiers ministres successifs et Bruno Le Maire, sʼétaient engagés à ne pas franchir. Mais à peine quelques jours après son arrivée à Matignon, Michel Barnier pourrait revenir sur cette promesse. Face à lʼurgence budgétaire, lʼancien commissaire européen envisagerait dʼappliquer des hausses dʼimpôts. Dans son viseur : les entreprises et les ménages les plus aisés. Une hypothèse qui a provoqué du remous au sein de sa propre famille politique, Les Républicains, et de lʼancienne majorité présidentielle.
« La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. Jʼai demandé tous les éléments pour en apprécier lʼexacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité », a déclamé Michel Barnier auprès de lʼAFP ce mercredi 18 septembre. Au point de prendre des décisions radicales et de rompre avec la politique de lʼoffre entreprise par le chef de lʼEtat depuis son arrivée au pouvoir ? Interrogé par LʼExpress, Olivier Klein, directeur général de Lazard Frères Banque et professeur dʼéconomie à HEC Paris, estime quʼune hausse des prélèvements obligatoires serait une erreur qui pèserait fortement sur notre économie. Il plaide en revanche pour lʼactivation dʼautres leviers comme lʼinnovation et lʼinvestissement.
LʼExpress : Augmenter les prélèvements obligatoires serait-il, selon vous, une erreur ?
Olivier Klein : Le diagnostic est juste. Nous avons évidemment un déficit public et une dette publique trop élevés. Nous ne pouvons pas le nier et en prendre conscience est déjà très important pour pouvoir le traiter. La question est : comment le résoudre ? Nous avons à notre disposition plusieurs politiques : lʼaugmentation des prélèvements obligatoires, la baisse des dépenses publiques ou encore les réformes structurelles et lʼinvestissement dʼavenir pour augmenter le potentiel de croissance. On pourrait croire assez simplement que lʼon va faire une dose de chaque mesure afin de diminuer le déficit public, et que ce serait bon pour la justice sociale. Or, cʼest ce que je mets en doute.
Pourquoi ?
En France, nous avons en ce moment un problème dʼoffre et non de demande, comme vient de le souligner le rapport Draghi pour lʼensemble de lʼEurope. Cela nʼa pourtant pas toujours été le cas et cela dépend des périodes. En France, en particulier, nous avons un déficit de compétitivité fort car la gamme des produits que nous fabriquons ne correspond pas aux prix auxquels ils sont vendus. Il y a deux manières de sʼajuster. Soit nous baissons les salaires et les prix, avec la même qualité. Mais nous touchons alors aux niveaux de vie, ce nʼest pas vraiment une solution à privilégier.
Soit nous faisons des réformes structurelles et des investissements dʼavenir pour favoriser lʼinnovation et améliorer la gamme de ce que nous produisons. Pour cela, il faut pouvoir faire en sorte que les entreprises aient suffisamment de bénéfices. Or, les taux de prélèvements obligatoires en France sont déjà parmi les plus élevés de la zone euro. Remonter les impôts des entreprises alors quʼelles doivent, au contraire, investir et améliorer lʼoffre, produirait lʼinverse des effets recherchés. Quʼen est-il des ménages ?
Si les entreprises sont moins compétitives, le taux dʼemploi va inévitablement diminuer, alors quʼil avait réussi à remonter depuis sept ans grâce à la politique de lʼoffre mise en place par le gouvernement. Nous abîmerons alors le pouvoir dʼachat et lʼégalité des chances. A lʼarrivée, ce sont les finances publiques qui se retrouveront encore détériorées. Il y aura moins de production nationale, moins de résultats pour les entreprises et donc moins de revenus distribués. Nous allons entrer à nouveau dans le cercle vicieux dans lequel nous sommes depuis des dizaines dʼannées. Nous nous donnerons lʼillusion à court terme dʼavoir réduit le déficit public, tout en le détériorant deux ans plus tard.
Que vous inspire lʼexpression de « justice fiscale » employée par Michel Barnier ?
Avant de dire cela, il faut bien regarder les chiffres. Nous avons le taux de redistribution le plus fort parmi les pays de lʼOCDE. Il nʼy a pas de problème de justice fiscale. Il ne faut surtout pas accentuer le cercle vicieux. Travaillons plutôt sur lʼégalité des chances qui nʼest pas suffisante en France. Ce nʼest pas le moment de baisser les impôts, ni de les monter encore parce que cela empirerait la situation dans laquelle nous sommes, à savoir un déficit commercial très fort et des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone euro. Il faut avoir une vue dynamique de lʼéconomie. Ce nʼest pas un jeu à somme nulle. Attention à ne pas faire dʼerreur de diagnostic.
Une hausse temporaire des impôts, comme le préconise le gouverneur de la Banque de France, serait-il un bon compromis ?
Ce nʼest pas une décision économique, mais purement politique. A chaque fois que nous avons décrété que les impôts seraient temporaires, ils ont été maintenus. Très peu de gens croiront donc cela parce quʼils lʼont déjà vécu. Les Français se diront quʼil y a moins de pouvoir dʼachat et vont ainsi moins dépenser. Quant aux entreprises, elles investiront moins pour les mêmes raisons. Il ne faut pas que ça soit un prétexte pour ne pas agir sur les dépenses, qui est, je le reconnais, un exercice très compliqué.
Comment lʼexpliquer ?
Il faut savoir expliquer pourquoi, comment on le fait et accompagner les gens pour montrer quʼils ne sont pas forcément perdants. Cela met obligatoirement du temps. De plus, si on allait trop vite, cela jouerait négativement sur lʼéconomie. Quand certains économistes nous disent que le choix dʼaugmenter les impôts ou de baisser les dépenses relève dʼun choix politique, je pense quʼils reflètent insuffisamment la réalité économique. Dans la situation dans laquelle nous sommes en France, les conséquences pourraient se révéler divergentes. Baisser les dépenses régulièrement de façon engagée et pas de manière brutale aurait des vertus de croissance. Monter encore les impôts aura un effet de décroissance. Lʼeffet final sur lʼéconomie et les finances publiques sera donc très différent.
Le débat actuel autour des hausses dʼimpôts ne démontre-t-il pas, en réalité, notre incapacité à réduire durablement nos dépenses publiques ?
Jusquʼà présent, nous nʼavons pas abordé le problème de façon très solide et très sérieuse. Nous avons un taux de dépenses dʼéducation publique par rapport au PIB qui est plus élevé que la moyenne européenne. Or, nous voyons dans les études, comme le classement Pisa, que nous sommes en retard. De plus, les professeurs sont moins bien payés quʼen Allemagne, par exemple. Cʼest aussi le cas dans la santé, et idem pour le salaire des infirmières. Lʼorganisation doit être repensée et nous devons améliorer lʼefficacité de nos dépenses publiques. Il nʼy a que cela qui sera durable.
La reforme des retraites a été critiquée pour avoir été mal préparée et mal négociée. Soit. Pour autant, l’abroger serait très dangereux eu égard à la fragilité de nos finances publiques et à l’absolue nécessité de les redresser. Tout signe d’aggravation de la situation pourrait déclencher une grave crise de financement de la dette française. Aussi, l’abrogation de cette réforme serait-elle comprise par les épargnants et les marchés comme irresponsable. Les dépenses publiques de retraite sur PIB représentent en 2022 déjà en effet 14,4 % en France, contre 11,9 % en zone euro.
Mais l’abrogation serait également très défavorable économiquement aux Français (pour les ménages ou les entreprises) et, en fin de compte, pénaliserait l’emploi et le pouvoir d’achat. Les seuls moyens possibles d’assurer l’équilibre des régimes de retraites par répartition sont en effet, primo, de baisser le niveau des retraites, ce qui n’est évidemment bon ni pour les retraités ni pour l’économie.
Secundo, d’augmenter les cotisations sociales. Pour les salariés, cela provoquerait une perte de pouvoir d’achat et une pression baissière sur la demande. Pour les entreprises, sachant que ces cotisations sociales sur PIB sont déjà de 50 % plus élevées en France qu’en Allemagne, cela reviendrait à réduire leur compétitivité et entraînerait une pression baissière sur l’emploi et les salaires.
Troisième et dernière solution : moduler la durée de la vie active en fonction de l’évolution de la démographie. Les mesures d’âge (âge de départ à la retraite ou, mieux, nombre d’annuités), aménagées bien entendu suivant la pénibilité du travail de chacun, sont seules à même de rendre compatibles l’intérêt des retraités actuels ou futurs et la recherche du meilleur potentiel de croissance de l’économie, de l’emploi et du pouvoir d’achat. D’autant plus qu’encore aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ne peuvent atteindre tout leur potentiel de croissance en raison d’un manque de main-d’oeuvre, qualifiée ou non.
Rappel : en France, nous avions 4 cotisants pour 1 retraité en 1960. En 2010, 1,8 cotisant seulement pour 1 retraité et ce sera 1,2 en 2050. Dans le même temps, en 1958, l’espérance de vie à l’âge de la retraite était de 15,6 ans pour les femmes et de 12,5 ans pour les hommes. En 2020, ces chiffres atteignent respectivement 26,9 ans et 22,4 ans… L’âge de départ à la retraite est pourtant moins élevé aujourd’hui qu’en 1958 !
L’espérance de vie en bonne santé après la retraite a également considérablement progressé. En France, seuls 30 % environ des personnes de 60 à 64 ans travaillent, alors que dans les autres pays de la zone euro, ils sont presque 50 % (57 % en Allemagne, 68 % en Suède).
Tous les pays voisins ont effectivement remonté, pour les mêmes raisons et par réalisme, l’âge de la retraite, en le plaçant de 65 à 67 ans. Le principe de réalité doit aussi, enfin, nous saisir , pour que notre système de retraite par répartition ne soit pas mis en danger par l’incapacité à le financer. La réforme discutée, même si insuffisante, va dans le bon sens. Il est toujours possible de l’amender quelque peu, mais attention de ne pas ouvrir la boîte de Pandore…
Enfin, deux réflexions. Tout d’abord, le travail n’est pas seulement nécessaire économiquement, il est aussi le plus souvent un moyen d’intégration, de socialisation et de réalisation de soi. Facilitons donc le travail des plus de 60 ans et incitons les entreprises à les conserver, voire à les embaucher. La seconde : le travail n’est pas à partager parce qu’il serait en quantité finie. C’est une vue statique et erronée de l’économie qui conduit à penser ainsi. Le travail crée le travail dans une dynamique où l’offre et la demande se nourrissent réciproquement. Tous les travaux empiriques le confirment.