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4eme édition des Rencontres du financement de l’économie : l’évolution possible de la politique monétaire et des taux d’intérêt et les conséquences sur l’économie et les banques

le 28 mars 2017

Alors que la zone Euro est à la croisée des chemins et que les gouvernements des pays membres se penchent sur son fonctionnement, Olivier Klein traite ici de l’évolution possible de la politique monétaire et des taux d’intérêt dans ce contexte.

Les taux vont-ils monter et quels sont les fondamentaux qui le justifieraient ? Quels sont les effets des taux bas sur l’économie et sur la capacité de financement des banques ?

Une première réflexion, un peu générale, mais fondamentale : les taux très faibles ne sont pas un phénomène dû exclusivement aux banques centrales. On observe que la croissance repart en ce moment, tant aux États-Unis que dans les pays émergents et en Europe. C’est une bonne nouvelle. Cela va probablement tirer les taux vers le haut. Mais depuis la crise financière, on a connu une période de croissance très faible, avec une crise de surproduction mondiale, qui s’est traduite par un dynamisme très faible de l’offre et de la demande. Évidemment, une demande faible et une épargne forte couplées à un investissement faible sont la manifestation d’une surproduction mondiale. De la même façon, des gains de productivité faibles et une démographie déclinante mondiale – à part en Inde et en Afrique – entretiennent un manque de dynamisme de l’offre. La simultanéité d’un manque de dynamisme de la demande et de l’offre a pour conséquence des taux de croissance très faibles et fait baisser naturellement les taux d’intérêt.

Si les marchés fonctionnaient bien, et si l’économie s’autorégulait spontanément, les taux d’intérêt rejoindraient les taux d’intérêt dits naturels. Dans la théorie économique, ces taux naturels sont ceux qui égalisent l’épargne et l’investissement à un niveau de plein-emploi. Il se trouve que c’est un taux que l’on ne peut pas observer, c’est un taux calculé par les économistes. Et ces calculs conduisent à des taux d’intérêt extrêmement bas. Parfois même, il est calculé que ces taux auraient dû être négatifs pour pouvoir égaliser la demande et l’offre, soit l’épargne et l’investissement, au niveau du plein-emploi. Notamment dans la zone euro.

On voit donc bien que ce n’est pas seulement la banque centrale qui pousse les taux d’intérêt vers le bas.
Cela conduit à penser que l’on était il y a encore peu de temps soit dans une période de stagnation séculaire, dont on connaît tous les effets et les raisons, soit, au moins depuis la crise, dans une longue période classique de désendettement avec croissance très faible, qui se produit après toutes les crises de surendettement majeures, telles que celle que l’on a connue dès 2007. Les deux à la fois sont possibles, au moins temporairement. Dans les deux cas, cela justifie des taux d’intérêt extrêmement bas.

À ces réflexions, il faut ajouter le fait que la violente crise financière que nous avons connue nous a fait entrer dans une période de déflagration majeure, avec un risque très élevé de déflation. Pour lutter contre cette déflation, les banques centrales ont conduit des politiques extrêmement agressives, mais nécessaires. Toutes les grandes banques centrales ont agi en baissant les taux encore plus bas que les marchés ne les poussaient, c’est-à-dire en dessous des taux neutres. Comme on le sait, le taux neutre est égal au taux de croissance réel augmenté du taux d’inflation, donc au taux de croissance nominale. Quand on pousse les taux en dessous des taux neutres, on le fait parce que l’on veut ranimer la croissance en faisant repartir l’inflation – et éviter ainsi la déflation – et, bien sûr afin de limiter les risques d’une crise de surendettement pour éviter les effets « boule de neige » sur la dette, dus à des taux d’intérêt nominaux supérieurs au taux de croissance nominale.

Quand on a une croissance extrêmement faible et une inflation quasi nulle, on fait face à ce que l’on connaît bien, le zero lower bound, qui est la limite du taux zéro. La politique monétaire et l’autorégulation de l’économie se retrouvent donc contraintes en principe par l’impossibilité d’amener les taux en dessous de zéro, alors qu’ils devraient l’être pour rééquilibrer la demande et l’offre au niveau du plein emploi.. En France, par exemple, les banques ne peuvent pas proposer des dépôts à taux négatifs, sauf aux grands institutionnels. On est limité à ce taux zéro. On voit bien que cela peut être une trappe pour une situation de sous équilibre durable. Si les taux ne peuvent pas descendre suffisamment bas, la conséquence peut ainsi être de rester dans une situation de sous équilibre, de sous production, avec sous-emploi durable et avec un risque de déflation persistant. Avec des taux d’intérêt qui, bien que très bas, n’ont plus le ressort pour remonter, parce qu’ils devraient être encore plus bas.


Si l’on en revient maintenant aux effets sur l’économie des taux très bas, ils sont bien connus. En principe, ils font repartir la croissance par un premier effet, la stimulation de la consommation et de l’investissement et l’abaissement de l’attrait de l’acte d’épargne.
Le deuxième effet est l’effet richesse. La baisse des taux fait remonter le prix des actifs patrimoniaux, que ce soit l’immobilier ou les actions, ce qui soutient à son tour la consommation et l’investissement pour les ménages comme pour les entreprises.
En 2007, les taux d’endettement des agents privés des pays avancés avaient atteint des niveaux extrêmement élevés. Cette crise de surendettement, qui est la raison fondamentale de la crise financière que nous avons connue en 2007-2009, a entraîné une crise de surendettement des États. À partir de 2008-2009, les États s’endettèrent beaucoup pour faire face à cette crise financière et économique. Cela conduisit un certain nombre d’États à des situations de surendettement, rejoignant ainsi la situation des acteurs privés.

Cela conduisit naturellement, comme toujours dans l’histoire financière, à de très grandes périodes de désendettement, douloureuses, qui asphyxient potentiellement la croissance.
L’effet de taux très bas, inférieurs aux taux d’intérêt neutres permet de faciliter ces périodes de désendettement. Comme dit précédemment, cela permet d’éviter les crises dites « boules de neige » que l’on connaît bien. Si les taux d’intérêt sont supérieurs aux taux neutres, dès lors que l’on a un taux d’endettement élevé, la dette s’emballe, parce qu’il faut financer les intérêts de la dette à payer par un accroissement de la dette elle-même. Inversement si l’on a des taux plus bas que les taux neutres, on peut se désendetter de façon moins douloureuse. Évidemment, c’est ce qu’ont fait les banques centrales en baissant beaucoup leurs taux courts, jusqu’à zéro. C’est usuel dans la politique monétaire. La novation de la part de quelques banques centrales a été de porter certains taux courts en dessous de zéro, pour déjouer le Zéro lower bound. La BCE a lancé une politique de taux négatifs sur les dépôts des banques à la banque centrale. Nous sommes à -0,40 %, aujourd’hui. Si la BCE l’a fait, c’est probablement parce que le taux d’intérêt naturel en zone euro est négatif. C’est aussi évidemment une façon d’inciter les banques à ne pas conserver de réserves de liquidités à la banque centrale, mais au contraire à les utiliser pour faire davantage de crédits. C’est bien ce qui s’est passé, d’ailleurs. Les banques se sont dit qu’il valait mieux faire des crédits, même à 1,50 %, plutôt que de perdre -0,40 % en laissant les liquidités à la banque centrale. Cela faisait 1,90 % de différentiel. Toutes les banques ont donc été incitées à faire davantage de crédits. Et cela a poussé à nouveau les taux à la baisse, puisque l’offre de crédits a augmenté et que la compétition entre les banques a ainsi été encore plus vive. Donc, les banques ont prêté plus, dans le cadre d’une politique intelligente de la banque centrale, même si elle n’est pas très usuelle, et même si elle comporte évidemment des risques.

En outre, comme aux États-Unis, mais plus tardivement, la BCE a pris des mesures beaucoup plus radicales en faisant notamment du quantitative easing, c’est-à-dire du développement de son propre bilan bancaire en achetant directement des dettes publiques et privées. En réalité, il s’agissait là de se donner les moyens de contrôler aussi les taux longs, alors que la pratique traditionnelle des banques centrales est de contrôler les taux courts. Il lui fallait contrôler les taux longs pour les amener à des taux qui étaient compatibles notamment avec la trajectoire de solvabilité budgétaire des États. Entre 2010 et 2012, on était entré dans une crise majeure de la zone euro, période hautement risquée puisque s’était installée une défiance contagieuse, où l’on avait la dynamique catastrophique suivante : la crainte quant à la solvabilité de la dette publique, qui poussait à la hausse les taux d’intérêt des dettes publiques, qui renforçait à son tour le risque d’insolvabilité. La politique extraordinairement bienvenue alors de Mario Draghi a été de lancer le quantitative easing pour abaisser les taux longs des États et faire cesser ces cercles vicieux. Sans cela, la zone euro aurait très probablement éclaté. Son célèbre « whatever it takes » a été salvateur.

En outre, on le sait bien, le quantitative easing a des conséquences sur les changes. Or, le niveau de change peut aider, dans certaines conditions, à rehausser le niveau de croissance. Il y a eu des tentatives de faire baisser le dollar, ou de faire baisser l’euro, etc., par les banques centrales concernées, à travers les politiques de quantitative easing.


La question que l’on se pose tous aujourd’hui, et ici-même, est de savoir combien de temps les taux très bas, voire négatifs, peuvent encore durer et si l’on est définitivement passé dans une phase de hausse des taux. Et si la réponse est positive, à quelle vitesse cette hausse va se produire.

Dans le fond, en 2008-2009, j’étais persuadé que les taux longs très bas seraient durables. Je n’avais pas complètement tort, puisque nous sommes en 2017, et qu’ils sont encore extrêmement bas. Pour moi, ils étaient durables, à cause du contexte et des raisons que je viens d’expliquer. Pourquoi aujourd’hui pourrait-on changer notre paradigme et penser que les taux pourraient remonter ?

Je l’ai dit tout à l’heure. D’abord, parce qu’il y a une reprise de la croissance, et que les taux d’intérêt nominaux sont assez fortement déterminés par le taux de croissance nominale. Le taux de croissance nominale remontant partout dans le monde, c’est donc une bonne raison de penser que les taux doivent remonter.
En outre, il y a des freins et des problèmes à faire perdurer très longtemps des taux longs extrêmement bas, voire même négatifs. Le premier frein est que les politiques de taux longs très bas peuvent ne pas marcher. Il ne suffit pas d’abaisser les taux pour donner envie aux entreprises et aux ménages d’emprunter. C’était bien le cas en France, en 2014, quand les taux se sont très fortement abaissés. Le crédit n’est pas reparti tout de suite, et ce n’était pas imputable aux banques, qui auraient aimé faire plus de crédits. Il y avait simplement un problème de demande de crédit, parce que tout le monde était dans une sorte de marasme où personne n’avait envie d’emprunter bien davantage. Finalement, fin 2014 et courant 2015, on a connu une croissance de la masse des crédits en France, due à la politique de taux d’intérêt très bas. Ce frein-là n’existe donc plus, puisque l’on a une demande de crédit, à notre avis insuffisante, mais en tout cas de bon niveau.

Parallèlement, a priori, des taux d’intérêt très bas découragent l’épargne. Mais il faut comparer les taux à l’inflation. On a des taux d’intérêt très bas, mais on a également une inflation très basse. Au total, les épargnants n’ont pas été maltraités, en tout cas moins que dans les années où les taux d’intérêt étaient bien plus élevés qu’aujourd’hui mais moins chers que les taux d’inflation. Mais il y a un effet psychologique à avoir des taux d’intérêt très bas. Beaucoup de ménages se disent que s’ils n’arrivent pas à constituer progressivement l’épargne qu’ils souhaitent avoir au moment où ils prendront leur retraite, parce que les intérêts ne sont pas assez élevés pour capitaliser à un niveau suffisant pour atteindre ces montants, ils vont peut-être épargner plus et moins consommer pour se garantir les niveaux qu’ils veulent pour plus tard. Dans ce cas-là, l’effet des taux d’intérêt très bas peut être exactement le contraire de ce que l’on attend en théorie économique traditionnelle. Aujourd’hui, l’effet n’est pas manifeste. On voit bien que les taux d’intérêt très bas n’ont pas non plus accru l’épargne. Mais cet effet pourrait agir tôt ou tard.

Le troisième frein à la politique monétaire des taux très bas est que les effets de richesse, qui sont forts aux États-Unis, sont moins forts en Europe, notamment parce que la composition des portefeuilles financiers des ménages en épargne n’est pas du tout la même. Elle est bien moins assise sur des actions. Elle est davantage composée de monétaire, d’immobilier, etc. Donc, les effets de richesse sont beaucoup moins évidents économétriquement sur l’Europe.

Deux risques sont en outre à prendre en compte. Le premier est de voir des bulles spéculatives renaître. Les taux d’intérêt étant très bas, il est facile d’emprunter pour se porter acheteur sur le marché des actifs patrimoniaux. Ce qui pourrait entraîner le développement de bulles.

Aujourd’hui, et à tout le moins il y a quelques mois, on ne pouvait pas vraiment déceler de bulle. Il n’y a pas de bulle de l’immobilier évidente en Europe. Il n’y a pas non plus de bulle manifeste sur le marché des actions, en tout cas en Europe, même si, aux États-Unis, je ne suis pas tout à fait sûr que certains secteurs ne soient pas déjà surévalués. Ce risque, s’il n’est pas avéré pour l’instant, existe cependant, notamment si une telle situation sur les taux devait se prolonger encore.

On constate en outre que des institutionnels ont du mal à faire face aux obligations de rendement qu’ils peuvent avoir, que ce soient des fonds de retraite, des mutuelles de santé ou des fonds de placement. On voit ainsi clairement s’enclencher des achats d’actifs beaucoup plus risqués que ceux qu’ils prenaient auparavant. Comme tout ce qui présente peu de risque a un rendement quasi négatif, on constate une tendance à aller vers des actifs beaucoup plus risqués. Le prochain retournement de conjoncture et de marché pourrait laisser voir des défauts de crédit et d’obligations. Bref, des bilans plus fragiles.

Il existe enfin un risque sur les banques. On comprend bien qu’il leur faut une pente de taux pour faire de la marge. Pourquoi ? Parce qu’en gros, elles empruntent de l’argent aux déposants à des taux référencés sur des taux courts, et qu’elles prêtent très majoritairement à taux fixes longs. Une baisse des taux, pendant la période de transition, n’est en général pas bonne pour les banques. Mais, après la transition, les banques devraient pouvoir restaurer leurs marges. Si l’on était, avant la phase de transition, à 5 % de taux de crédit en moyenne sur le stock et à 2,50 % de taux sur les dépôts par exemple, et si l’on se retrouve, après transition, réciproquement à 2,50 % et à zéro, le taux de marge de la banque est bien reconstitué. En fait comme aujourd’hui tous les taux longs et les taux courts se rejoignent vers zéro, les taux de crédit sur le stock baissent sans cesse dans les actifs des banques et les taux des dépôts ne peuvent pratiquement plus baisser, puisqu’ils sont pratiquement à zéro, et qu’ils ne peuvent devenir négatifs. Nous sommes devant le phénomène de zero lower bound. Et cela conduit les banques commerciales en France à voir se réduire inexorablement leur taux de marge, donc leurs revenus.

Mais il existe d’autres effets que met en avant la banque centrale, à juste titre. D’après elle, parce que les taux sont bas, le volume de crédit peut rebondir. C’est vrai. Comme je l’ai dit, à partir de fin 2014-2015, c’est bien ce qui s’est passé en France. On a connu un effet volume positif sur les crédits qui a permis de compenser l’effet taux d’intérêt négatif sur les marges nettes d’intérêt des banques commerciales. C’est rigoureusement exact en 2015. En 2015, la moitié des banques commerciales en France ont eu une marge nette d’intérêt qui a légèrement baissé, l’autre qui a légèrement monté, et, au total, les banques ont connu en tant qu’agrégat une marge nette d’intérêt inchangée. Ce n’est plus du tout le cas en 2016. Dans la banque commerciale en France, en 2015, le PNB est effectivement monté de 1,8 %, parce que l’effet volume a compensé l’effet taux, comme nous venons de le voir, et que les commissions ont légèrement monté. Mais en 2016, le PNB a en revanche baissé de 4 %, en moyenne, parce que l’effet volume a été inférieur à l’effet taux d’intérêt qui se cumule, malgré l’évolution des commissions. Même si les taux d’intérêt stagnaient maintenant, ou même s’ils remontaient très légèrement, l’abaissement du taux du stock dû au remboursement naturel des crédits anciens ou aux renégociations, ou encore aux remboursements anticipés, conduirait à un taux sur le stock en baisse.

Les banques commerciales rentrent donc dans des zones très inconfortables. La banque centrale européenne répond, à juste titre, que grâce au fait que les taux d’intérêt sont très bas, ce qui a aussi ravivé un peu l’économie et la croissance française et européenne, le coût du risque de crédit s’est également abaissé. Elle a raison. En 2015, les banques commerciales en France ont connu un coût du risque de crédit qui s’est réduit au total de 12,2 %. En 2016, il s’est réduit de 14,2 %. Aussi, si je prends maintenant la variation du PNB diminuée de la variation du coût de crédit pour analyser l’effet total, qu’observons-nous ? Pour l’ensemble des banques commerciales en France, en 2015, un effet net positif de +3 % ; mais en 2016, un effet net négatif de -3,3 %. Autrement dit, la baisse du coût des crédits, en 2016, n’a pas suffi à compenser la baisse du PNB induite par l’effet taux d’intérêt.

En outre, la baisse du coût du risque ne peut être durable. L’effet du taux d’intérêt du stock de crédit en baisse est quant à lui durable. La baisse du coût du risque n’est pas durable en effet puisqu’il suffirait d’un ralentissement économique pour que ce coût remonte. On ne peut pas parier sur cela pour compenser durablement des PNB plus bas.


 La question qui peut se poser est de savoir si, au fond, cette politique de taux d’intérêt très bas, voire négatifs en Europe, était souhaitable ou pas. Certains économistes disent qu’elle était et est très dangereuse. Je ne partage pas ce jugement. Je pense qu’elle était parfaitement souhaitable, que les effets favorables, comme le dit la BCE à juste titre, ont été largement supérieurs aux risques pris. Il fallait prendre les risques qu’elle a pris, parce que les risques qui auraient existé si elle n’avait pas mené cette politique monétaire auraient été bien supérieurs : déflation, stagnation prolongée, etc.

Où en sommes-nous, aujourd’hui ? D’abord, il faut constater que le renouveau de la croissance un peu partout dans le monde légitime une remontée des taux, comme on l’a dit tout à l’heure. La FED les remonte tranquillement, avec cependant des nouvelles incertitudes sur la politique de Donald Trump et ses conséquences possibles sur la conjoncture américaine. Le dollar est monté, mais il est en train de rebaisser. On voit bien que les marchés sont incertains quant à la réussite de la politique Trump ou, au contraire, quant aux problèmes qu’elle pourrait engendrer. Et puis, la FED est de plus en plus sensible, à juste titre me semble-t-il, à l’effet d’une remontée des taux aux États-Unis sur les pays émergents. D’une certaine manière, c’est la Fed qui fait la politique monétaire des pays émergents qui ont très souvent des monnaies liées au dollar. On voit bien que si la FED remonte trop vite ses taux d’intérêt, elle va en partie couper le financement des pays émergents. C’est un effet classique qui fait que quand les taux d’intérêt sont très faibles aux États-Unis, les acteurs y empruntent des dollars pour les placer dans les pays émergents, qui ont des taux de croissance bien supérieurs, donc des taux d’intérêt bien supérieurs, afin de jouer ainsi un portage très favorable. Si les taux remontent aux États-Unis, l’argent va être retiré des pays émergents pour revenir aux États-Unis. On peut ainsi créer des crises profondes dans les pays émergents, comme on l’a vu, il y a un peu plus d’un an, quand la FED avait remonté, ou menacé de remonter ses taux. Donc, la FED va être prudente dans la remontée de ses taux, j’en suis persuadé, étant bien consciente de ces deux phénomènes-là.
Quant à la BCE, je pense qu’elle comprend fort bien les enjeux, et qu’elle a manifestement bien agi jusqu’alors. Elle doit néanmoins faire face à plusieurs phénomènes nouveaux. Le premier est que l’effet des taux bas commence à s’estomper, voire à devenir dangereux, comme dit précédemment. J’ai pris l’exemple de la France, mais c’est également vrai ailleurs, et les banques françaises sont parmi les plus solvables. Elles sont en excellente santé par rapport à l’Allemagne ou à l’Italie. Mais vous voyez que même les banques françaises, dans leur activité de banque commerciale en France, sont touchées.
Dans le même temps, n’oublions pas que l’on demande aux banques d’augmenter leurs ratios de solvabilité de façon très importante. Grosso modo, depuis Bâle III, il leur a été demandé de multiplier par deux leurs capitaux propres dits « durs ». Or il est difficile de demander aux banques d’augmenter beaucoup leurs ratios de solvabilité, donc leurs capitaux propres, et en même temps de faire baisser leurs résultats. Il ne faudrait pas par exemple que la croissance reparte un peu plus fort et que les banques soient prises au piège, incapables de suivre suffisamment le surcroît de demande de crédit qui en résulterait.
Au fond, on comprend bien que la BCE a aussi initié cette politique -même si elle ne le dit pas- pour faciliter les trajectoires de solvabilité budgétaire des différents pays de la zone euro, ainsi que nous l’avons noté. En réalité, elle a acheté du temps. Le « deal » de la BCE est clair. Elle mène une politique de taux extrêmement bas, en attendant deux choses des Etats. La première est qu’ils conduisent les réformes structurelles nécessaires pour augmenter leur potentiel de croissance et diminuer leur déficit structurel, faisant ainsi en sorte de faciliter leur trajectoire budgétaire future en protégeant leur solvabilité. La deuxième est qu’ils constituent les conditions institutionnelles d’une zone euro viable. On sait aujourd’hui que l’incomplétude de la zone euro est patente en termes d’arrangements institutionnels,
c’est-à-dire de capacité à faire fonctionner la zone sans que ce soit obligatoirement toujours aux pays qui vont le moins bien de subir seuls le coût de l’ajustement nécessaire, avec les conséquences sur les votes que l’on connaît. La BCE dit aux pays membres: « Organisez rapidement un peu mieux la zone euro ».
Le problème auquel on fait face aujourd’hui, et qui me conduit à me poser des questions quant à la remontée des taux en zone euro, est que les pays qui devaient le faire n’ont pas fait ce travail. Les politiques structurelles n’ont quasiment pas été menées là où elles étaient nécessaires. En Italie, cela a commencé, mais il y a eu un arrêt avec l’échec du referendum. En France, on n’a pas fait grand-chose. Il n’y aura pas de capacité à sortir des zones dangereuses de solvabilité budgétaire des États concernés, s’il n’y a pas, d’un côté, ces efforts de politiques structurelles et, de l’autre, l’achèvement d’une zone euro plus complète, mieux régulée, qui fonctionne mieux, c’est-à-dire moins asymétriquement.
Or, les Allemands critiquent très sévèrement la politique monétaire de la BCE qui ne leur est pas forcément favorable. Ils ont un taux de croissance plus élevé ; ils n’ont donc pas besoin de taux d’intérêt si bas. De plus ces taux abaissent le rendement de l’épargne des Allemands qui, comme on le sait, ont une population beaucoup plus âgée. Ils ont donc besoin d’un rendement de leur épargne plus élevé, qui plus est avec des investisseurs institutionnels qui avaient vendu des rentes à taux fixes par le passé.
La tête de la BCE ne se détourne pas de sa politique. Les Allemands, quant à eux, sont obsédés par la question de l’aléa moral, dans la mesure où ils ne veulent pas des éléments de solidarité nécessaires à la zone Euro. Ils refusent en effet, on peut les comprendre, d’être les seuls à payer pour tout le monde, si les autres ne font pas leurs réformes structurelles, se retrouvant ainsi tôt ou tard en situation d’être durablement dépendants de l’Allemagne.
La sortie des politiques de taux bas est donc conditionnée par le fait que la France notamment mène des réformes structurelles qui rassurent les Allemands, lesquels, de ce fait, accepteraient un arrangement institutionnel bien meilleur pour la conduite de la zone euro, avec des éléments de solidarité intra-zone, pour que le coût des ajustements ne pèse pas uniquement sur les pays les plus faibles.

Voilà où nous en sommes. La banque centrale européenne, me semble-t-il, va sortir des taux courts négatifs tôt ou tard, parce que cette position devient très difficilement tenable aujourd’hui. Mais une sortie d’une situation de taux très bas dépendra fondamentalement de la capacité des États à faire leurs propres réformes et à assumer simultanément les réformes de la zone euro nécessaires à son avenir. En 2019, quand s’arrêtera le mandat de Mario Draghi, tout dépendra de la force relative des pays et de leurs capacités respectives à être entendus,
c’est-à-dire à avoir enclenché les politiques structurelles suffisantes pour être crédibles. Cette crédibilité des grands Etats conditionne la possibilité d’accroître la viabilité de la zone Euro, en développant quelques éléments de fédéralisme, tels qu’une mutualisation d’une partie des dettes souveraines ou des éléments de transferts fiscaux, comme il en existe entre les Etats aux Etats-Unis. Pour soutenir transitoirement ceux qui connaissent un choc asymétrique, sans leur demander systématiquement de n’agir que par des mesures d’austérité.

C’est ce qui permettrait de monter les taux avec beaucoup plus d’aisance. Si on les monte significativement sans avoir fait cela, on accroît le risque intrinsèque de la zone euro. Si on ne les monte pas, les risques d’une politique de taux très bas décrits précédemment deviendront de plus en plus forts, alors même que la croissance repart, et sans doute aussi un peu l’inflation.
Sans penser à une remontée significative, le plus probable me semble-t-il est que l’on connaîtra a minima, dès fin 2017 ou début 2018, un accroissement modéré des taux. Les taux courts pourraient revenir par la suite de leur territoire négatif vers zéro. Et les taux longs pourraient être conduits par la banque centrale vers la neutralité, soit, mais très progressivement, entre 2 et 2,5%. Cela serait compatible avec le niveau de croissance et d’inflation que l’on peut anticiper aujourd’hui. Cette remontée modérée cessera de faciliter le désendettement des Etats, sans les faire entrer pour autant dans un effet boule de neige.

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La complémentarité entre réseaux physiques et digitaux : Echanges entre Alexandre Bompard et Olivier Klein

Présentatrice

C’est le moment de découvrir le grand témoin que vous avez choisi de mettre en lumière, Olivier, pour cette convention. Il s’agit d’Alexandre Bompard, directeur général du groupe Fnac-Darty.
Ma première question sera pour Olivier. Je pense que tout le monde a envie de savoir la raison pour laquelle vous teniez tant à inviter Alexandre Bompard, aujourd’hui.

Olivier Klein

Une première raison est que l’on se connaît depuis un petit moment. C’est un grand plaisir pour moi de connaître Alexandre. La deuxième est que la Fnac est un client. Mais la vraie raison est qu’avec Alexandre, nous avons déjà eu l’occasion de parler stratégie. Au-delà des différences de métiers, nous partageons pour beaucoup la même analyse de nos métiers, bien qu’ils soient différents sous bien des aspects, et je trouvais intéressant qu’il nous en parle.

Présentatrice

Merci Olivier. Alexandre Bompard, est-ce que vous pourriez évoquer avec nous les évolutions des consommateurs et des technologies qui ont impacté le modèle de la Fnac ?

Alexandre Bompard

Merci, cher Olivier, de cette invitation. Au fond, vous le savez, et vous le vivez, nous sommes les uns et les autres, quel que soit le secteur d’activité, en prise avec une extraordinaire transformation des modes de production, des modes de communication, des modes de consommation, avec un point de départ qui est la révolution digitale. C’est d’abord une révolution technologique, mais qui dépasse aujourd’hui évidemment de bien loin cette technologie. Pour une entreprise comme la nôtre, la révolution digitale est une série de chocs très profonds.

Le premier choc, c’est d’abord notre mode même de commercialisation qui est impacté par la révolution digitale. Au fond, avant, nous étions un leader assez serein sur nos marchés. Tout à coup est apparu l’e-commerce, et avec l’e-commerce, des acteurs d’un type nouveau, dont des acteurs puissants venus d’Internet, comme Amazon. L’e-commerce a donc été un nouveau mode de commercialisation de nos produits.

Mais c’est aussi nos produits eux-mêmes qui ont été affectés. C’est le deuxième choc. Vous le savez, nous sommes à l’origine un distributeur de biens culturels. Or, la culture a été dématérialisée. La consommation de la musique, de la vidéo, des jeux vidéo se fait désormais sur Internet.

Et puis, le troisième choc, c’est l’inversion du rapport de force, ou l’expertise désormais partagée, entre d’un côté le vendeur et de l’autre le client que nous sommes. Vous le savez, il y a encore vingt-trente ans, on entrait dans une Fnac, on se précipitait sur un conseiller, un vendeur, et on lui demandait son expertise.

Aujourd’hui, vous entrez dans le magasin, vous êtes vous-même expert. Vous avez fait vos recherches au préalable. Au fond, vous avez une expertise qui est de nature partagée. Cela signifie que la raison principale pour laquelle vous veniez en magasin, c’est-à-dire le conseil, est remise en cause également par cette révolution digitale.

C’est la série de ces trois chocs, dont chacun est suffisant à emporter par le fond une entreprise, que nous avons eu à affronter au début de la décennie 2010 et qui nous a conduits à transformer en profondeur le modèle, l’identité et l’organisation de notre entreprise.

Présentatrice

Justement, face à cette mutation de marché, quelles stratégies avez-vous mises en place ?

Alexandre Bompard

Le plus important, a été de trouver la matrice, la pierre angulaire de la vision et après d’opérer son déploiement stratégique.
Quand je suis arrivé à la Fnac, on me disait beaucoup que la révolution digitale était très puissante, que l’e-commerce allait tout emporter, et que c’en sera fini du magasin. Il fallait donc que la Fnac ferme des magasins massivement et se projette uniquement sur l’e-commerce. Pour moi, cela me paraissait une drôle d’idée pour pas mal de raisons.

D’abord, parce que quand on regardait le leader principal du marché Amazon, qui est une formidable puissance logistique et informatique, avec une capacité d’investissement mondial, on constatait qu’il perdait beaucoup d’argent sur nos métiers. Alors je me disais qu’aller sur un métier, l’e-commerce, où même le meilleur du marché, ne gagne pas d’argent, c’est quand même assez particulier.

La deuxième, c’était une raison de pragmatisme pur. Au début des années 2010, on faisait 96 % de notre chiffre d’affaires dans les magasins qui employaient 95 % de nos collaborateurs.

La troisième raison, c’est que j’avais une conviction. Au fond, les clients n’ont absolument pas envie de choisir entre les deux mondes. Ils ont la possibilité d’accéder à la fois à l’avantage du magasin, le conseil, la proximité, l’expérience client, et puis aux avantages du e-commerce, la disponibilité 24 heures/24, la possibilité de commander partout, tout le temps, quand ils le souhaitent.

Ils n’ont absolument pas envie de choisir entre ces deux mondes-là.
Autrement dit, la pierre angulaire de ce que nous avons fait, ça n’a pas été de se développer sur l’e-commerce, mais de se développer sur les deux canaux de vente, c’est-à-dire de devenir un acteur – je n’aime pas beaucoup le terme, il est un peu jargonnant, mais il dit bien ce qu’il veut dire – omnicanal.

L’objectif était de devenir un acteur qui combine, dans un même écosystème, la distribution physique et digitale. Proposer à ses clients une expérience physique de qualité dans ses magasins tout en se développant dans le e-commerce. Nous sommes d’ailleurs passés de la cinquième à la deuxième place.

En combinant cette distribution physique et digitale, nous allons offrir au client la possibilité de commander de chez soi et de retirer en magasin, mais aussi la possibilité quand il est en magasin d’avoir accès à l’intégralité des offres des entrepôts.

Vous savez, ce qui peut arriver de pire dans un magasin, c’est de ne pas trouver le produit souhaité. En fait, nous avons toujours le produit, parce que nous avons des millions de références dans les entrepôts. Il a donc fallu connecter ces magasins et la distribution digitale.

Cette idée de combinaison a été la pierre angulaire.
Nous avons puissamment investi dans des systèmes logistiques communs, dans des systèmes informatiques communs, dans des organisations commerciales communes, dans des organisations marketing communes.

On en était très loin. Je vais vous raconter une anecdote, qui vaut plus que pas mal de discours. Quand je suis arrivé à la Fnac, j’étais au siège social où il y a six étages, arrivé au sixième étage, alors que j’avais déjà serré 800 ou 900 mains, la personne qui m’accompagne me dit : « là, ce sont les bons ». J’étais un peu embêté, parce que j’avais quand même serré 900 mains, donc je me dis que ce n’était pas super positif pour les 900 premiers. Je lui demande pourquoi ce sont les bons et elle me répond : « c’est Fnac.com ».

Là, je me suis dit qu’on avait un énorme sujet. À la Fnac.com, ils étaient évidemment très bons. Le problème n’était pas qu’ils soient très bons. Le problème, c’était la perception de l’entreprise. Il y avait là une espèce de start-up incroyablement nécessaire, par laquelle la transformation devait se faire, qui fonctionnait un peu en vase clos. De l’autre côté, il y avait une entreprise qui représentait quand même 18 000 de nos 20 000 collaborateurs et qui faisait 95 ou 96 % de notre chiffre d’affaires. Or, elle était perçue comme le métier vieillissant, déclinant et sans avenir. Évidemment, à l’heure où je vous parle, vous prenez la mesure de la transformation culturelle que ça signifie, pour que la connexion, pour que l’idée d’un écosystème entre le physique et le digital se passe.

J’ai une autre anecdote qui dit la même chose. Quand je faisais le tour des magasins, dans les premières semaines, je discutais avec les vendeurs et je leur demandais qui étaient nos principaux concurrents. Je m’attendais à ce qu’ils me répondent Boulanger, les Espaces Leclerc, Cultura, Amazon, que sais-je encore… Or, ils me disaient toujours : Fnac.com. Alors, je revenais au siège, et je disais à mes collaborateurs de l’époque : « c’est quand même bizarre, ils me disent toujours que c’est : Fnac.com »…

Présentatrice

Comme s’il y avait une fracture.

Alexandre Bompard

Exactement. Alors, les collaborateurs de l’époque me disaient : « franchement, ces vendeurs, ils n’ont absolument rien compris. Ça ne peut pas être Fnac.com. » En fait, ils avaient absolument raison. Voilà une enseigne digitale qui portait la même marque qu’eux, avec un écart de prix de 20 à 25 %, avec un système d’incitation à la vente inexistant, c’est-à-dire que quand ils amenaient à la vente sur Fnac.com, ils n’étaient pas intéressés. Il y avait une vraie concurrence entre les deux. Vous comprenez que pour changer ce schéma-là, il faut à la fois une révolution culturelle, il faut investir sur l’informatique et la logistique, créer une organisation commune et puis changer la formation et les modes de rémunération.

En parallèle, pour aller vite, on a beaucoup travaillé à l’identification de relais de croissance. Nous avions en effet nos marchés forts structurellement en baisse, comme le marché du disque ou de la vidéo. Nous avons donc introduit cinq nouvelles familles de produits pour enrichir l’offre de la Fnac. Elles représentent aujourd’hui 20 % de nos 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires à la Fnac. Et puis, nous avons développé des nouveaux formats de magasins. En trois ans, on a ouvert plus de soixante magasins, et on en ouvrira une trentaine, l’année prochaine, pour Fnac seulement. Mais on a ouvert des magasins avec un nouveau mode d’exploitation, en franchise, des magasins avec des formats adaptés, par exemple aux zones de gares et aéroports, les Fnac Travel, adaptés à la technologie, les Fnac Connect, des magasins reliés à tous nos outils digitaux.

Présentatrice

Merci beaucoup Alexandre. Olivier, qu’est-ce que vous dégagez de tout ce que vient de nous faire partager Alexandre ? Est-ce que vous voyez des ponts ou des similitudes avec la stratégie que vous menez à la BRED ?

Olivier Klein

Évidemment. Pour faire quelques points de comparaison, nous aussi, mais structurellement, vendons des choses qui sont totalement dématérialisées. On vend de l’argent, du crédit, de l’assurance… Tout ça est parfaitement dématérialisé, et donc peut parfaitement bien se passer d’un magasin a priori. Pourtant, les agences, à mon idée, ont un rôle crucial. Tu l’as dit tout à l’heure, y compris aux États-Unis, au fond, les distributeurs en ligne ne sont pas rentables encore aujourd’hui. En revanche, les distributeurs qui ne font que du magasin commencent à perdre de l’argent. La réalité qui est apparue à la Fnac, c’est celle à laquelle on croit ici, c’est la capacité à mixer les deux, à ne pas les opposer l’un à l’autre, mais au contraire à faire en sorte qu’ils se complètent et qu’ils engendrent plus de satisfaction client, plus de PNB pour nous, plus de capacité à faire un vrai travail de valeur ajoutée. Donc, on automatise tout ce qu’on peut, et en même temps on enrichit. Par le digital, on laisse l’humain agir pour ce qu’il peut apporter de meilleur en valeur ajoutée vis-à-vis du client.

Ce mix dans la façon de faire, cet omnicanal, représente une similitude entre nos deux façons de voir qui, je crois, est réelle et assez productive. En outre, nous faisons également en sorte que le système de rémunération des commerciaux prenne bien tout en compte, ce qui est vendu dans l’agence comme par internet, pourvu que ce soit un client du conseiller. Ce qui est remarquable à la Fnac – tu ne l’as pas cité –, mais c’est le redressement, parce que ça partait de loin.

Présentatrice

Une question tout de même, comment est-ce que les collaborateurs de la Fnac ont vécu tous ces changements ?

Alexandre Bompard

D’abord, à travers ce que j’ai dit, vous mesurez le niveau d’anxiété que pouvait susciter cette révolution digitale. Au fond, c’est l’ensemble des socles sur lesquels étaient établis à la fois l’entreprise, mais aussi les collaborateurs qui se sont effrités. Je n’ai évidemment pas de méthode magique, ce serait bien arrogant… D’ailleurs, si j’en avais une, je ne la communiquerai pas…

Présentatrice

Elle serait en vente à la Fnac, forcément.

Alexandre Bompard

Absolument. Je la vendrais très cher. Mais je n’en ai pas. Il y a quelques principes quand même, me semble-t-il.
Le premier élément qui est essentiel, pour vous, collaborateurs, quand les modèles sont très menacés, c’est la transparence. Donc, vous n’avez pas d’autres choix – et c’est un moment extraordinairement difficile –, que de nommer les choses. Au bout de quelques semaines, j’ai communiqué, sous toute forme, aux collaborateurs, la vision que j’avais de la situation. C’était une vision extraordinairement anxiogène. C’était un peu plus complexe que ça, d’autant qu’il y avait plein de choses qui avaient été faites avant par des managers de grande qualité, mais en gros, ça disait : « si nous continuons comme ça, la révolution est tellement puissante, qu’il n’y a pas d’avenir possible, l’issue est certaine ». Je l’ai fait à la fois avec pas mal de solennité et avec beaucoup de franchise dans les mots. C’était un moment extraordinairement difficile.
Ce message doit être immédiatement associé – parce qu’il ne faut pas tarder quand vous avez donné ce premier message – à un deuxième message qui est le diagnostic, la vision.

C’est le travail de pédagogie qui commence. Voilà ce que je crois possible, voilà la vision qui est la mienne. Si nous la suivons, si on y met toute notre énergie, si on y met tous les talents de l’entreprise, il y a un chemin. C’est un chemin qui n’est pas très large, mais il y a un chemin de transformation. Et pour rebondir sur ce que disait Olivier, immédiatement après, on va communiquer en permanence sur où nous en sommes, à la fois sur la transformation, mais aussi sur les résultats. Nous avons eu la chance que les résultats s’inversent assez rapidement, pour que les équipes puissent se dire qu’il y avait les premiers effets de la transformation, à la fois sur les métiers et dans les chiffres. Ça, évidemment, c’est extraordinairement important. Mais tout ça ne suffit toujours pas.
Il faut immédiatement après changer les organisations. Je donnais l’exemple de Fnac.com. Je suis allé voir les équipes de Fnac.com, et ceux qui les dirigeaient à l’époque, pour leur dire : « vous n’êtes plus le président de Fnac.com ». Le président de Fnac.com, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est ce que vous allez apporter à l’entreprise. Le digital est au service de tout le monde. Il y a une direction commerciale physique et digitale. Il y a une direction marketing physique et digitale. Il y a une direction d’exploitation physique et digitale. Donc, on va transformer radicalement les organisations.

Il y a deux derniers éléments qu’on a tendance à oublier. Le premier, c’est qu’il faut investir sur la formation des équipes. On le sait tous, le plus sûr moyen de faire remonter un résultat opérationnel de fin d’année, c’est de dire : je coupe la ligne, ça ne se voit pas pendant un ou deux ans, les partenaires sociaux ne sont pas très contents, mais c’est tout. En réalité, évidemment, c’est ce que vous pouvez faire de pire dans un modèle en transformation. Au contraire, il faut former. Nous avons donc investi puissamment dans la formation pour que la partie de nos vendeurs qui se sentait menacée et déclassée par cette transformation digitale puisse se dire : au fond, mon expertise est différente de celle d’hier, mais le digital me donne la possibilité d’être un expert d’une autre façon.
Le dernier point, c’est qu’il faut travailler aussi sur les modes de rémunération. Il y a encore quatre ans, vous alliez à la Fnac, vous ne trouviez pas le produit, si le vendeur vous disait – ce qu’il ne faisait évidemment jamais – que le produit était disponible dans les entrepôts, qu’il pouvait vous faire livrer en magasin ou à votre bureau, il n’avait pas d’intérêt à la vente.

Il a donc fallu changer les modes de rémunération – ça a l’air très simple, mais ça ne l’est finalement pas tant que ça – pour qu’il soit intéressé de la même manière à ce qui est vendu dans les magasins ou sur Fnac.com et sur les outils de mobilité. L’étape d’après, d’ailleurs, étant qu’il est intéressé y compris s’il n’a pas participé à la vente. Vous savez, c’est l’idée de zone géographique. Vous commandez cet après-midi ici, le chiffre d’affaires est imputé sur notre magasin de La Défense directement, qu’il ait été impliqué pas. C’est le stade un peu ultime qui montre que les deux sont complètement imbriqués.

On a un corps social, un corps syndical. Je parie toujours sur l’intelligence collective, c’est-à-dire l’intelligence collective des partenaires sociaux et sur l’intelligence collective du corps social. Il faut communiquer, communiquer, et encore communiquer. Il faut accepter le conflit, parce que j’ai eu des conflits, et j’en ai encore, avec les partenaires sociaux, sur un certain nombre de sujets. Mais ils le savent, je leur ai dit dès le départ, on ne reculera pas devant la transformation. On n’a pas le choix. Je ne le fais pas par esprit guerrier, je ne le fais pas par volonté de les affronter, mais ces mutations-là, on n’a pas d’autre choix que d’y faire face et de transformer l’entreprise. Ça passe par des moments un petit peu difficiles, mais quand le corps social adhère massivement – même si on sait qu’il y a une majorité silencieuse qui reste silencieuse –, c’est un peu plus facile que quand vous n’avez pas fait cet exercice de formation et de communication.

Présentatrice

Là encore, Olivier, ça doit vous parler.

Olivier Klein

Il y a beaucoup de parallélisme. D’une part, nous aussi, depuis quatre ans, on mène des transformations. On a tout fait en étant très transparents, très clairs et très participatifs, pour que chacun puisse apporter sa pierre et comprendre ces stratégies. Je pense que ça aussi, ça aide à faire le changement. Même si tout changement, toute transformation, brusque forcément un tout petit peu ici ou là, au total, tout le monde s’y retrouve, quand on comprend pourquoi et qu’on participe au comment. Ça, c’est très semblable.
Le deuxième point, c’est qu’on a beaucoup investi dans la formation, pour exactement les mêmes raisons. On a investi énormément aussi sur le digital, naturellement, pour les mêmes raisons. On essaye de faire vivre cela ensemble, en trouvant à chaque fois les bonnes complémentarités. On se ressemble beaucoup sur tout cela.

Dans notre métier, c’est la qualité du conseil qui va faire la différence. Les gens vont dans un magasin, pas seulement pour voir le produit, mais pour aussi ce qu’on peut leur apporter en plus de ce qu’ils ont vu sur Internet, d’où l’importance de la formation, d’où l’importance aussi d’ailleurs du digital apporté à chacun pour améliorer sa capacité à donner un bon conseil. On essaie de faire aussi ce que j’appelle pompeusement, mais pour sourire, « l’humain augmenté du digital ». C’est aussi une façon d’améliorer les choses et l’expérience client.

Donc, beaucoup de parallélisme, y compris dans la manière de transformer qui est évidemment aussi un art de la gestion.

Présentatrice

Alexandre Bompard, une dernière question. Évidemment, votre actualité, c’est le rachat de Darty. Est-ce que ça va avoir des impacts sur votre stratégie ?

Alexandre Bompard

J’avais une dernière conviction, c’est que la pression engendrée par l’e-commerce, par l’ensemble de cette transformation, par la dématérialisation des contenus et la pression concurrentielle d’Amazon a une conséquence logique, c’est celle de la consolidation du marché. Or, la consolidation, ça peut être négatif ou positif. On l’a vu dans plusieurs pays, il y a eu consolidation par disparition d’un certain nombre d’acteurs du même calibre que la Fnac. Chez nous, c’est Virgin. À plus grande échelle, en Angleterre, il y a eu Comet, qui appartenait aux mêmes actionnaires que Darty. Aux États-Unis, des circuits entiers de distributeurs disparaissent. Ça, c’est la version négative. Il y avait une version plus positive qui a aussi été expérimentée dans un certain nombre de pays. C’est une consolidation plus active, plus offensive, ce qu’ont fait notamment nos camarades de Dixon, en Angleterre.

J’avais vraiment la conviction que le marché allait se consolider. On a vu Carrefour/Rue du commerce, Casino/Cdiscount, et d’autres mouvements du même type. Je savais qu’il y aurait un mouvement de consolidation des acteurs restant autonomes. Après, la question, c’est : est-ce que vous allez être une cible ou vous allez vous-même cibler quelqu’un ? La deuxième question, c’est : si vous avez l’opportunité de cibler quelqu’un, quelle est la bonne cible ?
À la première question, les résultats que nous avions obtenus, la capacité à retrouver des résultats opérationnels solides, une rentabilité financière, une génération de trésorerie favorable, nous ont permis de nous mettre en position d’être à l’affût d’opérations. Nous étions donc dans la première catégorie. Après, quelle était la bonne cible ? Là, pour moi, l’acteur naturel, le partenaire naturel, c’était Darty, pour deux grandes séries de raisons. La première série de raisons, c’est que quand vous devez faire des opérations aussi complexes qu’une fusion, il faut le faire en ayant la conviction, me semble-t-il, que cela changera vraiment la donne, vous donnera une taille critique qui ensuite vous permettra de déployer une stratégie. Darty était cet acteur naturel, parce que Darty plus Fnac, c’est un acteur de 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, présent dans une douzaine de pays avec 40-50 000 collaborateurs, qui a donc la taille de résister dans ces pays à Amazon.

La deuxième raison, elle est plus offensive. Vous le savez, on est dans un pays où on voit toujours le verre très nettement à moitié vide. Moi, par tempérament, je suis construit un peu différemment. Je trouvais – et je trouve encore plus, maintenant que je dirige l’entreprise – qu’il y avait beaucoup de complémentarités entre les enseignes, j’allais même dire de similitudes. Je suis toujours intéressé par l’histoire des entreprises. Au fond, ces deux entreprises étaient nées de la volonté d’entrepreneurs – chez nous, c’était deux amis, chez Darty, c’étaient des frères – d’inventer une façon de faire du commerce différemment, de créer une nouvelle façon de faire du commerce. Ce sont donc deux aventures d’entrepreneurs, avec évidemment plein de différences, mais aussi plein de similarités récentes dans la stratégie omnicanal, dans cette volonté de combiner le physique et le digital. En même temps, il y avait vraiment une complémentarité nécessaire sur les produits, le maillage territorial, les équipes.

Forts de tout ça, on s’est dit que nous allions mener l’opération de rapprochement avec Darty. Elle s’est bien conclue, l’été dernier, à notre profit. Depuis nous sommes dans cette phase d’intégration qui est un moment, que certains d’entre vous ont sans doute vécu professionnellement, absolument passionnant. Il ne remet pas en cause la matrice stratégique, parce que la bonne nouvelle, c’est que nous avions les uns et les autres cette idée que la combinaison du physique et du digital était la bonne voie. Darty l’avait annoncé à partir de 2013. Mais, ça remet en cause évidemment nos organisations.

On a eu un principe directeur à cette fusion, qui est un groupe et deux enseignes, autrement dit nous conservons les deux enseignes. Pour nos clients, il restera toujours des magasins Fnac et des magasins Darty, ainsi qu’un site Internet Fnac et un site Internet Darty. En même temps, l’ensemble de nos organisations, de nos directions, de l’entreprise se mettent au service de ces deux enseignes-là. Ça veut dire que nous allons travailler à des systèmes communs. Nous sommes dans ce moment-là où, avec un Comex désormais commun, avec des groupes de travail qui réunissent des collaborateurs des deux équipes, nous mettons en place l’organisation, nous délivrons les synergies qui sont le fruit de la réunion, de la combinaison, du mariage de la Fnac et de Darty.

Présentatrice

Merci beaucoup, Alexandre, pour toutes ces explications. Je pense qu’on peut applaudir bien fort Alexandre Bompard.

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Banque

De la transformation nécessaire des institutions financières dans un marché incertain

Cette table ronde réunissait :
– Séverin Cabannes, directeur général délégué de la Société Générale,
– Yves Perrier, directeur général d’Amundi et directeur général adjoint en charge du pôle Epargne, Assurances et Immobilier, Crédit Agricole S.A,
– Olivier Klein, directeur général de la BRED et professeur d’économie finance à HEC.


Quelles transformations des banques face aux grands enjeux qui sont les leurs ?

Quel est le rôle fondamental des banques ?

Le rôle premier d’une banque consiste à assumer le risque financier à la place des acteurs économiques. La banque gère ce risque de façon professionnelle et réglementée. Les trois risques que prennent les banques pour le compte des acteurs économiques sont le risque de contrepartie, le risque de liquidité et le risque de taux d’intérêt.

Si, au prétexte qu’il serait dangereux que les banques assument une part importante de ces risques, alors qu’elles sont constitutivement faites pour cela, le régulateur limitait trop leur capacité à jouer leur rôle, le risque se logerait naturellement ailleurs. Par construction, dans l’économie, les agents économiques, ménages et entreprises, qui disposent de capacités de financement cherchent à placer plutôt sur le court terme, de par leur préférence pour la liquidité.

Ces placements, via les banques, notamment en Europe, se font auprès d’autres ménages ou entreprises, qui cherchent à emprunter plutôt sur le long terme. Ce qui engendre inévitablement des risques de crédit, de taux et de liquidité. Si les banques ne portent plus ces risques ou les portent moins, alors par construction ces derniers se répartissent directement sur les particuliers et les entreprises ou indirectement via les investisseurs institutionnels.
Il faut donc veiller à ce que la réglementation, légitime dans la sphère financière car la finance est procyclique par nature, n’entraîne pas de risques supplémentaires. Si elle devait imposer trop de contraintes aux banques, elle pourrait repousser le risque initialement pris par les banques vers des sphères moins réglementées. Avec pour conséquence la génération possible de nouveaux risques systémiques. Les assureurs sont globalement soumis à une forte réglementation, mais elle ne concerne pas toujours l’activité de crédit, alors que leur savoir-faire en la matière est moins avéré que celui des banques. Les fonds ne sont , quant à eux, pas régulés ni en termes de crédit ni de liquidité.

Ce déplacement du risque systémique doit donc être envisagé par le régulateur d’un point de vue global. Trop limiter le risque pris par les banques revient à sous-estimer leur rôle économique fondamental. Cela ne signifie pas qu’il ne fallait pas imposer une augmentation des ratios de solvabilité bancaire, introduire des ratios de liquidité etc., et réagir ainsi à la crise de 2007-2008. Bien au contraire, mais c’est une question de mesure.

Quelles évolutions à court terme pour les modèles opérationnels des institutions financières ?

Les banques doivent appréhender trois changements majeurs dans l’exercice de leur activité : comme nous l’avons évoqué plus haut, une réglementation durcie, mais aussi la question du très faible niveau des taux d’intérêt et la vague du digital.

S’agissant du réglementaire, in fine, les réformes auront imposé à terme un quasi-doublement des fonds propres pour les banques, pour faire face à la même quantité de risque embarqué, c’est-à-dire pour maintenir les mêmes activités. On observe d’ailleurs, depuis 2007, que les banques européennes sont sur cette voie, dans la mesure où elles ont augmenté d’ores et déjà à peu près des deux tiers leurs fonds propres. D’une part, augmenter les fonds propres avec le même niveau d’activité et de risque signifie naturellement une baisse de la rentabilité. Ce qui fait aujourd’hui systématiquement passer la rentabilité des capitaux propres en-dessous du coût du capital. Dans cette configuration, soit le coût du capital s’abaisse, les marchés acceptant que les banques soient moins rentables puisque par construction elles sont moins risquées, et le coût du capital s’abaisse en conséquence, soit nous sommes confrontés à un problème durable, qui devra se résoudre d’une manière ou d’une autre.

D’autre part, il faut considérer que si les banques n’augmentent pas suffisamment leurs fonds propres, elles doivent naturellement réduire leurs activités. Est-ce le cas ? Heureusement, en France en particulier, les banques ont jusqu’à présent continué à faire crédit sans rationnement. C’est moins vrai dans le sud de l’Europe. A cela près que la demande de crédit n’a pas de son côté retrouvé les niveaux de croissance élevés antérieurs. Si la demande de crédit devait s’avérer plus importante, les banques seraient sans doute davantage gênées.

Ici se pose une question relative au financement de la croissance. En France, si l’on ajoutait à Bâle 3 ce qu’envisage à ce stade d’exiger Bâle 4 en termes de ratio de solvabilité, en l’état de nos connaissances, la production de crédit s’en ressentirait.

S’il peut paraître rassurant de penser que la finance de marché peut pallier cela, il ne faut pas oublier qu’en Europe elle est en réalité très minoritaire dans le financement global de l’économie. Or le financement bancaire revêt différents avantages, notamment celui de la plus grande stabilité du système financier et du financement de l’économie, dès lors que les banques sont bien réglementées et supervisées. Ce ne sont d’ailleurs pas les banques françaises qui ont le plus souffert de la crise de 2007-2008. En outre, le modèle européen, s’il s’adapte pour développer davantage la finance de marché, mettra du temps à le faire. Dans l’intervalle, il y a un risque sur la croissance, qui représente pourtant entre autres la meilleure des solutions aux problèmes de fort endettement. Au total, les grands groupes bancaires mondiaux ont été en réalité contraints de céder des activités ou à tout le moins de revoir leur portefeuille d’activités pour faire face à la montée d’exigence des fonds propres réglementaires. Ce qui n’est pas identifié comme étant suffisamment en synergie peut être cédé, ce qui recompose évidemment pour partie le paysage bancaire et financier, notamment pour ce qui est des activités hors du sol national des banques.

Autre problématique, celle des taux d’intérêt. Les niveaux très bas de taux d’intérêt, voire négatifs, perturbent les conditions d’exercice des banques. La simple observation de l’évolution des marges nettes d’intérêt de l’ensemble des banques françaises en 2015 fait apparaître que la moitié d’entre elles ont connu une réduction de leur marge nette d’intérêt, contre une stagnation ou une légère augmentation pour l’autre moitié. L’explication résidant évidemment dans l’impact très négatif des taux d’intérêt sur les marges nettes d’intérêt des banques, mais aussi dans un effet volume qui a pu compenser l’effet taux. Si l’on considère la somme des banques, la tendance en 2015 a été très légèrement positive avec un effet volume favorable, pour partie dû à l’action des banques centrales. La baisse des taux a donc joué son rôle de relance de la dynamique  de la croissance et de soutien au crédit.

En revanche, au premier semestre 2016, avec la poursuite de la baisse des taux d’intérêt et l’écrasement des marges nettes d’intérêt, le PNB des banques commerciales France, considérées comme un agrégat, a évolué négativement. L’effet volume n’a pas été suffisant pour compenser l’effet taux d’intérêt.

Plusieurs facteurs sont cependant à prendre en compte : l’effet de la baisse des taux qui peut en outre produire des plus-values grâce à la présence éventuelle de titres obligataires à taux fixes dans les bilans, mais ce facteur n’est pas fondamental ; une baisse du coût du risque de crédit enfin, due à une légère reprise économique. Ce dernier facteur est très visible en 2015 et plus encore au premier semestre 2016 et a permis sur ce semestre de compenser l’effet taux négatif et l’effet volume insuffisant. Autrement dit, s’il n’y avait pas eu de baisse du coût du risque au premier semestre, les résultats agrégés des banques commerciales France auraient été baissiers. Ils ne l’ont pas été parce que le coût du risque a baissé plus vite que la marge nette d’intérêt.

Cette dynamique n’est pas récurrente et le coût du risque ne peut s’abaisser indéfiniment alors que l’effet des taux d’intérêt longs, s’ils restaient durablement bas, serait récurrent. Pour différentes raisons, dont cette dernière, il faut espérer que la banque centrale remonte ses taux très progressivement, mais sans trop tarder. Il est d’ailleurs possible de conserver des taux bas, sans être proches de zéro, car la situation de la croissance peut l’exiger, mais de recréer une pente de la courbe des taux suffisante. D’une part, l’effet des taux très bas, voire négatifs, semble s’épuiser d’un point de vue macro-économique et, d’autre part, si les résultats des banques sont durablement touchés, elles seront moins capables d’offrir les crédits nécessaires, en respectant en parallèle la hausse des ratios de solvabilité.

Le dernier point, non moins intéressant, est celui de l’impact du digital. Nous observons tous une forte baisse de la fréquentation des agences, mais est-ce un problème ou une excellente opportunité de nouer une relation renforcée et à plus forte valeur ajoutée avec nos clients ? Si ces derniers vont moins en agence, c’est qu’ils y réalisent moins d’« opérations transactionnelles » (virement, dépôt de chèque ou retrait d’argent, par exemple) et ceci parce que le digital leur offre la possibilité de faire de nombreuses opérations via leur téléphone mobile ou tout autre outil à distance, tout comme des automates le permettent sans solliciter un conseiller et sans attendre.

Il existe en Europe des modèles de banques essentiellement fondés sur le transactionnel. Celles-ci ont des raisons d’être inquiètes et de réfléchir à l’avenir de leur réseau car elles n’ont ni la vocation, ni la culture pour développer d’autres activités. Si l’on considère le cas des banques en France, elles sont plutôt organisées autour d’un modèle relationnel fort et transactionnel.

L’automatisation et la digitalisation des opérations transactionnelles peuvent donc constituer une chance d’augmenter leur productivité commerciale et de bien mieux déployer les forces commerciales autour d’un modèle de relation globale avec le client, en  renforçant le relationnel à valeur ajoutée fondé sur le conseil. Pour cela il faut évidemment beaucoup investir sur le digital parce qu’il permet d’améliorer et de faciliter le quotidien de nos clients comme celui de nos commerciaux et de nos « middle et back offices », tout en permettant d’enrichir la valeur ajoutée commerciale en nous appuyant sur la puissance du big data et de l’intelligence artificielle. Nous augmenterons alors progressivement la capacité de valeur ajoutée de nos commerciaux. Quant à envisager un modèle où le conseil se fera sans commerciaux, pour des raisons de modèle global de relation et de psychologie des clients, nous ne sommes pas convaincus que cette perspective puisse être réellement opérationnelle. Ce que j’appelle « l’humain augmenté du digital »a probablement un grand avenir.

Une bonne politique d’optimisation de la distribution et de l’organisation du réseau d’agences comme une valeur ajoutée renforcée associée à un développement du modèle relationnel bancaire, qui exigent beaucoup de transformation et d’investissement tant sur le capital humain que sur le digital, peuvent permettre de sortir par le haut sans obligatoirement nécessiter un fort abaissement du nombre d’agences et de commerciaux. Bien entendu, il faut prendre sérieusement en compte le développement des Fintech avec leur capacité d’ « ubérisation » et de désintermédiation des banques, mais notre conviction est que la banque relationnelle dotée d’un modèle global de relation peut se battre avec de bonnes armes car elle détient directement les clients. Sous réserve qu’elle améliore encore la gestion de leurs données pour renforcer encore leur modèle relationnel global.

La richesse, notamment dans un monde digital, vient de la capacité à détenir beaucoup de clients, dont on peut utiliser efficacement les données pour contribuer à leur apporter une plus grande valeur ajoutée et à mieux les fidéliser. C’est la clé. Dans le secteur des Fintech, on constate d’ailleurs de premières sérieuses  difficultés, notamment aux Etats-Unis, faute d’avoir des clients par elles-mêmes, même si certaines d’entre elles sont promises à  un bel avenir, notamment dans le cadre d’association avec des banques. Les banques ont au contraire une très grande force fondée sur leur capital de clients qui leur permet d’être offensives, d’intégrer éventuellement des Fintech et de développer des processus digitaux. Ce qui permet de produire des propositions intéressantes de service et de conseil à leurs clients. Mais, au côté de ce modèle de banque,  plusieurs autres modèles émergent déjà et pourront coexister demain sur un même territoire.

Même si les vents sont contraires, les sorties par le haut sont possibles. Mais il faut que la réglementation n’aille pas beaucoup plus loin dans les contraintes mises en place ou révise même certaines d’entre elles pour éviter de déplacer l’origine des crises systémiques. Il faut également que nous sortions des taux très bas ou tout du moins nous ne restions pas sur une courbe des taux quasi plate. Enfin, le digital est une réelle chance pour redévelopper une industrie bancaire attractive, tout en améliorant son efficacité opérationnelle et son modèle de relation globale, ce dernier étant l’un des points forts des banques françaises sur lequel il est possible et nécessaire de capitaliser. Même si d’autres modèles bancaires pourront coexister demain.

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« La banque de réseau augmentée du digital », publié dans Revue Banque, mai 2016

La révolution digitale a transformé la relation qu’entretenaient jusqu’à présent les clients particuliers avec leur banque. Elle nous oblige à réinventer notre métier, tout en nous appuyant sur les invariants de la demande de banque des clients, comme sur nos atouts structurels.

Le digital engendre pour chacun un nouveau rapport au monde, une nouvelle façon de penser le temps et l’espace, une autre manière de concevoir l’information, les connaissances et l’autonomie d’action. De fait, il induit une série de révolutions en chaîne dans notre vie quotidienne, comme dans l’entreprise. La banque, et plus spécifiquement la banque commerciale, n’échappe pas à ces bouleversements.

Les clients utilisent de plus en plus Internet et toutes ses applications et se déplacent de moins en moins en agence : la fréquentation des agences a été divisée par trois entre 2008 et aujourd’hui. Toutefois, la baisse s’est essentiellement faite sur les sujets de banque au quotidien : les opérations courantes comme les virements de compte à compte, le suivi des opérations, etc. Les rendez-vous en agence n’ont pour leur part que très légèrement baissé et ont été plus que compensés par des rendez-vous téléphoniques. Les rendez-vous à valeur ajoutée ont augmenté, ce qui nous satisfait : nous préférons que nos commerciaux conseillent leurs clients plutôt que d’être cantonnés à des tâches sans valeur ajoutée telle que la remise de chéquiers ou la gestion de l’argent liquide. Nous nous réjouissons donc que nos clients utilisent les outils à leur disposition et gagnent en autonomie, ce qui permet à nos conseillers de se consacrer à une relation créatrice de valeur, pour le client comme pour la banque.

Adaptation au nouveau monde

Mais cette révolution technologique pousse très légitimement les clients à être de plus en plus exigeants vis-à-vis de leur banque. Si les banques ne s’adaptent pas, elles se feront dépasser par des banques en ligne qui apportent souvent aujourd’hui plus de praticité à moindre coût – mais souvent sans offrir de conseiller attitré – ou elles disparaîtront, le cas échéant, au profit de modèles disruptifs.

À la condition de poursuivre sa mue et son adaptation au nouveau monde, d’intégrer toute la « révolution client », la banque de réseau à valeur ajoutée pourra probablement rester au cœur de la relation bancaire. Pour cela, deux types d’évolutions à forte valeur ajoutée doivent être approfondis.

Nous devons proposer une banque plus pratique, ce que nous sommes en train de réaliser, grâce à l’intégration progressive du digital et à la révision des process. Avec la révolution technologique, de nombreuses démarches se font à distance ; plus personne ne supporte de faire la queue, d’attendre, de se déplacer sans nécessité. Les banques n’étaient pas jusque-là des exemples de praticité. Dans le passé, par exemple, nos conseillers n’étaient pas faciles à joindre. Depuis quelques années maintenant, la configuration a déjà changé : les clients de la BRED peuvent joindre directement leur conseiller, par téléphone ou par mail, sans se perdre dans les arcanes des serveurs interactifs de plates-formes téléphoniques anonymes. Nous devons également bien prendre en charge les réclamations ou problèmes éventuels des clients, ce qui implique des évolutions dans nos pratiques.

Simplicité et praticité

Améliorer l’« expérience client » est en effet fondamental. Le parcours client doit être fluide, efficace et transparent. Par exemple, l’ouverture d’un compte, très simple dans une banque en ligne, est dorénavant aussi simple chez nous. Un autre exemple, sensible pour nos clients, est la souscription d’un crédit immobilier : alors que le parcours pour obtenir un prêt immobilier se réalise déjà dans des délais très courts, très prochainement, nos clients seront informés de l’avancée de leur dossier à chaque étape, par SMS ou par mail, selon leur choix. Ils pourront consulter leur dossier numérique et, le cas échéant, le compléter en ajoutant les pièces manquantes directement en ligne. Tout cela grâce au numérique, qui permet d’améliorer considérablement la simplicité et la praticité pour le client.

Il est également essentiel de prendre l’initiative vis-à-vis de nos clients. La proactivité que nous mettons en œuvre est facteur de succès. Nous sommes très bien reçus par nos clients si nous les appelons proactivement, et de façon intelligente, pour leur parler de leurs besoins et de leurs projets. La vente à distance a également son importance ; elle nécessite de s’adapter finement aux comportements et caractéristiques de chaque client. Selon son mode de vie et ses problématiques, mais aussi selon le moment où il désire s’adresser à sa banque, un client peut vouloir se déplacer à l’agence, pour aborder un sujet en relation directe avec son conseiller, ou bien traiter à distance, par mail ou par téléphone, avec ce même conseiller ; une fois que le sujet et la vente sont traités, la banque peut lui adresser un contrat, sous format digital ou par la Poste, à sa préférence. La vente à distance est donc une facilité que nos clients apprécient.

Qualité du conseil

Le deuxième grand sujet est la qualité du conseil. Le digital a en effet augmenté le besoin en compétence du conseiller, l’accès à l’information et à la comparaison étant banalisé par Internet. Il est évident que 100 % de nos conseillers ne seront pas compétents sur 100 % de la gamme, mais 100 % de nos conseillers sont spécialisés en fonction des segments de clientèles qu’ils suivent, pour être capables de leur apporter la compétence voulue en fonction des besoins spécifiques rencontrés. Nous poursuivons donc la segmentation en fonction des profils de clientèles, pour positionner les bons conseillers en face des bons clients. Évidemment, la gamme proposée n’est pas non plus strictement identique en fonction du type de clientèle. Les projets de vie, grands ou petits, peuvent nécessiter de l’épargne, du crédit ou de l’assurance. Si cela est traité séparément, le client a le sentiment d’être cloisonné ; traité globalement, nous lui apportons valeur ajoutée et confort.

La qualité du conseil est en outre grandement améliorée par le temps que passe un conseiller à suivre les mêmes clients. Le digital a là aussi une importance déterminante : les banques possèdent une richesse de données exceptionnelle par rapport à d’autres distributeurs et, bien travaillées, elles permettent de combiner la compétence et la relation de proximité forte de leurs conseillers avec la puissance du Big Data et de l’intelligence artificielle, pour répondre le mieux possible aux projets de vie des clients. Comme nous le disons aux Banques Populaires, c’est proposer à nos clients « le meilleur de l’humain et du digital ». C’est ce que nous appelons aussi la banque sans distance, une banque qui abolit les distances physiques et temporelles, grâce à la meilleure combinaison des technologies et de l’humain.

Personnalisation

Les FinTech peuvent-elles à leur tour venir menacer les modèles de banque, qu’elles soient à réseau, augmentées des nouvelles technologies, ou en ligne ? Cette question ne peut être sous-estimée. Grâce à la généralisation des technologies mobiles et au développement de la capacité d’exploitation des gisements de données, les FinTech pourraient en effet attaquer différents segments de marché des services financiers : des moyens de paiement au crédit, en passant par l’épargne ou l’affacturage. Cela produira-t-il une véritable « désagrégation » de la relation bancaire, au profit de sociétés qui capteraient, chacune, une partie de la chaîne de valeur ? Ce risque est encore accru par la directive européenne DSP2 qui ouvre à tous le marché des services financiers, notamment aux agrégateurs, leur permettant alors d’agir en tant qu’opérateurs. Pour l’instant, ils n’ont pas désintermédié la banque qui reste l’opérateur et le lieu de la relation globale avec le client. Ils se contentent d’être de simples agrégateurs, capables de rassembler tous les comptes d’un client qui dispose de différentes banques, pour lui donner à tout moment un récapitulatif global de ceux-ci. Demain, ils auront en outre la possibilité de réaliser des opérations de virements de compte à compte, voire même de leur pousser des propositions commerciales en provenance de tiers. Les clients n’auraient alors plus grande nécessité d’aller sur leurs sites bancaires, engendrant ainsi un risque accru de désintermédiation. Ce qui implique cependant d’importants enjeux de sécurité, car les agrégateurs doivent pouvoir disposer des codes d’accès personnels pour obtenir les informations du compte bancaire ou pouvoir effectuer des opérations.

La question de l’après se pose de façon cruciale, car l’on pourrait connaître une généralisation de services fondés sur l’intelligence artificielle, les fameux « robots conversationnels », dont l’objectif serait de proposer automatiquement des produits aux clients avec une pertinence certaine, puisque fondée sur l’analyse de tous les comptes des clients. Nous pourrions ainsi imaginer qu’un agrégateur, associé à un outil d’intelligence artificielle et doté de la capacité d’envoyer aux clients des SMS et des mails avec des propositions adaptées, puisse devenir un substitut, beaucoup plus efficient même, au conseiller personnel.

Mais les banques, comme les assureurs, les mutuelles de santé, etc., sont quasiment toutes en train d’acquérir ou de fabriquer des agrégateurs. La surabondance d’agrégateurs pourrait donc ne pas produire le résultat redouté. La réponse est peut-être dans la capacité de chaque banque de disposer de son agrégateur et de l’associer à un modèle de relation clients encore plus vertueux. Car si nous valorisons et améliorons encore le modèle de relation global, il n’est pas certain que les clients aient intérêt à « éclater » davantage leur relation bancaire. Les particuliers reçoivent d’ailleurs déjà un nombre important de mails et/ou SMS publicitaires qui les sollicitent en permanence, malgré le développement de systèmes permettant de les bloquer. Face à la surabondance future de ces sollicitations et à la saturation qui s’ensuivra, l’échange téléphonique avec son conseiller attitré, ajouté aux envois de SMS et mails pertinents par la banque, pourra représenter une valeur ajoutée nettement plus forte, précisément parce qu’il se différenciera positivement, par une véritable personnalisation de la relation et l’apport spécifique dudit conseiller. D’ores et déjà, sur l’ensemble des propositions commerciales réalisées par SMS et mails envoyés à nos clients, le taux de transformation en vente est multiplié par dix lorsque le conseiller attitré du client appelle par la suite pour transformer l’essai.

Par ailleurs, les FinTech n’auront pas toutes les capacités de se développer par elles-mêmes concurrentiellement à certaines activités des banques. Elles commencent ainsi à passer à une relation de coopération qui peut prendre la forme de rachats de certaines Fintech par des banques ou de partenariat relatifs à l’intégration de certains aspects de leurs innovations dans l’offre bancaire.

Complémentarité des approches digitale et physique

Il est très vraisemblable que, comme dans tous les autres secteurs de la distribution, le modèle dominant soit in fine celui d’une complémentarité intime des approches digitales, peu nombreuses à être rentables dans le monde lorsqu’elles sont le seul canal utilisé, et des modèles physiques qui, s’ils devaient rester purs, seraient certainement condamnés à disparaître. On observe déjà d’ailleurs dans la grande distribution une convergence des modèles vers le mix humain-digital. Amazon annonçait récemment, par exemple, la création de 400 librairies physiques. Ajoutons que, dans la banque, qui plus est, nous traitons de l’argent et des projets de vie et d’entreprise, ce qui nécessite encore davantage de confiance et de relation de long terme. Nous traitons effectivement de sujets à forte charge émotionnelle et impliquant le temps long, la sécurité, le patrimoine, la transmission… et probablement un contact humain.

Bien entendu, plusieurs approches peuvent coexister, mais si nous évoluons vite et bien, le modèle dominant pourra rester celui de la banque, non pas classique ou traditionnelle, mais de réseau, augmentée du digital.

Lire l’article en PDF –  Revue Banque – La banque de réseau augmentée du digital – mai 2016

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« L’avenir de la banque à l’heure du digital »

Lors d’une table ronde, organisée par le cabinet CARLARA et animée par Me Edouard de LAMAZE, avocat à la cour d’appel de Paris, associé co-gérant du cabinet Carbonnier, Lamaze, Rasle et Associés (CARLARA), Mme Marie CHEVAL, inspectrice des finances, administratrice-directrice générale de Boursorama, membre du comité de direction de la Société Générale, et M. Olivier KLEIN, directeur général de la BRED Banque Populaire, professeur d’économie et finance à HEC, ont débattu de l’avenir de la banque à l’heure du digital.

Lire l’article – L’avenir de la banque à l’heure du digital – Marie Cheval et Olivier Klein

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« Le coût du passif des banques baisse moins vite que les taux du marché » Publié dans l’Agefi Hebdo , février 2016

Quel est l’effet des taux négatifs sur les marges bancaires ?

Quand les taux baissent, comme les banques prêtent à long terme et empruntent à court terme, l’effet commence par être favorable. Après environ un an toutefois, la marge d’intérêt diminue car les ménages gardent leurs dépôts contractuels à taux élevés, alors que les taux des ressources des banques suivent les taux réglementaires variant eux-mêmes moins que les taux courts. Ainsi, le coût du passif baisse moins vite que les taux de marché. A l’actif d’autre part, le taux des crédits baisse plus vite suite aux renégociations et au renouvellement des prêts. En outre, la politique de QE (quantitative easing) de la Banque centrale européenne (BCE) se répercute sur les taux longs, ce qui abaisse d’autant les taux de marge nette d’intérêt. Les taux négatifs posent un problème de plus : ils ne peuvent pas être répercutés sur les dépôts des clients. A l’actif, les banques ne prêtent pas à taux négatif, ce qui est juridiquement interdit. Mais au total, la marge nette, qui a pu frôler les 6 % au début des années 90, s’est établie aux environ de 2 % depuis quelques années.

Comment les banques vont-elles faire évoluer leur activité ?

En plus de fixer aujourd’hui son taux de dépôt à -0,30 % pour notamment inciter les banques à prêter davantage, la BCE induit, via le QE, la baisse des taux longs pour inciter les acteurs économiques à emprunter davantage. La baisse des taux longs présente aussi l’avantage, toutes choses égales par ailleurs, de faire croître la valeur des actifs patrimoniaux, créant un effet de richesse. Au total, les effets macroéconomiques sont plutôt positifs, la déflation semble évitée et le crédit est soutenu. En pratique, les placements des institutionnels peuvent supporter des taux négatifs. Les dépôts des entreprises non financières bénéficient en moyenne d’un taux nul, les banques en France ne pouvant aujourd’hui leur appliquer des taux négatifs. Les particuliers opteraient de toute façon pour la détention de cash.