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Difficiles mais indispensables réformes structurelles

En France, le potentiel de croissance annuelle est d’environ 0,8 – 1 %. C’est très faible. Or, la croissance s’avère cruciale pour augmenter le niveau de vie, permettre d’abaisser les déficits publics et équilibrer les systèmes sociaux sans drame, donc mettre sous contrôle l’endettement public sans violente cure d’austérité. Et les réformes structurelles sont le passage obligé pour augmenter le potentiel de croissance.

Des pays comme les pays nordiques et le Canada notamment ont enclenché ces réformes dans les années 90, de façon très réussie. L’Allemagne dans la première moitié des années 2000, avec succès également. L’Espagne et le Portugal les mènent activement, mais en pleine crise et le coût social, au moins à court terme, en est de ce fait très élevé. En France, quelle que soit la couleur du gouvernement, ces réformes structurelles sont très difficiles à mettre en place.

Pourtant il existe une convergence d’idées dans tous les rapports publiés, rapports Camdessus, Pébereau, Gallois, Attali 1 et 2. Au fond, et si l’on passe sur les détails, tout le monde exprime la même chose, qui correspond d’ailleurs à l’analyse économique tant théorique qu’empirique : le potentiel de croissance d’une économie est déterminé à moyen terme par les gains de productivité du travail, autrement dit avec le progrès technique et l’intensité capitalistique, qu’aiguillonne la concurrence, et par l’augmentation de la population active.
Les réformes préconisées par tous consistent donc, pour augmenter notre potentiel de croissance, à favoriser les deux facteurs principaux qui la déterminent, les gains de productivité et l’augmentation de la population au travail ou prête à travailler.


Quelques idées méritent donc d’être rappelées :

  1. Le coût du travail est crucial pour la compétitivité d’une économie, mais uniquement rapporté à la productivité du travail. En Allemagne, le coût du travail en moyenne n’est que légèrement inférieur à celui de la France, mais ce pays bénéficie d’une économie compétitive avec une balance courante largement excédentaire, une croissance assez élevée et un chômage faible. En France, avec un coût de travail seulement légèrement plus élevé, on a l’inverse. C’est lié à un coût du travail diminué des gains de productivité qui a fortement augmenté en France dans les années 2000 par rapport à l’Allemagne et à une gamme et qualité moyennes de la production française, alors qu’outre-Rhin la spécialisation s’est plutôt faite sur le haut de gamme.
    L’accroissement de la productivité du travail est un facteur de croissance économique et d’augmentation des revenus sans perte de compétitivité. Cela nécessite de la recherche-développement et de l’investissement. Pour cela, encore faut-il bénéficier d’un taux de profit suffisant dans les entreprises. Or, depuis 10 ans, la France est l’un des très rares pays de l’OCDE à avoir vu baisser son excédent brut d’exploitation sur valeur ajoutée, donc le taux de profit de ses entreprises. Cette situation ne facilite pas l’investissement, la modernisation, l’innovation, ni la montée en gamme. Pour inciter à l’innovation, il faut également accroître la concurrence dans certains secteurs encore trop protégés. Pour les personnes à faible qualification, rechercher un coût du travail plus bas est indispensable à leur emploi. Là-encore, les études empiriques le démontrent clairement. Cet abaissement peut se faire soit par les charges sociales, soit par le salaire lui-même, en complétant alors le revenu par des prestations sociales adaptées pour assurer un niveau de vie décent.
  2. L’augmentation de la population active, déterminant important de la croissance économique de long terme, doit conduire notamment à une réforme des retraites par augmentation du nombre d’années de cotisation, afin d’accroître la population en âge de travailler. Ce sera d’ailleurs la seule façon, comme l’ont déjà fait tant d’autres pays européens, de stimuler la croissance ; tout abaissement du niveau des retraites comme tout prélèvement additionnel sur les actifs a un effet dépressif sur l’économie.
    Il faut également accélérer l’incitation à retrouver un emploi. Or, il existe une corrélation très solide entre le taux de chômage et la longueur, le niveau et surtout la dégressivité de la protection du chômage. Cette réforme ne peut qu’aller de pair avec une meilleure formation et un accompagnement amélioré du retour à l’emploi. Il s’agit ici de développer la « flexi-sécurité ».
  3. L’augmentation du potentiel de croissance et de la compétitivité passe aussi par la recherche d’un service public plus efficient, c’est-à-dire du meilleur rapport entre l’utilité et la qualité du service public et le niveau des dépenses publiques. Or, en France, nous sommes sur le podium européen des dépenses publiques comme des prélèvements obligatoires sur PIB, mais pour un service public rendu (sécurité sociale – collectivités locales – Etat) dans la moyenne de l’Europe. Autrement dit, l’efficacité n’est pas au rendez-vous et les réformes s’imposent.

Si une très grande majorité d’économistes s’accorde sur ces réformes, pourquoi éprouve-t-on tant de difficultés à les réaliser en France ? Quelles raisons institutionnelles l’expliquent ? Tout d’abord, cette résistance provient sans doute d’une culture conflictuelle historiquement et d’un Etat hyperpuissant, centralisateur, de Louis XI en passant par Colbert, Louis XIV et Napoléon, à la France d’après-guerre, avec une reconstruction dirigée par l’Etat – et très réussie d’ailleurs – et la constitution d’une élite d’Etat.

Cette centralisation, qui a certainement été un facteur de la puissance française, est moins adaptée à la société et à l’économie du XXIème siècle, globalisées, organisées en réseaux et qui bousculent les hiérarchies verticales. Par son omniprésence, l’Etat intermédie la relation entre chacun et la société, entre chacun et les autres. Au lieu de se sentir responsable face à la collectivité, le particulier comme souvent le chef d’entreprise exprime une forte demande d’Etat.

L’Etat sert alors de maman surprotectrice, dès l’apparition d’un obstacle ou d’un problème, conduisant ainsi à donner aux Français le record du monde de la consommation d’anxiolytiques comme de la vision pessimiste de leur avenir collectif. Et l’on refuse alors les réformes, méfiant quant à la réalité de l’effort des autres et questionnant l’incapacité de l’Etat à prendre en charge tous les problèmes.

Simultanément, il existe en France des groupes d’intérêt plutôt corporatistes, cherchant avant tout à défendre leurs propres intérêts et des syndicats trop faiblement représentatifs dans les entreprises privées. Ces deux traits caractéristiques expliquent un vide de construction du social. On obtient ainsi une sorte de « social corporatisme », doublé de « social technocratie », comme l’écrivait récemment Denis Olivennes. Ainsi, chacun a des difficultés à penser symétriquement à ses devoirs comme à ses droits et à accepter les réformes qu’il faudrait pourtant faire pour justifier et protéger la protection sociale, la croissance et le bien-être.

Enfin, sans aucunement prétendre à l’exhaustivité, une des causes des difficultés à réformer repose certainement sur un mélange culturel historique qui fait souvent de la compassion l’alpha et l’oméga de la pensée politique et médiatique, loin des analyses empiriques et rationnelles des causes et des effets des phénomènes sociaux et économiques rencontrés. D’ailleurs Bossuet déjà ne disait-il pas que « Dieu rit de ceux qui déplorent les effets tout en chérissant les causes » ?

Ma part d’optimisme : il semble que, de plus en plus, les Français ont conscience de la fin inéluctable de l’Etat tout puissant dans le monde actuel. Ils comprennent également, forts des exemples étrangers, que le niveau de la protection sociale et des services publics a été artificiellement maintenu depuis longtemps par un endettement public croissant, aujourd’hui insoutenable. Sont donc mieux appréhendés les efforts à réaliser pour protéger l’essentiel, une société équitable, qui favorise tout à la fois le vivre ensemble et l’envie d’entreprendre, à haut niveau de vie et à forte protection sociale. Reste aux gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, à expliquer le sens et la nécessité des réformes, à en trouver la bonne programmation et le bon accompagnement et à en assurer la justice dans l’application.

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L’économie française malade de ses institutions ?

L’intervention d’Olivier Klein

« L’état de santé de la démocratie française a de quoi inquiéter. Depuis plus de trente ans, les enquêtes internationales montrent que les français, plus souvent que les habitants des autres pays développés, se défient de leurs élus et de leurs pouvoirs publics. Cette défiance s’étend également au marché, aux entreprises, au dialogue social ou encore à l’école

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Quelles sont les causes de cette défiance des Français envers leurs institutions ? Quelles en sont les conséquences sur nos performances économiques, sur le bien-être de nos concitoyens et sur notre cohésion sociale? Comment rétablir la transparence de nos institutions et redonner une vitalité à notre démocratie économique et sociale ? »

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Crises et sorties de crises, entre urgences et long terme

Les crises économiques font souvent l’objet d’analyses qui s’inscrivent dans des perspectives de temps plus ou moins court. J’exposerai ici volontairement une vision de long terme des crises, non sans avoir au préalable rappelé cette réflexion d’Antonio Gramsci : « une crise est ce qui sépare le vieux du neuf ».

Dans une approche plutôt régulationniste, on peut dire que chaque crise profonde du capitalisme est le temps d’une mutation fondamentale portant sur un ensemble d’éléments qui constitue et organise la société et l’économie. Ce sont des moments de forte transition dont on peut constater, a posteriori, qu’elles ont engendré de nouveaux modes de régulation, de nouveaux modes d’organisation, de la société et de l’économie. En général, ils mettent en jeu de nouvelles industries motrices, de nouvelles organisations du travail, de nouveaux modes de consommation, souvent de nouveaux modes de combinaison du privé et du public, comme de nouveaux centres de l’économie mondiale. A mon sens, nous sommes actuellement dans cette phase de mutation forte et de crise profonde qui, avec l’apparition progressive de ce renouveau, pourra s’accompagner, comme cela s’est produit à chaque fois dans l’histoire, d’une phase longue de croissance et de forts gains de productivité.


Aujourd’hui, je dénombre quatre transitions principales.

  • Première transition : la mondialisation et l’émergence de nouveaux pays, avec une décomposition en deux phases. La première phase, notamment à la fin des années 90 et tout au long des années 2000, voit les pays émergents concentrer leurs efforts sur ce qui va déterminer leur succès – les industries exportatrices – en tirant notamment avantage de leur coût du travail. Ces industries tirent profit de la demande des pays déjà développés et provoquent une surproduction mondiale car parallèlement, dans les pays développés, il n’y a pas autant de destruction de capacités de production. De ce fait, cette surproduction mondiale et cette concurrence à coûts bas produisent un ralentissement, voire une stagnation, des pouvoirs d’achat des populations des pays développés. Ce phénomène conduit à une montée de l’endettement qui permet à la crise de surproduction de ne pas se manifester violemment. L’endettement croissant des agents des pays développés autorise, en effet, pendant cette période un développement de la demande au niveau mondial, masquant ainsi les conséquences qu’aurait dû avoir la stagnation du pouvoir d’achat associée à des capacités mondiales de production trop fortes. Cette montée de l’endettement, qui concerne tous les agents économiques et en premier lieu les agents privés, dégénère en crises de surendettement. Celles-là entraînent à leur tour des crises financières et économiques profondes qui viennent aggraver brutalement à leur tour l’endettement public. A cette croissance de l’endettement de plus en plus forte du monde développé correspond une montée des déséquilibres des balances de paiements, avec des déficits courants au Nord et, symétriquement, des excédents courants au Sud.
    La deuxième phase de la mondialisation est celle de la maturité grandissante des pays émergents. Apparaissent en effet progressivement une classe moyenne, puis une augmentation de son pouvoir d’achat et, peu à peu, des systèmes de protection sociale et de retraite. Il est alors probable que se développe une croissance interne qui va, de façon chaotique, rééquilibrer progressivement les déséquilibres précédents.
  • La seconde transition est successive à la première et est engendrée par elle : la phase de désendettement. Historiquement, les phases de désendettement, dans des contextes de crises d’endettement aussi fortes, sont initiées avec brutalité mais se réalisent sur de longues périodes, de 5 à 10 ans. Elles se résolvent avec des leviers de différentes natures, alternatives ou complémentaires, comme une dépréciation des créances, une croissance nulle ou très ralentie avec  un lent abaissement du taux d’endettement par la montée de l’épargne et la réduction ou la limitation de la consommation, de l’investissement, comme des dépenses de l’Etat. Elles s’accompagnent de risques de déflation. Nous sommes actuellement dans cette période pour la zone euro prise dans son ensemble. Une autre issue des crises de sur-endettement peut être la montée de l’inflation, lorsque les circonstances le permettent, l’inflation ne se décrétant pas.
  • La troisième transition est celle de l’évolution démographique. Elle est très bien connue, mais le vieillissement de la population n’en est pas moins un phénomène essentiel dans de nombreux pays émergents et développés, à l’exception de l’Afrique. Elle pose des questions fondamentales quant au coût des systèmes sociaux, de la sécurité sociale et des retraites. qui rebondissent sur la question de l’endettement. Nous les avons partiellement traitées jusqu’alors en France par la montée de l’endettement de ces systèmes.
  • La quatrième transition repose sur la transition énergétique, enjeu majeur.de ce siècle. La fin programmée de l’énergie fossile, avec l’épuisement progressif de ces ressources, devrait avoir en effet pour conséquence une augmentation des prix des matières premières, avec pour corollaire une décélération de la croissance mondiale. Cette lutte renforcée pour les sources d’énergie provoque une modification des rapports de force entre les pays producteurs ou non producteurs de ressources naturelles et enfin, si le progrès technique le permet, la lente apparition, non linéaire et sans certitude, d’énergies de substitution qui pourraient desserrer plus ou moins les contraintes sur la croissance.

Ces transitions majeures évoquées, il faut se pencher, sans prétention à l’exhaustivité ni même quant à leurs succès, sur ce que pourraient être les moteurs du renouveau, ceux-là même qui permettraient de sortir progressivement de cette crise, laissant apparaître de nouveaux modes de régulation permettant un retour à une phase longue de croissance.

Chaque grande phase du capitalisme en effet a vu apparaître de nouvelles industries motrices porteuses d’évolutions fondamentales de l’espace économique, des façons de produire et de consommer, des marchandises elles-mêmes, des modes de travail et de loisirs… Nous sommes ainsi passés notamment du moteur à vapeur qui a permis le chemin de fer, au moteur à explosion qui a permis l’automobile, puis au moteur électrique qui a permis l’électroménager.

Je m’intéresserai ici essentiellement à trois moteurs potentiels, porteurs d’avenir :

  • Le numérique, dont le développement est certes déjà important, mais les impacts, à mon avis, encore à leurs prémices. Qu’il s’agisse des transformations des modes de consommation, de travail, des business models entre producteurs et distributeurs, entre distributeurs et consommateurs, entre producteurs et consommateurs, avec à la clé l’apparition de nouveaux gains de productivité, il me semble que nous sommes encore très éloignés de la fin de ce développement.
    La révolution numérique donne un pouvoir accru aux consommateurs. Ceux-là, en effet, sont en mesure de devenir nettement plus exigeants, d’une part parce qu’ils sont mieux informés des prix mais aussi de la qualité des produits et services, grâce aux données collectées sur la toile. Il leur est ainsi considérablement plus facile de s’informer et de comparer les qualités comme les prix.
    D’autre part, cette révolution leur permet d’accroître très sensiblement leur confort par l’amélioration considérable de la praticité qu’ils peuvent en attendre. Aujourd’hui on ne fait plus la queue pour acheter des billets de cinéma ou de train grâce à internet ; de même, on se déplace de moins en moins pour son acte de consommation, puisque l’on peut acheter directement sur la toile et se faire livrer.
    Les « business models » en sont largement modifiés. Les distributeurs, s’ils savent fidéliser leurs clients et les travailler pro-activement par l’utilisation intelligente des données qu’ils détiennent, prennent eux-mêmes du pouvoir sur les producteurs en se mettant en situation de proposer des solutions mieux adaptées qu’auparavant à chaque consommateur-individu, en fabriquant la solution avec le client devenu « consom’acteur ». Dans cette nouvelle relation, les distributeurs prennent comme jamais le pouvoir sur les producteurs en les mettant en compétition à la recherche de la meilleure combinaison de produit et de services appropriés à chaque client.
    En revanche, le producteur, dans le cas où le distributeur ne développe pas une légitimité suffisante, peut s’adresser directement au consommateur et évincer le distributeur.
    Ces modifications radicales dans les relations entre les producteurs, les distributeurs et les consommateurs permettront, à n’en pas douter, une recomposition de tous les circuits. Il sera ainsi opéré à une sélection drastique des combinaisons entre ces trois catégories d’acteurs, faisant émerger les plus efficaces et permettant les meilleurs gains de productivité.
  • La biotechnologie dont les développements peuvent notamment être induits par le désir de lutter contre le vieillissement de la population, lorsque cette demande s’avère solvable. Ces biotechnologies, qui se perfectionnent jour après jour, permettront demain de réparer son corps et de mieux lutter préventivement contre la maladie. Enfin, dans un avenir proche, le développement des machines biotechnologiques permettra de remplacer différentes parties du corps, approfondissant dans le même temps le domaine de la marchandise.
  • L’énergie, un secteur clé regroupant les énergies renouvelables, les technologies de stockage d’énergie – véritable problème de fond – comme les économies d’énergie, sera, à n’en pas douter, une clé essentielle de la croissance future de par le développement même de ces industries, mais aussi de par le fait qu’elles desserreront les contraintes induites par l’épuisement progressif des énergies fossiles.

En parallèle et en cohérence avec ces nouveaux moteurs industriels, nous assistons également à l’émergence progressive de nouveaux modes de consommation. Ils sont la conséquence de la digitalisation, de diverses nouvelles technologies, des effets de réseaux y afférant, du pouvoir d’achat stagnant, de l’évolution des mentalités y compris de la prise de conscience de la rareté croissante des ressources naturelles. Des changements s’opèrent dans les consommations incompressibles, dont l’orientation évolue de la propriété de l’objet vers son usage. Acheter un téléphone aujourd’hui ne correspond par exemple plus au simple acte d’achat du matériel ; nous acquérons en réalité la possibilité d’avoir accès à un catalogue d’applications et aux services de téléphone et du réseau internet. Comme chacun sait, nous avons maintenant accès au cloud computing et la possession d’ordinateurs à très fortes capacités de mémoire diminuera en conséquence.

Nous achetons de moins en moins de livres, de cd ou de films qui sont bien davantage loués. Tout comme l’achat du seul service d’une automobile pour un simple trajet se développera de plus en plus en ville. Nous parlons d’ailleurs encore de chauffage ou de climatisation, mais il est certain qu’à l’avenir nous achèterons beaucoup plus un service de régulation thermique dans chaque pièce de notre habitation et aux moments choisis, que l’énergie elle-même qui permet de l’obtenir. Ces pratiques  vont sans aucun doute ne faire que croître avec le temps. A leur tour, ces nouveaux modes de consommation induisent des évolutions radicales dans les « business models » des entreprises et dans l’organisation économique, ainsi que de nouvelles possibilités de croissance.

Parallèlement aux nouvelles consommations, apparaissent également de nouveaux modes de travail et peut-être de nouvelles normes salariales. Cela n’est qu’à son commencement, mais nous pouvons déjà observer le développement du travail à distance, ou en réseau, grâce aux nouvelles technologies. Le travail hors du bureau et sans horaires fixes commence à se répandre, avec pour corollaire des interrogations sur les évolutions des modes de rémunérations.


Comme dans toute crise et mutation profondes, nous sommes face à des évolutions heurtées, incertaines et douloureuses. On voit alors des zones géographiques, comme des strates de population, qui peuvent se révéler gagnantes ou perdantes. Ce qu’il faut espérer, c’est qu’un pays comme le nôtre sache choisir, car il s’agit bien d’un choix, les politiques structurelles qui favoriseront les leviers d’une sortie de crise par le haut. Nous avons besoin de faciliter l’agilité pour nous transformer, pour tirer parti de nos atouts et de nos savoir-faire et pour réduire les zones de freins à la nécessaire adaptation de même que les zones d’inefficience. Nous en avons les moyens, à condition de bien donner le cadre législatif, réglementaire et incitatif qui en favorisera la mise en œuvre.

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Vidéo. Crises et sorties de crises entre urgences et long terme

Intervention d’Olivier Klein

La crise est un moment de transition entre le passé et le futur. Je crois donc important de lister les grands moments de transition auxquels l’économie française, mais aussi l’économie mondiale, doit faire face : évolution de la mondialisation et montée en puissance de la demande interne au sein des pays émergents, évolution démographique, situation de la croissance économique européenne et française avec les effets induits sur les systèmes sociaux et, corrélativement, transition d’une période d’ajustement par l’endettement à une nécessaire période de désendettement, transition énergétique, transition entre les moteurs de croissance et de productivité du passé et ceux de demain.

Olivier Klein aux Rencontres d'Aix-en-Provence 2013

Dans une perspective de long terme, on doit s’interroger sur les moteurs possibles de croissance et de productivité de demain, avec les conséquences sur les normes de consommations et de travail, mais aussi sur les réformes structurelles nécessaires en France pour faciliter leur avènement. Cela conduit à distinguer, à cet effet, dans le concept flou de réformes structurelles, les réformes qui permettent les sorties par le haut de notre économie, de celles relevant d’un ajustement par le bas en ne s’appuyant que sur une baisse des coûts.

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Lire le texte complet de l’intervention d’Olivier Klein aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence

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L’avenir de la zone euro, publié dans la Nouvelle Revue de Géopolitique n° 9, Avril-Mai-Juin 2013

Un regard sur le passé tout d’abord. Le Système monétaire européen (SME) a été mis en place pour créer un lien fixe, mais ajustable entre les différentes devises de la zone. Il permettait ainsi, depuis 1979, d’éviter les variations brutales et perturbantes entre les devises des différents pays constituant le SME. Cependant, s’il démontrait sa forte utilité, il restait une source d’instabilité : des événements externes pouvaient entraîner des chocs asymétriques non désirés entre les pays européens concernés. Par exemple, une baisse du dollar contre les autres monnaies conduisait les opérateurs de marché à se porter sur le deutsche mark. Ils faisaient ainsi monter la devise allemande contre le dollar, mais aussi contre le franc français ou d’autres monnaies du SME. Cependant, l’évolution conjoncturelle de la France ou des autres pays et de l’Allemagne ne nécessitait pas une telle évolution du cours de change entre leurs devises.

En outre, chaque pays de la zone conservant sa monnaie, le solde de la balance courante devait être surveillé pays par pays. Une nation qui avait besoin de plus de croissance économique – par exemple de par sa plus forte croissance démographique – venait régulièrement buter sur la contrainte extérieure : un différentiel de croissance économique entre deux pays engendrait mécaniquement une dégradation du solde de la balance courante du pays à la croissance plus élevée. L’effet induit de ce phénomène était inéluctablement une contrainte d’alignement sur les taux de croissance les moins élevés des grands pays du SME.

La création d’une monnaie unique, en substitution du SME, participait donc structurellement de cette réflexion. D’une part, une monnaie unique permettait une dépréciation du dollar, provoquant un effet homogène sur les pays de la zone euro. D’autre part, la création de la monnaie unique pouvait laisser penser que des marges de manœuvre de politique conjoncturelle pouvaient être dégagées : le solde de la balance courante devait pouvoir alors se considérer au seul niveau de la zone et non plus de chaque pays.

Cela devait permettre à un pays de relancer son économie, si cela s’avérait nécessaire, sans buter immédiatement sur la contrainte extérieure, dès lors que l’ensemble de la zone ne dégradait pas son solde courant. L’exemple mis en avant était celui des États-Unis, au sein desquels un État pouvait relancer seul sa conjoncture sans frein immédiat dû à son propre solde courant. Enfin, une monnaie unique entre les pays considérés, sans possibilité de dévaluation-réévaluation, devait permettre aux acteurs économiques d’avoir une base plus stable de prévisions pour leurs investissements à l’étranger et leurs échanges, importations ou exportations, et de ne plus supporter les charges liées au change des devises les unes contre les autres.

Fédéralisme vs. convergence

À la création de la zone euro, deux écoles de pensée coexistaient tacitement. L’une et l’autre concevaient clairement qu’une telle zone monétaire ne pouvait fonctionner correctement sans complément.

La première école comprenait que, pour devenir efficiente et pour disposer d’une autorégulation satisfaisante, la zone euro devait progressivement être complétée d’un niveau de fédéralisme supérieur. En effet, la seule création de la monnaie unique était insuffisante pour apporter les modes de régulation nécessaires aux perturbations éventuelles. Dès lors qu’un pays au sein de la zone pouvait connaître un choc récessif interne isolé, il lui fallait s’ajuster sans pouvoir bénéficier d’une quelconque dépréciation ou dévaluation de sa monnaie. En l’absence de tout mode de régulation fédéral, la seule possibilité pour un tel pays consistait alors à abaisser ses coûts salariaux et ses dépenses publiques et sociales de façon à regagner de la compétitivité, en provoquant, en quelque sorte, une dévaluation interne, forcément douloureuse socialement et certainement coûteuse en termes de croissance économique pendant les premières années de l’ajustement.

Si l’on voulait éviter des ajustements « par le bas » trop coûteux, il fallait alors deux conditions clairement identifiées théoriquement. D’une part, une mobilité de la main d’œuvre entre les pays de la zone permettant aux personnes perdant leur emploi dans un pays d’en retrouver un autre dans un pays de la même zone. D’autre part, une solidarité budgétaire entre les pays ayant une même monnaie, de façon à organiser des transferts budgétaires des pays à plus forte croissance vers les pays en difficulté, allégeant ainsi la tâche d’ajustement interne de ces derniers pays. Cette situation est exactement celle des États-Unis, grâce à une langue commune et à une pratique historique de mobilité de la population, et grâce à un budget fédéral d’un niveau suffisant pour permettre ces transferts.

L’Europe n’avait pas historiquement cette mobilité, ni le cadre institutionnel légal et social unifié permettant de l’inciter. Mais, en poursuivant sa construction, elle pouvait atteindre un degré de fédéralisme plus élevé autorisant des transferts budgétaires, sous condition expresse d’une supervision budgétaire de chacun des pays par le niveau fédéral, la solidarité ne pouvant se développer sans contrôle préalable du sérieux des politiques menées nationalement. Telles étaient les réflexions de cette école de pensée qui fondait ses espoirs sur la continuation d’une construction européenne, jusqu’alors faite par l’économique avant de procéder aux avancées politiques nécessaires.

L’autre école de pensée, qui s’imposait dès lors que l’on n’osait ou ne voulait afficher des objectifs fédéralistes, était de ne laisser entrer dans la zone monétaire européenne que des pays très similaires et devant le rester ; d’où la création justifiée dans ce cadre des critères de convergence. Si les pays membres d’une zone monétaire sont en phase conjoncturelle et convergent en termes de taux d’inflation, de déficit budgétaire sur PIB, comme de dette publique sur PIB, et qu’ils le restent une fois entrés dans la zone, les ajustements entre pays membres ne sont plus nécessaires. Il n’y a plus lieu alors d’attendre un surcroît de fédéralisme.

Erreurs partagées

À la lecture des événements des dernières années, les deux écoles de pensée ont été dans l’erreur.

La première, puisque le surcroît de fédéralisme, considéré comme devant nécessairement suivre la création de la zone, ne s’est pas produit et qu’il s’est révélé difficile de faire émerger des solidarités internationales ex nihilo.

La seconde, puisque les pays entrés dans la zone n’ont pas tous été choisis sur une base de forte proximité économique structurelle et conjoncturelle, pour des raisons politiques ou car certains de ces pays ont volontairement occulté certains traits de leur économie. Erreur, en outre, parce qu’une union monétaire ne conduit pas naturellement à préserver une convergence, eût-elle existé à sa création, mais tout au contraire induit progressivement des divergences structurelles dues à des polarisations industrielles sur certaines régions de la zone, correspondant à des désindustrialisations d’autres régions. Une même politique monétaire, adaptée à la moyenne des pays de la zone et non à chaque conjoncture spécifique, comme la suppression du risque de change, conduit en fait à des spécialisations économiques nationales divergentes, pouvant mener certains pays à connaître structurellement des déficits de balance courante de par une industrialisation insuffisante.

Les marchés financiers eux aussi s’y sont trompés. Ils ont maintenu un taux d’intérêt des dettes publiques des différents pays de la zone à des niveaux très similaires, alors que l’on connaissait progressivement des divergences considérables, tant dans les ratios d’endettement public que dans ceux des déficits courants.

Ces erreurs de politique et de marché ont amené à l’éclatement d’une crise majeure spécifique à la zone euro, non pas due à de mauvais résultats et ratios en termes consolidés, mais à des divergences de plus en plus fortes entre pays de la même zone, sans que les mécanismes de régulation de tels phénomènes aient été à l’œuvre ou, même, aient été prévus.

Comment sortir des cercles vicieux de la crise ?

La résolution des problèmes intrinsèques de la zone euro s’est révélée dès lors extrêmement difficile, douloureuse et peu lisible.

Se sont enclenchés deux cercles vicieux qui ont accéléré les processus de crise. Le premier est la boucle qui s’est formée entre taux de croissance économique, taux d’intérêt de la dette publique et déficit public des pays en difficulté. Pour redresser la situation des comptes publics et sa compétitivité, un pays doit abaisser son niveau de dépenses publiques et augmenter ses taux d’imposition brutalement, de même que faire baisser ses coûts salariaux – alors même que plusieurs pays de la même zone le font simultanément. Les effets sur la conjoncture économique sont dès lors très défavorables. Le multiplicateur budgétaire dans de telles circonstances – avec un environnement de croissance très faible – a été calculé, y compris par le FMI. Il est supérieur à 1 : une baisse donnée des dépenses publiques en Europe engendre une contraction encore plus grande en proportion de l’activité économique. La baisse de croissance induite dégrade à nouveau le déficit public, ce qui inquiète les marchés et fait augmenter alors le taux d’intérêt de la dette publique. Ce qui à son tour rétroagit négativement sur le niveau du déficit public.

Le second cercle vicieux enclenché consiste en une boucle entre les banques et la dette publique d’un même pays. Les banques européennes détiennent, en placements de bon père de famille, des titres sur leur État, et d’ailleurs sur les États des autres pays de la zone, eu égard à une forte intégration financière dans l’union monétaire. La crainte sur la solvabilité de ces États a donc enclenché une défiance vis-à-vis de ces banques qui, si cette défiance dégénérait en crise systémique, ne pouvaient être sauvées que par leur État, aggravant immédiatement la crainte sur la dette publique.

La zone euro, par tâtonnements successifs, a tenté de sortir de cette grave crise et de ces boucles auto-entretenues. Là encore, deux grandes tendances issues des deux écoles décrites précédemment se sont fait jour, même si celles-là ont pu s’interpénétrer, voire converger.

La première a soutenu que la sortie dépendait de la capacité européenne à créer davantage de fédéralisme, capacité renforcée par la crise. La seconde a avancé que chaque pays en difficulté devait retrouver par lui-même une compétitivité par des efforts suffisants sur ses coûts et sur ses déficits. À nouveau, ces deux tendances ne s’excluant pas totalement ont convergé vers les compromis européens que nous avons connus.

Ainsi, après quelques errements trop longs, les décideurs politiques et la BCE ont heureusement décidé la création d’un fonds d’intervention européen, mutualisant ainsi de facto une partie de la dette publique des pays en difficulté, et la création de l’Union bancaire européenne. L’union bancaire est un élément constitutif et essentiel d’une zone monétaire parce qu’un niveau de supervision européen des banques est nécessaire. En effet, il existe parfois une suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils s’aveuglent eux-mêmes. Une supervision au niveau européen est d’autant plus valable que nos banques sont aussi multinationales en Europe, afin d’assurer ainsi une homogénéité du contrôle prudentiel tant en terme de qualité qu’en terme d’efficacité. Mais l’argument central en faveur d’une supervision européenne est qu’il ne peut y avoir de solidarité acceptée sans supervision partagée. C’est pourquoi l’accord récent conditionnait la mise en place des autres éléments essentiels de l’union bancaire.

Cette solidarité inquiète les banques en bonne santé parce qu’elles craignent de pâtir de la situation des banques moins bien portantes. Or c’est bien le contenu de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts, éventuellement à plusieurs étages. Au-delà des garanties de dépôts nationales existantes, des garanties de dépôts s’enclencheraient ainsi, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations. Cette solidarité interbancaire serait complétée par une solidarité entre les États de la zone. Un système européen de résolution des crises, avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les États, devrait voir le jour. Un tel fonds éviterait que la recapitalisation des banques doive se faire nécessairement par un État isolé. Il mettrait ainsi fin au deuxième cercle vicieux évoqué ci-dessus.

La BCE a annoncé qu’elle avait dorénavant la possibilité d’acheter ad libitum des dettes publiques des pays en difficultés, dès lors que leur taux d’intérêt dépassait un niveau considéré comme normal et autorisant une trajectoire de retour à une meilleure solvabilité, sous réserve qu’ils mènent une politique structurelle le permettant.

Ces décisions fondamentales – fonds d’intervention, union bancaire et politique d’intervention illimitée, mais conditionnée de la BCE – ont permis de retrouver la confiance et de casser au moins temporairement les deux cercles vicieux des crises énoncées ci-avant. Aujourd’hui, la question posée par la communauté des économistes est de savoir si les efforts réalisés par chaque pays – couplés aux mesures précitées – permettront d’assainir structurellement la situation de la zone euro et de se préserver en tant que telle, en assurant une convergence durable des pays participants.

Les alternatives à l’austérité

Les efforts intenses réalisés par les pays du sud de l’Europe induisent des coûts sociaux immenses, en termes de niveau de vie et de chômage. En moyenne, ces pays n’ont pas amélioré – voire ont détérioré – leur ratio dette publique sur PIB, eu égard à l’effet multiplicateur supérieur à 1 des mesures budgétaires. Cependant, certains pays comme l’Espagne commencent à voir leurs efforts porter des fruits lisibles dans le redressement de la balance courante et l’augmentation des exportations.

Dans le cas de la Grèce, la suppression d’une partie importante de la dette grecque détenue par le secteur privé semble ne pas suffire au redressement du pays alors même que, là encore, les coûts sociaux et économiques des mesures sont considérables. L’Italie a décidé de réformes structurelles importantes, mais a des difficultés à afficher un redressement de sa compétitivité et semble s’épuiser en combats politiques incertains, ce que viennent de confirmer les dernières élections. Le redressement constaté des balances courantes des pays en difficulté, à l’exclusion de l’Espagne, vient plus souvent d’un affaissement des importations dû à la récession que d’une hausse de leurs exportations expliquée par un surcroît de compétitivité.

La question est donc de savoir si la quête douloureuse simultanée d’un surcroît de compétitivité par une cure d’austérité dans chaque pays concerné isolément, sans avoir recours à l’ajustement par les cours de change, peut être fructueuse. La récession durable provoquée affaiblit en effet la croissance potentielle. Même en supposant un succès à terme, le redressement des comptes publics et des exportations peut-il être suffisamment rapide pour que les coûts sociaux ne se traduisent pas antérieurement par une crise politique et sociale qui viendrait compromettre l’équation européenne et les efforts jusqu’alors consentis ?

À supposer enfin que le regain de compétitivité parvienne à se matérialiser avant toute crise, la question se pose dans les termes suivants : la zone euro doit-elle se réguler par le seul ajustement « par le bas » des niveaux de vie, afin d’amener certains pays-membres, par des efforts internes considérables, à converger vers des niveaux de déficit et de dette publics plus acceptables et vers un meilleur équilibre de leur balance des paiements ? Dès lors que la base industrielle est faible, l’équilibre ne peut venir en effet que d’une croissance atone n’induisant pas d’accroissement des importations.  Ce qui produit alors un phénomène inéluctable de ralentissement durable de la croissance de la zone euro. Ou la régulation de cette zone monétaire doit-elle s’opérer par un mix de réformes structurelles indispensables à des finances publiques plus saines et à une meilleure compétitivité, mais aussi par une politique européenne de soutien de la croissance potentielle, par une véritable coordination des politiques économiques – relance ici et politiques restrictives là – et des transferts entre les différents pays permettant aux moins industrialisés d’entre eux de ne pas être contraints en permanence à l’ajustement par l’austérité ? Ce mix pourrait aider à ce que ces changements structurels puissent se faire sans brutalité excessive et sans entraîner de récession violente, donc en permettant à ces réformes d’être plus acceptables. Les réformes structurelles réussies par le Canada et la Suède notamment, dans les années 1990, ont été largement facilitées par des politiques conjoncturelles accommodantes qui ont permis de rendre acceptable le coût social transitoire de ces mesures. Ce mix ne manquera pas de comprendre également une meilleure supervision des politiques budgétaires notamment, car on ne peut concevoir de solidarité sans contrôle, si l’on souhaite éviter tout effet d’aléa moral.

L’interrogation finale est la suivante : la zone euro peut-elle développer un degré de fédéralisme supplémentaire – supervision, coordination des politiques économiques et transferts budgétaires – qui permettrait d’assurer un degré supérieur de solidarité entre ses membres, sans pour autant accepter de laxisme, ni de comportement de free rider ? Cela permettrait alors, non seulement, comme dit ci-dessus, de réaliser les indispensables réformes structurelles dans nombre de pays de façon organisée et mieux planifiée sur un temps plus long, donc moins douloureusement et avec moins de risques, mais aussi de reconnaître et d’assumer la diversité naturelle des pays composant la zone, y compris la diversité induite sur le plan industriel notamment par l’existence même de la monnaie unique.

Cela favoriserait un niveau de croissance moyen plus élevé, en autorisant certains pays à connaître des déficits courants alors que d’autres afficheraient des excédents. Ou alors, incapable de dessiner cette évolution politique, la zone euro est-elle condamnée à exiger trop vite et trop durablement une politique d’austérité dans les pays les moins industrialisés, conduisant alors à un niveau moyen de croissance pour l’ensemble de la zone durablement très affaibli, avec les risques politiques induits. Et peut-être finalement des risques sur l’euro lui-même.

Article publié dans la Nouvelle Revue de Géopolitique, n° 9, Avril-Mai-Juin 2013

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Lire en anglais The future of the euro zone

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« Oui à l’union bancaire européenne », publié dans Le Monde du 07-01-13

Les problèmes de la Zone Euro, apparus dès 2009-2010, ont pour cause première sa non complétude, en ce sens qu’elle n’a pas tous les éléments de régulation d’une zone monétaire optimale. Notamment, elle ne sait pas bien régler les divergences naturelles qui découlent de l’évolution des spécialisations industrielles due à l’existence même d’une zone monétaire : certains pays se désindustrialisent, d’autres s’industrialisent, avec des phénomènes de polarisation industrielle sur certains territoires. On a en conséquence des divergences progressives des soldes courants des balances des paiements des différents pays, avec accumulation des excédents chez les uns et des déficits chez les autres, et avec pour corollaire l’évolution de la capacité ou du besoin de financement de différentes nations, c’est-à-dire de leur endettement extérieur.

Deux cercles vicieux

En liaison avec ces problèmes structurels, on a assisté à deux phénomènes d’accélération, à deux cercles vicieux. Le premier, que l’on connait bien, vient de ce que lorsqu’on lutte soudainement et intensément contre des déficits publics excessifs et qu’on le fait simultanément dans plusieurs pays de la zone, cela crée des problèmes de croissance accrue qui rebondissent en boucle sur les problèmes de déficit budgétaire. Ce phénomène est renforcé par la hausse des taux d’emprunt des Etats dont les marchés financiers doutent de la réduction des déficits, eu regard au ralentissement de la croissance, voire de la récession. D’où la nécessité de rechercher davantage de croissance par des politiques conjoncturelles appropriées lorsque cela est possible, et dans tous les cas par des réformes structurelles.

Le deuxième cercle vicieux est celui qui entraîne ne boucle le risque bancaire et le risque souverain. On comprend bien que les banques peuvent accumuler des difficultés liées au risque souverain que, légitimement, elles portaient comme des placements de bons pères de famille depuis toujours dans leur bilan. De plus, les banques nationales européennes, de par l’intégration financière qui s’était très bien faite depuis la création de la zone euro, portaient aussi des dettes souveraines d’autres pays européens. Dès lors que ces banques deviennent fragiles parce qu’elles détiennent des risques souverains, il ne reste que les Etats, pris chacun séparément, pour prendre en charge le risque de leurs banques. Ce qui accroît à son tour le risque souverain. Dans le récent sauvetage des banques espagnoles, l’argent a été prêté à l’Etat espagnol pour qu’il prête lui-même aux banques, ce qui, évidemment, concentrait les problèmes sur cet Etat et renforçait la boucle d’accélération des risques pré-citée.

L’Union bancaire européenne, une solution ?

De cette dernière difficulté a émergé l’idée de l’Union bancaire européenne. Elle est un élément constitutif et essentiel d’une zone monétaire. Pourquoi ? Parce que, d’une part, il faut un niveau de supervision européen des banques. En effet, il existe parfois une suspicion vis-à-vis de certains superviseurs nationaux quant au fait qu’ils protègent trop leurs banques ou qu’ils s’aveuglent eux-mêmes. Une supervision au niveau européen est d’autant plus valable que nos banques sont aussi multi-nationales en Europe, afin d’assurer ainsi une homogénéité du contrôle prudentiel tant en termes de qualité qu’évidemment d’efficacité. Mais l’argument central en faveur d’une supervision européenne tient au fait qu’il ne peut y avoir de solidarité acceptée sans supervision partagée. C’est pourquoi l’accord récent conditionnait la mise en place des autres éléments essentiels de l’Union bancaire.

Cette solidarité inquiète toutefois les banques en bonne santé parce qu’elles ont crainte d’avoir à pâtir de la situation des banques moins bien portantes. Or c’est bien le contenu même de la solidarité interbancaire européenne qui se construirait par la constitution d’une garantie des dépôts éventuellement à plusieurs étages. Au-delà des garanties de dépôts nationales existantes, des garanties de dépôts s’enclencheraient ainsi, à certains moments, après épuisement des garanties de niveau national, au niveau européen directement, donc sur la base d’une solidarité des banques européennes des autres nations.

Cette solidarité interbancaire serait complétée par une solidarité entre les Etats de la Zone. Un système européen de résolution des crises, avec notamment un fonds d’intervention européen, nourri par les Etats, devrait voir le jour pour éviter la seule recapitalisation des banques isolement par leur seul Etat donc pour mettre fin au deuxième cercle vicieux évoqué ci-dessus.

L’Union bancaire européenne va-t-elle résoudre tousles problèmes de la zone euro ?

A elle seule, l’Union bancaire ne résoudra pas tous les problèmes, mais c’est un élément fondamental d’un dispositif de sortie de crise. Sera-t-il suffisant pour briser le cercle vicieux incriminé ? Dans le principe, oui. Il reste deux questions sans réponse à ce jour : le montant du fonds d’intervention – qui évidemment sera déterminant – et les termes de la conditionnalité du déclenchement de ces fonds pour pouvoir intervenir.

L’annonce de cette Union bancaire, de même que les déclarations essentielles de la BCE précisant qu’elle pourrait intervenir, sous certaines conditions, de façon illimitée, en achetant la dette de certains Etats de la zone, ont permis de restaurer le calme sur les marchés financiers et d’aborder les problèmes de fond.
Pour résoudre durablement les dysfonctionnements de la Zone Euro, la mise en place nécessaire d’une Union bancaire doit encore être accompagnée de la création d’une Union de transferts budgétaires, qui implique à l’évidence une Union de supervision des budgets nationaux et une véritable coordination des politiques économiques des pays de la Zone.

Espérons que l’avènement d’une Union bancaire européenne complète soit proche et marque le début du sursaut européen.

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