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COMMENT ÉVITER LE PIÈGE DE LA DETTE APRÈS LA PANDÉMIE ? – Graphiques


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Rembourser la dette ? Pourquoi faire ?

J’étais l’invité de Stéphane Soumier sur B Smart TV pour parler du remboursement de la dette, des risques pour les monnaies et pour la société.

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Le non-remboursement de la dette : risque de perte de confiance dans la monnaie et risques pour la société

Cette table ronde réunissait :

  • Michel Aglietta, Professeur émérite, Université Paris X Nanterre, conseiller au CEPII ;
  • Agnès Bénassy-Quéré, Chef économiste du Trésor ;
  • Anne-Laure Delatte, Chargée de recherche au CNRS ;
  • Olivier Klein, Directeur Général de la BRED et professeur de macroéconomie financière et de politique monétaire à HEC.

Retrouvez la retranscription de mon intervention aux Printemps de l’économie.

Le non-remboursement de la dette : risque de perte de confiance dans la monnaie et risques pour la société

Nous traversons une crise inédite et puissante due à la pandémie. Les États et les banques centrales ont eu des réponses fortes et appropriées jusqu’à présent. Les politiques budgétaires et monétaires qui ont été mises en place correspondent, in fine, à une suspension temporaire de la contrainte monétaire, c’est-à-dire de la contrainte des paiements. On a donné des revenus aux ménages lorsque leurs entreprises n’étaient plus à même de le faire, ce qui était essentiel pour que l’économie ne s’écroule pas, et ce grâce aux mesures de chômage partiel. On a par ailleurs financé les pertes de nombre d’entreprises qui, pendant la période, ne pouvaient pas trouver tout simplement de quoi absorber leurs charges sans chiffre d’affaires. C’était tout à fait nécessaire pour préserver à la fois la demande, mais aussi la capacité d’offre pour le futur. Même si la contrainte monétaire est strictement indispensable en temps normal à l’efficacité de l’économie. 

Les États qui ont beaucoup augmenté leurs dépenses et vont encore beaucoup le faire, alors que leur base fiscale s’affaisse, connaissent eux-mêmes une suspension de la contrainte monétaire pesant sur eux grâce aux banques centrales qui achètent notamment la dette publique sans compter. 

Les banques centrales ont émis beaucoup de liquidités pour aider le marché financier à ne pas se disloquer. Elles ont également acheté des obligations d’entreprises, pour les soutenir. Les banques centrales ont ainsi contribué directement et via les banques au bon financement de l’économie. 

Dès lors que l’on pense que ces politiques étaient indispensables pour tenter  de sauver l’essentiel, la question est : que peut-il se passer ensuite, après retour à la normale, eu égard au niveau très élevé de dette en résultant ?

Le non-remboursement de la dette publique vis-à-vis des détenteurs privés provoquerait des conséquences économiques et sociales graves. À supposer que les textes permettent de ne pas rembourser cette dette à la seule banque centrale – ce qui en réalité n’est pas autorisé –, le jeu avec les États, qui en sont actionnaires, serait à somme nulle.

La seule possibilité serait d’assurer un financement quasi perpétuel par la banque centrale à un taux proche de zéro de la dette publique.

Même s’il pourrait sans doute être imaginé qu’une partie de la dette additionnelle due à la pandémie soit refinancée ainsi, pourrait-on étendre cette possibilité à l’ensemble de la dette, voire aux futurs accroissements de la dette publique ?

Comment, dès lors, ne pas rentrer dans la pensée de la monnaie magique ? Autrement dit, d’une certaine manière, comment répondre à la question suivante : puisqu’on a pu trouver les moyens financiers pour ce qu’il semblait hier impossible de financer, pourquoi ne pas continuer ainsi ? D’autant plus que les taux d’intérêt étant très bas et inférieurs au taux de croissance, la trajectoire de solvabilité des acteurs privés et des États peut a priori sembler préservée. Mais la seule comparaison des taux d’intérêt et des taux de croissance actuels ne saurait épuiser les sujets de solvabilité – une crise peut en effet advenir par la baisse des revenus et non seulement par une remontée des taux d’intérêt –, les sujets de stabilité financière et, plus généralement, de confiance.

Il est en effet nécessaire de mener aussi une analyse théorique pour répondre à la question suivante : pourrait-on avoir un « quantitative easing » en permanence de plus en plus grand, donc des taux d’intérêt toujours proches de zéro, qui permettent à l’État de dépenser davantage sans limite, et aux acteurs privés d’élever leur niveau d’endettement sans contrainte ? 

Il faut récuser l’idée d’une politique de « quantitative easing » sans fin. Tout d’abord à cause des conséquences considérables sur l’instabilité financière que cela provoquerait. Des taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que l’économie reviendrait à un taux de croissance plus normal – ce qui est loin d’être le cas actuellement –, reviendrait en réalité à faciliter les cycles financiers, voire à les engendrer et à les développer. C’est-à-dire que cela faciliterait l’apparition de bulles spéculatives de plus en plus fortes, puis leur éclosion. Nous connaissons très bien ce phénomène de cycles financiers entretenus par un développement trop fort du crédit s’entremêlant, dans une boucle auto-alimentée, à une bulle spéculative sur les actions ou l’immobilier. Ces phénomènes, très bien documentés, sont très dangereux car ils donnent lieu à des crises économiques et financières majeures. 

Enfin, nous pourrions avoir à plus long terme une fuite devant la monnaie. Si jamais la contrainte de paiement, donc la contrainte monétaire, ne jouait plus vraiment pendant longtemps, c’est la confiance dans la monnaie qui serait touchée, parce que le système monétaire est par essence un système de règlement des dettes. Et comme nous le savons, c’est ce système qui donne de la cohérence aux échanges et l’efficacité économique indispensable. Donc la crise de confiance peut survenir quand  il y a une perte de confiance dans la validité des créances et des dettes, aujourd’hui comme dans le futur. Tout le système est fondé sur cela. Si l’on achète quelque chose, alors on doit. Si l’on vend quelque chose, alors on nous doit. Et l’on emprunte parce que l’on fait un pari sur le futur, donc un pari sur les revenus ultérieurs engendrés par l’investissement réalisé qui devraient permettre de rembourser l’emprunt contracté afin d’investir. 

Donc, il y a crise lorsqu’il y a une défiance vis-à-vis du système de paiement, du système de règlement des dettes. Une défiance vis-à-vis des contrats financiers qui sont cette capacité à se projeter dans le futur. Une défiance en fin de compte vis-à-vis de la monnaie.

Qu’est-ce que la confiance, au fond ? C’est l’idée que la parole donnée ou que les contrats signés sont fiables. Et c’est évidemment valable pour l’économie ; les contrats de dettes et les contrats de créances sur lesquels l’ensemble est construit doivent donc être respectés.

La confiance dans les banques est ainsi cruciale, ce sont elles qui créent la monnaie ex nihilo en faisant crédit. Et la confiance dans la banque centrale l’est aussi. Parce qu’elle est la banque des banques, et surtout parce qu’elle assure la régulation monétaire, qui est la pierre angulaire du tout. 

Si la banque centrale émettait trop de monnaie banque centrale – sans que l’on sache par avance où est le seuil de rupture d’ailleurs –, trop longtemps, et que la contrainte monétaire n’était pas rétablie dans un temps prévisible, alors une grave crise pourrait advenir, du type de celle des assignats en France, de l’hyperinflation en Allemagne au début du vingtième siècle, ou des crises monétaires récurrentes dans certains pays d’Amérique latine. Au-delà de ce seuil, il y a un rejet possible de la monnaie officielle. Et une désagrégation du système de dettes et de créances, donc une désintégration du système monétaire, c’est-à-dire une possible désagrégation de la société, peut alors se produire. Je citerai Michel Aglietta : « La confiance dans la monnaie, c’est l’alpha et l’oméga de la société ». 

Il est donc impératif que cette confiance ne soit pas détruite, sinon il pourrait y avoir des fuites dans les monnaies étrangères. Cela se produit régulièrement dans des pays moins développés, mais cela peut se produire également ailleurs. Cela dit, si toutes les banques centrales font la même chose au même moment, évidemment, il est plus difficile de fuir la monnaie officielle en transférant ses avoirs dans une autre monnaie. Mais alors, beaucoup peuvent se réfugier dans l’or. L’on peut aussi imaginer un jour trouver refuge dans une cryptomonnaie qui serait émise par un GAFA plus solvable qu’un État. Cette cryptomonnaie deviendrait ainsi une monnaie privée qui serait la ligne de fuite des systèmes officiels.

Pour conclure, la monnaie est une institution, elle doit être gérée comme une institution, c’est-à-dire comme un ensemble qui nécessite de la confiance et des règles. Les règles, c’est le règlement des dettes, donc la contrainte monétaire. C’est-à-dire, alors que les dettes des entreprises comme des États sont généralement remboursées par la mise en place de nouveaux prêts, par l’obligation de maintenir une trajectoire soutenable de l’endettement. Et le seul maintien d’un taux d’intérêt très bas ne peut suffire à garantir cette nécessaire soutenabilité, car non seulement il n’est pas assuré sur le long terme, mais les revenus peuvent aussi s’affaisser lors d’une récession, y compris en présence de taux très bas. Il est donc possible de suspendre la contrainte monétaire momentanément, comme aujourd’hui, mais pas durablement.

La banque centrale doit donc être au-dessus des intérêts privés ou des intérêts de l’État, c’est ce qui lui donne précisément sa légitimité. Donc il ne doit pas y avoir de « fiscal dominance », c’est-à-dire de dépendance vis-à-vis des États qui l’obligeraient à conduire des politiques qui conduiraient très durablement à des taux d’intérêt très faibles, à zéro, voire négatifs, inférieurs aux taux de croissance, et d’augmenter à perpétuité la quantité de monnaie banque centrale. Mais symétriquement, il ne doit pas y avoir de « financial market dominance », c’est-à-dire que la banque centrale ne doit pas non plus être dominée par les marchés financiers. Les banques centrales ne peuvent être dominées par les marchés qui appellent à toujours plus d’injections monétaires sous peine de menaces de krachs boursiers.

C’est l’intérêt général que doit défendre la banque centrale. De même, elle doit conserver sa crédibilité. C’est crucial pour la possibilité ultérieure d’utiliser avec vigueur valablement la politique monétaire en cas de nouveau besoin, pour l’économie et son efficacité, et pour l’ordre même de la société. 

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« La situation de l’Europe à l’heure du Coronavirus », les exposés d’Olivier Klein et Philippe Jurgensen lors de la conférence de la Ligue Européenne de Coopération Economique du 24 Juin 2020

Transcription de la visio conférence-débat organisée par LECE-France le 24 juin 2020

Olivier Klein 
Président de LECE-France, Directeur général de la BRED, Professeur de macro-économie financière et de politique monétaire à HEC

En ces temps compliqué pour tous, il paraissait important au Bureau de la LECE d’organiser un échange sur la crise pandémique, financière et économique que nous traversons. En essayant d’apporter un peu d’analyse, de recul pour le peu qu’on puisse en avoir déjà, car beaucoup de choses sont encore devant nous.

  • La question du confinement total

La question qui doit se poser en premier lieu, que l’on ne saurait trancher évidemment à ce jour, car nous ne disposons pas encore de suffisamment de recul, est celle de savoir si un confinement total était favorable ou mauvais ? Si nombre de pays ont essayé de ne pas confiner, pour revenir sur cette décision par la suite, la question en France ne s’est pas posée de la même manière car nous n’avions ni masques, ni tests. Et le confinement total devait ainsi probablement avoir lieu.

La deuxième question qui se pose est plus « métaphysique » qu’économique : c’est celle du prix de la vie qui a été fortement réévalué par rapport aux crises sanitaires majeures antérieures, sans nécessairement prendre en compte les conséquence éventuelles sur la pauvreté, ou peut-être même sur la santé, qui en résultent.

Il est à noter, mais c’est évidemment une comparaison pour partie fallacieuse, qu’en France, nous comptons à ce jour environ 30 000 décès dus au coronavirus alors que chaque année, 150 000 personnes meurent du cancer et que la grippe espagnole avait fait en France 400 000 morts. Mais combien de morts aurions-nous eu sans confinement ?

  • Conséquences financières du Coronavirus

La pandémie et le confinement des pays les plus développés ont engendré, dans la deuxième moitié de mars, une dislocation des marchés financiers considérable. On a eu une crise financière pendant les quinze premiers jours qui a été plus intense que celle de 2008-2009. On a par exemple connu une volatilité des actions qui a été quasiment le double de celle de 2008-2009. Le marché de la dette a explosé avec des « spreads », des primes de risque, qui sont montés violemment. Heureusement les banques centrales ont pris la mesure immédiate de la situation et ont réagi simultanément en injectant beaucoup de moyens, ce qui posera peut-être des problèmes par la suite, mais sans lesquels les marchés financiers allaient créer une crise absolument majeure.

Sur ce point, je pense que si les marchés financiers étaient proches de la dislocation totale, c’est certes parce que la crise était totalement inédite et d’ampleur mondiale, mais c’est aussi parce que le cycle financier était très mûr. Les marchés préalablement sous-estimaient gravement les risques, surévaluaient gravement les valeurs de nombre d’entreprises, rendant la crise beaucoup plus brutale lorsqu’elle est survenue.

Les banques centrales ont extrêmement vite et bien réagi, en injectant la liquidité partout où il en fallait et en quantité très abondante. Les taux d’intérêt aux États-Unis ont été baissés, ce qui a eu des effets favorables. Il ne pouvait en être de même en Europe puisque les taux étaient déjà négatifs ou nuls. Les banques centrales ont maîtrisé à la fois les taux courts, les taux longs, mais aussi nombre de « spreads ». Et puis, le financement des banques a été assuré par des procédures spéciales renouvelées ou accrues de façon très appropriée. Au final, et après une baisse vertigineuse, le marché des actions a très fortement rebondi. Les entreprises, grâce aux États, soutenus par les banques centrales, ont pu financer leurs pertes.

  • Conséquences économiques du Coronavirus

La pandémie a engendré un trou d’air économique extrêmement violent et simultané dans les différents endroits du monde. L’INSEE estime qu’en France un mois de confinement complet a entrainé 35 % de baisse du PIB.

J’ajoute à titre indicatif par un petit calcul personnel qu’en réalité le secteur privé a vu son PIB chuter de pratiquement 50% durant le mois de confinement. En effet, une baisse d’un tiers du PIB prend aussi en compte les administrations publiques dont la production est mesurées en fonction de leur coût. Or, leur coût n’a pas baissé pendant le confinement, donc leur production n’a pas baissé. Avec 25% des emplois liés au public, en appliquant une simple règle de trois partant du principe que le nombre d’emplois est proportionnel à la production, on arrive à un résultat d’un peu moins de 50%. Un effondrement extraordinairement fort, violent.

Cela conduit naturellement, en fonction du nombre de mois de confinement et du nombre de mois de reprise, à considérer que l’on ne va pas revenir à la production des mois de janvier ou février 2020, mais que l’on va retrouver plus progressivement les niveaux antérieurs. La FED estime qu’on ne reviendra pas aux niveaux de production précédents avant 2022. L’OCDE obtient ainsi des prévisions de récession en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne et en France comprises entre 11 % et 13 %. La prévision pour la France se situe aux environs de 11%. Celles de la Hollande et l’Allemagne seraient comprises entre 7 et 8 %, ce qui fait une différence significative, même si ces niveaux restent impressionants. L’OCDE prévoit un peu moins de 3% pour la Chine et pour l’Inde, même s’il faut évidemment faire attention à prendre en comparaison les niveaux de croissance usuels. Aux États-Unis la récession serait de moins 7 % et en Corée, par exemple, de moins 1 %. Des chutes vertigineuses par rapport aux taux antérieurs se produisent donc partout, mais les pays ne seront pas touchés de la même manière.

  • Les réactions des États et des banques centrales

Les banques centrales ont eu une réaction immédiate extrêmement forte en termes de mise à disposition liquidités, mais aussi d’achats de dettes tous azimuts : dettes des États, bien sûr, mais aussi dettes corporate. Elles ont également acheté pour partie des dettes en speculative grade, ce qui ne se faisait pas d’ordinaire pour des banques comme la FED ou comme la BCE. Donc des achats de dettes privées et des achats de dettes publiques tous azimuts, pour maintenir les taux ainsi que les « spreads » à des niveaux raisonnables, et pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de ce fait de faillites en cascade ni de phénomène de contagion sur les marchés financiers.

Des réactions immédiates également pour les États, mais qui conduisent à des déficits publics majeurs. À ce jour, le déficit public sur l’année par rapport au PIB est estimé aux États-Unis à environ 20 %, ce qui est considérable. Dans la zone euro il est prévu à environ 8 %, en France à 11 %. L’estimation est de 8 % pour le Japon et de 14% en moyenne dans l’OCDE, sachant que les États-Unis pèsent lourd. L’effet sur les dettes publiques sera compris entre 10 et 20 % de points de plus par rapport au PIB. En France, par exemple, la dette publique passerait ainsi de 100 à 120 % du PIB à l’issue de l’année.

Au fond, qu’est-ce qu’ont fait les États et les banques centrales ? Ils ont supprimé temporairement la contrainte monétaire, ou la contrainte de paiement, qui fait d’ordinaire qu’une entreprise ne peut pas être financée durablement si elle ne fait que des pertes ou qu’un ménage ne peut pas dépenser durablement plus qu’il ne reçoit. Cette contrainte monétaire, qui d’ailleurs est exercée légitimement par les banques, a été suspendue de façon tout à fait normale et indispensable. Face à cette situation catastrophique, si la contrainte n’avait pas été suspendue momentanément, un nombre considérable d’entreprises disparaîtraient ou auraient disparu faisant durablement perdre des capacités de production dans chaque pays. Ce serait extrêmement dommageable pour les richesses des pays.

Si les États n’avaient pas soutenu les ménages et les entreprises en même temps, en prenant en charge la rémunération que les entreprises n’étaient plus capables de payer aux salariés, les ménages auraient subi des chocs entraînant des catastrophes sociales, et les entreprises auraient subi encore plus de pertes. Il était donc utile et même indispensable de provoquer une suspension temporaire de la contrainte monétaire, tant pour les entreprises que pour les ménages. Ce sont les États qui l’ont réalisée, avec l’appui des banques centrales pour les corporate, en achetant leur dette directement sur les marchés.

Evidemment, cela ne pouvait se faire que si les États eux-mêmes voyaient leur contrainte monétaire momentanément suspendue. Ce sont ainsi les banques centrales qui l’on fait en achetant le surcroît de dette des États eux-mêmes sans compter, au moins temporairement, ce que l’on appelle la monétisation de la dette, pour éviter que les marchés ne paniquent face au niveau de dettes publiques inconnu jusqu’alors et provoquent ainsi une crise d’insolvabilité.

On a donc eu des suspensions de contrainte monétaire à deux étages. Rappelons que la contrainte est nécessaire en temps normal au bon fonctionnement de l’économie, car sans elle il n’y aurait que des entreprises zombies entraînant les entreprises qui se portent bien à devenir zombies elles-mêmes. Si une entreprise perd durablement de l’argent sur un marché et qu’elle subsiste, toutes les autres vont également commencer à en perdre, et toute l’efficacité économique qui fait que l’on économise la peine des hommes n’existerait plus. Il est donc indispensable que cette contrainte soit rétablie à un moment donné, pour l’efficacité économique et pour la confiance dans l’économie, comme dans la monnaie.

  • La reprise : quelle reconstruction ?

La capacité des marchés à s’émerveiller d’une reprise rapide est inquiétante. Les pays ont subi de violentes chutes de leur PIB, presque 50% en France pour le privé. Les Etats-Unis, par exemple, ont perdu 20 millions d’emplois en quelques mois. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils en retrouvent 2 millions instantanément en rouvrant les commerces et les restaurants. Il serait plus étonnant qu’ils parviennent à retrouver leurs 20 millions d’emplois dans les 12-18 prochains mois. L’enthousiasme artificiel, parfois même hallucinatoire des marchés est donc préoccupant.

Le redémarrage sera rapide les premiers temps, mais progressif ensuite, il ne peut en être autrement. Tout d’abord, car les chaînes d’approvisionnements et de valeurs se reconstituent progressivement. Ensuite du fait du surendettement des entreprises. Selon les secteurs et pays, elles étaient déjà précédemment fortement endettées. Avec la crise pandémique, elles ont dû financer leurs pertes, un financement qui a mené à un surcroît d’endettement qui constituera un frein à l’emploi, à l’investissement, et à la croissance si on ne s’y intéresse pas de près.

L’épargne a également fortement augmenté durant la période de confinement où les ménages consommaient nettement moins qu’antérieurement. En France, elle est passée d’environ 15 à 20%

La question est : les ménages vont-ils faire baisser leur taux d’épargne rapidement ou vont-ils conserver une partie de ce surcroît par précaution, par peur face à l’avenir quant à leur rémunération ou leur emploi futur ?

Il y a bien un jeu réciproque et synergique entre l’offre et la demande. Beaucoup d’entreprises vont attendre de voir si la demande redémarre bien pour pouvoir réinvestir et employer, beaucoup de ménages vont attendre de voir si l’emploi tient bon avant de re-consommer davantage.

Dans ce jeu de l’offre et de la demande, les politiques économiques occuperont donc un rôle central. Tous les pays du monde sont par ailleurs dans une mauvaise situation, de la Chine qui est certes en redémarrage mais de manière non linéaire aux Etats-Unis. Ce synchronisme ajoute encore à l’effet négatif sur l’économie, sachant que le commerce international a évidemment énormément baissé durant la période.

Les politiques économiques qui vont succéder au confinement seront ainsi nécessaires et devront être différentes de celles que l’on vient de connaître. D’une part pour soutenir l’offre, qui a besoin d’être reconstruite. L’augmentation de capital des entreprises doit être facilitée pour qu’elles baissent leur endettement sans ralentir l’investissement et l’emploi. Mais de quelle manière ? L’État va-t-il garantir, au moins pour partie, les prises de risque en capital des institutionnels ? Ce sont des enjeux d’actualité. Il faudra également remobiliser le travail et adopter des mesures pour faciliter l’investissement d’un côté et les embauches de l’autre, notamment des jeunes qui arrivent sur le marché et pour lesquels la situation sera beaucoup plus difficile.

Les impôts ne devront être augmentés d’aucune manière car l’offre en pâtirait. On a plus que jamais besoin d’avoir des entrepreneurs, d’avoir des innovateurs et d’avoir des épargnants qui acceptent de prendre du risque en capital. Tout ce qui pourrait les décourager paraît ainsi à éviter totalement.

Certaines relocalisations stratégiques devront être favorisées, ce qui ne va pas être simple ; mais stratégiquement, chacun comprend qu’avoir 90% de la Pénicilline ou du Paracétamol fabriqué en Chine est un sujet qu’il faut traiter rapidement. Et puis ces relocalisations représentent aussi l’occasion de favoriser une économie économe en énergie émettrice de CO2 et de répondre ainsi aux enjeux futurs pour le climat.

Ces politiques devront permettre également de soutenir la demande. Il faut une politique qui facilite l’emploi. Il faut soutenir les ménages sans ressources tout en étant attentif à ce qu’ils soient incités à rechercher un emploi.

Enfin, il faudra retrouver une contrainte monétaire, une contrainte de paiement indispensable, ni trop vite ni trop lentement. Trop vite serait catastrophique, car cela supposerait des politiques d’austérité ou des coupes dans les budgets de l’État. Or, en ce moment les dépenses et les investissements sont nécessaires pour soutenir le manque de demande privée. Et si les taux d’intérêt remontaient trop rapidement, la montagne de dettes deviendrait explosive. On a besoin d’aller plutôt lentement. Mais pas trop non plus. Il faut une programmation claire et lisible d’un retour à la normale. À défaut nous pourrions entrer dans l’économie vaudoue, car si, comme continuent certains de le dire, on affirmait que l’on pouvait dorénavant ne plus avoir de contraintes et que la Banque Centrale pouvait avaler ad vitam æternam toute augmentation de dettes futures, sans remboursement on entrerait dans une situation catastrophique avec de graves crises financières à répétition et, à terme, une perte catastrophique de confiance dans la monnaie.

Enfin, toute l’histoire économique démontre qu’à chaque fois que les contraintes monétaires ont été ignorées ou méprisées, il s’est produit une fuite devant la monnaie qui a engendré des crises financières et économiques absolument majeures. La valeur des dettes est essentielle. Les dettes des ménages, des entreprises, comme des États doivent être des objets de confiance et la monnaie, c’est la dette des banques vis-à-vis des agents non bancaires. Donc, si la monnaie perdait sa valeur, ce serait parce que les dettes n’auraient plus de valeur, puisqu’elles ne seraient plus remboursables. Le fait de ne pas avoir de contrainte monétaire entraînerait une perte de confiance dans la monnaie, c’est-à-dire une catastrophe économique gigantesque. Il est donc indispensable de retrouver un chemin lent, mais un chemin réaliste et crédible, pour revenir à une certaine normalité.


Débat

Edmond Alphandery : Un sujet me paraît majeur dans notre pays, c’est le problème de l’incurie de l’administration française révélé par la pandémie. Jusqu’à présent nous n’entendons strictement rien au niveau gouvernemental sur la vraie réforme en France, celle de l’administration. Il y a environ un million de fonctionnaires de trop par rapport à un pays comme l’Allemagne, ce qui coûte entre 84 et 100 milliards d’euros en plus. Si on prend le dernier exemple concernant l’aide à l’automobile propre, force est de constater une fois de plus que l’administration a monté une machine à gaz absurde et n’a pas pris la formule la plus élégante prise par l’Allemagne, à savoir une baisse de la TVA, qui impacte tous les véhicules sans condition de ressources. C’est un élément important à évoquer dans une comparaison avec l’Allemagne si on prend l’expérience de la pandémie, la façon dont elle a été gérée et la façon dont l’Allemagne repart. Indépendamment des clusters que l’on peut voir surgir, il y a 600 000 personnes actuellement confinées en Allemagne, il n’empêche que, que ce soit dans le secteur automobile ou dans les grands secteurs, elle est repartie beaucoup plus vite que nous.

Olivier Klein : Sur le premier sujet, oui l’État français, de longue date, n’avait pas préparé la possibilité d’une pandémie puisque nous n’avions ni masques ni tests, ce qui nous a  beaucoup pénalisés.

Par ailleurs, je suis parfaitement d’accord, ce n’est pas le moment de freiner, ou de ne pas faire, les réformes structurelles. Les réformes structurelles, contrairement à ce que certains pensent, ce n’est pas de vouloir l’austérité pour un pays, c’est de faire en sorte que l’économie globale soit plus efficace et que le taux de croissance potentiel soit augmenté. C’est accroître les gains de productivité par tous les moyens bien connus et c’est augmenter la capacité à mobiliser le travail. Il est donc indispensable en ce moment de mener les politiques structurelles. Simplement, il faut bien les choisir pour qu’elles ne conduisent pas à une situation pire à court terme. Il faudra évidemment beaucoup de courage politique pour le faire.

Sur l’Allemagne, il y a eu environ 8 000 morts pour 83 millions d’habitants alors qu’en France 30 000 morts pour 67 millions d’habitants. Une croissance estimée en France à -11% pour cette année, en Allemagne à -7%. Un déficit public qui passera en France à 11, et à 5,5 en Allemagne. Avec, et c’est marquant, une baisse de la fréquentation des lieux de travail à fin avril de 43% France et de seulement 18% en Allemagne. Donc rien d’étonnant à ce que la croissance ait beaucoup moins baissé et que maintenant la reprise puisse être beaucoup plus forte. Pour finir, le nombre de chômeurs partiels pendant le confinement a été d’environ 10 millions en France sur les 20 millions de personnes qui travaillent, c’est-à-dire presque 50%, alors qu’en Allemagne ils représentaient seulement 22%.

Valérie Plagnol : Je pense qu’on ne peut pas s’abstraire ni avoir peur du terme d’austérité, elle va arriver au-delà de 2022, c’est une évidence. La question est de savoir : comment allons-nous l’organiser en France ? Aujourd’hui, le terme est tabou. Effectivement nous sommes rentrés avec des bagages et des valises chargées et mal chargées en France. Aujourd’hui les réformes et les réponses sont de nature structurelle et je m’inquiète du surcroît d’intervention de l’État. Vous en avez évoqué la nécessité, mais cet interventionnisme économique s’accompagne de directives extrêmement contraignantes, économiquement également. Je crains que finalement nous ne soyons pas dans une logique de donnant-donnant. Et de l’autre côté apparaissent aussi des comportements protectionnistes. On en a parlé au niveau européen avec la prédation, mais il est plutôt question des comportements protectionnistes sur les travailleurs détachés, sur les lignes aériennes, etc. Donc une reconstitution ou un renforcement de monopole qui, dans une étape première, risque de nous conduire à plus d’inflation. Et donc, cette fameuse dérive française vers le Club Med qui s’accentuerait.

Olivier Klein : Très modestement, comme je disais je crois qu’il faut des politiques de réformes structurelles. Si on ne les mène pas, on va sauver le court terme en aggravant considérablement notre situation à moyen terme. Il faut donc les mener. Est-ce que le pays est prêt à les supporter ? C’est une autre chose. Il faut déjà bien les présenter et expliquer en quoi elles sont nécessaires. Les politiques d’austérité, en tant que telles, ne sont pas équivalentes à des réformes structurelles. En réalité, les pays qui n’ont pas fait de politiques structurelles seront tôt ou tard obligés d’avoir des politiques d’austérité drastiques. C’était un peu le cas de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie et de la Grèce après 2010 pendant la crise de la zone euro. Les pays qui n’avaient pas fait de réformes structurelles ont été subitement contraints de mener des politiques d’austérité pour essayer le plus rapidement possible de rétablir leurs balances courantes, entraînant ainsi des dégâts sociaux et politiques considérables. Les politiques structurelles ne sont donc pas d’austérité dans la mesure où elles augmentent le taux de croissance potentiel, alors que les politiques d’austérité conduisent directement à abaisser le taux de croissance effectif pour rétablir des équilibres. Je pense et j’espère qu’il y a un chemin pour faire des politiques structurelles qui ne soient pas déflationnistes ou austéritaires, même si naturellement elles seront difficiles ici et là, car certaines parties de la population devront faire des efforts incontournables, sur la quantité de travail, sur l’efficacité à donner, etc. Il va donc falloir faire très attention au vocabulaire employé et à l’utilisation des concepts pour avoir une petite chance de convaincre la population de la nécessité de ces réformes qui sinon seront tout de suite critiquées comme étant contraires à l’intérêt de la population, ce qui est absolument faux.

Patrick Lefas : Une question sur le rôle des banques. La situation est radicalement différente de celle de 2008 : les banques ont eu leurs fonds propres remontés, ont donc été capables d’assurer le financement de l’économie avec évidemment le soutien de l’État au travers des prêts garantis par l’État. Ma question est : comment les banques vont-elles gérer l’augmentation du coût du risque ? Car il peut y avoir un certain nombre d’entreprises qui ne pourront pas retrouver vie, et qui donc vont mettre la clé sous la porte. Quels outils doit-on maintenant développer ? Doit-on mettre l’accent sur les prêts participatifs ?

Olivier Klein : En tant que dirigeant d’une banque, j’ai eu l’impression que toutes les banques avaient remarquablement fait leur métier pendant la période, puisque durant les deux mois de confinement elles ont été « services essentiels ». À la BRED, il y avait 100% des agences ouvertes dans lesquelles 85 à 90% des personnes qui y travaillent étaient physiquement présentes. Elles se sont mobilisées sur ce principe qu’on était utiles à la nation et qu’il fallait absolument être présents.

Pour répondre plus précisément à la question, les banques ont notament accordé les prêts garantis par l’État, ce qui était indispensable, mais qui débouche inéluctablement par la suite sur un endettement accru alors que le taux d’endettement des entreprises françaises est déjà assez important, ce qui va poser des problèmes. Je connais beaucoup de chefs d’entreprise qui ne savent pas comment ils vont rembourser ces prêts. Certes, ils pourront être étalés sur cinq ans après la première année, mais il sera parfois bien difficile d’assurer le remboursement car il faudra trouver un surcroît de cash flow et de marge pendant la période suivante, sans pour autant freiner les investissements et les emplois. Le sujet est bien là : il est difficile de réussir cette quadrature du cercle. Nous avons donc tous commencé à réfléchir, avec les pouvoirs publics, sur les solutions à adopter. Il y a les prêts participatifs. Les banques ne peuvent pas prêter des dépôts en prêts participatifs en quantité illimitée car évidemment ces prêts sont plus risqués. Il faut donc des garanties de l’État, au moins partielles, assez importantes.

Il y a le private equity. La difficulté, pour les assureurs comme pour les banques, c’est que depuis Bâle 3 le coût en capital du capital investi dans les entreprises est gigantesque. On doit mobiliser des fonds propres trois fois et demie à quatre fois plus que pour un prêt pour investir en capital des entreprises. Il y a donc une réflexion européenne à mener : faut-il réfléchir au coût du capital, tant pour les assureurs que pour les banques, quand on investit en capital dans les entreprises ? C’est un débat qu’il est important d’ouvrir. Les banques françaises doivent-elles devenir davantage les partenaires des entreprises en détenant plus de leur capital, un peu à l’allemande, avec les risques et les avantages qui y sont liés sur le long terme ? Avantages sur les entreprises moyennes allemandes qui sont beaucoup plus soutenues et qui ont plus de capital. Et inconvénients : parfois trop de proximité. Et certaines banques allemandes ne se portent pas forcément bien. Faut-il faire des obligations convertibles ? Il y a multiples sujets sur la table, sur lesquels il faudra discuter.


Philippe Jurgensen 

Président d’Honneur de LECE-France

Je vais vous parler de la manière dont l’Europe essaie de faire face à la conjoncture et de préparer une relance, et notamment du plan de relance européen : Next generation EU, qui est une innovation considérable. Une innovation financière qui s’ajoute à une manne colossale de financement, puisqu’il y a déjà les efforts de la BCE (il s’agit de 1 000 milliards pour le seul PEPP qui s’ajoutent à d’autres dispositifs existants, au rachat d’obligations d’États et d’entreprises), 200 milliards de la BEI, avec un fonds de garantie paneuropéen, 100 milliards du mécanisme « Sure » pour le chômage partiel, etc. A tout cela s’ajoute donc le plan de relance européen Next Generation. La proposition de la Commission est toute récente, puisqu’elle date du 27 mai dernier. La France et l’Allemagne avaient proposé 500 milliards, la Commission propose 750 milliards d’euros, soit 6% du PIB européen ! Si on prend en compte tous les autres financements, qui d’ailleurs ne sont pas toujours clairs et font en partie double emploi, on arrive à des résultats proches de 15% du produit européen, ce qui est considérable.

Nous allons essayer aujourd’hui de répondre à trois questions simples : d’où vient l’argent ? A qui va-t-il ? Et qui va payer ?

  • D’où vient l’argent ?

500 milliards dans ce plan de relance viennent ou viendront du budget de l’Union européenne, et 250 milliards d’emprunts communautaires. Mais en réalité, les 500 milliards sont eux-mêmes empruntés. Il y a donc bien 750 milliards empruntés, dont 500 représentent de l’argent budgétaire et 250 définitivement des prêts. L’argent budgétaire est financé par les clés budgétaires usuelles, y compris d’ailleurs les rabais, les rebates négociés en premier lieu par Madame Thatcher, mais élargis à beaucoup d’autres pays ; et bien sûr, les pays dits frugaux y tiennent.

La question brûlante, c’est de savoir si ces 500 milliards de budget sont bien en plus du cadre financier pluriannuel 2021-2027. On aurait tendance à le penser mais ce n’est pas si évident, ce cadre pluriannuel étant lui-même en discussion… il y donc aura des possibilités d’interférence. Au conseil de février 2020, il y a eu 27 heures de débat pour n’aboutir à aucun accord sur ce programme financier pluriannuel, parce que les quatre pays – les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède et le Danemark – dits frugaux, et l’Allemagne à leurs côtés à l’époque, ne voulaient pas dépasser le plafond de 1% du PIB. Aucun cadre pluriannuel n’avait donc été adopté. Le fait de savoir si les 500 milliards sont vraiment supplémentaires n’est ainsi pas une évidence.

Quant aux 250 milliards d’emprunts communautaires, il s’agit en revanche d’une vraie percée puisque c’est une addition que la Commission a faite au plan franco-allemand, et c’est surtout une première parce que c’est l’amorce d’un Trésor européen.

Cette innovation a été pendant longtemps refusée par l’Allemagne et est encore contestée par un certain nombre de participants. Il est vrai que cet emprunt communautaire est présenté comme unique et exceptionnel, one-off dit-on en anglais, et il permet donc peut-être à ceux qui sont contre cette formule de se dire qu’elle n’est pas définitive. Il s’agit tout de même d’une grande innovation, extrêmement importante, je crois, et malgré tout de type fédéral.

Y a-t-il a trop de dettes en Europe ? La dette totale des états de la zone euro est actuellement équivalente à 86% du PIB. Elle atteindra 103% d’ici fin 2020 dans les prévisions de la Banque Centrale Européenne. Pour la France, nous étions à 98% en fin d’année dernière, 102 en avril dernier, et on atteindra les 121% d’ici la fin de l’année. Le fait qu’il y ait à côté des dettes nationales une dette européenne fédérale communautaire est une innovation importante.

  • Où va tout cet argent et qui en sont les bénéficiaires ?

Trois piliers seront versés par tranches successives. Un pilier principal de 655 milliards à lui tout seul, un deuxième de 56 milliards et un troisième de 38 milliards.

  • Le premier pilier est composé principalement de ce qu’on appelle le Fonds de reprise et de résilience, équivalant à 560 milliards d’euros. Il est complété par une aide transitoire de 56 Mds € aux régions les plus touchées : c’est le programme React EU, qui renforce les politiques actuelles de cohésion, et qui va largement vers les pays les plus en retard de l’Union européenne, notamment à l’Est. Enfin, 40 milliards reviennent aux fonds pour une transition écologique juste.
  • Le deuxième pilier est une aide aux entreprises et à l’investissement privé. Le but est de leur apporter autant que possible du capital, avec l’espoir de générer beaucoup plus d’investissements privés. Dans cette enveloppe, 15 milliards sont destinés à des investissements stratégiques.
  • Le troisième volet concerne principalement la recherche, avec un budget de 13,5 milliards. Il concerne également les systèmes de santé. Enfin, 15 milliards d’aide au développement sont alloués pour les pays hors Union européenne, les pays émergents étant plus touchés par la crise que les nôtres.

Qui sont les récipiendaires ? Le plus gros bénéficiaire serait l’Italie, qui aurait près d’un quart de l’enveloppe générale – à peu près pour moitié en subventions et pour moitié en prêts : 173 milliards au total. En numéro 2, l’Espagne : 140 milliards au total, ce qui représente 18,5% de l’enveloppe totale, avec plus de subventions que de prêt. Ensuite la France, qui n’a pas de prêts mais une part significative des subventions avec une enveloppe de 38,8 milliards, soit 5% du total. Si on prend la somme subventions plus prêts, la Pologne se situerait avant la France, avec 64 milliards de budget, c’est-à-dire 8,5% de l’enveloppe totale. Derrière, on trouve l’Allemagne, la Grèce, la Roumanie, etc. La manne est évidemment destinée à être répandue un peu partout, y compris sur les pays qui souffrent le moins, mais qui recevraient beaucoup moins que les autres.

  • Qui va rembourser ?

D’abord, sur les 500 milliards de crédits budgétaires, il y a en réalité seulement 433 milliards qui sont des subventions. Les 67 milliards restants sont des garanties d’emprunt, une formule très efficace mais une dépense non définitive, car normalement, une bonne partie de ces emprunts va être remboursée et les garanties n’auront pas à être mises en jeu. Il serait fâcheux que la totalité des 67 milliards soit dépensée, puisque cela signifierait alors que les prêts n’auraient pas été remboursés.

Quant aux 250 milliards de prêts – emprunts communautaires –, il faut savoir s’ils seront remboursés :

  • Selon les clés budgétaires, la Commission européenne proposant un remboursement sur 30 ans à partir de 2027 qui s’étalerait jusqu’à 2058 ;
  • Ou selon ce que chacun aura reçu ;
  • Ou bien elon une clé ad hoc : s’agissant d’une dépense communautaire elle devraitdonc être financée autrement que par les clés budgétaires ordinaires.

Il y a face à cela, deux questions très difficiles qui se posent : tout d’abord, les quatre états « frugaux » précédemment cités trouvent qu’il y a trop de subventions et pas assez de prêts. Ils souhaitent donc augmenter la part de ceux-ci dans l’enveloppe des 750 milliards. Par ailleurs, ces mêmes pays, et quelques autres, souhaitent des conditionnalités supplémentaires, refusées par des pays tels que l’Espagne, l’Italie et plus encore les pays de l’Est européen. Quelles seraient ces conditionnalités supplémentaires ? Le respect des grands objectifs du plan et la lutte contre les fraudes, par exemple la lutte contre l’économie noire en Italie ou le respect de l’État de droit dans les pays de l’Est. Ces conditionnalités seront gérées par un comité intergouvernemental, qui devra donner un accord annuellement aux dépenses du plan, mais qui heureusement se prononcera à la majorité qualifiée et non à l’unanimité.

Aussi pourrait-on, comme le propose la Commission, financer le plan avec de nouvelles ressources propres ? Ce serait une approche fédérale qui supposerait d’augmenter le plafond des ressources propres, qui est actuellement de 1,2%, à 2% du PIB européen. Il s’agit d’un préalable indispensable pour que l’on puisse faire les emprunts prévus par le programme. Que peut-on trouver comme ressources supplémentaires ? Quatre sont citées :

  • Étendre le marché dit ETS, le marché d’échange des droits à polluer sur lequel est fixé le prix de la tonne de CO2, que l’on pourrait par exemple élargir aux transports maritimes et aériens ;
  • Envisager la taxe carbone aux frontières, qui permettrait d’avoir un prix du carbone suffisamment élevé à l’intérieur de l’Europe sans détériorer la position concurentielle de nos entreprises ;
  • Mettre en place une taxe sur les GAFA, sur les plateformes numériques ;
  • Instaurer un impôt sur les sociétés européennes.

Alors, que peut-on en conclure ? D’abord, il s’agit d’un vrai rebond pour l’Union européenne. Les plus optimistes parlent même de « moment Hamiltonien », c’est-à-dire une amorce de fédéralisation de la dette, ce qu’a obtenu Hamilton aux États-Unis en 1790. Ce rebond introduit une solidarité, un pas vers cette Union de transferts que les Allemands craignent tant. Il y a aussi cette amorce de Trésor européen. Si le Conseil arrive à prendre les décisions proposées -il restera d’ailleurs à les faire approuver par le parlement européen et à les faire ratifier, et ce à l’unanimité – l’Europe aura fait un grand progrès.


Débat

Laurent Diot : Comment interpréter la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, et le très mauvais signal que cela envoie en termes de construction européenne ?

Philippe Jurgensen : Il s’agit d’un problème juridique évident. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe s’assied sur les décisions de la Cour de justice européenne, qui a dit que la politique de la BCE était légitime. Cette manière de nier la compétence de la Cour fédérale est extrêmement contestable et dangereuse pour l’Europe. Le Bundesverfassungsgericht a toutefois affirmé que sa position ne s’appliquait pas au plan exceptionnel lié au Covid-19, et que par ailleurs, on pourrait lui donner des explications qui justifieraient la politique suivie.

Olivier Klein : Il n’est pas impossible, selon ma propre interprétation, que ce soit aussi une manière pour une partie de l’Allemagne de prendre date en disant pour le futur : « on peut avoir un moment, un one-off, où l’on va mutualiser de la dette, mais attention à ce que la BCE ne finance pas tout accroissement de dette à l’infini dans le futur, parce que là on aurait des moyens pour dire qu’elle sort de son mandat ». D’une certaine manière, il y a probablement une partie de l’Allemagne, sinon toute, qui prend date ou qui pose des éléments pour les négociations.

Valérie Plagnol : Deux questions : quel est votre sentiment quant au succès de ce plan et notamment de son volet financement direct par des recettes qui iraient directement à la Commission Européenne ? Comment peut-on imaginer qu’on reverrait les traités pour aller vers ce fédéralisme qui s’amorcerait à travers ces premiers pas ?

Olivier Giscard d’Estaing : Et avez-vous évoqué le problème du Brexit ? Parce que c’est un problème permanent et qui est d’influence importante sur l’avenir de l’Europe ?

Philippe Jurgensen : En ce qui concerne le Brexit, le problème est passé ces derniers mois à l’arrière-plan, mais il est toujours là et il n’est pas résolu. Les Britanniques refusent énergiquement d’allonger la période de transition jusqu’à la fin de l’année et comme les négociations ne progressent pas, on va tout droit vers un no deal, ce qui serait considéré comme très mauvais des deux côtés.

Sur la première question, il est vraiment très important de savoir si on arrivera à dégager des ressources propres fédérales, comme pour les États-Unis l’ont fait en 1790. Peut-être que le fait qu’on en cite quatre prouve qu’il n’y en a aucune qui soit certaine ou même très proche d’aboutir. Chacune de ces pistes est pourtant intéressante, notamment la taxe carbone aux frontières dont on peut difficilement se passer, mais sur chacune de ces quatre sources possibles, il y a des obstacles et des oppositions.

Olivier Klein : Est-ce que, d’un point de vue général, le fait de perdre le Royaume-Uni en Europe est un très mauvais signal ? Dans ces moments où l’on discute d’un possible pas vers un peu plus de fédéralisme et de construction d’un budget additionnel, la présence de Londres ne freinerait-t-elle pas la possibilité de trouver des accords ?

Olivier Giscard d’Estaing : En fait, je pense que ce serait plutôt un soulagement que le problème soit réglé car il permettrait de consolider sur le continent nos efforts fédéralistes. Ce que je déplore, c’est ce report indéfini de la solution, que l’Angleterre joue sa carte et que l’Union européenne joue la sienne.

Philippe Creppy : On a peut-être en contrepartie la rigidification des pays du Nord, qui avec la perte du Royaume-Uni estiment qu’ils ont une place à prendre différente.

Philippe Jurgensen : Si l’Angleterre était encore là, ces pays se seraient évidemment appuyés sur elle, et elle aurait compté parmi les frugaux. Malheureusement pour eux, ils sont maintenant tout seuls et lâchés par l’Allemagne.

Jacques Lebhar : On n’a pas introduit la dimension des échanges internationaux et notamment des échanges entre l’Union européenne et le reste du monde. D’abord, parce que c’est un élément important du rebond économique et de la croissance. Ensuite, parce que quand on l’aborde, on le fait à travers une taxation, même si elle est justifiée dans une optique protectionniste. Et enfin parce que tous les débats sur la souveraineté économique, la relocalisation, poussent à un renoncement aux politiques traditionnelles de l’Union européenne, à sa politique commerciale et pourraient amener à une part réduite du commerce international dans l’activité économique au sein de l’UE. Alors, comment voyez-vous la prise en compte de cette dimension au sein de la Commission ou du Conseil ? Que fait-on des traités internationaux ? On voit l’évolution de la politique vis-à-vis de la Chine. C’est un élément qui est assez central dans les perspectives macro-économiques des pays de l’Union, et qui est directement ou indirectement connecté à la recherche de ressources propres.

Philippe Jurgensen : Je pense qu’il faut continuer à avoir une politique commerciale extérieure active et à conclure des accords comme l’accord CETA, même s’il est très vivement contesté par certaines parties de l’opinion européenne. Et d’ailleurs, en pleine crise du coronavirus, l’Union européenne a continué à négocier et à conclure des accords commerciaux. Il faut y introduire la dimension environnementale, comme le souhaite l’opinion. Et à cet égard, je ne suis pas d’accord sur l’idée que la taxe carbone aux frontières est une mesure protectionniste. C’est une mesure indispensable si on veut tenir des objectifs ambitieux comme ceux d’arriver à la neutralité carbone en 2050 ; est impossible d’y arriver si on a une économie dans laquelle les entreprises européennes supportent une charge importante pour émettre moins de carbone, mais que l’on continue à importer sans le moindre droit des produits qui ont été fabriqués sans aucun respect de l’environnement. Soit on renonce aux objectifs environnementaux- mais ils sont quand même de plus en plus soutenus par l’opinion- soit on met en place cette taxe carbone.

Patrick Lefas : Je suis tout à fait d’accord, d’autant plus que lorsque l’on regarde la situation en France, l’empreinte carbone est plus importante que les coûts carbones de la production française. On a donc bien un sujet : comment réduit-on l’empreinte carbone de la part importée ? C’est un enjeu d’autant plus important qu’il joue sur des sommes tout à fait considérables.

Olivier Klein : Par ailleurs, il va nous falloir avoir une politique commerciale assez forte vis-à-vis de l’extérieur, parce que les États-Unis commencent à annoncer des surtaxes sur les exportations des produits européens. Il nous faudra donc une position assez homogène, bien établie et bien négociée.

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« Taux d’intérêt bas : attention à la fuite en avant permanente ! » Tribune publiée dans La Tribune du 1er Septembre 2020

Avec, pour certaines, l’utilisation de taux d’intérêt négatifs et, pour toutes, la mise en place d’un Quantitative Easing (QE), afin de contrôler les taux long terme et les primes de risque (les « spreads ») des dettes publiques comme des dettes privées. Cela permet aux banques centrales, par leurs politiques conventionnelles comme non conventionnelles, d’amener les taux d’intérêt courts et longs à des niveaux très bas et d’empêcher les « spreads » de monter à des niveaux qui déclencheraient un enchaînement catastrophique de faillites par une montée brutale de l’insolvabilité. Les taux très bas jouent également favorablement directement sur la demande, comme sur la valeur des actifs patrimoniaux (immobilier et actions notamment), ce qui rétroagit positivement sur la demande et soutient le crédit.

Lors de ces crises, la politique monétaire, y compris non conventionnelle, a de facto notamment pour objet d’abaisser les taux d’intérêt nominaux en dessous du taux de croissance nominal. Ce qui aide clairement à relancer l’économie et facilite le désendettement en rendant la dette plus aisée à rembourser.

Alors, quel peut être le danger d’une telle politique monétaire qui protège l’économie contre une crise systémique et une profonde dépression ? Le risque vient d’une utilisation de la politique monétaire qui, de fait, est asymétrique. S’il est très utile et même indispensable que les banques centrales aient adopté ce type de politiques dans ce genre de situations, on assiste en réalité à une asymétrie problématique, car, lorsque la croissance est de retour avec une reprise notable du crédit, les banques centrales n’inversent que peu ou pas leur politique en n’augmentant pas ou trop peu leurs taux d’intérêt et en ne diminuant pas ou trop peu leur QE, c’est-à-dire la quantité de monnaie banque centrale.

La raison affichée dans la zone euro a souvent été une inflation encore trop basse, donc une cible d’inflation non encore atteinte, ce qui justifiait de maintenir une politique monétaire ultra accommodante. Mais l’inflation n’est-elle pas structurellement et non conjoncturellement très basse , de part les effets de la mondialisation, du progrès technique (automatisation), qui pèsent tous les deux sur la capacité d’augmentation des salaires, comme du vieillissement de la population mondiale? La politique monétaire peut-elle de ce fait la faire remonter ? Or, si la politique monétaire ne peut pas faire remonter une inflation fondamentalement très basse, il devient évidemment dangereux de continuer de mener une telle politique trop longtemps car elle maintient alors des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance trop longtemps.  Donc elle provoque des taux d’intérêt « too low for too long ». Ce qui induit le retour d’un cycle financier, c’est-à-dire d’un endettement qui monte plus vite que la croissance économique, ce qui entraîne ainsi un nouveau surendettement, et le retour de bulles sur l’immobilier et/ou les actions.

Avec un effet de boucle, car l’endettement sert aussi à acheter ces actifs patrimoniaux, ce qui nourrit les bulles et rend possible le fait de s’endetter davantage. On augmente ainsi la vulnérabilité financière de l’ensemble de l’économie, avec des risques incorporés dans les bilans qui s’aggravent de plus en plus dangereusement :

1/ A l’actif des investisseurs financiers et/ou des épargnants

Ceux-là cherchent à tout prix un peu de rendement, puisque les taux d’intérêt sont trop bas. Ils vont donc prendre de plus en plus de risque afin de l’obtenir. Les primes de risque sont ainsi comprimées à leur tour de manière tout à fait anormale et évidemment dangereuse, car lorsque les bulles éclateront, les « spreads » n’auront tout simplement pas couvert le coût du risque avéré. L’actif des épargnants, comme l’actif des investisseurs financiers, qui travaillent pour les épargnants (les fonds de pension, les assureurs, les fonds de placement, etc.), sont ainsi rendus vulnérables. Cela a conduit, avant la pandémie notamment, à une forte baisse historique des rendements des placements dans les infrastructures, à des « spreads » historiquement bas sur les dettes, à des niveaux de valorisation des entreprises en bourse ou en « private equity » très élevés, à des fonds de placement détenant de plus en plus d’actifs illiquides et/ou de maturité très longue, alors qu’ils assurent  une liquidité quotidienne de ces mêmes fonds, etc.

2/ Au passif des emprunteurs

Ces derniers s’endettent trop dans ces conditions-là, ce qui entraîne des leviers trop élevés. Avec entre autres, de très nombreux rachats d’actions par les sociétés elles-mêmes, notamment aux Etats-Unis. Les passifs deviennent ainsi eux-mêmes vulnérables. Ils sont vulnérables à une baisse des cashflows liés à un ralentissement de la croissance, aussi bien qu’une remontée des taux d’intérêt. Cela conduit ainsi à un risque significativement accru d’insolvabilité.

La conjugaison des deux points ci-dessus provoque une croissance du nombre d’entreprises zombies, c’est-à-dire d’entreprises qui subsistent, mais qui ne sont pas rentables structurellement et qui feraient faillite avec des taux d’intérêt normaux. Ce phénomène contribue naturellement à une moindre efficacité de l’économie et à de moindres gains de productivité.

Le maintien de taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que de tels taux ne sont plus nécessaires pour lutter contre une croissance insuffisante de l’économie et des crédits, installe donc une situation très risquée à long terme. Une asymétrie de la réaction de la politique monétaire peut ainsi conduire à une montée de l’instabilité financière et à une perte lente d’efficacité de l’économie avec une baisse des gains de productivité et, in fine, à une succession de crises financières. Telle était la situation pré-Covid.

La situation financière a ainsi tourné à la catastrophe au tout début du Covid, car la pandémie a produit une chute vertigineuse de la production, des contractions violentes de revenus et des cash-flows pour les entreprises, alors qu’elle est survenue sur un fond préalable de forte vulnérabilité financière.

Fin mars, la crise financière entraînée par le Covid était ainsi plus forte que celle de 2008-2009, avec une volatilité des actions deux fois plus grande, des spreads qui ont bondi, une liquidité, notamment des fonds de placement, qui était très problématique. Heureusement, les banques centrales ont répondu extrêmement rapidement : elles ont abaissé leurs taux lorsque c’était encore possible, aux États-Unis notamment, mais pas du côté européen parce qu’ils n’avaient pas remonté malgré la croissance revenue les années précédentes. Elles se sont mises également à acheter des dettes publiques et privées, y compris du « High yield », et parfois même des actions, en accroissant leur Quantitative Easing de façon considérable. Elles ont aussi adopté des mesures de réglage macro-prudentiel.

Les banques centrales ont ainsi permis à très juste titre de soulager en quelques semaines une situation financière catastrophique et ont soutenu les efforts des Etats en faveur de l’économie, grâce à une utilisation massive de la politique monétaire non conventionnelle. Mais la question qui se posera très vite est la suivante : Comment peut s’envisager la sortie d’une telle politique monétaire, lorsque la croissance sera revenue à un niveau satisfaisant, alors que l’endettement des Etats et des entreprises aura cru encore bien davantage ? Certes aujourd’hui la question centrale est de savoir comment sortir d’une crise économique inédite. Mais il faut malgré tout réfléchir dès à présent à la sortie à terme d’une situation exceptionnelle où les Banques Centrales auront à raison suspendu transitoirement la logique du marché, en assurant de façon délibérée et massive la liquidité des marchés et la solvabilité des Etats et, conjointement à l’action des Etats, en assurant également la solvabilité des entreprises, par le contrôle des taux d’intérêt et des « spreads ».

Première indication : il faudra en sortir très doucement. La situation sera en effet problématique, car à l’issue de la crise on connaîtra un surendettement de nombre d’entreprises, notamment parce qu’elles auront dû, et heureusement pu, financer leurs pertes, et un surendettement des nombreux Etats. En outre, il faudra faire face à des bulles sur les actifs patrimoniaux ; elles sont d’ailleurs déjà en train de gonfler fortement, aussi bien sur l’immobilier résidentiel que sur les actions. Si l’on remonte alors trop rapidement les taux notamment par un retrait mal calibré des QE, si l’on met fin hâtivement aux taux d’intérêts négatifs, cela peut avoir un effet désastreux sur l’insolvabilité privée et publique, et naturellement cela peut entraîner un risque de krach sur les marchés des actifs patrimoniaux, ce qui renforcerait l’insolvabilité générale. La sortie doit donc être très progressive.

Ajoutons que, si l’inflation revenait dans deux ou trois ans, cela poserait des questions très compliquées aux banques centrales. Devraient-elles maintenir la solvabilité des agents économiques au prix d’une inflation éventuellement incontrôlée ? Ou l’inverse ?

Mais, même si l’inflation ne réapparaissait pas, les banques Centrales devraient-elles poursuivre leur QE à l’infini, si les Etats et les entreprises volens nolens ne se désendettaient pas ? Ce serait au prix alors d’une instabilité financière structurellement accrue, tant en termes de surendettement que de bulles de plus en plus fortes, avec les dangers inhérents à une telle situation. Et au prix d’un aléa moral de plus en plus élevé, les emprunteurs, privés et publics, ne craignant plus les situations de surendettement. Au prix encore d’investisseurs comprenant qu’ils détiennent à tout jamais une option gratuite de la part des banques centrales les protégeant contre les krachs et qui seraient ainsi incités à sous pondérer durablement le prix du risque dans leurs calculs financiers. Au prix enfin d’une économie qui connaîtrait de plus en plus d’entreprises zombies, empêchant la destruction créatrice nécessaire à la croissance et entraînant une baisse durable des gains de productivité, donc, entre autres, freinant structurellement les augmentations de pouvoir d’achat non inflationnistes…

In fine, le risque d’une monétisation sans limite des dettes conduirait à une situation catastrophique de fuite devant la monnaie.

Première conclusion, pour conserver leur crédibilité, donc leur efficacité, y compris lors des crises systémiques, les banques centrales, pour que l’on ne tombe pas dans des crises de plus en plus fortes, violentes et potentiellement très dangereuses, doivent se prémunir d’une part contre le risque bien connu de « fiscal dominance », mais aussi contre celui de « financial market dominance »; c’est-à-dire qu’elles ne doivent être ni dominées par les Etats qui pourraient souhaiter une intervention ininterrompue des banques centrales pour « garantir » leur solvabilité, ni par les marchés financiers. Les banques centrales doivent en effet être dans une relation stratégique avec les marchés financiers. Et elles ne doivent pas avoir peur de canaliser autant que possible vers des plages de fluctuation soutenables les représentations collectives et opinions moyennes des marchés, voire de les contrer. Alors même que les marchés demandent aujourd’hui toujours plus d’injections pour poursuivre leur dynamique haussière. Jérôme Powell, le Président de la Fed, disait d’ailleurs très justement récemment : « Le danger, c’est de rester coincé dans une zone où nous ne voulons pas être, sur le long terme. Ce que je redoute, c’est que certains veuillent que nous utilisions ces pouvoirs plus fréquemment, davantage que dans les seules situations de crise impérieuse ». 

Seconde conclusion, à côté des politiques de banques centrales – qui doivent déjà réfléchir à la sortie ultérieure de leurs politiques ultra accompagnantes-, il est nécessaire de conduire des politiques budgétaires soutenables à moyen terme. Non à bref délai, en revanche, car il ne faut surtout pas provoquer d’austérité durant les prochaines années. Il faut également mener des réformes structurelles qui sont nécessaires pour augmenter le potentiel de croissance de chaque économie. Il s’agit là in fine de la meilleure façon de sortir du surendettement.

Cela inclut également des politiques favorisant le capital des entreprises. Nous aurons besoin, pour réduire l’excès d’endettement -sans réduire la croissance-, de beaucoup plus d’investissements en fonds propres et en quasi fonds propres (prêts participatifs, obligations convertibles…). Il faudra donc des mesures incitatives pour orienter l’épargne des ménages vers du capital plus à risque aussi bien que, notamment, des mesures visant le coût en capitaux propres prudentiels des banques et des assureurs pour ne pas rendre rédhibitoires leurs investissements en fonds propres des entreprises. Transitoirement, un système de garantie partielle étatique du capital investi pourra s’avérer nécessaire.

Les Banques Centrales ne peuvent en effet pas tout faire toutes seules et leur en demander trop peut s’avérer très dangereux, y compris pour leur efficacité, lorsque cela s’avérera à nouveau nécessaire.

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Des taux d’intérêt bas pour préserver une économie endettée ? Oui, mais attention à la fuite en avant permanente !

Lorsqu’une crise économique et financière très grave se produit, que les taux d’intérêt courts sont déjà proches de zéro et que l’on connaît une situation préalable de surendettement, les banques centrales mettent en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles. Avec, pour certaines, l’utilisation de taux d’intérêt négatifs et, pour toutes, la mise en place d’un Quantitative Easing (QE), afin de contrôler les taux long terme et les primes de risque (les « spreads ») des dettes publiques comme des dettes privées. Cela permet aux banques centrales, par leurs politiques conventionnelles comme non conventionnelles, d’amener les taux d’intérêt courts et longs à des niveaux très bas et d’empêcher les « spreads » de monter à des niveaux qui déclencheraient un enchaînement catastrophique de faillites par une montée brutale de l’insolvabilité. Les taux très bas jouent également favorablement directement sur la demande, comme sur la valeur des actifs patrimoniaux (immobilier et actions notamment), ce qui rétroagit positivement sur la demande et soutient le crédit.

Lors de ces crises, la politique monétaire, y compris non conventionnelle, a de facto notamment pour objet d’abaisser les taux d’intérêt nominaux en dessous du taux de croissance nominal. Ce qui aide clairement à relancer l’économie et facilite le désendettement en rendant la dette plus aisée à rembourser.

Alors, quel peut être le danger d’une telle politique monétaire qui protège l’économie contre une crise systémique et une profonde dépression ? Le risque vient d’une utilisation de la politique monétaire qui, de fait, est asymétrique. S’il est très utile et même indispensable que les banques centrales aient adopté ce type de politiques dans ce genre de situations, on assiste en réalité à une asymétrie problématique, car, lorsque la croissance est de retour avec une reprise notable du crédit, les banques centrales n’inversent que peu ou pas leur politique en n’augmentant pas ou trop peu leurs taux d’intérêt et en ne diminuant pas ou trop peu leur QE, c’est-à-dire la quantité de monnaie banque centrale.

La raison affichée dans la zone euro a souvent été une inflation encore trop basse, donc une cible d’inflation non encore atteinte, ce qui justifiait de maintenir une politique monétaire ultra accommodante. Mais l’inflation n’est-elle pas structurellement et non conjoncturellement très basse ? La politique monétaire peut-elle de ce fait la faire remonter ? Or, si la politique monétaire ne peut pas faire remonter une inflation fondamentalement très basse, il devient évidemment dangereux de continuer de mener une telle politique trop longtemps car elle maintient alors sans raison des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance, donc des taux d’intérêt trop bas et ce trop longtemps. « Too low for too long ». Ce qui induit le retour d’un cycle financier, c’est-à-dire d’un endettement qui monte plus vite que la croissance économique, ce qui entraîne ainsi un nouveau surendettement, et le retour de bulles sur l’immobilier et/ou les actions. Avec un effet de boucle, car l’endettement sert aussi à acheter ces actifs patrimoniaux, ce qui nourrit les bulles et rend possible le fait de s’endetter davantage. On augmente ainsi la vulnérabilité financière de l’ensemble de l’économie, avec des risques incorporés dans les bilans qui s’aggravent de plus en plus dangereusement :

  • Premièrement, à l’actif des investisseurs financiers et/ou des épargnants : ces derniers cherchent à tout prix un peu de rendement, puisque les taux d’intérêt sont trop bas. Ils vont donc prendre de plus en plus de risque afin d’obtenir ce petit peu de rendement. Les primes de risque sont ainsi comprimées à leur tour de manière tout à fait anormale et évidemment dangereuse, car lorsque les bulles éclateront, les « spreads » n’auront tout simplement pas couvert le coût du risque avéré. L’actif des épargnants, comme l’actif des investisseurs financiers (qui travaillent eux-mêmes pour les épargnants, c’est à dire les fonds de pension, les assureurs, les fonds de placement, etc.), sont ainsi rendus vulnérables. Cela a conduit, avant la pandémie notamment, à une forte baisse des rendements des placements dans les infrastructures, à des « spreads » sur les dettes historiquement bas, à des niveaux de valorisation des entreprises en bourse ou en « private equity » très élevés, à des fonds de placement détenant de plus en plus d’actifs illiquides et/ou de maturité très longue, alors qu’ils assurent une liquidité quotidienne de ces mêmes fonds, etc.
  • Deuxièmement, au passif des emprunteurs : dans ces circonstances, ces derniers s’endettent trop, ce qui entraîne des leviers trop élevés. Avec entre autres, de nombreux rachats d’actions par les sociétés elles-mêmes, notamment aux Etats-Unis. Les passifs deviennent ainsi eux-mêmes vulnérables. Ils sont vulnérables à une baisse des cash flows liés à un ralentissement de la croissance, aussi bien qu’à une remontée des taux d’intérêt. Cela conduit ainsi à un risque accru d’insolvabilité.
  • La conjugaison des deux points ci-dessus provoque une croissance du nombre d’entreprises zombies, c’est-à-dire d’entreprises qui subsistent, mais qui ne sont pas rentables structurellement et qui feraient faillite avec des taux d’intérêt normaux. Ce phénomène contribue naturellement à une moindre efficacité de l’économie et à de moindres gains de productivité.

Le maintien de taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que de tels taux ne sont plus nécessaires pour lutter contre une croissance insuffisante de l’économie et des crédits, installe donc une situation très risquée à long terme. Une asymétrie de la réaction de la politique monétaire peut ainsi conduire à une montée de l’instabilité financière et à une perte lente d’efficacité de l’économie avec une baisse des gains de productivité et, in fine, à une succession de crises financières. Telle était la situation pré-Covid.

La situation financière a de fait tourné à la catastrophe au tout début du Covid, car la pandémie a produit une chute vertigineuse de la production, des contractions violentes de revenus et des cash-flows pour les entreprises, alors qu’elle est survenue sur un fond préalable de forte vulnérabilité financière.

Fin mars, la crise financière entraînée par le Covid était ainsi plus forte que celle de 2008-2009, avec une volatilité des actions deux fois plus grande, des spreads qui ont bondi, une liquidité, notamment des fonds de placement, qui était très problématique. Heureusement, les banques centrales ont répondu extrêmement rapidement : elles ont abaissé leurs taux lorsque c’était encore possible, aux États-Unis notamment, mais pas en Europe parce qu’ils n’avaient pas remonté malgré la croissance revenue les années précédentes. Elles se sont mises également à juste titre à acheter des dettes publiques et privées,  y compris du « High yield », et parfois même des actions, en accroissant leur QE de façon considérable. Elles ont aussi adopté des mesures utiles de réglage macro-prudentiel.

Les banques centrales ont dès lors efficacement permis de soulager en quelques semaines une situation financière catastrophique et ont soutenu les efforts des Etats en faveur de l’économie, grâce à une utilisation massive de la politique monétaire non conventionnelle. 

Mais la question qui se posera très vite est la suivante : comment peut s’envisager la sortie d’une telle politique monétaire, lorsque la croissance sera revenue à un niveau satisfaisant, alors que l’endettement des Etats et des entreprises aura crû encore bien davantage ? Certes aujourd’hui la question centrale est de savoir comment sortir d’une crise économique inédite. Mais il faut malgré tout réfléchir dès à présent à la sortie à terme d’une situation exceptionnelle où les banques centrales auront à raison suspendu transitoirement la logique du marché, en assurant de façon délibérée et massive la liquidité des marchés financiers et la solvabilité des Etats et, conjointement à l’action des Etats, en assurant également la solvabilité des entreprises, par le contrôle des taux d’intérêt et des « spreads ». 

Première indication : il faudra en sortir très doucement. La situation sera en effet problématique, car à l’issue de la crise on connaîtra un surendettement de nombre d’entreprises, notamment parce qu’elles auront dû, et heureusement pu, financer leurs pertes. On assistera également à un surendettement de nombreux Etats. En outre, il faudra faire face à des bulles sur les actifs patrimoniaux ; elles sont d’ailleurs déjà en train de gonfler fortement, aussi bien sur l’immobilier résidentiel que sur les actions. Si l’on remonte alors trop rapidement les taux notamment par un retrait mal calibré des QE, si l’on met fin hâtivement aux taux d’intérêts négatifs, cela peut avoir un effet désastreux sur l’insolvabilité privée et publique, et naturellement cela peut entraîner un risque de krach sur les marchés des actifs patrimoniaux, ce qui renforcerait l’insolvabilité générale. La sortie doit donc être très progressive.

Ajoutons que, si l’inflation revenait dans deux ou trois ans, cela poserait des questions très compliquées aux banques centrales. Devraient-elles maintenir la solvabilité des agents économiques au prix d’une inflation éventuellement incontrôlée ? Ou l’inverse ?

Mais, même si l’inflation ne réapparaissait pas, les banques centrales devraient-elles poursuivre leur QE à l’infini, si les Etats et les entreprises volens nolens ne se désendettaient pas ? Ce serait au prix alors d’une instabilité financière structurellement accrue, tant en termes de surendettement que de bulles de plus en plus fortes, avec les dangers inhérents à une telle situation. Et au prix d’un aléa moral de plus en plus élevé, les emprunteurs, privés et publics, ne craignant plus les situations de surendettement. Au prix encore d’investisseurs comprenant qu’ils détiennent à tout jamais une option gratuite de la part des banques centrales les protégeant contre les krachs et qui seraient ainsi incités à sous pondérer durablement le prix du risque dans leurs calculs financiers. Au prix enfin d’une économie qui connaîtrait de plus en plus d’entreprises zombies, empêchant la destruction créatrice nécessaire à la croissance et entraînant une baisse durable des gains de productivité, donc, entre autres, freinant structurellement les augmentations de pouvoir d’achat non inflationnistes…

In fine, le risque d’une monétisation sans limite des dettes conduirait à une situation catastrophique de fuite devant la monnaie.

Première conclusion: les banques centrales doivent préserver leur crédibilité, donc leur efficacité, pour pouvoir plus aisément atteindre leurs objectifs, tant d’inflation, de croissance que de stabilité financière. Elles doivent donc se prémunir d’une part contre le risque bien connu de fiscal dominance, mais aussi contre celui de financial market dominance ; c’est-à-dire qu’elles ne doivent ni être dominées par les Etats qui pourraient souhaiter une intervention ininterrompue des banques centrales pour « garantir » leur solvabilité, ni être dominées par les marchés financiers. Les banques centrales doivent en effet être dans une relation stratégique avec les marchés financiers. Et elles ne doivent pas avoir peur de canaliser autant que possible les représentations collectives et les opinions moyennes des marchés vers des plages de fluctuation soutenables, voire de les contrer si ces dernières s’avèrent être constitutives de bulles. Alors même que les marchés demandent aujourd’hui toujours plus d’injections pour poursuivre leur dynamique haussière. Jérôme Powell, le Président de la Fed, disait d’ailleurs très justement récemment : « Le danger, c’est de rester coincé dans une zone où nous ne voulons pas être, sur le long terme. Ce que je redoute, c’est que certains veuillent que nous utilisions ces pouvoirs plus fréquemment, davantage que dans les seules situations de crise impérieuse ».

Seconde conclusion : à côté des politiques de banques centrales – qui doivent déjà réfléchir à la sortie ultérieure de leurs politiques ultra accompagnantes -, il est nécessaire de conduire des politiques budgétaires soutenables à moyen terme. Non à bref délai, en revanche, car il ne faut surtout pas provoquer d’austérité durant les prochaines années. Il faut également mener des réformes structurelles qui sont nécessaires pour augmenter le potentiel de croissance de chaque économie. Il s’agit là in fine de la meilleure façon de sortir du surendettement.

Cela inclut également des politiques favorisant le capital des entreprises. Nous aurons besoin, pour réduire l’excès d’endettement – sans réduire la croissance -, de beaucoup plus d’investissements en fonds propres et en quasi fonds propres (prêts participatifs, obligations convertibles…). Il faudra donc des mesures incitatives pour orienter l’épargne des ménages vers du capital plus à risque aussi bien que, notamment, des mesures visant le coût en capitaux propres prudentiels des banques et des assureurs pour ne pas rendre rédhibitoires leurs investissements en fonds propres des entreprises. Transitoirement, un système de garantie partielle étatique du capital investi pourra s’avérer nécessaire.

Les banques centrales ne peuvent en effet pas tout faire toutes seules et leur en demander trop peut s’avérer très dangereux, y compris pour leur efficacité, lorsque cela s’avèrera à nouveau nécessaire.