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Conjoncture Crise économique et financière

Faut-il vraiment encore augmenter les impôts ?

Peut-on encore taxer davantage les grandes entreprises et les ménages aisés ? En France, cette idée est devenue une fausse solution. Elle aggraverait un déséquilibre déjà préoccupant entre un niveau de redistribution parmi les plus élevés du monde et une capacité affaiblie à créer de la richesse.
La France figure parmi les cinq pays les plus redistributifs de l’OCDE : l’écart entre les indices de Gini avant et après transferts y est maximal. Plus de la moitié des ménages ne paient pas l’impôt sur le revenu, tandis que les 10 % les plus aisés en acquittent près de 75 %. Le coin fiscal des premières tranches est inférieur à celui de la plupart des pays européens, mais celui des tranches supérieures est le plus élevé.

Augmenter encore la pression fiscale, déjà record, reviendrait à ignorer ses effets défavorables sur la croissance comme sur les finances publiques. La politique de l’offre menée depuis quelques années — entre autres, flat tax à 30 %, rapprochement partiel du taux d’IS avec nos voisins, stabilisation générale des prélèvements — a contribué à relever le taux d’emploi (encore trop faible) et à réduire le chômage, tout en amorçant une réindustrialisation. Toute hausse du taux de prélèvements creuserait à nouveau l’écart d’attractivité, au détriment de l’investissement.

Le dérapage des finances publiques n’est pas la conséquence de cette politique, mais résulte de la progression non maîtrisée de la masse salariale publique, du coût des mesures d’urgence pendant le Covid (utiles mais mal calibrées en durée comme en niveau), de la suppression de la taxe d’habitation et du vieillissement démographique sans réforme aboutie des retraites.

La logique “taxer plus pour partager plus” est devenue non seulement injustifiée, mais surtout contre‑productive. Elle découragerait, au-delà d’un seuil déjà atteint, talents, innovateurs et investisseurs. Une nouvelle hausse accélérerait en outre le départ des ménages aisés, convaincus que la machine est sans fin. Les jeunes diplômés suivent le même chemin : ils sont aujourd’hui 23 % plus nombreux qu’il y a dix ans à s’établir à l’étranger dès la fin de leurs études, et plus de la moitié envisagent de partir dans les trois ans suivant leur diplôme, citant le sentiment de déclin et une trop faible reconnaissance économique.

Quand la volonté de redistribution dépasse l’incitation à créer de nouveaux revenus, c’est le gâteau lui‑même qui se rétrécit. Nous y sommes déjà. La question n’est pas celle de la “justice fiscale”, largement assurée ( même si la lutte contre la sur-optimisation s’impose), mais de l’efficacité collective. Augmenter encore les impôts ne réduirait ni la dette ni le déficit, tant que la dépense publique reste incontrôlée. Le cercle vicieux français se refermerait : des prélèvements et des dépenses déjà au plus haut, une dette qui croît plus vite que chez nos voisins, une croissance et des services publics qui se dégradent.

C’est donc du côté des réformes structurelles qu’il faut agir : insérer plus rapidement les jeunes peu qualifiés sur le marché du travail, valoriser les filières techniques, favoriser le travail plus longtemps quand la santé le permet, alléger la sur‑réglementation qui freine croissance et innovation, et rehausser le niveau et la performance du système éducatif, désormais à la traîne des meilleurs.
Ces réformes, mises en œuvre avec succès par nos voisins, y compris sociaux‑démocrates, ne relèvent d’aucun camp politique. Elles seules permettraient à la France de renouer avec une croissance plus forte et des finances publiques soutenables, condition essentielle pour préserver à la fois la solidarité et la prospérité.

Olivier Klein
Professeur d’économie à HEC

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Conjoncture Crise économique et financière

Inégalités des revenus : la France piégée par le traitement des symptômes et non des causes profondes

Publié dans l’Opinion , le mardi 23 septembre

La réponse aux inégalités de revenus ne peut pas consister à réparer indéfiniment les symptômes par une redistribution toujours plus forte. Le véritable enjeu pour la France est de s’attaquer aux causes profondes, à commencer par le trop faible taux d’emploi.

L’attention qui devrait être portée avec le plus grand des sérieux, en France, aujourd’hui, sur les moyens de stabiliser notre taux d’endettement public est temporairement dévié sur la question de l’égalité des revenus et de la justice fiscale. Outre qu’une encore plus forte redistribution ne résoudrait que marginalement le problème de la dette à court terme et risquerait de l’aggraver à moyen terme de par les phénomènes décrits ci-dessous, il convient d’étudier de près les inégalités de revenus en France et d’en comprendre la dynamique, avant et après répartition.

Pour ce faire, l’indice Gini est l’un des outils de référence : plus il est élevé, plus les inégalités de revenus sont fortes ; plus il est faible, plus la répartition des revenus est égalitaire.
Si l’on procède à une comparaison des pays suivants : Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie, Suède et France, avant redistribution, notre pays présente un indice Gini de 0,49, supérieur à la moyenne des trois pays les plus égalitaires de l’échantillon (0,453), et inférieur à la moyenne des trois pays les plus inégalitaires (0,517). Concrètement, l’écart entre la France et les pays les plus égalitaires est de + 0,037, tandis que l’écart avec les pays les plus inégalitaires est de – 0,027. Ce constat place la France parmi les pays où, avant impôts et allocations, les écarts de revenus sont relativement marqués.

Après redistribution, la situation est très différente. L’indice Gini tombe à 0,290, proche de la moyenne des trois pays les plus égalitaires (0,270) et bien en-deçà de celle des trois plus inégalitaires (0,353). L’écart se réduit donc considérablement à + 0,020 par rapport aux pays les plus égalitaires et s’accentue fortement à – 0,063 par rapport aux pays les plus inégalitaires. Cela traduit l’effet massif des transferts publics et du système redistributif français.

La France rejoint après redistribution les pays à plutôt faible inégalité de revenus.

Trois constats doivent être posés pour établir un diagnostic pertinent, permettant une action efficace et juste. Premier constat : la France, bien qu’ayant une assez forte inégalité de revenus avant redistribution, rejoint après redistribution les pays à plutôt faible inégalité de revenus. D’autres mesures des inégalités aboutissent aux mêmes conclusions.

Ensuite, la situation avant redistribution tient en grande partie à un taux d’emploi comparativement faible. L’indice Gini intègre en effet les revenus des chômeurs et des inactifs. Or, en France, une proportion souvent plus importante qu’ailleurs de la population en âge de travailler ne travaille pas, et ce spécifiquement chez les jeunes et chez les 60-65 ans. Cela pèse sur la mesure des inégalités initiales.

Enfin, la redistribution – l’une des plus fortes de l’OCDE – corrige très significativement ces écarts et permet ainsi d’assurer une nécessaire cohésion sociale. Mais à ce niveau, notre taux très élevé de redistribution entretient un cercle vicieux. En effet, moins le taux d’emploi est élevé, plus les inégalités avant redistribution sont fortes. Et plus la redistribution doit être massive pour jouer son rôle correcteur. Mais plus on redistribue, plus la pression des impôts et des cotisations sociales augmente, pesant sur la compétitivité des entreprises et réduisant l’attractivité du travail. Ce mécanisme alimente en retour un taux d’emploi structurellement trop faible, etc.

La réponse ne peut donc pas consister à réparer indéfiniment les symptômes par une redistribution toujours plus forte. Cela ne peut constituer une stratégie durable. Le véritable enjeu pour la France est de s’attaquer aux causes profondes, à commencer par le trop faible taux d’emploi. Un relèvement sensible du taux d’activité, qu’il s’agisse des jeunes ou des seniors, changerait profondément la donne. Il permettrait tout à la fois de réduire les inégalités de revenus avant redistribution, de renforcer notre potentiel de croissance et de soulager nos finances publiques. Selon des estimations très prudentes, un relèvement du taux d’emploi au niveau de celui de l’Allemagne (en prenant en compte la moindre productivité des derniers entrés sur le marché du travail et les différences de temps partiel) pourrait en effet réduire de moitié le déficit public primaire du pays.

La redistribution en France est donc un instrument essentiel de solidarité. Mais elle agit comme un palliatif, non comme un remède préventif. Pour éviter que ne se referme indéfiniment le cercle vicieux du « faible emploi –inégalités – renforcement de la redistribution – perte additionnelle de compétitivité des entreprises et d’attractivité du travail – taux d’emploi trop faible », le pays doit augmenter durablement son taux d’emploi. C’est à cette condition, notamment, que la cohésion sociale sera assurée de façon soutenable et durable avec un niveau d’inégalité des revenus plus faible avant même redistribution, que notre PIB par habitant ne s’abaissera plus régulièrement par rapport à celui de ses voisins, et que nos finances publiques auront une bien meilleure chance d’être consolidées. Se tromper de diagnostic en ne se concentrant que sur la redistribution conduirait inexorablement à abîmer tant l’économique que le social.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC

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Conjoncture Economie Générale

Réinventer la social-démocratie française

Les représentants de la social-démocratie en France paraissent en décalage avec la société et la réalité d’aujourd’hui, en France et dans le monde.

S’ils souhaitent travailler sur un programme et sur le concept de social-démocratie lui-même, ils ne semblent pas comprendre que le logiciel spécifiquement français de la social-démocratie est aujourd’hui épuisé. Depuis 1945, celui-ci a assurément permis d’obtenir une société plus équilibrée, plus juste, avec un marché bien régulé, une croissance moins heurtée, une forte justice sociale, une inégalité des revenus faible après redistribution, une protection sociale de haut niveau, etc. Ce modèle – que je chéris – est celui de la France, mais il est aussi celui qui caractérise l’Europe dans son ensemble par rapport au reste du monde. Et en a fait un lieu privilégié du globe.

Mais Tocqueville, déjà, anticipait le risque de dérive de nos démocraties vers une passion égalitariste, source de jalousie maladive et de dictature du conformisme, étouffant progressivement l’autonomie individuelle et la liberté même. Le wokisme est aujourd’hui l’avatar le plus évident de cet égalitarisme poussé à son paroxysme, engendrant une volonté de développer de façon totalement asymétrique les droits des citoyens bien au-delà de leurs devoirs, ainsi qu’une perversion du principe démocratique lui même, consistant à donner tous les droits aux minoritaires, y compris au détriment des majoritaires. Tout en victimisant sans limite les minorités, et en accusant les majorités de tous les péchés.

En outre, dans un souci parfaitement louable de protéger les plus faibles contre les aléas de la vie par une solidarité nationale et intergénérationnelle, preuve d’une haute civilisation, le modèle social-démocrate a été poussé, en France, jusqu’à l’épuisement, tant moralement, ethiquement que financièrement. Je ne citerai à l’appui de cette idée que quelques points trop vite résumés et qui devraient être et approfondis/étayés et élargis/complétés (ce qui est parfaitement possible) :

  • La perte du goût du travail, ici et là présentée comme se répandant largement et comme étant due aux mauvaises conditions de travail en France, à l’exploitation des salariés, à un mauvais management, bref à une souffrance au travail, notion spécifiquement française. Alors que cette perte du goût de travailler est d’une part plus réduite qu’on ne le croit, même chez les jeunes, et bien davantage culturelle que due à des conditions objectives liées aux entreprises. La pratique de la social-démocratie en France a malheureusement (ce n’était pas inéluctable) conduit à une réelle dévalorisation du travail engendrée par les discours sociologisants et psychologisants suivant une vulgate marxiste simpliste, autant qu’une pratique réglementaire : les 35 heures, l’abaissement démagogique et à contre-temps de l’âge de la retraite… Ce qui rend au passage toute réforme des retraites, bien qu’indispensable pour sauver le système de retraite lui même, si difficile.
  • La juste protection due aux plus démunis qui se retrouvent sans travail par les diverses allocations (dont le RMI devenu RSA…) est un formidable principe dès lors qu’il ne suffit pas de ne pas vouloir travailler pour pouvoir en bénéficier, donc dès lors qu’il n’est pas abusivement étendu, sans même qu’il y ait un véritable effort pour rechercher un travail et en prendre un quand on en trouve un, même s’il n’est pas celui qui était rêvé jusqu’alors. Certains allant jusqu’à penser que la société leur doit bien de pouvoir ne pas avoir envie de travailler tout en étant rémunérés. L’idée du revenu universel, suivant ses modalités, peut participer de cette tendance. De même pour l’intérêt à porter à une juste rémunération des travailleurs les moins aisés. Mais il ne faut pas pour autant provoquer, par une hausse trop forte du SMIC, et une perte d’emploi massive des moins qualifiés et un écrasement de la hierarchie des salaires, notamment pour ceux qui gagnent un peu plus sans toutefois gagner beaucoup plus.
  • La juste protection contre la maladie ne doit pas devenir une possibilité de surconsommer de l’assistance médicale ou medicamentale. Elle ne doit pas non plus être un prétexte, pour toute contrariété dans sa vie personnelle ou au travail, pour prendre un congé maladie, très aisément donné, et s’exonérer aux frais de tous les autres du travail et de sa contribution à la société. Là encore, la “souffrance au travail”, ou l’épuisement nerveux – même si bien évidemment cela peut exister ici et là – ont bon dos et sont délétères, dès lors que les arrêts de travail ainsi accordés se pratiquent à grande échelle.
  • La redistribution, par les prélèvements obligatoires comme par l’utilisation gratuite de services publics, assure une cohésion sociale et une justice sociale très appréciable. Cette redistribution, ramenée au PIB, se situe parmi les toutes premières au monde. Vouloir toujours l’augmenter, comme le demandent les tenants actuels de la social-démocratie relève soit d’une gentille naïveté confondante, soit d’une démagogie sans limite. Ou d’une absence de réflexion. Il n’est plus raisonnable de penser que l’accroître encore n’irait pas à l’exact opposé des objectifs (prétendument) recherchés, par une desincitation encore renforcée au travail, comme à l’innovation, par une perte de compétitivité accrue et partant par une perte massive d’emplois et de niveau de vie.

Bref, sans multiplier les exemples, l’extension à l’infini des droits et de la protection, l’élimination de tout risque et sa prise en charge totale par la société ne peuvent pas être le projet de la social-démocratie française. Qui oublie trop souvent en outre que pour redistribuer il faut produire et que pour produire, il faut des incitations (et des valorisations) à le faire. Cette social-démocratie des seuls droits, à la française, poussée déjà très loin, ne peut que provoquer sa ruine morale et financière. Morale, car la partie qui travaille, souvent sans rémunération confortable, ne peut longtemps considérer cet état de fait comme normal et juste. Le pacte social peut se rompre. De même pour les seuls 45 % à payer les impôts sur le revenu et les 10 % qui en paient 75%. Financière, bien entendu, parce que seul le travail de chacun et la quantité de gens au travail, avec l’innovation et les gains de productivité, peuvent permettre de financer le niveau de vie et la protection sociale de l’ensemble de la population.

La rupture dans la soutenabilité du système social (au sens large) français a déjà eu lieu et ne date pas d’hier. Il suffit de considérer l’évolution de la dette publique française et de la dette extérieure, dans le temps, mais aussi par rapport à celles des autres pays comparables pour bien le mesurer.

Sans même évoquer l’impensé total, et pourtant si dangereux, de la social-démocratie française d’aujourd’hui, la question sociétale fondamentale : quelle politique républicaine de réaffirmation de l’autorité publique, de sécurité et de meilleure régulation et d’intégration de l’immigration faut il mener ? Sujets pourtant autrement plus utiles et participant in fine activement à la justice sociale que ceux évoqués par certains pour permettre de ne pas laisser les populismes prendre de plus en plus de place dans le vote des Français.

Ainsi, même pour les quelques sociaux démocrates en France en rupture avec La France Insoumise et tentant de redonner pied en France à la social-democratie, lorsqu’ils énoncent qu’il faut rétablir l’Impôt Sur la Fortune et augmenter le SMIC, on se dit qu’il y a certainement encore beaucoup de chemin et de réflexion à mener pour re-crédibiliser et inventer la social-démocratie de demain, adaptée au monde et à la situation de la France… D’autres sociaux démocrates européens ont su peu ou prou le faire. Beaucoup de remise en question et de rupture assumée avec les tendances des trente dernières années doivent être pensées pour un renouveau salutaire de la social-démocratie française.

Olivier Klein, économiste et professeur à HEC.

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Conjoncture Crise économique et financière Economie Générale

Le modèle social et économique français est insoutenableI

Il serait plus que hasardeux de prétendre que la France n’a pas un sérieux problème d’endettement public. Et que son modèle social et administratif n’exige pas de profondes réformes pour être soutenable. Certes, la catastrophe sur les marchés n’est probablement pas à craindre immédiatement du seul fait de la situation financière de la France, notamment grâce à la protection offerte par l’euro. Mais un chaos politique durable et sans issue prévisible pourrait éventuellement la déclencher.
Quoi qu’il en soit, l’enjeu est d’agir profondément et rapidement pour restaurer la soutenabilité de notre modèle économique et social, aujourd’hui à bout de souffle. Et de constater que la montée fulgurante des intérêts de la dette publique, notamment dès 2026, alourdira encore considérablement l’équation budgétaire.

Le décrochage français

Notre PIB par habitant baisse de plus en plus vis-à-vis de celui de ses voisins. En 2024, l’Allemagne est à 116,2 % du PIB par habitant de la France contre 105 % en 2000, les Pays-Bas à 136,4 contre 114, le Danemark à 129,3 contre 117,8 et la Suède à 114,1 contre 100, par exemple. Ce grave décrochage, opéré sur un peu plus de vingt ans, traduit un affaiblissement de la compétitivité et un essoufflement du modèle productif français.

Parallèlement, depuis 2000, la dette publique française est passée de 59 % à 113 % du PIB, soit +54 points. Contre celle de la zone euro hors France qui n’a augmenté que de 17 points, de 70 % à 87 % du PIB. Sans pour autant booster la croissance française puisqu’elle a été légèrement plus faible sur la période que dans le reste de la zone euro hors France.

Le taux de prélèvements obligatoires a atteint 45,3 % en France en 2024, contre 40,3 % pour l’Allemagne, 40,6 % pour la zone euro hors France et 34 % en moyenne dans l’OCDE. Sans mentionner même la suradministration et la surréglementation croissantes qui pèsent chez nous également sur la compétitivité et l’esprit d’entreprise. Et nous avons comparativement un trop faible taux d’emploi (68 %, lorsque les pays d’Europe du Nord et l’Allemagne sont entre 75 et plus de 80 %) ; le taux d’emploi étant très corrélé notamment avec le taux de cotisation sociale payé par les entreprises, mais aussi avec les règles de départ en retraite.

Parallèlement, la part des exportations françaises de marchandises dans les exportations totales de la zone euro est ainsi passée de 16 à 11 %, soulignant une dégradation significative de la compétitivité de notre industrie.

Il est à noter en outre que le taux de redistribution en France est l’un des plus élevés au monde. L’écart des revenus des 10 % les plus aisés avec les 10 % les moins aisés passe ainsi après redistribution élargie (d’après un calcul de l’INSEE) de 18 à 3. Quant aux 1 % les plus aisés, ils reçoivent en France 7,2 % du revenu des ménages, contre en Suède 8,7 %, en Italie 10,3 % et aux Etats-Unis 14,4 %.

Enfin, les dépenses publiques en France représentent 57,1 % du PIB en 2024, loin devant l’Allemagne (49,5 %), la zone euro hors France (49,6 %) et l’OCDE (42,6 %). Et il n’y a pas à long terme de corrélation positive sur l’ensemble des pays de l’OCDE entre le taux de dépenses publiques et le taux de croissance. Au-delà d’un certain seuil, au contraire même.

Travailler et produire plus

Faut-il vraiment ignorer ces chiffres et proposer contre toute évidence d’accroître encore les taux de prélèvements et des dépenses publiques, en lieu et place de les abaisser ? Peut-on sérieusement éviter de comprendre que la bonne réponse en France est l’accroissement de la richesse produite et non davantage encore de redistribution ? Que le problème vient aussi du manque de quantité de travail tant en durée annuelle qu’au long de la vie ? Sans comprendre que ce manque ne permet le soutien de notre niveau de vie et de protection sociale qu’en nous endettant toujours plus ?

Nous devons parler vrai et agir juste pour éviter le déclin accéléré de notre modèle économique et social. Et ces constats ne sont ni de droite ni de gauche. Comme le rappelait Pierre Mendès France : « Les comptes publics en désordre sont le signe des nations qui s’abandonnent. »

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.

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Budget Bayrou : nécessaire, quoi qu’il arrive

Publié dans Les Échos le 28 août 2025

Il était urgent de marquer un coup d’arrêt à une forte dérive fragilisant depuis trop longtemps notre équilibre économique et social. Le temps de l’inaction est révolu, quelles que soient les issues politiques à l’Assemblée.
Le budget doit s’inscrire dans une stratégie cohérente, pensée pour durer, ce qui est une gageure aujourd’hui en France. Il est indispensable d’élaborer un plan cohérent et détaillé de transformation de l’Etat et des collectivités locales pour les rendre moins lourds, moins redondants et plus efficaces. L’ingénierie et l’accompagnement du changement seront aussi cruciaux pour la réussite de cette transformation.

En responsabilité

Il est également urgent de repenser notre Etat-providence pour le rendre pérenne. Cela passe par une responsabilisation accrue de chacun face à ce bien commun fondamental, en encourageant un recours raisonné à la Sécurité sociale, en évitant la surconsommation de soins ou de prestations, par une contribution individuelle, fût-elle très modeste, pour limiter les abus sans remettre en cause la solidarité. La quantité de travail en France, tant le taux d’emploi que le nombre d’heures travaillées, doit être structurellement augmentée. Si nous avions le taux d’emploi allemand, nous n’aurions plus de déficit public primaire ni de problème de financement de notre protection sociale.
L’actuel projet de budget esquisse ces sujets. Les dépenses publiques continueraient d’augmenter en 2026, mais de 1,8 % au lieu des 3,5 % à 4 % initialement prévus. Cela constituerait une avancée, mais ne serait pourtant pas une réduction telle que la pratiquent les entreprises qui ont besoin d’abaisser leurs coûts. Les critiques contre l’ultralibéralisme de ce projet de budget, outre qu’elles ratent l’urgence du redressement nécessaire, sont donc sans objet. En outre, certaines baisses affichées ne sont en réalité que des hausses d’impôts déguisées, comme la suppression de la franchise de 10 % pour les retraités ou celle de niches fiscales.

Réformer

Le principe enfin selon lequel « tout le monde doit participer à l’effort » semble juste, mais il doit être appliqué avec discernement. Il est crucial de corriger prioritairement les dérives là où elles sont apparues et non de façon indifférenciée, au risque d’être injuste et d’affaiblir l’adhésion à la réforme.

Quant à l’idée selon laquelle ces efforts ne peuvent être acceptés que si l’on améliore la justice fiscale, elle doit être replacée dans le contexte français. Notre pays est déjà l’un des plus redistributifs de l’OCDE. L’écart de revenus en France passe d’un facteur 18 à 3, après redistribution. Les taux d’imposition sur les plus hautes tranches de revenus sont parmi les plus élevés en Europe, tandis que ceux sur les plus bas revenus imposés figurent parmi les plus faibles. Et 55 % des ménages français ne paient pas d’impôts sur le revenu, alors que 10 % paient 75 % du total.

Plus généralement, accroître encore les prélèvements obligatoires, déjà au sommet de l’OCDE, découragerait davantage l’investissement, l’emploi et la prise de risque entrepreneuriale. L’équilibre nécessaire exige un pragmatisme équitable, qui concilie impératifs sociaux et solidité économique, n’aggravant pas le manque d’attractivité du travail ni l’insuffisance de compétitivité.

Ce projet de budget pourrait donc constituer un début nécessaire, bien qu’insuffisant, si le vote de confiance ne le rendait pas vain. La France n’échappera pas, quoi qu’il en soit, à une impérative vision à long terme intégrant enfin que le pays ne peut vivre durablement sur un endettement sans cesse en hausse et une insuffisante création de richesse. Sachons faire des réformes structurelles courageuses, avant qu’on ne nous les impose. Cessons d’amplifier le cercle vicieux français : une augmentation permanente des prélèvements, des dépenses non contrôlées, le tout à des niveaux mondiaux plafonds et se soldant par un taux d’endettement à la trajectoire non maîtrisée et très périlleuse.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.

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Conjoncture Economie Générale

Rééquilibrer marché et sphère publique: une œuvre indispensable et urgente

Les Échos , le 4 août 2025

Le marché est un levier essentiel de dynamisme économique. Il favorise l’allocation efficace des ressources, stimule l’innovation et permet l’ajustement de l’offre à la demande. Toutefois, il n’est ni parfait ni autosuffisant. Sa régulation est nécessaire pour éviter les dérives, permettre l’équité et assurer la stabilité à long terme. Cette régulation suppose un cadre juridique, des institutions solides, et des autorités légitimes pour fixer les règles du jeu. Mais cet encadrement ne doit pas devenir un carcan.

Depuis plusieurs décennies, la sphère publique a connu un développement continu, parfois mal maîtrisé. En France notamment, on observe une tendance à la suradministration, de même qu’à l’excès de prélèvements. L’État intervient dans un nombre croissant de domaines, au point d’intermédier trop souvent les relations entre les uns et les autres, réduisant également trop régulièrement le rôle des corps intermédiaires. Ce phénomène conduit à un empilement de normes et à une bureaucratie toujours plus complexe. Ainsi qu’à un manque de compétitivité comme d’attractivité du travail.

Lourdeur administrative, inefficacité croissante des politiques publiques, confusion des responsabilités en sont les manifestations. L’action publique tend alors à produire désillusions, ressentiment et démobilisation. Trop souvent, les citoyens se sentent infantilisés, dépossédés de leur capacité à agir, réduits à une forme de passivité civique. Ce climat nourrit un désengagement progressif, une défiance envers les institutions et le politique perçus comme lointains et insuffisamment efficaces, voire comme incompétents. La logique d’expansion continue de la sphère publique engendre également une demande illusoire de réponse étatique à tous les problèmes. Cette dynamique alimente un cercle vicieux : plus l’État promet, plus il déçoit ; plus il s’étend, plus il devient inefficace. Ce qui amène à son tour l’inquiétude, la peur devenue insurmontable devant tout problème fût-il petit, tant le sens de la responsabilité individuelle a été réduit, abîmé. “Un État qui s’immisce partout ne fait pas que fragiliser les institutions ; il détruit également les relations de confiance entre les citoyens, car il s’interpose entre eux et les rend étrangers les uns aux autres.” écrit justement Hannah Arendt .

Trop d’Etat induit ainsi l’aliénation des individus quant à leur capacité à agir par eux-mêmes. Cette situation affecte non seulement la vitalité démocratique, mais aussi la capacité d’innovation et d’adaptation de la société. Elle favorise l’immobilisme, décourage les réformes nécessaires et mine la confiance collective. Le tissu économique et social en souffre. Ce trop-plein de règles et d’impôts et cotisations ne garantit en outre ni l’équité ni l’efficacité : il fige la société au lieu de l’accompagner dans ses mutations. Ce qui induit un taux d’emploi trop faible et bloque la mobilité sociale. Il est donc urgent de repenser l’équilibre entre marché et puissance publique. Le marché a besoin de règles, mais des règles lisibles, stables, non trop nombreuses, enfin adaptées aux enjeux contemporains. L’État doit se concentrer sur ses missions essentielles et doit rechercher l’efficacité. “Le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie, et les dirige; il ne tyrannise pas, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.”, Tocqueville, déjà.

L’enjeu n’est pas de choisir entre marché et État, mais de les ré-articuler intelligemment. Il faut sortir de la logique trop souvent manichéenne en France consistant à considérer que ce qui est public est obligatoirement bon et ce qui est privé mauvais. L’inverse n’est pas non plus pertinent. Il faut rétablir la complémentarité entre initiative et responsabilité individuelles et organisation collective. Il existe un chemin d’équilibre qui combine efficacité économique et exigence éthique. L’efficacité n’étant d’ailleurs pas l’apanage du marché, de même que l’éthique n’est pas celui du public. Les pouvoirs publics doivent ainsi penser en permanence l’équilibre qui marie pour le mieux les deux termes.

Cette exigence suppose une réforme profonde de l’action publique. Plutôt que d’ajouter des couches administratives, il faut simplifier, responsabiliser et recentrer l’État sur ses fonctions stratégiques. Et penser sans cesse à ce qui permet d’atteindre les objectifs souhaités , en évitant tous les effets contre-productifs, hors de tout dogme et du prêt-à-penser idéologiquement correct du moment. Afin d’éviter tant l’entropie de la sphère publique que la perte du sens dans nos sociétés. C’est ainsi que l’indispensable confiance dans les institutions et le politique pourra revenir. Ainsi que dans la démocratie.

Olivier Klein
Professeur d’économie à HEC