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Conjoncture Enseignement

CHANGER, POUR RENDRE LE MODÈLE FRANÇAIS SOUTENABLE

De la même manière que le marché n’est pas exempt d’erreurs et de dysfonctionnements endogènes,les décisions des pouvoirs publics peuvent ne pas être efficaces,voire être contreproductives et entraîner des effets pervers contraires aux buts recherchés.
Il n’y a ni omniscience des marchés, ni omniscience de l’Etat. Il n’y a pas le « méchant capital » et le « gentil État ». Pas de camp du mal et de camp du bien. Cette vision dichotomique est non seulement simpliste mais également dangereuse car très trompeuse. Le capital et l’administration connaissent leur propre logique de développement. Là,de capitalisation, d’accumulation du capital. Ici, de contrôle, de pouvoir. Tous les deux, éprouvant comme tout organisme vivant, la nécessité vitale de croître. Et pourtant, tous les deux sont nécessaires et complémentaires, dès lors que l’on ne laisse ni l’un ni l’autre s’imposer à tous et déstabiliser le délicat équilibre qui permet de combiner efficacement les deux.

En France,depuis des décennies nous voyons se développer un Etat omniprésent,tendant à intermédier les relations de chacun avec l’autre, c’est-à-dire de chacun avec la société. Et au détriment des corps intermédiaires.La suradministration tente de répondre à tout et à tous, en infantilisant les gens et en poussant sans cesse à plus de demande d’Etat. Ce qui amène inéluctablement la déception. L’Etat perdant en efficacité.Cela développe à son tour l’angoisse, la peur devenue insurmontable devant tout problème fût-il petit, tant le sens de la responsabilité individuelle a été réduit, abîmé.

Trop d’Etat induit une atomisation des individus et leur aliénation quant à leur capacité à agir par eux-mêmes. Un Etat trop intrusif et omniprésent peut conduire en effet à un affaissement de la confiance en soi-même, mais aussi entre les uns et les autres. C’est un frein à l’action individuelle et collective. Et entraîne une perte de solidarité auto-organisée entre les membres de la société. La suradministration développe en conséquence parallèlement la recherche de l’avantage maximal pour soi-même, l’hyper-égoisme. Chacun se déresponsabilisant,se déchargeant sur l’Etat .

Ainsi que le pense Hannah Arendt, cette dynamique induit une perte de l’équilibre nécessaire entre, d’une part, la liberté et la responsabilité individuelle et collective et,d’autre part, la nécessaire régulation de la société. « Le danger, ce n’est pas seulement la violence des régimes autoritaires, mais le glissement progressif vers une administration douce et paternaliste qui asphyxie la liberté sous prétexte de protection. » écrit-elle.

Il faut redonner à l’Etat vision et vigueur pour accomplir sa tâche au mieux.Sans développement superfétatoire.Sans suradministration. Ce qui induit sinon une inefficacité croissante qui devient dangereuse pour la démocratie elle-même.

Olivier Klein

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Conjoncture

Le seul moyen de maintenir notre protection sociale et notre niveau de vie, c’est plus de compétitivité et de travail

Olivier Klein , Les Échos le 27 juin 2025

A l’heure où l’on commence à mieux saisir le poids insupportable prochain des intérêts sur la dette publique et à mieux appréhender la trajectoire très dangereuse des finances publiques françaises, ne nous trompons pas de diagnostic. Ni d’idées de solutions. L’évolution et le niveau actuel du taux de dette totale de l’ensemble des agents privés et publics français montrent bien l’insoutenabilité de notre modèle en l’état. Ce taux est passé, entre 2000 et fin 2024, en France, de 200 % du PIB à 328 %. Pour l’ensemble des pays avancés, il est passé de 207 % à 270 %. En zone euro, de 194 % à 246 %.
Ces évolutions comprennent celles de la dette publique, passée en France de 20 % en 1980 à 113 % en 2024. Entre 1997 (année de confirmation des critères de convergence) et 2023, elle a augmenté de 50 points de PIB contre seulement 15 points de PIB pour la zone euro en moyenne.

Comment ne pas voir dès lors que la France a eu besoin d’une telle croissance de la dette – bien davantage que tant d’autres pays – parce qu’elle ne s’est pas donné les moyens réels de son niveau de vie et de protection sociale ?

N’augmentons pas les prélèvements obligatoires

Il est possible et souhaitable de préserver notre niveau de vie et notre modèle de protection sociale, mais ce ne peut être par une augmentation continue de notre taux d’endettement déjà dangereusement élevé. Ce ne sera pas non plus par une augmentation des prélèvements obligatoires que nous y parviendrons, alors que ceux-ci sont déjà supérieurs de 6 points de PIB à la moyenne de la zone euro. Et de 11 points de la moyenne de l’OCDE.

Cela a déjà conduit à une perte de compétitivité parfaitement visible. La part des exportations françaises dans les exportations totales de la zone euro est ainsi passée de plus de 16 % en 2000 à 11 % en 2024. Les cotisations sociales, employeurs, et les impôts sur la production réunis représentent encore en France 18 % de la valeur ajoutée, contre 10 % dans la zone euro. Et moins les entreprises sont compétitives, plus faible est le taux d’emploi et plus fortes sont les inégalités avant redistribution.

Rappelons, en outre, que la France est déjà championne de la redistribution en Europe et dans l’OCDE, et qu’elle connaît comparativement un niveau d’inégalité des revenus plutôt faible après redistribution. Augmenter encore le taux de redistribution affaiblirait davantage l’attractivité du travail, tout comme la compétitivité. Tout renforcement supplémentaire des prélèvements accélérerait donc le cercle vicieux dans lequel nous sommes déjà. Ne soyons pas contre-productifs et cessons de vouloir lutter contre les effets au lieu de lutter contre les causes !

Réformes structurelles

Il faut permettre le maintien de notre protection sociale et de notre niveau de vie par une meilleure compétitivité et plus de travail. Nous avons un taux d’emploi et un nombre d’heures travaillées en moyenne par emploi à temps plein bien insuffisants par rapport aux pays semblables. Le système de Sécurité sociale se doit aussi de davantage responsabiliser chacun dans sa « consommation » de ce bien commun.

D’autres pays européens ont des niveaux de protection sociale et un bien-être qui n’ont rien à envier au niveau français, avec des taux de dépenses publiques, de déficit public et d’endettement bien meilleurs.

Les clés de notre capacité à protéger notre modèle économique et social sont donc les réformes structurelles permettant d’augmenter notre potentiel de croissance (qualité de la formation, recherche et développement, augmentation du taux d’emploi comme de la quantité de travail annuelle de ceux qui travaillent, etc.), les investissements pour retrouver de nouveaux avantages compétitifs dans les industries d’avenir, et la recherche déterminée d’une baisse du taux des dépenses publiques, ainsi que de leur meilleure efficacité. Ce taux est en effet en France de 7,5 points de PIB supérieur à celui de la zone euro, et le premier de l’OCDE. Pourtant, d’autres pays européens ont des niveaux de protection sociale et un bien-être qui n’ont rien à envier au niveau français, avec des taux de dépenses publiques, de déficit public et d’endettement bien meilleurs.

Enfin, les pays comparables qui ont dû procéder à un redressement de leurs finances publiques ont démontré qu’une baisse du taux des dépenses publiques avait un effet moins défavorable sur la croissance qu’une hausse du taux de prélèvement. Voire un effet favorable dans certains cas. Analysons avec courage et pertinence notre situation et comparons-nous utilement pour agir juste. Loin des idéologies. C’est bien un manque d’efficacité globale de notre système qui le met en fort danger. Il y a urgence.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC et directeur général de Lazard Frères Banque.

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Conjoncture Crise économique et financière

Quelques vérités pour sortir de l’impasse française

L’opinion , le 16 juin

L’économique et le social ne peuvent être dissociés. Leurs interactions peuvent engendrer des effets positifs comme désastreux, parfois à rebours des intentions initiales. La France en offre une illustration frappante. Malgré un niveau de prélèvements obligatoires et de redistribution parmi les plus élevés de l’OCDE, la tentation persiste de les faire croître encore.
Pourtant, une telle trajectoire compromettrait l’emploi, la compétitivité, l’entrepreneuriat et l’incitation au travail. Or, c’est précisément l’emploi, allié à la croissance, qui constitue le levier le plus efficace contre la pauvreté, pour la mobilité sociale, pour la soutenabilité de notre niveau de vie comme de notre protection sociale. Le social ne peut ainsi être protégé ou s’améliorer durablement sans le développement d’une économie solide.

L’accroissement perpétuel du taux d’endettement ne peut que provoquer tôt ou tard une crise économique, sociale et financière majeure. Attention à la dynamique incontrôlée, donc très dangereuse, dans laquelle nous sommes aujourd’hui. De 1997 à 2024, le taux d’endettement de la France a cru de 50 points de PIB alors que celui de la zone euro ne progressait que de 15 points.

Il en va de même pour la relation entre l’offre et la demande. Si la croissance de la demande est nécessaire à une économie robuste, elle ne peut être durablement soutenue si l’offre nationale ne progresse pas en parallèle. La France affiche déjà un déficit commercial persistant, symptôme d’une compétitivité insuffisante. Augmenter la demande sans redresser l’offre aggraverait cette fragilité, creusant la dépendance financière vis-à-vis de l’étranger.

Ce n’est pas en augmentant encore les prélèvements que l’on sortira du piège français. Au contraire, il s’agit de relancer la dynamique productive
L’erreur serait de croire qu’un activisme budgétaire, financé par toujours plus d’impôts ou de dettes, permettrait de créer une prospérité durable. Tout au contraire. Le taux de croissance sur long terme au sein de l’OCDE est corrélé légèrement négativement avec le taux moyen de dépenses publiques sur PIB. Cela ne remet en aucun cas en cause l’intérêt réel d’une politique budgétaire contracyclique, mais interdit de penser, comme trop souvent en France, que tout problème doit et peut être résolu en permanence par davantage de dépenses publiques. Au-delà d’un certain seuil déjà dépassé chez nous, tout au contraire.

Il faut donc inverser la logique. Ce n’est pas en augmentant encore les prélèvements que l’on sortira du piège français. Au contraire, il s’agit de relancer la dynamique productive : investir dans l’innovation technologique et écologique, rendre le travail plus attractif, lever les obstacles à la mobilité sociale, encourager les entreprises à croître par moins de taxation et de sur-réglementations, améliorer l’efficacité de notre enseignement, augmenter le taux d’emploi tant pour les jeunes que pour les 60-65 ans, etc.

C’est cette stratégie, couplée à une baisse du taux des dépenses publiques et à une amélioration de leur efficacité, qui permettra d’augmenter notre potentiel de croissance et d’élargir la base imposable, donc les recettes publiques, sans avoir à relever les taux de prélèvements obligatoires. Tout autre choix ne ferait qu’accentuer le cercle vicieux : plus de charges sur une base économique fragilisée, donc moins de création de richesse, donc une nouvelle augmentation du taux de prélèvements pour tenter de compenser une base fiscale affaiblie, et ce dans une spirale sans fin. Abîmant ainsi tout à la fois l’économie et le social. Affaiblir l’économie, c’est fragiliser à brève échéance encore davantage le modèle social lui-même.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

Le modèle français, de l’excès à l’indispensable renouveau

Publié par Les Échos le 15 mai 2025

Le modèle européen et français de régulation politique, économique et sociale traverse une crise profonde. Ce modèle, sous la pression de ses dérives, s’avère difficilement capable de répondre aux défis contemporains.

Cinq mouvements majeurs mettent en lumière ses limites : l’affaiblissement de l’autorité publique et du sentiment de sécurité, l’insuffisance de la régulation migratoire et de l’intégration de la population immigrée, la montée d’un individualisme exacerbé, l’expression d’un égalitarisme excessif, enfin l’hypertrophie étatique et normative. Ces dynamiques fragilisent les institutions et alimentent la défiance envers le politique, en favorisant la montée du populisme.
Le marché, indispensable pour dynamiser l’économie, nécessite une régulation publique efficace afin d’en éviter les dérives. Cependant, en France, la sphère publique s’est développée de manière hypertrophiée, engendrant tout à la fois inefficacité et découragement. L’Etat omniprésent tend à infantiliser les citoyens et à interférer dans leurs relations, tout en réduisant le rôle des corps intermédiaires. Comme le souligne Hannah Arendt : « Lorsque l’Etat monopolise cette capacité d’agir, les citoyens sont réduits au rôle de spectateurs. » La suradministration provoque en effet une perte de responsabilité individuelle et collective, tout en affaiblissant le respect des autres et des règles de vie en société.

Vivre ensemble

Parallèlement, dans nos sociétés, des excès pathogènes mettent en péril jusqu’à la démocratie elle-même. Ces excès se manifestent par une extension illimitée des droits individuels au détriment des devoirs de chacun, favorisant un égoïsme, un repli sur soi, comme un communautarisme exacerbé. Mais aussi un affaiblissement du sens collectif et de la nécessité du travail. Ces excès consistent en outre en une obsession égalitariste, au point d’alimenter jalousie, ressentiment et haine. Freinant de plus les moteurs de la croissance et du progrès. Tocqueville avertissait déjà : « Il n’y a pas de passion si funeste pour l’homme que cet amour de l’égalité qui peut dégrader les individus et les pousser à préférer la médiocrité commune à l’excellence individuelle. »

Ces dérives menacent la capacité de vivre ensemble et peuvent conduire à une ruine aussi morale qu’économique. Le financement de la suradministration et le manque de responsabilisation face aux dépenses de protection sociale se traduisent en effet par un déficit public permanent, induisant une dette publique bientôt insoutenable, renforçant à leur tour la défiance.

Retrouver un équilibre

Pour éviter un déclin irréversible, il est impératif de réinventer l’équilibre de notre modèle autour de plusieurs axes. Réconcilier éthique (comprenant la justice sociale) et dynamique économique. Aucun des deux termes n’est durablement viable sans l’autre. Aujourd’hui, les normes et systèmes de prélèvements entravent outre mesure l’innovation et la croissance, sous peine de rendre vains les efforts en faveur de l’éthique. Traiter républicainement et efficacement les questions sociétales, sans penchant moralisateur ni mépris. Ce qui évitera de surcroît que le populisme ne monopolise ces débats.
Retrouver une meilleure mobilité sociale par un enseignement approprié de qualité. Lutter contre les excès égalitaristes en opérant un rappel indispensable des notions d’égalité des droits et des devoirs, d’égalité des chances et d’équité pour ne pas les confondre avec l’égalité absolue en toute chose, bien souvent antinomique des premières.

La survie du modèle européen démocratique et d’économie sociale de marché dépend de sa capacité à se renouveler. Sans un sursaut intellectuel pour limiter les excès qui s’y sont développés et pour retrouver les équilibres indispensables qui les fondent, notre système politico-économico-social sombrera dans l’entropie. Qui plus est, dans un monde où les seuls rapports de force sont redevenus la règle. Ce renouveau est crucial pour restaurer la confiance dans les institutions et la politique, comme dans la démocratie elle-même. Il est aussi crucial pour retrouver une vitalité et un dynamisme sans lesquels rien n’est possible. La pérennité de notre beau modèle européen en dépend.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

LES STABLECOINS ADOSSÉS AU DOLLAR : UNE NOUVELLE ARME STRATEGIQUE POUR LES ÉTATS-UNIS

Les stablecoins connaissent une croissance fulgurante comme monnaie de règlement. En 2024, ils ont traité plus de transactions que Visa et Mastercard réunis. Contrairement aux cryptomonnaies « pures » émises sans aucune contrepartie et dont la valeur est par essence spéculative et éminemment fluctuante, car dépendante de la seule opinion auto-référentielle du marché lui-même sur cette valeur, les stablecoins sont des cryptomonnaies adossées à des actifs comme le dollar. Pour chaque unité de stablecoin émise et achetée en échange de n’importe quelle devise, le montant reçu dans cette devise est immédiatement utilisé pour acheter en l’occurrence du dollar américain et investi en titres du Trésor américain. C’est donc en vertu de cette règle de 1 pour 1 que ces cryptomonnaies spécifiques sont dites stables et non purement spéculatives.


Face à la montée des incertitudes sur le marché obligataire américain, manifestée par une réduction des achats des émissions du Trésor, les États-Unis voient dans les stablecoins une opportunité stratégique : attirer une nouvelle demande pour leur dette souveraine et renforcer la domination du dollar dans les échanges mondiaux. En effet, plus les stablecoins adossés au dollar sont utilisés à l’international, plus les émetteurs doivent acquérir de la dette américaine pour garantir leur valeur. Washington utilise ainsi les stablecoins comme un outil de refinancement de sa dette extérieure, tout en étendant la dollarisation de l’économie mondiale. La récente adoption du projet de loi Genius Act, soutenu par l’administration américaine, vise à accompagner et encadrer le développement des stablecoins adossés au dollar, offrant un avantage compétitif aux émetteurs américains et consolidant la suprématie du dollar.


Cette stratégie n’est pas sans danger pour le reste du monde. L’adoption massive des stablecoins adossés au dollar pourrait accélérer la fuite des capitaux depuis les économies émergentes ou fragiles, dont les citoyens chercheraient à se protéger de l’inflation ou de la dévaluation de leur monnaie locale en se réfugiant dans ces moyens de paiement stables. Les stablecoins affaiblissent plus généralement la souveraineté monétaire des pays, hors États-Unis en l’occurrence, réduisent leur capacité à financer leur économie par leur épargne locale, en exposant leur système financier à des risques de désintermédiation bancaire. La réorientation de l’épargne mondiale vers les stablecoins adossés à la dette américaine détourne en effet des ressources du financement du secteur privé local, au profit du Trésor américain. Les banques nationales, privées de dépôts, voient ainsi leur capacité de crédit diminuer à due proportion, freinant la croissance économique de ces pays.


L’expansion des stablecoins pose enfin des défis majeurs en matière de régulation, de lutte contre le blanchiment et de protection des consommateurs. Ces actifs peuvent en effet circuler sans contrainte et faciliter ainsi les flux illicites et éroder l’intégrité des marchés financiers. Enfin, la dépendance accrue au dollar via les stablecoins renforce l’asymétrie du système monétaire international, rendant les économies notamment émergentes encore plus vulnérables aux décisions de politique monétaire américaine.


Au total, en développant les stablecoins adossés au dollar, les États-Unis disposent d’un levier inédit pour dollariser davantage les échanges mondiaux et refinancer leur dette extérieure. Mais cette stratégie fait peser de lourds risques sur la souveraineté monétaire, la stabilité financière et le développement économique du reste du monde.


Mais c’est aussi une arme à double tranchant pour les États Unis eux-mêmes. Les stablecoins adossées au dollar peuvent accélérer aussi bien la hausse que la baisse du dollar . Donc accroître la volatilité macro-financière globale.

Olivier Klein
Professeur d’économie à HEC et banquier

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Conjoncture Crise économique et financière

Trump : fausses solutions pour un vrai problème ?

Premiere version de ce texte publiée par Les Échos le 7 avril. Version modifiée et complétée le 10 avril

Bien que Trump apparaisse à beaucoup comme désordonné, incohérent et contradictoire, ses préoccupations ne sont pas dépourvues d’un certain réalisme et d’une certaine cohérence.

Cependant, il semble n’avoir qu’une seule arme pour atteindre ses objectifs, utilisée de manière brutale et grossière : les tarifs douaniers. Sans doute accompagnés d’un affaiblissement du dollar. Mais l’utilisation de ces armes est contradictoire et dangereuse.

Les difficultés de l’économie américaine ne proviennent pas de son taux de croissance ou de ses gains de productivité, qui ont été significativement plus élevés que ceux de la zone euro, notamment au cours des quinze dernières années. En revanche, entre 2000 et 2024, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 23 % à 17 %, avec des effets négatifs pour les travailleurs américains et la classe moyenne.
De plus, les déficits jumeaux, public et courant, ont conduit, au cours des vingt-cinq dernières années, les États-Unis à voir leur dette publique passer de 54 % à 122 % du PIB et leur dette extérieure nette multipliée par quatre (approximativement de 20 % à 80 % du PIB).

Dilemme monétaire

Cette explosion des dettes posera tôt ou tard un problème quant au statut du dollar en tant que monnaie internationale. Les États-Unis ont en effet un besoin structurel de financer leurs dettes, donc d’attirer des capitaux du reste du monde.
Le fait de posséder la monnaie internationale (environ 90 % des transactions de change, 45 % des paiements internationaux et 60 % des réserves officielles des banques centrales) facilite grandement ce financement. Les pays en excédent courant réinvestissent en temps normal presque systématiquement cette liquidité en dollars sur le marché financier américain. D’autant plus que les rendements boursiers américains sur-performent et que leur marché des capitaux est le plus profond.
Ce statut impose aussi aux États-Unis d’accumuler un déficit courant pour fournir au reste du monde la quantité de monnaie internationale nécessaire.

Mais comme en toute chose, l’équilibre est essentiel et difficile à maintenir. Les États-Unis régulent leurs déficits selon leurs propres besoins plutôt que ceux du reste du monde. Cela confère au système monétaire international un caractère intrinsèquement instable.
Dès les années 1960, Robert Triffin affirmait que si les États-Unis ne maintenaient pas un déficit courant suffisant, le système périrait par asphyxie. Et si ce déficit devenait trop important, il mourrait par manque de confiance.

Face à la dynamique dangereuse des dernières décennies, Trump doit protéger la confiance dans le dollar pour perpétuer son financement par le reste du monde sans douleur excessive (c’est-à-dire à des taux non prohibitifs). En même temps, il doit réduire l’excès d’importations par rapport aux exportations pour rendre cette trajectoire soutenable. Cela implique une réindustrialisation cohérente pour réduire cet écart tout en satisfaisant ses électeurs.

Une confiance fragile dans le dollar

Trump semble toutefois n’avoir qu’une seule arme : les tarifs douaniers accompagnés d’un affaiblissement apparent du dollar. À première vue, ces deux mesures pourraient réduire les importations américaines, stimuler la production nationale et augmenter les exportations. Mais cette stratégie entre en conflit avec la nécessité d’un dollar stable pour maintenir la confiance mondiale.
De plus, l’utilisation du dollar comme arme par les administrations précédentes pour imposer des sanctions financières a déjà sérieusement endommagé la confiance mondiale dans cette devise. Les pays du Sud global contestent simultanément ce double standard américain.

Et les annonces soudaines de hausses massives de tarifs ne renforcent pas la confiance dans le système économique américain. Sans parler de leur potentiel régressif et dangereux pour l’économie mondiale.

Des solutions structurelles nécessaires

L’idée selon laquelle le déséquilibre entre importations et exportations américaines est dû à des conditions défavorables imposées par des pays excédentaires est fausse. Le déficit courant américain résulte principalement d’un manque de compétitivité domestique et d’une forte insuffisance d’épargne par rapport aux investissements, soit d’une demande trop longuement et trop significativement supérieure à l’offre domestique. Autrement dit , les Américains vivent exagérément au-dessus de leurs moyens.
Des mesures structurelles visant à renforcer la compétitivité industrielle américaine et à réduire le déficit public sont essentielles. L’utilisation agressive des tarifs ou la manipulation du dollar reflète une approche économique simpliste et risquée.

Protéger la stabilité financière

Trump a raison sur ses « obsessions », mais se trompe sur sa réponse. Et menacer les pays envisageant des systèmes alternatifs au dollar pourrait précipiter la perte de confiance mondiale dans cette devise.
Il pourrait aussi avoir envie d’encourager les stablecoins adossés au dollar pour « dollariser » la planète. Mais cela nuirait à la souveraineté monétaire d’autres régions qui pourraient réglementer leurs paiements pour protéger leur stabilité financière.

Les défis économiques américains exigent des solutions diversifiées et structurelles bien au-delà des tarifs douaniers élevés qui risquent une récession mondiale combinée à un crash financier majeur.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.