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La crise financière : du neuf avec du vieux

Dossier : les institutions financières dans la crise

Les crises financières se répètent, montrant à chaque avènement une similarité fondamentale de leurs origines et de leur déroulement, mais aussi leur caractère spécifique. Toute crise financière prend l’une au moins des trois formes canoniques que l’histoire nous a fait connaître régulièrement depuis le XIXe siècle. Souvent elle prend chacune des trois formes successivement ou simultanément. L’analyse qui suit s’inspire notamment des travaux de Michel Aglietta et des économistes de la Banque des règlements internationaux.

La première forme de toute crise bancaire, aujourd’hui comme hier – on peut même dire que c’est la forme la plus ancienne de crise –, est la crise de spéculation. Pourquoi les actifs patrimoniaux (actions, immobilier, or, etc.) peuvent-ils faire l’objet de bulles spéculatives ? Parce que leur prix, contrairement à celui d’un bien ou d’un service industriel ou commercial reproductible, ne dépend pas de leur coût de revient, de ce que les économistes appellent leur coût marginal. C’est pourquoi il peut s’éloigner fortement de leur prix de fabrication.

Asymétries

Le prix d’un actif financier dépend en fait fondamentalement de la confiance que l’on place soi-même dans la chronique des revenus futurs qu’il peut engendrer, une chronique promise par son émetteur. Mais la détermination du prix dépend aussi de ce que chacun anticipe quant à la confiance des autres accordée à cette promesse. Chacun raisonnant de la sorte.

Pour peu que les informations ne soient pas bien partagées (entre le prêteur et l’em-prunteur, l’actionnaire et le management, ou entre les acteurs de marchés eux-mêmes) et que le futur soit difficilement probabilisable, ces asymétries d’informations et cette incertitude fondamentale favorisent le mimétisme des acteurs. Il est alors, en effet, très difficile de connaître la valeur intrinsèque de l’actif considéré, et, de ce fait, de parier sur elle. En ce cas, le sens du marché est donné par les autres, car il est le pur produit de l’expression de l’opinion majoritaire qui se dégage. Les acteurs s’imitent rationnellement, afin de tenter d’anticiper et de jouer les tendances du marché, de façon totalement autoréférentielle. C’est ainsi que peuvent se développer des bulles spéculatives fortes et durables. Ces bulles finissent par se « crever » soudainement, au moment du retournement de l’opinion majoritaire, dans un mouvement encore plus fort que celui qui a caractérisé la phase précédente.

Le sens du marché est le pur produit de l’expression de l’opinion majoritaire qui se dégage.

Euphorie

La deuxième forme, la crise de crédit, vient quant à elle du fait que, dans une longue période de croissance, tous (banques et emprunteurs) oublient progressivement la possi-bilité de survenance des crises et finissent par anticiper une expansion sans limite. Dans cette phase euphorique, les prêteurs diminuent dangereusement leur sensibilité au ris-que et le niveau de levier (dettes sur niveau de richesse ou de revenus pour les ménages ou d’actif net pour les entreprises) finit par atteindre des seuils que tout observateur objectif est amené à considérer comme déraisonnable. Et ce phénomène s’amplifie considérablement encore lorsque les prêteurs apprécient la solvabilité des emprunteurs non plus à l’aune de leurs revenus futurs probables, mais à l’aune de la valeur antici-pée des actifs (actions ou immobilier notamment) financés ou qui servent de garantie. Enfin, bien souvent, pendant cette phase, ils acceptent, par le jeu concurrentiel, des marges qui ne couvriront pas le coût du risque de crédit à venir. La situation financière des agents économiques se révèle extrêmement vulnérable lorsque le retournement conjoncturel intervient. Aussi, au moment de la crise, les prêteurs (banques et marchés) reconsidèrent-ils brutalement le niveau de risque encouru, et par un effet symétrique du précédent, inversent-ils fortement leur pratique d’attribution du crédit, tant en termes de volume que de marge, jusqu’à provoquer un credit crunch – ou resserrement du cré-dit –, qui va lui-même amplifier la crise économique qui l’a suscité.

Défiance

Troisième forme canonique de la crise : la crise de liquidité. Lors de certains dérou-lements dramatiques des crises financières, une défiance contagieuse apparaît. C’est typiquement le cas dans la crise financière et bancaire que nous connaissons aujourd’hui. Cette défiance induit pour certaines banques une course fatale de leurs clients aux retraits des dépôts (ce que les spécialistes appellent un « bank run »).

Elle peut également conduire à une raréfaction, voire une disparition, de l’intention des banques de se prê-ter entre elles, de par la crainte de faillites bancaires en chaîne. Cette illiquidité du marché du financement interbancaire – sans intervention des Banques centra-les en tant que prêteurs en dernier ressort – produit les faillites tant redoutées. En outre, d’autres formes d’illiquidité peuvent se produire. Certains marchés financiers, liquides hier, peuvent se révéler soudainement illiquides, tant la notion de liquidité de marché, telle que l’a analysée André Orléan, est là encore hautement autoréférentielle. Un marché n’est liquide que si tous les acteurs pensent qu’il l’est. Si une méfiance sur sa liquidité s’installe, tous les acteurs se trouveront alors vendeurs pour sortir de ce marché, pro-voquant du même coup, de façon endogène, son illiquidité. Dans la crise actuelle, le cas le plus emblématique est le marché des ABS (asset-backed securities, en français « titres adossés à des actifs », c’est-à-dire fondamentalement les actifs titrisés).

Un marché n’est liquide que si tous les acteurs pensent qu’il l’est.

Une chose entraîne l’autre

Ces trois types de crises s’entrelacent souvent et s’entraînent mutuellement dans une situation qui devient alors critique. À titre d’exemple, le crédit peut se développer trop rapidement, de par la croissance elle-même anormalement élevée des prix des actifs patrimoniaux qui servent de garantie à ces crédits. Et les prix de ces actifs s’emballent eux-mêmes, car des achats additionnels sont permis par des crédits plus faciles. On obtient là un phénomène de divergence auto-entretenue et potentielle-ment durable dans des marchés qui ne s’équilibrent pas par eux-mêmes à des niveaux « normaux ». De même, la crise de liquidité est-elle engendrée, par exemple, par une crainte soudaine sur la valeur des créances bancaires et des actifs financiers que les établissements financiers détiennent.

À la recherche de liquidité, les banques vont alors moins financer l’économie et tenter de céder leurs actifs. Ce qui aggrave à son tour la crise spéculative comme la crise du crédit. La grande crise qui a commencé concrètement en 2007 est, comme les crises précédentes, la combinaison de ces trois formes. Une bulle spéculative immobilière tout d’abord, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne. Une crise du crédit ensuite, due à une hausse dangereuse du taux d’endettement des ménages dans ces mêmes pays et à un effet de levier très élevé des banques d’investissement, des entreprises en LBO et des hedge funds notamment. Une crise de liquidité, enfin, des marchés de produits de titrisation et du refinancement interbancaire, due aux perturbations issues de la faillite de Lehman Brothers. Chaque crise renforçant les deux autres, dans un processus auto-entretenu.

Ce qui ne se voit pas

La composante idiosyncratique de la crise actuelle, quant à elle, repose sur le déve-loppement rapide, ces dernières années, de la titrisation des créances bancaires.

La titrisation sort du bilan des établissements de crédit des créances bancaires sur des particuliers, des entreprises, comme des collectivités locales. Ces créances sont regroupées de façon souvent hétéroclite dans des supports eux-mêmes à fort effet de levier, supports revendus à d’autres banques, aux assureurs comme à des fonds de placement, c’est-à-dire in fine à tout un chacun.

La titrisation a permis un accrois-sement important du financement de l’économie mondiale, puisqu’elle autorisait les banques à réaliser bien davantage de crédits que si elles avaient dû les conserver à leur bilan. Mais cette technique a incité les banques qui l’utilisaient le plus (notam-ment aux États-Unis) à abaisser considérablement leur niveau de sélection et de suivi des emprunteurs et à accepter de prêter à des agents de moins en moins solvables, puisqu’elles n’encouraient plus aucun risque après titrisation. C’est ainsi, par exemple, que les encours de crédits subprime se sont multipliés, amplifiant considérablement la crise de crédit qui s’est fait jour après l’éclatement de la bulle immobilière.

La titrisation non régulée a ainsi considérablement aggravé la crise de crédit, mais aussi de liquidité. En effet, la difficile traçabilité de ces crédits et le mélange de bons et de mauvais crédits dans les mêmes supports, comme l’opacité et la complexité (CDO de CDO…) des produits titrisés ont, à leur tour, aggravé l’ampleur de la crise elle-même. Chacun n’ayant plus confiance dans la qualité, ni même dans sa compréhen-sion de ce type de placements, la liquidité s’est trouvée brutalement tarie. Par crainte des actifs ainsi détenus aux bilans des banques, voire des assureurs, cela a induit du même coup une crise de liquidité, notamment interbancaire, d’une violence que l’on pensait à jamais reléguée au passé. La difficulté de résoudre les problèmes ainsi sou-levés s’en est trouvée accrue pour les pouvoirs publics. La première leçon à tirer porte donc sur la dynamique réalisée sans régulation de la titrisation et sur le rôle que ce mécanisme doit jouer à l’avenir dans l’activité des banques.

Imposture

Élément important, les agences de notations, fortes de modèles mathématiques fon-dés sur des hypothèses restrictives mal appréciées et sur l’analyse exclusive des séries passées, ont donné un label de qualité (note AAA) à des tranches des supports en question. Or, ce label s’est révélé de très piètre qualité au fur et à mesure du dérou-lement de la crise. Ces notes, qui ne visaient d’ailleurs pas le risque de liquidité, ont conduit nombre d’investisseurs, y compris bancaires, à se rassurer à bon compte et finalement à tort sur la qualité de leurs actifs financiers, sans beaucoup s’interroger sur les raisons pour lesquelles un placement coté AAA pouvait être si bien rémunéré. Il y a là une réforme incontournable à prévoir pour redonner à ces agences à la fois un sens objectif à leur mission et une indispensable crédibilité.

L’entremêlement des trois formes canoniques de la crise financière et des éléments spécifiques de la crise actuelle explique la gravité extrême de la situation, avec son cortège de banques en détresse, de panique des investisseurs, de credit crunch en cours et, finalement, de crise économique sévère. Seules les fortes actions des pouvoirs publics, au moment même où chacun doute de tous les autres, ont pu récemment commencer à détendre quelque peu le marché interbancaire et à éviter une explosion du système financier dans son ensemble. Reste maintenant à prendre du champ pour contrer les conséquences économiques de la crise financière et bancaire et pour éviter que l’on ne se retrouve dans une situation aussi critique à relativement court terme.

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Banque Finance

Pour le retour des pools bancaires

La crise financière et bancaire, qui n’a pas encore connu son épilogue, a, sinon déclenché, à tout le moins accéléré la très sérieuse crise économique mondiale en cours.

Par un phénomène d’accélérateur financier, bien mis à jour par Ben Bernanke, l’actuel Président de la Fed, lorsqu’il était professeur d’économie, la crise financière peut conduire à aggraver la crise économique par le biais notamment d’une restriction de la demande comme de l’offre de crédit. Cette contraction est alors due à la baisse de la richesse des emprunteurs (dévalorisation des actifs des entreprises et des patrimoines immobiliers et en actions des ménages) et de la valeur des gages (collatéraux) que les banques peuvent prendre à l’octroi du crédit.

La crainte de la hausse du défaut des emprunteurs induite par la crise économique peut conduire également les banques à freiner leur production de crédits, anticipant avec raison qu’un ralentissement de la croissance rend plus vulnérables les emprunteurs les plus endettés, ménages comme entreprises.

Bien entendu, l’affaissement de la demande et de l’offre de crédit s’avère alors souvent d’autant plus brutal que la période précédente a été euphorique et a amené les banques et les emprunteurs à laisser s’accumuler des situations financières tendues et se développer des conditions ne rémunérant pas correctement le risque de défaut futur. Et ce retournement du crédit conduit à approfondir la crise économique puisque, volontairement pour réduire leur endettement ou involontairement parce qu’ils obtiennent moins de crédit qu’ils ne le désirent, les ménages consomment moins et les entreprises réduisent leurs investissements comme leur Besoin en Fonds de Roulement. Puis, ce phénomène s’auto-entretient, puisque, à son tour, cette moindre demande réduit plus fortement encore la croissance et contraint d’autres agents économiques, en augmentant par conséquent leurs difficultés à rembourser leurs crédits.

Ajoutons encore que la crise bancaire due aux dévalorisations massives d’actifs au bilan des banques, impactant leurs capitaux propres et engendrant une crise de liquidité par manque de confiance entre les banques elles-mêmes, réduit encore les possibilités des établissements financiers de soutenir leur rythme antérieur de distribution de crédits.

Dans de nombreux pays, les pouvoirs publics réagissent afin de tenter de contrecarrer cet enchaînement fatal. Ils facilitent, par l’octroi de leur garantie, le refinancement interbancaire, et injectent des capitaux propres dans les banques qui en connaissent le besoin, afin qu’elles ne soient pas trop fortement contraintes par les ratios prudentiels dans leur offre de crédit. En France, en outre, les pouvoirs publics ont renforcé les systèmes de garantie des crédits octroyés aux entreprises par les banques ou les possibilités de cofinancement, par le biais d’OSEO, pour permettre d’éviter de voir se réduire le financement des entreprises.

Cette intervention publique nous semble parfaitement appropriée et nécessaire. Mais elle ne répond pas à un autre phénomène qui amène les banques à se méfier les unes des autres, non plus ici dans leur refinancement croisé, mais dans le maintien de leurs encours de crédit auprès des entreprises multi-bancarisées.

Les banques font face à une incertitude – qui peut être destructrice – liée à leur situation de non coordination explicite, alors qu’elles sont mutuellement concurrentes et complémentaires. Elles sont en effet concurrentes, car elles luttent pour prendre des parts de marché dans le crédit des entreprises saines ou pour réduire leurs concours à temps dans les entreprises dont la situation est fortement compromise ; mais également complémentaires, car en cas de retournement de conjoncture, si l’une des banques importantes d’une entreprise, fut-elle saine, décide de se retirer en coupant ses lignes de crédit, les autres peuvent subir des pertes sur les crédits antérieurement accordés, car l’entreprise peut alors périr par manque de financement. Aussi, chaque banque ne peut-elle juger des lignes à accorder ou à maintenir par sa seule analyse des perspectives de solvabilité de sa cliente. Elle doit intégrer dans sa décision son anticipation de ce que vont faire les autres banques.
Sans coordination organisée, l’équilibre se fait naturellement par des niveaux conventionnels, donc acceptées de facto par toutes les banques, de ratios « normaux » d’endettement et de rentabilité.

Par temps troubles, comme ceux liés à un fort retournement de conjoncture, aujourd’hui aggravés encore par la puissante crise bancaire et financière, ces conventions ne sont plus stables et la prévision quant aux comportements des autres banques devient plus incertaine. Il peut alors être rationnel pour une banque, à titre individuel, craignant que les autres commencent à rationner le crédit pour une entreprise donnée, d’être la première à le faire. La somme de ces rationalités individuelles conduisant rapidement à un désastre collectif.

Or, si, en cas de problème bancaire avéré, une entreprise peut se placer sous la protection d’une procédure collective (procédure dite de sauvegarde), cette procédure n’en reste pas moins publique et peut laisser des traces, en termes de réputation. Les pouvoirs publics français ont très récemment mis au point également une possibilité de médiation auprès des banques par un médiateur désigné par le Gouvernement. C’est utile, mais ponctuel. Pourquoi, en outre, ne pas revenir autant que nécessaire, et au moins temporairement, à un mode d’organisation explicite de la coordination interbancaire – qui a été balayé par la dérégulation financière les années 80 -, le pool bancaire ? Si les pools bancaires, à l’époque, étaient, pour les banques jugés peu incitatifs à se faire concurrence et apporter les meilleures conditions de crédit aux entreprises, ils avaient l’avantage certain de réduire fortement les effets pervers de l’asymétrie d’information et de la défiance contagieuse présentés ci-dessus.

Il nous semblerait utile, voire salutaire, qu’aux côtés des indispensables interventions publiques, des solutions privées, telles que celles présentées ici, soient recherchées, pour contribuer au mieux à éviter un fort rationnement du crédit, conduisant inéluctablement sinon à une crise économique plus violente encore.
 

Pour le retour des pools bancaires – Les Echos 2009 02 04

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Banque Conjoncture Politique Economique

Sortir du cercle vicieux bancaire

La crise financière et économique conduit nombre de banques dans le monde à connaître des pertes. Or elles ne peuvent lever de nouveaux fonds propres sur le marché financier car les investisseurs craignent que la santé des banques ne se détériore encore. Afin de respecter leur ratio de solvabilité (Bâle 2), elles sont donc contraintes de réduire leurs engagements, pour les faire revenir au multiple maximum réglementaire (12.5 fois) de leurs capitaux propres. Les Etats interviennent alors en entrant directement au capital des banques, suppléant ainsi le marché, et contrecarrent ainsi au mieux un crédit crunch qui serait sinon inéluctable.

Si cet enchaînement est bien connu, Bâle 2 en provoque un autre moins bien perçu, pourtant dangereux. Même lorsque les banques ne sont pas en pertes, par gros temps elles sont conduites à réduire leurs crédits et leurs positions sur les marchés. La crise financière et économique induit en effet une augmentation de la valeur calculée des engagements au bilan des banques. Il s’agit pas en l’occurrence des engagements nominaux, mais des engagements pondérés par le risque qu’ils représentent (Risk Weighted Assets : RWA).

Ce risque est mesuré par la volatilité, pour les positions sur les marchés financiers, et par la probabilité de défaut, pour les crédits. Dans les 2 cas, le calcul du risque est fondé sur les événements du passé récent. La constatation de la baisse du prix des actifs financiers et de l’augmentation de leur volatilité accroît, en effet, la valeur des engagements pondérés par leur risque et entraîne du même coup une augmentation du niveau exigible de fonds propres. De même, la dégradation de la notation des emprunteurs due à la crise économique accroît-elle mécaniquement la valeur des crédits des banques pondérés par leur risque, donc à nouveau leur besoin de fonds propres.

Or, si parce que le marché des actions ne le permet pas comme aujourd’hui, les banques ne peuvent procéder à des augmentations de capital pour rétablir leur ratio, elles ne peuvent que réduire leurs positions sur les marchés, en vendant une partie des actifs financiers qu’elles détiennent. Ce faisant, elles aggravent la baisse des marchés et leur volatilité, provoquant ainsi une nouvelle augmentation de leur valeur en risque. De même du côté des crédits, elles ne peuvent que réduire leurs prêts, renforçant alors la gravité de la crise économique et, de fait, aggravent ainsi la fragilité des acteurs économiques, donc la valeur en risque des encours de crédits existants. C’est là que le cercle vicieux se boucle parfaitement !

Bien entendu, face à ce risque de dégradation sans fin du prix des actifs et de l’économie, les Etats ont heureusement réagi très rapidement en investissant directement au capital des banques ou en garantissant certains de leurs actifs risqués, voire en rachetant directement ces actifs.

Cela est absolument nécessaire et salutaire, mais l’action qui contribuerait à rompre ce cercle vicieux au moment même où il se forme serait de réviser d’urgence les modes de calcul des engagements en risque des banques, en faisant cesser leur inquiétante pro-cyclicité, puisqu’ils sont largement fondés sur les risques récemment constatés. Ou bien, en conservant les mêmes méthodes, de moduler de façon anticyclique le niveau de capitaux propres exigés en face des engagements ainsi calculés. Alors qu’aujourd’hui, lorsque l’économie et les marchés vont bien, avec des capitaux propres inchangés, les banques peuvent prendre de plus en plus de risque, renforçant ainsi la possibilité d’un emballement. Et inversement en cas de retournement de la conjoncture et des marchés. Il serait évidemment préférable, eu égard aux mécanismes vus ci-dessus, d’exiger progressivement plus de capitaux propres lorsque tout s’améliore et a minima un maintien au même niveau lorsque tout se dégrade comme aujourd’hui.

Cette réforme nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, nécessite un accord international (Bâle 2 en est un), alors que les Etats interviennent nationalement. C’est pourquoi aujourd’hui, la profondeur de la crise commande aux Etats d’agir sans attendre. Cependant, avec un parallélisme certain, les normes IFRS, elles-mêmes fortement pro-cycliques, ont bien été assouplies dès la fin de 2008. Or l’urgence d’une révision des normes d’exigence de capitaux propres bancaires s’impose également.

La nationalisation progressive des banques ou l’investissement à leur capital de fonds empruntés par les Etats eux-mêmes sont évidemment indispensables, mais ne peuvent être une solution de long terme. Il faut y associer a minima une réforme structurelle du calcul des Fonds Propres bancaires exigés par Bâle 2.

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Banque

La banque de détail en France : moins de croissance, plus de concurrence !

Les résultats des banques françaises sont excellents depuis plusieurs années. Et le cru 2006 n’a pas été en reste.
Le ROE (Return On Equity, c’est-à-dire le taux de rendement des capitaux propres) de l’activité banque de détail en France de nombreuses grandes banques a dépassé ces dernières années les 20%. Leurs implantations, toujours plus nombreuses sur des marchés étrangers (Asie, Europe de l’Est, Russie, Maghreb…) en pleine croissance ont apporté, en outre, une croissance vive de leurs résultats nets.

Si l’on regarde de plus près cependant, la croissance du PNB (Produit Net Bancaire, équivalent à la valeur ajoutée) issu du marché français dans la banque de détail tend fortement à se réduire. 1,6% pour le Crédit Agricole en 2006 par exemple, et la croissance sur ce marché de nombreuses banques, au premier trimestre 2007, a été proche de zéro. En fait, l’essoufflement de cette croissance, comme l’écart très élevé entre le ROE et les taux longs sans risque, conduisent à s’interroger sur la pérennité du haut niveau de la rentabilité de la banque de détail en France.

D’une part, en effet, le taux de l’OAT s’élevant approximativement à 4-4,5%, la prime de risque sur le marché de la banque de détail ressort mécaniquement à plus de 16%, ce qui ne correspond pas à la réalité, sur moyenne période, du risque de ce métier, mesuré par exemple par la volatilité de ses résultats nets ; ce qui ne traduit en rien le fait que les banques ne prendraient pas suffisamment de risques de crédit. Cette très forte rentabilité conduit ainsi depuis plusieurs années les acteurs en présence à réinvestir sur le marché français, par création de nouvelles agences, par exemple. Cela se produira tant que le ROE ne sera pas revenu à une norme plus économiquement justifiable. C’est d’ailleurs cet investissement même, par accroissement de l’offre face à une demande stable, qui conduit à pousser les marges et les prix vers le bas, et qui induira un affaiblissement progressif de la rentabilité.

D’autre part, il est important de faire l’analyse de ce que nous pouvons attendre des trois principaux facteurs structurels de croissance du marché de la banque de détail et de comprendre ainsi que ce marché sera durablement stagnant en France :

  1. la croissance démographique : elle est très faible en Europe et deviendra négative prochainement, même si en France elle continuera sa très légère progression. Or, l’évolution du nombre d’habitants est évidemment déterminant pour l’évolution du marché de la banque de détail.
  2. la croissance du PIB : la croissance potentielle du PIB en Europe plafonne durablement autour de 2%. La croissance mondiale qui oscille entre 5 et 6% est fortement tirée par des pays émergents comme la Chine, l’Inde ou la Russie. Lorsqu’un pays s’enrichit, les habitants épargnent et empruntent davantage en perspective de revenus plus élevés à l’avenir, activités qui nourrissent le chiffre d’affaires des banques. La contribution de la croissance économique sur le PNB de la banque de détail en France restera donc limitée, selon toute vraisemblance de l’ordre maximum de 3-4% l’an en valeur (inflation comprise).
  3. la modernisation et l’équipement du marché : le marché français est déjà totalement bancarisé et très bien équipé en produits bancaires ; il y a probablement peu à attendre à court- moyen terme d’une innovation qui viendrait ouvrir de larges perspectives de croissance de ce marché.

Si la pression concurrentielle restait au niveau de celle des dernières années, les impacts conjugués de ces trois facteurs conduiraient à une croissance du marché d’environ 4%, donc vers un potentiel de croissance du PNB de même ordre.

La croissance structurelle du marché n’explique donc qu’une partie de l’augmentation de la forte rentabilité des banques des dernières années. Cette dernière a eu deux autres sources, quant à elles, transitoires :

  • Le développement de la tarification a été un moteur important de l’amélioration de la rentabilité. Mais, nous atteignons maintenant les niveaux européens moyens et le consumérisme joue un rôle de plus en plus important. La conjugaison de ces deux facteurs, sans même parler de l’intensification de la concurrence, tend à limiter la croissance future de la facturation, sauf à trouver de nouveaux services avec de nouvelles valeurs ajoutées. Ajoutons que les nouvelles réglementations contribuent au tassement de la croissance de la tarification.
  • Le renforcement de la relation bancaire en a également constitué un moteur puissant. Toutes les banques ont investi dans la mise en œuvre de programmes relationnels et de gestion événementielle. Ces outils ont permis d’agir commercialement à « coup plus sûr », en travaillant mieux les bases de données et en permettant de proposer aux différents segments de clients des produits à meilleur escient, donc avec un taux de réalisation de vente beaucoup plus élevé. Ils ont permis de gagner de la productivité commerciale. Aujourd’hui, si des champs de progression subsistent dans chaque banque, l’essentiel a été réalisé.

Si les sources transitoires de croissance de la rentabilité se tarissent et si la croissance structurelle du marché reste à un niveau très modeste, alors la recherche de croissance du PNB de chaque banque ne pourra se faire qu’à partir de la conquête de parts de marché entre les différents acteurs, conquête d’ailleurs fortement désirée dans le contexte actuel de très forte rentabilité. Mais, chaque banque conduisant un raisonnement analogue, et chacune étant désireuse de continuer d’investir, dans un marché sans dynamique de croissance, les plans des différentes banques sont mutuellement incompatibles.

La résultante en est obligatoirement une forte augmentation de la pression concurrentielle -au plus grand bénéfice des clients- qui elle même pèse sur les marges et affaiblit le ROE. Ce phénomène vient à son tour accélérer le processus, conduisant à renforcer la nécessité pour chaque banque de prendre des parts de marchés, afin de tenter de compenser la baisse des marges par une augmentation du volume. Cette pression concurrentielle très accrue et cette course à la part de marché permettent aujourd’hui aux clients des banques de financer leur logement à un taux moins élevé que celui de l’emprunt d’Etat, de voir les droits d’entrée de l’assurance vie s’abaisser significativement ou encore de pouvoir obtenir ponctuellement une sur-rémunération de son épargne sur un compte à terme ou un livret boosté. La guerre des prix semble bien lancée.

Le PNB de la banque de détail, toutes banques confondues, n’augmentera probablement dès lors plus que de 0 à 2% l’an. Si l’on y ajoute la pression très forte sur la croissance du PNB engendrée par l’aplatissement de la courbe des taux, qui pourrait durer encore, le pronostic sur la croissance ne peut guère raisonnablement être très optimiste. A ce jeu, certaines banques gagneront, d’autres perdront. La concentration du monde bancaire en France, comme évidemment en Europe, n’est certainement pas achevée. La gestion plus rigoureuse encore des charges non plus. Ni la recherche d’un développement sur les marchés étrangers à fort potentiel.

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Quel Business Model pour la banque de détail ?

Stratégie : La grande distribution s’est imposée comme modèle pour la banque de détail. Mais ce modèle ne peut être que partiel, tant les banques doivent entretenir et développer une relation personnalisée et de proximité avec leurs clients.

Pour en découvrir plus sur le business model associé aux banques de détail ?

Vous trouverez ici un article paru dans les Echos en 2004.

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Normes comptables internationales

Après une décennie 1990 paradoxalement marquée par un des plus longs cycles de croissance du siècle, mais aussi par la récurrence de crises financières mal anticipées, graves et atypiques, la communauté financière internationale s’est attelée, depuis quelques années déjà, à la double tâche prométhéenne de réformer de fond en comble la communication financière des grandes entreprises et d’approfondir les règles prudentielles applicables aux banques. Le caractère concomitant de ces deux chantiers, a priori indépendants, est en réalité révélateur d’une volonté affichée d’organiser un aggiornamento, largement concerté, du langage commun et du canevas prudentiel des entreprises comme plus spécifiquement des professionnels de l’intermédiation financière.

En effet, tant l’acclimatation des normes comptables internationales (IAS ou IFRS) en Europe dès 2005, que le raffinement progressif des documents consultatifs du Comité de Bâle, deuxième du nom, au sujet de la réforme du ratio de solvabilité bancaire, participent de l’accompagnement de la mondialisation des transactions financières. Force est aujourd’hui de reconnaître que la Tour de Babel comptable, où chacun des organes nationaux de normalisation et de réglementation comptables s’enorgueillit de ses traditions et de ses pratiques, n’est plus en phase avec les exigences d’une économie financière globalisée.

De la même manière, la récurrence des crises financières de la décennie précédente, et leurs conséquences sur les institutions financières de la planète, ont cruellement souligné le caractère sans doute trop simpliste des règles prudentielles en fonds propres alors pratiquées par les banques, et mis en lumière l’urgente nécessité de les réformer, vers plus de modularité et de discrimination. Ce mouvement d’innovation et de standardisation normatif et transfrontalier, doublé de la sophistication de la couverture en fonds propres des risques bancaires, constitue un indéniable progrès vers la consolidation de l’architecture financière internationale, censée servir de garde-fou à l’incroyable densification des réseaux d’échanges et de leur corollaire, l’extension foisonnante du maillage planétaire des financements. Mais, il est très probable que les grands équilibres macro-financiers ne sortent pas indemnes de telles innovations.

Un progrès majeur

L’entrée des normes IFRS de plain-pied en Europe dès 2005, et leur acclimatation actuelle dans de nombreux pays émergents, sont de bon augure pour le processus naissant de standardisation du langage pratiqué par les financeurs et les financés internationaux, à condition qu’ils jouissent d’une taille suffisante. En effet, ce ne sont guère que les grandes entreprises cotées qui présenteront leurs comptes consolidés en Europe sous format IFRS, les autres continuant à communiquer leurs états comptables dans le respect des normes nationales. Cela dit, même limitée aux entités économiques de grande taille, l’innovation n’en demeure pas moins essentielle.

L’idée qu’une communauté de producteurs et de certificateurs d’informations financières (les comptables et commissaires aux comptes) et de consommateurs de cette même information (les analystes et, au-delà d’eux, les investisseurs) partagent des critères communs, accessibles à une échelle immédiatement globale, est assez séduisante. C’est par conséquent un référentiel normatif unique et mondialisé qui tend à s’imposer pour la production et la lecture des états comptables. Implicitement, les normes IFRS sont construites à partir du postulat de base que le destinataire final des états financiers est essentiellement l’investisseur, c’est-à-dire le bailleur de fonds, jouissant dès lors d’une primauté affichée par rapport aux autres parties prenantes (stakeholders ) que sont les salariés, les pouvoirs publics, les clients, les fournisseurs ou le public au sens large.

L’investisseur étant ainsi érigé en figure de proue du capitalisme contemporain, à la fois mondialisé, volatil, turbulent et rétif à toute forme de contrainte réelle ou nominale, il est naturel que les normes comptables mettent davantage l’accent sur une conception économique (substance over form, disent les Anglo-saxons) de la comptabilité, que sur une approche juridique (formelle) de cette dernière. En effet, les IFRS font la part belle au concept de juste valeur (fair value). Idéalement, sous IFRS, la totalité des lignes du bilan et du hors bilan devrait pouvoir être réévaluée à la juste valeur, c’est-à-dire à la valeur économique de marché, autrement dit à la valeur transactionnelle immédiate de tout actif ou passif. Si l’on n’en est pas encore là en l’état actuel de ces normes comptables internationales, elles ont eu le mérite intéressant d’acclimater la notion de juste valeur à des pratiques comptables jusque-là davantage obsédées par le principe de prudence que par celui de valorisation au prix du marché.

Ces nouvelles normes permettront, en outre, plus de transparence dans les comptes, en annihilant, par exemple, les possibilités – jusqu’alors abusivement utilisées – de pratiquer la défaisance « Canada Dry », puisque dans un certain nombre de montages le risque final restait à l’entreprise, alors qu’elle l’avait fait disparaître cosmétiquement de son bilan. Il en ira de même des « produits structurés », qui cachent des options permettant facialement de rehausser le rendement de l’actif ou d’abaisser le coût du refinancement, tout en occultant le risque réel lié à la vente implicite des options… L’élargissement du champ des IFRS, comme en atteste leur succès fulgurant dans de nombreux pays émergents, est susceptible d’être interprété comme un facilitateur d’échanges d’informations, préalable nécessaire aux transactions économiques, tant réelles que financières. Les IFRS participent sans doute, en ce sens, de la levée partielle du risque informationnel tant rédhibitoire dans certaines régions du monde. Plus au Nord, les IFRS auront sans doute pour effet d’accroître la comparabilité des bilans et d’introduire davantage de transparence dans la communication financière des grandes entreprises.

La seconde innovation concomitante, tout aussi majeure dans son esprit comme dans sa lettre, réside dans l’immense chantier que constitue la réforme du ratio de solvabilité bancaire par le Comité de Bâle II, émanation de la Banque des règlements internationaux, elle-même érigée en principal forum de discussion transfrontalier des banquiers centraux en matière de supervision et de régulation. De Cooke à MacDonough, les normes prudentielles régissant l’équipement en fonds propres des banques ont franchi un cap qualitatif considérable. En effet, entre le premier accord de capital de 1988 (dit de Bâle I) et le second attendu pour 2005-2007 (dit de Bâle II), la normalisation prudentielle, même si elle n’a guère changé d’esprit, s’est autorisé un niveau de sophistication jamais égalé jusqu’ici, et c’est sans doute une bonne chose, compte tenu de la complexité des risques bancaires sous-jacents qu’il s’agit de couvrir en capital. Ici n’est pas le lieu pour dresser une synthèse des travaux en cours au sein du Comité de Bâle ; il n’est toutefois pas superflu d’en interpréter le sens, au regard de ses contenus les plus inédits.

Co-écrit avec ANOUAR HASSOUNE
Professeur d’économie à HEC, Analyste, Standard & Poor’s.