Catégories
Banque Finance

Pour le retour des pools bancaires

La crise financière et bancaire, qui n’a pas encore connu son épilogue, a, sinon déclenché, à tout le moins accéléré la très sérieuse crise économique mondiale en cours.

Par un phénomène d’accélérateur financier, bien mis à jour par Ben Bernanke, l’actuel Président de la Fed, lorsqu’il était professeur d’économie, la crise financière peut conduire à aggraver la crise économique par le biais notamment d’une restriction de la demande comme de l’offre de crédit. Cette contraction est alors due à la baisse de la richesse des emprunteurs (dévalorisation des actifs des entreprises et des patrimoines immobiliers et en actions des ménages) et de la valeur des gages (collatéraux) que les banques peuvent prendre à l’octroi du crédit.

La crainte de la hausse du défaut des emprunteurs induite par la crise économique peut conduire également les banques à freiner leur production de crédits, anticipant avec raison qu’un ralentissement de la croissance rend plus vulnérables les emprunteurs les plus endettés, ménages comme entreprises.

Bien entendu, l’affaissement de la demande et de l’offre de crédit s’avère alors souvent d’autant plus brutal que la période précédente a été euphorique et a amené les banques et les emprunteurs à laisser s’accumuler des situations financières tendues et se développer des conditions ne rémunérant pas correctement le risque de défaut futur. Et ce retournement du crédit conduit à approfondir la crise économique puisque, volontairement pour réduire leur endettement ou involontairement parce qu’ils obtiennent moins de crédit qu’ils ne le désirent, les ménages consomment moins et les entreprises réduisent leurs investissements comme leur Besoin en Fonds de Roulement. Puis, ce phénomène s’auto-entretient, puisque, à son tour, cette moindre demande réduit plus fortement encore la croissance et contraint d’autres agents économiques, en augmentant par conséquent leurs difficultés à rembourser leurs crédits.

Ajoutons encore que la crise bancaire due aux dévalorisations massives d’actifs au bilan des banques, impactant leurs capitaux propres et engendrant une crise de liquidité par manque de confiance entre les banques elles-mêmes, réduit encore les possibilités des établissements financiers de soutenir leur rythme antérieur de distribution de crédits.

Dans de nombreux pays, les pouvoirs publics réagissent afin de tenter de contrecarrer cet enchaînement fatal. Ils facilitent, par l’octroi de leur garantie, le refinancement interbancaire, et injectent des capitaux propres dans les banques qui en connaissent le besoin, afin qu’elles ne soient pas trop fortement contraintes par les ratios prudentiels dans leur offre de crédit. En France, en outre, les pouvoirs publics ont renforcé les systèmes de garantie des crédits octroyés aux entreprises par les banques ou les possibilités de cofinancement, par le biais d’OSEO, pour permettre d’éviter de voir se réduire le financement des entreprises.

Cette intervention publique nous semble parfaitement appropriée et nécessaire. Mais elle ne répond pas à un autre phénomène qui amène les banques à se méfier les unes des autres, non plus ici dans leur refinancement croisé, mais dans le maintien de leurs encours de crédit auprès des entreprises multi-bancarisées.

Les banques font face à une incertitude – qui peut être destructrice – liée à leur situation de non coordination explicite, alors qu’elles sont mutuellement concurrentes et complémentaires. Elles sont en effet concurrentes, car elles luttent pour prendre des parts de marché dans le crédit des entreprises saines ou pour réduire leurs concours à temps dans les entreprises dont la situation est fortement compromise ; mais également complémentaires, car en cas de retournement de conjoncture, si l’une des banques importantes d’une entreprise, fut-elle saine, décide de se retirer en coupant ses lignes de crédit, les autres peuvent subir des pertes sur les crédits antérieurement accordés, car l’entreprise peut alors périr par manque de financement. Aussi, chaque banque ne peut-elle juger des lignes à accorder ou à maintenir par sa seule analyse des perspectives de solvabilité de sa cliente. Elle doit intégrer dans sa décision son anticipation de ce que vont faire les autres banques.
Sans coordination organisée, l’équilibre se fait naturellement par des niveaux conventionnels, donc acceptées de facto par toutes les banques, de ratios « normaux » d’endettement et de rentabilité.

Par temps troubles, comme ceux liés à un fort retournement de conjoncture, aujourd’hui aggravés encore par la puissante crise bancaire et financière, ces conventions ne sont plus stables et la prévision quant aux comportements des autres banques devient plus incertaine. Il peut alors être rationnel pour une banque, à titre individuel, craignant que les autres commencent à rationner le crédit pour une entreprise donnée, d’être la première à le faire. La somme de ces rationalités individuelles conduisant rapidement à un désastre collectif.

Or, si, en cas de problème bancaire avéré, une entreprise peut se placer sous la protection d’une procédure collective (procédure dite de sauvegarde), cette procédure n’en reste pas moins publique et peut laisser des traces, en termes de réputation. Les pouvoirs publics français ont très récemment mis au point également une possibilité de médiation auprès des banques par un médiateur désigné par le Gouvernement. C’est utile, mais ponctuel. Pourquoi, en outre, ne pas revenir autant que nécessaire, et au moins temporairement, à un mode d’organisation explicite de la coordination interbancaire – qui a été balayé par la dérégulation financière les années 80 -, le pool bancaire ? Si les pools bancaires, à l’époque, étaient, pour les banques jugés peu incitatifs à se faire concurrence et apporter les meilleures conditions de crédit aux entreprises, ils avaient l’avantage certain de réduire fortement les effets pervers de l’asymétrie d’information et de la défiance contagieuse présentés ci-dessus.

Il nous semblerait utile, voire salutaire, qu’aux côtés des indispensables interventions publiques, des solutions privées, telles que celles présentées ici, soient recherchées, pour contribuer au mieux à éviter un fort rationnement du crédit, conduisant inéluctablement sinon à une crise économique plus violente encore.
 

Pour le retour des pools bancaires – Les Echos 2009 02 04

Catégories
Crise économique et financière Economie Générale Finance

La crise financière actuelle : nouveauté ou répétition de l’histoire ?

Publié dans la revue Sociétal – numéro de Printemps 2009

La première de ses formes, et la plus ancienne, est la crise de spéculation. Pourquoi les actifs patrimoniaux (actions, immobilier, or…) peuvent-ils faire l’objet de bulles spéculatives ? Parce que leur prix, au contraire de celui d’un bien ou service industriel ou commercial reproductible, ne dépend pas de leur coût de revient. C’est pourquoi leur prix peut s’éloigner fortement de leur prix de fabrication. Le prix d’un actif financier dépend donc en fait fondamentalement de la confiance que l’on place soi-même dans la chronique des revenus futurs qu’il peut engendrer, une chronique promise par son émetteur. Mais la détermination du prix dépend aussi de ce que chacun anticipe quant à la confiance des autres accordée à cette promesse. Chacun raisonnant de la sorte.

Pour peu que les informations ne soient pas bien partagées (entre le prêteur et l’emprunteur, l’actionnaire et le management, ou entre les acteurs de marchés eux-mêmes) et que le futur soit difficilement probabilisable, ces asymétries d’informations et cette incertitude fondamentale favorisent le mimétisme des acteurs.

Il est alors, en effet, très difficile de connaître la valeur fondamentale de l’actif considéré, et, de ce fait de parier sur elle. En ce cas, le sens du marché est donné par les autres, car il est le pur produit de l’expression de l’opinion majoritaire qui se dégage alors. Les acteurs s’imitent donc rationnellement, afin de tenter d’anticiper et de jouer les tendances du marché, de façon totalement autoréférentielle. Ainsi, peuvent se développer des bulles spéculatives fortes et durables. Ainsi, ces bulles crèvent-elles soudainement, avec le retournement de l’opinion majoritaire, dans un mouvement encore plus fort que celui qui a caractérisé la phase précédente.

La deuxième forme, la crise de crédit, quant à elle, vient du fait que, dans une période longue de croissance, tous (banques et emprunteurs) oublient progressivement la possibilité de survenance des crises et finissent par anticiper une expansion sans limite. Dans cette phase euphorique, le niveau de levier (dettes sur niveau de richesse ou de revenus pour les ménages ou d’actif net pour les entreprises) finit par s’accroître déraisonnablement.

La situation financière des agents économiques s’avère très vulnérable lors du retournement conjoncturel suivant. Bien souvent, pendant cette phase, les prêteurs diminuent dangereusement leur sensibilité au risque et acceptent, par le jeu concurrentiel, des marges qui ne couvriront pas le coût du risque de crédit à venir. Aussi, lorsqu’advient la crise suivante, les prêteurs (banques et marchés) reconsidèrent-ils brutalement le niveau de risque encouru, et par un effet symétrique du précédent, inversent-ils fortement leur pratique d’octroi du crédit, jusqu’à provoquer un « crédit crunch », qui va lui-même renforcer la crise économique qui l’a suscité.

Troisième forme canonique de la crise : la crise de liquidité. Lors de certains déroulements dramatiques des crises financières, une défiance contagieuse apparaît, comme dans la crise financière et bancaire que nous connaissons aujourd’hui. Cette défiance induit pour certaines banques une course fatale de leurs clients aux retraits des dépôts. Elle peut également conduire à une raréfaction, voire une disparition, de l’intention des banques de se prêter entre elles, de par la crainte de faillites bancaires en chaîne. Mais cette illiquidité du marché du financement interbancaire – sans interventions des Banques Centrales en tant que prêteurs en dernier ressort produit les faillites tant redoutées. En outre, d’autres formes d’illiquidité peuvent se produire.

Certains marchés financiers, liquides hier, peuvent se révéler soudainement illiquides, tant la notion de liquidité de marché, comme l’a analysé André Orléan, est là encore hautement autoréférentielle. Un marché n’est liquide que si tous les acteurs pensent qu’il est tel. Si une méfiance sur sa liquidité s’installe, comme sur le marché des ABS récemment par exemple, tous les acteurs se trouveront alors vendeurs pour sortir de ce marché, provoquant du même coup, de façon endogène, son illiquidité.
Ces trois types de crises s’entrelacent souvent et s’entraînent mutuellement dans une situation qui devient alors très critique. La grande crise qui s’est faite jour en 2007 est la combinaison de ces trois formes. Une bulle spéculative immobilière tout d’abord, notamment aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Espagne.

Une crise du crédit ensuite, due à une hausse dangereuse du taux d’endettement des ménages dans ces mêmes pays, et à un effet de levier très élevé des banques d’investissement, des entreprises en LBO et des hedge funds notamment. Une crise de liquidité, enfin, des marchés de produits de titrisation et du refinancement interbancaire.

La composante idiosyncratique de la crise actuelle, quant à elle, repose sur le développement rapide de la titrisation des créances bancaires, ces dernières années.

La titrisation sort du bilan des établissements de crédit des créances bancaires sur des particuliers, des entreprises, comme des collectivités locales. Ces créances sont regroupées de façon souvent hétéroclite dans des supports eux-mêmes à fort effet de levier, supports revendus à d’autres banques, aux assureurs comme à des fonds de placement, c’est-à-dire à tout un chacun.

La titrisation a donc permis un accroissement important du financement de l’économie mondiale, puisqu’elle autorisait les banques à réaliser bien davantage de crédits que si elles avaient dû les conserver à leur bilan.

Mais cette technique, réalisée sans régulation, a également incité les banques qui l’utilisaient le plus (notamment aux Etats Unis) à abaisser considérablement leur niveau de sélection des emprunteurs, puisqu’elles n’encouraient plus aucun risque après titrisation. Cela a provoqué d’importantes dépréciations d’actifs additionnels. C’est ainsi, par exemple, que les encours de crédits subprime se sont multipliés, amplifiant considérablement la crise de crédit qui s’est faite jour, après l’éclatement de la bulle immobilière.

La difficile traçabilité de ces crédits et le mélange de bons et mauvais crédits dans les mêmes supports ont, à leur tour, aggravé l’ampleur de la crise elle-même. Chacun n’ayant plus confiance dans la qualité de ce type de placements, leur liquidité s’en est trouvée en effet brutalement tarie. Cela a accru en outre, pour les pouvoirs publics, la difficulté de résoudre les problèmes ainsi soulevés.
Enfin, les agences de notations, fortes de modèles mathématiques fondés sur des hypothèses restrictives mal appréciées et sur l’analyse exclusive des séries passées, ont donné un label de qualité (note AAA) à des tranches des supports en question. Or ce label s’est révélé être de très piètre qualité au fur et à mesure du déroulement de la crise. Ces notes, qui ne visaient d’ailleurs pas le risque de liquidité, ont conduit nombre d’investisseurs, y compris bancaires, à se rassurer à bon compte et finalement à tort sur la qualité de leurs actifs financiers, sans beaucoup s’interroger sur les raisons pour lesquelles un placement coté AAA pouvait être si bien rémunéré.

L’entremêlement des trois formes canoniques de la crise financière et des éléments spécifiques de la crise actuelle explique la gravité extrême de la situation d’aujourd’hui, avec son cortège de banques en détresse, de panique des investisseurs, de « crédit crunch » en cours, et finalement de puissante crise économique. Seules les fortes actions des pouvoirs publics, au moment même où chacun doute de tous les autres, ont pu très récemment commencer à détendre quelque peu le marché interbancaire et à éviter une explosion du système financier dans son ensemble.

Reste à guetter et à tenter de contrer les conséquences économiques de la crise financière et bancaire la plus grave depuis les années 30. Et à espérer que le risque de crédit à venir sur les entreprises ne ravive pas la crise bancaire, dans un cercle vicieux qui aggraverait à nouveau la récession qui s’annonce.

Catégories
Banque Finance

Normes comptables internationales

Après une décennie 1990 paradoxalement marquée par un des plus longs cycles de croissance du siècle, mais aussi par la récurrence de crises financières mal anticipées, graves et atypiques, la communauté financière internationale s’est attelée, depuis quelques années déjà, à la double tâche prométhéenne de réformer de fond en comble la communication financière des grandes entreprises et d’approfondir les règles prudentielles applicables aux banques. Le caractère concomitant de ces deux chantiers, a priori indépendants, est en réalité révélateur d’une volonté affichée d’organiser un aggiornamento, largement concerté, du langage commun et du canevas prudentiel des entreprises comme plus spécifiquement des professionnels de l’intermédiation financière.

En effet, tant l’acclimatation des normes comptables internationales (IAS ou IFRS) en Europe dès 2005, que le raffinement progressif des documents consultatifs du Comité de Bâle, deuxième du nom, au sujet de la réforme du ratio de solvabilité bancaire, participent de l’accompagnement de la mondialisation des transactions financières. Force est aujourd’hui de reconnaître que la Tour de Babel comptable, où chacun des organes nationaux de normalisation et de réglementation comptables s’enorgueillit de ses traditions et de ses pratiques, n’est plus en phase avec les exigences d’une économie financière globalisée.

De la même manière, la récurrence des crises financières de la décennie précédente, et leurs conséquences sur les institutions financières de la planète, ont cruellement souligné le caractère sans doute trop simpliste des règles prudentielles en fonds propres alors pratiquées par les banques, et mis en lumière l’urgente nécessité de les réformer, vers plus de modularité et de discrimination. Ce mouvement d’innovation et de standardisation normatif et transfrontalier, doublé de la sophistication de la couverture en fonds propres des risques bancaires, constitue un indéniable progrès vers la consolidation de l’architecture financière internationale, censée servir de garde-fou à l’incroyable densification des réseaux d’échanges et de leur corollaire, l’extension foisonnante du maillage planétaire des financements. Mais, il est très probable que les grands équilibres macro-financiers ne sortent pas indemnes de telles innovations.

Un progrès majeur

L’entrée des normes IFRS de plain-pied en Europe dès 2005, et leur acclimatation actuelle dans de nombreux pays émergents, sont de bon augure pour le processus naissant de standardisation du langage pratiqué par les financeurs et les financés internationaux, à condition qu’ils jouissent d’une taille suffisante. En effet, ce ne sont guère que les grandes entreprises cotées qui présenteront leurs comptes consolidés en Europe sous format IFRS, les autres continuant à communiquer leurs états comptables dans le respect des normes nationales. Cela dit, même limitée aux entités économiques de grande taille, l’innovation n’en demeure pas moins essentielle.

L’idée qu’une communauté de producteurs et de certificateurs d’informations financières (les comptables et commissaires aux comptes) et de consommateurs de cette même information (les analystes et, au-delà d’eux, les investisseurs) partagent des critères communs, accessibles à une échelle immédiatement globale, est assez séduisante. C’est par conséquent un référentiel normatif unique et mondialisé qui tend à s’imposer pour la production et la lecture des états comptables. Implicitement, les normes IFRS sont construites à partir du postulat de base que le destinataire final des états financiers est essentiellement l’investisseur, c’est-à-dire le bailleur de fonds, jouissant dès lors d’une primauté affichée par rapport aux autres parties prenantes (stakeholders ) que sont les salariés, les pouvoirs publics, les clients, les fournisseurs ou le public au sens large.

L’investisseur étant ainsi érigé en figure de proue du capitalisme contemporain, à la fois mondialisé, volatil, turbulent et rétif à toute forme de contrainte réelle ou nominale, il est naturel que les normes comptables mettent davantage l’accent sur une conception économique (substance over form, disent les Anglo-saxons) de la comptabilité, que sur une approche juridique (formelle) de cette dernière. En effet, les IFRS font la part belle au concept de juste valeur (fair value). Idéalement, sous IFRS, la totalité des lignes du bilan et du hors bilan devrait pouvoir être réévaluée à la juste valeur, c’est-à-dire à la valeur économique de marché, autrement dit à la valeur transactionnelle immédiate de tout actif ou passif. Si l’on n’en est pas encore là en l’état actuel de ces normes comptables internationales, elles ont eu le mérite intéressant d’acclimater la notion de juste valeur à des pratiques comptables jusque-là davantage obsédées par le principe de prudence que par celui de valorisation au prix du marché.

Ces nouvelles normes permettront, en outre, plus de transparence dans les comptes, en annihilant, par exemple, les possibilités – jusqu’alors abusivement utilisées – de pratiquer la défaisance « Canada Dry », puisque dans un certain nombre de montages le risque final restait à l’entreprise, alors qu’elle l’avait fait disparaître cosmétiquement de son bilan. Il en ira de même des « produits structurés », qui cachent des options permettant facialement de rehausser le rendement de l’actif ou d’abaisser le coût du refinancement, tout en occultant le risque réel lié à la vente implicite des options… L’élargissement du champ des IFRS, comme en atteste leur succès fulgurant dans de nombreux pays émergents, est susceptible d’être interprété comme un facilitateur d’échanges d’informations, préalable nécessaire aux transactions économiques, tant réelles que financières. Les IFRS participent sans doute, en ce sens, de la levée partielle du risque informationnel tant rédhibitoire dans certaines régions du monde. Plus au Nord, les IFRS auront sans doute pour effet d’accroître la comparabilité des bilans et d’introduire davantage de transparence dans la communication financière des grandes entreprises.

La seconde innovation concomitante, tout aussi majeure dans son esprit comme dans sa lettre, réside dans l’immense chantier que constitue la réforme du ratio de solvabilité bancaire par le Comité de Bâle II, émanation de la Banque des règlements internationaux, elle-même érigée en principal forum de discussion transfrontalier des banquiers centraux en matière de supervision et de régulation. De Cooke à MacDonough, les normes prudentielles régissant l’équipement en fonds propres des banques ont franchi un cap qualitatif considérable. En effet, entre le premier accord de capital de 1988 (dit de Bâle I) et le second attendu pour 2005-2007 (dit de Bâle II), la normalisation prudentielle, même si elle n’a guère changé d’esprit, s’est autorisé un niveau de sophistication jamais égalé jusqu’ici, et c’est sans doute une bonne chose, compte tenu de la complexité des risques bancaires sous-jacents qu’il s’agit de couvrir en capital. Ici n’est pas le lieu pour dresser une synthèse des travaux en cours au sein du Comité de Bâle ; il n’est toutefois pas superflu d’en interpréter le sens, au regard de ses contenus les plus inédits.

Co-écrit avec ANOUAR HASSOUNE
Professeur d’économie à HEC, Analyste, Standard & Poor’s.

Catégories
Crise économique et financière Economie Générale Finance

Que faire face à l’instabilité financière ?

Les marchés financiers, indispensables au bon fonctionnement d’une économie moderne, sont régulièrement soumis à des emballements spéculatifs et à des crises qui peuvent affecter durablement la croissance. Cette instabilité est inscrite dans leur nature : l’incertitude qui pèse sur la « juste valeur » des titres est inévitable, et les prix des actifs sont déterminés par les croyances communes que se forgent les acteurs économiques. Le mimétisme, comportement qui peut être individuellement rationnel, aboutit à des erreurs collectives et à des retournements brutaux. Comment éviter ces crises, ou du moins en limiter la gravité ? Au-delà de la création, hautement souhaitable, d’une autorité financière européenne, la mise en place d’un Observatoire de l’instabilité financière pourrait permettre de dépister plus précocement les dérives et d’améliorer l’information des acteurs.

Depuis 1987, les fortes secousses financières ont contribué à accentuer, voire à provoquer, les mouvements de l’économie « réelle ».Cette instabilité accrue n’est pas sans lien avec la déré- glementation et la mondialisation de la sphère financière. Pourtant, le développement de la finance est indispensable au bon fonctionnement de l’économie dans son ensemble, puisqu’elle permet de mobiliser efficacement, grâce aux banques comme aux marchés, les ressources en capitaux des agents excédentaires en faveur des agents ayant des besoins de financement. Elle permet par exemple aux entreprises de se développer davantage en obtenant par avance l’épargne nécessaire au financement de leurs investissements, ou aux pays de financer leur croissance grâce à la mobilisation de l’épargne au niveau mondial lorsque l’épargne nationale se révèle insuffisante. Elle permet aussi de redistribuer les risques financiers (risques de taux d’intérêt, de change, de volatilité…) entre ceux qui les refusent et ceux qui acceptent de les encourir. Bref, la finance, qu’elle soit « intermédiée » (par le système bancaire) ou « désintermédiée » (grâce aux marchés financiers) est loin d’être ce mal qui pervertit la vie économique et les échanges réels.

Mais, contrairement à ce qu’affirment certaines théories faisant l’apologie béate des marchés, la finance n’assure pas de façon automatique son autorégulation, ni sa stabilité.Rien ne garantit en fait la capacité des marchés financiers à n’afficher que des « prix d’équilibre », correspondant aux « fondamentaux » économiques. Pendant les cycles de hausse des prix des actifs financiers, ces derniers ont tendance à s’élever de plus en plus au-dessus de leur valeur d’équilibre.

De même, après une phase de croissance soutenue, les crédits accordés aux ménages et aux entreprises augmentent souvent à des rythmes trop rapides en regard du taux de croissance économique, ce qui fragilise la situation financière des débiteurs. Ces deux éléments – augmentation trop vive du prix des actifs financiers et rythme trop rapide du développement du crédit – sont typiques des « bulles » spéculatives durables et dangereuses qui se sont développées ces vingt dernières années. De plus, ces phases d’euphorie financière entretiennent la croissance réelle à des niveaux tôt ou tard insoutenables. Symétriquement, lors d’un retournement de conjoncture, les mêmes mécanismes se mettent en œuvre en sens inverse, précipitant la crise et approfondissant les cycles baissiers. Au total, si la finance est indispensable à l’économie de marché décentralisée et à la croissance économique, elle ne pré- sente pas de garantie de stabilité, et se révèle même « procyclique », car elle accentue les tendances de l’économie « réelle ».

Le retour à un cloisonnement et à une réglementation administrative de la sphère financière est impossible. On ne peut pour autant faire semblant de croire que tout est parfait dans le meilleur des mondes, alors que certaines crises financières ont entraîné des drames sociaux à grande échelle. Sommes-nous alors condamnés à nous lamenter en accusant la mondialisation et la « financiarisation » de rendre inopérante toute action politique permettant de limiter cette instabilité ? Certainement pas. La voie est étroite, mais elle doit être explorée, car la stabilité financière est un bien collectif précieux.

COMMENT NAISSENT LES « BULLES »

Prétendre interdire l’utilisation de certains instruments ou fermer certains marchés est une illusion qui ne nourrit que les discours démagogiques, fondés sur l’idée d’un complot de la finance internationale. L’innovation financière ne peut être limitée : même si cela était souhaitable – ce qui n’est pas prouvé –, ce ne serait pas réaliste. De même, revenir, au plan international, à des cours de change fixés par les autorités publiques ou à des taux d’intérêts très contrôlés dans le cadre d’une finance réglementée, solutions mises en œuvre avec un certain succès dans les trente années d’après-guerre, serait aujourd’hui chimérique.

Quelles sont les raisons fondamentales de l’instabilité financière ? Dans un monde où les agents économiques sont à la fois concurrentiels et complémentaires, et dans une économie monétaire et décentralisée, les acteurs (ménages ou entreprises) sont par construction dans l’incertitude quant à l’avenir. Il est très difficile pour une entreprise, surtout quand l’économie ne suit pas un chemin de croissance régulier, d’anticiper correctement ce que vont faire ses propres concurrents, ou les firmes d’autres secteurs, en termes d’investissement et de distribution de salaires. Il est tout aussi ardu de prévoir avec certitude le niveau de la demande des ménages, c’est-à-dire leur répartition entre consommation et épargne.

Aussi, dans les conjonctures tourmentées que nous connaissons depuis une trentaine d’années, est-il très audacieux de « probabiliser » raisonnablement les chances pour une entreprise d’obtenir tel ou tel résultat à un horizon de temps de moyen terme. Les acteurs économiques sont dans l’incertitude, et les informations qu’ils obtiennent, par les prix constatés des biens et services, sur les désirs de consommer, d’investir, d’épargner, etc. des autres agents ne sont que très imparfaites et incomplètes.

Il existe, en outre, une asymétrie d’information quasi irréductible entre l’émetteur d’actions et l’investisseur, comme entre l’emprunteur et le prêteur. Le prêteur et l’investisseur en actions ne savent pas tout ce qu’il serait possible de connaître sur l’état des entreprises concernées, ni sur les intentions immédiates ou futures de leurs dirigeants.

Il est donc difficile d’anticiper avec une certitude raisonnable par exemple le prix d’une action (ou le spread d’une obligation : écart de rendement entre un titre de créance et un titre sans risque de contrepartie de même durée. Cet écart de taux d’intérêt reflète la confiance que le marché accorde à l’emprunteur. En termes courants, le spread d’une obligation est la différence entre son taux d’intérêt avec celui des titres de dette publique de même durée : l’OAT en France, par exemple), en anticipant le devenir probable d’une entreprise et de ses résultats. Dans ces conditions, comment définir le prix d’équilibre, le « juste prix », d’un actif financier ?

De plus, le prix d’un actif financier, à la différence de celui d’un bien ou d’un service, n’est pas défini par les caractéristiques intrinsèques et immédiates de cet actif. Il ne dépend que de la confiance que l’on accorde aux promesses faites par son émetteur sur les revenus futurs (le rendement) qu’il engendrera. Or la valeur de ces promesses dépend de l’interaction de milliers de décisions présentes et futures (de l’entreprise, de ses concurrents, des autres acteurs économiques). Il est donc très difficile d’établir avec une bonne probabilité les résultats à court ou moyen terme de l’émetteur-emprunteur, donc de sa capacité à tenir ses promesses (verser un dividende, payer des intérêts…).

Poursuivons le raisonnement. Puisque les acteurs des marchés financiers n’ont pas de moyens fiables pour déterminer le « vrai » prix d’un actif, ils sont contraints de s’interroger sur la façon dont les autres acteurs évaluent cet actif. Donc, la valeur d’un titre en situation d’incertitude forte et difficilement probabilisable (on parle dans la théorie d’« incertitude radicale ») repose sur l’opinion commune que s’en font les acteurs du marché, dans un processus auto-référentiel.

C’est ainsi qu’on peut parler du mimétisme des marchés financiers, puisqu’un tel comportement, rationnel individuellement, conduit, lorsqu’il est adopté par tous, à une polarisation mimétique vers une valeur de marché « conventionnelle », fruit des regards croisés des acteurs. Ce mécanisme de formation des prix des actifs financiers aboutit dans certaines circonstances à des prix certes acceptés par tous, mais qui peuvent s’éloigner de plus en plus du prix d’équilibre. Ce dernier ne sera souvent perçu comme tel qu’a posteriori, une fois que la trajectoire du prix constaté – la « bulle » spéculative – s’est révélée erronée. Cette bulle, irrationnelle du point de vue collectif, repose sur l’agrégation de comportements individuels eux-mêmes rationnels.

LA THÉORIE DE L’AVEUGLEMENT AU DÉSASTRE

Les « croyances collectives » des acteurs des marchés sur la valeur des actifs financiers sont fragiles, et peuvent connaître des changements brutaux. Le point de retournement d’un marché financier et le moment de l’éclatement d’une bulle spéculative sont relativement imprévisibles : en effet, même si leur probabilité augmente, il faudra un événement extérieur, un fait additionnel ou une rumeur plus forte qu’une autre, pour qu’un tel déclenchement ait lieu.

On pourrait penser que plus la bulle se gonfle – plus la trajectoire du prix des actifs ou du crédit s’éloigne de la « normale » –, plus les agents devraient anticiper assez rapidement un retournement et, de fait, le provoquer. Mais tel n’est pas forcément le cas. En effet, si les interprétations et les comportements des acteurs sont rationnels, cette rationalité n’est pas absolue, parfaite et intemporelle. Elle est insérée dans un contexte constitué notamment de l’évolution économique qu’ils viennent de connaître, d’opinions partagées, et des pratiques qui régissent leur propre carrière : leur rationalité est « contextuelle ». Elle se heurte également aux limites des capacités humaines de calcul et d’optimisation, et à des biais de pensée (« biais cognitifs ») bien connus de l’économie et de la psychologie expérimentale.

Ainsi, au cours d’une longue période de croissance, il est de plus en plus difficile de « probabiliser » avec objectivité la possibilité d’un retournement de conjoncture et/ou de marché. Le seuil de sensibilité à l’avènement de la « catastrophe » (événement rare et aux conséquences importantes) monte fortement. On assiste alors à un aveuglement au désastre. On continue donc d’emprunter et de prêter, ou d’acheter des actions, comme si la croissance devait sans cesse se poursuivre, voire se renforcer. Des thèses apparaissent même opportunément pour annoncer la « fin de l’histoire » ou la disparition des cycles dans la « nouvelle » économie.

Il est difficile de résister à cette phase euphorique. D’une part, les Cassandre risquent d’encourir les railleries sous prétexte qu’ils ne comprennent pas les temps nouveaux. D’autre part, pour nombre de professionnels des marchés, il est rationnel de continuer à faire « comme si de rien n’était », eu égard au système de punition/récompense auquel ils sont soumis. Il est, en effet, normal (donc non sanctionné) de se tromper avec tout le monde, puisque l’incertitude est générale. Alors qu’il est professionnellement peu correct de se tromper seul, en sortant du marché boursier trop tôt, sans profiter des hausses à venir, ou d’engendrer une perte de part de marché en resserrant avant tout le monde les critères d’octroi de crédit, alors que le risque n’est pas encore avéré. Ces règles de punition/récompense sont elles-mêmes rationnelles de la part des dirigeants des banques ou des responsables de fonds de placement, précisément parce qu’on ne sait pas anticiper la date du retournement.

On voit que des agents individuellement rationnels peuvent, collectivement, prolonger dangereusement des phases d’euphorie, dont les réveils seront d’autant plus douloureux. Cet « aveuglement au désastre » peut symétriquement, en phase dépressive, jouer en sens inverse en prolongeant et en approfondissant la crise.

POUR UNE AUTORITÉ FINANCIÈRE EUROPÉENNE MULTIFONCTIONNELLE

Comment abaisser le degré d’instabilité financière ? Première piste : utiliser la capacité du régulateur de limiter, autant que faire se peut, l’asymétrie d’information entre l’entreprise émettrice et les actionnaires, comme entre l’emprunteur et le prêteur.

À ce titre, tous les efforts en cours pour améliorer l’information comptable vont dans le bon sens (Cependant, les nouvelles normes comptables (IAS), si elles présentent l’avantage d’assurer une harmonisation internationale, risquent d’accroître l’instabilité financière : l’application systématique de la fair value aux titres ou aux instruments financiers tels que les dérivés détenus par les entreprises et les banques contribuerait à accroître la volatilité des variables et des comportements financiers).

La responsabilisation accrue des auditeurs externes participe du même effort de transparence. De même pour la loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis (juillet 2002), ou pour la loi de sécurité financière en France (août 2003), qui permettent de mieux définir les responsabilités, notamment quant à la qualité de l’information financière et à la gouvernance des entreprises. Cette même loi, en France, crée un nouvel organe de régulation des marchés financiers, l’AMF (l’Autorité des marchés financiers), réunissant les anciens Conseil pour les marchés financiers (CMF) et Commission des opérations de Bourse (COB).

Reste qu’il est légitime de s’interroger sur l’inexistence d’une autorité de régulation au niveau européen. Dans un espace économique et monétaire unifié, ne serait-il pas souhaitable de créer une tutelle européenne des marchés financiers ? Espace économique et monétaire unifié, ne serait-il pas souhaitable de créer une tutelle européenne des marchés financiers ? Ce régulateur devrait, en outre, être multifonctionnel, et non plus spécialisé, comme aujourd’hui, par catégorie d’acteurs (l’AMF pour les marchés, la Commission bancaire pour les banques, les assureurs avec leur propre système de régulation).

En effet, d’une part, des groupes financiers se sont développés en conglomérats sur ces différents métiers et, d’autre part, le risque, tant de crédit que de marché, circule de plus en plus, de façon difficile à tracer, entre banques commerciales, assureurs et banques de financement et d’investissement. Une même autorité de régulation remplirait donc beaucoup plus efficacement à la fois le rôle de prévention des risques, celui de superviseur, et celui de producteur de règlements.

Enfin, une véritable réflexion européenne devrait être menée sur le mode de gouvernance des agences de notation (leur actionnariat, leurs relations avec leurs clients, le caractère potentiellement procyclique des changements de notation…) comme des banques d’investissement (le rôle des vendeurs de titres et des monteurs d’opérations par rapport à celui des analystes financiers…).

Mais réduire les asymétries d’information par une meilleure régulation microprudentielle n’est pas suffisant. Il faut aussi tenter d’influer sur le déroulement des crises financières pour en réduire les conséquences néfastes, et même sur la formation des croyances collectives, ou du moins sur l’information qui contribue à les forger.

UN OBSERVATOIRE POUR DÉCELER LES EMBALLEMENTS

Le premier point est du ressort des banques centrales et de leur mode de régulation macro-économique. Nous ne discuterons pas ici de leur capacité à intervenir en amont, lors de la création et du développement des bulles spéculatives – sujet abondamment discuté (Voir Philippe d’Arvisenet, « La bulle, la croissance et la Banque », Sociétal n° 43, 1er trimestre 2004 (NDLR)). Mais sous leur égide – ou mieux encore sous l’autorité du Parlement européen – pourrait être créé un Observatoire européen de l’instabilité financière, permettant de repérer les zones de fragilité de la finance internationale : les situations préoccupantes d’endettement des entreprises, les concentrations excessives du risque de crédit, les positions spéculatives dangereuses… Cet observatoire mettrait à jour les points probables de transmission de la crise, susceptibles d’entraîner le passage à un risque systémique. Il renseignerait la Banque centrale européenne sur les accumulations de situations fragiles et nourrirait sa réflexion sur ses possibilités d’intervention en amont et en aval du déclenchement de la crise.

Un tel organe serait également utile aux acteurs financiers, bancaires ou de marché, en jouant un rôle de détection et d’alerte quant aux emballements spéculatifs. S’il parvenait, avec le temps, à rendre crédibles ses méthodes et ses analyses, il contribuerait à améliorer la qualité des anticipations des agents, donc à limiter le déclenchement et l’ampleur des bulles spéculatives.

Certes, le projet peut paraître irréaliste en première instance, car si l’on savait de façon certaine le moment où un prix s’écarte de sa valeur fondamentale, de telles bulles ne se produiraient tout simplement pas. Cependant, la répétition des crises financières depuis une vingtaine d’années permet de tirer quelques leçons et l’approfondissement de l’analyse de ces crises permet d’en repérer quelques formes et enchaînements canoniques. Les travaux récents de la Banque des règlements internationaux (BRI), notamment, mettent à jour des indicateurs avancés assez fiables des bulles spéculatives, à partir d’écarts, par rapport à des trends, de certaines évolutions comme celle des prix des actifs financiers et particulièrement du ratio crédit (bancaire ou de marché) sur PIB.

L’observatoire évoqué ci-dessus pourrait, en association avec les banques centrales et la BRI, conduire des recherches en ce sens et faire connaître régulièrement le fruit de ses analyses. Il ne s’agit en aucune manière de faire des pronostics sur l’évolution du change dollar/euro ou de la Bourse, ou de telle ou telle valeur, en concurrence avec les analystes financiers ou les économistes de marché ; mais d’analyser et de tenter de déceler le moment du cycle où se trouve l’économie, le caractère plus ou moins rationnel (c’est-à-dire plus ou moins compatible avec les fondamentaux) des spreads de crédit, du niveau global de la Bourse, du volume de crédits accordé, etc.Tout cela au regard de critères macro-financiers validés théoriquement et empiriquement, mais qui ne peuvent jamais être définitifs ou certains.

Cette capacité à participer à la formation des opinions permettrait peut-être de limiter notamment l’effet de l’ « aveuglement au désastre ». Elle permettrait aussi de mieux canaliser les « conventions », les croyances collectives, en balisant les chemins compatibles avec les fondamentaux. L’emballement mimétique propre à la finance en serait ainsi peut-être réduit. On pourrait alors mieux lutter contre les sources mêmes de l’instabilité financière : l’information asymétrique, l’incertitude fondamentale des acteurs pris isolément, et le « mimétisme rationnel » qui en découle.

Retrouvez l’article ici : Sociétal n°45 – Que faire face à l’instabilité financière O.Klein

Catégories
Banque Finance

Normes comptables : pour le meilleur et pour le pire ?

Article publié dans Le journal Les Echos en 2004

Le caractère concomitant de ces deux chantiers, a priori indépendants, est en réalité révélateur d’une volonté affichée d’organiser un « aggiornamento », largement concerté, du langage commun et du canevas prudentiel des entreprises comme plus spécifiquement des professionnels de l’intermédiation financière. En effet, tant l’acclimatation des normes comptables internationales (IAS ou IFRS) en Europe dès 2005 que le raffinement progressif des documents consultatifs du Comité de Bâle, deuxième du nom, au sujet d e la réforme du ratio de solvabilité bancaire participent de l’accompagnement de la mondialisation des transactions financières.

L’entrée des normes IFRS de plain-pied en Europe dès 2005 et leur acclimatation actuelle dans de nombreux pays émergents sont de bon augure pour le processus naissant de standardisation du langage pratiqué par les financeurs et les financés internationaux. En outre, leur approche se veut plus économique, comptabilisant les éléments du bilan plutôt à leur « fair value », soit à leur valeur de marché, qu’à leur valeur historique. Ces normes ont pour ambition de permettre une transparence nettement plus forte et de garantir à l’investisseur comme au prêteur une information globalement plus fiable, donc une analyse plus juste des entreprises émettrices.

La seconde innovation concomitante, tout aussi majeure dans son esprit comme dans sa lettre, réside dans l’immense chantier que constitue la réforme du ratio de solvabilité bancaire par le Comité de Bâle II. Entre le premier accord de capital de 1988 et le second attendu pour 2005-2007, la normalisation prudentielle, même si elle n’a guère changé d’esprit, s’est autorisé un niveau de sophistication jamais égalé jusqu’ici. Le nouveau ratio de solvabilité en gestation se veut explicitement plus exhaustif, notamment par l’introduction de la couverture en capitaux propres du risque opérationnel. De surcroît, le nouvel accord de Bâle consacre le passage d’une approche forfaitaire de la quantité de capital réglementaire nécessaire à une banque (un pourcentage préfixé par nature de ses engagements), à une approche plus réelle et différenciée, fondée sur un calcul de probabilité de survenance des risques de contrepartie. Du même coup, ce nouveau ratio de solvabilité devient ainsi un quasi-outil de gestion du risque davantage qu’une simple contrainte prudentielle, notamment via l’incitation explicite à développer des instruments de « rating » interne.

Ces innovations contiennent cependant un potentiel important d’accroissement de l’instabilité macrofinancière. Les auteurs des nouvelles normes comptables, en choisissant de privilégier la comptabilité en valeur de marché, présupposent que la valeur vraie, juste, ne peut être que celle donnée par l’équilibre instantané de l’offre et de la demande, seule référence objective qui s’imposerait en transparence. Or, si l’on ne succombe pas à une vision idéologique du monde, une telle référence, si elle se justifie dans un nombre certain de cas, paraît moins évidente, moins simple et moins universelle qu’il n’y paraît en première analyse.

Au-delà même du problème posé par l’existence de nombreux actifs pour lesquels il n’existe pas de marché liquide, on peut légitimement arguer que la valeur des actifs et des passifs qui contribue à la détermination des fonds propres de l’entreprise n’est comptabilisée valablement que dès lors qu’elle s’appuie sur un prix d’équilibre, donc stable. Sans quoi la volatilité des fonds propres s’avérerait très élevée et ne pourrait que déstabiliser l’analyse de la solidité de l’entreprise, donc le jugement de ses prêteurs et de ses investisseurs.

Cette volatilité ne pourrait, en outre, que raccourcir singulièrement l’horizon de la politique qui oriente la trajectoire de l’entreprise. L’histoire longue des marchés financiers, comme celle des vingt dernières années, a clairement montré que la volatilité des prix de marché des actifs financiers était très largement supérieure à celle des fondamentaux qui sont censés les déterminer. Aussi la valeur instantanée du marché peut-elle ne pas correspondre du tout à la valeur fondamentale de l’actif en question, de par une sur ou sous-évaluation récurrente, caractéristique des marchés d’actifs patrimoniaux.

Il serait donc tout à fait légitime de différencier les modes de valorisation des actifs en fonction de l’horizon de la nature de chaque entité comptable. Il est ainsi déraisonnable et dangereux d’appliquer les mêmes normes de comptabilisation par exemple à une banque de marché _ dont l’horizon est très court et dont la valeur instantanée de marché de ses actifs et éléments de passif représente bien sa santé financière _ qu’à une banque de détail ou à un fonds de pension _ engagés sur le très long terme. Faute de quoi la norme comptable influera sur le comportement de l’entité elle-même et impliquera un « court-termisme » absolu, qui renforcera encore davantage la volatilité des marchés financiers et le caractère autoréférentiel de la formation des prix.

Donc, in fine, la fréquence et l’amplitude des bulles spéculatives comme des moments de panique. Dans le même esprit, l’application de la norme IAS 39 _ qui précise le mode de comptabilisation des instru ments de couverture _, telle que définie pour le moment, accroîtrait la volatilité des comptes des banques et les inciterait dès lors clairement à reporter le risque de taux d’intérêt sur leurs clients et à davantage titriser. Cela modifierait insidieusement et en profondeur le mode de fonctionnement du système financier européen.

L’introduction du nouveau ratio de solvabilité bancaire induit, quant à lui, un risque important de procyclicité du crédit et, via l’accélérateur financier, d’augmentation de la cyclicité de l’économie réelle elle-même. Les banques seront en effet autorisées, dans le cadre du nouvel accord de capital, à utiliser des « ratings » internes. Les études empiriques sur le sujet ont montré que les « ratings » internes des banques sont à horizon plus court que le cycle réel. Ici encore l’instabilité macrofinancière risque d’en être accrue.

En Collaboration avec M. ANOUAR HASSOUNE professeur à HEC, analyste chez Standard & Poor’s.

Catégories
Economie Générale Finance

La question de la volatilité du prix des actifs financiers

Vous trouverez ci-dessous un article paru dans les Echos en 2004.