Catégories
Banque Economie Générale Finance

J’étais l’invité de Hedwige Chevrillon pour l’émission « 12H, l’heure H» sur BFM Business. Succès de la BRED, taux bas… retrouvez mon intervention

Retrouvez l’intégralité de mon intervention à partir de 13’55 ».

Catégories
Finance Innovation

Crypto actifs – Libra de Facebook : monnaie ou colossal outil marketing ?

La Libra annoncée par Facebook n’est pas une cryptomonnaie comme les autres. Sa valeur sera adossée à un panier d’actifs qui la rendra quasiment stable. Le projet et son devenir potentiel interrogent sur les risques de désintermédiation bancaire.

L’annonce de la création d’une cryptomonnaie gérée par un conglomérat de grandes entreprises emmenées par Facebook – la Libra – relance les débats sur ces monnaies numériquement natives qui agitent nombre d’acteurs publics et privés. Economistes, régulateurs, responsables publics et acteurs de la finance s’interrogent sur les risques et les potentialités de la Libra qui, à bien y regarder, n’est pas une cryptomonnaie comme les autres.

Les « cryptos », ces monnaies qui n’en sont pas et qui relèvent d’une utopie libertarienne

Les quelque 2 000 cryptomonnaies sont-elles de vraies monnaies ? Elles procèdent, au fond, de l’utopie d’un monde dans lequel la monnaie ne serait plus nationale mais universelle, valable pour tous les pays et pour tout le monde, transférable en toute sécurité et sans coûts. Ces monnaies se passeraient d’intermédiaires, leur valeur ne pourrait être manipulable par des gouvernements ou des banques centrales. Elles seraient gérées de façon décentralisée et privée. Elles garantiraient l’anonymat des transactions, et son gardien serait non pas une banque centrale mais un algorithme supposé infaillible. Une forme d’anarcho-capitalisme…

Pour bien évaluer ce que sont les cryptomonnaies et leur instabilité potentielle, il faut revenir un instant à l’histoire de la création monétaire. Les premières monnaies bancaires étaient émises dans des quantités qui ont été des multiples de plus en plus élevés des avoirs des banques en métaux précieux, or et argent. Elles circulaient et étaient librement régulées par le jeu de l’offre et de la demande. Ce système s’est progressivement révélé profondément instable et créateur de crises financières et bancaires. Ce qui a amené à la création des banques centrales, pour homogénéiser l’espace monétaire et pour assurer le rôle de prêteur en dernier ressort lors des crises systémiques.

Dans un second temps, la monnaie a été émise non en proportion des avoirs en or ou argent, mais ex nihilo en fonction du développement de l’économie. Les banques ont créé ainsi de la monnaie en faisant crédit. Et le système a été régulé par une autorité institutionnelle externe : la banque centrale, qui, en conduisant une politique monétaire, a créé la possibilité d’une stabilité. De l’utilité des institutions et des règles.

Un actif hyper spéculatif

Les cryptomonnaies n’ont quant à elles pour contrepartie ni l’or ni l’argent, et pas davantage les besoins de l’économie puisqu’elles sont émises par des individus privés en fonction de règles qu’ils fixent arbitrairement. Ces monnaies n’en sont donc pas. Elles sont donc hautement instables. Il n’est en effet pas conceptuellement possible que tout un chacun puisse créer sa propre monnaie, alors même que pour être une monnaie, il faut qu’elle soit reconnue par tous comme un moyen de paiement qui libère de la dette celui qui s’en sert afin de régler autrui. Si chacun pouvait être émetteur de sa propre « monnaie », chacune de ces « monnaies » ne pourrait en aucun cas recevoir la confiance de tous les autres, pour être acceptée par l’ensemble des agents économiques comme moyen de paiement libératoire. La valeur de ces « monnaies » varie ainsi de façon totalement spéculative, voire erratique, sans la base d’une confiance due au rôle institutionnel des émetteurs. Les cryptomonnaies ne sont donc pas des monnaies mais au fond des actifs hyper spéculatifs, comme le monde financier en crée de temps en temps lorsqu’il s’échappe complètement de l’économie réelle.

Pour autant, si ces pseudo-monnaies ne contribuent pas au bien commun, comme le dit Jean Tirole, la technologie de cryptage sur laquelle elles reposent, la blockchain, ouvre un champ des possibles technologiques intéressant.

Un OVNI sur la planète Crypto : la Libra

La Libra est différente des autres cryptomonnaies pour deux raisons majeures. Le nombre potentiel d’utilisateurs, tout d’abord. Avec 2,4 milliards de comptes, Facebook est en capacité de convertir un nombre considérable de « fidèles ». Cette cryptomonnaie peut donc éventuellement être rapidement massivement utilisée.

De plus, et contrairement aux autres cryptomonnaies, la valeur de la Libra sera adossée à un panier de monnaies et d’actifs souverains – sur la base ou sur le principe du 1 pour 1 – qui la rendra quasiment stable. Chaque Libra créée aura sa contrepartie. Facebook ne frappera donc pas monnaie, au sens pur du terme. Tout se passera alors comme s’il s’agissait d’un « currency board », ou d’un moyen de paiement interne à un système, comme les jetons de casino ou les boules dans l’ancien système des villages du Club Med.

Quelles conséquences pour les banques, les régulateurs, les États et les citoyens si la Libra venait à être massivement utilisée ?

Le paiement et le transfert d’argent

Si de grands acteurs du paiement et du transfert d’argent, installés ou challengers, ont décidé de faire partie de Calibra (la fondation qui gèrera la Libra), c’est parce qu’à court ou moyen terme, cette monnaie constitue pour ce marché un risque de désintermédiation pour eux. En effet, la taille et le nombre de clients des acteurs formant Calibra rendent plausible un scénario d’« ubérisation ».

Une activité de crédit et une création monétaire… un jour ?

Calibra ne frappera pas monnaie au sens strict, du fait de son adossement parfait à un panier d’actifs. Tant que le 1 pour 1 sera la règle, l’impossibilité de créer des Libra ex nihilo, ce que font les banques avec leur monnaie nationale, empêchera Calibra ou ses satellites de jouer un rôle d’établissement bancaire classique. Mais il serait par exemple tout à fait possible pour un établissement financier non bancaire de prêter des Libra en les empruntant à des particuliers ou à des entreprises. La surface des acteurs de Calibra et les 2,4 milliards de prêteurs et d’emprunteurs éventuels peuvent laisser imaginer l’importance potentielle d’un tel phénomène de shadow banking.

En outre, la fondation suisse gérant ce « currency board » pourrait fort bien, le jour où la Libra sera bien acceptée par un large public, desserrer la contrainte du 1 pour 1 qu’elle souhaite aujourd’hui s’imposer. Suivant ainsi l’exemple historique des banques vis-à-vis des métaux précieux, elle pourrait aisément commencer un jour à créer à proprement parler de la monnaie, en créant des Libra dans un multipledes quantités de devises reçues et placées en contrepartie. Ce jour-là, le monopole du droit de battre monnaie aura échappé aux nations.

Une réorientation de l’épargne au détriment du secteur privé

Que ce soit en permettant de se protéger d’un risque d’inflation ou de change dans un pays, ou de disposer d’une monnaie donnant un avantage lors d’achats, etc., la Libra pose clairement la question du risque de désintermédiation bancaire. Car la règle du 1 pour 1 implique que l’argent sorte du circuit des banques pour acheter des Libra, et que ces sommes échangées soient placées par Calibra essentiellement en dette souveraine. Ce serait alors une partie de l’épargne qui ne pourrait plus être mobilisée [localement] par les banques en faveur des agents privés de toutes tailles [au niveau national], du particulier à la grande entreprise en passant par les PME, cette épargne étant appelée en échange à financer, par l’intermédiaire de Calibra, des États « sûrs ».

Un risque pour la souveraineté des États

Les pays à monnaie faible pourraient observer une fuite vers la Libra impossible à endiguer puisque accessible partout, par tous, précipitant ainsi la dévaluation de la monnaie du pays et la fuite de l’épargne hors des frontières. Or perdre le contrôle de sa monnaie équivaut à perdre une partie de sa souveraineté.

Les services financiers gratuits relèvent du fantasme ; banquier, c’est un métier

Si Calibra s’en tenait à mettre en place une unité d’échange universelle qui permette d’acheter auprès d’un conglomérat de partenaires et de bénéficier d’avantages commerciaux, l’on pourrait imaginer que cette cryptomonnaie réponde à une partie de la promesse faite. Elle resterait gratuite et les partenaires prendraient pour eux les coûts (humains, technologiques, etc.) inhérents à la gestion de la Libra, considérant cela comme des coûts marketing. Mais, si le système Libra commence à vouloir vendre des services financiers, il est certain que les prix de ces services ne se différencieront guère de ceux des professionnels du secteur aujourd’hui.

En outre, tant pour les moyens de paiement que pour les éventuels services financiers à venir, la Libra sera l’objet de l’attention de tous les régulateurs. La seule annonce de la volonté de créer la Libra l’année prochaine a déclenché une salve de réactions et d’enquêtes par les autorités prudentielles et monétaires de tous les pays, ainsi que par le Congrès et les régulateurs américains, habituellement plutôt enclins à favoriser l’expansionnisme des GAFAM. Et si Libra respectait les régulations qui devraient s’imposer à elle, le coût en résultant ne permettrait plus la gratuité.

Une expérience client compatible avec l’univers des GAFAM ?

Ajoutons que l’« expérience client » ne correspondra en rien à l’univers que proposent les GAFAM à leurs clients, celui de l’apparente gratuité, de l’extrême facilité d’usage et de la totale instantanéité. Le client devra en effet décliner son identité avant d’ouvrir un compte Libra ou devra justifier l’origine de l’argent qu’il souhaite convertir en Libra, pour répondre au même souci de lutter contre l’argent de la drogue, du crime, du trafic d’armes, du terrorisme, comme de lutter contre la fraude fiscale, ainsi que les régulateurs l’exigent des banques.

Un respect garanti de la conformité ?

Pour autant, le système Libra, même en accord avec la régulation de chaque pays, permettrait de tels usages critiquables (blanchiment d’argent en tout genre), car il suffirait d’acheter des Libra dans des pays à régulation faible ou nulle et de les faire circuler ailleurs.

Enfin, outre toutes les autres données personnelles, déjà si nombreuses, engrangées par les réseaux sociaux notamment, confier en plus les données de paiements, de revenus et de dépenses à Libra conduirait encore davantage à produire une société où toute vie privée serait publique. Et ces données additionnelles seraient utilisées pour accroître toujours plus la pression des sollicitations commerciales, via un ciblage de plus en plus intrusif des publicités.

Rappelons que les banques en revanche assurent la confidentialité de ces données.

Des risques multidimensionnels

Certains penseront qu’il s’agit de protéger les intérêts d’opérateurs de l’« ancien monde ». Il n’en est rien. Il ne s’agit en fait que de protéger les citoyens et la stabilité monétaire et financière, c’est-à-dire in fine leur bien-être. Les protéger des risques de perte de souveraineté des États les plus fragiles, de la réorientation de l’épargne en dehors de l’économie privée, des potentialités offertes à l’industrie du crime par une monnaie non régulée, de placements hasardeux, comme de la sur-utilisation de leurs propres données à des fins commerciales ou peut-être même politiques un jour.

Il convient que tous les acteurs bancaires expliquent bien parallèlement le rôle social et économique essentiel de la banque : faire se rencontrer les capacités et les besoins de financement des uns et des autres, et de prendre pour elles-mêmes, sur leur propre compte de résultat, de façon professionnelle et régulée, les risques financiers, soit les risques de crédit, de taux d’intérêt et de liquidité, que la plupart des épargnants et des emprunteurs ne veulent prendre pour eux-mêmes. C’est ce rôle global qui permet à l’économie de financer au mieux sa croissance. Il faut bien y penser avant, le cas échéant, de laisser se produire une désintermédiation bancaire non régulée.

Retrouvez cette analyse parue dans Revue Banque ici.

Catégories
Crise économique et financière Finance

À quand la prochaine crise financière ?

Table ronde avec Lorenzo BINI SMAGHI, Président du Conseil d’Administration de la Société Générale et ancien membre du directoire de la BCE ; Charles CALOMIRIS, Professeur, Financial Institutions à la Columbia University ; Antoine LISSOWSKI, Directeur général de la CNP ; Shubhada RAO, Chef économiste à Yes Bank ; Wilfried VERSTRAETE, Président du Directoire d’Euler Hermes et Olivier KLEIN, Directeur Général de la BRED et professeur d’économie financière à HEC.

La grande crise financière précédente a entraîné un risque déflationniste justifiant les politiques monétaires non-conventionnelles, avec des taux courts à zéro, voire négatifs, et des taux longs tendant vers zéro grâce au Quantitative Easing. Fixer les taux d’intérêt long terme en dessous du taux de croissance nominal a pour effet d’aider les acteurs surendettés à retrouver une santé financière plus aisément. Cela permet aussi, parallèlement et conjointement, de relancer l’économie.

Depuis quelques années, nous sommes sortis du risque déflationniste, avec un indéniable regain de croissance et une nette reprise du crédit, bien que plus tôt aux États-Unis que dans la zone euro, même si récemment des signes de ralentissement sont apparus , représentatifs d’un retournement classique du cycle économique .

Le maintien d’une politique monétaire très accommodante, et même exceptionnelle n’a plus lieu d’être dès lors qu’il n’existe plus de risque déflationniste. Aux Etats-Unis, on a certes un peu infléchi cette politique, la Fed ayant commencé à remonter ses taux directeurs depuis 2016 et à sortir progressivement du Quantitative Easing depuis 2017. En zone euro, depuis fin 2018, les achats nets de titres liés au Quantitative Easing ont cessé, le bilan de la BCE ayant été ainsi stabilisé et non diminué, mais ses taux directeurs sont restés inchangés à des niveaux égaux à zéro et même négatifs.
En outre, on annonce aujourd’hui, tant aux États-Unis que dans la zone euro, que l’on pourrait revenir à des baisses de taux et reprendre éventuellement les achats nets du QE.

Pourquoi ?

Parce que l’inflation n’est pas au niveau souhaité, disent les banques centrales. Le sera-t-elle à court terme ? Ce n’est pas le débat ici, mais ce n’est pas évident. Les effets de la mondialisation, de la révolution technologique, ainsi que les modes actuels de régulation du marché du travail semblent pousser au fort aplatissement de la courbe de Phillips. Si l’inflation ne devait pas significativement remonter, pourrait-on poursuivre très longtemps cet objectif, par des taux courts et longs proches de zéro ou négatifs ?

Plus vraisemblablement, la raison tacite des banques centrales d’agir ainsi tient au fait qu’elles appréhendent une remontée des taux qui poserait de sérieux problèmes d’insolvabilité au secteur privé. Mais aussi au secteur public, un sujet de dominance fiscale apparaissant donc, puisque les banques centrales semblent contraintes de ne pas compromettre la solvabilité des États.

Ajoutons aussi actuellement la crainte affichée d’un retournement de conjoncture qui expliquerait en outre le souhait des banques centrales de conduire des politiques encore plus accommodantes.
De ce fait, pour toutes ces raisons, on s’accorde à dire la plupart du temps que les taux très bas sont installés pour très longtemps. C’est le low for long. Selon moi, cette situation crée un dangereux cercle vicieux, car conserver trop longtemps des taux d’intérêt nominaux inférieurs au taux de croissance nominal n’aide pas les acteurs économiques à se désendetter, mais les incite au contraire à poursuivre leur endettement. Et cela pousse les emprunteurs, d’une part, et les épargnants et les investisseurs institutionnels, d’autre part, à prendre des risques de plus en plus inconsidérés, pour les uns, quant à leur structure financière et, pour les autres, pour trouver, coûte que coûte , un peu de rendement.

Cela conduit directement à une instabilité financière accrue, donc à un risque de crise financière accru. Si l’on étudie de façon historique et analytique toutes les crises financières, l’on peut identifier aujourd’hui très clairement les signaux annonciateurs d’un cycle financier assez mûr, qui peut conduire tôt ou tard, même si on ne sait évidemment jamais exactement quand, au retour d’une crise financière potentiellement importante.

Les trois formes canoniques des crises  financières systémiques sont la crise liée à l’éclatement de bulles spéculatives sur les actifs patrimoniaux (actions, immobilier), la crise liée à l’éclatement d’une bulle de crédit et la crise de liquidité. Les trois formes de crises pouvant bien entendu se combiner entre elles. D’où la crise pourrait-elle venir cette fois-ci ? Sans doute pas d’une bulle sur les marchés boursiers. Les PER ne sont pas excessifs par rapport à leurs tendances passées, même si les indices battent leurs records et si certains secteurs semblent surévalués. Il ne semble pas non plus que la bulle immobilière, facilitée par les taux d’intérêt extrêmement bas, ait été un problème extrêmement grave jusqu’alors. Malgré tout, les prix immobiliers continuent de monter, alors que, même corrigés de l’indice des prix général, ils sont revenus dans beaucoup de pays à des niveaux proches ou supérieurs à ceux de l’avant crise. Crise elle-même déclenchée en 2007 par l’éclatement d’une bulle immobilière liée à une bulle de crédit.
Mais surtout, aujourd’hui, ce qui est inquiétant, c’est la bulle de crédit elle-même. Elle n’est pas spécifiquement bancaire, car elle concerne toute forme d’endettement permis également par tous les investisseurs financiers, fonds de placement, assureurs, fonds de retraite… Le taux d’endettement global mondial a beaucoup augmenté, y compris pendant ces 10 dernières années, depuis la grande crise. Comme nous l’avons dit, cela a été facilité par des taux d’intérêt trop longtemps trop bas par rapport au taux de croissance nominal. Ainsi, par exemplel’endettement mondial, tous acteurs confondus, publics et privés, s’élevait à environ 190 % en 2001, 200 % en 2008 et à 230 % en 2018 du PIB mondial (source : BRI). Les pays avancés sont eux-mêmes passés d’environ 200% en 2001, à 240% en 2008 et à 265% en 2018.

On n’a donc pas connu de désendettement global, y compris dans les pays de l’OCDE, mais un désendettement pour certains agents économiques et dans certains pays.

Mais ce taux d’endettement global plus élevé n’est pas le seul facteur à faire craindre la prochaine crise. Il s’est en effet accompagné, comme à chaque fois lors de chaque phase identique du cycle financier, d’une prise de risque de plus en plus forte, tant de la part des emprunteurs que des investisseurs. Ces derniers, épargnants ou investisseurs institutionnels (représentants la plupart du temps des épargnants), cherchant un peu de rendement, malgré une structure des taux d’intérêt écrasée vers zéro. Il est, il est vrai, difficile d’offrir des rendements négatifs à des épargnants. Donc, les caisses de retraite, les assureurs, les fonds de placement, les banques essaient de bonne foi de trouver des obligations et des crédits un peu rémunérateurs.

On est ainsi en pleine phase euphorique du cycle de crédit, au sens où les acteurs font fi du risque, espérant que les taux d’intérêt restent durablement bas et que la croissance sera éternelle, pour que les risques pris ne soient pas avérés. Ce type de phase est bien repéré historiquement, et le cycle est même, semble-t-il, bien mûr. Les prêts aux entreprises sont ainsi accordés à des firmes de moins en moins solvables, ce qui, par retour, accroît leur fragilité financière. Les prêts et crédits sont de plus en plus longs, de plus en plus illiquides. Les prêts sont accordés de plus en plus in fine, c’est à dire avec un principal remboursable à l’échéance finale, sans amortissement régulier. Une aberration pour le prêteur comme pour l’emprunteur, dès lors que l’emprunteur ne peut répéter cela annuellement de par sa taille moyenne et « joue » sa capacité à renouveler son emprunt sur les conditions financières plus ou moins favorables à l’échéance de son prêt ou crédit. Mais tout le monde en contracte de plus en plus.

C’est également toujours davantage de levier, naturellement, augmentant dangereusement intrinsèquement le risque financier de l´entreprise. Les « collatéraux », soit les garanties, ont fortement baissé en nombre et en qualité depuis quelques années. Quant aux « covenants », ce qui permet de donner contractuellement des limites au ratio d’endettement sur capitaux propres ou sur « EBIT », ils ont été totalement dénaturés. Aujourd’hui, il existe en effet encore assez souvent des covenants, mais comme ils sont fixés à des niveaux tellement peu contraignants, cela revient à donner une limite qui tend vers l’infini. Dans le même temps, les primes de risque ont considérablement baissé, ce qui augmente encore davantage la vulnérabilité des prêteurs.

Ainsi, les banques, les caisses de retraite, les fonds de placement, les assureurs ont commencé à engranger des actifs beaucoup plus illiquides, beaucoup plus risqués, avec des primes de risque beaucoup plus basses. Et les emprunteurs ont commencé depuis plusieurs années à augmenter leur levier, à recourir à des prêts de plus en plus longs et in fine, avec de moins en moins de contraintes financières imposées par les prêteurs, donc à fragiliser leur situation financière.

Alors, quels sont les facteurs susceptibles de faire éclater la bulle ? Bien sûr, tout le monde évoque la remontée des taux d’intérêt. Et comme l’on estime que l’inflation, donc les taux d’intérêt ne remonteront pas de sitôt, on peut finalement penser qu’il ne se produira pas de crise financière.
Je ne le crois pas.

Effectivement, une remontée des taux d’intérêt serait préjudiciable à beaucoup d’acteurs, y compris et en premier lieu aux entreprises « zombies », celles précisément qui seraient insolvables si les taux revenaient à la normale. Rappelons que dans l’OCDE elles représentaient 1 % des entreprises en 1990, 5 % en 2000, 12 % en 2016.

Mais le risque ne vient pas seulement d’une potentielle augmentation des taux qui ne se profile peut-être pas à l’horizon. Il peut venir aussi d’un ralentissement fort de la croissance, car on aurait ainsi une coïncidence entre cycles financiers et cycles réels. Quand cela se produit, la crise bat son plein et l’on assiste alors à une crise systémique. A son tour, un ralentissement prononcé peut provenir d’autres causes que d’une remontée des taux. Des causes géopolitiques peuvent survenir, par exemple. Lorenzo Bini Smaghi a évoqué à ce sujet plusieurs possibilités, ou tout simplement un fort ralentissement peut être dû au cycle classique de l’investissement, productif ou immobilier.

Un fort ralentissement de la croissance provoque une baisse des recettes et des cash-flows. Il devient donc plus difficile de rembourser la dette, tant pour les États que pour les entreprises. Ce même ralentissement induit une hausse des primes de risque, donc une valeur des dettes qui se déprécie brutalement. Et un effet richesse négatif qui accroît la dépression.

Le problème de la dépréciation brutale des actifs est sans doute moindre pour les assureurs et les fonds de retraite, parce que l’argent est en principe bloqué sur le long terme (même si cette caractéristique est aujourd’hui moins vraie pour les assureurs vie en France), et de par la protection des règles comptables spécifiques notamment aux assureurs. Enfin, les règles prudentielles (Solvency 2) des assureurs les protègent davantage contre un risque de ce genre. Mais ce risque est beaucoup plus important pour les fonds de placement qui verraient , en cas de retournement significatif de la conjoncture, se dégrader brutalement la note de ce qu’ils détiennent, ce qui pourrait les conduire à vendre précipitamment et tous en même temps. Et, en cas de dépréciation brutale de la valeur des actifs détenus, un retrait des investisseurs dans les fonds pourrait être précipité. De surcroît, les fonds proposent en général la liquidité à leurs investisseurs, mais achètent de plus en plus d’actifs illiquides. Et j’espère, que les « fund runs », comme on vient d’en voir quelques-uns dans un passé tout récent, ne sont pas annonciateurs de la prochaine crise qui pourrait venir.

Les banques pour leur part sont bien mieux capitalisées qu’auparavant, donc, selon moi, moins risquées. Et elles sont mieux protégées contre le risque de liquidité de par le ratio (LCR) qu’elles doivent respecter à ce sujet.

Le prochain risque de crise financière majeure viendra plutôt, à mon sens, du shadow banking, au sens large du terme. D’autant plus que les politiques macro-prudentielles qui sont censées lutter contre le risque de montée de l’instabilité financière, à supposer même qu’à elles-seules elles puissent le contenir par le maniement contracyclique des ratios prudentiels bancaires, ne s’adressent précisément qu’aux banques. Or, la part de la finance ne passant pas par les banques n’a cessé de monter.

Ajoutons que la structure de la courbe des taux avec des taux écrasés vers zéro, et avec parfois même des taux interbancaires ou de dépôts à la Banque centrale inférieurs à zéro et des taux longs très proches ou inférieurs à zéro, comme en zone euro, fragilise progressivement les banques. Elles seront d’ailleurs peu à peu, de ce fait, moins aptes à prêter au même rythme. Toutefois cela devrait se faire sentir à horizon de quelques années, pas avant. A court terme, les banques sont indéniablement mieux sécurisées que précédemment.

Pour conclure, le danger est que les banques centrales, qui ont lutté contre des risques catastrophiques avec des instruments très innovants à très juste titre, veuillent utiliser ces mêmes armes pour faire face aux seuls retournements conjoncturels et/ou pour protéger trop longtemps les acteurs très endettés. Le régime de politique monétaire peut être l’un des déterminants importants de la dynamique du cycle financier. Donc, si la politique monétaire réagissait, de façon appropriée, très agressivement à l’avènement d’une crise systémique, mais qu’elle restait ultra accommodante pendant la phase ascendante du cycle, cela conduirait alors durablement à des taux d’intérêts proches de zéro et à la montée de l’instabilité financière. Dans ce cas, cela retarderait sans doute la prochaine crise financière, mais augmenterait considérablement sa puissance, en laissant simultanément une politique monétaire bien moins opérante pour y faire face.

Catégories
Finance

La cryptomonnaie Libra – mon intervention sur BFM Business

Retrouvez l’intégralité de mon intervention ici :
https://www.bfmtv.com/static/nxt-video/embed-playerBridge.html?video=6050668168001&account=876450612001

Catégories
Banque Finance

La planète finance ou la finance de l’économie réelle

Retrouvez mon intervention sur le rôle essentiel des banques régionales lors d’un colloque organisé par l’Institut des hautes études de l’aménagement des territoires (Ihedate) en février 2019, ayant pour thème « Acteurs, logiques et territoires de la finance ».

A travers ce titre, « la planète finance ou la finance de l’économie réelle », mon discours n’est pas de défendre en lobbyiste le système bancaire mais d’expliquer l’utilité de la banque commerciale. Mais aussi d’expliquer qu’il existe, notamment en France, deux modèles bancaires, chacun d’eux ayant son intérêt et son utilité, bien qu’ils ne soient pas identiques.

Il y a d’un côté les banques ayant un modèle centralisé, telle que BNP Paribas ou Société Générale par exemple. Ces groupes sont cotés en Bourse.

Et de l’autre, un modèle différent qui est celui des banques coopératives ou mutualistes qui regroupent le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole et BPCE, réunissant les Banques Populaires et les Caisses d’Épargne. Ces groupes ont une organisation différente, puisque dans chaque région, sur chaque territoire, une banque de plein exercice à leur enseigne y opère. La gouvernance y est en outre singulière. Chacune de ces banques régionales a un conseil d’administration ou un conseil de surveillance, local, qui contrôle son exécutif. Chaque banque régionale a ses sociétaires qui détiennent le capital de la banque. De surcroît, ce sont les banques régionales qui sont actionnaires de l’organe central au sein des groupes coopératifs ou mutualistes.

Ce système a pris régulièrement des parts de marché en France et affiche des ratios de gestion très performants.

La proximité relationnelle, décisionnelle et managériale des banques coopératives

Quelles sont alors les raisons fondamentales pour lesquelles le système des banques régionales se développe bien dans le métier de la banque de détail ? Ces raisons en sont assez simples.

La première, c’est la proximité décisionnelle. Dans les banques régionales, la décision de crédit, même la plus importante, est prise localement, dans la région. Les entreprises aiment aussi travailler avec des banques dont les centres de décision sont sur leur territoire.

La proximité managériale est également, à mon sens, un atout puissant, dont on parle pourtant trop peu. Dans les banques coopératives, les dirigeants et les cadres sont souvent dans la région pour longtemps. Ils participent à l’effort d’explication de la stratégie de la banque. Les décisions d’organisation de la banque sont également prises au plus près des collaborateurs. Cette proximité managériale est cruciale car la banque de détail est un métier de services. La capacité à mobiliser les équipes au profit des clients fait toute la différence. La mobilisation que l’on est capable de fournir est un des facteurs sensibles de différenciation des résultats.

Le troisième point qui me semble tout aussi fondamental est la proximité relationnelle. Elle s’exprime de façon multiple. La relation qui s’établit entre le client et la banque doit être durable. Elle conditionne notre capacité à bien faire notre métier de conseil, à fidéliser et à être durablement rentable. Pour répondre aux banques en ligne « low cost » qui faisaient encore il y a peu la une des journaux, la BRED a adopté le slogan « la Banque sans distance » : on peut travailler à distance, par téléphone ou courriel si le client ne veut plus ou ne peut pas venir à l’agence, mais il peut toujours y venir s’il le souhaite. Et toujours avec son conseiller dédié. On abolit les distances physiques. Mais on abolit aussi les distances relationnelles ; on ne met pas le client à distance. Et l’on tente de lui apporter de la valeur ajoutée, en lui procurant le meilleur conseil possible, le plus approprié. La proximité relationnelle se retrouve également à travers des réseaux d’agences plus denses. Les parts de marché en banque de détail sont aussi révélatrices de la densité des réseaux d’agences. Cela ne se dément pas. Enfin, le sens du long terme dans la relation entretenue entre le client et sa banque participe de la proximité relationnelle.

Cette proximité relationnelle s’entend aussi plus globalement. La congruence entre la banque et sa région, ses territoires, est essentielle. Si nous faisons bien notre métier, nous favorisons la croissance du territoire. Les banques coopératives sont ainsi en symbiose avec leur territoire. Si la région va bien, la banque va bien. Et réciproquement. L’intérêt du territoire et de la banque est convergent. Enfin, toutes les banques régionales sont d’une manière ou d’une autre engagées sociétalement sur chacun des territoires. Certaines choisissent le sport, d’autres la culture, l’éducation, l’égalité des chances, tous facteurs d’amélioration de la cohésion sociale et de l’attractivité du territoire.

J’ajoute à cela que, par construction, toutes ces banques de plein exercice ont à leur tête des responsables entrepreneuriaux, de vrais dirigeants d’ETI bancaires. Cela contribue à l’évidence à la performance de ce type de banques.

En outre, la gouvernance des banques, comme je l’ai évoqué en introduction, est primordiale. Leur conseil est composé de sociétaires clients, vivant sur le même territoire. La gouvernance même des banques coopératives est organisée de façon à ce que non seulement on pense client, puisque ce sont nos clients qui sont à notre conseil, mais en plus, on pense région, territoire, puisque ce sont les clients de la région qui composent les membres du conseil.

Je voudrais maintenant aborder l’utilité économique des banques territoriales. Vous le savez comme moi, la France est très centralisée au regard de ses modes de décision, ses ministères, les sièges des grandes entreprises… Il en va tout autrement en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Suisse et dans bien d’autres pays encore. Les banques régionales sont importantes dans ces pays-là. Les entreprises et les grands centres de décisions y sont répartis bien davantage sur l’ensemble du territoire.

Les banques régionales, un antidote réel à la forte centralisation française

En France, les banques régionales sont un des antidotes possibles, mais réels, à la très forte centralisation.

Les banques régionales collectent l’épargne et octroient des crédits sur leurs territoires. Il est impensable d’allouer l’épargne collectée par exemple en Auvergne au financement de projets en Alsace ou l’inverse, au motif que ce serait plus rentable ici que là. C’est antinomique avec notre façon de raisonner, d’être et d’exister. Aujourd’hui, on vante les circuits courts, je ne sais pas si cela est forcément bien ou pas. Mais, en tout cas, nous assurons un circuit court. Et même la BRED qui est présente sur plusieurs territoires fonctionne ainsi sur chacun d’eux. Nous n’avons pas de réallocation au détriment de certains territoires. Il n’y a pas de fongibilité de l’épargne dans le système des banques régionales qui permettrait de déplacer et de réallouer l’épargne au détriment d’une région et en faveur d’une autre. Il est indispensable de le rappeler et de valoriser ce système, car il permet de bien soutenir et financer le tissu de PME en région.

Enfin, je souhaite revenir sur l’utilité des banques commerciales traditionnelles, coopératives ou pas. Je dis banque traditionnelle car, si elles se modernisent continuellement pour répondre  aux attentes et aux usages de leurs clients, elles continuent de faire le même métier de banque dans son essence, à savoir faire se correspondre, par leur intermédiaire, ceux (ménages comme entreprises) qui ont des capacités de financement et ceux qui ont des besoins de financement. C’est œuvrer tout simplement au financement de l’économie réelle.

Parfois, j’entends dire que les marchés financiers pourraient très bien remplacer les banques. C’est une aberration car il en résulterait surtout beaucoup d’épargne non mobilisée pour financer l’économie. Les marchés financiers fonctionnent bien pour un nombre, par construction, restreint d’acteurs économiques, tant parce que les émetteurs doivent avoir une taille suffisamment grande pour pouvoir y être référencés et emprunter que pour les épargnants qui, très majoritairement, n’ont pas les compétences nécessaires pour y faire des choix appropriés. Plus encore, les marchés financiers ne prennent pas, contrairement aux banques, les risques financiers à la place des acteurs de l’économie réelle. En effet, une très grande majorité d’acteurs disposant de capacité de financement ne peuvent pas aller sur les marchés financiers pour financer des particuliers, des professionnels et des PME, car ils ne peuvent en assurer l’analyse de crédit ni les suivre dans le temps. La banque, elle, s’est spécialisée dans le traitement d’informations permettant de le faire. Et, fait essentiel, elle supporte sur son compte de résultat les risques de crédit, de liquidité et de taux d’intérêt, qui sinon seraient encourus par les prêteurs ou les emprunteurs. La banque sert donc à prendre des risques que ne veulent pas prendre les entreprises ou les personnes physiques. Ce que ne font pas les marchés financiers. Le rôle bancaire est ainsi irréductible, que ce soit au niveau régional ou national.

Pour conclure, lorsque l’on s’attarde sur les travaux actuels, menés en particulier par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, pour redéfinir l’entreprise, repenser la gouvernance des entreprises en prenant en compte, non plus seulement les intérêts des actionnaires, mais également ceux de toutes les parties prenantes – salariés, clients, comme société -, on constate que les banques coopératives ont une modernité retrouvée, puisque par construction, leurs clients étant leurs sociétaires, et leurs représentants étant leurs administrateurs, elles intègrent dans leur mode de gouvernance même la nouvelle orientation souhaitée des entreprises. Comme nous l’avons vu enfin, elles participent pleinement à la finance territoriale, en prenant en compte l’intérêt des régions dans lesquelles elles sont inscrites.

Pour reprendre le thème général du colloque, la dynamique économique des territoires nécessite une finance de proximité. Les banques coopératives le font. Pas seules, certes. Mais c’est le cœur de leur vocation.

Catégories
Banque Finance Innovation

« Les Cryptomonnaies, une utopie anarcho-capitaliste »

Les cryptomonnaies procèdent de l’utopie d’un monde dans lequel la monnaie fonctionnerait sans intermédiaire, partout, et en garantissant l’anonymat des transactions.

Les bitcoins et les autres cryptomonnaies du même type sont-elles de vraies monnaies ? Elles procèdent, au fond, de l’utopie d’un monde dans lequel la monnaie ne serait plus nationale mais universelle, valable pour tous les pays et pour tout le monde, transférable en toute sécurité et sans coûts.

Cette monnaie se passerait d’intermédiaires, sa valeur ne pourrait être manipulable par des gouvernements ou des banques centrales. Elle serait liée à des gestions décentralisées privées. Elle garantirait l’anonymat des transactions, et son gardien serait non pas une banque centrale mais un algorithme, supposé infaillible. Une forme d’anarcho-capitalisme.

Dans les années soixante-dix, Friedrich Hayek et l’école autrichienne recommandaient de dénationaliser la monnaie, en retirant « le monopole de la création monétaire des mains des gouvernements et en laissant cette tâche à l’industrie privée ». D’une certaine manière, le développement des cryptomonnaies pourrait être en train d’exaucer ce souhait.

L’or en contrepartie

Les premières monnaies bancaires étaient émises dans des quantités qui devaient être des multiples des avoirs des banques en métaux précieux, or et argent. Elles circulaient et étaient librement régulées par le jeu de l’offre et de la demande, sans intervention étatique ou centralisée.

Dans un second temps, la monnaie a été émise non en proportion des avoirs en or ou argent, mais en fonction du développement de l’économie. On crée ainsi de la monnaie à partir du crédit. Les crédits font les dépôts. Autrement dit, ce sont toujours les banques qui créent de la monnaie. Et ce système est régulé par une autorité institutionnelle externe, la banque centrale, puisqu’il n’y a plus d’autorégulation par le jeu de la conversion possible de chaque monnaie en or ou en argent.

Ce sont les très graves crises financières survenues à la fin du XIXe siècle qui ont abouti à la création des banques centrales, après les faillites répétées des banques qui émettaient des monnaies gagées sur l’or ou les métaux précieux. La banque centrale, en homogénéisant l’espace monétaire et en jouant, le cas échéant, un rôle de prêteur en dernier ressort, a donc créé la possibilité d’une stabilité. De l’utilité des institutions et des règles.

Un actif hyperspéculatif

Les cryptomonnaies, quant à elles, n’ont pour contrepartie ni l’or ni l’argent, pas davantage les besoins de l’économie puisqu’elles sont émises par des individus privés en fonction de règles qu’ils fixent arbitrairement. On fait face, de ce fait, à un foisonnement de « monnaies » privées (plus de 1.600 !). Et l’on comprend bien que si tout un chacun peut créer ex nihilo sa « monnaie », aucune ne peut gagner la confiance nécessaire de tous pour acquérir le véritable statut de monnaie.

En outre, si le système économique reposait uniquement sur ces monnaies privées sans aucune contrainte d’émission, il ne pourrait tout simplement plus fonctionner, car il n’y aurait plus de contrainte monétaire.

Ces « monnaies » n’en sont donc pas, elles sont au mieux des actifs financiers. Pour toutes les raisons évoquées précédemment, leur valeur est extrêmement instable. Il suffit en effet que la confiance diminue pour en voir baisser drastiquement la valeur ou que, voyant leur valeur augmenter, de plus en plus d’investisseurs en acquièrent, faisant croître leur prix sans limite apparente et « dans le vide ». Des bulles spéculatives peuvent alors se former et éclater à tout moment.

Il s’agit au fond d’un actif hyperspéculatif, comme le monde financier en crée de temps en temps lorsqu’il s’échappe complètement de l’économie réelle….

Pour autant, si ces pseudo-monnaies ne contribuent pas au bien commun, comme le dit Jean Tirole, la technologie de cryptage sur lesquelles elles reposent, la blockchain, a sans doute un bel avenir devant elle et les ICO (Initial Coin Offering), sous des conditions très strictes, sont un mode de financement de projets qui élargissent la palette des possibles. Ne les confondons pas avec les cryptomonnaies elles-mêmes qui ne sont que le fruit d’une utopie potentiellement très dangereuse.

Retrouvez cette tribune parue dans Les Échos ici