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« L’entretien HEC » – replay

J’ai eu le plaisir d’être invité par Hedwige Chevrillon, Rédactrice en Chef du Grand Journal de L’Eco chez BFM Business et Vincent Beaufils, Directeur de la publication de Challenges en tant que Grand invité de l’émission « l’entretien HEC » diffusé sur BFM Business et le site internet du magazine Challenges.

Au sommaire de cette interview de nombreux sujets liés à la banque et l’économie en général.

Actualité : impact du conflit en Ukraine sur la bourse, sur les entreprises, dépendance au réseau SWIFT des banques, inflation, croissance, enjeux pour les banques centrales.

Echange avec Ada Di Marzo, Directrice générale de Bain & Company

Business : ma stratégie pour la BRED, l’investissement dans la valeur ajoutée et l’humain, le rôle du conseiller, l’intégration du digital, l’engagement pour l’égalité des chances.

Questions d’étudiants et alumni HEC dont Bertrand Badré, Fondateur du fonds Blue like an Orange et Jeremy Ghez, Professeur d’économie et d’affaires internationales : attentes vis-à-vis de la banque, économie durable, soutien à l’économie des DOM, évolution des taux d’intérêt, réglementation bancaire, enseignement, stratégie internationale.

Enfin j’ai pu présenter et partager mes réflexions sur mon essai « Crises et mutations : petites leçons bancaires » un essai publié par la Revue Banque associée aux éditions Eyrolles.

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« Crises et mutations : petites leçons bancaires » un essai publié par la Revue Banque associée aux éditions Eyrolles

J’ai le plaisir de vous donner à découvrir un extrait d’une réflexion sur le temps des mutations issu de mon livre « Crises et mutations : petites leçons bancaires » publié par la Revue Banque associée aux éditions Eyrolles :

« Arrêtons-nous un instant sur ces mouvements liés aux grandes mutations. Il faut se garder des grands coups de volant organisationnels et de l’abus du mot “rupture”, et encore davantage de celui de “disruption”, néologisme appliqué bientôt à toutes les situations mal maîtrisées. Lorsque les modes de régulation de l’économie se modifient profondément, ces évolutions ne procèdent que très peu, pour ne pas dire jamais, par saut brutal. Il s’agit, au contraire, de mouvements lents, bien que puissants, qui engendrent des mutations des modes de travail, des normes salariales comme de consommation, des technologies utilisées, etc. Ces mutations s’opèrent par tâtonnements, ajustements successifs, jusqu’à ce qu’un nouveau mode de régulation s’impose et se stabilise, dans un nouveau cycle long autorisant une phase durable de croissance régulière fondée sur de nouveaux secteurs moteurs et des organisations sociales, au sens large, remodelées. »

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Conférence sur la montée de l’instabilité financière

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Il n’y a pas d’argent magique, ou comment sortir du piège de la dette

Lors des crises graves, la politique monétaire conventionnelle et non conventionnelle joue un rôle essentiel. Elle conduit les taux d’intérêt courts et longs à des niveaux très bas, inférieurs au taux de croissance. Ces taux très bas jouent favorablement directement sur la demande, et indirectement en augmentant la valeur des actifs patrimoniaux (immobilier et actions notamment). Cette politique facilite également le désendettement en rendant la dette plus aisée à rembourser. Les « spreads » sont de même poussés à la baisse afin d’éviter qu’ils ne déclenchent un enchaînement catastrophique de faillites par une montée brutale de l’insolvabilité.

Pourtant, une telle politique monétaire menée trop longtemps peut elle-même devenir une source sérieuse de danger et un risque important pour la stabilité financière. S’il est très utile et même indispensable que les banques centrales aient adopté ce type de politiques dans ce genre de situations, de la grande crise financière à la profonde récession due aux conséquences économiques du traitement de la pandémie, on assiste en réalité à une asymétrie problématique  lorsque la croissance est de retour avec une reprise notable du crédit et que les banques centrales n’inversent que peu ou pas leur politique, en n’augmentant pas ou trop peu leurs taux d’intérêt et en ne diminuant pas ou trop peu leur politique de « Quantitative Easing ».

Dès 2017, la croissance en zone euro se rétablissait de façon satisfaisante et l’octroi du crédit avait retrouvé un rythme élevé. Cependant la politique de la BCE restait inchangée. La raison affichée en était une inflation encore trop basse, c’est-à-dire une cible d’inflation non encore atteinte. Ce qui justifiait aux yeux de la banque centrale le maintien d’une politique monétaire ultra accommodante. Mais la politique monétaire pouvait-elle la faire remonter ? L’inflation n’était-elle en effet pas structurellement et non conjoncturellement basse ? Or, en tel cas, il devenait dangereux de continuer de mener une telle politique trop longtemps car elle maintient alors des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance, donc des taux d’intérêt trop bas et ce, trop longtemps (too low for too long). Ce qui induit le retour d’un cycle financier, c’est-à-dire d’un endettement qui montait plus vite que la croissance économique, comme le retour de bulles sur les actifs patrimoniaux, et notamment sur l’immobilier et les actions. Avec un effet de boucle, comme dans tout cycle financier, car l’endettement sert aussi en ce cas à acheter ces actifs, ce qui nourrit les bulles et rend à son tour possible le fait de s’endetter davantage.

La conséquence en est, à chaque fois que les taux d’intérêt sont trop bas trop longtemps,  d’augmenter la vulnérabilité financière de l’ensemble de l’économie, avec des risques dangereusement aggravés incorporés dans les bilans, tant à l’actif des uns qu’au passif des autres.

1/ A l’actif des investisseurs financiers et/ou des épargnants

Dans une telle situation de taux d’intérêt, ces acteurs cherchent à tout prix un peu de rendement, puisque les taux d’intérêt sont trop bas. Ils vont donc prendre de plus en plus de risque à cette fin. Les primes de risque sont ainsi comprimées à leur tour de manière anormale et dangereuse, car lorsque les bulles éclatent, les « spreads » n’auront tout simplement pas couvert le coût du risque avéré. L’actif des épargnants, comme l’actif des investisseurs financiers, qui travaillent pour les épargnants (les fonds de pension, les assureurs, les fonds de placement, etc.), sont ainsi rendus vulnérables. Cela a conduit, dès avant la pandémie, à une baisse historique des rendements des placements dans les infrastructures, à des « spreads » historiquement bas sur les dettes « High yield » comme « investment grade » , à des niveaux de valorisation des entreprises en bourse ou en « private equity » très élevés, à des fonds de placement détenant de plus en plus d’actifs illiquides et/ou de maturité très longue, alors qu’ils assurent  une liquidité quotidienne de ces mêmes fonds, etc.

2/ Au passif des emprunteurs

Dans cet environnement, les emprunteurs ont tendance à trop s’endetter, puisque le coût de l’argent est faible en regard du taux de croissance, ce qui entraîne des leviers trop élevés. Avec entre autres des rachats d’actions par les sociétés elles-mêmes, notamment aux Etats-Unis. Les entreprises concernées deviennent ainsi vulnérables. Elles sont vulnérables à une baisse des cashflows liés à un ralentissement de la croissance, aussi bien qu’à une remontée des taux d’intérêt. Cela conduit ainsi à un risque fortement accru d’insolvabilité dans le futur.

La conjugaison des deux points ci-dessus provoque donc une situation de forte vulnérabilité financière globale. En outre, cette situation entraîne une croissance du nombre d’entreprises zombies, c’est-à-dire d’entreprises qui subsistent, bien qu’elles ne soient pas rentables structurellement. Elles feraient en effet faillite avec des taux d’intérêt normaux, c’est-à-dire égaux au taux de croissance nominale. Ce phénomène induit une moindre efficacité globale de l’économie et des gains de productivité affaiblis.

Le maintien de taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que de tels taux ne sont plus nécessaires pour lutter contre une croissance insuffisante de l’économie et des crédits, installe donc une situation macro-financière très risquée à long terme. Cette asymétrie de la réaction de la politique monétaire peut ainsi conduire à  de graves crises financières.

Telle était d’ailleurs la situation pré-Covid. La situation financière a ainsi tourné à la catastrophe au tout début du Covid, car la pandémie a produit une chute vertigineuse de la production et à des contractions violentes de revenus et des cash-flows pour les entreprises de plusieurs secteurs. Fin mars, la crise financière entraînée par le Covid était ainsi plus forte que celle de 2008-2009, avec une volatilité des actions deux fois plus grande, des « spreads » qui ont bondi violemment, une liquidité, notamment des fonds de placement, devenue soudainement très problématique. Heureusement, les banques centrales ont répondu extrêmement rapidement : elles ont abaissé leurs taux lorsque c’était encore possible, aux États-Unis notamment. Elles se sont mises également à acheter des dettes publiques et privées, y compris du « High yield », et parfois même des actions, en accroissant considérablement leur Quantitative Easing. Elles ont aussi adapté utilement les mesures de réglage macro-prudentiel. Les banques centrales ont ainsi permis à très juste titre de soulager en quelques semaines une situation financière catastrophique et ont soutenu les efforts des Etats en faveur de l’économie, grâce à une utilisation massive de la politique monétaire non conventionnelle.

La question va commencer à se poser, si la pandémie ne repart pas : comment peut s’envisager la sortie d’une telle politique monétaire, lorsque la croissance sera revenue de façon régulière à un niveau satisfaisant, alors que l’endettement des Etats et des entreprises a cru encore bien davantage qu’avant la pandémie ? Sans mettre fin de façon précipitée aux mesures extraordinaires de soutien des Etats et des banques centrales, il faut malgré tout réfléchir dès à présent à la sortie à terme d’une situation exceptionnelle où les Banques Centrales auront à raison suspendu transitoirement la logique du marché, en mettant entre parenthèses la contrainte monétaire portant sur les acteurs privés comme sur les Etats.

Il faudra faire face à une situation de très fort endettement de nombreux Etats mais aussi d’entreprises, et à des bulles sur les actifs patrimoniaux. Si l’on remonte alors trop rapidement les taux notamment par un retrait mal calibré des « Quantitative Eeasing », cela peut avoir un effet désastreux sur l’insolvabilité privée et publique, et entraîner un krach sur les marchés des actifs patrimoniaux, ce qui renforcerait l’insolvabilité générale. La sortie doit donc être très progressive et mesurée.

Ajoutons que, si l’inflation n’était pas qu’un phénomène transitoire (elle se renforce actuellement alors que l’on a soulevé le couvercle pesant sur les économies et que la pénurie de main d’œuvre dans de nombreux secteurs, à forte comme à faible valeur ajoutée, se fait jour de plus en plus clairement), cela poserait des questions très compliquées aux banques centrales. Devraient-elles maintenir la solvabilité des agents économiques au prix d’une inflation éventuellement incontrôlée ? Ou l’inverse ?

Mais, même si un nouveau régime inflationniste n’apparaissait pas, les banques centrales devraient-elles poursuivre leur « Quantitative Easing » à l’infini, si les Etats et les entreprises volens nolens ne se désendettaient pas ? Ce serait au prix alors d’une instabilité financière structurellement accrue, tant en termes de surendettement que de bulles de plus en plus fortes, avec les très graves risques économiques, financiers et sociaux inhérents à l’avènement inéluctable de crises en résultant. Et au prix d’un aléa moral de plus en plus élevé, les emprunteurs, privés et publics, ne craignant plus les situations de surendettement. Au prix encore d’investisseurs comprenant qu’ils détiennent à tout jamais une option gratuite de la part des banques centrales les protégeant contre les krachs et qui seraient ainsi incités à sous-pondérer durablement le prix du risque dans leurs calculs financiers. Au prix enfin d’une économie qui connaîtrait de plus en plus d’entreprises zombies, empêchant la destruction créatrice nécessaire à la croissance et entraînant une baisse durable des gains de productivité, donc, entre autres, freinant structurellement les augmentations de pouvoir d’achat non inflationnistes.

A l’horizon, le risque d’une monétisation sans limite des dettes conduirait en outre à une situation catastrophique de fuite devant la monnaie. Un système monétaire sain et efficace est, en effet, un système de règlement des dettes fiable et digne de confiance. Donc, si une solvabilité artificielle était trouvée grâce à un maintien des taux d’intérêt à un niveau durablement trop bas, le niveau d’endettement pourrait alors s’élever sans contrainte apparente, jusqu’à créer une véritable crise de confiance dans la valeur des dettes et in fine de la monnaie.

Ainsi, pour conserver leur crédibilité, donc leur efficacité, y compris lors des futures crises systémiques, les banques centrales doivent se prémunir contre le risque bien connu de « fiscal dominance ». Mais aussi contre celui de « financial market dominance ». C’est-à-dire qu’elles ne soient pas dominées par les Etats, qui pourraient souhaiter une intervention ininterrompue des banques centrales pour « garantir » leur solvabilité. Mais qu’elles ne soient pas non plus dominées par les marchés financiers. Les banques centrales doivent en effet être dans une relation stratégique avec les marchés financiers, mais elles ne doivent pas avoir peur de les canaliser autant que possible vers des plages de fluctuation soutenables, voire de contrer les représentations collectives et opinions moyennes des marchés lorsque leur mimétisme les amène à développer des bulles spéculatives. Et ce, alors même que les marchés demandent aujourd’hui toujours plus d’injections monétaires pour poursuivre leur dynamique haussière. Jérôme Powell, le Président de la Fed, disait d’ailleurs très justement récemment : « Le danger, c’est de rester coincé dans une zone où nous ne voulons pas être, sur le long terme. Ce que je redoute, c’est que certains veuillent que nous utilisions ces pouvoirs plus fréquemment, davantage que dans les seules situations de crise impérieuse ». 

Mais,à côté des politiques de banques centrales – qui doivent déjà réfléchir à la meilleure façon de sortir ultérieurement de leurs politiques ultra accommodantes-, il est nécessaire de conduire des politiques budgétaires soutenables à moyen terme. En prenant soin de ne pas provoquer de récession en agissant trop brutalement. Mais il leur faut en même temps bien expliquer qu’il ne peut y avoir d’argent magique et que les mesures prises pendant la pandémie ne peuvent être que strictement extra-ordinaires et en aucun cas poursuivies durablement. Il faut donc que les Etats mènent des politiques structurelles (investissements et réformes) qui sont indispensables pour augmenter le potentiel de croissance de leur économie. Il leur faut dès à présent expliquer qu’il est temps de se mobiliser fortement pour faciliter la croissance, par plus de travail. En France, notamment par la réforme des retraites et celle du marché du travail, alors que nombre d’entreprises font face à des goulots d’étranglement, y compris dans leurs embauches. Il s’agit là in fine de la meilleure façon de sortir progressivement du surendettement.

Les Banques Centrales ne peuvent en effet pas tout faire toutes seules et leur en demander trop peut s’avérer très dangereux. Pour l’économie, mais aussi pour leur efficacité même, lorsque cela s’avérera à nouveau nécessaire.

Bibliographie 

Olivier KLEIN : « Le rôle irréductible des banques commerciales » La revue Banque & Stratégie, avril 2021
https://www.oklein.fr/le-role-irreductible-des-banques-commerciales/

Olivier KLEIN : les voies économiques étroites de l’après Covid – Les Echos, 16 février 2021
https://www.oklein.fr/les-voies-economiques-etroites-de-lapres-covid/

Olivier KLEIN : Le non remboursement de la dette ? Un risque de perte de confiance dans la monnaie et un risque pour la société – Les Echos, 20 novembre 2020
https://www.oklein.fr/le-non-remboursement-de-la-dette-un-risque-de-perte-de-confiance-dans-la-monnaie-et-un-risque-pour-la-societe/

Olivier KLEIN : L’après confinement : ni austérité ni économie vaudoue ! – Les Echos , 14 mai 2020
https://www.oklein.fr/lapres-confinement-ni-austerite-ni-economie-vaudoue-retrouvez-la-version-complete-de-ma-tribune-publiee-dans-les-echos-du-14-mai-2020/

Olivier KLEIN : The debt issue : risk of financial instability and of a loss of trust in money – Conference EuroGroup 50, 12 décembre 2020
https://www.oklein.fr/en/the-debt-issue-risk-of-financial-instability-and-of-a-lost-of-trust-in-money/

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Pourquoi l’inflation pourrait faire son grand retour

L’après-pandémie provoque un fort rebond qui nécessite du temps pour que les circuits d’approvisionnement se remettent en place et que l’offre se réajuste. La plupart de économistes pensent en conséquence que l’inflation ne sera que transitoire. En outre, les raisons structurelles d’une inflation très basse persistent. Sont toujours à l’œuvre, en effet, la mondialisation, qui pèse sur le prix du travail et des biens et services, et la révolution technologique, qui abaisse le pouvoir de négociation des salariés peu qualifiés et qui, par la diffusion du digital comme de la robotisation, permet des gains de productivité qui freinent l’inflation. Ajoutons que depuis les années quatre-vingt, il y a décorrélation entre la croissance de la masse monétaire et l’inflation. Et depuis les années quatre-vingt-dix, une quasi-disparition de la courbe de Phillips, la montée de l’emploi n’entraînant plus la croissance des prix. Mais quelles sont les raisons pour lesquelles la poussée de l’inflation pourrait pourtant être durable ?  

Si nous envisageons l’histoire longue depuis le 19ème siècle, nous connaissons des cycles longs de régimes inflationnistes, où la conjoncture est dominée par la politique monétaire, qui lutte contre l’inflation en faisant chuter la croissance quand l’inflation accélère trop, et inversement. On observe également, en alternance, des cycles longs de basse inflation, due aux effets des mondialisations et des révolutions technologiques. A la fin du 19ème et au début du 20ème, un tel régime de basse inflation s’est installé, comme lors de ces trente dernières années. Le dernier cycle en cours a déjà une très forte longévité. Ce n’est pas une raison suffisante pour penser qu’il va prendre fin, mais cela suscite la réflexion. Aujourd’hui, en soulevant le couvercle mis sur l’économie pendant la pandémie et avec de très puissantes politiques de soutien, puis de relance, les prix remontent. Et un risque de retour d’un régime inflationniste ressurgit, risque que nous n’avions pas connu depuis longtemps.

Si la pandémie ne conduit pas « au monde d’après », elle a en effet accéléré considérablement les mutations qui étaient en cours précédemment. Et l’on constate aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, des pénuries de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, y compris dans les services à faible qualification, même si l’emploi global n’a pas retrouvé son étiage antérieur. Les salaires augmentent donc, parfois sensiblement, chez Mac Do comme dans les entreprises à forte valeur ajoutée. Pour attirer de nouveaux salariés comme pour les conserver. L’analyse macroéconomique peut ici donner de fausses indications si elle ne se concentre que sur des chiffres agrégés. Ajoutons encore que Biden souhaite, à juste titre, augmenter les petits salaires. Mais le rythme et l’intensité de ces augmentations sera déterminant. En outre, on a connu depuis quelques décennies, dans la plupart des pays de l’OCDE, une augmentation des salaires réels inférieure aux gains de productivité, soit une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés. Contribuant ainsi aux réactions populistes. Et conduisant à de possibles demandes à venir, plutôt tôt que tard, de progression plus vive des salaires.

Avec les évolutions de l’histoire longue en toile de fond et les fortes mutations économiques et de l’emploi en cours, le très fort rebond de l’économie et la montée sensible des prix en résultant pourraient, le cas échéant, et si la pandémie ne resurgit pas, enclencher une nouvelle indexation des salaires sur les prix, puis une boucle d’indexation qui pourrait ainsi entraîner le monde dans un nouveau cycle de régime inflationniste. Le coût croissant de la nécessaire transition énergétique pourra également peser sur une hausse durable des prix. Rien n’est certain, loin de là, mais le cas n’est plus à exclure.

Gageons cependant que les banques centrales, affichant ainsi leur indépendance vis-à-vis des Etats comme des marchés financiers, agiraient alors, lorsque la croissance sera revenue sur sa tendance de moyen terme, pour stopper un tel retour à un régime inflationniste. Les augmentations de taux d’intérêt qui en résulteraient seraient d’ailleurs bienvenues pour freiner les bulles spéculatives en plein développement actuellement. Mais ceux des Etats ou des entreprises qui sont très endettés devraient alors s’y préparer au mieux, en agissant structurellement sur leur trajectoire de solvabilité.

Tribune publiée dans les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-pourquoi-linflation-pourrait-faire-son-grand-retour-1329762

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COMMENT ÉVITER LE PIÈGE DE LA DETTE APRÈS LA PANDÉMIE ?


L’Article de la Revue d’Economie Financière dans son format original est à télécharger ici.
Les graphiques de l’article sont à télécharger ici.


Plus la pandémie dure, plus les États doivent soutenir l’économie – à juste titre –, notamment les entreprises dans les secteurs les plus touchés et les ménages qui en dépendent, et plus les banques centrales doivent soutenir les États en achetant leur surcroît de dette. La conséquence en est que la dette augmente. La question est donc  de savoir, dans l’après-Covid, comment l’on gérera ce fort surcroît de dette, venant après une montée mondiale de l’endettement depuis au moins deux décennies. Ainsi se construit le « piège de la dette ». Soit les banques centrales se retireront peu à peu de leur politique de quantitative easing et les taux d’intérêt longs remonteront en pouvant provoquer l’insolvabilité de nombre d’entreprises et d’États, s’ils n’ont pas redonné une trajectoire crédible à leur dette. Soit elles ne le feront pas et exacerberont les bulles financières et immobilières déjà présentes avec à terme leur éclatement et des conséquences économiques et sociales désastreuses. Et, in fine, une possible perte de confiance dans la monnaie. Quelles politiques peut-on alors mener pour éviter au mieux ce piège ?

Il y a de fausses pistes et d’autres à considérer, aucune solution n’étant évidente, ni facile.

PREMIÈRE FAUSSE PISTE

La première fausse piste est celle défendue par certains économistes énonçant qu’au fond l’endettement peut être sans limites, parce que les taux d’intérêt sont proches de zéro. Plus précisément, les taux d’intérêt nominaux étant inférieurs aux taux de croissance nominaux, la soutenabilité de la dette serait assurée. Ainsi, de facto, le niveau de la dette importerait finalement peu. Mais le modèle sous-jacent, qui est bien connu, n’est vrai que sous certaines conditions.

Quatre raisons de mettre en doute ce modèle

Première raison

Une telle situation de taux d’intérêt durablement inférieurs aux taux de croissance engendre quasi inéluctablement des cycles financiers, c’est-à-dire des bulles sur les actifs patrimoniaux (notamment actions et immobilier, mais aussi or, art, etc.), avec une tendance au surendette- ment et à des prises de risque trop fortes et sous-rémunérées chez les investisseurs (ménages comme gestionnaires d’actifs). En fin de compte, cela conduit à une vulnérabilité grandissante tant du passif des emprunteurs que de l’actif des investisseurs. Des crises financières majeures en résultent tôt ou tard, avec des conséquences économiques et sociales bien connues maintenant. En outre, ces crises abaissent la croissance potentielle de façon durable. Ces sujets étant aujourd’hui bien documentés, nous ne démontrerons pas ici ce point, explicité clairement par ailleurs. Ajoutons enfin que les politiques macroprudentielles, pour indispensables qu’elles soient, restent très insuffisantes pour contrer les cycles financiers. D’une part, parce qu’elles restent nationales et qu’il est difficile d’agir contre la compétitivité des banques de son propre pays et, d’autre part et surtout, parce qu’elles ne touchent que les banques à ce jour, alors que les dernières décennies ont vu fortement monter le poids relatif des marchés financiers dans le système de financement national et international.

Deuxième raison

Nonobstant les crises financières engendrées, les taux trop bas, trop longtemps, pèsent eux-mêmes sur le trend de croissance. Ce n’est pas toujours bien compris. D’après le modèle usuel, le taux d’intérêt naturel, calculé à partir de déterminants qui sont des variables réelles, est de plus en plus bas depuis quelques décennies. Il est même très bas ces dernières années, voire même inférieur à zéro dans la zone euro. Le taux naturel extrêmement bas, voire négatif, serait la manifestation d’une épargne supérieure à l’investissement ex ante et d’une inflation trop basse, inférieure à sa cible. Cela justifierait donc d’amener les taux effectifs toujours plus bas pour pousser l’épargne à la baisse et l’investissement à la hausse, et remonter parallèlement le taux d’inflation. Cependant, peut-être existe-t-il une anomalie dans le raisonnement. Cette idée, si elle est partiellement vraie, est aussi partiellement erronée, car le régime monétaire, c’est-à-dire la politique monétaire qui s’inscrit dans le temps long, influence en réalité aussi l’économie et la croissance sur le long terme.

Ainsi, si pendant trop longtemps, le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance, la politique monétaire influe-t-elle sur l’économie réelle de par la mauvaise allocation des capitaux qui en résulte. Certaines entreprises en effet restent en vie, alors que si les taux d’intérêt avaient été proches du taux de croissance, elles auraient été durable- ment en perte et auraient de fait disparu (ces entreprises sont appelées « zombies »). Restant en vie, elles faussent l’allocation des capitaux, perturbent la santé des entreprises saines et compétitives et empêchent le phénomène naturel de destruction/création nécessaire à tout dynamisme économique des pays développés. C’est l’une des raisons du déclin constaté des gains de productivité. En outre, les taux d’intérêt trop bas, trop longtemps, facilitent aussi l’endettement. Il est beaucoup plus facile de s’endetter quand le taux d’intérêt est durablement inférieur au taux de croissance. Et le surendettement induit conduit inéluctablement à une baisse de l’investissement, ce qui influence négativement à nouveau les gains de productivité.

Pour poursuivre notre démonstration, considérons le modèle traditionnel selon lequel une baisse des taux entraîne une baisse de l’épargne et une hausse de l’investissement, qui est valable en temps normal. En réalité, si l’on baisse les taux trop longtemps en dessous du taux de croissance, et à un niveau proche de zéro, cela provoque tôt ou tard une hausse de l’épargne. Acceptons que l’illusion monétaire puisse y jouer un rôle. On a pu le constater récemment, y compris avant la pandémie, les ménages accumulent bien davantage d’épargne pour compenser le manque d’intérêts reçus, afin d’atteindre malgré tout le capital qu’ils jugent nécessaire pour leur retraite. Ajoutons qu’afficher en permanence des taux trop bas pour longtemps finit aussi par peser sur les anticipations des entreprises. L’avenir ainsi annoncé fait entrevoir un taux de croissance nominal très faible, qui n’incite que peu à entreprendre. Sans compter, en outre, que des taux nuls ou négatifs brouillent tous les calculs économiques.

Enfin, les taux d’intérêt trop bas, trop longtemps, créant des bulles, engendrent des inégalités patrimoniales qui, outre les conséquences sociales induites, peuvent pénaliser la consommation. Ce ne sont pas les ménages dont la propension à consommer est la plus élevée qui s’enrichissent le plus.

Il y a dès lors, pour l’ensemble des raisons précitées, un piège manifeste à maintenir des taux trop bas, trop longtemps. Il faut utiliser un modèle a-monétaire et a-financier pour croire que la finance et la monnaie ne rétroagissent pas significativement sur l’économie réelle.

Pour éviter la déflation et permettre à l’économie de rebondir, il est évidemment nécessaire d’amener les taux d’intérêt en dessous des taux de croissance lors d’une crise majeure, y compris par des politiques de quantitative easing lorsque les taux d’intérêt sont déjà très bas, et notamment lors de crises de surendettement comme celle de 2007-2009. Mais les conserver très bas et en dessous du taux de croissance lorsque celle-ci est revenue, que les crédits ont retrouvé un rythme normal, etc., induit un affaiblissement structurel de la croissance, de par les mécanismes présentés ci-dessus, puis, en retour, finit par peser sur le niveau des taux d’intérêt lui-même.

Notons enfin que dans le modèle usuel, la courbe de Phillips indique que plus l’emploi s’accroît, plus l’inflation monte. Ainsi, ce même modèle indique symétriquement que, si l’inflation reste très basse, en dessous de sa cible, l’économie est encore loin du plein-emploi. C’est- à-dire que l’épargne est supérieure à l’investissement, ex ante. Ce qui indique également que le taux d’intérêt naturel, variable modélisée et non observable, est en dessous du taux d’intérêt effectif, concluant ainsi à la nécessité de pousser encore ce dernier à la baisse. Mais depuis des années et jusqu’à maintenant, la courbe de Phillips ne fonctionne plus, l’augmentation de l’emploi n’entraînant plus la hausse des prix.

Cela signifie qu’amener sans cesse les taux plus bas pendant des phases de croissance « normale », à la poursuite d’un taux d’intérêt naturel lui-même en baisse, résulterait peut-être d’une interprétation partiellement erronée. Une interprétation qui pourrait avoir des conséquences négatives sur l’économie, eu égard aux effets décrits ci-dessus. La question alors de la cible d’inflation pendant ce régime d’inflation, à un niveau inférieur, mais proche, à 2 %, se poserait avec acuité.

Nous sommes convaincus qu’une inflation trop basse est dangereuse, car elle entraîne des possibilités élevées de tomber en déflation, de par l’impossibilité alors de provoquer des ajustements souples permettant aux agents privés de réagir à une récession sans provoquer des cascades de licenciements ou de faillites. Une inflation trop basse ne permet plus, en effet, d’abaisser les taux d’intérêt réels, ni les salaires réels, facteurs pourtant d’ajustements moins douloureux économiquement et socialement. Mais, si l’inflation structurelle est très basse, significativement inférieure à 2 %, pendant une phase longue de l’économie, de par les effets de la mondialisation et de la révolution technologique, chercher à tout prix à la faire remonter, par une poli- tique monétaire en permanence ultra-accommodante, ne conduit-il pas à provoquer les effets très négatifs explicités précédemment dus à des taux d’intérêt trop longuement inférieurs aux taux de croissance ? Nous pensons qu’il est nécessaire que les banques centrales maintiennent un objectif d’inflation, c’est-à-dire un objectif d’ancrage nominal ; mais les cibles choisies doivent être adaptées au régime économique et financier de longue période en vigueur.

Troisième raison

L’idée selon laquelle les taux d’intérêt en dessous des taux de croissance assurent durablement la solvabilité des États repose sur une série d’hypothèses héroïques. Tout d’abord, l’hypothèse selon laquelle l’inflation ne reviendra pas significativement avant longtemps. L’inflation ne repartira en effet probablement pas dans l’immédiat, mais, à quelques années de là, qui sait si la politique américaine ne relancera pas l’inflation avec un déficit budgétaire très élevé, l’augmentation des salaires, etc. ? Quelle sera l’influence sur les prix d’une éventuelle reprise très forte après la Covid-19, faisant face à des goulots d’étranglement ? Quel sera l’effet de la réorganisation de certaines chaînes de production et des circuits d’approvisionnement ? Quel sera l’effet enfin du coût de la nécessaire transition énergétique sur le régime d’inflation ? Une certaine inflation serait d’ailleurs légitime et utile, dès lors qu’elle ne se transforme pas en régime inflationniste, c’est-à-dire en une indexation généralisée. Mais, si l’inflation dépassait durablement sa cible, soit les banques centrales réagiraient et, eu égard à la quantité considérable de dettes, provoqueraient des insolvabilités privées et publiques qui pourraient connaître un enchaînement catastrophique, si la trajectoire annoncée par les uns comme par les autres de la dette n’était pas maîtrisée ou pas crédible. Soit les banques centrales ne réagiraient pas et elles s’exposeraient dès lors à une dangereuse perte de crédibilité du fait de leur incapacité à maîtriser l’inflation. Elles sont en effet garantes de l’ancrage nominal, c’est-à-dire d’une inflation modérée et maîtrisée.

De plus, même sans augmentation significative et non désirée de l’inflation, lorsque les banques centrales n’achèteront plus la quasi- totalité du surcroît de dettes publiques parce que la croissance sera revenue à la normale, il faudra qu’il y ait encore des acquéreurs. L’idée selon laquelle les acheteurs seraient appétents pour acheter de la dette avec des taux d’intérêt à zéro ou négatifs paraît peu réaliste. C’est pour cela d’ailleurs que les investisseurs, particuliers comme institutionnels, nous l’avons vu, prennent des risques disproportionnés pour obtenir un peu de rendement.

Ajoutons enfin qu’il ne suffit pas que les taux d’intérêt remontent pour que l’équation usuelle indique que les conditions de la solvabilité des États ne sont pas réunies. En effet, même si les taux d’intérêt restaient encore longtemps à leur niveau d’aujourd’hui, un choc assez fort et durable pourrait faire baisser le taux de croissance lui-même et mettre ainsi en doute la trajectoire de solvabilité anticipée. Ou même un déficit public primaire durablement aggravé pourrait contrarier la solvabilité, même facilitée parallèlement par un taux d’intérêt inférieur au taux de croissance.

Donc il y a bien un piège de la dette, qu’il y ait un regain d’inflation durable et non désirée ou pas. Si les banques centrales laissent ou font remonter les taux, que ce soit pour des raisons de retour à une croissance normale et au plein-emploi ou pour respecter leurs objectifs d’inflation en cas de dérapage de cette dernière, les effets sur une économie très endettée ne seront supportables que si les États comme les agents privés ont annoncé et entamé une trajectoire de solvabilité crédible. Et si les banques centrales ne le font pas, c’est elles qui perdront leur crédibilité enclenchant alors des dynamiques déstabilisantes, monétaires et financières, et in fine économiques et sociales, potentiellement catastrophiques. Dont la dynamique destructrice de fuite devant la monnaie, analysée ci-dessous.

Quatrième raison

À terme, si la dette augmente sans cesse par l’effet de l’argent magique, la contrainte monétaire, c’est-à-dire la contrainte de paie- ment, sera de plus en plus inexistante. Or, comme le dit très justement Michel Aglietta, la confiance dans la monnaie est l’alpha et l’omega de la société. Le système monétaire est un système de règlement des dettes. La confiance dans la monnaie repose donc sur le fait que le système de règlement des dettes emporte la confiance en étant efficace. Si les ménages peuvent dépenser durablement plus qu’ils ne gagnent, si les entreprises peuvent financer leurs pertes sans limites, si les États ne connaissent aucune contrainte quant au développement de leur propre dette, c’est le système monétaire lui-même qui ne sera plus efficace, ni crédible. C’est alors la valeur même de la monnaie qui sera mise en doute et, tôt ou tard, on risquera une fuite devant la monnaie, avec l’apparition de monnaies privées non bancaires, de cryptomonnaies, etc. On peut aisément imaginer, c’est d’ailleurs en cours, que des GAFA (Google, Amazon, Facebook ou Apple), plus solvables que les États et qui gèrent des quantités gigantesques d’échanges commerciaux et de règlements, puissent émettre leur propre monnaie. Les ménages ne préféreront-ils pas à terme avoir ce genre de monnaie en ce cas ? Ce serait très dangereux et destructeur pour la société. L’or et aussi certains actifs réels pourraient être également des lignes de fuite vis-à-vis de la monnaie. Pensons à l’hyperinflation allemande, aux assignats, etc. Le paiement des indemnités exigées par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale a obligé l’État allemand à dépenser beaucoup plus qu’il ne le pouvait. La banque centrale a été obligée de le financer. Elle a ensuite couru après l’hyperinflation en mettant à chaque fois la quantité de monnaie nécessaire pour que les échanges puissent être réalisés. Cela a engendré l’apparition de monnaies privées locales, comme, de la part de grands groupes, l’émission d’obligations avec des très petites coupures pouvant servir de monnaie à la place du mark. Cette situation a été destructrice pour la société.

DEUXIÈME FAUSSE PISTE

D’autres économistes veulent annuler tout ou partie de la dette détenue par les banques centrales. Notons d’entrée que l’idée exprimée est orthogonale avec celle sur laquelle repose la première piste. L’abandon ne peut être indispensable que si la quantité de dette en jeu n’est pas soutenable. Les deux propositions sont donc antinomiques.

L’idée de l’abandon par les banques centrales ne tient pas. On doit, d’une part, considérer les États et les banques centrales en consolidé pour avoir une vue juste des mécanismes en jeu. Les banques centrales étant la plupart du temps possédées par les États, ce que gagne une banque centrale est de ce fait gagné par les États. Un tel abandon de dette, d’autre part, entraînerait une grave perte de crédibilité tant des banques centrales que des États. L’expérience historique prouve en effet que les annulations de dettes publiques ne sont que très rarement des succès et qu’au contraire, ils induisent des coûts très lourds sur le temps long. L’annulation de la dette semble donc purement et simplement inenvisageable.           

TROISIÈME FAUSSE PISTE

Provoquer une hausse des impôts, et notamment de l’impôt sur la fortune. En premier lieu, les montants de tels impôts ne se comparent en rien au montant des dettes. Les échelles sont tout autres. Dans certains pays, où les impôts sont bas, on peut parfaitement comprendre qu’augmenter les impôts sur PIB participe des solutions à mettre en place. En France, les impôts sont parmi les plus élevés sur PIB des pays développés, y compris d’ailleurs le taux d’impôt sur le capital actuel, même après réforme, qui reste parmi le plus élevé des pays comparables. Une telle augmentation serait donc très dangereuse pour la demande. Comme ce serait très dangereux pour l’offre, car là encore il est nécessaire, pendant la phase de reconstruction, que l’on incite les entrepreneurs à entreprendre et à innover et que l’on favorise la compétitivité. Cela faciliterait tant le développement des capacités de production que l’attractivité du pays. D’ailleurs, le nombre de créations d’entreprise est en hausse significative en ce moment. Cette phase de puissante mutation, que la Covid-19 ne crée pas mais qu’elle accélère considérablement, doit être bien accompagnée.

QUATRIÈME FAUSSE PISTE

L’emprunt obligatoire consiste à ponctionner une partie de l’épargne des ménages et à financer ainsi les dettes des États. L’épargne due à la pandémie étant abondante, cette idée semble se développer. Il est certes vrai que les dépôts dans les banques, depuis la pandémie, se sont fortement accrus de la part des ménages, mais aussi des entreprises qui ne sont que peu ou pas affectées. Mais cette idée comporte plusieurs erreurs possibles d’analyse. Premièrement, un tel emprunt obligatoire serait très probablement ressenti comme confiscatoire et abaisserait considérablement la confiance dans les États, ce qui, dans l’état du monde actuel, ne semble pas souhaitable. Deuxièmement, il y aurait consécutivement une reconstruction des patrimoines car les ménages auraient peur de ne pas être remboursés dans le futur ou de voir leur créance rongée par l’inflation à long terme. Cela déclencherait un effet délétère sur la consommation, avec pour corollaire une augmentation de l’épargne. Qui plus est, la situation est totalement différente d’avec celle de l’immédiat après-guerre qui connaissait une thésaurisation des ménages dans les bas de laine, l’idée étant alors de mobiliser de l’épargne stérile. Aujourd’hui, l’économie européenne est totalement bancarisée. 99 % des ménages en France ont un ou plusieurs comptes en banque. Quand ils « thésaurisent » de nos jours, c’est beaucoup en dépôts bancaires. Cette épargne est ainsi mobilisée par les banques pour le crédit à l’économie. Cette épargne n’est donc ni oisive ni stérile. Un emprunt obligatoire reviendrait en fait à déplacer l’épargne qui finance l’économie privée vers le financement de l’État.

QUELLES VOIES SONT ALORS POSSIBLES POUR SORTIR PAR LE HAUT DU PIÈGE DE LA DETTE ?

Les dettes des entreprises tout d’abord. En France, on sait que la dette sur PIB des entreprises a beaucoup augmenté cette dernière décennie, plus vite que la moyenne des pays de la zone euro, et maintenant l’a dépassée. Il faut donc augmenter le capital des entreprises par rapport à la dette. Les prêts participatifs sont une voie à poursuivre, mais ce n’est pas la seule possibilité pour ce faire, parce qu’ils restent de la dette, même subordonnée, et qu’ils coûtent relativement cher. Sans doute les obligations convertibles doivent-elles également être considérées, par exemple. Quoi qu’il en soit, il faut inciter les ménages à mobiliser une partie de leur épargne vers le capital des entreprises en améliorant leur fiscalité en tel cas ou en garantissant une partie du capital ainsi investi. Il ne faut pas non plus omettre que les banques et les assurances ont vu fortement augmenter, avec Bâle III et Solvency II, le capital réglementaire requis sur leurs placements en capital dans les entreprises. Ne serait-ce pas, au moins temporairement, utile à l’économie européenne et même favorable, in fine, au risque des banques, d’alléger le coût en capital réglementaire de tels placements ?

Pour la dette publique, en premier lieu, il faudrait distinguer la dette Covid-19 et accepter que le surcroît de dette publique dû à la Covid-19 puisse être refinancée assez longuement en le « roulant » par la banque centrale. Les dettes des États, comme celles des entreprises, ne s’éteignent pas en réalité. À leur échéance, elles sont remboursées par de nouvelles dettes émises aux conditions de marché du moment. Les nouvelles dettes refinancent les dettes précédentes. L’important pour l’émetteur n’est donc pas de réduire quoi qu’il arrive sa dette, mais d’assurer une trajectoire de solvabilité qui lui permette lors des échéances successives de trouver des acquéreurs à ses nouvelles émissions, et ce à des conditions « normales ». Afin de ne pas trop peser sur le marché de la dette publique, lors des refinancements futurs, afin de ne pas compromettre la solvabilité des États, les banques centrales pourraient ainsi assurer sur un temps suffisamment long le refinancement du seul surcroît de dette publique dû à la pandémie. Cela ne correspondrait ni à un quelconque abandon, ni à une monétisation permanente de la dette publique.

Augmenter la croissance potentielle

En second lieu, il est indispensable d’élever le taux de croissance nominal pour rendre la dette publique1 plus facilement soutenable. Une plus forte croissance apporte plus de revenus aux États, ce qui joue favorablement sur le solde des finances publiques, comme sur le PIB, donc sur le numérateur et le dénominateur du taux de dette publique. Le taux d’endettement s’en trouve donc doublement amélioré.

Il ne faut pas de politique d’austérité, car il ne faut pas entrer dans ce cercle vicieux. Pour augmenter le taux de croissance, il est indispensable de mener des politiques de soutien de la demande, jusqu’au retour d’un taux de croissance « normal ». Mais les politiques structurelles sont également indispensables. Leur finalité est d’augmenter le potentiel de croissance. L’indispensable réforme de l’État, en France, permettrait d’améliorer l’efficacité de l’argent dépensé et d’améliorer à terme les facteurs de compétitivité de l’économie. La dépense publique française est plus élevée, en proportion du PIB, que celle de la quasi- totalité des économies européennes, avec une efficacité finale trop faible. Le rapport « efficacité/coût » de la dépense publique, dans de nombreux domaines, se compare souvent de façon défavorable à celui des pays semblables. Mais ces réformes sont difficiles à réaliser pendant les crises économiques et ne sont pas d’un effet rapide. Elles n’en restent pas moins essentielles.

La réforme de la retraite, consistant à augmenter le nombre d’annuités pour prendre en compte l’évolution démographique, est d’une forte efficacité et à résultats plus rapides. Le déficit du régime des retraites contribue, en outre, largement au déficit public. On comprend aisé- ment que l’allongement de la durée de vie, comme les exemples étrangers en démontrent l’évidence, nécessite d’augmenter le nombre d’annuités pour avoir droit à une retraite pleine. Cette réforme, très utile à la maîtrise de la dépense publique, serait également une preuve additionnelle que la France prend le problème de la dette au sérieux. Enfin, la réforme des retraites n’abîme pas la croissance ; au contraire, elle permet d’inciter les Français à moins épargner grâce à la diminution ou même à la suppression de leur crainte de ne pas avoir une retraite suffisante ou prévisible. Et parce que cette réforme augmente la population active, elle augmente le potentiel de croissance.

La réforme de l’assurance chômage peut également être utile à la croissance potentielle. Même en cette période, le nombre d’emplois non pourvus reste considérable. Une assurance chômage incitant mieux à trouver un emploi, tout en créant un curseur des différents critères d’allocation se déplaçant en fonction des indicateurs du marché de l’emploi, semble adaptée. Et, parallèlement, il faut renforcer l’aspect sécurité ou protection des personnes, si l’on flexibilise à juste titre davantage les emplois. Les mutations économiques accélérées en cours et à venir vont nécessiter en effet encore davantage de changer de métier et d’entreprise qu’auparavant. Une meilleure protection individuelle, notamment par une meilleure formation initiale et une formation professionnelle plus intense et plus efficace, en est donc un corollaire indispensable.

CONCLUSION

Ainsi, pour ne pas provoquer de retour en arrière dans une croissance renaissante, il faut à l’évidence que la politique monétaire et la politique budgétaire de soutien et de relance persistent tant qu’une croissance stabilisée n’est pas retrouvée. Mais il faudra rapidement donner un engagement clair des États, comme des banques centrales, à poursuivre une trajectoire sur plusieurs années permettant de revenir à la « normale » et s’y tenir de façon scrupuleuse, pour donner confiance dans la dette et in fine dans la monnaie. Le développement sans limite de la dette provoquerait de très graves crises monétaires et financières, même si le moment en est toujours difficilement prévisible. L’engagement sur une trajectoire de moyen terme de soutenabilité des finances publiques, notamment par une meilleure gestion des finances publiques, comme l’augmentation du potentiel de croissance, est indispensable. Ce qui n’exclut pas le financement de certains investissements porteurs de croissance durable. L’engagement d’un retour progressif et prudent de la politique monétaire à une pratique permettant de conduire les taux d’intérêt nominaux vers les taux de croissance nominaux, lorsque la croissance est satisfaisante, est tout autant nécessaire. On sait en effet clairement depuis la dernière grande crise financière qu’un taux de croissance satisfaisant et régulier et un taux d’inflation maîtrisé et à l’objectif ne suffisent pas à entraîner l’absence de bulles et de crises financières. La politique monétaire se doit donc de rechercher simultanément la stabilité économique (en fermant l’output gap), la stabilité monétaire (en fermant le gap d’inflation entre le taux d’inflation constaté et la cible poursuivie) et la stabilité financière (en prévenant autant que possible – et non seulement en réparant – les bulles sur les marchés financiers et immobiliers, ainsi que l’accroissement anormal du ratio de dettes sur PIB).

C’est une voie de sortie étroite, mais probablement la seule jouable.

NOTE                                           

  1. Le raisonnement est également valable pour les agents privés.

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