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« Après la Covid : Mutualisme et Coopération, leviers d’une sortie de crise »

Mot d’accueil | Olivier Klein

« Bonjour à tous, ravi de vous recevoir et d’organiser ici, à la BRED, les sixièmes Assises de la coopération et du mutualisme dont nous sommes adhérents et dans lesquelles nous sommes engagés depuis la première année.

Pour cette introduction, je vais rapidement développer trois idées.

La première concerne l’évolution du capitalisme. On sait tous que le capitalisme a démarré sous une forme familiale, puis, parce que les familles évoluaient dans le temps, s’agrandissaient et que les fondateurs disparaissaient, il a fallu ouvrir le capital et se sont développées les sociétés par actions. Ainsi est née, particulièrement à la suite de la seconde guerre mondiale, une forme de capitalisme « managérial » dans laquelle les managers ont davantage pris le pouvoir, parfois au détriment de l’intérêt des actionnaires dispersés et de l’efficacité légitime. En conséquence, dans les années 1980 s’est développé un capitalisme « actionnarial » remettant la balle du côté des actionnaires, avec des formes plus efficaces mais également avec d’importantes dérives. Les innovations efficaces ont permis de faire venir de grands talents dans de petites sociétés en les associant à la réussite, par une participation au capital (sous une forme ou sous une autre), ce qui était difficile sous le capitalisme managérial. Cela a donc facilité l’innovation et les « start up ». Mais on en connaît bien les dérives. Il s’agit de tout ce qui a fait en sorte que les dirigeants d’entreprises soient plus attachés à l’intérêt des actionnaires qu’au reste des parties prenantes. Avec les dérives financières y attenant. Ainsi, selon moi, nous devons évoluer vers un capitalisme « partenarial » qui comprendrait davantage toutes les parties prenantes : les actionnaires, qui évidemment apportent de l’argent et le mettent en risque, mais aussi les salariés – qui eux aussi prennent des risques sous une autre forme –, les clients, les fournisseurs et la société dans son ensemble. Prendre en compte la société s’exprime certes à travers la RSE, mais plus largement par le fait que les entreprises sont engagées vis-à-vis de leurs territoires, de la transition climatique… Il se trouve que la forme mutualiste et coopérative,  même si ce n’est pas la seule, est l’une des formes qui s’appliquent bien au capitalisme partenarial. Il est évident que dans nos banques, par exemple, les clients sont au cœur même du système puisque l’actionnariat y est représenté par le sociétariat et que les sociétaires sont des clients. Il n’y a donc pas de sociétaire non-client. Selon les formes, tous les clients sont sociétaires ou tous les sociétaires sont clients (comme à la BRED), mais en tout état de cause ce sont les clients qui forment le Conseil d’administration, ce sont donc eux qui contribuent à forger la stratégie de l’entreprise. Une stratégie, par construction, très orientée client. Les salariés sont également depuis très longtemps au cœur du projet dans nos formes mutualistes et coopératives. Et, bien évidemment, la société l’est aussi. Bien avant que les questions RSE ne soient « à la mode », nous nous engagions déjà avec beaucoup de sincérité dans de nombreux domaines, aussi bien au niveau très local, en soutenant tel club de sport,  telle association ou tel événement culturel, qu’à un niveau plus large, comme à la BRED par exemple dans la diffusion du savoir ainsi que dans l’égalité des chances, facteurs très importants pour renforcer le lien social et favoriser la cohésion des territoires.

La deuxième idée que je souhaite développer est qu’un groupe bancaire comme BPCE est un groupe décentralisé de banques régionales coopératives, des banques de plein exercice. Le rôle de nos banques est par construction encore plus fort sur nos territoires que celui des banques centralisées. Car entre chaque territoire et sa banque il y a une osmose, une convergence d’intérêts. Si le territoire ne va pas bien, la banque n’ira pas bien. Et si la banque, par son rôle de facilitateur, ne va pas bien, il y a peu de chance que le territoire se développe bien. Cette osmose provoque donc des choses assez différentes de ce que l’on peut connaître dans d’autres modèles. Le jour où dans telle ou telle de nos régions l’activité de crédit dégage un peu moins de rentabilité, pour une raison de surcroît de risque par exemple, pour autant toute l’épargne collectée dans la région ira financer les développements de projets sur ces mêmes territoires. Elle ne sera pas affectée à une région permettant une meilleure rentabilité des crédits octroyés. C’est fondamental et ce n’est pas le cas partout.

Il y a bien chez nous cette équivalence entre l’intérêt du territoire et celui de la banque qui y travaille. La notion de RSE y est donc encore plus réelle, encore plus concrète. Et dans un monde qui a été fortement globalisé, même s’il se compartimente rapidement, on a vu apparaître depuis des années un besoin encore plus fort de proximité, un besoin auquel, je le pense, nos banques répondent. Lorsque l’on interroge les Français sur les banques, on note un attachement viscéral à nos formes de banques du fait de la proximité qu’elles développent.

Proximité géographique et proximité relationnelle avec les clients -quel que soit  le canal utilisé – qui lie le client à sa banque.

Proximité également décisionnelle. Je me rappellerai toujours la première fois où je suis allé à Lyon pour une banque qui était centralisée, les entreprises clientes nous laissaient prendre des parts de marché sur d’autres banques centralisées, mais jamais sur les banques régionales. La raison en est très simple : la banque régionale possède un accrochage local qui est indépassable, car elle a tissé une réelle relation avec le client.  Car celui-là connaît les responsables finaux de la banque, qui sont là pour longtemps. En outre, les décisions de crédit sont prises sur place et non à Paris.

Proximité enfin managériale, qui est aussi cruciale. Dans une banque de réseau, on a besoin de collaborateurs très motivés, très conscients de la valeur de nos clients et de l’importance de la relation avec eux. Cette motivation fait la différence. Ce n’est pas pour rien que les banques mutuelles et coopératives en France, depuis 30 ans, ne font que progresser pour aujourd’hui atteindre entre 65 % et 70 % des parts de marché de la banque de détail, y compris sur le marché des PME. Cette proximité managériale permet à tous d’être impliqués dans la stratégie, de la comprendre, d’en être acteurs et ainsi de se sentir bien davantage plus motivés. Parce que les managers sont proches des dirigeants qui sont là, bien présents sur leurs territoires. Et ces dirigeants responsables de leur banque sont attachés à leur région et travaillent dans des banques de plein exercice, ce qui leur donne beaucoup de responsabilité et ce qui développe des dynamiques entrepreneuriales considérables.

En outre, le fait d’avoir un actionnariat « collectif », composé de clients-sociétaires permet à nos banques, de  ne pas dépendre de la bourse,  de sa volatilité, de ses effets mimétiques,  comme de la pression de très court terme qu’elle organise.  Sans jamais exonérer nos banques de l’impératif d’efficacité et de rentabilité. Pouvoir penser à long terme et assurer une proximité forte avec ses clients sont ainsi deux atouts essentiels de notre mode de gouvernance.

Ma dernière idée concerne l’alliance de l’éthique et de l’efficacité, idée que je défends depuis plus de 20 ans. Je suis persuadé que notre modèle permet de lier éthique et efficacité de manière remarquable. Rien de tout ce que je viens d’énoncer ne se fait au détriment de l’efficacité, tout au contraire. Il n’y a pas d’efficacité longue sans éthique dans la relation client, comme vis-à-vis des salariés. Je demande toujours aux conseillers de se comporter de la façon suivante : « Accompagnez vos clients de manière à ce que dans 10 ans, lorsque vous les rencontrerez à nouveau dans la rue, vous n’ayez pas l’envie de changer de trottoir et que vous soyez fiers de ce que vous avez fait pour eux ». Et il n’y a évidemment pas d’éthique longue sans efficacité, car si l’on n’est pas efficace, on n’a pas les moyens d’être éthique, puisque tôt ou tard on n’existe plus. Il faut donc lier la morale à l’efficacité, l’une ne pouvant aller sans l’autre et réciproquement.

Pour conclure, cette proximité multidimensionnelle construit la performance, elle permet  même la surperformance. Aujourd’hui, les coefficients d’exploitation – rapport entre les charges et les revenus des banques – sont structurellement meilleurs dans les banques de détail des groupes décentralisés que dans l’activité de banque de détail des groupes centralisés. Dans un pays très centralisateur, j’ose dire que c‘est grâce à cette décentralisation bancaire que nous avons des coefficients d’exploitation plus bas, donc que nous sommes plus efficaces. Nous sommes ainsi des banques compétitives, efficaces, et cette efficacité permet de fait de bien mieux servir les clients. Le premier principe de l’éthique est d’être utile à ses clients. Puisque nos modèles mutualistes et coopératifs permettent ce mariage fructueux de l’efficacité et de l’éthique, j’ai la conviction que nous sommes là pour longtemps.

 Je vous remercie. »

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Economie Générale Management

La banque, ou le réveil du phénix

Romain Gueugneau revient sur ma réflexion sur la gestion des crises et des mutations en prenant notamment l’exemple du secteur bancaire. La transformation à conduire tout à la fois en profondeur et de façon agile de la banque, mais sans « disruption », afin de ne pas suivre le « prêt à penser mimétique », et au contraire de préserver l’essence même du métier qui fait son utilité fondamentale. Une réflexion stratégique pour que la banque renaisse toujours, tel le phénix, en prenant à bras-le-corps les bouleversements technologiques et sociétaux .

« Crises et mutation : petites leçons bancaires» est disponible dans les librairies en ligne sur Amazon, la Fnac, Eyrolles et Revue Banque.


Le patron de la BRED, et professeur à HEC, Olivier Klein, revient dans un essai sur les multiples crises qui ont secoué la finance, et en tire des leçons sur la capacité d’adaptation des banques, qu’on a souvent enterrées un peu trop tôt selon lui.

Le propos C’est une petite musique qui revient à intervalles réguliers, depuis 40 ans : la banque traditionnelle est condamnée à disparaître. Aujourd’hui encore, les arguments seraient implacables : l’évolution des usages, le boom du numérique, la lourdeur de la réglementation, la concurrence des fintechs… Serait-ce donc le chant du cygne pour l’industrie bancaire ?

Olivier Klein parie au contraire sur le réveil du phénix. « C’est souvent faute de comprendre l’essence même de la banque que l’on en vient à l’enterrer un peu vite », écrit le patron de la banque BRED, également professeur à HEC, et auteur de plusieurs essais.

Dans cet ouvrage, où se mêlent histoire de l’industrie bancaire, expériences personnelles et analyses, le banquier s’emploie à défendre les missions de sa profession, qui a su évoluer, selon lui, dans ses pratiques et son mode de fonctionnement, au fil des années et des crises.

Il n’hésite pas à opposer les Gafam, souvent présentés comme des prédateurs naturels de la banque, qui « se rémunèrent sur la colossale somme de données qu’ils collectent », aux banques elles-mêmes, qui ont été et restent des « tiers de confiance ».

L’intérêtL’auteur, qui a passé l’intégralité de sa carrière dans la banque, essentiellement dans des groupes mutualistes, prêche évidemment pour sa paroisse, quand il dénonce le discours ambiant sur la disruption, « ce néologisme appliqué bientôt à toutes les situations mal maîtrisées ».

Mais son analyse sur la lente – mais nécessaire – transformation du secteur n’en est pas moins intéressante. Elle permet de mieux comprendre la façon dont les grandes banques, qui ont vu leur image s’améliorer avec la crise Covid, tentent de s’adapter, à leur rythme, aux nouvelles attentes de la société et de leurs clients.

« Crises et mutations : petites leçons bancaires » – Olivier Klein

Rb Edition-Eyrolles, 96 p., 21 euros (sorti en février 2022)


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« L’entretien HEC » – replay

J’ai eu le plaisir d’être invité par Hedwige Chevrillon, Rédactrice en Chef du Grand Journal de L’Eco chez BFM Business et Vincent Beaufils, Directeur de la publication de Challenges en tant que Grand invité de l’émission « l’entretien HEC » diffusé sur BFM Business et le site internet du magazine Challenges.

Au sommaire de cette interview de nombreux sujets liés à la banque et l’économie en général.

Actualité : impact du conflit en Ukraine sur la bourse, sur les entreprises, dépendance au réseau SWIFT des banques, inflation, croissance, enjeux pour les banques centrales.

Echange avec Ada Di Marzo, Directrice générale de Bain & Company

Business : ma stratégie pour la BRED, l’investissement dans la valeur ajoutée et l’humain, le rôle du conseiller, l’intégration du digital, l’engagement pour l’égalité des chances.

Questions d’étudiants et alumni HEC dont Bertrand Badré, Fondateur du fonds Blue like an Orange et Jeremy Ghez, Professeur d’économie et d’affaires internationales : attentes vis-à-vis de la banque, économie durable, soutien à l’économie des DOM, évolution des taux d’intérêt, réglementation bancaire, enseignement, stratégie internationale.

Enfin j’ai pu présenter et partager mes réflexions sur mon essai « Crises et mutations : petites leçons bancaires » un essai publié par la Revue Banque associée aux éditions Eyrolles.

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« Crises et mutations : petites leçons bancaires » un essai publié par la Revue Banque associée aux éditions Eyrolles

J’ai le plaisir de vous donner à découvrir un extrait d’une réflexion sur le temps des mutations issu de mon livre « Crises et mutations : petites leçons bancaires » publié par la Revue Banque associée aux éditions Eyrolles :

« Arrêtons-nous un instant sur ces mouvements liés aux grandes mutations. Il faut se garder des grands coups de volant organisationnels et de l’abus du mot “rupture”, et encore davantage de celui de “disruption”, néologisme appliqué bientôt à toutes les situations mal maîtrisées. Lorsque les modes de régulation de l’économie se modifient profondément, ces évolutions ne procèdent que très peu, pour ne pas dire jamais, par saut brutal. Il s’agit, au contraire, de mouvements lents, bien que puissants, qui engendrent des mutations des modes de travail, des normes salariales comme de consommation, des technologies utilisées, etc. Ces mutations s’opèrent par tâtonnements, ajustements successifs, jusqu’à ce qu’un nouveau mode de régulation s’impose et se stabilise, dans un nouveau cycle long autorisant une phase durable de croissance régulière fondée sur de nouveaux secteurs moteurs et des organisations sociales, au sens large, remodelées. »

Vous souhaitez vous le procurer ?

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Conférence sur la montée de l’instabilité financière

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Il n’y a pas d’argent magique, ou comment sortir du piège de la dette

Lors des crises graves, la politique monétaire conventionnelle et non conventionnelle joue un rôle essentiel. Elle conduit les taux d’intérêt courts et longs à des niveaux très bas, inférieurs au taux de croissance. Ces taux très bas jouent favorablement directement sur la demande, et indirectement en augmentant la valeur des actifs patrimoniaux (immobilier et actions notamment). Cette politique facilite également le désendettement en rendant la dette plus aisée à rembourser. Les « spreads » sont de même poussés à la baisse afin d’éviter qu’ils ne déclenchent un enchaînement catastrophique de faillites par une montée brutale de l’insolvabilité.

Pourtant, une telle politique monétaire menée trop longtemps peut elle-même devenir une source sérieuse de danger et un risque important pour la stabilité financière. S’il est très utile et même indispensable que les banques centrales aient adopté ce type de politiques dans ce genre de situations, de la grande crise financière à la profonde récession due aux conséquences économiques du traitement de la pandémie, on assiste en réalité à une asymétrie problématique  lorsque la croissance est de retour avec une reprise notable du crédit et que les banques centrales n’inversent que peu ou pas leur politique, en n’augmentant pas ou trop peu leurs taux d’intérêt et en ne diminuant pas ou trop peu leur politique de « Quantitative Easing ».

Dès 2017, la croissance en zone euro se rétablissait de façon satisfaisante et l’octroi du crédit avait retrouvé un rythme élevé. Cependant la politique de la BCE restait inchangée. La raison affichée en était une inflation encore trop basse, c’est-à-dire une cible d’inflation non encore atteinte. Ce qui justifiait aux yeux de la banque centrale le maintien d’une politique monétaire ultra accommodante. Mais la politique monétaire pouvait-elle la faire remonter ? L’inflation n’était-elle en effet pas structurellement et non conjoncturellement basse ? Or, en tel cas, il devenait dangereux de continuer de mener une telle politique trop longtemps car elle maintient alors des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance, donc des taux d’intérêt trop bas et ce, trop longtemps (too low for too long). Ce qui induit le retour d’un cycle financier, c’est-à-dire d’un endettement qui montait plus vite que la croissance économique, comme le retour de bulles sur les actifs patrimoniaux, et notamment sur l’immobilier et les actions. Avec un effet de boucle, comme dans tout cycle financier, car l’endettement sert aussi en ce cas à acheter ces actifs, ce qui nourrit les bulles et rend à son tour possible le fait de s’endetter davantage.

La conséquence en est, à chaque fois que les taux d’intérêt sont trop bas trop longtemps,  d’augmenter la vulnérabilité financière de l’ensemble de l’économie, avec des risques dangereusement aggravés incorporés dans les bilans, tant à l’actif des uns qu’au passif des autres.

1/ A l’actif des investisseurs financiers et/ou des épargnants

Dans une telle situation de taux d’intérêt, ces acteurs cherchent à tout prix un peu de rendement, puisque les taux d’intérêt sont trop bas. Ils vont donc prendre de plus en plus de risque à cette fin. Les primes de risque sont ainsi comprimées à leur tour de manière anormale et dangereuse, car lorsque les bulles éclatent, les « spreads » n’auront tout simplement pas couvert le coût du risque avéré. L’actif des épargnants, comme l’actif des investisseurs financiers, qui travaillent pour les épargnants (les fonds de pension, les assureurs, les fonds de placement, etc.), sont ainsi rendus vulnérables. Cela a conduit, dès avant la pandémie, à une baisse historique des rendements des placements dans les infrastructures, à des « spreads » historiquement bas sur les dettes « High yield » comme « investment grade » , à des niveaux de valorisation des entreprises en bourse ou en « private equity » très élevés, à des fonds de placement détenant de plus en plus d’actifs illiquides et/ou de maturité très longue, alors qu’ils assurent  une liquidité quotidienne de ces mêmes fonds, etc.

2/ Au passif des emprunteurs

Dans cet environnement, les emprunteurs ont tendance à trop s’endetter, puisque le coût de l’argent est faible en regard du taux de croissance, ce qui entraîne des leviers trop élevés. Avec entre autres des rachats d’actions par les sociétés elles-mêmes, notamment aux Etats-Unis. Les entreprises concernées deviennent ainsi vulnérables. Elles sont vulnérables à une baisse des cashflows liés à un ralentissement de la croissance, aussi bien qu’à une remontée des taux d’intérêt. Cela conduit ainsi à un risque fortement accru d’insolvabilité dans le futur.

La conjugaison des deux points ci-dessus provoque donc une situation de forte vulnérabilité financière globale. En outre, cette situation entraîne une croissance du nombre d’entreprises zombies, c’est-à-dire d’entreprises qui subsistent, bien qu’elles ne soient pas rentables structurellement. Elles feraient en effet faillite avec des taux d’intérêt normaux, c’est-à-dire égaux au taux de croissance nominale. Ce phénomène induit une moindre efficacité globale de l’économie et des gains de productivité affaiblis.

Le maintien de taux d’intérêt trop bas trop longtemps, alors que de tels taux ne sont plus nécessaires pour lutter contre une croissance insuffisante de l’économie et des crédits, installe donc une situation macro-financière très risquée à long terme. Cette asymétrie de la réaction de la politique monétaire peut ainsi conduire à  de graves crises financières.

Telle était d’ailleurs la situation pré-Covid. La situation financière a ainsi tourné à la catastrophe au tout début du Covid, car la pandémie a produit une chute vertigineuse de la production et à des contractions violentes de revenus et des cash-flows pour les entreprises de plusieurs secteurs. Fin mars, la crise financière entraînée par le Covid était ainsi plus forte que celle de 2008-2009, avec une volatilité des actions deux fois plus grande, des « spreads » qui ont bondi violemment, une liquidité, notamment des fonds de placement, devenue soudainement très problématique. Heureusement, les banques centrales ont répondu extrêmement rapidement : elles ont abaissé leurs taux lorsque c’était encore possible, aux États-Unis notamment. Elles se sont mises également à acheter des dettes publiques et privées, y compris du « High yield », et parfois même des actions, en accroissant considérablement leur Quantitative Easing. Elles ont aussi adapté utilement les mesures de réglage macro-prudentiel. Les banques centrales ont ainsi permis à très juste titre de soulager en quelques semaines une situation financière catastrophique et ont soutenu les efforts des Etats en faveur de l’économie, grâce à une utilisation massive de la politique monétaire non conventionnelle.

La question va commencer à se poser, si la pandémie ne repart pas : comment peut s’envisager la sortie d’une telle politique monétaire, lorsque la croissance sera revenue de façon régulière à un niveau satisfaisant, alors que l’endettement des Etats et des entreprises a cru encore bien davantage qu’avant la pandémie ? Sans mettre fin de façon précipitée aux mesures extraordinaires de soutien des Etats et des banques centrales, il faut malgré tout réfléchir dès à présent à la sortie à terme d’une situation exceptionnelle où les Banques Centrales auront à raison suspendu transitoirement la logique du marché, en mettant entre parenthèses la contrainte monétaire portant sur les acteurs privés comme sur les Etats.

Il faudra faire face à une situation de très fort endettement de nombreux Etats mais aussi d’entreprises, et à des bulles sur les actifs patrimoniaux. Si l’on remonte alors trop rapidement les taux notamment par un retrait mal calibré des « Quantitative Eeasing », cela peut avoir un effet désastreux sur l’insolvabilité privée et publique, et entraîner un krach sur les marchés des actifs patrimoniaux, ce qui renforcerait l’insolvabilité générale. La sortie doit donc être très progressive et mesurée.

Ajoutons que, si l’inflation n’était pas qu’un phénomène transitoire (elle se renforce actuellement alors que l’on a soulevé le couvercle pesant sur les économies et que la pénurie de main d’œuvre dans de nombreux secteurs, à forte comme à faible valeur ajoutée, se fait jour de plus en plus clairement), cela poserait des questions très compliquées aux banques centrales. Devraient-elles maintenir la solvabilité des agents économiques au prix d’une inflation éventuellement incontrôlée ? Ou l’inverse ?

Mais, même si un nouveau régime inflationniste n’apparaissait pas, les banques centrales devraient-elles poursuivre leur « Quantitative Easing » à l’infini, si les Etats et les entreprises volens nolens ne se désendettaient pas ? Ce serait au prix alors d’une instabilité financière structurellement accrue, tant en termes de surendettement que de bulles de plus en plus fortes, avec les très graves risques économiques, financiers et sociaux inhérents à l’avènement inéluctable de crises en résultant. Et au prix d’un aléa moral de plus en plus élevé, les emprunteurs, privés et publics, ne craignant plus les situations de surendettement. Au prix encore d’investisseurs comprenant qu’ils détiennent à tout jamais une option gratuite de la part des banques centrales les protégeant contre les krachs et qui seraient ainsi incités à sous-pondérer durablement le prix du risque dans leurs calculs financiers. Au prix enfin d’une économie qui connaîtrait de plus en plus d’entreprises zombies, empêchant la destruction créatrice nécessaire à la croissance et entraînant une baisse durable des gains de productivité, donc, entre autres, freinant structurellement les augmentations de pouvoir d’achat non inflationnistes.

A l’horizon, le risque d’une monétisation sans limite des dettes conduirait en outre à une situation catastrophique de fuite devant la monnaie. Un système monétaire sain et efficace est, en effet, un système de règlement des dettes fiable et digne de confiance. Donc, si une solvabilité artificielle était trouvée grâce à un maintien des taux d’intérêt à un niveau durablement trop bas, le niveau d’endettement pourrait alors s’élever sans contrainte apparente, jusqu’à créer une véritable crise de confiance dans la valeur des dettes et in fine de la monnaie.

Ainsi, pour conserver leur crédibilité, donc leur efficacité, y compris lors des futures crises systémiques, les banques centrales doivent se prémunir contre le risque bien connu de « fiscal dominance ». Mais aussi contre celui de « financial market dominance ». C’est-à-dire qu’elles ne soient pas dominées par les Etats, qui pourraient souhaiter une intervention ininterrompue des banques centrales pour « garantir » leur solvabilité. Mais qu’elles ne soient pas non plus dominées par les marchés financiers. Les banques centrales doivent en effet être dans une relation stratégique avec les marchés financiers, mais elles ne doivent pas avoir peur de les canaliser autant que possible vers des plages de fluctuation soutenables, voire de contrer les représentations collectives et opinions moyennes des marchés lorsque leur mimétisme les amène à développer des bulles spéculatives. Et ce, alors même que les marchés demandent aujourd’hui toujours plus d’injections monétaires pour poursuivre leur dynamique haussière. Jérôme Powell, le Président de la Fed, disait d’ailleurs très justement récemment : « Le danger, c’est de rester coincé dans une zone où nous ne voulons pas être, sur le long terme. Ce que je redoute, c’est que certains veuillent que nous utilisions ces pouvoirs plus fréquemment, davantage que dans les seules situations de crise impérieuse ». 

Mais,à côté des politiques de banques centrales – qui doivent déjà réfléchir à la meilleure façon de sortir ultérieurement de leurs politiques ultra accommodantes-, il est nécessaire de conduire des politiques budgétaires soutenables à moyen terme. En prenant soin de ne pas provoquer de récession en agissant trop brutalement. Mais il leur faut en même temps bien expliquer qu’il ne peut y avoir d’argent magique et que les mesures prises pendant la pandémie ne peuvent être que strictement extra-ordinaires et en aucun cas poursuivies durablement. Il faut donc que les Etats mènent des politiques structurelles (investissements et réformes) qui sont indispensables pour augmenter le potentiel de croissance de leur économie. Il leur faut dès à présent expliquer qu’il est temps de se mobiliser fortement pour faciliter la croissance, par plus de travail. En France, notamment par la réforme des retraites et celle du marché du travail, alors que nombre d’entreprises font face à des goulots d’étranglement, y compris dans leurs embauches. Il s’agit là in fine de la meilleure façon de sortir progressivement du surendettement.

Les Banques Centrales ne peuvent en effet pas tout faire toutes seules et leur en demander trop peut s’avérer très dangereux. Pour l’économie, mais aussi pour leur efficacité même, lorsque cela s’avérera à nouveau nécessaire.

Bibliographie 

Olivier KLEIN : « Le rôle irréductible des banques commerciales » La revue Banque & Stratégie, avril 2021
https://www.oklein.fr/le-role-irreductible-des-banques-commerciales/

Olivier KLEIN : les voies économiques étroites de l’après Covid – Les Echos, 16 février 2021
https://www.oklein.fr/les-voies-economiques-etroites-de-lapres-covid/

Olivier KLEIN : Le non remboursement de la dette ? Un risque de perte de confiance dans la monnaie et un risque pour la société – Les Echos, 20 novembre 2020
https://www.oklein.fr/le-non-remboursement-de-la-dette-un-risque-de-perte-de-confiance-dans-la-monnaie-et-un-risque-pour-la-societe/

Olivier KLEIN : L’après confinement : ni austérité ni économie vaudoue ! – Les Echos , 14 mai 2020
https://www.oklein.fr/lapres-confinement-ni-austerite-ni-economie-vaudoue-retrouvez-la-version-complete-de-ma-tribune-publiee-dans-les-echos-du-14-mai-2020/

Olivier KLEIN : The debt issue : risk of financial instability and of a loss of trust in money – Conference EuroGroup 50, 12 décembre 2020
https://www.oklein.fr/en/the-debt-issue-risk-of-financial-instability-and-of-a-lost-of-trust-in-money/