La rentabilité des banques de détail est en question. Est-elle inéluctablement basse en France ? Quelques éléments de réflexion. La banque de détail a deux moteurs. Si l’un des deux ne marche pas, la rentabilité est compromise. La gestion de l’actif-passif, soit la gestion du risque de taux d’intérêt et de liquidité, est cruciale car les revenus liés aux prêts et aux dépôts (la marge nette d’intérêt) dépendent de la courbe des taux et de son évolution. Comme tout bon commerçant, ici d’argent, la banque doit acheter un peu moins cher qu’elle ne vend. Or elle emprunte l’épargne des clients plutôt sur une base de taux court terme et, en France, prête plutôt sur une base de taux fixes à moyen-long terme. L’évolution de l’écart entre les taux longs et les taux courts est de ce fait un paramètre essentiel. La banque prend elle-même le risque de taux en permettant aux particuliers, comme aux petites et moyennes entreprises, de ne pas le subir. La banque doit donc bien mesurer, anticiper et gérer ce risque, ce qui a été différemment réussi par les groupes bancaires français ces dernières années avec le retour brutal de l’inflation et la montée des taux qui s’est ensuivie.
La capacité commerciale, un élément clé Mais la banque de détail doit être également performante sur son deuxième moteur : sa capacité commerciale. La révolution numérique depuis des années en a modifié la donne. Le marketing ou l’offre en est un aspect. Mais les produits et services bancaires étant facilement et rapidement copiables et très réglementés, ils sont peu différenciés. En revanche, l’approche clients, l’organisation de la force commerciale, comme son mode de management, les choix de combinaison entre la présence physique et la banque « online », sont des éléments clés du succès plus ou moins grand des banques de détail. La révolution numérique dans la banque peut conduire à réduire drastiquement le nombre d’agences en pensant que la banque se fera de plus en plus « online » sans conseillers. C’est une voie ardue en France, les banques y étant bien plus relationnelles (conseil) que purement transactionnelles (simples opérations du quotidien : virements, vérification de soldes…). Pour rentabiliser une banque purement en ligne, il faut parvenir à suffisamment équiper les clients sur une gamme élargie de produits et services. Celles qui y parviennent peu à peu ont donc besoin de plus en plus de conseillers et de sortir d’un modèle « online » pur.
Le numérique pour améliorer le confort client De façon différente, il est possible, tout en rationalisant son réseau sans le réduire systématiquement pour autant, de se servir du numérique pour simultanément améliorer le confort du client et dégager du temps commercial en agence pour plus de proactivité, comme de valeur ajoutée apportée aux clients, de la part des conseillers. Ne rien changer en profondeur en revanche, en ignorant les effets puissants de la révolution technologique, ne peut servir de solution. Le temps du client en contact avec sa banque essentiellement grâce à son passage en agence est depuis longtemps révolu. Le coefficient d’exploitation (charges sur revenus) ne manquerait alors de s’élever au point d’étouffer la banque. Avec une chute fatidique des résultats à la clé. La banque de détail répond au temps de l’immédiateté, de par ses services de paiement, mais aussi – et c’est ce qui en fait probablement son essence profonde – au temps long, de par ses conseils. Ils accompagnent les clients dans leurs projets de vie et d’entreprise, qui se préparent et se déroulent tous dans le temps. Ces conseils nécessitent tout à la fois de l’épargne, du crédit et de l’assurance, tous produits qui vivent dans la durée et qui exigent, quelle que soit la typologie de clients, de l’accompagnement. Le numérique doit donc être mis au service du confort du client et être utilisé pour maximiser le temps de conseil et sa valeur ajoutée. C’est une question de stratégie, de moyens et de systèmes d’incitation.
L’avenir de la banque de détail passe ainsi par une politique appropriée tant financière que de distribution, une excellente maîtrise opérationnelle de ces deux moteurs et une capacité à donner du sens et une forte motivation aux ressources humaines sur lesquelles repose in fine toute industrie de service. Dès lors, la banque de détail a de l’avenir.
Sans anticipation, les crises guettent, qui contraignent alors à des ruptures brutales, incertaines et pénibles socialement, souligne Olivier Klein. (Getty Images/Istockphoto)
Aujourd’hui, l’urgence du changement dans la gestion des administrations publiques s’impose. Pour les entreprises comme pour les administrations publiques, sans que l’on les confonde, les évolutions de comportement des salariés et des clients-utilisateurs ou les révolutions technologiques, nécessitent souvent de réaliser des transformations en profondeur pour survivre et se développer pour les unes et pour rester efficaces et légitimes, pour les autres. Dans un monde mouvant, rien n’est acquis. Et, sans anticipation, les crises guettent, qui contraignent alors à des ruptures brutales, incertaines et pénibles socialement.
Il faut être sans cesse attentif aux changements des conditions d’exercice de son activité, repenser régulièrement à la validité de son modèle, en entretenant un doute
méthodologique pour ne jamais être engoncé dans ses certitudes. Dans le même temps, pour éviter les mouvements browniens, il est indispensable de s’appuyer sur une analyse claire de ce qui, dans son activité, est invariant. Ce en quoi elle est fondamentalement et durablement utile aux gens et à l’économie.
Ainsi, concevoir clairement l’essence même de son activité et percevoir simultanément les évolutions liées à son mode d’exercice est une clé cruciale pour forger une bonne stratégie et atteindre au mieux son cap, en assurant une transformation tranquille et non une disruption brutale.
Anticipation et cohérence
Mais pour nécessaire que cela soit, pour réussir il faut également une gestion du changement réfléchie et organisée avec pertinence. Il faut anticiper les réactions que les salariés, les clients/utilisateurs, voire la concurrence, vont manifester aux changements que l’on souhaite conduire. Anticiper juste, c’est se permettre d’agir juste. La cohérence est également une clé fondamentale du succès. Elle doit être totale dans la stratégie menée. Sinon, c’est la perte du sens et l’on ne peut aller nulle part avec un cap inconstant et des directions données divergentes.
Anticiper juste, c’est se permettre d’agir juste.
Mais il y a plus. Il doit y avoir un alignement constant de la stratégie, des moyens nécessaires pour la réussir et des systèmes d’incitation. Lorsque les moyens mis en oeuvre sont en ligne avec une stratégie pertinente et que le système d’incitation fait en sorte que chacun ou chaque équipe est enclin à orienter son action vers la réalisation de la stratégie proposée, la réussite est bien souvent au rendez-vous.
Un dialogue permanent
Il faut enfin avoir une conduite et un accompagnement du changement adéquats. Donc détecter et considérer par anticipation les obstacles aux changements, grâce aux remontées des équipes elles-mêmes, notamment parce qu’elles sont parties prenantes au changement mais aussi parce qu’elles sont sur le terrain. Le changement ne peut être seulement impulsé par le haut. Il doit être le fruit du dialogue permanent entre managers et managés. Ce processus est exigeant mais nécessaire et fructueux.
Ce qui conduit logiquement à un processus de tâtonnement bien conduit. Le changement doit avoir un cap clairement défini. Mais, s’il s’agit obligatoirement d’un processus bien pensé, il doit être flexible. Il ne faut pas planifier le changement de façon rigide et s’y tenir quoi qu’il arrive. Une planification très souple et dynamique, avec un cap clair, intégrant les réalités rencontrées, dans un aller et retour entre la conceptualisation du processus
suivi et la réalité qui se révèle au fur et à mesure de son déploiement, permet beaucoup plus sûrement d’atteindre son objectif.
La vie est un changement, une évolution permanente. Tout comme les entreprises et les administrations et leur environnement. Il faut donc penser et conduire les indispensables mutations, avant d’y être contraints par la crise sinon inéluctable. Les entreprises naissent et meurent lorsqu’elles n’ont pas su s’adapter. Les administrations publiques ne meurent pas d’elles-mêmes, mais elles peuvent connaître une entropie telle qu’elles deviennent de moins en moins efficaces et de plus en plus coûteuses, pouvant aller jusqu’à perdre leur légitimité. Conduisant alors à des déficits et des dettes qui, face au mur, peuvent entraîner une « disruption » toujours hasardeuse et douloureuse.
Olivier Klein est directeur général de Lazard Frères Banque et professeur d’économie à HEC.
Le 30 septembre , j’étais invité par le Cercle de l’Union interalliée à y donner une conférence qui a réuni environ 300 personnes . Le thème : La fragmentation économique du monde . Sous-titre : vers une dé-dollarisation?
Après une introduction sur la fragmentation politique du monde , que j’ai prononcée sans transparent , j’ai présenté les chiffres de la dé/mondialisation , de l’évolution des sanctions et des barrières au commerce et à l’investissement, enfin de la place du dollar suivant différents critères . Vous en trouverez les transparents ci-dessous et deux articles en relation avec la conférence que j’ai publiés l’un dans la Revue Banque , l’autre dans Les Échos .
Il n’est pas inutile d’opérer une distinction entre la politique d’assouplissement quantitatif des banques centrales, qui consiste à approvisionner massivement les banques et les marchés en « liquidités », en particulier en monnaie des instituts d’émission – prolongement et élargissement de l’action du prêteur en dernier ressort – , et celle qui consiste en l’achat d’actifs sur les marchés financiers, obligations publiques et privées, voire actions. Les deux façons de conduire une politique de quantitative easing (QE) induisent le même gonflement de l’actif et du passif des banques centrales, mais par des biais différents.
Dans le premier cas, les autorités monétaires prêtent de façon extra deux façons de conduire une politique de quantitative easing (QE) induisent le même gonflement de l’actif et du passif des banques centrales, mais par des biais différents. Dans le premier cas, les autorités monétaires prêtent de façon extraordinaire aux banques, afin que le système bancaire ne manque pas gravement de liquidités en monnaie banque centrale. Dans le deuxième, elles achètent de façon tout aussi extraordinaire des actifs à des agents non bancaires qui, en les vendant aux banques centrales, reçoivent de la monnaie qu’ils déposent dans les banques ; ces dernières détenant in fine plus de monnaie banque centrale dans leurs comptes chez des instituts d’émission. On pourrait nommer la première option politique de QE par le passif du bilan des banques centrales et la seconde politique par l’actif.
Mission n° 1 du QE : endiguer les catastrophes La distinction fondamentale réside dans les circonstances conduisant à l’utilisation de ces politiques. Aux États-Unis, comme en Europe, elles ont été utilisées initialement pour faire face à la crise financière et économique très grave de 2008-2009. Le risque de faillite en chaîne des banques, comme de dislocation des marchés, nécessitait de rompre les enchaînements catastrophiques en suspendant temporairement la logique des marchés financiers et la méfiance contagieuse entre les banques elles-mêmes. Celle-ci aurait d’ailleurs pu conduire à une crise de confiance destructrice des ménages vis-à-vis de leurs propres banques.
Aussi, les banques centrales ont-elles massivement augmenté leur bilan pour fournir notamment la liquidité nécessaire aux banques. Le marché interbancaire étant gelé, les banques centrales ont interposé leur bilan dans les échanges de liquidités entre les banques. Celles qui connaissaient des excédents de liquidités ne prêtaient plus aux autres banques et conservaient leur monnaie banque centrale en dépôt à la banque centrale, les instituts d’émission prêtant alors euxmêmes aux banques ayant besoin de liquidités. C’est ainsi que les banques centrales ont à nouveau été les prêteurs en dernier ressort du système financier dès 2008.
L’exemple historique de 2008 Cette année-là, la Réserve fédérale américaine (Fed) a aussi décidé d’acheter des actifs « toxiques » pour éviter la perte de confiance et la faillite de ceux qui les détenaient et pour éviter l’effondrement du prix de ces actifs, dont les conséquences auraient été potentiellement désastreuses pour l’économie.
Ainsi, les banques centrales ont pu enrayer le risque systémique qui se développait très rapidement et qui aurait induit des conséquences économiques et sociales catastrophiques. Il en fut de même vers mars 2020, lors de la très forte crise financière éclair due au Covid et aux confinements. Les banques centrales ont alors acheté de nombreux actifs, y compris « high yield », notamment aux institutions financières non bancaires, dont des fonds d’investissement en détresse ; ce qui a ainsi permis d’éteindre très rapidement le feu qui prenait brutalement.
Mission n° 2 : ranimer croissance et inflation L’assouplissement quantitatif a été ensuite utilisé et pérennisé avec un tout autre objectif. À la suite de la crise financière de 2008, l’économie se trouvait très ralentie et l’inflation à des niveaux extrêmement bas. Comme les taux d’intérêt étaient proches de leur valeur plancher (effective lower bound), arme des taux d’intérêt direc teurs, la politique conventionnelle était devenue inefficace. C’est pourquoi les banques centrales ont commencé à acheter des actifs financiers pour stimuler l’économie et tenter de faire remonter l’inflation. Puis en 2020, avec les conséquences économiques de la pandémie et des confinements, elles ont fait de même. Elles ont notamment acheté des titres de dette publique, afin de soutenir l’effort budgétaire très important des États.
L’ambition d’inciter les ménages à consommer L’efficacité de cette politique peut venir de l’annonce même de la mise en place d’une telle décision. Par exemple, le programme OMT, annoncé en 2012, a recréé la confiance à la suite de sa présentation, alors qu’il n’a jamais été exécuté. Mais son efficacité peut venir aussi de la possibilité qu’elle offre aux banques centrales de prendre le contrôle des taux d’intérêt long terme et des primes de risque ou, à tout le moins, de les influencer largement.
Par là même, elles peuvent inciter les ménages et les entreprises à investir voire à consommer davantage, notamment en abaissant le coût de leurs emprunts. Le crédit et son double, l’endettement, sont d’ailleurs repartis progressivement vers 2017 en Europe. Le troisième canal de transmission a été l’effet richesse enclenché en conséquence de la baisse des taux longs sur la valeur des actions aussi bien que sur l’immobilier. Cet effet richesse a ainsi soutenu la demande. Cependant, une telle politique d’assouplissement quantitatif hors situation de stress financier, pour être efficace, donc pour stimuler l’économie, doit demander aux banques centrales d’acheter beaucoup plus d’actifs, c’est à-dire de créer beaucoup plus de monnaie banque centrale que lors des crises financières. Même si elle nécessite d’injecter encore plus de liquidités pour revigorer la croissance économique, comme celle des crédits, cette politique d’achat a été utile. Elle a notamment permis de ne pas laisser s’enclencher un cycle déflationniste.
Un échec sur l’inflation ? Néanmoins, elle n’a pas réussi à faire remonter l’inflation. Il est probable que l’objectif d’inflation de 2 % ne correspondait pas à un taux répondant au mode contemporain de régulation économique, c’est-à-dire aux conditions structurelles prévalant pendant la période avant Covid. La combinaison d’une situation durable de mondialisation, qui pesait sur les salaires et les prix des pays développés, et d’une révolution technologique, qui ne donnait guère de marge de manœuvre de négociations des salaires pour les employés peu ou moyennement qualifiés, digitalisation et robotisation aidant, induisait les causes structurelles d’une très basse inflation, d’environ 1 %. Les efforts des banques centrales, cherchant à stimuler l’économie et l’inflation, ont alors réussi à augmenter le taux de croissance mais pas le niveau d’inflation. À la recherche d’une cible d’inflation sans doute inatteignable comme à l’aide d’une boussole – le taux d’intérêt naturel – très peu précise et conceptuellement critiquable, la politique monétaire a persévéré dans l’assouplissement quantitatif alors même que le PIB et les crédits avaient retrouvé une tendance favorable.
L’inquiétante montée de l’instabilité financière La conséquence a été des taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps, c’est-à-dire durablement inférieurs aux taux de croissance. Avec, en résultante, la montée de l’instabilité financière dûe à une croissance forte de l’endettement des agents privés et publics par rapport au au produit intérieur brut (voir graphique). Imbriquée dans la hausse de l’endettement, la hausse très rapide et très forte de la valeur des actions et de l’immobilier en fut également une manifestation notoire. En effet, avec des taux d’intérêt longs inférieurs au taux de croissance nominale, les acteurs privés et publics étaient incités à augmenter leurs dettes sans douleur, fragilisant ainsi leur bilan. Et les épargnants, ou leurs gestionnaires d’actifs, leurs caisses ou fonds de retraite, comme leurs assureurs vie, ont cherché à obtenir un rendement suffisant. Ils ont été incités à acheter des actifs de plus en plus risqués (faisant dangereusement baisser les primes de risque), des actifs de plus en plus longs (prenant alors de plus en plus de risques de liquidité), etc. Les bilans des acteurs économiques se sont ainsi fragilisés tant à l’actif qu’au passif. En outre, les politiques monétaires très accommodantes qui perdurent accroissent les inégalités de patrimoine, enrichissant davantage ceux qui en ont déjà, et rendant moins accessibles aux autres l’immobilier et le marché des actions. Enfin, pour tous ces effets réunis, il est raisonnable de penser qu’elles ont contribué in fine au ralentissement, à l’alanguissement de l’économie, en ayant permis notamment le développement d’entreprises « zombies » (qui, avec des taux d’intérêt normaux, auraient durablement connu des résultats négatifs).
Le QE contributif à la moindre productivité Cette mauvaise allocation globale des capitaux a très probablement contribué à faire décroître les gains de productivité. De plus, des taux d’intérêt trop bas trop longtemps peuvent avoir, comme en Allemagne, contribué à la remontée du taux d’épargne et non à sa décrue, contrairement aux préceptes de la théorie économique standard. Une population à la démographie déclinante peut en effet désirer épargner davantage pour préparer sa retraite, ne pouvant plus compter suffisamment sur le rendement de son épargne « normale ». Le fort niveau d’endettement de nombreux acteurs est aussi de nature à peser tôt ou tard sur leur capacité d’investissement, l’ensemble conduisant alors à un ralentissement structurel de la croissance et non à un soutien.
Pour conclure, il est difficile de sortir des politiques d’assouplissement quantitatif dès lors qu’elles ont été utilisées longuement. Dès lors, ces politiques ont développé un caractère asymétrique qui pourrait s’avérer préoccupant. Entre autres, cette asymétrie peut procurer aux marchés des options gratuites pour les protéger à la baisse et leur permettant de jouer la hausse avec un risque très limité. La fragilité ainsi accentuée des structures financières des agents tant à l’actif des bilans, qui comprend des valeurs d’action et d’immobilier très valorisées ou survalorisées, qu’à leur passif, qui connaît des niveaux d’endettement sur PIB rarement atteints, incite à juste titre les banques centrales à une très grande prudence.
Comment sortir du QE ? Faire diminuer trop rapidement ou trop intensément le bilan des instituts d’émission pourrait conduire à des crises financières et économiques de grande ampleur. C’est pourquoi on peut considérer que les liquidités en monnaie banque centrale ne seront retirées – comme à l’heure actuelle – que très précautionneusement. Très probablement, le chemin inverse ne sera jamais parcouru dans sa totalité. Mais nous sommes dans le domaine de l’inédit puisque l’expérience de quantitative tightening est une première historique. La lutte contre le retour brutal de l’inflation ces dernières années a été réussie grâce à l’effet des politiques conventionnelles des banques centrales (hausse de leurs taux d’intérêt directeurs), tout en ne jouant pas sur la taille de leur bilan, mais en essayant de conduire sa réduction à bas bruit, comme une action structurelle et non comme une politique monétaire discrétionnaire. En fin de course, il semble que l’on puisse affirmer que les politiques d’assouplissement quantitatif ont des effets très favorables lorsqu’il s’agit de guérir une crise financière et économique violente en tentant d’endiguer le risque systémique empêchant un enchaînement catastrophique.
Cependant, s’en servir pour stimuler croissance et inflation, si la croissance est revenue et si l’inflation cible ne correspond plus à l’inflation structurelle, peut sembler comporter plus de dangers que de bénéfices.
Encore des objets d’incertitude Nous n’avons pas encore vu d’ailleurs toutes les conséquences économiques et financières qu’une telle politique, menée trop longtemps, peut induire. Gageons que, hors nouvelles crises violentes, les banques centrales chercheront à maintenir durablement les taux d’intérêt à des niveaux sensiblement égaux aux taux de croissance nominaux. Tout compte fait, afin de pouvoir s’en resservir en cas de besoin avéré, la politique monétaire non conventionnelle devrait le rester .
Lorsque le taux d’intérêt est égal au taux de croissance, comme aujourd’hui, stabiliser le taux d’endettement nécessite un déficit public primaire (avant charges d’intérêts dues à la dette) égal à zéro. Et il faut un excédent primaire pour réduire ce taux d’endettement. Sinon la dette publique ne cesse d’augmenter et, plus le taux d’endettement public est élevé, plus le risque d’effet boule de neige de la dette augmente singulièrement. L’inquiétude sur la trajectoire d’endettement public peut en effet pousser vers le haut les « spreads », soit la prime de risque supportée par la dette, donc dégrader encore davantage la trajectoire, entrant ainsi dans un cercle vicieux.
La France est loin de bénéficier d’une situation d’endettement stabilisée. Avec un taux de dette publique sur PIB très élevé de plus de 110% et une évolution de ce taux à la hausse très marquée (le taux était d’environ 20% en 1980), la France connaît un déficit primaire entre 3 et 4% du PIB, avec un taux d’intérêt sur la dette approximativement égal au taux de croissance nominale. Ce qui, sans correction, conduira tôt ou tard à une crise de refinancement. Si le taux d’intérêt de la dette venait en outre à être supérieur au taux de croissance nominal, de par une montée des taux d’intérêt généralisée ou du spread payé par la France ou de par une baisse du taux de croissance de l’économie française, l’effet boule de neige de la dette publique prendrait encore bien plus d’ampleur.
Il faudrait ainsi réduire d’environ 100 milliards d’euros les dépenses publiques. Le faire trop vite conduirait à un ralentissement trop fort de la croissance et à une acceptabilité difficile. Le faire trop lentement conduirait à un nouvel accroissement dangereux de la dette publique, qui mettrait en risque la solvabilité du pays, ralentirait très probablement également la croissance par la crainte des épargnants et des investisseurs ainsi engendrée, enfin risquerait une crise financière qui contraindrait à réaliser les ajustements dans l’urgence et brutalement comme dans le cas de l’Espagne et du Portugal, par exemple, lors de la crise de la zone euro.
Ajoutons qu’eu égard au niveau comparativement très élevés des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires français sur PIB, il est beaucoup plus efficace économiquement de réduire les premières et de ne pas augmenter les seconds. La réduction des dépenses publiques contient en effet bien moins de risque de ralentissement économique, voire même pourrait favoriser la croissance, qu’une augmentation des impôts. Aussi, s’il semble élégant de dire que le choix entre réduction des dépenses et augmentation des impôts est un choix politique, ce n’est probablement pas pertinent en termes d’efficacité économique dans la situation spécifique de la France.
D’ailleurs, les inégalités de revenus après redistribution sont en France parmi les plus faibles d’Europe et le niveau de redistribution sur PIB déjà l’un des plus élevés. La réduction des inégalités de revenus en France n’est donc pas un objectif raisonnable, car il irait exactement en sens inverse du but poursuivi en abaissant encore une compétitivité déjà trop faible et une incitation au travail très améliorable, donc un taux d’emploi déjà insuffisant. Ce qui irait exactement à l’encontre des objectifs annoncés.
Au total, la stabilisation, puis la réduction, du taux d’endettement public français est une condition sine qua non à la soutenabilité de notre protection sociale et de notre niveau de vie. Risquer de tomber sur le mur de la dette en refusant les réformes structurelles ou en revenant sur celles qui ont été réalisées serait risquer de nous mettre nous-mêmes dans l’obligation d’instaurer des politiques d’austérité très coûteuses socialement. Les mesures structurelles prises à temps sont en réalité l’antidote aux politiques d’austérité qui deviendraient inéluctables sinon.
Rappelons pour terminer que si les États Unis, qui ont un taux d’endettement public très élevé et un fort déficit primaire, ne connaissent pas la même ardente obligation à ce jour, c’est qu’ils bénéficient jusqu’alors d’une dynamique économique bien plus élevée que la nôtre, d’un rendement du marché des actions et des taux d’intérêt plus élevés que les nôtres, ce qui attire les capitaux du monde entier. Enfin, ils ont la monnaie, le dollar, qui sert de monnaie internationale et les marchés de capitaux de loin les plus importants et profonds. Ainsi, n’ont-ils, jusqu’à présent, aucun mal à refinancer leur dette extérieure aussi bien que leur dette publique. Situation très différente donc de la française. Ce qui ne les exonérera pas pourtant ad vitam aeternam de devoir eux aussi corriger leur trajectoire de finances publiques.
Le professeur à HEC Paris et directeur général de Lazard Frères Banque estime qu’un relèvement des prélèvements obligatoires, déjà parmi les plus élevés en Europe, produirait l’inverse de l’effet escompté.
Pendant sept longues années, cʼest une ligne rouge quʼEmmanuel Macron, ses Premiers ministres successifs et Bruno Le Maire, sʼétaient engagés à ne pas franchir. Mais à peine quelques jours après son arrivée à Matignon, Michel Barnier pourrait revenir sur cette promesse. Face à lʼurgence budgétaire, lʼancien commissaire européen envisagerait dʼappliquer des hausses dʼimpôts. Dans son viseur : les entreprises et les ménages les plus aisés. Une hypothèse qui a provoqué du remous au sein de sa propre famille politique, Les Républicains, et de lʼancienne majorité présidentielle.
« La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. Jʼai demandé tous les éléments pour en apprécier lʼexacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité », a déclamé Michel Barnier auprès de lʼAFP ce mercredi 18 septembre. Au point de prendre des décisions radicales et de rompre avec la politique de lʼoffre entreprise par le chef de lʼEtat depuis son arrivée au pouvoir ? Interrogé par LʼExpress, Olivier Klein, directeur général de Lazard Frères Banque et professeur dʼéconomie à HEC Paris, estime quʼune hausse des prélèvements obligatoires serait une erreur qui pèserait fortement sur notre économie. Il plaide en revanche pour lʼactivation dʼautres leviers comme lʼinnovation et lʼinvestissement.
LʼExpress : Augmenter les prélèvements obligatoires serait-il, selon vous, une erreur ?
Olivier Klein : Le diagnostic est juste. Nous avons évidemment un déficit public et une dette publique trop élevés. Nous ne pouvons pas le nier et en prendre conscience est déjà très important pour pouvoir le traiter. La question est : comment le résoudre ? Nous avons à notre disposition plusieurs politiques : lʼaugmentation des prélèvements obligatoires, la baisse des dépenses publiques ou encore les réformes structurelles et lʼinvestissement dʼavenir pour augmenter le potentiel de croissance. On pourrait croire assez simplement que lʼon va faire une dose de chaque mesure afin de diminuer le déficit public, et que ce serait bon pour la justice sociale. Or, cʼest ce que je mets en doute.
Pourquoi ?
En France, nous avons en ce moment un problème dʼoffre et non de demande, comme vient de le souligner le rapport Draghi pour lʼensemble de lʼEurope. Cela nʼa pourtant pas toujours été le cas et cela dépend des périodes. En France, en particulier, nous avons un déficit de compétitivité fort car la gamme des produits que nous fabriquons ne correspond pas aux prix auxquels ils sont vendus. Il y a deux manières de sʼajuster. Soit nous baissons les salaires et les prix, avec la même qualité. Mais nous touchons alors aux niveaux de vie, ce nʼest pas vraiment une solution à privilégier.
Soit nous faisons des réformes structurelles et des investissements dʼavenir pour favoriser lʼinnovation et améliorer la gamme de ce que nous produisons. Pour cela, il faut pouvoir faire en sorte que les entreprises aient suffisamment de bénéfices. Or, les taux de prélèvements obligatoires en France sont déjà parmi les plus élevés de la zone euro. Remonter les impôts des entreprises alors quʼelles doivent, au contraire, investir et améliorer lʼoffre, produirait lʼinverse des effets recherchés. Quʼen est-il des ménages ?
Si les entreprises sont moins compétitives, le taux dʼemploi va inévitablement diminuer, alors quʼil avait réussi à remonter depuis sept ans grâce à la politique de lʼoffre mise en place par le gouvernement. Nous abîmerons alors le pouvoir dʼachat et lʼégalité des chances. A lʼarrivée, ce sont les finances publiques qui se retrouveront encore détériorées. Il y aura moins de production nationale, moins de résultats pour les entreprises et donc moins de revenus distribués. Nous allons entrer à nouveau dans le cercle vicieux dans lequel nous sommes depuis des dizaines dʼannées. Nous nous donnerons lʼillusion à court terme dʼavoir réduit le déficit public, tout en le détériorant deux ans plus tard.
Que vous inspire lʼexpression de « justice fiscale » employée par Michel Barnier ?
Avant de dire cela, il faut bien regarder les chiffres. Nous avons le taux de redistribution le plus fort parmi les pays de lʼOCDE. Il nʼy a pas de problème de justice fiscale. Il ne faut surtout pas accentuer le cercle vicieux. Travaillons plutôt sur lʼégalité des chances qui nʼest pas suffisante en France. Ce nʼest pas le moment de baisser les impôts, ni de les monter encore parce que cela empirerait la situation dans laquelle nous sommes, à savoir un déficit commercial très fort et des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone euro. Il faut avoir une vue dynamique de lʼéconomie. Ce nʼest pas un jeu à somme nulle. Attention à ne pas faire dʼerreur de diagnostic.
Une hausse temporaire des impôts, comme le préconise le gouverneur de la Banque de France, serait-il un bon compromis ?
Ce nʼest pas une décision économique, mais purement politique. A chaque fois que nous avons décrété que les impôts seraient temporaires, ils ont été maintenus. Très peu de gens croiront donc cela parce quʼils lʼont déjà vécu. Les Français se diront quʼil y a moins de pouvoir dʼachat et vont ainsi moins dépenser. Quant aux entreprises, elles investiront moins pour les mêmes raisons. Il ne faut pas que ça soit un prétexte pour ne pas agir sur les dépenses, qui est, je le reconnais, un exercice très compliqué.
Comment lʼexpliquer ?
Il faut savoir expliquer pourquoi, comment on le fait et accompagner les gens pour montrer quʼils ne sont pas forcément perdants. Cela met obligatoirement du temps. De plus, si on allait trop vite, cela jouerait négativement sur lʼéconomie. Quand certains économistes nous disent que le choix dʼaugmenter les impôts ou de baisser les dépenses relève dʼun choix politique, je pense quʼils reflètent insuffisamment la réalité économique. Dans la situation dans laquelle nous sommes en France, les conséquences pourraient se révéler divergentes. Baisser les dépenses régulièrement de façon engagée et pas de manière brutale aurait des vertus de croissance. Monter encore les impôts aura un effet de décroissance. Lʼeffet final sur lʼéconomie et les finances publiques sera donc très différent.
Le débat actuel autour des hausses dʼimpôts ne démontre-t-il pas, en réalité, notre incapacité à réduire durablement nos dépenses publiques ?
Jusquʼà présent, nous nʼavons pas abordé le problème de façon très solide et très sérieuse. Nous avons un taux de dépenses dʼéducation publique par rapport au PIB qui est plus élevé que la moyenne européenne. Or, nous voyons dans les études, comme le classement Pisa, que nous sommes en retard. De plus, les professeurs sont moins bien payés quʼen Allemagne, par exemple. Cʼest aussi le cas dans la santé, et idem pour le salaire des infirmières. Lʼorganisation doit être repensée et nous devons améliorer lʼefficacité de nos dépenses publiques. Il nʼy a que cela qui sera durable.