Débat du 28 janvier 2011 entre Daniel Cohen (Professeur d’Economie à l’Ecole normale supérieure et à Paris 1) et Olivier Klein autour de l’évolution du monde économique, la sortie de crise et les problèmes économiques de la zone Euro, animé par Stéphane Soumier,
Catégorie : Economie Générale
Pour fixer le sujet, je vous propose une définition. Le plus souvent, le concept de gouvernance d’entreprise recouvre l’organisation des relations entre les actionnaires et les dirigeants de l’entreprise. Son contenu a évolué avec les différentes phases du capitalisme et s’est élargi récemment aux relations des dirigeants avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise. A ce titre, la gouvernance d’entreprise est une question de société. Elle évolue avec les modes de régulation de l’économie. L’histoire de la gouvernance d’entreprise intéresse ainsi le citoyen comme l’économiste ou le sociologue.
Je ne traiterai que des pays développés et de l’économie de marché. La dénomination elle-même de « gouvernance » est récente puisqu’elle n’est apparue que dans les années 80 et a connu un fort développement de son usage au début des années 90, dans de nombreux rapports, thèses, articles ainsi que dans des textes réglementaires. Le droit des sociétés et les textes des organismes de contrôle réglementaire se sont ainsi adaptés aux nouvelles exigences de la gouvernance.
Ce sujet a donc de multiples répercussions sur la vie des entreprises et de la société et nous conduit à nous poser les questions suivantes :
- Pourquoi ce concept est-il apparu récemment?
- Quelles sont les évolutions du principe et de la pratique de la gouvernance au cours des différents âges du capitalisme?
- Pourquoi ont eu lieu ces évolutions?
Pour tenter d’y répondre, nous traiterons le sujet au travers des différentes phases du capitalisme, sachant que les diverses formes historiques de la gouvernance s’imbriquent entre elles. Les formes passées perdurent, alors même que, progressivement, d’autres formes prennent place majoritairement.
I. Le capitalisme familial
Au XIXe siècle et au début du XXe, les rapports entre actionnaires et dirigeants étaient très simples, car c’étaient les mêmes personnes. En effet, les entreprises étaient créées par des familles telles que Wendel, Renault, Michelin -certaines d’entre elles ont laissé leur nom en tant que marque-, et leurs dirigeants en étaient les propriétaires. Il n’existait alors par construction pas de problème de gouvernance, car ces familles, qui créaient, travaillaient et possédaient leur entreprise, avaient une légitimité à ce que le résultat leur revienne.
II. Le capitalisme managérial
Le capitalisme managérial est apparu entre les deux guerres aux Etats-Unis et reposait sur l’émergence d’un nouveau modèle de régulation et de gouvernance des entreprises. Ce changement était dû, d’une part, à une évolution des générations ; les générations créatrices d’entreprises avaient transmis celles-ci à leurs descendants de plus en plus nombreux qui n’en étaient pas tous devenus dirigeants. Il s’expliquait, d’autre part, par la croissance des entreprises ; les meilleures ont eu besoin d’ouvrir leur capital pour assurer leur forte croissance. Cela a contribué au développement des sociétés anonymes qui permettaient d’avoir des capitaux en provenance d’actionnaires qui n’étaient pas les dirigeants de l’entreprise. L’ouverture du capital de l’entreprise a débouché sur une volonté des actionnaires de pouvoir sortir du capital afin de disposer de liquidités en cas de besoin. D’où le développement considérable de la bourse. Aujourd’hui aux Etats-Unis, 80 % des entreprises n’ont pas d’actionnaire détenant plus de 10 % des actions. Leur actionnariat est donc très éclaté.
Cela a engendré deux conséquences :
- la dispersion de l’actionnariat
Cette dispersion a conduit à ce qu’aucun actionnaire n’ait un poids fort sur les dirigeants. Plus le capital est dispersé, plus les actionnaires sont nombreux, plus il est difficile pour chacun d’exercer un contrôle réel et efficace sur les dirigeants.
- la liquidité des actions
Davantage de liquidité a permis aux actionnaires de trouver une liberté -celle de vendre aisément leurs actions-, mais aussi a provoqué une instabilité de l’actionnariat. Les actionnaires ont donc de facto échangé la liberté de la liquidité contre la perte du contrôle des dirigeants de l’entreprise.
Les dirigeants d’entreprise se sont progressivement émancipés du contrôle de leurs mandants et ont logiquement imposé un contrôle managérial interne par opposition au contrôle externe des actionnaires. Cela a ouvert la possibilité de divergences entre les intérêts des deux parties. Les actionnaires avaient le droit, qui leur était propre, de nommer les membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, mais ils perdaient le contrôle effectif et ne se donnaient pas les moyens d’exiger auprès des dirigeants des objectifs susceptibles de les satisfaire davantage. Au point que, dans de nombreuses sociétés, les dirigeants cooptaient ou cooptent encore purement et simplement les membres de leur conseil d’administration ou de surveillance. Le phénomène s’est répandu partout dans le monde occidental, après la seconde guerre mondiale, avec l’avènement des grandes entreprises qui constituaient de véritables conglomérats. La figure emblématique du dirigeant n’a ainsi cessé de monter pendant les Trente Glorieuses. La légitimité des dirigeants venait de leurs compétences. Ils recherchaient la croissance et la pérennité de l’entreprise et fondaient leur pouvoir sur une alliance avec les salariés. Dans ce schéma, l’actionnaire n’avait pas beaucoup de place et l’efficacité réelle de ces grandes entreprises n’était pas tournée vers la valorisation des entreprises pour les actionnaires.
III. Le capitalisme actionnarial
A la fin des années 70 et au tout début des années 80, on constate un déclin relatif de la puissance des Etats-Unis vis-à-vis des autres pays développés. L’opinion commune explique alors cette évolution négative par l’existence d’énormes conglomérats d’entreprises difficilement compétitifs. Ceux-ci s’étaient fortement diversifiés pour assurer leur longévité, et leur rentabilité ne constituait pas l’objectif prioritaire. Outre ces analyses de plus en plus prégnantes, on assiste alors à deux phénomènes qui vont bouleverser le jeu et conduire à passer majoritairement du capitalisme managérial au capitalisme actionnarial.
Le premier de ces phénomènes réside dans le rappel du jeu du marché boursier. Dans les années 80, pour diverses raisons, la bourse a pris de plus en plus d’importance. Et le jeu du marché boursier a consisté à ce que les actionnaires retrouvent un poids à travers la possibilité de vendre leurs actions lorsque la rentabilité n’était pas suffisante. Ce qui affaiblissait l’entreprise cotée en bourse, qui pouvait alors faire l’objet d’OPA et constituait alors une sérieuse menace pour les dirigeants. Des acteurs sont ainsi apparus (les « raiders ») pour acheter de grands groupes peu rentables. En les revendant par parties, ils réalisaient des plus-values considérables. La force de rappel du marché boursier pour les dirigeants s’est donc avérée décisive.
Le second phénomène a consisté en un renforcement institutionnel du rôle des actionnaires. Un rappel à l’ordre des dirigeants par leurs mandants a eu lieu et a conduit précisément à la notion de gouvernance. Cela a permis de rappeler aux dirigeants, par de nouvelles règles du jeu, leur objectif de maximisation de la richesse des actionnaires. Trois effets s’en sont suivis :
- le renforcement du contrôle juridico-institutionnel des dirigeants par les actionnaires, d’où la création de comités d’audit, de comités des rémunérations, comme de comités stratégiques;
- la mise au point de mécanismes d’incitation dans la rémunération des dirigeants, de façon à les associer à l’intérêt des actionnaires; d’où la montée en force des primes variables -souvent plus fortes que les rémunérations fixes-, des stock-options, etc.
- l’application de sanctions (renvoi des dirigeants), en cas de valorisation insuffisante des actions, bien plus fréquentes qu’auparavant.
Cet âge du capitalisme marque le retour au pouvoir des actionnaires, et l’affirmation du corporate government. Des normes de rentabilité apparaissent, (ROE (return of Equity) minimum de 15 %). Apparaît ainsi la théorie de la création de la valeur selon laquelle une entreprise crée de la valeur quand sa rentabilité est supérieure à la moyenne des entreprises du même secteur. Cette théorie comporte bien entendu un paradoxe (puisque toutes les entreprises ne peuvent pas être supérieures à la moyenne) qui s’est ensuite avéré dommageable (cf. infra). Mais elle vise à pousser les entreprises à faire mieux que les autres, donc à plus de compétitivité et de rentabilité, et, à ce titre, elle présente donc des avantages.
Le modèle du capitalisme actionnarial a eu des effets positifs. Il a créé un cercle vertueux. Dans la Silicon Valley, par exemple, dans les années 80 et 90, une multitude d’innovations technologiques sont apparues et des kyrielles de toutes petites sociétés se sont créées. Il était nécessaire de contourner les difficultés à attirer les talents, ne pouvant les payer à hauteur de ce à quoi ils pouvaient prétendre dans les grands groupes. Les créateurs de ces petites entreprises ont ainsi proposé à ces talents des rémunérations en stock-options pouvant offrir de fortes plus-values, en contrepartie des risques qu’ils prenaient. Ce mode de fonctionnement a eu un effet économique très positif, en permettant à de petites sociétés de se développer rapidement et fortement, grâce à la capacité d’attraction de professionnels et de chercheurs de très grande qualité, venus tenter l’aventure.
Le second effet favorable repose sur le phénomène suivant. Aux Etats-Unis notamment, le capital-risque et le capital innovation se sont intéressés à ces entreprises en création, qui manquaient de capitaux. Les succès, avec réalisation d’importantes plus-values lors des sorties en bourse, surcompensant les échecs inévitables.
Au total, ce nouveau mode de régulation économique a fonctionné très efficacement et a apporté les capitaux et l’intelligence pour développer de nombreuses entreprises innovantes. Ces innovations se sont diffusées dans le reste de l’économie, qui est devenue globalement plus productive, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies -notamment de l’information- ainsi répandues. Soulignons que, de 1994 à la première moitié des années 2000, les Etats-Unis ont eu un rythme annuel de gain de productivité environ deux fois supérieur à celui de la Zone Euro. Ces gains de productivité ont engendré une plus forte croissance, sans inflation, et permis une plus forte augmentation des salaires, comme une valorisation des actions plus élevée, donc un pouvoir d’achat en hausse.
La question à présent est de savoir pourquoi et comment ce système a connu des dysfonctionnements. Au-delà, il convient de se demander si l’on restera dans l’âge du capitalisme actionnarial ou si le modèle de gouvernance évoluera vers une nouvelle phase.
IV. Vers un capitalisme partenarial ?
Après des succès indéniables, le capitalisme actionnarial a connu quelques échecs qui ont conduit à se poser la question de l’avènement du capitalisme partenarial. Ce dernier entraîne une gouvernance élargie, qui permettrait de prendre en compte les actionnaires, mais aussi les salariés, les clients, la société et l’environnement, c’est-à-dire l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.
1. Les échecs du capitalisme actionnarial
La première dérive s’est manifestée par l’emballement du modèle de la gouvernance actionnariale à partir de 1997. Ce modèle d’innovation et de forte productivité a, en effet, fait croire qu’il n’y aurait plus de crises et de cycles économiques. La spéculation s’est mise à l’emporter sur les paris raisonnables. La bulle spéculative s’est développée à partir de 1997-98 sur la bourse, notamment sur les valeurs technologiques, en sous-estimant les risques encourus par ces entreprises. A l’évidence, elle est devenue dangereuse, à tel point que beaucoup pensaient que plus une entreprise perdait d’argent dans ses premières années d’existence, plus sa valeur devait monter, car ces pertes laissaient envisager un fort développement ! La pression psychologique de l’opinion commune était extrêmement forte dans la bulle spéculative. Il était considéré comme « raisonnable » de penser que les courbes ascendantes devaient poursuivre durablement leur tendance. Jusqu’au moment où l’on s’est aperçu que nombre de ces entreprises ne répondraient pas aux espérances qu’elles avaient suscitées, voire même qu’elles ne seraient jamais rentables, provoquant ainsi l’éclatement de la bulle spéculative.
La deuxième dérive repose sur certains comportements problématiques des dirigeants eux-mêmes, induits par les contraintes du marché mal maîtrisées. Pour respecter des normes de rentabilité très élevées à très court terme (au moins 15 % quel que soit le secteur d’activité et la conjoncture), beaucoup d’entreprises se sont mises à racheter leurs actions pour afficher une montée de leur cotation en bourse, mais parfois au prix d’un surendettement et d’un affaiblissement de l’entreprise. On a, en outre, assisté à une course à la taille pas toujours objectivement justifiable. Lorsque la croissance interne est faible, ce peut être légitime et indispensable. Néanmoins, si la course à la taille est excessive, n’apporte pas de synergies démontrables et provoque un endettement non proportionné à l’évolution des capitaux propres, l’entreprise risque d’être fragilisée. Sur une dizaine d’années, les études montrent qu’une fusion sur deux ne crée pas de valeur.
La troisième dérive réside dans l’évolution du revenu des dirigeants. Aux Etats-Unis, le revenu moyen des PDG était, en 1965, 44 fois supérieur à celui d’un ouvrier. Dans les années 2000, leurs rémunérations, y compris les plus-values liées aux stock-options, représentent plus de 400 fois les revenus des salariés les plus modestes. Parallèlement, toujours aux Etats-Unis, la rémunération globale des PDG (y.c. stocks options) a été multipliée par 8 en prix constants, en une vingtaine d’années. Certes, il est légitime qu’un dirigeant qui réussit ait un très bon revenu, mais un tel écart pose des questions et des difficultés.
La quatrième dérive est pathologique. Il s’agit des tricheries de certains dirigeants qui, ne sachant plus comment respecter la norme de rentabilité, ont faussé les comptes de leur entreprise. De 2001 à 2003, des scandales ont occupé les premières pages de la presse tant anglo-saxonne qu’européenne et ont déstabilisé gravement la confiance des marchés financiers. Je citerai, à titre d’exemple, Enron ou Worldcom aux Etats-Unis et Parmalat en Italie.
Ces importantes dérives ont été engendrées par les excès du capitalisme actionnarial. Comme tout modèle ayant apporté sa contribution positive, ses dysfonctionnement incitent à trouver les voies de son dépassement.
2. La question de la légitimité de l’actionnaire comme étant le seul mandant des dirigeants d’une entreprise
Actuellement, dans la littérature économique et financière, la question est posée de comprendre s’il est légitime que l’actionnaire ait la place centrale en tant que mandant des dirigeants. La théorie usuelle, comme la pratique, l’expliquent par le fait que l’actionnaire assume le risque sans avoir aucune certitude sur son rendement futur. Les prêteurs, quant à eux, ont un rendement fixé contractuellement, contrairement à l’actionnaire qui apporte également un financement, mais qui prend bien davantage de risques. Il est donc tout à fait compréhensible que l’actionnaire puisse exercer un contrôle sur la gestion.
En revanche, il convient d’ouvrir la réflexion sur une gouvernance élargie, parce que, sur le fond, le risque comparé des différents partenaires de l’entreprise n’est pas tout à fait aujourd’hui celui supposé par la théorie. Un actionnaire peut, par exemple, limiter ses risques en diversifiant ses placements, alors qu’un salarié peut difficilement le faire en travaillant pour plusieurs employeurs. En outre, et plus fondamentalement, la pratique du capitalisme actionnarial, qui a défini la norme de rentabilité des capitaux propres minimale de 15 % à tout moment, a fait ainsi en sorte pendant une vingtaine d’année que les actionnaires soient, pour partie, protégés contre les évolutions négatives de la conjoncture. Tout étant fait pour tenter de garantir une rentabilité minimale aux actionnaires, le risque a, par conséquent, été reporté sur les autres parties prenantes, notamment sur les salariés, dont la variabilité de la rémunération ou de l’emploi ont augmenté, ou sur les sous-traitants, dont les marges de négociation vis-à-vis de leurs donneurs d’ordre se sont fortement affaiblies.
A titre de démonstration, analysons les résultats et des dividendes des entreprises aux Etats-Unis. De 1980 à 1990, les profits des entreprises ont légèrement augmenté. Cependant, la part des dividendes dans ces profits a été multipliée par deux, passant de 24,7 % en 1980 à 50,1 % en 1990. De 1990 à 1997, la forte augmentation des profits a été accompagnée d’un maintien du pourcentage des dividendes dans les bénéfices. De 1998 à 2003, les profits ont chuté et les dividendes, quant à eux, ont progressé en valeur absolue. En conséquence, la part des dividendes a, en outre, augmenté fortement en pourcentage. Ainsi, sur la période, la part des dividendes dans les profits a atteint en moyenne 83 %. Cela constitue une sorte de protection de l’actionnaire puisque, quelle que soit l’évolution des profits, le niveau des dividendes a continué à progresser, jusqu’à absorber la quasi-totalité des résultats. Donc, pendant cette période, les dividendes n’évoluaient plus parallèlement aux bénéfices. Acheter des actions permettait ainsi d’avoir un potentiel important de valorisation et, en outre, de percevoir un dividende quasiment égal au taux d’intérêt des obligations. En résumé, les actionnaires prennent bien des risques quant au capital investi et à son rendement -l’histoire récente du marché boursier le montre à l’envi-, mais ce risque a été globalement amoindri par l’évolution, au fil des vingt dernières années, de la pratique de la distribution des dividendes en faveur des actionnaires.
C’est pourquoi, il peut être légitime de s’interroger sur le rôle unique des actionnaires en tant que mandants des dirigeants d’entreprise. On peut ainsi se demander comment élargir le cercle des mandants aux clients, aux salariés, à la société, et à se préoccuper de la meilleure façon de prendre en compte les problèmes d’environnement. Les salariés, quant à eux, sont plutôt bien protégés en France, notamment dans les grandes entreprises. Les clients sont mieux pris en compte qu’auparavant dans le monde occidental. Aux Etats-Unis, la judiciarisation des rapports entre les entreprises et leurs clients a permis à ceux-ci d’imposer la prise en compte de leurs besoins et les a introduits au cœur des préoccupations des dirigeants. Ces derniers pensent dorénavant davantage à l’intérêt de leurs clients et l’intègrent mieux aux côtés de celui des actionnaires. En France, la pression en faveur des clients vient davantage des pouvoirs publics, par le biais de la loi et des règlements. Dans le domaine de la banque notamment, les choses ont beaucoup évolué depuis quelques années. Depuis quelques années, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) notamment supervise étroitement les établissements financiers pour vérifier leur connaissance de la clientèle et l’adéquation des produits aux clients et les associations de consommateurs ne sont pas en reste. Son rôle en ce sens est sur le point de se renforcer encore.
Le même type de problématique s’est posé quant à la prise en compte des problèmes d’environnement. La difficulté réside en ce que, contrairement aux actionnaires, aux salariés et aux clients, il n’y a pas de forces de rappel personnifiées pour faire respecter ces critères. La sensibilisation à l’environnement peut cependant passer par l’image que certaines entreprises sont soucieuses de donner d’elles-mêmes, ou par les autorités nationales ou territoriales, voire par la pression éventuelle des consommateurs.
Ces diverses considérations, qui tendent à intégrer dans le mandat des dirigeants les différentes parties prenantes de l’entreprise, n’empêchent en aucun cas que les actionnaires soient au cœur de la gouvernance, avec une juste rémunération des risques pris, reconnaissant ainsi leur rôle essentiel.
Apparaissent donc des réflexions dans la théorie économique et financière pour savoir de quelle manière intégrer l’intérêt des différents partenaires dans les conseils d’administration ou les conseils de surveillance des entreprises, aux côtés des actionnaires.
Les problèmes à venir de la retraite par répartition en France
- Un problème démographique inéluctable
- Une croissance économique insuffisante
Les solutions possibles
- Les solutions possibles au sein du système de retraite par répartition
- Introduire, en complément du système de répartition, un système par capitalisation (en France : PERP…)
Télécharger la présentation complète : macroeco-de-la-retraite.pdf

« La crise est ce qui sépare le vieux du neuf » écrivait déjà Gramsci au début du 20ème siècle. Chaque crise fondamentale du capitalisme est en effet le temps d’une profonde mutation, celui de l’apparition douloureuse d’un nouveau mode de régulation, qui se différencie du précédent devenu moins efficace…
Télécharger l’extrait du journal La tribune :
Article à nouvelle crise nouvelle croissance

Dix Propositions
Aujourd’hui, deux évidences s’entrechoquent. En premier lieu, les marchés financiers ne s’autorégulent pas. En finance globalisée et déréglementée, ils conduisent inéluctablement à des crises plus ou moins violentes qui amplifient, voire déclenchent, 295 les cycles de l’économie réelle, tant dans leurs phases euphoriques que dans leurs périodes dépressives. La seconde évidence est le caractère indispensable de ces mêmes marchés financiers qui autorisent la réallocation des risques (de taux d’intérêt et de change, par exemple) et qui permettent, complémentairement aux banques, l’ajustement des besoins et des capacités de financement mondiales. Les banques, seules, ne peuvent pas aujourd’hui assurer la totalité du financement de l’économie.
C’est pourquoi une conclusion s’impose avec force : la nécessité d’une réglementation adéquate et de réformes de diverses natures permettant de limiter l’instabilité intrinsèque de la finance, à défaut de la faire disparaître. Soyons vigilants à ce que ces réformes soient bien engagées avant que l’on ne s’empresse, avec le retour ultérieur d’une nouvelle phase euphorique, d’oublier les leçons récurrentes que nous apporte chaque crise financière.
Les raisons de l’instabilité inhérente à la finance sont de mieux en mieux analysées. Elles se trouvent dans la nature profonde d’un actif financier ou patrimonial, dont le prix n’est pas fonction de son coût de fabrication, à l’instar d’un bien ou d’un service reproductible. Sa valeur correspond en fa$ à l’évaluation d’une promesse de revenus futurs engendrés par l’actif considéré. Or, cette prévision est très incertaine, tant l’avenir est difficilement probabilisable dans une économie décentralisée et monétaire.
En effet, les évolutions du taux d’épargne des ménages comme les multiples interactions des agents privés concurrents et complémentaires rendent les succès ou les échecs des uns et des autres très difficiles à prévoir et encore davantage à quantifier.
Les économistes parlent ici de situation d’incertitude radicale ou fondamentale. Mais la prévision est également incertaine parce que le risque exact de l’émetteur de l’actif en question (action ou titre obligataire, par exemple) est mal connu par le détenteur du titre. Ce dernier ne possède en effet une information parfaite ni sur la situation actuelle de l’émetteur, ni sur ce que celui-là fera demain, modifiant ainsi éventuellement profondément son profil de risque. Cette asymétrie d’information et cette incertitude radicale induisent une difficulté profonde à connaître en toutes circonstances avec vraisemblance les prix d’équilibre, les prix « normaux », des actifs financiers, facilitant en cela les comportements mimétiques et les créations de bulles.
S’ajoute, dans la phase euphorique, une capacité à oublier les effets des crises précédentes et, de ce fait, à ce que les 296 acteurs économiques augmentent leur niveau d’endettement, en poussant l’effet de levier à des niveaux tels qu’ils fragilisent leurs situations financières, et lors de la phase dépressive, à brutalement chercher à réduire cet endettement, aggravant ainsi considérablement le retournement conjoncturel. En outre, ce phénomène s’amplifie encore lorsque les prêteurs apprécient la solvabilité -des emprunteurs non plus à l’aune de leurs revenus futurs probables, mais de l’évolution anticipke des prix des actifs (actions ou immobilier, par exemple) qui sont ainsi financés ou qui servent de garantie.
Enfin, viennent s’ajouter de façon exogène, par exemple, des règles de rémunération des acteurs ou des normes comptables et prudentielles qui peuvent être des causes additionnelles de l’instabilité et de la procyclicité de la finance par rapport à l’économie réelle.
Tout projet de réformes doit donc s’attacher à lutter contre les causes tant endogènes qu’exogènes de cette instabilité. S’attaquer aux causes exogènes est sans doute la tâche la tâche la moins ardue.
S’ATTAQUER AUX CAUSES EXOGÈNES
Première proposition
Les normes comptables IFRS (International Financial Reporting Standards) ont privilégié l’évaluation des actifs au bilan en fair value, fondée essentiellement sur les prix de marché. Cette décision repose sur l’hypothèse que le prix de marché est à tout moment la meilleure représentation de la « vraie valeur de tel ou tel actif. Or, la profonde crise de liquidités que nous connaissons aujourd’hui a montré, si besoin était, que lorsque le marché s’évanouit sous la pression des vendeurs, en l’absence d’acheteurs, les prix s’effondrent au-delà de toute réalité fondamentale. De même et symétriquement, lorsque nous sommes au cœur d’une bulle spéculative, le prix du marché est totalement déconnecté de toute valeur d’équilibre. Il est donc nécessaire, comme la situation de 2008 y conduit, de pouvoir estimer raisonnablement la valeur au bilan des actifs, lorsque le marché ne permet plus de le faire.
Sans quoi, la dévalorisation comptable conduit à des ventes additionnelles qui s’entraînent les unes les autres, dans un mouvement auto-entretenu des prix vers le bas, et symétriquement en cas de hausse. II est donc nécessaire, en cas de défaillance des marchés, d’utiliser d’autres méthodes que celles de la fair value pour d u e r un actif. Sans revenir la méthode de comptabilisation en valeur historique, qui peut être trompeuse en cas d’actifs détenus en trading il peut être utile de procéder au mdrk to model, sous réserve de contrôle extérieur desdits modèles, ou à la simple actualisation des flux futurs raisonnablement attendus.
En outre, à l’opposé de l’effet provoqué par les normes IFRS, afin 297 d’atténuer la procyclicité du crédit, il est hautement souhaitable de favoriser le provisionnement des banques.
Si ces dernières peuvent provisionner par avance les risques futurs non encore avérés de leurs crédits, elles sont moins contraintes d’abaisser leur production de crédit lors de la survenance d’un fort ralentissement économique. L’impact de leurs pertes accrues dues à l’augmentation du coût du risque de crédit sur leurs capitaux propres est dors en effet compensé, au moins pour partie, par leurs reprises de provision. Enfin, il conviendrait de réexaminer les vertus de l’ancien plan comptable des banques sur un point : celui qui permettait la constitution et la reprise discrétionnaire de fonds pour risques bancaires généraux.
Deuxième proposition
De même, les normes prudentielles Bâle II sont-elles procycliques.
Les capitaux propres des banques exigés par Bâle II sont proportionnels aux engagements de crédit notamment, eux-mêmes pondérés en fonction des risques qui leur sont associés. Parallèlement, les positions sur les marchés financiers sont également prises en compte en fonction des risques qui leur sont propres (méthode de la valse at risk).
Les modèles d’évaluation de ces risques, tant de crédit que de marché, étant essentiellement fondés sur les données des quelques années précédentes et prenant mal en compte les risques extrêmes, une phase économique euphorique conduit peu à peu à permettre plus de crédits et plus de positions spéculatives pour une même quantité de fonds propres, donc d’accroître encore l’euphorie. Tandis qu’une phase dépressive impose aux banques d’abaisser leur rythme de crédit ou de diminuer leurs positions sur les marchés, pour une quantité donnée de fonds propres, donc de renforcer la dépression elle-même. Aussi est-il indispen$able de modifier, sans doute, les modèles d’évaluation des risques et la durée de la période passée qu’ils prennent en compte, ou encore d’appliquer des stress scénarios aux modèles, permettant de prendre en compte des cas plus extrêmes (décomposition en facteurs de risque et application de chocs indépendants). Enfin, à modèles identiques, la solution est probablement, à l’instar de ce que fait l’Espagne, d’adapter le ratio de fonds propres exigés lui-même, en fonction de la phase économique traversée, de façon à i’élever pendant la période haussière du cycle et de l’abaisser lors du retournement, afin de lui faire jouer un rôle contracyclique. Le deuxième pilier de Bâle II autorise théoriquement les autorités monétaires à procéder de la sorte, mais, en i’absence de règles plus claires et partagées, il ne le permet pas en pratique de façon satisfaisante et coordonnée.
Troisième proposition
La question du mode de fonctionnement des agences de notation est égaiement au ceur de la réflexion. Leur caractère procyclique est là encore avéré. De plus, le rating des C D 0 (collate~zseddebt obligation) n’est pas semblable à celui des coupoïates. Les modèles d’évaluation des tranches de titrisation ont failli, et pas uniquement parce qu’ils n’intégraient pas le risque de liquidité. Outre le fait que ces modèles utilisaient des données collectées sur une durée trop courte, ils prenaient peu ou pas en compte les effets de non-linéarité liés aux effets de seuil, eux-mêmes dus à la mise en jeu successive du risque des differentes tranches de titrisation. En outre, ils ont mai appréhendé les corrélations des défauts des différents composants des supports de titrisation.
Enfin, il est crucial d’imposer que les agences de notation aient bien l’obligation de réaliser ou de faire réaliser la due dilzgence des sous-jacents de la titrisation, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent (d’où des tricheries sur les documents des crédits subprime, par exemple).
Ajoutons sur un autre plan que ces agences sont rémunérées par les émetteurs qui ont besoin de leur notation, ce qui pourrait inciter à douter de leur impartidité. Cependant, comme il n’est pas possible de concevoir un système viable qui reposerait sur un paiement par les utilisateurs, car les investisseurs sont disséminés et de taille très inégale, il reste soit à rendre ces agences publiques, arguant ainsi qu’elles rendent un service apportant un bien collectif, soit plus proba-blement à les soumettre à uri organisme de supervision qui vérifie la qualité des méthodologies utilisées et des résultats expost, comme le respect d’une déontologie corivenable.
En outre, comme cela a étk fait pour les commissaires aux comptes, il serait judicieux d’établir leur responsabilité civile en cas d’erreur fautive dans leur processus de notation, en comptant sur la régulation jurisprudentielle pour s’assurer davantage que leur mode de paiement n’influe pas sur leurs décisioris. Enfin, il semble qu’il soit absolument nécessaire, dans le même esprit, de séparer leurs activités de conseil (en préparation d’une notation) et de notation.
Quatrième proposition
La question de la rémunération des traders est également décisive, même si l’on ne peut en aucun cas en faire la cause principale des désordres actuels. Les bonus, payés annuellement, représentent des sommes extraordinairement importantes à l’échelle d’un individu et sont fondés sur les gains réalisés grâce aux positions de trading prises. Ce système de rémunération est totalement asymétrique, puisqu’il n’engendre pas de malus en cas de pertes. Aussi, est-il puissamment incitatif à prendre des risques importants. A minima, il serait indispensable. de ne calculer et de ne verser les bonus que lorsque les 299 position sont finalement débouclées. Mais surtout, puisque les phases fastes et moins fastes, voire désastreuses comme aujourd’hui, se succèdent au fil du temps sur les marchés, il pourrait être envisagé de ne payer la partie principale des bonus qu’à l’issue de cycles de trois à cinq ans, par exemple, induisant ainsi un comportement de plus long terme des traders. Il serait sans doute également sage de limiter ces mêmes bonus à un multiple plus raisonnable du salaire fixe, non seulement pour une question éventuelle d’équité sociale, mais aussi et surtout pour éviter les comportements professionnels déraisonnables induits par des sommes hors normes.
Notons enfin que ces systèmes de rémunération pourraient être examinés par les organes de supervision et entrer en ligne de compte dans le niveau d’exigence des fonds propres. Il est probable, en effet, que la seule autorégulation des banques ne puisse parvenir à assagir les modes de rémunération, dès lors que la concurrence interbancaire
sera à nouveau forte en ce domaine.
FAIRE FACE AUX CAUSES ENDOGÈNES
Faire face aux causes endogènes de l’instabilité financière est, par construction, moins aisé. Un certain nombre de pistes doivent être cependant poursuivies.
Cinquième proposition
Commençons par la voie la moins facile à mettre en oeuvre à cette fin : la politique monétaire: Ainsi que le disent nombre de banques centrales, il est, en premier lieu, difficile, voire impossible, d’utiliser l’arme des taux d’intérêt, afin de freiner ou d’empêcher l’apparition des phases euphoriques sur les marchés d’actifs patrimoniaux, car c’est Egalement le taux d’intervention des banques centrales qui permet d’influencer le taux de croissance économique. Or, ralentir la croissance par une augmentation de taux n’est souvent pas souhaitable, alors même qu’il serait utile de ne pas laisser se développer de phase euphorique sur les marchés.
En second lieu, les banques centrales ne peuvent déterminer avec précision la valeur des fondamentaux et ne sont donc pas certaines de bien cerner le début des bulles spéculatives.
En revanche, les autorités monétaires pourraient, à n’en pas douter, mieux régler qu’elles ne le font aujourd’hui les exigences de capitaux propres des établissements financiers en fonction de la phase en cours. En effet, le plus souvent, les bulles spéculatives sur le marché des actions comme celui de l’immobilier s’accompagnent d’un développement trop rapide du crédit, c’est-à-dire du niveau d’endettement et des niveaux de levier. Si l’endettement n’était pas en mesure de s’accélérer de façon anormale, de par une exigence plus forte de fonds propres bancaires, les bulles auraient moins d’oxygène pour se développer. Un réglage des taux de réserve obligatoires suivant le même objectif peut parfaitement s’envisager en complément.
Reste bien entendu le risque pour les banques centrales d’agir à
contretemps.
Sixième proposition
Les bulles viennent, comme nous l’avons vu, d’une capacité des acteurs à développer un fort mimétisme – rationnel à titre individuel, mais conduisant à une irrationalité collective ,en l’absence de repères fiables quant aux valeurs fondamentales.
Les banques centrales tentent ainsi de rendre la parole régulièrement afin de préciser au marché, lorsque c’est nécessaire, que les prix leur semblent sortir des plages « normales » correspondant à une juste appréciation des fondamentaux. Pourtant, ces mises en garde n’ont en général que peu d’effets. Ainsi, Alan Greenspan a-t-il parlé d’exubérance irrationnelle sur le marché des actions dès 1996. Cela n’a pas empêché l’une des plus fortes bulles de se former et d’éclater en 2000.
Peut-être serait-il possible d’imaginer une instance indépendante, un observatoire scientifique composé d’experts de renom, lié au FMI ou à la Banque des règlements internationaux (BRI), capable d’émettre un rapport public, trimestriellement par exemple, mesurant les tensions spéculatives sur les différents marchés d’actifs patrimoniaux.
Les économistes de la BRI ont mis à jour des indicateurs prédictifs assez fiables des crises financières et bancaires à venir. Ils reposent essentiellement sur la mesure de l’écart entre l’évolution instantanée des prix de l’immobilier et des actions et leur tendance longue de croissance, ainsi qu’entre le niveau des crédits sur le PIB et son niveau de référence de long terme. II est possible d’espérer que si de tels rapports étaient régulièrement faits et qu’ils étaient rendus publics avec le retentissement qu’il convient, ils pourraient peu à peu influencer la formation des anticipations des agents sur les marchés. Ils pourraient aussi permettre de diminuer la capacité d’aveuglement au désastre (disaster myopia) des marchés. Ce biais cognitif largement partagé correspond à la désensibilisation progressive de toute personne au risque qu’il encourt, au fur et à mesure que la survenance du dernier évènement à fréquence rare et à effet violent (ici la crise financière) s’éloigne dans le temps, favorisant ainsi des comportements qui conduiront à faciliter l’avènement du prochain désastre.
Septième proposition
Le court-termisme est inhérent à la finance, car il est rationnel pour des gestionnaires de fonds ou des dirigeants de banque d’adopter ou de faire adopter un horizon très court dans la gestion de leurs positions, eu égard précisément à l’incertitude quant aux valeurs fondamentales. Quand on ne sait pas quel est le « vrai » prix, on ne parie pas longtemps sur une convergence du prix de marché vers une anticipation incertaine de la valeur fondamentale. Aussi, est-il difficile de réduire ce court-termisme.
Quelques pistes cependant. Au-delà des fonds souverains qui ne sont pas contraints par le court terme, il serait possible d’orienter certains fonds vers le long terme, les fonds de pension par exemple, car leurs sorties sont programmables de longue date. Leur comptabilité pourrait être adaptée, afin de ne pas exiger un enregistrement comptable des différents soubresauts de marché. De façon parallèle, les règles de sortie des fonds pourraient être revues en fonction de leur nature afin, par exemple, que des fonds actions n’aient pas une liquidité quotidienne, allongeant ainsi l’horizon des gestionnaires et des détenteurs.
Limiter le court-termisme pourrait également passer par une publication de la valeur des fonds et de leur benchmarking à une fréquence moins élevée, afin de ne pas aggraver le mimétisme de leurs propres gestion.
En outre, afin d’encourager les investisseurs particuliers, par exemple, à acheter de tels fonds, il pourrait être envisagé une fiscalité attractive. Il est en effet plus judicieux d’accorder des taux d’imposition bas ou nuls, non à des enveloppes d e produits ou de fonds, tels que les P M en France, par exemple, mais à la détention directe ou indirecte des fonds qui auraient la particularité d’être de long terme. En effet, même au sein d’un P M , il est tout fait possible d’acheter et de vendre des fonds cotés quotidiennement et benchmarkés mensuellement. Détenus’au sein d’un P M ou non, ces fonds sont conduits rationnellement à adopter des horizons très courts et des comportements très mimétiques, sous peine d’être revendus par leurs détenteurs des lors qu’ils n’auraient pas profité d’une hausse, dont d’autres auraient bénéficié, fût-elle au sommet d’une bulle spéculative. Une fiscalité avantageuse réservée à des fonds de long terme pourrait donc être un outil puissant pour limiter le court-termisme inhérent aux marchés financiers.
Huitième proposition
Renforcer la supervision est une nécessité attestée par tous. Elle passe.par la supervision d’organismes jusqu’alors peu ou pas contrôlés, les hedgefinds et les véhicules de titrisation notamment. Ils se comportent, en effet, comme des banques, mais disposent d’un levier non réglementé et de risques non scrutés par des superviseurs. Il en va bien évidemment de même pour les banques d’investissement aux États-unis qui ont été pour la plupart aidées par la Fed, alors même qu’elles n’en dépendaient pas. Ajoutons qu’aux États-Unis encore, la supervision est très éclatée. &si, par exemple, les établissements ayant distribué les crédits subprime n’étaient-ils pas supervisés par la Fed.
En outre, il pourrait certainement être utile d’envisager une mise en commun ou a minima d’une coopération active des superviseurs des banques et des assurances. En effet, la circulation des risques de crédit, par exemple, par le biais du marché des CDS (credit default swaps), entre les assureurs et les banques est intense. Et Son a assisté de plus à une intégration des métiers et parfois des capitaux des uns chez des autres.
Par ailleurs, un superviseur unique, ou à tout le moins fédéral, aurait grand avantage à prendre forme dans la zone euro, voire dans l’Union européenne. Internationalement enfin, les organismes de supervision étant nationaux et les phénomènes de crise financière et de contagion étant mondiaux depuis la globalisation financière, une coordination internationale plus poussée des superviseurs est devenue nécessaire.
Plus généralement, les régulateurs doivent prêter une attention extrême aux capacités des acteurs économiques à augmenter déraisonnablement le levier d’endettement dans les phases euphoriques, parfois en contournant les réglementations ou en utilisant leurs insuffisances (distribution de crédit subprime aux États-Unis, titrisation permettant un fort effet de levier des banques malgré Bâle IL..).
Neuvième proposition
La titrisation et le marché des CDS ont fait couler beaucoup d’encre. Ils sont certes les éléments spécifiques et aggravants de la crise financière actuelle. Ils sont pourtant nécessaires, car ils permettent aux banques d’accorder davantage de crédits que s’ils n’existaient pas. Les banques ne seraient pas en mesure à elles seules de financer l’économie mondiale sur la base de leurs fonds propres. Il n’en reste pas moins qu’ils doivent être repensés pour être à la fois plus efficaces et plus « moraux ». Tout d’abord, les supports de la titrisation comme les CDS doivent être standardisés. Leur hétérogénéité actuelle a ajouté considérablement à la confusion des marchés et à leur manque de liquidités. Pour les CDS, il est indispensable, en outre, de les insérer dans des marchés organisés, avec tutelle de marché et chambre de compensation, afin de garantir la bonne fin des contrats, grâce aux appels de marge quotidiens et aux deposits, qui permettent quasiment de supprimer le risque de contrepartie.
Pour l a titrisation, il est nécessaire d’en atténuer l’aléa moral qui l’accompagne, puisqu’une banque qui titrise ses créances ne supporte plus le risque du crédit qu’elle a octroyé, ni l’obligation de « monitorer » l’emprunteur pendant la durée du crédit. Toutes choses qui pourtant définissent normalement le rôle des banques dans le processus du crédit, de la sélection dans l’octroi de crédit jusqu’à son remboursement. Pour entraver la possibilité des banques de ne pas s’intéresser au remboursement du crédit – donc de ne pas jouer leur rôle de banques -,comme cela a été montré jusqu’à l’absurde sur le marché des subprimes aux États-Unis, devrait être instaurée l’obligation des banques de conserver la responsabilité du risque sur environ 10 %, par exemple, des crédits titrisés, en indiquant précisément dans le prospectus le risque exact conservé par la banque et en imposant un reporting précis auprès des souscripteurs. Enfin, il n’est pas raisonnable d’avoir laissé des titrisations des créances bancaires se faire à travers des structures (conduits) portant des actifs souvent longs, avec un refinancement très court.
Ces conduits sont en quelque sorte des ersatz de banques non contrôlées, permettant de faco aux banques d’augmenter leur levier, sans le même contrôle réglementaire. Or, ces mêmes banques devaient donner des garanties de refinancement de leurs conduits, exerçable en cas de problème de liquidité, les contraignant alors à reprendre les risques précédemment titrisés. De plus, en l’occurrence, ta disparition du refinancement par le marché, à laquelle ont été confrontés les conduits, révèle une très forte incertitude quant à la qualité des créances ainsi titrisées.
Dixième proposition
Plus fondamentalement et plus en amont, la forte instabilité financière est souvent facilitée par des déséquilibres macroéconomiques et macro-financiers mondiaux. C’est certainement le cas de la crise financière actuelle, qui s’est déroulée dans un contexte de déficits courants américains très élevés. Ces déficits sont financés sans limites par des réserves officielles chinoises, elles-mêmes dues à des excédents courants imposants, et permis par une devise chinoise très longtemps sous-évaluée. D’où les réflexions actuelles sur un nouveau Bretton Woods, réglant de façon plus harmonieuse notamment les valeurs des monnaies entre elles. Il est malheureusement probable qu’une telle tentative n’aboutisse pas, tant les intérêts nationaux en cause peuvent ne pas s’accorder. Il n’est pourtant pas inutile de chercher les arrangements possibles, même temporaires, qui seraient éventuellement de façon plus coordonnée les modes de résolution de telles divergences d’intérêt.
Réduire l’instabilité financière n’est pas aisé, mais, comme nous l’avons vu, des pistes sérieuses et pragmatiques sont possibles. Les idées présentées ici ne sont certainement pas exhaustives. Mais il est nécessaire de les étudier et, le cas échéant, de les faire aboutir au plus vite. La stabilité financière est un bien collectif qui contribue à la croissance et au bien-être de chacun. La démonstration par l’absurde est en train d’en être donnée.
Rédaction achevée en janvier 2009.
Publié dans la revue Sociétal – numéro de Printemps 2009
La première de ses formes, et la plus ancienne, est la crise de spéculation. Pourquoi les actifs patrimoniaux (actions, immobilier, or…) peuvent-ils faire l’objet de bulles spéculatives ? Parce que leur prix, au contraire de celui d’un bien ou service industriel ou commercial reproductible, ne dépend pas de leur coût de revient. C’est pourquoi leur prix peut s’éloigner fortement de leur prix de fabrication. Le prix d’un actif financier dépend donc en fait fondamentalement de la confiance que l’on place soi-même dans la chronique des revenus futurs qu’il peut engendrer, une chronique promise par son émetteur. Mais la détermination du prix dépend aussi de ce que chacun anticipe quant à la confiance des autres accordée à cette promesse. Chacun raisonnant de la sorte.
Pour peu que les informations ne soient pas bien partagées (entre le prêteur et l’emprunteur, l’actionnaire et le management, ou entre les acteurs de marchés eux-mêmes) et que le futur soit difficilement probabilisable, ces asymétries d’informations et cette incertitude fondamentale favorisent le mimétisme des acteurs.
Il est alors, en effet, très difficile de connaître la valeur fondamentale de l’actif considéré, et, de ce fait de parier sur elle. En ce cas, le sens du marché est donné par les autres, car il est le pur produit de l’expression de l’opinion majoritaire qui se dégage alors. Les acteurs s’imitent donc rationnellement, afin de tenter d’anticiper et de jouer les tendances du marché, de façon totalement autoréférentielle. Ainsi, peuvent se développer des bulles spéculatives fortes et durables. Ainsi, ces bulles crèvent-elles soudainement, avec le retournement de l’opinion majoritaire, dans un mouvement encore plus fort que celui qui a caractérisé la phase précédente.
La deuxième forme, la crise de crédit, quant à elle, vient du fait que, dans une période longue de croissance, tous (banques et emprunteurs) oublient progressivement la possibilité de survenance des crises et finissent par anticiper une expansion sans limite. Dans cette phase euphorique, le niveau de levier (dettes sur niveau de richesse ou de revenus pour les ménages ou d’actif net pour les entreprises) finit par s’accroître déraisonnablement.
La situation financière des agents économiques s’avère très vulnérable lors du retournement conjoncturel suivant. Bien souvent, pendant cette phase, les prêteurs diminuent dangereusement leur sensibilité au risque et acceptent, par le jeu concurrentiel, des marges qui ne couvriront pas le coût du risque de crédit à venir. Aussi, lorsqu’advient la crise suivante, les prêteurs (banques et marchés) reconsidèrent-ils brutalement le niveau de risque encouru, et par un effet symétrique du précédent, inversent-ils fortement leur pratique d’octroi du crédit, jusqu’à provoquer un « crédit crunch », qui va lui-même renforcer la crise économique qui l’a suscité.
Troisième forme canonique de la crise : la crise de liquidité. Lors de certains déroulements dramatiques des crises financières, une défiance contagieuse apparaît, comme dans la crise financière et bancaire que nous connaissons aujourd’hui. Cette défiance induit pour certaines banques une course fatale de leurs clients aux retraits des dépôts. Elle peut également conduire à une raréfaction, voire une disparition, de l’intention des banques de se prêter entre elles, de par la crainte de faillites bancaires en chaîne. Mais cette illiquidité du marché du financement interbancaire – sans interventions des Banques Centrales en tant que prêteurs en dernier ressort produit les faillites tant redoutées. En outre, d’autres formes d’illiquidité peuvent se produire.
Certains marchés financiers, liquides hier, peuvent se révéler soudainement illiquides, tant la notion de liquidité de marché, comme l’a analysé André Orléan, est là encore hautement autoréférentielle. Un marché n’est liquide que si tous les acteurs pensent qu’il est tel. Si une méfiance sur sa liquidité s’installe, comme sur le marché des ABS récemment par exemple, tous les acteurs se trouveront alors vendeurs pour sortir de ce marché, provoquant du même coup, de façon endogène, son illiquidité.
Ces trois types de crises s’entrelacent souvent et s’entraînent mutuellement dans une situation qui devient alors très critique. La grande crise qui s’est faite jour en 2007 est la combinaison de ces trois formes. Une bulle spéculative immobilière tout d’abord, notamment aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Espagne.
Une crise du crédit ensuite, due à une hausse dangereuse du taux d’endettement des ménages dans ces mêmes pays, et à un effet de levier très élevé des banques d’investissement, des entreprises en LBO et des hedge funds notamment. Une crise de liquidité, enfin, des marchés de produits de titrisation et du refinancement interbancaire.
La composante idiosyncratique de la crise actuelle, quant à elle, repose sur le développement rapide de la titrisation des créances bancaires, ces dernières années.
La titrisation sort du bilan des établissements de crédit des créances bancaires sur des particuliers, des entreprises, comme des collectivités locales. Ces créances sont regroupées de façon souvent hétéroclite dans des supports eux-mêmes à fort effet de levier, supports revendus à d’autres banques, aux assureurs comme à des fonds de placement, c’est-à-dire à tout un chacun.
La titrisation a donc permis un accroissement important du financement de l’économie mondiale, puisqu’elle autorisait les banques à réaliser bien davantage de crédits que si elles avaient dû les conserver à leur bilan.
Mais cette technique, réalisée sans régulation, a également incité les banques qui l’utilisaient le plus (notamment aux Etats Unis) à abaisser considérablement leur niveau de sélection des emprunteurs, puisqu’elles n’encouraient plus aucun risque après titrisation. Cela a provoqué d’importantes dépréciations d’actifs additionnels. C’est ainsi, par exemple, que les encours de crédits subprime se sont multipliés, amplifiant considérablement la crise de crédit qui s’est faite jour, après l’éclatement de la bulle immobilière.
La difficile traçabilité de ces crédits et le mélange de bons et mauvais crédits dans les mêmes supports ont, à leur tour, aggravé l’ampleur de la crise elle-même. Chacun n’ayant plus confiance dans la qualité de ce type de placements, leur liquidité s’en est trouvée en effet brutalement tarie. Cela a accru en outre, pour les pouvoirs publics, la difficulté de résoudre les problèmes ainsi soulevés.
Enfin, les agences de notations, fortes de modèles mathématiques fondés sur des hypothèses restrictives mal appréciées et sur l’analyse exclusive des séries passées, ont donné un label de qualité (note AAA) à des tranches des supports en question. Or ce label s’est révélé être de très piètre qualité au fur et à mesure du déroulement de la crise. Ces notes, qui ne visaient d’ailleurs pas le risque de liquidité, ont conduit nombre d’investisseurs, y compris bancaires, à se rassurer à bon compte et finalement à tort sur la qualité de leurs actifs financiers, sans beaucoup s’interroger sur les raisons pour lesquelles un placement coté AAA pouvait être si bien rémunéré.
L’entremêlement des trois formes canoniques de la crise financière et des éléments spécifiques de la crise actuelle explique la gravité extrême de la situation d’aujourd’hui, avec son cortège de banques en détresse, de panique des investisseurs, de « crédit crunch » en cours, et finalement de puissante crise économique. Seules les fortes actions des pouvoirs publics, au moment même où chacun doute de tous les autres, ont pu très récemment commencer à détendre quelque peu le marché interbancaire et à éviter une explosion du système financier dans son ensemble.
Reste à guetter et à tenter de contrer les conséquences économiques de la crise financière et bancaire la plus grave depuis les années 30. Et à espérer que le risque de crédit à venir sur les entreprises ne ravive pas la crise bancaire, dans un cercle vicieux qui aggraverait à nouveau la récession qui s’annonce.