Projet de loi de régulation des activités bancaires : débat entre Olivier Klein et Karine Berger, publié dans La Correspondance économique du 11 juillet 2013

17.07.2013 10 min
Lors d'une table ronde organisée conjointement par le cabinet d’avocats Carbonier Lamaze Rasle et Associés (CARLARA), le « Bulletin Quotidien » et la « Correspondance économique », Karine Berger - rapporteure du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires - et Olivier KLEIN, directeur général de la BRED Banque Populaire, ont souligné la nécessité de lutter contre l'instabilité financière

 
Au cours de cette table ronde organisée conjointement le 27 juin dernier par le cabinet d’avocats Carbonier Lamaze Rasle et Associés (CARLARA), le « Bulletin Quotidien » et la « Correspondance économique », Mme Karine BERCER, députée (PS) des Hautes-Alpes, rapporteure du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, et M. Olivier KLEIN, directeur général de la BRED Banque Populaire, professeur d’économie finance à HEC, ont souligné la nécessité de lutter contre l’instabilité financière, tout en préservant la compétitivité des banques françaises.

Introduit par M. Edouard de LAMAZE, le débat était consacré au projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Voté en deuxième lecture au Sénat le 27 juin dernier, le projet de loi, qui doit être examiné en commission mixte paritaire aujourd’hui (vote solennel en séance prévu le 17 juillet), est « une mesure phare du programme du président François HOLLANDE », a rappelé Me de LAMAZE. La France sera ainsi l’un des premiers pays en Europe, avec l’Allemagne, à mettre en œuvre une séparation des activités bancaires.

Lutter contre le risque systémique et l’aléa moral à l’origine de l’instabilité financière

Mme Berger et M.KLEIN ont insisté sur la nécessité de réguler le risque systémique et l’aléa moral inhérents au système financier afin d’éviter la récurrence des crises financières. Selon Mme BERGER, la séparation des activités bancaires spéculatives de celles utiles à l’économie (titre I du projet de loi) vise à répondre à cette question. « Pour comprendre la spéculation, il faut revenir aux causes de la crise à l’automne 2008. Il s’agit d’une conjugaison de problématiques de liquidité et de solvabilité insuffisantes, constat auquel doit remédier Bâle 3, mais surtout de la découverte du risque systémique et de l’aléa moral. Le risque systémique se manifeste par le fait qu’une banque à elle toute seule, du fait de son arrêt, peut mettre à mal l’ensemble de l’économie. L’aléa moral réside dans le fait que les banques savent que les Etats les sauveront quoiqu’il arrive et sont donc amenées à prendre de mauvais risques », a rappelé Mme BERGER. M. Michel ROUGER, président-cofondateur de l’institut Perspectives, recherches, études sociétales appliquées à la justice et à l’économie (PRESAJE),ancien président du Tribunal de commerce de Paris (1992/1995) et ancien président du Consortium de réalisation (CDR) (1995/1998), a pour sa part plaidé qu’il fallait « avoir le courage d’accepter la faillite des banques, ce que les Français, et leur Etat, refusent de faire et ce, pour une bonne raison, afin de protéger les « dépôts qui ne sont que ce qui est disponible en attendant que les impôts vous le prennent » (…). Les américains, eux, n’ont pas hésité avec la faillite de Lehman Brothers, les anglais ont fait la même chose. La seule véritable et efficace mise en responsabilité du banquier, c’est de le mettre en face de sa faillite ».

M. KLEIN a, quant à lui, estimé que la crise de 2008 ne vient « pas stricto sensu des banques mais d’une phase transitoire de la mondialisation, avec une surproduction mondiale qui a été cachée pendant un certain temps par un surendettement global. La finance est fautive dans le sens où les banques d’investissement, notamment anglo-saxonnes, ont rivalisé d’imagination pour ne pas laisser apparaître ce surendettement » Le directeur général de la BRED a souligné le caractère « intrinsèquement pro cyclique et instable » de la finance. « La finance ne peut pas s’autoréguler en permanence, comme a pu le prétendre la théorie économique traditionnelle, car il n’existe pas de valeur d’équilibre évidente du prix des actifs financiers qui sont fondés sur une promesse de rendement futur, puisque le futur est difficilement probabilisable. C’est pour cela que la réglementation prudentielle est nécessaire. Cependant, a ajouté M. KLEIN, s’il existe des erreurs de marché, il existe également des erreurs de politiques économiques comme de réglementations prudentielles. Il faut donc que ces réglementations soient appropriées et prennent bien en compte leurs effets macro-économiques, en évitant toute pro cyclicité ».

Embrayant sur la comparaison faite par Mme BERGER avec la sécurité routière, M. Christian WALTER, professeur associé à l’IAE de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, responsable scientifique du programme Histoire et épistémologie de la finance à la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH), a poursuivi la métaphore en soulignant la limite du diagnostic classique de la crise et donc du remède apporté par la nouvelle loi bancaire, l’effet aveuglant des instruments techniques n’ayant pas été pris en compte. »

Même si le code de la route a été fait comme il faut (réglementation) et que les panneaux sont à la bonne place (information), même si le conducteur est en règle et pas sous l’emprise d’alcool ou de drogues (déontologie), si le compteur de vitesse est déficient, le conducteur croira rouler à 30 km/h alors que sa vraie vitesse est 100 km/h, et la voiture sortira de la route : les remèdes actuels (réglementation, information et déontologie) n’incluent pas les instruments. Or des instruments trompeurs ont contribué à déstabiliser la finance et à accroître l’aléa moral ».

M. Christian WALTER, professeur associé à l’IAE de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, responsable scientifique du programme Histoire et épistémologie de la finance à la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH) s’est inquiété de savoir si le problème ne venait pas d’un « compteur de vitesse déficient. Même si le code de la route a été refait, si le chauffeur croit rouler à 30 au lieu de 100, les règles ne sont pas suffisantes ».
« L’information a un coût et l’asymétrie d’information est précisément la raison pour laquelle les marchés financiers ne sont pas efficients. Mais il n’y a pas de solution, c’est le mal que l’on ne peut corriger », a répondu Mme BERGER.

Face à ce constat, une régulation globale de la finance s’impose. M. Yves JACQUOT, directeur général adjoint de la BRED, a toutefois fait remarquer que les erreurs de réglementation pouvaient également représenter « un macro-risque systémique ». Mme BERGER, s’appuyant sur l’exemple des normes comptables IFRS qui ont créé « volatilité et instabilité », a estimé que « c’est le débat international qui amène progressivement à la bonne régulation. Je ne crois plus aux régulations mono locales. » Un avis partagé par M.KLEIN : « La réglementation doit être internationale pour éviter les risques liés au moins-disant réglementaire », a-t-il souligné.

L’étude de la séparation des activités doit s’accompagner d’un ensemble de mesures telles que le renforcement des règles de solvabilité et de liquidité des banques (cf. Bâle III), l’étalement des rémunérations des preneurs de risques ou encore la réglementation adéquate du « shadow banking », a rappelé M.KLEIN. Le titre II du projet de loi vise ainsi à mettre en place un mécanisme de résolution bancaire afin de prévenir la contagion des crises. « Il s’agit d’un outil indispensable comme l’a montré la crise chypriote », a relevé Mme BERGER. « Mais ce n’est pas suffisant, il nous faut une régulation globale, à commencer par l’Europe avec la création de l’union bancaire ».

La création d’une Haute Autorité de Stabilité financière (titre III) du projet de loi, « une première en France et en Europe » a rappelé Mme BERGER, doit permettre d’améliorer la surveillance des risques systémiques. Dotée de « pouvoirs macro-prudentiels extraordinaires », cette haute autorité pourra notamment « décider de renforcer unilatéralement les ratios prudentiels de solvabilité et de liquidité ». »Il existe des indicateurs de dérives spéculatives grâce auxquels on peut repérer, avec une bonne probabilité, les développements de bulles, en alerter les marchés et agir en conséquence au niveau macro-prudentiel », ajoute M. KLEIN. A ce sujet, M. Michel RASLE, avocat associé au cabinet Carlara, s’est enquis de l’état du système bancaire chinois. « A ce stade, ce n’est pas une problématique systémique mondiale », a rassuré Mme BERGER. M. KLEIN a ajouté que « la Chine combine un rythme de croissance de crédit trop important et un shadow banking trop développé, il y aura donc des à-coups. Mais la Chine a certainement les moyens de réguler cela car l’épargne nationale y est très forte en pourcentage du PIB et la banque centrale a des réserves très importantes ».

Séparer les activités de marchés utiles des activités spéculatives : une ligne de partage difficile à établir

Au cœur de la loi bancaire, le partage entre les activités de marchés spéculatives, qui seront isolées au sein d’une filiale dédiée, et celles considérées comme « utiles à l’économie » n’est pas aisé à définir, a rappelé Mme BERGER. Le rapport Liikanen, remis à Bruxelles, recommandait ainsi d’isoler l’ensemble des activités de marchés, y compris des activités de tenue de marché, au sein d’une même filiale. Le projet de loi français a d’abord été conçu de manière à ne filialiser que les activités de marchés pour compte propre des banques, en laissant les activités de tenue de marché (« market making ») au sein de la maison mère.

M. KLEIN a mis en évidence, malgré « une certaine porosité entre le trading et le market making », leurs différences. « Le trading pur joue sur les variations de prix de de marché à court terme. Il est, en théorie, utile à la fixation du prix d’équilibre sur les marchés, dans la pratique aussi ; mais comme le prix d’équilibre est difficile à cerner, le trading pur, par comportement mimétique, peut aussi renforcer les bulles spéculatives.  Il faut donc permettre le trading mais le réguler de manière à ce que ces opérations soient légèrement moins faciles à pratiquer. Le « market making », qui correspond à des opérations faites selon les besoins des acheteurs et des vendeurs, est, lui, utile à la liquidité et à la profondeur des marchés financiers en permettant à chacun de trouver une contrepartie au moment désiré. Au final, la loi a trouvé un bon équilibre en la matière, a estimé M. KLEIN.

« J’en suis arrivée à la conclusion qu’il est impossible de distinguer la tenue de marché du reste des activités de marchés », a ajouté Mme BERGER. « C’est pourquoi l’Assemblée nationale a voulu aller au-delà, avec un amendement permettant au ministre de l’Economie de fixer par décret la proportion de tenue de marché filialisée ». Ce décret permettra ainsi a posteriori de s’ajuster à la législation européenne, en isolant de 0 à 100 % de la tenue de marché. Une préoccupation partagée par M. KLEIN : « la loi bancaire repose sur le pari que la France et l’Allemagne, en agissant en amont, pourront influencer l’Europe. Si la législation européenne ne va pas dans notre sens, il faudra nous ajuster afin d’éviter un patchwork réglementaire en Europe et éventuellement un désavantage pour les banques françaises ».

M. Philippe CROIZAT, avocat associé chez Carlara à Lyon, s’est, quant à lui, inquiété du coût de la filialisation pour la maison mère. « Cette filiale dédiée aux activités spéculatives devra être surcapitalisée », a-t-il fait remarquer. Plaidant une difficulté de communication sur ce sujet, Mme BERGER a souligné avec fermeté que « le critère grand risque interdit à la maison mère de transmettre des fonds propres ou des liquidités au-delà d’un certains ratio ». « La maison mère ne sera pas responsable à 100 % de sa filiale de ségrégation mais la considérera comme un tiers » et ne pourra donc pas lui prêter « selon la réglementation déjà existante qui oblige à diviser les risques, plus de 25 % selon la loi bancaire, mais dans la pratique réglementée, pas plus de 10 % de ses capitaux propres ».

La filiale sera donc obligée de se financer auprès de tiers qui vont y regarder de près, ce qui va augmenter le coût de son financement. En conclusion, « je ne pense pas qu’il y aura beaucoup de filiales créées car cela serait probablement très coûteux de les faire fonctionner. Or, si l’on comprend qu’il ne faut pas que le risque spéculatif mette en danger fondamental les banques, il faut tout de même faire attention à ne pas supprimer tout trading » a relevé M. KLEIN. »

D’ailleurs, si l’on veut limiter l’éventuel danger de risque systémique lié aux dérivés, il vaut mieux réglementer internationalement leur utilisation pour favoriser les marchés organisés, bien mieux sécurisés » a-t-il encore précisé.
Répondant à une question de M. Arnould BACOT, expert-comptable au sein de la société d’audit TILIA, sur la gouvernance des établissements bancaires, Mme BERGER a expliqué que le projet de loi était conçu de telle sorte que les membres du conseil d’administration ne puissent siéger en même temps dans les maisons mères et les filiales.

Les filiales n’auront, par ailleurs, ni les mêmes dirigeants ni les mêmes noms que les établissements dont elles sont issues. M. Thibaud de GOUTTES, executive director en charge de la couverture des institutions financières à la Banque Nomura à Paris, s’est, par ailleurs, interrogé sur la compatibilité du projet de loi avec les groupes mutualistes et coopératifs formés de caisses régionales et d’organes centraux. « Quelle que soit la structure, si des activités doivent être ségréguées, elles pourront créer leur filiale dans les conditions prévues par la loi », a noté M. KLEIN.

Préserver la compétitivité de l’industrie bancaire française

Les participants au débat se sont également fait écho de préoccupations concernant les répercussions du projet de loi sur la compétitivité des banques françaises. « Le market making comprend aussi les marchés de dérivés sur lesquels l’industrie bancaire française est forte. Il s’agit donc également de préserver la capacité des banques françaises à faire du market making, pour que cette activité ne soit pas laminée par les positions des banques non françaises », a rappelé M. KLEIN.

Autre sujet d’inquiétude, celui des commissions d’intervention perçues par les banques en cas d’incidents de paiement. Le plafonnement de ces commissions reste, à ce jour, le principal point de désaccord à trancher entre l’Assemblée nationale et le Sénat. La chambre basse souhaite établir un plafond général unique pour tous les consommateurs tandis que la chambre haute a voté l’établissement d’un second plafond plus bas pour les populations fragiles. »

Depuis cinq ans, nous avons vécu de telles réglementations successives sur les commissions bancaires que nous avons perdu 4,5 % du produit net bancaire (PNB), a précisé M.KLEIN. A cela s’ajoute un environnement qui ne facilite pas la croissance du PNB, au risque de modifier le modèle de rentabilité des banques de telle sorte qu’elles n’embauchent plus, alors que le secteur emploie plus de 400 000 personnes », a mis en garde M. KLEIN. Et le directeur général de la BRED de pointer le risque, outre celui de déresponsabiliser les acteurs, que cela ne conduise à « faire de la banque low cost sans service aux consommateurs, ce qui au bout du compte pénaliserait l’économie française ». « La réglementation sur les commissions ne devrait toucher que les personnes fragiles » a-t-il conclu.

« Les nouvelles normes internationales tendent à généraliser le modèle anglo-saxon de désintermédiation financière dont les dérives ont conduit à la crise de 2008. N’est-il pas regrettable de voir les banques européennes quitter leur métier de base en se délestant de portefeuilles de créances auprès de compagnies d’assurances à la recherche de rendement ? Cette nouvelle vague de titrisation n’est-elle pas porteuse de nouveaux risques ? » s’est encore enquis M. Yves BAZIN de JESSEY, directeur gestion institutionnelle de la Banque Saint Olive. Mme BERGER a souligné que ce phénomène de titrisation de prêts bancaires, appelés « loans », était encore « marginal à Paris », l’estimant à près de 10 milliards d’euros. « Nous ferons tout pour que les banques continuent à faire leur métier, c’est-à-dire octroyer des crédits. Mais, à ce sujet, je crains plus les arbitrages sur les rendements opérés par les banques que l’impact des réglementations ».


Télécharger l’article Projet de loi de régulation des activités bancaires : débat entre Olivier Klein et Karine Berger pour Correspondances Economiques, Correspondances Economiques, 11/07/2013, pp 35-39 (PDF)