L’efficacité de la politique monétaire des taux très bas va prendre fin

30.11.2016 4 min
Tribune d'Olivier Klein dans Le Monde. 1er Décembre 2016.

La politique monétaire de taux courts et longs bas, voire négatifs, a incontestablement permis d’éviter un risque catastrophique en 2007 – 2009, puis en Zone Euro, de 2010 jusqu’à présent. Puis de raviver la croissance, même légèrement, par la relance de la demande de crédit et le soutien à la consommation et à l’investissement.

Dans la période de faible croissance que nous traversons, la politique monétaire menée par la BCE contribue à faciliter le désendettement partiel des Etats comme du privé, en garantissant un taux d’intérêt nominal inférieur au taux de croissance nominal, ou au pire égal. C’était essentiel, car n’oublions pas que la crise de 2007-2009 est survenue à la suite d’un cycle d’endettement des ménages et des entreprises devenu progressivement insoutenable. Cette crise financière et économique majeure a conduit à son tour à une très forte montée de l’endettement public. Provoquant une baisse drastique des taux longs par achat d’obligations d’Etat, Mario Draghi a réussi à stopper le cycle infernal qui reposait sur la défiance contagieuse vis-à-vis de la dette publique de certains pays européens. Cette défiance conduisait à une montée spéculative de leur taux, qui à son tour aggravait leur déficit public, donc à nouveau leur dette et la défiance à leur égard.

Cette politique de taux très bas, voire négatifs, a aussi pour objectif de soutenir la demande globale de crédit. En principe, les taux d’intérêt inférieurs au taux de croissance donnent tôt ou tard l’envie de moins épargner et de plus consommer et investir, et in fine, permettent de relancer la croissance. Les taux actuels des crédits immobiliers en sont une illustration parfaite avec des planchers historiquement bas. Enfin, en améliorant la valorisation des actifs patrimoniaux (immobilier, actions…), la baisse des taux peut provoquer également un effet richesse favorable à la consommation et à l’investissement, plus visible cependant aux États Unis qu’en Zone Euro.

Mais si la confiance ne suit pas, la demande de crédit peut demeurer atone malgré la baisse des taux. En 2014 en France par exemple, la demande est restée en deçà des espoirs des banques quant aux projets à financer. A l’inverse, entre fin 2014 et début 2015, les entreprises françaises ont repris goût à l’investissement avec une demande de crédit raffermie. En outre, les ménages peuvent  être in fine tentés d’augmenter les montants qu’ils épargnent et non les abaisser , pour protéger le niveau de leur retraite ultérieure, ne pouvant plus compter sur la capitalisation des intérêts devenus trop faibles.

Quel est l’impact du côté des banques ? Les taux très bas entament sans conteste la rentabilité bancaire. La marge nette d’intérêt d’une banque correspond aux intérêts reçus sur ses stocks de crédits moins les intérêts rémunérant les encours de dépôts. Si le taux de marge baisse, butant sur l’impossibilité de connaître une baisse de rémunération des dépôts – qu’il est quasi impossible de rendre négative – équivalente à celle constatée sur les crédits, les revenus des banques baissent. Tout l’enjeu des banques aujourd’hui est donc de compenser cette perte due à l’effet taux par un effet volume positif. Si la demande globale de crédits augmente, notamment grâce à la baisse des taux provoquée par la banque centrale, chaque banque peut en profiter. Mais si la demande ne se développe pas suffisamment, le secteur se contracte.

Le volume global de crédits en 2015 en France a augmenté suffisamment pour compenser l’effet des taux négatifs. Mais cet effet volume n’a plus été suffisant au premier semestre 2016.
Cependant, cette baisse de marge d’intérêts a été compensée sur cette dernière période par la baisse du coût du risque. La baisse des taux, en soutenant l’économie, fait en effet mécaniquement baisser le coût du risque de crédit. Depuis 2014, la baisse du risque s’est ainsi accélérée, permettant aux banques de compenser l’effet taux négatif et l’effet volume insuffisant. Mais nous arrivons maintenant à une impasse. Si, en effet,  les taux très bas perduraient à ce même niveau, l’effet taux s’aggraverait inexorablement, alors que  le coût du risque ne pourrait  plus s’abaisser indéfiniment et jouer son rôle de compensation.

En réduisant fortement à l’avenir la rentabilité des banques, des taux très bas risqueraient finalement de contraindre l’offre de crédit, au moment même où  la réglementation bancaire exige des ratios de solvabilité en forte hausse, donc plus de résultats en renfort des fonds propres. D’autant qu’il est impossible de réaliser aisément des augmentations de capital, puisque la rentabilité des banques s’est affaissée en-dessous de leur coût du capital. La poursuite d’un telle politique pourrait être ainsi in fine  défavorable à la croissance. Rappelons que contrairement aux Etats-Unis où les marchés assurent l’essentiel des besoins de financement, en Europe, la situation est inverse. Maintenus à un niveau si bas, les taux d’intérêt pourraient également faciliter tôt ou tard l’émergence d’une bulle de l’immobilier, voire des actions. Enfin, ils fragilisent assureurs vie et caisses de retraite.

La politique de taux très bas a été indispensable. Quelle autre politique monétaire aurait pu être menée, sans prendre des risques bien plus élevés ? Elle a permis également d’acheter du temps, notamment dans la Zone Euro, pour que les gouvernements fassent plus aisément les réformes structurelles nécessaires au rehaussement de leur croissance potentielle et qu’ils soient en mesure de compléter les arrangements institutionnels indispensables qui régissent la zone monétaire (réelle coordination des politiques économiques au sein de la zone, éléments de mutualisation des dettes publiques…). Il n’est pas certain que ce temps ait été mis suffisamment à profit. Pourtant, au moment où les taux de la Fed aux États Unis sont sur le point de remonter, probablement légèrement, et où les taux longs ont initié une hausse, en Zone Euro le temps est déjà compté.

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Directeur Général de la BRED, Professeur d’Economie et Finance à HEC