« La révolution technologique ne dissout pas l’entreprise, elle renouvelle le management »

30.08.2022 5 min
Retrouvez ma chronique publiée dans "Revue Banque" n°871 de Septembre 2022

Les nouvelles technologies sont pour la banque tout à la fois des déterminants du changement et des opportunités facilitant les transformations nécessaires. En matière d’organisation, elles ne dissolvent pas l’entreprise, elles renouvellent le management.

La banque évolue dans un environnement éminemment mouvant. Elle doit continuellement s’adapter, en anticipant au plus près les mutations économiques et comportementales, en poursuivant les transformations indispensables à la permanence de son utilité économique et sociale, comme au maintien de sa compétitivité. Les nouvelles technologies sont pour la banque tout à la fois des déterminants du changement et des opportunités facilitant les transformations nécessaires. La révolution technologique, avec l’essor du digital et de l’intelligence artificielle, n’a pas, comme le prédisait un nombre certain de commentateurs, « disrupté » la banque. Bien au contraire, la banque commerciale a su en tirer profit pour pérenniser et renforcer ce qui fait l’essence même de son métier et sa valeur ajoutée : l’intermédiation et le conseil. Son rôle indispensable a d’ailleurs été largement confirmé à la faveur de la crise sanitaire. Cette capacité à se réinventer continuellement au gré des bouleversements de l’histoire nécessite de ne pas céder à la tentation de mouvements browniens, de ne pas se départir de ce qui fait l’utilité de la banque vis-à-vis de ses clients. En cultivant le champ de l’investissement humain, tout autant que celui du digital.

S’il en est ainsi dans les relations entre la banque et ses clients, il en va de même dans son mode de fonctionnement interne. L’organisation classique de toute entreprise, y compris la banque, reposait sur un processus décisionnel centralisé, des relations hiérarchiques très structurées et une information descendante. Ce mode d’organisation n’était plus compatible avec ce qu’a induit la révolution digitale en termes de circulation de l’information au sein de l’entreprise. Mais aussi avec les transformations nécessitées par les profondes mutations en cours. Tout au contraire, s’imposent un fort besoin d’agilité et d’innovation, comme le développement d’un sens et d’un goût de l’entrepreneuriat (ou plutôt de l’intrapreneuriat). Ils sont en effet tous deux nécessaires au processus d’adaptation permanent, seul à permettre de survivre et de se développer dans un environnement très mouvant. C’est aussi le cas du secteur bancaire, cela va de soi. 

Le travail, plus désiré et motivant

Parallèlement, les attentes des salariés ont évolué avec un besoin d’autonomie et une quête de sens croissants. Ils souhaitent comprendre la stratégie menée et se sentir impliqués. Pour les nouvelles générations, le travail doit être encore plus désiré et motivant.

L’ensemble de ces considérations conduit à repenser l’organisation de l’entreprise et le rôle du manager. Il s’agit bien là de repenser l’organisation du travail. Mais non pas de l’ubériser pour répondre à une conception éthérée, vaporeuse même, de l’entreprise qui, grâce au digital, s’apparenterait à une communauté de contributeurs réunie au gré des projets à mener, où le salariat n’aurait plus sa place. Dans une économie de l’innovation et de la connaissance, toutes deux au cœur de la compétitivité, seule l’entreprise, parce qu’elle est dotée de ressources organisationnelles et financières, peut assurer la formation des salariés au long de leur vie professionnelle et répondre à leur besoin d’évolution professionnelle. En outre, toute activité complexe requiert une structure organisationnelle forte, un capital significatif, des infrastructures matérielles et techniques, ainsi qu’une articulation précise entre ses différentes composantes. Ce qui s’accorde mal avec les associations ponctuelles d’individus détachés les uns des autres. La banque en est un exemple évident, parmi tant d’autres. La crise pandémique a de plus mis en lumière les limites économiques, sociales et humaines du télétravail lui-même, qui, tout en étant utile, n’est pas la panacée. Le télétravail est certes efficace pour assurer la continuité d’exploitation et une gestion plus intelligente du temps et des transports, dans nombre de cas de figure. Mais il est impropre à répondre au besoin vital de socialisation que seul le travail en commun, dans un même lieu, permet. Il ne peut pas davantage prétendre à égaler l’efficacité d’une relation, d’une communication et d’échanges fluides et physiques. L’entreprise rassemble ainsi durablement une communauté d’hommes et de femmes dont les projets et l’activité sont utiles à la société et font ainsi sens. Et le digital est à son service. 

De plus, l’entreprise, tel un organisme vivant devant se transformer en continu pour mieux perdurer, doit combiner intelligemment deux principes d’organisation indispensables : d’un côté, le niveau nécessaire d’ordre entre les parties, pour assurer leur coordination et la continuité de l’activité, par le respect de normes et de règles de fonctionnement, les « routines » de gestion. D’un autre côté, l’autonomie et la responsabilisation des équipes et salariés eux-mêmes, qui assurent la souplesse et l’adaptation nécessaires pour prendre en charge les transformations longues indispensables à la survie de cet organisme vivant qu’est l’entreprise.

Autonomie et responsabilisation

Ainsi, pour favoriser l’autonomie et la capacité entrepreneuriale des équipes, la culture managériale doit ainsi, elle aussi, évoluer. Le manager, dont le rôle est fondamental dans la réussite des transformations, doit dorénavant fédérer une communauté d’acteurs autour de projets pertinents pour l’entreprise. Fini le temps du manager superviseur qui assoit son pouvoir sur la détention de l’information. Dorénavant cette dernière est libre et circule dans l’entreprise sans « descendre » aux collaborateurs par la seule hiérarchie. Le manager doit faire partager la stratégie de la banque, donner du sens et des perspectives, être capable d’anticiper les points de blocage, lever les freins au changement. De même, il doit contribuer à former et entraîner les salariés pour leur permettre d’enrichir leurs compétences et leur valeur ajoutée, développer leur capacité à développer leur autonomie et connaître le plaisir de donner le meilleur d’eux-mêmes. Et chaque manager doit organiser la transformation dans son domaine et faire en sorte que les innovations organisationnelles et technologiques soient bien comprises, partagées et vécues. Enfin, le manager doit faire en sorte que chaque collaborateur soit le plus possible lui-même acteur du changement, dans un processus de concertation. Il s’agit là d’une philosophie de l’action et de la transformation.

A ce titre, les nouvelles technologies sont, là encore, très utiles, mais ne « disruptent » pas la notion même d’entreprise et de management. Elles permettent au contraire une meilleure efficacité.

Dans la banque, entreprise de service, cette approche est d’autant plus essentielle que le capital humain est le premier levier de compétitivité. Il faut faire le pari de l’humain face au risque de désintermédiation et d’« ubérisation » de la banque. Le digital est certes nécessaire et utile, mais l’humain est le facteur différenciant.

Ce changement de paradigme managérial est ainsi indispensable à une conduite réussie et la plus harmonieuse possible des mutations en cours. Loin de la « disruption », souvent fruit d’une insuffisante anticipation des évolutions au long cours. 

Olivier Klein
Directeur Général BRED, Professeur de macro-économie financière et de politique monétaire à HEC