
Premiere version de ce texte publiée par Les Échos le 7 avril. Version modifiée et complétée le 10 avril
Bien que Trump apparaisse à beaucoup comme désordonné, incohérent et contradictoire, ses préoccupations ne sont pas dépourvues d’un certain réalisme et d’une certaine cohérence.
Cependant, il semble n’avoir qu’une seule arme pour atteindre ses objectifs, utilisée de manière brutale et grossière : les tarifs douaniers. Sans doute accompagnés d’un affaiblissement du dollar. Mais l’utilisation de ces armes est contradictoire et dangereuse.
Les difficultés de l’économie américaine ne proviennent pas de son taux de croissance ou de ses gains de productivité, qui ont été significativement plus élevés que ceux de la zone euro, notamment au cours des quinze dernières années. En revanche, entre 2000 et 2024, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 23 % à 17 %, avec des effets négatifs pour les travailleurs américains et la classe moyenne.
De plus, les déficits jumeaux, public et courant, ont conduit, au cours des vingt-cinq dernières années, les États-Unis à voir leur dette publique passer de 54 % à 122 % du PIB et leur dette extérieure nette multipliée par quatre (approximativement de 20 % à 80 % du PIB).
Dilemme monétaire
Cette explosion des dettes posera tôt ou tard un problème quant au statut du dollar en tant que monnaie internationale. Les États-Unis ont en effet un besoin structurel de financer leurs dettes, donc d’attirer des capitaux du reste du monde.
Le fait de posséder la monnaie internationale (environ 90 % des transactions de change, 45 % des paiements internationaux et 60 % des réserves officielles des banques centrales) facilite grandement ce financement. Les pays en excédent courant réinvestissent en temps normal presque systématiquement cette liquidité en dollars sur le marché financier américain. D’autant plus que les rendements boursiers américains sur-performent et que leur marché des capitaux est le plus profond.
Ce statut impose aussi aux États-Unis d’accumuler un déficit courant pour fournir au reste du monde la quantité de monnaie internationale nécessaire.
Mais comme en toute chose, l’équilibre est essentiel et difficile à maintenir. Les États-Unis régulent leurs déficits selon leurs propres besoins plutôt que ceux du reste du monde. Cela confère au système monétaire international un caractère intrinsèquement instable.
Dès les années 1960, Robert Triffin affirmait que si les États-Unis ne maintenaient pas un déficit courant suffisant, le système périrait par asphyxie. Et si ce déficit devenait trop important, il mourrait par manque de confiance.
Face à la dynamique dangereuse des dernières décennies, Trump doit protéger la confiance dans le dollar pour perpétuer son financement par le reste du monde sans douleur excessive (c’est-à-dire à des taux non prohibitifs). En même temps, il doit réduire l’excès d’importations par rapport aux exportations pour rendre cette trajectoire soutenable. Cela implique une réindustrialisation cohérente pour réduire cet écart tout en satisfaisant ses électeurs.
Une confiance fragile dans le dollar
Trump semble toutefois n’avoir qu’une seule arme : les tarifs douaniers accompagnés d’un affaiblissement apparent du dollar. À première vue, ces deux mesures pourraient réduire les importations américaines, stimuler la production nationale et augmenter les exportations. Mais cette stratégie entre en conflit avec la nécessité d’un dollar stable pour maintenir la confiance mondiale.
De plus, l’utilisation du dollar comme arme par les administrations précédentes pour imposer des sanctions financières a déjà sérieusement endommagé la confiance mondiale dans cette devise. Les pays du Sud global contestent simultanément ce double standard américain.
Et les annonces soudaines de hausses massives de tarifs ne renforcent pas la confiance dans le système économique américain. Sans parler de leur potentiel régressif et dangereux pour l’économie mondiale.
Des solutions structurelles nécessaires
L’idée selon laquelle le déséquilibre entre importations et exportations américaines est dû à des conditions défavorables imposées par des pays excédentaires est fausse. Le déficit courant américain résulte principalement d’un manque de compétitivité domestique et d’une forte insuffisance d’épargne par rapport aux investissements, soit d’une demande trop longuement et trop significativement supérieure à l’offre domestique. Autrement dit , les Américains vivent exagérément au-dessus de leurs moyens.
Des mesures structurelles visant à renforcer la compétitivité industrielle américaine et à réduire le déficit public sont essentielles. L’utilisation agressive des tarifs ou la manipulation du dollar reflète une approche économique simpliste et risquée.
Protéger la stabilité financière
Trump a raison sur ses « obsessions », mais se trompe sur sa réponse. Et menacer les pays envisageant des systèmes alternatifs au dollar pourrait précipiter la perte de confiance mondiale dans cette devise.
Il pourrait aussi avoir envie d’encourager les stablecoins adossés au dollar pour « dollariser » la planète. Mais cela nuirait à la souveraineté monétaire d’autres régions qui pourraient réglementer leurs paiements pour protéger leur stabilité financière.
Les défis économiques américains exigent des solutions diversifiées et structurelles bien au-delà des tarifs douaniers élevés qui risquent une récession mondiale combinée à un crash financier majeur.
Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.