Rééquilibrer marché et sphère publique: une œuvre indispensable et urgente

22.08.2025 3 min
Ce texte met en lumière la nécessité urgente de repenser l’équilibre entre marché et action publique. Les forces du marché – efficacité, innovation, dynamisme – y sont rappelées , tout en soulignant ses limites qui requièrent un encadrement clair et stable. À l’inverse, l’hypertrophie de la sphère publique en France, marquée par complexité administrative, excès de normes et perte de responsabilisation des citoyens induit une moindre efficacité et alimente défiance et démobilisation. L’enjeu n’est pas de choisir entre État et marché, mais de refonder leur complémentarité pour conjuguer efficacité économique, équité et vitalité démocratique. La clé réside dans une action publique recentrée, simplifiée et lucide, capable de restaurer la confiance collective et de renforcer la responsabilité individuelle.

Les Échos , le 4 août 2025

Le marché est un levier essentiel de dynamisme économique. Il favorise l’allocation efficace des ressources, stimule l’innovation et permet l’ajustement de l’offre à la demande. Toutefois, il n’est ni parfait ni autosuffisant. Sa régulation est nécessaire pour éviter les dérives, permettre l’équité et assurer la stabilité à long terme. Cette régulation suppose un cadre juridique, des institutions solides, et des autorités légitimes pour fixer les règles du jeu. Mais cet encadrement ne doit pas devenir un carcan.

Depuis plusieurs décennies, la sphère publique a connu un développement continu, parfois mal maîtrisé. En France notamment, on observe une tendance à la suradministration, de même qu’à l’excès de prélèvements. L’État intervient dans un nombre croissant de domaines, au point d’intermédier trop souvent les relations entre les uns et les autres, réduisant également trop régulièrement le rôle des corps intermédiaires. Ce phénomène conduit à un empilement de normes et à une bureaucratie toujours plus complexe. Ainsi qu’à un manque de compétitivité comme d’attractivité du travail.

Lourdeur administrative, inefficacité croissante des politiques publiques, confusion des responsabilités en sont les manifestations. L’action publique tend alors à produire désillusions, ressentiment et démobilisation. Trop souvent, les citoyens se sentent infantilisés, dépossédés de leur capacité à agir, réduits à une forme de passivité civique. Ce climat nourrit un désengagement progressif, une défiance envers les institutions et le politique perçus comme lointains et insuffisamment efficaces, voire comme incompétents. La logique d’expansion continue de la sphère publique engendre également une demande illusoire de réponse étatique à tous les problèmes. Cette dynamique alimente un cercle vicieux : plus l’État promet, plus il déçoit ; plus il s’étend, plus il devient inefficace. Ce qui amène à son tour l’inquiétude, la peur devenue insurmontable devant tout problème fût-il petit, tant le sens de la responsabilité individuelle a été réduit, abîmé. “Un État qui s’immisce partout ne fait pas que fragiliser les institutions ; il détruit également les relations de confiance entre les citoyens, car il s’interpose entre eux et les rend étrangers les uns aux autres.” écrit justement Hannah Arendt .

Trop d’Etat induit ainsi l’aliénation des individus quant à leur capacité à agir par eux-mêmes. Cette situation affecte non seulement la vitalité démocratique, mais aussi la capacité d’innovation et d’adaptation de la société. Elle favorise l’immobilisme, décourage les réformes nécessaires et mine la confiance collective. Le tissu économique et social en souffre. Ce trop-plein de règles et d’impôts et cotisations ne garantit en outre ni l’équité ni l’efficacité : il fige la société au lieu de l’accompagner dans ses mutations. Ce qui induit un taux d’emploi trop faible et bloque la mobilité sociale. Il est donc urgent de repenser l’équilibre entre marché et puissance publique. Le marché a besoin de règles, mais des règles lisibles, stables, non trop nombreuses, enfin adaptées aux enjeux contemporains. L’État doit se concentrer sur ses missions essentielles et doit rechercher l’efficacité. “Le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie, et les dirige; il ne tyrannise pas, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.”, Tocqueville, déjà.

L’enjeu n’est pas de choisir entre marché et État, mais de les ré-articuler intelligemment. Il faut sortir de la logique trop souvent manichéenne en France consistant à considérer que ce qui est public est obligatoirement bon et ce qui est privé mauvais. L’inverse n’est pas non plus pertinent. Il faut rétablir la complémentarité entre initiative et responsabilité individuelles et organisation collective. Il existe un chemin d’équilibre qui combine efficacité économique et exigence éthique. L’efficacité n’étant d’ailleurs pas l’apanage du marché, de même que l’éthique n’est pas celui du public. Les pouvoirs publics doivent ainsi penser en permanence l’équilibre qui marie pour le mieux les deux termes.

Cette exigence suppose une réforme profonde de l’action publique. Plutôt que d’ajouter des couches administratives, il faut simplifier, responsabiliser et recentrer l’État sur ses fonctions stratégiques. Et penser sans cesse à ce qui permet d’atteindre les objectifs souhaités , en évitant tous les effets contre-productifs, hors de tout dogme et du prêt-à-penser idéologiquement correct du moment. Afin d’éviter tant l’entropie de la sphère publique que la perte du sens dans nos sociétés. C’est ainsi que l’indispensable confiance dans les institutions et le politique pourra revenir. Ainsi que dans la démocratie.

Olivier Klein
Professeur d’économie à HEC