Le trop plein de dette publique peut conduire à une défiance sociétale

27.09.2025 2 min
Le débat sur l’importance et le traitement de la dette publique a ressurgi en France. Il est souvent alimenté par de fausses solutions qui ignorent la réalité technique. Mais plus fondamentalement encore pour lesquelles la question des conséquences d’une politique inappropriée sur la confiance dans la monnaie et dans la société est un impensé.

L’idée que la banque centrale peut, par l’annulation de la dette publique qu’elle détient, effacer le problème, est une tentation récurrente. Pourtant, une telle stratégie est inefficace tout en comportant de graves dangers. Sur le plan budgétaire, l’annulation de la dette détenue par la banque centrale n’apporte aucun avantage durable au Trésor. En effet, la Banque de France, possédée par l’Etat, reverse ses profits – issus entre autres des intérêts versés par l’État en rémunération des obligations émises et achetées par elle – au Trésor sous forme de dividendes. Annuler la dette revient donc à annuler à la fois la charge d’intérêts… et le flux correspondant de dividendes.

La monétisation de la dette, c’est à dire son achat par la banque centrale, peut résoudre temporairement la question de l’augmentation pénalisante du coût des intérêts que pourrait imposer le marché en cas d’inquiétude prononcée sur le niveau d’endettement. Pour autant, cette solution n’en comporte pas moins des dangers fondamentaux, dès lors qu’elle se répète et qu’elle devient durable.

La monétisation sans limite ou l’annulation pure et simple de tout ou partie de la dette peut perturber profondément le jeu des acteurs économiques. Elles lèvent en effet la « contrainte monétaire » : la nécessité de rembourser sa dette ou de la refinancer dans des conditions « normales ».

Or, la confiance dans la monnaie correspond à un système fiable et efficace de règlement des dettes. La monnaie est en effet le moyen de règlement libératoire de la dette née des échanges marchands . La perte de confiance dans le bon règlement des dettes conduit donc à la perte de confiance dans l’issue des échanges et dans la monnaie dans l’essence même de sa fonction . La monnaie est bien ainsi le socle fondamental du lien social dans les économies de marché, comme l’analysait Michel Aglietta.

La perte de confiance dans la monnaie, conséquence d’un usage abusif de l’endettement qui nécessite in fine d’être monétisé ou annulé, n’est pas un risque théorique. De nombreux épisodes économiques, de la République de Weimar à des situations plus récentes dans des économies émergentes comme l’Argentine, illustrent la défiance, voire la fuite devant la monnaie, lorsque celle-ci n’est plus ancrée dans des règles de gestion saines des finances publiques et monétaires. La fuite peut alors se faire par exemple sur des monnaies créées ad hoc localement, l’or ou encore les crypto-actifs aujourd’hui. Les crises sociales, économiques et politiques qui en découlent sont dramatiques. En France, l’euro atténue ce risque, mais les autres pays membres pourraient tôt ou tard refuser le danger ainsi partagé.

Une dette en croissance non contrôlée n’est donc pas qu’un enjeu technique ou budgétaire : elle ouvre la voie à une remise en cause de la confiance dans la monnaie et de la stabilité de la société elle-même. Les solutions de facilité qui passent par la monétisation discrétionnaire ou l’effacement de la dette au mépris des règles communes exposent la société à un danger systémique.

Olivier Klein
Professeur d’économie à HEC