
Il serait plus que hasardeux de prétendre que la France n’a pas un sérieux problème d’endettement public. Et que son modèle social et administratif n’exige pas de profondes réformes pour être soutenable. Certes, la catastrophe sur les marchés n’est probablement pas à craindre immédiatement du seul fait de la situation financière de la France, notamment grâce à la protection offerte par l’euro. Mais un chaos politique durable et sans issue prévisible pourrait éventuellement la déclencher.
Quoi qu’il en soit, l’enjeu est d’agir profondément et rapidement pour restaurer la soutenabilité de notre modèle économique et social, aujourd’hui à bout de souffle. Et de constater que la montée fulgurante des intérêts de la dette publique, notamment dès 2026, alourdira encore considérablement l’équation budgétaire.
Le décrochage français
Notre PIB par habitant baisse de plus en plus vis-à-vis de celui de ses voisins. En 2024, l’Allemagne est à 116,2 % du PIB par habitant de la France contre 105 % en 2000, les Pays-Bas à 136,4 contre 114, le Danemark à 129,3 contre 117,8 et la Suède à 114,1 contre 100, par exemple. Ce grave décrochage, opéré sur un peu plus de vingt ans, traduit un affaiblissement de la compétitivité et un essoufflement du modèle productif français.
Parallèlement, depuis 2000, la dette publique française est passée de 59 % à 113 % du PIB, soit +54 points. Contre celle de la zone euro hors France qui n’a augmenté que de 17 points, de 70 % à 87 % du PIB. Sans pour autant booster la croissance française puisqu’elle a été légèrement plus faible sur la période que dans le reste de la zone euro hors France.
Le taux de prélèvements obligatoires a atteint 45,3 % en France en 2024, contre 40,3 % pour l’Allemagne, 40,6 % pour la zone euro hors France et 34 % en moyenne dans l’OCDE. Sans mentionner même la suradministration et la surréglementation croissantes qui pèsent chez nous également sur la compétitivité et l’esprit d’entreprise. Et nous avons comparativement un trop faible taux d’emploi (68 %, lorsque les pays d’Europe du Nord et l’Allemagne sont entre 75 et plus de 80 %) ; le taux d’emploi étant très corrélé notamment avec le taux de cotisation sociale payé par les entreprises, mais aussi avec les règles de départ en retraite.
Parallèlement, la part des exportations françaises de marchandises dans les exportations totales de la zone euro est ainsi passée de 16 à 11 %, soulignant une dégradation significative de la compétitivité de notre industrie.
Il est à noter en outre que le taux de redistribution en France est l’un des plus élevés au monde. L’écart des revenus des 10 % les plus aisés avec les 10 % les moins aisés passe ainsi après redistribution élargie (d’après un calcul de l’INSEE) de 18 à 3. Quant aux 1 % les plus aisés, ils reçoivent en France 7,2 % du revenu des ménages, contre en Suède 8,7 %, en Italie 10,3 % et aux Etats-Unis 14,4 %.
Enfin, les dépenses publiques en France représentent 57,1 % du PIB en 2024, loin devant l’Allemagne (49,5 %), la zone euro hors France (49,6 %) et l’OCDE (42,6 %). Et il n’y a pas à long terme de corrélation positive sur l’ensemble des pays de l’OCDE entre le taux de dépenses publiques et le taux de croissance. Au-delà d’un certain seuil, au contraire même.
Travailler et produire plus
Faut-il vraiment ignorer ces chiffres et proposer contre toute évidence d’accroître encore les taux de prélèvements et des dépenses publiques, en lieu et place de les abaisser ? Peut-on sérieusement éviter de comprendre que la bonne réponse en France est l’accroissement de la richesse produite et non davantage encore de redistribution ? Que le problème vient aussi du manque de quantité de travail tant en durée annuelle qu’au long de la vie ? Sans comprendre que ce manque ne permet le soutien de notre niveau de vie et de protection sociale qu’en nous endettant toujours plus ?
Nous devons parler vrai et agir juste pour éviter le déclin accéléré de notre modèle économique et social. Et ces constats ne sont ni de droite ni de gauche. Comme le rappelait Pierre Mendès France : « Les comptes publics en désordre sont le signe des nations qui s’abandonnent. »
Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.