Le modèle français, de l’excès à l’indispensable renouveau

15.05.2025 3 min
Le modèle européen et français de régulation politique, économique et sociale traverse une crise profonde. Ce modèle, sous la pression de ses dérives, s'avère difficilement capable de répondre aux défis contemporains. La survie du modèle européen démocratique et d'économie sociale de marché dépend de sa capacité à se renouveler. Sans un sursaut intellectuel pour limiter les excès qui s'y sont développés et pour retrouver les équilibres indispensables qui les fondent, notre système politico-économico-social sombrera dans l'entropie. Qui plus est, dans un monde où les seuls rapports de force sont redevenus la règle. Ce renouveau est crucial pour restaurer la confiance dans les institutions et la politique, comme dans la démocratie elle-même. Il est aussi crucial pour retrouver une vitalité et un dynamisme sans lesquels rien n'est possible. La pérennité de notre beau modèle européen en dépend.

Publié par Les Échos le 15 mai 2025

Le modèle européen et français de régulation politique, économique et sociale traverse une crise profonde. Ce modèle, sous la pression de ses dérives, s’avère difficilement capable de répondre aux défis contemporains.

Cinq mouvements majeurs mettent en lumière ses limites : l’affaiblissement de l’autorité publique et du sentiment de sécurité, l’insuffisance de la régulation migratoire et de l’intégration de la population immigrée, la montée d’un individualisme exacerbé, l’expression d’un égalitarisme excessif, enfin l’hypertrophie étatique et normative. Ces dynamiques fragilisent les institutions et alimentent la défiance envers le politique, en favorisant la montée du populisme.
Le marché, indispensable pour dynamiser l’économie, nécessite une régulation publique efficace afin d’en éviter les dérives. Cependant, en France, la sphère publique s’est développée de manière hypertrophiée, engendrant tout à la fois inefficacité et découragement. L’Etat omniprésent tend à infantiliser les citoyens et à interférer dans leurs relations, tout en réduisant le rôle des corps intermédiaires. Comme le souligne Hannah Arendt : « Lorsque l’Etat monopolise cette capacité d’agir, les citoyens sont réduits au rôle de spectateurs. » La suradministration provoque en effet une perte de responsabilité individuelle et collective, tout en affaiblissant le respect des autres et des règles de vie en société.

Vivre ensemble

Parallèlement, dans nos sociétés, des excès pathogènes mettent en péril jusqu’à la démocratie elle-même. Ces excès se manifestent par une extension illimitée des droits individuels au détriment des devoirs de chacun, favorisant un égoïsme, un repli sur soi, comme un communautarisme exacerbé. Mais aussi un affaiblissement du sens collectif et de la nécessité du travail. Ces excès consistent en outre en une obsession égalitariste, au point d’alimenter jalousie, ressentiment et haine. Freinant de plus les moteurs de la croissance et du progrès. Tocqueville avertissait déjà : « Il n’y a pas de passion si funeste pour l’homme que cet amour de l’égalité qui peut dégrader les individus et les pousser à préférer la médiocrité commune à l’excellence individuelle. »

Ces dérives menacent la capacité de vivre ensemble et peuvent conduire à une ruine aussi morale qu’économique. Le financement de la suradministration et le manque de responsabilisation face aux dépenses de protection sociale se traduisent en effet par un déficit public permanent, induisant une dette publique bientôt insoutenable, renforçant à leur tour la défiance.

Retrouver un équilibre

Pour éviter un déclin irréversible, il est impératif de réinventer l’équilibre de notre modèle autour de plusieurs axes. Réconcilier éthique (comprenant la justice sociale) et dynamique économique. Aucun des deux termes n’est durablement viable sans l’autre. Aujourd’hui, les normes et systèmes de prélèvements entravent outre mesure l’innovation et la croissance, sous peine de rendre vains les efforts en faveur de l’éthique. Traiter républicainement et efficacement les questions sociétales, sans penchant moralisateur ni mépris. Ce qui évitera de surcroît que le populisme ne monopolise ces débats.
Retrouver une meilleure mobilité sociale par un enseignement approprié de qualité. Lutter contre les excès égalitaristes en opérant un rappel indispensable des notions d’égalité des droits et des devoirs, d’égalité des chances et d’équité pour ne pas les confondre avec l’égalité absolue en toute chose, bien souvent antinomique des premières.

La survie du modèle européen démocratique et d’économie sociale de marché dépend de sa capacité à se renouveler. Sans un sursaut intellectuel pour limiter les excès qui s’y sont développés et pour retrouver les équilibres indispensables qui les fondent, notre système politico-économico-social sombrera dans l’entropie. Qui plus est, dans un monde où les seuls rapports de force sont redevenus la règle. Ce renouveau est crucial pour restaurer la confiance dans les institutions et la politique, comme dans la démocratie elle-même. Il est aussi crucial pour retrouver une vitalité et un dynamisme sans lesquels rien n’est possible. La pérennité de notre beau modèle européen en dépend.

Olivier Klein est professeur d’économie à HEC.