Une thérapie pour la croissance

La « vieille » Europe, comme la France, semble être entrée depuis la fin des années 1980 dans une période longue de croissance alanguie. Cette tendance n’est pas inéluctable. Elle est le fait de freins qui peuvent être limités voire supprimés par des politiques adéquates.

Article publié dans le journal Les Echos en 2004

Une première action pourrait être conduite à l’échelle de la zone euro. Coordonner les politiques budgétaires de façon plus dynamique et plus pertinente que ne l’autorise le Pacte de stabilité conduirait à supprimer le biais restrictif en termes de croissance qu’impliquerait ce même pacte, s’il était appliqué. Et une coordination bien pensée serait également très supérieure à la juxtaposition de politiques indépendantes. Soulignons que le bien collectif qu’est l’euro implique, pour survivre, une discipline collective. Si cette dernière ne doit pas empêcher les politiques budgétaires de jouer leur rôle contra-cyclique, il est urgent de reconstruire un Pacte de stabilité et de croissance intelligent et pragmatique. Seul le déficit structurel, c’est-à-dire corrigé des effets dus aux variations de la conjoncture, et peut-être excluant certains types d’investissements publics porteurs de croissance durable, devrait être encadré.

En outre, la monnaie unique a impliqué une politique monétaire unique. Donc une politique indifférenciée vis-à-vis de la situation de chaque pays et une impossibilité d’ajustement de l’économie d’un pays par l’évolution du change de sa propre monnaie. C’est pourquoi il est également nécessaire que les pays de la zone euro s’entendent pour soutenir ceux qui connaissent un choc conjoncturel. Aux Etats-Unis, lorsqu’un Etat supporte une conjoncture déprimée, un transfert de ressources budgétaires d’origine fédérale s’opère afin de l’aider à revenir à meilleure fortune. De plus, grâce à une langue commune et à une pratique plus forte de la mobilité, les habitants touchés par la montée du chômage sont enclins à déménager vers des Etats mieux dotés. En Europe, le budget fédéral est quasi nul (moins de 2 % du PIB total) et la multiplicité des langues ne facilite pas la mobilité transnationale. L’ajustement ne peut alors se faire que par la baisse des prix et/ou la perte d’emplois.

Par ailleurs, il serait trompeur, voire démagogique, de laisser accroire qu’il n’existe pas de freins structurels à la croissance en France et en Europe. Les politiques permettant de les desserrer sont plus immédiatement à portée de main, puisqu’elles dépendent pour l’essentiel de la volonté des pouvoirs publics nationaux. Il s’agit de jouer sur l’ensemble des facteurs structurels permettant d’accroître le potentiel de croissance de chaque pays. L’augmentation de la population active et les gains de productivité sont les deux grands facteurs qui permettent à un pays de repousser les limites de la croissance. Comment jouer positivement sur eux ?

Le premier repose sur l’évolution démographique. La France, comme de nombreux pays d’Europe, est un pays vieillissant. La population disponible au travail croît de moins en moins rapidement et connaît déjà, ou connaîtra, une quasi-stagnation, puis un abaissement. Outre les problèmes importants induits sur l’équilibre des systèmes de retraite et de santé, cette diminution de la population disponible au travail conduit à un moindre potentiel de croissance.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées : mettre en place une politique d’immigration pertinente, comme le Canada. Mais aussi, et surtout, augmenter le taux d’activité de la population. A titre d’exemple, celui des 55-64 ans est de 38 % en France, alors qu’il est supérieur à 50 % dans les pays nordiques et à 60 % aux Etats-Unis ! Sur l’ensemble de la population en âge de travailler, le taux d’activité s’élève en France à 61,1 % en 2000, l’un des plus faibles des pays de l’OCDE. Il est de 66,3 % en Allemagne, 72,9 % aux Pays Bas, 74,1 % aux Etats-Unis, 74,2 % en Suède comme au Royaume-Uni… Cette orientation conduit à tenter de remettre le travail au coeur des valeurs et à le promouvoir comme puissant facteur d’intégration et de promotion sociale. Encourager à vouloir travailler et à être à même de trouver un emploi, tel est l’en jeu. Par la formation, une incitation suffisante à délaisser les allocations chômage ou le revenu minimum lorsqu’un emploi est possible, un soutien au travail des femmes, etc. Les pays nordiques, notamment la Suède, ont connu sur ces terrains des succès certains.

Deuxième facteur augmentant le potentiel de croissance d’un pays : les gains de productivité. Certes la productivité ne se décrète pas. Mais des politiques permettraient de réduire l’écart très important de gains de productivité qui s’est affirmé depuis plus de dix ans entre la zone euro et les Etats-Unis, en faveur de ces derniers. Citons quelques pistes : dépenser plus, mais surtout dépenser mieux en faveur de la recherche-développement et de l’enseignement supérieur.

En orientant les budgets en question vers plus d’efficacité et vers des domaines plus porteurs tels que les hautes technologies. Permettre une articulation nettement plus forte de la recherche entre privé et public. Ici aussi, au début des années 1990, les pays nordiques ont connu de beaux succès, à étudier. Mais encore ? La recherche d’une meilleure efficacité du marché des biens et des services : avancer de façon raisonnée vers moins de réglementations restreignant la concurrence dans l e domaine des télécoms ou de la grande distribution par exemple permettrait d’inciter fortement les entreprises de ces secteurs à développer des gains de productivité accrus.

Le secteur bancaire a connu une telle évolution en France dès 1985. Attention cependant, la déréglementation totale est souvent un leurre. A pratiquer donc avec prudence, sans idéologie anti ou pro-déréglementation, et en tirant les leçons des réussites et des échecs des expériences étrangères. Plus sûrement, la recherche d’économies dans les dépenses publiques et surtout d’une meilleure efficacité de celles-ci reste prioritaire, si l’on veut augmenter le niveau de productivité et de compétitivité en France.

La question n’est ni de droite ni de gauche. Elle est de bonne gestion. De même, augmentent le potentiel de croissance toutes les actions facilitant la création d’entreprises et permettant aux plus jeunes d’entre elles de passer le cap difficile des premières années. C’est bien évidemment ici les règles administratives qu’il convient de simplifier au mieux, l’accompagnement dans la gestion et dans la recherche de financement qu’il faut faciliter.

Augmenter notre richesse par personne et contribuer ainsi notamment à résoudre nos très sérieux problèmes d’équilibre de systèmes de retraite et de santé. Il s’agit bien, par la recherche d’une capacité de croissance plus forte, de préserver notre bien-être collectif et individuel menacé par une société vieillissante. Sous peine, sinon, de n’être plus à même dès demain d’offrir le niveau de vie et la protection sociale qui caractérisent l’Europe depuis de nombreuses décennies. La France a commencé à traiter ses problèmes structurels. Il reste encore beaucoup à faire.