La banque de détail en France : moins de croissance, plus de concurrence !

Les résultats des banques françaises sont excellents depuis plusieurs années. Et le cru 2006 n’a pas été en reste.
Le ROE (Return On Equity, c’est-à-dire le taux de rendement des capitaux propres) de l’activité banque de détail en France de nombreuses grandes banques a dépassé ces dernières années les 20%. Leurs implantations, toujours plus nombreuses sur des marchés étrangers (Asie, Europe de l’Est, Russie, Maghreb…) en pleine croissance ont apporté, en outre, une croissance vive de leurs résultats nets.

Si l’on regarde de plus près cependant, la croissance du PNB (Produit Net Bancaire, équivalent à la valeur ajoutée) issu du marché français dans la banque de détail tend fortement à se réduire. 1,6% pour le Crédit Agricole en 2006 par exemple, et la croissance sur ce marché de nombreuses banques, au premier trimestre 2007, a été proche de zéro. En fait, l’essoufflement de cette croissance, comme l’écart très élevé entre le ROE et les taux longs sans risque, conduisent à s’interroger sur la pérennité du haut niveau de la rentabilité de la banque de détail en France.

D’une part, en effet, le taux de l’OAT s’élevant approximativement à 4-4,5%, la prime de risque sur le marché de la banque de détail ressort mécaniquement à plus de 16%, ce qui ne correspond pas à la réalité, sur moyenne période, du risque de ce métier, mesuré par exemple par la volatilité de ses résultats nets ; ce qui ne traduit en rien le fait que les banques ne prendraient pas suffisamment de risques de crédit. Cette très forte rentabilité conduit ainsi depuis plusieurs années les acteurs en présence à réinvestir sur le marché français, par création de nouvelles agences, par exemple. Cela se produira tant que le ROE ne sera pas revenu à une norme plus économiquement justifiable. C’est d’ailleurs cet investissement même, par accroissement de l’offre face à une demande stable, qui conduit à pousser les marges et les prix vers le bas, et qui induira un affaiblissement progressif de la rentabilité.

D’autre part, il est important de faire l’analyse de ce que nous pouvons attendre des trois principaux facteurs structurels de croissance du marché de la banque de détail et de comprendre ainsi que ce marché sera durablement stagnant en France :

  1. la croissance démographique : elle est très faible en Europe et deviendra négative prochainement, même si en France elle continuera sa très légère progression. Or, l’évolution du nombre d’habitants est évidemment déterminant pour l’évolution du marché de la banque de détail.
  2. la croissance du PIB : la croissance potentielle du PIB en Europe plafonne durablement autour de 2%. La croissance mondiale qui oscille entre 5 et 6% est fortement tirée par des pays émergents comme la Chine, l’Inde ou la Russie. Lorsqu’un pays s’enrichit, les habitants épargnent et empruntent davantage en perspective de revenus plus élevés à l’avenir, activités qui nourrissent le chiffre d’affaires des banques. La contribution de la croissance économique sur le PNB de la banque de détail en France restera donc limitée, selon toute vraisemblance de l’ordre maximum de 3-4% l’an en valeur (inflation comprise).
  3. la modernisation et l’équipement du marché : le marché français est déjà totalement bancarisé et très bien équipé en produits bancaires ; il y a probablement peu à attendre à court- moyen terme d’une innovation qui viendrait ouvrir de larges perspectives de croissance de ce marché.

Si la pression concurrentielle restait au niveau de celle des dernières années, les impacts conjugués de ces trois facteurs conduiraient à une croissance du marché d’environ 4%, donc vers un potentiel de croissance du PNB de même ordre.

La croissance structurelle du marché n’explique donc qu’une partie de l’augmentation de la forte rentabilité des banques des dernières années. Cette dernière a eu deux autres sources, quant à elles, transitoires :

  • Le développement de la tarification a été un moteur important de l’amélioration de la rentabilité. Mais, nous atteignons maintenant les niveaux européens moyens et le consumérisme joue un rôle de plus en plus important. La conjugaison de ces deux facteurs, sans même parler de l’intensification de la concurrence, tend à limiter la croissance future de la facturation, sauf à trouver de nouveaux services avec de nouvelles valeurs ajoutées. Ajoutons que les nouvelles réglementations contribuent au tassement de la croissance de la tarification.
  • Le renforcement de la relation bancaire en a également constitué un moteur puissant. Toutes les banques ont investi dans la mise en œuvre de programmes relationnels et de gestion événementielle. Ces outils ont permis d’agir commercialement à « coup plus sûr », en travaillant mieux les bases de données et en permettant de proposer aux différents segments de clients des produits à meilleur escient, donc avec un taux de réalisation de vente beaucoup plus élevé. Ils ont permis de gagner de la productivité commerciale. Aujourd’hui, si des champs de progression subsistent dans chaque banque, l’essentiel a été réalisé.

Si les sources transitoires de croissance de la rentabilité se tarissent et si la croissance structurelle du marché reste à un niveau très modeste, alors la recherche de croissance du PNB de chaque banque ne pourra se faire qu’à partir de la conquête de parts de marché entre les différents acteurs, conquête d’ailleurs fortement désirée dans le contexte actuel de très forte rentabilité. Mais, chaque banque conduisant un raisonnement analogue, et chacune étant désireuse de continuer d’investir, dans un marché sans dynamique de croissance, les plans des différentes banques sont mutuellement incompatibles.

La résultante en est obligatoirement une forte augmentation de la pression concurrentielle -au plus grand bénéfice des clients- qui elle même pèse sur les marges et affaiblit le ROE. Ce phénomène vient à son tour accélérer le processus, conduisant à renforcer la nécessité pour chaque banque de prendre des parts de marchés, afin de tenter de compenser la baisse des marges par une augmentation du volume. Cette pression concurrentielle très accrue et cette course à la part de marché permettent aujourd’hui aux clients des banques de financer leur logement à un taux moins élevé que celui de l’emprunt d’Etat, de voir les droits d’entrée de l’assurance vie s’abaisser significativement ou encore de pouvoir obtenir ponctuellement une sur-rémunération de son épargne sur un compte à terme ou un livret boosté. La guerre des prix semble bien lancée.

Le PNB de la banque de détail, toutes banques confondues, n’augmentera probablement dès lors plus que de 0 à 2% l’an. Si l’on y ajoute la pression très forte sur la croissance du PNB engendrée par l’aplatissement de la courbe des taux, qui pourrait durer encore, le pronostic sur la croissance ne peut guère raisonnablement être très optimiste. A ce jeu, certaines banques gagneront, d’autres perdront. La concentration du monde bancaire en France, comme évidemment en Europe, n’est certainement pas achevée. La gestion plus rigoureuse encore des charges non plus. Ni la recherche d’un développement sur les marchés étrangers à fort potentiel.

Professeur affilié d’économie et de finances à HEC et dirigeant bancaire