Et maintenant, quelle politique de la BCE ?

Ci-dessous, mon dernier article sur la politique monétaire de la BCE , publié par Les Échos le 7 juillet 2025 .
Alors que l’inflation revient progressivement vers la cible et que les taux d’intérêt se stabilisent en zone neutre, la Banque centrale européenne fait face à un délicat exercice d’équilibre : soutenir une croissance fragile sans raviver les pressions inflationnistes — tout en résistant aux injonctions de compenser les insuffisances structurelles qui ne sont ni dans ses capacités ni dans son mandat.

À mi-2025, l’inflation sous-jacente en zone euro semble se stabiliser autour de 2,5 %, tandis que les salaires augmentent à un rythme voisin de 3 %. Le taux d’inflation globale, quant à lui, est revenu à environ 2 %. Ce résultat ne s’explique pas par un seul facteur, mais par la convergence de plusieurs dynamiques: une politique monétaire résolue ayant permis d’ancrer solidement les anticipations d’inflation, un redressement progressif de l’offre à la suite des désorganisations dues au Covid et une nette détente des prix de l’énergie. Cependant, cette amélioration ne doit pas masquer les facteurs de long terme comme la démographie, la transition énergétique ou encore la fragmentation croissante de l’économie mondiale, qui peuvent alimenter durablement une inflation plus élevée.

Les perspectives de croissance de la zone euro demeurent modestes : entre 1% et 1,4 % selon les estimations, avec quelques pays affichant une performance légèrement supérieure aux attentes. Ainsi, les taux d’intérêt actuels de la BCE, après de nombreuses baisses, ne paraissent au total pas restrictifs. Ils s’inscrivent actuellement dans une zone neutre, voire légèrement accommodante.

Les incertitudes qui pèsent sur l’économie européenne restent nombreuses. Entre autres, l’évolution des prix des matières premières, comme des terres rares, restent très sensibles aux évolutions géopolitiques peu anticipables. L’effet sur les prix de la relance allemande est peu prévisible. Il dépend de l’intensité de son déploiement et de son impact sur l’offre. Le futur niveau des droits de douane est pour le moins incertain et ils peuvent ralentir la croissance en perturbant les chaînes de valeur mondiales, mais aussi contribuer à la hausse des prix via un renchérissement des importations. Les modèles économiques peinent à produire des résultats convergents. Dans un tel environnement, la BCE a raison de suivre une approche dite « data driven », strictement fondée sur les données au fur et à mesure de leur disponibilité, sans orientation directionnelle.

En outre, un retour à des taux très bas, en l’absence de forte nécessité conjoncturelle, serait une erreur. Des taux durablement proches de zéro hors raisons exceptionnelles engendrent des déséquilibres tels que la formation de bulles spéculatives sur les actifs financiers ou immobiliers, l’incitation à des choix d’investissement peu compatibles avec une allocation efficiente du capital, l’accroissement l’endettement privé et public au-delà de niveaux soutenables. Les effets délétères additionnels d’un environnement prolongé de taux trop bas trop longtemps sont connus : trappe à liquidité, survie artificielle d’entreprises inefficaces, dites zombies, ralentissement des gains de productivité et hausse de l’épargne de précaution…

Aujourd’hui, l’enjeu est le potentiel de croissance trop faible en Europe, or les remèdes ne relèvent pas de la compétence de la banque centrale. Cette insuffisance découle du manque de réformes structurelles, d’une sur-réglementation, d’une politique de la concurrence dont il convient de modifier la définition du marché pertinent à l’heure des géants mondiaux, comme de barrières non tarifaires continuant d’entraver l’expansion des entreprises à l’intérieur même du marché unique. Si l’inflation est maîtrisée, la politique monétaire peut accompagner l’activité et la relancer lorsque la croissance effective est inférieure à la croissance potentielle, mais elle ne peut agir en lieu et place des politiques structurelles nécessaires.

La politique monétaire ne peut non plus être utilisée comme une facilité offerte aux États concernés pour différer davantage la consolidation de leurs finances publiques. Il serait en outre illusoire de croire qu’une croissance robuste et soutenable puisse être permise dans un contexte de taux d’endettement public excessif et non stabilisé. Sur ce point, la responsabilité des gouvernements est pleine et entière.

La BCE pourrait conserver une marge de manœuvre indispensable au cas où il deviendrait nécessaire d’agir plus fortement encore. L’actuelle montée de l’euro, désinflationniste et susceptible de ralentir par elle-même la croissance, pourrait toutefois la faire bouger plus rapidement.

Olivier Klein
Professeur d’économie à HEC et Directeur général de Lazard Frères Banque