« Dans la crise, un espoir raisonné » publié dans Les Echos du 19 janvier 2016

Nous pouvons entrevoir dans la crise actuelle des raisons d’espérer. En effet, les crises constituent le moment des mutations. Elles sont les temps où le désordre créateur fait disparaître d’anciens modes de régulation et laisse d’autres, nouveaux, apparaître.

Les changements accélérés, comme ceux liés à la mondialisation de l’économie et au développement des nouvelles technologies, sont autant d’occasions de se réinventer, d’innover, d’imaginer le monde, les nouveaux besoins ou les nouvelles façons de travailler. Ces moments de passage de l’ancien au nouveau sont importants, car ils remettent en cause les rentes, favorisent la mobilité sociale et l’égalité des chances, en donnant une prime à l’innovation, un avantage à ceux qui ne sont pas les seuls produits de la reproduction des acquis antérieurs, culturels, sociologiques ou économiques.

Mais pour profiter des bienfaits des révolutions technologiques et industrielles en cours, il faut libérer les énergies, donner l’envie et la possibilité aux très petites entreprises de grandir, de même qu’il faut favoriser l’innovation et la création. Ainsi, la qualité de l’environnement économique et social, en termes législatif, réglementaire et culturel, est-elle cruciale.

Les nouveaux moteurs de l’économie seront très certainement les biotechnologies et les nanotechnologies qui ouvrent entre autres, la possibilité de vivre mieux plus longtemps et de mieux prévenir ou guérir des maladies graves ; les technologies du stockage de l’énergie, celles des économies d’énergie et les énergies renouvelables elles-mêmes, sans l’ensemble desquelles il n’y a pas de transition énergétique possible et de développement durable ; le numérique et le « Big Data » pour créer de nouveaux services à partir des gisements massifs de données aujourd’hui stockées mais très partiellement utilisées, grâce aussi à la miniaturisation, pour développer encore davantage les robots et autres objets nomades et connectés. Tous ces secteurs pourront assurer la croissance de demain. Si nous les utilisons bien et si le contexte de leur émergence est bien pensé.

Ces espoirs peuvent en effet être contrariés par une utilisation dangereuse de ces nouvelles techniques qui pourraient aussi bien dériver vers des applications qui transformeraient peu à peu l’homme en machine ou qui seraient utilisées pour instaurer un contrôle de la société de type totalitaire. Leur utilisation éthique et humaniste est une nécessité qui doit être assurée. Mais ces espoirs pourraient être également anéantis si la mondialisation de l’économie engendrait de façon non contrôlable la méfiance, le repli sur soi ou le fanatisme religieux. De façon naturelle, la mondialisation des échanges, accélérée par les nouvelles technologies, entraîne un très fort besoin de proximité et de protection, dans une dialectique propre à l’histoire humaine.

Dans un monde plus ouvert et plus mobile, un renforcement de la proximité et de la capacité de protection des institutions peut être tout à la fois indispensable et créateur de richesses et de valeurs. Sans nuire pour autant à la responsabilité de chacun. Dans le domaine du travail par exemple, la flexi-securité peut être une réponse au besoin concomitant d’une fluidité et d’une prise de risque accrues et d’une protection des parcours professionnels individuels, dans une économie où la mobilité est plus nécessaire que jamais.

Si les craintes humaines se transforment en écoute plus attentive des propositions populistes ou des fanatismes religieux, si le cadre national ne peut donner une vision ouverte et, dans le même temps, une légitime et raisonnable protection des habitants, le monde se refermera et la crainte de l’avenir engendrera le refus du progrès. Quand le vieux monde se meurt et que le nouveau tarde à apparaître, dans ce clair-obscur surgissent les monstres, écrivait Gramsci.

Pour que cet espoir soit fondé, nous devons défendre avec force la vertu de nos valeurs humanistes et de la laïcité qui permet aux différentes religions de vivre ensemble. Mais il nous faut aussi appuyer notre confiance dans notre capacité à inventer le monde de demain sur une économie  et des institutions (marché et règles du travail, éducation, sécurité…) efficaces et proches des gens, permettant tout à la fois l’innovation et la création de valeur ajoutée, d’une part, et une meilleure sécurisation des parcours et l’égalité des chances de l’autre. Une société ouverte, fluide et dynamique, mais aussi juste et protectrice.

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Professeur d’économie et finance à HEC Directeur général de banque