Bitcoin en question : la fin d’un rêve d’une monnaie sans État ?

La promesse du bitcoin et de ses épigones en tant que monnaie ne peut ainsi faire face à la question que pose toute forme monétaire : son acceptation universelle dépend moins de sa technologie que de sa capacité à préserver la confiance qui la fonde. À défaut, ils ne sont que des objets hyper-speculatifs. Les monnaies privées ne peuvent ainsi remplacer les monnaies « officielles » que si ces dernières font l’objet d’une forte défiance, due à de fortes défaillances prolongées des institutions (États ou banques centrales) sur lesquelles elles s’appuient. À ce jour, le marché vient de rappeler , à tout le moins momentanément, que l’utopie anarcho-capitaliste que constituent les cryptomonnaies en tant que monnaies reste avant tout une utopie.

Début octobre, et ce sur plusieurs semaines, le bitcoin, emblème des cryptomonnaies et figure de proue d’une utopie libertarienne, a connu une chute brutale : son cours est ainsi passé de près de 106000 euros à 73000 euros, soit une baisse d’environ 30% en moins de deux mois. Pour remonter partiellement depuis. Le marché crypto dans son ensemble a vu s’évaporer pendant cette période plus de 1 000 milliards de dollars de capitalisation, frappant non seulement le bitcoin mais aussi toutes les grandes cryptomonnaies comme l’ether, le solana et le XRP.

Cette volatilité spectaculaire rappelle la fragilité intrinsèque de ces « monnaies » privées, décentralisées, qui reposent sur la seule confiance algorithmique plutôt que sur un ancrage institutionnel. Le rêve d’une monnaie universelle, non nationale, à même d’échapper au contrôle des États, avait séduit nombre de partisans d’une économie sans régulation étatique, dans le sillage de Hayek et de l’école autrichienne. Le bitcoin avait été ainsi conçu explicitement contre la manipulation monétaire des monnaies officielles. Les forts gains, qui semblaient faciles, avaient également attirés nombre de néophytes.

Mais cet accident révèle le fondement purement auto-référentiel de la valeur de ces « monnaies » qui n’ont aucune contrepartie économique, contrairement aux monnaies bancaires dont la contrepartie est le crédit à l’économie. Ce qui en fait des crypto-actifs hyper-spéculatifs, profondément volatils, leur valeur étant sans lien avec les besoins économiques réels et sans régulation institutionnelle.

La forte fluctuation récente illustre ainsi un point central : la monnaie n’est jamais un simple objet technique, mais un fait institutionnel et social. Contrairement à la monnaie bancaire, qui s’appuie sur la confiance dans les banques, les banques centrales et les États, les cryptomonnaies ne sont appuyées sur une quelconque institution « officielle », elles ne dépendent donc que de la seule confiance collective de ses détenteurs qui peut ainsi s’évaporer plus ou moins brutalement. Les causes immédiates de cette chute sont multiples : la crainte d’une trop forte hausse antérieure, moins de croyance dans une baisse proche des taux d’intérêt aux États-Unis, liquidations massives de positions très « leveragées », réduction du risque par les investisseurs institutionnels et incertitudes réglementaires, etc.

Face à une telle volatilité, les cryptomonnaies ne peuvent s’imposer comme moyen de paiement universel ; elles restent de facto des objets de spéculation pure, sans valeur objective externe au marché des cryptos elles-mêmes. Donc aisément susceptibles de phénomènes d’euphorie haussière comme de panique et de fuite hors de ces supports. Au-delà du débat philosophique sur la « confiance algorithmique » opposée à la confiance institutionnelle et sur les différences fondamentales de vue entre l’école libertarienne et l’école institutionnaliste, la séquence actuelle est un retour à la réalité : sans l’ancrage d’institutions -visibles ou invisibles-, capables de canaliser les incertitudes et les rivalités, aucune monnaie ne peut durablement remplir son rôle de médiateur social et économique, ni garantir la stabilité ou l’efficacité attendue. La promesse du bitcoin et de ses épigones en tant que monnaie ne peut ainsi faire face à la question que pose toute forme monétaire : son acceptation universelle dépend moins de sa technologie que de sa capacité à préserver la confiance qui la fonde. À défaut, ils ne sont que des objets hyper-speculatifs. Les monnaies privées ne peuvent ainsi remplacer les monnaies « officielles » que si ces dernières font l’objet d’une forte défiance, due à de fortes défaillances prolongées des institutions (États ou banques centrales) sur lesquelles elles s’appuient. À ce jour, le marché vient de rappeler , à tout le moins momentanément, que l’utopie anarcho-capitaliste que constituent les cryptomonnaies en tant que monnaies reste avant tout une utopie.

Olivier Klein
Professeur d’économie à HEC
Directeur Général de Lazard Frères Banque